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21/11/2013 | CJUE | N°C-360/12

CJUE | CJUE, Arrêt de la Cour, Coty Germany GmbH contre First Note Perfumes NV., 21/11/2013, C-360/12


CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. NIILO JÄÄSKINEN

présentées le 21 novembre 2013 ( 1 )

Affaire C‑360/12

Coty Germany GmbH, anciennement Coty Prestige Lancaster Group GmbH,

contre

First Note Perfumes NV

[demande de décision préjudicielle formée par le Bundesgerichtshof (Allemagne)]

«Compétence internationale en matière civile — Règlement (CE) no 40/94 — Article 93, paragraphe 5 — Compétence en matière de contrefaçon de marque communautaire — Règlement (CE) no 44/2001 — ArticleÂ

 5, point 3 — Compétence spéciale en matière délictuelle — Acte commis par le défendeur dans un autre État membre constituant une assi...

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. NIILO JÄÄSKINEN

présentées le 21 novembre 2013 ( 1 )

Affaire C‑360/12

Coty Germany GmbH, anciennement Coty Prestige Lancaster Group GmbH,

contre

First Note Perfumes NV

[demande de décision préjudicielle formée par le Bundesgerichtshof (Allemagne)]

«Compétence internationale en matière civile — Règlement (CE) no 40/94 — Article 93, paragraphe 5 — Compétence en matière de contrefaçon de marque communautaire — Règlement (CE) no 44/2001 — Article 5, point 3 — Compétence spéciale en matière délictuelle — Acte commis par le défendeur dans un autre État membre constituant une assistance à l’acte de contrefaçon ou au délit commis sur le territoire de l’État membre où siège la juridiction saisie»

I – Introduction

1. La demande de décision préjudicielle introduite par le Bundesgerichtshof (Allemagne) invite la Cour à dire s’il est possible de fonder la compétence internationale d’une juridiction d’un État membre sur la seule imputation d’actes prétendument illicites ayant été commis par une tierce personne à une défenderesse, qui y aurait participé indirectement dans un autre État membre, comme si celle‑ci avait aussi agi dans le ressort de la juridiction saisie.

2. Cette problématique est soulevée, en premier lieu, de façon entièrement inédite, dans le cadre de l’interprétation de la règle de compétence énoncée à l’article 93, paragraphe 5, du règlement (CE) no 40/94 du Conseil, du 20 décembre 1993, sur la marque communautaire ( 2 ), au titre d’une prétendue contribution indirecte de la partie défenderesse à des faits de contrefaçon commis par un tiers.

3. En ce qu’il porte, en second lieu, sur l’article 5, point 3, du règlement (CE) no 44/2001 du Conseil, du 22 décembre 2000, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale ( 3 ), le présent renvoi préjudiciel s’inscrit dans la lignée d’une série d’affaires récentes relatives à l’éventuelle admissibilité d’un rattachement aux actes délictuels d’un tiers, aux fins d’établir l’existence du chef de compétence prévu par ladite
disposition ( 4 ). L’analyse de cet aspect de l’affaire révèle une tension entre deux lignes de jurisprudence, l’une favorisant une interprétation de cette disposition moins extensive que l’autre, dont la Cour devra tenir compte.

4. En outre, les deux questions posées par la juridiction de renvoi entrent en interaction, puisque la première vise, notamment, à déterminer dans quelle mesure, sous réserve qu’une extension de compétence telle que celle envisagée soit admise dans le cadre de l’article 5, point 3, du règlement Bruxelles I, cette interprétation pourrait être transposée à l’article 93, paragraphe 5, du règlement sur la marque communautaire. Les liens susceptibles d’exister entre ces deux règlements devront donc aussi
être explorés.

5. Concrètement, le présent renvoi préjudiciel fait suite à l’action introduite devant une juridiction allemande, par une société allemande, à l’encontre d’une société belge, aux motifs que cette dernière aurait participé à une atteinte à la marque communautaire détenue par la première et aurait contribué à des actes de concurrence déloyale à son égard. Dans ce contexte, la Cour est interrogée sur le point de savoir si la compétence des juridictions allemandes peut être fondée sur le fait que la
défenderesse, qui a agi en Belgique, soit supposée avoir prêté son assistance à la réalisation des actes illicites ayant été commis en Allemagne par un entrepreneur allemand qui, quant à lui, n’a pas été attrait en justice.

II – Le litige au principal, les questions préjudicielles et la procédure devant la Cour

6. Coty Germany GmbH ( 5 ) (ci‑après «Coty Germany») produit et distribue, en Allemagne, des parfums et des produits cosmétiques. Elle commercialise, notamment, un parfum pour femme dans un flacon qui reproduit une marque communautaire tridimensionnelle, dont elle détient les droits après enregistrement.

7. First Note Perfumes NV (ci‑après «First Note Perfumes») exerce, en Belgique, une activité de grossiste en parfumerie. Au mois de janvier 2007, elle a vendu l’un des produits de son catalogue à Stefan P. Warenhandel (ci‑après «Stefan P.»), dont l’établissement commercial était situé en Allemagne. La juridiction de renvoi précise que c’est en Belgique qu’a eu lieu la livraison des flacons de parfum pour femme ayant été commandés. Par la suite, à savoir au mois d’août 2007 selon Coty Germany,
Stefan P. a revendu ces produits sur le territoire allemand.

8. Estimant que la distribution d’un parfum dans un flacon semblable à la marque communautaire dont elle est titulaire était constitutive d’une contrefaçon, d’une publicité comparative illicite et d’une imitation déloyale, Coty Germany a saisi un tribunal allemand d’un recours dirigé uniquement contre First Note Perfumes ( 6 ) tendant à ce que celle‑ci soit condamnée, d’une part, à communiquer les renseignements relatifs à son fournisseur, d’autre part, à réparer l’intégralité du préjudice que la
demanderesse aurait subi et subira du fait de la distribution de ce produit en Allemagne, ainsi qu’à lui rembourser les frais exposés avant la phase contentieuse.

9. Le rejet de ces demandes en première instance ayant été confirmé en appel, au motif de l’absence de compétence internationale des juridictions allemandes, Coty Germany a formé un recours en «Revision» devant le Bundesgerichtshof. Elle a invoqué une atteinte à la marque communautaire concernée et l’usage de pratiques constitutives d’une concurrence déloyale.

10. S’agissant de la marque communautaire, le Bundesgerichtshof indique que la compétence internationale des juridictions allemandes dépend, conformément à l’article 93, paragraphe 5, du règlement sur la marque communautaire ( 7 ), de la question de savoir si Coty Germany a valablement argué que l’unique défenderesse avait commis un fait de contrefaçon en Allemagne.

11. Or, First Note Perfumes ne peut avoir participé à un tel acte sur le territoire allemand qu’en raison de la vente, effectuée en Belgique, des flacons de parfum litigieux à Stefan P., lequel aurait ensuite commis, en Allemagne, une contrefaçon de marque au sens de l’article 9, paragraphe 1, deuxième phrase, sous b), dudit règlement ( 8 ). À cet égard, Coty Germany a fait valoir que First Note Perfumes avait contribué à l’atteinte prétendument portée à ses droits en Allemagne, car, n’ignorant pas
que son client allemand entendait y revendre les produits achetés en Belgique, elle l’avait ainsi aidé et que, partant, elle était également responsable de l’élément constitutif de la contrefaçon.

12. Par ailleurs, s’agissant des prétentions de Coty Germany fondées sur une violation du droit allemand de la concurrence déloyale ( 9 ), l’article 5, point 3, du règlement Bruxelles I ( 10 ) serait susceptible de fonder la compétence des juridictions allemandes à l’égard de l’action introduite contre First Note Perfumes, au titre du lieu de réalisation du fait dommageable. Les interrogations formulées par la juridiction de renvoi au sujet du règlement sur la marque communautaire se poseraient donc
aussi, mutatis mutandis, dans ce contexte.

13. Par décision déposée le 31 juillet 2012, le Bundesgerichtshof a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1) L’article 93, paragraphe 5, du règlement [sur la marque communautaire] doit‑il être interprété en ce sens qu’un fait de contrefaçon a été commis dans un État membre (État membre A) au sens de l’article 93, paragraphe 5, du règlement sur la marque communautaire en cas de participation, par un acte intervenu dans un autre État membre (État membre B), à l’atteinte aux droits de marque commise dans le premier État membre (État membre A)?

2) L’article 5, point 3, du règlement [Bruxelles I] doit‑il être interprété en ce sens que le fait dommageable s’est produit dans un État membre lorsque le délit faisant l’objet de la procédure ou à l’origine des prétentions soulevées a été commis dans un autre État membre (État membre B) et consiste en la participation au délit (délit principal) commis dans le premier État membre (État membre A)?»

14. Des observations écrites ont été fournies à la Cour par Coty Germany, First Note Perfumes, par les gouvernements du Royaume‑Uni et suisse, ainsi que par la Commission européenne. Lors de l’audience du 19 septembre 2013, les parties au principal, le gouvernement allemand et la Commission ont été représentés.

III – Analyse

A – Observations liminaires

15. D’emblée, je précise que, étant donné que la date des faits à l’origine du litige au principal remonte à 2007, seules les dispositions du règlement sur la marque communautaire et celles du règlement Bruxelles I, telles que visées dans les questions préjudicielles, sont applicables ratione temporis, à l’exclusion des dispositions équivalentes issues des règlements (CE) no 207/2009 ( 11 ) et (UE) no 1215/2012 ( 12 ) qui ont respectivement modifié les deux premiers de ces textes. Au demeurant, les
dispositions pertinentes dans la présente affaire n’ont pas fait l’objet de modifications qui affecteraient leur teneur.

16. J’ajoute que la clef de voûte des deux questions posées par la juridiction de renvoi réside dans la jurisprudence constante de la Cour qui est issue de l’arrêt Bier, dit «Mines de Potasse d’Alsace» ( 13 ). Il en ressort que, au titre de la compétence en matière délictuelle, l’expression «lieu où le fait dommageable s’est produit» figurant à l’article 5, point 3, de la convention de Bruxelles ( 14 ) vise à la fois le lieu de l’événement causal qui est à l’origine du dommage et le lieu où ce
dommage s’est matérialisé, de sorte que le défendeur peut être attrait, au choix du demandeur, devant le tribunal de l’un ou de l’autre de ces deux lieux.

17. S’il est certain que cette option vaut aussi pour l’article 5, point 3, du règlement Bruxelles I qui a remplacé ladite convention ( 15 ), il subsiste des doutes, reflétés par la seconde question, quant à la possibilité d’étendre cette option de façon à y inclure un rattachement lié aux actes commis par une personne non assignée, plus particulièrement sous l’angle du lieu de matérialisation du dommage. La première question invite, tout d’abord, la Cour à dire si ladite jurisprudence pourrait être
mise en œuvre de façon analogue au titre de l’article 93, paragraphe 5, du règlement sur la marque communautaire, ou si cette disposition doit être interprétée de façon autonome et, en tout état de cause, s’il pourrait en résulter un chef de compétence pour toute juridiction saisie d’une action en contrefaçon dans une situation telle que celle au principal.

B – Sur l’interprétation de l’article 93, paragraphe 5, du règlement sur la marque communautaire

– Propos introductifs

18. Par sa première question, la juridiction de renvoi interroge la Cour, en substance, sur le point de savoir si l’article 93, paragraphe 5, du règlement sur la marque communautaire doit être interprété en ce sens qu’il permet d’établir, au titre du lieu du fait de contrefaçon d’une marque communautaire imputé à l’un des auteurs supposés de cette contrefaçon, qui n’est pas partie au litige, une compétence juridictionnelle à l’encontre d’un autre auteur supposé de ladite contrefaçon qui, quant à
lui, n’a pas agi dans le ressort de la juridiction saisie.

19. Plus concrètement, le Bundesgerichtshof se demande si, en l’occurrence, un fait de contrefaçon, au sens dudit article, a été commis en Allemagne dans la mesure où la vente des flacons de parfum litigieux par First Note Perfumes à Stefan P., bien qu’elle soit survenue en Belgique, a contribué à l’atteinte à la marque communautaire détenue par Coty Germany qui a été commise par Stefan P. en Allemagne, de telle sorte que les juridictions allemandes seraient compétentes à l’égard de First Note
Perfumes.

20. La juridiction de renvoi et Coty Germany se sont prononcées pour une réponse affirmative, contrairement à First Note Perfumes et à la Commission. Le gouvernement allemand a soutenu que l’article 93, paragraphe 5, du règlement sur la marque communautaire ne prévoit pas de compétence des tribunaux fondée sur le lieu du résultat de la contrefaçon, mais qu’il permet une attribution de compétence lorsque plusieurs personnes ont participé sciemment à une infraction transfrontalière contre une marque
communautaire. Les gouvernements du Royaume‑Uni et suisse n’ont pas présenté d’observations à ce sujet.

21. Au soutien de son analyse, la juridiction de renvoi part du principe que, aux fins de déterminer si une juridiction d’un État membre est compétente, l’identification du lieu où le fait de contrefaçon a été commis au sens de l’article 93, paragraphe 5, du règlement sur la marque communautaire devrait obéir aux mêmes critères que ceux utilisés pour l’identification du lieu où le fait dommageable s’est produit au sens de l’article 5, point 3, du règlement Bruxelles I.

22. Cependant, j’estime, pour les raisons qui seront développées ci‑dessous, qu’une telle analogie ne saurait prospérer. Partant, la première de ces dispositions devrait, à mon avis, être interprétée en tant que norme distincte de la seconde.

– Exclusion d’une transposition de la jurisprudence relative à l’interprétation de l’article 5, point 3, du règlement Bruxelles I

23. La juridiction de renvoi considère que la réponse à la question de savoir dans quel État membre a été commis un fait supposé de contrefaçon au sens de l’article 93, paragraphe 5, du règlement sur la marque communautaire dépendrait à la fois du lieu de l’événement causal à l’origine du dommage ( 16 ) et du lieu où celui‑ci est survenu ( 17 ), conformément à la jurisprudence issue de l’arrêt Mines de Potasse d’Alsace, précité. Elle fait valoir que cette interprétation procédant par analogie avec
l’alternative admise pour l’article 5, point 3, du règlement Bruxelles I serait majoritairement retenue dans la doctrine ( 18 ) et serait aussi conforme au sens et à la finalité de ces deux dispositions.

24. À supposer que ces deux points de rattachement soient bien pertinents, selon la Cour, au titre de l’application dudit article, il conviendrait ensuite d’examiner si, en l’occurrence, l’un d’entre eux pourrait être considéré comme établi à l’égard de First Note Perfumes, ce qui supposerait que les faits de contrefaçon commis en Allemagne par l’auteur principal supposé, à savoir Stefan P., puissent être imputés à celle‑ci dans la mesure où elle y a indirectement participé. Il en résulterait que
les juridictions allemandes seraient compétentes pour statuer à l’égard de First Note Perfumes même si Stefan P. n’a pas été assigné.

25. Toutefois, à mon avis, plusieurs arguments plaident en défaveur de la possibilité d’interpréter l’article 93, paragraphe 5, du règlement sur la marque communautaire à la lumière de la jurisprudence relative à l’article 5, point 3, du règlement Bruxelles I.

26. En premier lieu, je rappelle que l’articulation de ces deux instruments est expressément appréhendée par le règlement sur la marque communautaire, en ce sens que son article 90, paragraphe 1, dont la teneur est annoncée en des termes plus lapidaires à son quinzième considérant, pose le principe d’une application de la convention de Bruxelles en cas d’action en justice portant sur une marque communautaire, ce qui vaut également pour le règlement Bruxelles I ( 19 ).

27. Il existe toutefois des exceptions à ce principe. En particulier, l’article 90, paragraphe 2, sous a), du règlement sur la marque communautaire exclut l’application de l’article 5, point 3, du règlement Bruxelles I aux procédures résultant des actions et des demandes visées à l’article 92 de ce premier règlement ( 20 ), à savoir, notamment, «toutes les actions en contrefaçon» ( 21 ). Compte tenu de cette exclusion, l’article 93 du règlement sur la marque communautaire prévoit plusieurs chefs de
compétence, s’appliquant «en cascade», qui sont propres à la matière visée par cette disposition et qui s’éloignent parfois notablement de ceux prévues dans le règlement Bruxelles I ( 22 ), en particulier à son paragraphe 5 ( 23 ). Dès ce stade, je souligne que l’affirmation expresse ( 24 ) de ce que l’article 5, point 3, de la convention de Bruxelles n’est pas applicable aux actions en contrefaçon, auquel l’article 93, paragraphe 5, du règlement sur la marque communautaire se substitue en
fixant une règle de compétence spécifique en la matière, empêche selon moi une interprétation conjointe de ces deux dispositions.

28. Contrairement au point de vue exprimé par la juridiction de renvoi, j’estime que la spécificité de cette dernière disposition ne saurait être déniée, surtout au vu, en deuxième lieu, de la genèse de cette disposition. À cet égard, les travaux préparatoires indiquent que, avant même que ne soit initiée la phase législative à proprement parler, le processus d’élaboration du projet de règlement sur la marque communautaire a intégré la prise en compte des règles de compétence contenues dans la
convention de Bruxelles et de la jurisprudence de la Cour afférente à leur interprétation ( 25 ). Au sein de la Commission, le groupe de travail sur la marque communautaire a relevé que ces règles semblaient insuffisantes pour régler les problèmes particuliers posés par la violation des droits issus d’un tel titre unique survenant dans plusieurs États membres. En particulier, ledit groupe a estimé que, eu égard à la spécificité de la marque communautaire, il était nécessaire de modifier la règle
issue de l’article 5, point 3, de cette convention ( 26 ). J’ajoute que la teneur de ce qui constitue la particularité du chef de compétence spécial prévu à l’article 93, paragraphe 5, du règlement sur la marque communautaire ( 27 ) n’a jamais été remise en cause, malgré la série de modifications dont ce règlement a fait l’objet ( 28 ).

29. En troisième lieu, des éléments contextuels viennent corroborer la thèse selon laquelle les rédacteurs du règlement sur la marque communautaire ont eu la volonté de marquer une différence entre cette disposition et celle qui existait dans la convention de Bruxelles. En effet, la comparaison avec des instruments adoptés en des domaines voisins démontre que le législateur communautaire a sciemment opté pour une mise à l’écart du chef de compétence qui figurait à l’article 5, point 3, de cette
convention, voie qu’il a choisie de suivre dans d’autres textes relatifs à la propriété intellectuelle ( 29 ) et dont il s’est au contraire détaché dans le règlement (CE) no 2100/94 sur les obtentions végétales ( 30 ). Ce contraste ne saurait être réduit à l’erreur de plume qui semble suggérée par la juridiction de renvoi. Il est, selon moi, d’autant plus révélateur que la rédaction et l’adoption de ce dernier instrument sont contemporaines de celles du règlement sur la marque communautaire.

30. En quatrième lieu, j’estime que la série de motifs ayant conduit la Cour à adopter la distinction entre le lieu du fait générateur et le lieu de matérialisation du dommage qui vaut à l’égard de l’article 5, point 3, du règlement Bruxelles I n’est pas transposable à l’égard de l’article 93, paragraphe 5, du règlement sur la marque communautaire, au regard des nombreuses disparités existant quant à la teneur de chacune de ces deux dispositions.

31. En effet, d’une part, la notion de lieu où le fait de contrefaçon a été commis est plus étroite que celle de lieu où le fait dommageable s’est produit ( 31 ). D’autre part, le vocabulaire utilisé dans ledit article 93, paragraphe 5, semble suggérer un comportement actif, qui serait plus significatif en étant appliqué au lieu du fait générateur plutôt qu’au lieu de matérialisation du dommage, alors que l’interprétation extensive de l’article 5, point 3, du règlement Bruxelles I paraît avoir été
rendue possible par la terminologie plus neutre qui est employée dans ce dernier article ( 32 ). Enfin, je souligne que la portée de la compétence conférée par l’une ou l’autre de ces dispositions diffère en plusieurs aspects ( 33 ), ce qui réduit d’autant la pertinence d’un rapprochement entre elles.

32. Il est, à mon avis, possible de déduire des particularités du libellé dudit article 93, paragraphe 5 ( 34 ), mises en perspective avec le contexte dans lequel ce texte a été rédigé, que celui‑ci ne crée pas de compétence au titre du lieu de matérialisation du dommage. L’application par analogie de la jurisprudence Mines de Potasse d’Alsace, précitée, à l’égard de cette disposition doit donc être exclue.

33. Néanmoins, selon la juridiction de renvoi, l’article 93, paragraphe 5, du règlement sur la marque communautaire, qui, par dérogation aux paragraphes 1 à 4 dudit article 93, instaure une compétence au lieu où a été commis le fait de contrefaçon, procéderait des mêmes considérations que l’article 5, point 3, du règlement Bruxelles I. À ce sujet, elle se réfère à l’existence d’un lien de rattachement particulièrement étroit entre le litige et les juridictions du lieu où le fait dommageable s’est
produit, lien qui justifierait une attribution de compétence à ces dernières pour des raisons de bonne administration de la justice et d’organisation utile du procès.

34. Au vu de cet argument, une dernière interrogation peut subsister. Elle consiste à savoir si, bien qu’une interprétation par analogie ne soit pas possible, les principes directeurs ayant présidé à l’interprétation du règlement Bruxelles I devraient néanmoins être appliqués au titre de l’interprétation de l’article 93, paragraphe 5, du règlement sur la marque communautaire, même si ce dernier instrument n’en fait pas mention. Parmi ces principes figurent les exigences afférentes à un lien étroit
entre le litige et la juridiction saisie, à une bonne administration de la justice et à l’organisation utile du procès, mais aussi à la prévisibilité des règles de compétence et à la sécurité juridique.

35. À cet égard, je relève que ces diverses exigences sont avant tout issues de principes d’interprétation ayant été dégagés par la Cour dans le cadre de sa jurisprudence relative à la convention de Bruxelles, puis au règlement Bruxelles I, lequel en mentionne certaines de façon expresse ( 35 ). Elles résultent tant de conditions ressortant implicitement des dispositions ayant été analysées par la Cour que de considérations d’ordre général et de bon sens. Ces principes universels pourraient donc
être appliqués à l’égard d’un autre instrument, sous réserve que ni la teneur ni la finalité de la règle de compétence concernée ne l’interdisent.

36. Je précise qu’il ne saurait être tiré argument de ce qu’un manque de prévisibilité ou de sécurité juridique pourrait résulter d’une interprétation non uniforme des dispositions de ces deux instruments, car faire un amalgame entre eux reviendrait à nier que les règles de compétence prévues par le règlement sur la marque communautaire constituent en quelque sorte une lex specialis par rapport à celles prévues par le règlement Bruxelles I. Les choix faits par le législateur communautaire dans cet
autre contexte juridique doivent être respectés.

37. Par conséquent, je propose à la Cour de procéder à une interprétation autonome de l’article 93, paragraphe 5, du règlement sur la marque communautaire, tout en tenant compte des exigences susmentionnées pour autant que ce règlement le permet, afin de répondre à la première question préjudicielle.

– Appréciation concernant l’extension éventuelle de la compétence au titre du lieu de la matérialisation du dommage aussi causé par un tiers non‑défendeur

38. La Cour est invitée à se prononcer sur l’éventuelle possibilité de consacrer une compétence par rattachement suivant laquelle l’article 93, paragraphe 5, du règlement sur la marque communautaire permettrait d’assigner un défendeur du seul fait qu’il ait participé indirectement, dans un État membre, à un prétendu fait de contrefaçon commis à titre principal, dans un autre État membre, par un tiers qui n’est pas défendeur à l’action engagée devant les juridictions de ce second État membre.

39. Or, il ressort, à mon avis, de l’article 94, paragraphe 2, du règlement sur la marque communautaire que la règle de compétence énoncée à l’article 93, paragraphe 5, de ce règlement repose sur le principe de territorialité, ici conçu de façon étroite ( 36 ). En effet, il est prévu qu’une juridiction compétente de ce chef peut «statuer […] uniquement sur les faits commis ou menaçant d’être commis sur le territoire de l’État membre dans lequel est situé cette juridiction», alors que les
juridictions dont la compétence est fondée sur l’un des quatre autres paragraphes dudit article 93 peuvent statuer aussi sur des faits de contrefaçon commis en dehors du territoire national.

40. En outre, les travaux préparatoires du règlement sur la marque communautaire incitent à considérer que le chef de compétence spécial qui résulte de l’article 93, paragraphe 5, de celui‑ci doit être interprété de manière restrictive. Cette approche s’impose pour des raisons propres à cet instrument, qui ont trait à la difficulté de concilier la nature unitaire de la protection accordée par la marque communautaire ( 37 ) et le risque d’atteintes plurilocalisées sur le territoire de l’Union ( 38 ).
First Note Perfumes, le gouvernement allemand et la Commission insistent, à juste titre, sur le fait qu’en cas de contrefaçon d’une marque communautaire, chaque État membre pourrait en pratique être considéré comme le lieu de matérialisation de la contrefaçon, étant donné que le droit protégé déploie ses effets sur l’ensemble du territoire de l’Union.

41. J’ajoute que l’idée d’une juridiction unifiée avait initialement été envisagée par le législateur ( 39 ) et qu’il apparaît que l’octroi de la compétence aux juridictions nationales, finalement retenu, est un compromis. Cela plaide en faveur d’une interprétation limitant l’éclatement du contentieux relatif à ce titre de propriété intellectuelle uniforme. L’objectif d’éviter que des décisions contradictoires ne soient rendues est d’ailleurs expressément mentionné dans le préambule du règlement sur
la marque communautaire ( 40 ).

42. Un autre des objectifs de ce règlement, qui ressort des travaux préparatoires ( 41 ), est celui consistant à lutter contre le «forum shopping». Cela milite aussi à l’encontre d’une interprétation extensive selon laquelle il serait possible d’assigner une personne soupçonnée d’avoir participé à la réalisation d’un fait de contrefaçon à n’importe quel point de rattachement qui serait lié à l’activité illicite d’une autre personne, quant à elle non attraite en justice.

43. Enfin, il y a lieu de se demander si les principes directeurs ayant été définis par la Cour dans le cadre de l’interprétation du règlement Bruxelles I ( 42 ) justifieraient une interprétation opposée de l’article 93, paragraphe 5, du règlement sur la marque communautaire. À mon avis, tel ne doit pas être le cas en l’occurrence, compte tenu des particularités de ce chef de compétence ci‑dessus décrites. Il m’apparaît que, dans le contexte propre à la protection du titre de propriété
intellectuelle unifié que constitue la marque communautaire, le législateur a identifié des priorités liées avant tout à la concentration du litige devant les juridictions d’un seul État membre, à savoir celui où l’acte de contrefaçon a été commis ou menace de l’être.

44. Je considère donc qu’il y a lieu de répondre à la première question préjudicielle que pour qu’un prétendu fait de contrefaçon soit considéré comme ayant été commis dans un État membre au sens de l’article 93, paragraphe 5, du règlement sur la marque communautaire, et permette ainsi de fonder la compétence des tribunaux de cet État membre, il ne suffit pas que le défendeur ait participé indirectement, par un acte intervenu dans un autre État membre, à l’atteinte aux droits afférents à la marque
communautaire qui a été commise dans le premier État membre par un tiers non-défendeur à l’action en justice.

C – Sur l’interprétation de l’article 5, point 3, du règlement Bruxelles I

– Propos introductifs

45. La seconde question porte sur le point de savoir si l’article 5, point 3, du règlement Bruxelles I doit être interprété en ce sens qu’il permettrait d’établir une compétence juridictionnelle à l’égard de l’un des auteurs supposés du dommage allégué, bien que ce défendeur n’ait pas agi dans le ressort de la juridiction saisie, lorsque le délit invoqué à son encontre a été commis dans un autre État membre et consiste en la participation à un «délit principal» ( 43 ) ayant été commis dans l’État
membre où siège ladite juridiction par un autre auteur supposé.

46. À cet égard, la juridiction de renvoi, Coty Germany ainsi que les gouvernements allemand et suisse se sont dits favorables à l’admission d’un tel chef de compétence fondé sur le rattachement aux agissements d’un tiers. Le gouvernement du Royaume‑Uni a été plus nuancé, puisqu’il a proposé de soumettre cette possibilité à des exigences circonstanciées, à savoir qu’elle soit admise uniquement s’il existe un lien suffisamment clair et direct entre le prétendu acte illicite commis dans l’État membre
où siège la juridiction saisie et les activités du défendeur dans un autre État membre. En revanche, First Note Perfumes et la Commission se sont prononcées contre cette option.

– Enseignements à tirer de la jurisprudence

47. D’emblée, il convient de rappeler que l’ensemble des dispositions du règlement Bruxelles I doivent être interprétées de manière autonome, en se référant au système et aux objectifs de celui‑ci ( 44 ).

48. Aux termes de son considérant 11, «les règles de compétence [prévues par ledit règlement] doivent présenter un haut degré de prévisibilité et s’articuler autour de la compétence de principe du domicile du défendeur et cette compétence doit toujours être disponible, sauf dans quelques cas bien déterminés où la matière en litige ou l’autonomie des parties justifie un autre critère de rattachement».

49. Ainsi, ce n’est que par dérogation au principe fondamental énoncé à l’article 2, paragraphe 1, du règlement Bruxelles I, attribuant une compétence générale aux juridictions de l’État membre sur le territoire duquel le défendeur est domicilié, que le chapitre II, section 2, de ce règlement prévoit un certain nombre d’attributions de compétences spéciales, parmi lesquelles figure celle prévue à l’article 5, point 3, dudit règlement ( 45 ).

50. S’agissant en particulier de la règle de compétence prévue audit article 5, point 3, la Cour a déjà dit pour droit que celle‑ci est fondée sur l’existence d’un lien de rattachement particulièrement étroit entre la contestation et les juridictions du lieu où le fait dommageable s’est produit ou risque de se produire, qui justifie une attribution de compétence à ces dernières pour des raisons de bonne administration de la justice et d’organisation utile du procès ( 46 ), conformément à
l’orientation donnée par le considérant 12 du règlement Bruxelles I. En effet, l’identification du lieu de l’événement causal doit permettre d’établir la compétence de la juridiction objectivement la mieux placée pour apprécier si les éléments constitutifs de la responsabilité de la personne attraite sont réunis ( 47 ).

51. En tant que règle de compétence spéciale, ayant ainsi un caractère dérogatoire, cette disposition est d’interprétation stricte et, partant, elle ne permet pas une interprétation allant au‑delà des hypothèses envisagées de manière explicite ( 48 ), sachant que le renversement de la règle générale tenant à la compétence des juridictions du domicile du défendeur ne saurait être admis.

52. Néanmoins, conformément à la jurisprudence constante qui est issue de l’arrêt Mines de Potasse d’Alsace, précité, l’expression «lieu où le fait dommageable s’est produit ou risque de se produire» figurant à l’article 5, point 3, du règlement Bruxelles I vise à la fois le lieu de la matérialisation du dommage et le lieu de l’événement causal qui est à l’origine de ce dommage ( 49 ).

53. Or, la Cour a déjà en partie apporté une réponse négative à la seconde question posée dans la présente affaire pour ce qui est de l’un de ces deux facteurs de rattachement, à savoir le lieu de l’événement causal, à l’égard duquel la possibilité d’une compétence fondée uniquement sur une imputation au titre d’une complicité a été exclue. En effet, il résulte de l’arrêt Melzer, précité, que «l’article 5, point 3, du règlement [Bruxelles I], doit être interprété en ce sens qu’il ne permet pas
d’établir, au titre du lieu du fait générateur imputé à l’un des auteurs supposés d’un dommage, qui n’est pas partie au litige, une compétence juridictionnelle à l’encontre d’un autre auteur supposé dudit dommage qui n’a pas agi dans le ressort de la juridiction saisie».

54. Il est vrai qu’en se référant à la notion de «lieu où le fait dommageable s’est produit», la juridiction de renvoi paraît viser, dans sa seconde question, tant le lieu de l’événement causal que le lieu de la matérialisation du dommage. En fait, au vu des données factuelles du litige au principal, la compétence des juridictions allemandes serait susceptible de se fonder sur l’un ou l’autre de ces critères, sous réserve qu’il soit possible de tenir compte, à l’égard de First Note Perfumes, des
actes commis en Allemagne par Stefan P.

55. Toutefois, il convient d’observer que cette juridiction n’a pas été en mesure de prendre en considération les apports de l’arrêt Melzer, précité, puisqu’il a été prononcé à une date postérieure au dépôt de sa demande de décision préjudicielle. Aussi, nonobstant la formulation générale de la question posée, mes observations ci‑dessous se limiteront au chef de compétence afférent au lieu où le dommage s’est réalisé ( 50 ), dans la mesure où l’autre aspect du problème soulevé par la présente
affaire a déjà été appréhendé par la Cour dans le cadre de l’affaire Melzer.

56. La Cour s’est aussi prononcée à l’égard du rattachement résultant du lieu de matérialisation du dommage, dans un arrêt encore plus récent, qui concerne un domaine spécifique, à savoir un délit consistant en une atteinte à des droits d’auteur. En effet, aux termes de l’arrêt Pinckney, précité, «l’article 5, point 3, du règlement Bruxelles I doit être interprété en ce sens que, en cas d’atteinte alléguée aux droits patrimoniaux d’auteur garantis par l’État membre de la juridiction saisie, celle‑ci
est compétente pour connaître d’une action en responsabilité introduite par l’auteur d’une œuvre à l’encontre d’une société établie dans un autre État membre et ayant, dans celui‑ci, reproduit ladite œuvre sur un support matériel qui est ensuite vendu par des sociétés établies dans un troisième État membre, par l’intermédiaire d’un site Internet accessible également dans le ressort de la juridiction saisie. Cette juridiction n’est compétente que pour connaître du seul dommage causé sur le
territoire de l’État membre dont elle relève». Il y aura lieu d’en tirer également des conséquences, pour autant que la transposition de cette solution soit possible, dans le cadre de la présente affaire.

– Appréciation concernant l’extension éventuelle de la compétence au titre du lieu de la matérialisation du dommage aussi causé par un tiers indépendant

57. La seconde question préjudicielle, telle que reformulée au vu des acquis jurisprudentiels ci‑dessus exposés, invite, en substance, la Cour à dire pour droit si l’article 5, point 3, du règlement Bruxelles I doit être interprété en ce sens qu’il permet d’établir, au titre du lieu de la matérialisation d’un dommage dont le fait générateur est imputé à l’un des auteurs supposés de ce dommage une compétence juridictionnelle à l’encontre d’un autre auteur supposé dudit dommage qui, quant à lui, n’a
pas agi dans le ressort de la juridiction saisie.

58. Il convient de souligner que, eu égard au principe de l’interprétation autonome dont les dispositions du règlement Bruxelles I doivent faire l’objet, une nette distinction doit être faite entre, d’une part, les conditions de mise en jeu de la responsabilité délictuelle qui relèvent de l’appréciation du fond de l’affaire selon la loi applicable au litige et, d’autre part, les points de rattachement dans l’espace qui sont pertinents au stade de la détermination de la compétence juridictionnelle
selon les notions figurant dans ledit règlement. Conformément à la jurisprudence de la Cour ( 51 ), il n’existe pas d’adéquation systématique entre ces deux groupes de normes, de sorte qu’il ne saurait à mon avis suffire, pour qu’une juridiction puisse se déclarer compétente sur le fondement de l’article 5, point 3, de ce règlement, notamment au titre du lieu de matérialisation du fait dommageable, que le droit applicable ou la loi du for admette la réparation d’un dommage d’un certain type ou
suivant des modalités particulières, telle l’imputation à la défenderesse d’actes commis par un tiers qu’elle aurait aidé, comme cela est envisagé par la juridiction de renvoi.

59. Si une telle approche devait être admise s’agissant de la notion de lieu de matérialisation du dommage au sens de l’article 5, point 3, du règlement Bruxelles I, la Cour serait alors confrontée à la nécessité de créer un «seuil» quantitatif et/ou qualitatif d’imputation à partir duquel, en cas de pluralité d’intervenants dans la commission d’un délit, l’un d’entre eux pourrait ou non être attrait au lieu de matérialisation du dommage résultant, entre autres, de son action. Ce problème spécifique
ne se posait pas dans l’affaire Melzer, précitée, puisque s’agissant du lieu du fait générateur du dommage, l’acte de chacun des auteurs ayant agi dans des États membres différents peut plus aisément être isolé dans l’espace que s’agissant du lieu de sa matérialisation. À cet égard, si les données factuelles du présent litige au principal permettent de faire une distinction patente entre la responsabilité principale et la responsabilité accessoire ( 52 ), il y a lieu de ne pas perdre de vue que
d’autres configurations pourraient s’avérer plus complexes, tant sur le plan quantitatif ( 53 ) que sur le plan qualitatif ( 54 ).

60. Sur ce dernier point, je rappelle que le gouvernement du Royaume‑Uni propose de subordonner l’admission du chef de compétence envisagé à un critère tenant à l’existence d’un «lien suffisamment clair et direct» entre les activités du défendeur dans un premier État membre et le prétendu acte illicite commis par un tiers dans l’État membre où siège la juridiction saisie, en suggérant ensuite une application concrète au regard des circonstances du litige au principal ( 55 ). Toutefois,
l’appréhension du problème sous un tel angle supposerait la définition de critères matériels pouvant être difficiles à cerner ( 56 ) et il y a là un risque de devoir procéder dans chaque cas de figure à une appréciation factuelle, complexe et longue, proche d’un examen au fond du litige. À mon avis, cela serait contraire à l’objectif du règlement Bruxelles I qui est de définir des règles de compétence qui soient à la fois communes à tous les États membres et prévisibles pour les parties à un
litige ( 57 ), et donc d’un usage tant certain que rapide.

61. En outre, il me semble légitime de redouter qu’une interprétation de l’article 5, point 3, du règlement Bruxelles I aussi extensive que celle invoquée par Coty Germany n’aboutisse à la généralisation du forum actoris et favorise ainsi le forum shopping. Or, comme la Cour l’a mis en exergue ( 58 ), en retenant la compétence générale des juridictions du domicile du défendeur et en écartant clairement la compétence des juridictions du domicile du demandeur, le législateur de l’Union a opté pour un
principe devant souffrir le moins d’exceptions possible. De surcroît, une multiplication des fors compétents présente l’inconvénient d’accentuer le risque de décisions inconciliables que le règlement Bruxelles I a précisément pour but d’éviter ( 59 ), étant rappelé qu’une reconnaissance mutuelle des décisions est impossible dans un tel cas de figure ( 60 ).

62. Dans le présent cas de figure, la justification de cette dérogation, basée sur l’existence d’un lien de rattachement particulièrement étroit entre le litige et les juridictions du lieu où le fait dommageable s’est produit, fait défaut selon moi. En effet, si la compétence des juridictions allemandes devait être admise sur le seul fondement d’un rattachement aux actes commis en Allemagne par un tiers supposé être l’auteur du délit principal allégué, cela conduirait à un résultat non conforme à
ladite justification. Concrètement, ces juridictions seraient amenées à apprécier la responsabilité d’une défenderesse ayant prétendument concouru à ce délit par des actes commis uniquement dans un autre État membre.

63. Il est permis de craindre qu’une telle interprétation extensive n’encourage des stratégies contentieuses consistant pour une victime supposée à se contenter d’assigner la partie adverse la plus solvable devant un tribunal dans le ressort duquel se trouve l’un des points de rattachement liés à l’activité d’une autre personne ayant participé à la réalisation du dommage allégué. Or, par ce biais, un demandeur pourrait facilement contourner le dispositif qui est spécifiquement mis en place, à
l’article 6, point 1, du règlement Bruxelles I ( 61 ), aux fins de consolider un contentieux multipartite et d’éviter le prononcé de décisions inconciliables en ce cas ( 62 ). Le risque général de telles manœuvres ne saurait être perdu de vue, même si, en l’occurrence, il apparaît que la raison pour laquelle la demanderesse n’a pas assigné le tiers supposé être l’auteur du délit principal tient à la conclusion d’un accord extrajudiciaire avec lui ( 63 ).

64. Ainsi, il me semble que le lieu de la matérialisation du dommage ayant été causé par des actes volontaires commis par des personnes autres que le défendeur, dans une prétendue chaîne de causalités, ne devrait pas en soi créer un chef de compétence à l’égard de celui‑ci, et ce d’autant plus que l’étendue de cette chaîne n’est pas clairement cernée et pourrait donc être infinie. En d’autres termes, l’article 5, point 3, du règlement Bruxelles I ne devrait pas, selon moi, permettre d’attraire le
responsable présumé d’un acte délictuel allégué devant une juridiction siégeant dans un État membre dans lequel il n’est pas domicilié au seul motif qu’un autre acte délictuel allégué commis par un tiers non assigné aurait produit son effet dommageable dans cet État membre et que l’acte du défendeur aurait rendu possible les actes que ce tiers a décidé de commettre subséquemment.

65. Cette position me paraît s’inscrire dans la droite ligne de l’interprétation ayant été retenue par la Cour dans l’arrêt Melzer, précité, dont la teneur pourrait à mon avis être généralisée, de sorte qu’une extension de compétence juridictionnelle à l’encontre de l’un des auteurs supposés d’un dommage qui n’a pas commis d’acte délictuel dans le ressort de la juridiction saisie ne serait admise ni au titre du lieu du fait générateur imputé à un autre auteur supposé qui n’a quant à lui pas été
attrait en justice, ni au titre du lieu de matérialisation du dommage résultant dudit fait générateur. En effet, il serait selon moi préférable de retenir qu’un lien de causalité suffisant doit exister à l’égard de l’unique défendeur mis en cause pour qu’une juridiction puisse se déclarer compétente.

66. Nonobstant ces considérations, je ne saurais omettre de constater que, sauf à estimer que la position récemment prise par la Cour dans l’arrêt Pinckney, précité ( 64 ), est propre au cas particulier qui était concerné ( 65 ), la motivation qui y figure est susceptible de conduire dans la présente affaire à une solution contraire à celle qui semblerait pouvoir découler de l’arrêt Melzer, précité.

67. En effet, dans l’arrêt Pinckney, la Cour a dit pour droit que «s’agissant de la violation alléguée d’un droit patrimonial d’auteur, la compétence pour connaître d’une action en matière délictuelle ou quasi délictuelle est déjà établie, au profit de la juridiction saisie, dès lors que l’État membre sur le territoire duquel se trouve cette juridiction protège les droits patrimoniaux dont le demandeur se prévaut et que le dommage allégué risque de se matérialiser dans le ressort de la juridiction
saisie» ( 66 ).

68. Si l’extrapolation à d’autres types de délits devait être admise ( 67 ), cette logique pourrait, selon moi, aboutir au résultat qu’une juridiction est compétente, sur le fondement du lieu de matérialisation du dommage, dès lors que, comme dans le présent litige au principal, ce dommage résulte du fait que la marchandise suspecte «risque» d’être mise à la disposition des consommateurs dans l’État membre où siège cette juridiction et qu’un tel acte se trouve sanctionné au titre de la
responsabilité civile en vertu de la lex fori. À la lumière de l’arrêt Pinckney, précité, la circonstance que l’acte prétendument illicite ait produit des effets, certes dans le ressort de la juridiction saisie, mais à cause des agissements d’un tiers indépendant ayant agi en dehors de l’État membre tant du for que du demandeur et n’ayant pas été attrait en justice apparaît être une donnée sans pertinence.

69. Or, étant donné que les faits à l’origine de la présente affaire présentent des similitudes avec ceux de l’affaire Pinckney ( 68 ), tandis que les différences existant entre ces affaires me semblent ne pas être déterminantes ( 69 ), il m’est difficile de trouver des arguments qui permettraient de s’écarter de la voie ainsi tracée pour les besoins de l’identification du lieu de la matérialisation d’un dommage au sens de l’article 5, point 3, du règlement Bruxelles I.

70. Par conséquent, j’estime que si la Cour entendait suivre ici l’approche extensive ayant été choisie dans l’arrêt Pinckney, précité, elle devrait répondre de façon affirmative à la seconde question préjudicielle, dans les termes ci‑dessous. Cependant, afin d’être exhaustif, je formulerai aussi une proposition de réponse négative à titre subsidiaire, pour le cas où, au contraire, la Cour considérerait que la position prise dans ledit arrêt était spécifique à la situation appréhendée dans le cadre
de l’affaire y ayant donné lieu.

IV – Conclusion

71. Au vu des considérations qui précèdent, je propose à la Cour de répondre aux questions préjudicielles posées par le Bundesgerichtshof de la manière suivante:

1) L’article 93, paragraphe 5, du règlement (CE) no 40/94 du Conseil, du 20 décembre 1993, sur la marque communautaire, doit être interprété en ce sens qu’il ne permet pas d’établir, au titre du lieu du fait de contrefaçon d’une marque communautaire imputé à l’un des auteurs supposés de cette contrefaçon, une compétence juridictionnelle à l’encontre d’un autre auteur supposé de ladite contrefaçon qui n’a pas agi dans le ressort de la juridiction saisie.

2) L’article 5, point 3, du règlement (CE) no 44/2001 du Conseil, du 22 décembre 2000, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, doit être interprété en ce sens qu’il permet d’établir une compétence juridictionnelle, au titre du lieu de la matérialisation du dommage dont l’origine est imputée à l’un des auteurs supposés de ce dommage, à l’encontre d’un autre auteur supposé dudit dommage qui n’a pas agi dans le ressort de
la juridiction saisie.

À titre subsidiaire

L’article 5, point 3, du règlement (CE) no 44/2001 du Conseil, du 22 décembre 2000, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, doit être interprété en ce sens qu’il ne permet pas d’établir, ni au titre du lieu du fait générateur du dommage imputé à l’un des auteurs supposés de ce dommage, ni au titre du lieu de la matérialisation de ce dommage, une compétence juridictionnelle à l’encontre d’un autre auteur supposé
dudit dommage qui n’a pas agi dans le ressort de la juridiction saisie.

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( 1 ) Langue originale: le français.

( 2 ) JO L 11, p. 1, ci‑après le «règlement sur la marque communautaire».

( 3 ) JO 2001, L 12, p. 1, ci‑après le «règlement Bruxelles I».

( 4 ) Voir arrêts du 16 mai 2013, Melzer (C‑228/11), et du 3 octobre 2013, Pinckney (C‑170/12), ainsi que affaire Hi Hotel HCF (C‑387/12), pendante devant la Cour.

( 5 ) Anciennement Coty Prestige Lancaster Group GmbH.

( 6 ) Il ressort du dossier que Coty Germany affirme avoir conclu un accord extrajudiciaire avec Stefan P. consistant en une renonciation à des poursuites contre lui à condition qu’il mette fin aux pratiques reprochées, sous peine de sanctions pénales, étant précisé que le tribunal allemand saisi aurait entendu ce dernier en qualité de témoin dans le cadre de la procédure engagée contre First Note Perfumes.

( 7 ) L’article 93 dudit règlement est intitulé «Compétence internationale». Son paragraphe 5 prévoit, notamment, que «[l]es procédures résultant des actions et demandes visées à l’article 92 [, dont les actions en contrefaçon font partie,] peuvent également être portées devant les tribunaux de l’État membre sur le territoire duquel le fait de contrefaçon a été commis ou menace d’être commis».

( 8 ) Cette disposition définit les contours du «droit exclusif» dont bénéficie le titulaire de la marque.

( 9 ) À savoir une publicité comparative déloyale au sens de l’article 6, paragraphes 1 et 2, point 6, de la loi contre la concurrence déloyale (Gesetz gegen den unlauteren Wettbewerb) ainsi qu’une imitation déloyale au sens de l’article 4, point 9, sous a) et b), de cette même loi.

( 10 ) Ladite disposition énonce une règle de compétence spéciale selon laquelle, «en matière délictuelle ou quasi délictuelle», «[u]ne personne domiciliée sur le territoire d’un État membre peut être attraite dans un autre État membre [...] devant le tribunal du lieu où le fait dommageable s’est produit ou risque de se produire».

( 11 ) Règlement du Conseil du 26 février 2009 sur la marque communautaire (JO L 78, p. 1), qui est entré en vigueur le 13 avril 2009.

( 12 ) Règlement du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO L 351, p. 1). Conformément à son article 81, ce règlement est applicable à partir du 10 janvier 2015, sauf en ce qui concerne ses articles 75 et 76.

( 13 ) Arrêt du 30 novembre 1976 (21/76, Rec. p. 1735).

( 14 ) Convention concernant la compétence judiciaire et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, signée à Bruxelles le 27 septembre 1968 (JO 1972, L 299, p. 32), telle que modifiée par les conventions successives relatives à l’adhésion des nouveaux États membres à cette convention (ci‑après la «convention de Bruxelles»).

( 15 ) La transposition de la jurisprudence Mines de Potasse d’Alsace, précitée, est justifiée par le caractère équivalent des dispositions en cause (voir, notamment, arrêt du 25 octobre 2012, Folien Fischer et Fofitec, C‑133/11, points 31 et 32).

( 16 ) «Handlungsort», en langue allemande, ou lieu du fait générateur du dommage.

( 17 ) «Erfolgsort», en langue allemande, ou lieu de réalisation du dommage.

( 18 ) Voir, notamment, la jurisprudence et la doctrine allemandes mentionnées par Magnus, U., et Mankowski, P., European Commentaries on Private International Law, Brussels I Regulation, 2e éd., Sellier, Munich, 2012, p. 247, note 1380.

( 19 ) Conformément à l’article 68, paragraphe 2, du règlement Bruxelles I.

( 20 ) Actions à l’égard desquelles les tribunaux des marques communautaires ont compétence matérielle exclusive en application de cet article 92.

( 21 ) Un certain paradoxe peut être observé en ce que l’article 90 du règlement sur la marque communautaire ouvre une référence de principe aux règles de compétence judiciaire «de droit commun» qui sont issues du règlement Bruxelles I avant que la longue liste figurant à l’article 92 n’exclue du champ de ce dernier instrument la plupart des actions susceptibles de naître en pratique à propos des marques communautaires (Gastinel, E., La marque communautaire, LGDJ, Paris, 1998, p. 203, no 395).

( 22 ) Le paragraphe 1 dudit article 93 prévoit la compétence de principe des tribunaux de l’État membre dans lequel le défendeur a son domicile ou un établissement, à l’instar de l’article 2 du règlement Bruxelles I. Son paragraphe 2 innove au contraire profondément par rapport audit règlement en prévoyant que les juridictions de l’État membre dans lequel le demandeur est domicilié sont compétentes lorsque le défendeur n’a ni domicile ni établissement dans l’Union européenne. Son paragraphe 3
prévoit la compétence subsidiaire des tribunaux de l’État membre dans lequel l’Office de l’harmonisation dans le marché intérieur (marques, dessins et modèles) (OHMI) a son siège, lequel est situé à Alicante (Espagne). Son paragraphe 4 permet de déroger à ces règles de compétence par voie de prorogations de compétence expresses ou tacites, comme dans le règlement Bruxelles I.

( 23 ) La teneur de cette disposition est rappelée à la note 7 des présentes conclusions.

( 24 ) Figurant à l’article 90, paragraphe 2, sous a), du règlement sur la marque communautaire.

( 25 ) Voir, notamment, le «Memorandum on the creation of an EEC trade mark» adopté le 6 juillet 1976 par la Commission [SEC(76) 2462, p. 36, points 155 et 156].

( 26 ) Voir le document de travail de la Commission du mois d’octobre 1979 et intitulé «The need for a European trade mark System. Competence of the European Community to create one» (III/D/1294/79‑EN).

( 27 ) C’est dès la première proposition de règlement, présentée le 25 novembre 1980 [COM(80) 635 final] qu’a été retenu le rattachement au lieu où le fait de contrefaçon a été commis, étant précisé que celui‑ci a été étendu ultérieurement aux cas où ce fait menace d’être commis. Il en est de même de la limitation de l’étendue de la compétence qui en résulte aux faits supposés commis sur le territoire de l’État membre dont les juridictions sont ainsi désignées.

( 28 ) Les modifications successives de ce texte, qui sont recensées sur le site de l’OHMI (http://oami.europa.eu/ows/rw/pages/CTM/legalReferences/originalRegulations.fr.do), n’ont pas affecté cette disposition, sauf au titre d’une simple renumérotation.

( 29 ) Voir, par exemple, l’article 82, paragraphe 5, du règlement (CE) no 6/2002 du Conseil, du 12 décembre 2001, sur les dessins ou modèles communautaires (JO 2002, L 3, p. 1), qui reproduit le chef de compétence figurant à l’article 93, paragraphe 5, du règlement sur la marque communautaire.

( 30 ) L’article 101, paragraphe 3, du règlement du Conseil du 27 juillet 1994 instituant un régime de protection communautaire des obtentions végétales (JO L 227, p. 1) dispose que «[l]es procédures résultant d’actions en contrefaçon peuvent également être portées devant le tribunal du lieu où le fait dommageable s’est produit», à l’instar de l’article 5, point 3, de la convention de Bruxelles.

( 31 ) La Cour a mis en exergue que, «par sa formule compréhensive, l’article 5, point 3, de la convention [de Bruxelles] englobe une grande diversité de types de responsabilité» (point 18 de l’arrêt Mines de Potasse d’Alsace, précité).

( 32 ) Voir, en ce sens, Tritton, G., Intellectual Property in Europe, Sweet & Maxwell, Londres, 2002, p. 1025, paragraphe 13–101.

( 33 ) L’article 5, point 3, du règlement Bruxelles I octroie une compétence d’une portée plus large qu’au titre de l’article 93, paragraphe 5, du règlement sur la marque communautaire, qui la limite aux faits survenus sur le territoire de l’État membre où siège la juridiction saisie (voir, également, l’article 94, paragraphe 2, de ce dernier règlement). Le premier de ces textes prévoit une compétence spéciale en désignant un tribunal en particulier, alors que le second vise de façon générale «les
tribunaux de l’État membre» pertinent. En outre, le premier n’inclut pas la compétence à l’égard d’un défendeur domicilié hors de l’Union, contrairement au second.

( 34 ) Voir, notamment, Fawcett, J., et Torremans, P., Intellectual Property and Private International Law, Clarendon Press, Oxford, 1998, p. 330; Huet, A., «La marque communautaire: la compétence des juridictions des États membres pour connaître de sa validité et de sa contrefaçon (Règlement CE no 40/94 du Conseil du 20 décembre 1993)», JDI, 1994, 3, p. 635.

( 35 ) Les objectifs tenant à la «prévisibilité» des règles de compétence et à la nécessité de «faciliter une bonne administration de la justice», qui ne figuraient pas dans la convention de Bruxelles, sont visés aux considérants 11 et 12 dudit règlement.

( 36 ) À cet égard, M. Desantes Real souligne que ledit article 93, paragraphe 5, accorde le plus grand respect au principe de territorialité dans la mesure où normalement le fait délictueux n’a lieu que dans un seul État et que, s’il a été commis dans plusieurs d’entre eux, il convient de diviser les recours («La marca comunitaria y el Derecho internacional privado», Marca y Diseño Comunitarios, Arazandi, Pampelune, 1996, p. 225).

( 37 ) Le deuxième considérant dudit règlement souligne qu’une marque communautaire jouit d’une protection uniforme et produit ses effets à l’échelle de l’Union.

( 38 ) En ce sens, à la page 31 de son document de travail relatif au projet de règlement sur la marque communautaire (mentionné à la note 26 des présentes conclusions), la Commission a indiqué que «[t]he system instituted by the Judgments Convention fails, however, to solve the special problems which arise where one Community trade mark can be infringed in several Member States» (mot souligné dans le texte).

( 39 ) Voir p. 36, point 156, du mémorandum visé à la note 25 des présentes conclusions.

( 40 ) Selon son quinzième considérant, «il est indispensable que les décisions sur […] la contrefaçon des marques communautaires produisent effet et s’étendent à l’ensemble de la Communauté, seul moyen d’éviter des décisions contradictoires des tribunaux et de l’Office, et des atteintes au caractère unitaire des marques communautaires». Voir, aussi, son seizième considérant.

( 41 ) Voir p. 76 de la proposition de règlement mentionnée à la note 27 des présentes conclusions.

( 42 ) Mentionnés au point 34 des présentes conclusions.

( 43 ) Conformément à la qualification retenue par la juridiction de renvoi.

( 44 ) Voir, notamment, arrêts précités Melzer (point 22 et jurisprudence citée) ainsi que Pinckney (point 23).

( 45 ) Arrêts précités Melzer (point 23) et Pinckney (point 24).

( 46 ) Arrêts précités Melzer (point 26 et jurisprudence citée) ainsi que Pinckney (point 27).

( 47 ) Arrêts précités Melzer (point 28 et jurisprudence citée) ainsi que Pinckney (point 28).

( 48 ) Arrêts précités Melzer (point 24 et jurisprudence citée) ainsi que Pinckney (point 25).

( 49 ) Arrêts précités Melzer (point 25 et jurisprudence citée) ainsi que Pinckney (point 26).

( 50 ) Dans l’affaire Pinckney, la question était aussi de savoir si une juridiction pouvait se déclarer compétente au titre de la matérialisation du dommage (voir arrêt Pinckney, précité, point 29), mais dans des circonstances différentes de celles du présent litige au principal, puisqu’il s’agissait d’une atteinte aux droits patrimoniaux d’un auteur qui serait survenue par l’intermédiaire d’un site Internet accessible dans le ressort de la juridiction saisie, où ces droits faisaient l’objet d’une
protection.

( 51 ) Ainsi, la Cour a retenu de façon constante que seules étaient compétentes les juridictions du lieu du préjudice direct, quand bien même le dommage indirect serait réparable en vertu de la loi du for ou de la loi applicable au fond de l’affaire. Voir, s’agissant de la réparation d’un dommage subi par ricochet, arrêt du 11 janvier 1990, Dumez France et Tracoba (C-220/88, Rec. p. I-49), et, s’agissant d’un dommage consécutif à un dommage initial subi par la victime dans un autre État membre,
arrêt du 19 septembre 1995, Marinari (C-364/93, Rec. p. I-2719, points 16 à 19).

( 52 ) En la qualifiant de «participation au délit […] principal», la juridiction de renvoi explicite que la situation envisagée est celle d’un dommage résultant indirectement des actes de la défenderesse, mais directement de ceux du tiers qui est considéré comme en étant l’auteur principal.

( 53 ) Ainsi, il faudrait se demander si la position de la Cour devrait être la même en cas de coparticipation parfaite, c’est‑à‑dire avec une causalité à parts égales, ou bien dans l’hypothèse où deux individus interviendraient directement mais dans des proportions différentes.

( 54 ) À supposer que l’article 5, point 3, du règlement Bruxelles I permette, dans certains cas, d’attraire dans l’État membre du lieu de matérialisation du dommage l’une quelconque des personnes présumées être intervenues dans la commission du délit allégué, encore faudrait‑il que la Cour donne une définition précise de la nature de l’imputation autorisant une telle compétence par rattachement.

( 55 ) Ce gouvernement précise que, eu égard aux faits du litige au principal, ce critère supposerait que le demandeur soit en mesure d’établir que, lorsque le défendeur a vendu les produits au tiers concerné dans un État membre, il savait effectivement ou aurait pu raisonnablement prévoir que cette vente aurait pour conséquence directe l’acte illicite allégué commis par ce tiers dans un autre État membre.

( 56 ) D’autres critères que celui proposé par le gouvernement du Royaume‑Uni pourraient être retenus, tels que la prévisibilité du dommage et de son lieu de matérialisation, ou l’existence d’une intention délibérée du défendeur lorsqu’il a contribué à la réalisation de l’acte illicite allégué.

( 57 ) L’objectif de sécurité juridique, incluant une prévisibilité de la juridiction compétente, a été pris en compte dans l’arrêt Melzer, précité (point 35), et est mis en exergue dans le considérant 16 de la nouvelle version du règlement Bruxelles I issue du règlement no 1215/2012.

( 58 ) S’agissant, déjà, de la convention de Bruxelles, voir arrêts précités Dumez France et Tracoba (point 19) ainsi que Marinari (point 13).

( 59 ) Conformément au considérant 15 de ce règlement, «[l]e fonctionnement harmonieux de la justice commande de réduire au maximum la possibilité de procédures concurrentes et d’éviter que des décisions inconciliables ne soient rendues dans deux États membres».

( 60 ) L’article 34, point 3, de ce règlement prévoit que le caractère inconciliable d’une décision judiciaire avec une autre est un motif de refus de reconnaissance en dehors de l’État membre dans lequel celle‑là a été rendue.

( 61 ) Selon ledit article 6, point 1, une personne peut aussi être attraite, «s’il y a plusieurs défendeurs, devant le tribunal du domicile de l’un d’eux, à condition que les demandes soient liées entre elles par un rapport si étroit qu’il y a intérêt à les instruire et à les juger en même temps afin d’éviter des solutions qui pourraient être inconciliables si les causes étaient jugées séparément».

( 62 ) Tant First Note Perfumes que la Commission soulignent que les juridictions allemandes auraient pu facilement fonder leur compétence sur l’article 6, point 1, du règlement Bruxelles I si Stefan P. avait été attrait en justice de façon conjointe.

( 63 ) Voir note 6 des présentes conclusions.

( 64 ) Voir le dispositif de cet arrêt, cité au point 56 des présentes conclusions.

( 65 ) Le point 30 de cet arrêt précise que la Cour devait «déterminer les conditions dans lesquelles, pour les besoins de l’article 5, point 3, du règlement [Bruxelles I], un dommage résultant d’une violation alléguée des droits patrimoniaux d’un auteur se matérialise ou risque de se matérialiser dans un État membre autre que celui où le défendeur a reproduit l’œuvre de l’auteur sur un support matériel qui est ensuite vendu par l’intermédiaire d’un site Internet accessible également dans le ressort
de la juridiction saisie» (mots soulignés par mes soins).

( 66 ) Voir point 43 dudit arrêt (mots soulignés par mes soins).

( 67 ) Étant rappelé que le lieu de la matérialisation du dommage au sens de l’article 5, point 3, du règlement Bruxelles I est toutefois susceptible de varier en fonction de la nature du droit prétendument violé (arrêt Pinckney, précité, point 32).

( 68 ) À savoir qu’est en cause un acte prétendument illicite ayant été commis par le défendeur dans un autre État membre, mais dont les effets se sont réalisés dans l’État membre de la juridiction saisi par suite des agissements autonomes d’une autre personne.

( 69 ) Dans l’arrêt Pinckney, précité, il a été relevé que le tiers avait commercialisé des disques compacts par l’intermédiaire d’un site Internet accessible dans l’État membre de la juridiction saisie, mais il me semble que cette juridiction aurait été également, voire a fortiori, compétente si la vente de ces marchandises s’était produite, comme en l’espèce, dans un magasin situé dans cet État membre. Dans ladite affaire, le délit supposé concernait des droits d’auteur, protégés par la
législation nationale applicable, tandis qu’ici les allégations sont relatives à la marque communautaire, protégée sur tout le territoire de l’Union, et à une concurrence déloyale, mais ces différences me paraissent être sans impact puisque l’article 5, point 3, du règlement Bruxelles I est applicable à toutes sortes d’actes délictuels.


Synthèse
Formation : Quatrième chambre
Numéro d'arrêt : C-360/12
Date de la décision : 21/11/2013
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle, introduite par le Bundesgerichtshof.

Coopération judiciaire en matière civile – Règlements (CE) nos 40/94 et 44/2001 – Marque communautaire – Article 93, paragraphe 5, du règlement (CE) no 40/94 – Compétence internationale en matière de contrefaçon – Détermination du lieu où le fait dommageable s’est produit – Participation transfrontalière de plusieurs personnes à un même acte illicite.

Coopération judiciaire en matière civile

Propriété intellectuelle, industrielle et commerciale

Espace de liberté, de sécurité et de justice

Marques


Parties
Demandeurs : Coty Germany GmbH
Défendeurs : First Note Perfumes NV.

Composition du Tribunal
Avocat général : Jääskinen

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2013:764

Source

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