ARRÊT DE LA COUR (cinquième chambre)
14 novembre 2013 ( *1 )
«Pourvoi — Marque communautaire — Procédure d’opposition — Marque figurative représentant une tête de loup — Opposition du titulaire des marques figuratives internationales et nationales comportant les éléments verbaux ‘WOLF Jardin’ et ‘Outils WOLF’ — Motifs relatifs de refus — Atteinte au caractère distinctif de la marque antérieure — Règlement (CE) no 207/2009 — Article 8, paragraphe 5 — Changement du comportement économique du consommateur moyen — Charge de la preuve»
Dans l’affaire C‑383/12 P,
ayant pour objet un pourvoi au titre de l’article 56 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, introduit le 8 août 2012,
Environmental Manufacturing LLP, établie à Stowmarket (Royaume-Uni), représentée par M. M. Atkins, solicitor, Me K. Shadbolt, advocate, et M. S. Malynicz, barrister,
partie requérante,
les autres parties à la procédure étant:
Office de l’harmonisation dans le marché intérieur (marques, dessins et modèles) (OHMI), représenté par M. A. Folliard-Monguiral, en qualité d’agent,
partie défenderesse en première instance,
Société Elmar Wolf, établie à Wissembourg (France), représentée par Me N. Boespflug, avocat,
partie intervenante en première instance,
LA COUR (cinquième chambre),
composée de M. T. von Danwitz, président de chambre, MM. E. Juhász (rapporteur), A. Rosas, D. Šváby et C. Vajda, juges,
avocat général: Mme J. Kokott,
greffier: M. M. Aleksejev, administrateur,
vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 29 mai 2013,
vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,
rend le présent
Arrêt
1 Par son pourvoi, Environmental Manufacturing LLP (ci-après «Environmental Manufacturing») demande l’annulation de l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 22 mai 2012, Environmental Manufacturing/OHMI – Wolf (Représentation d’une tête de loup) (T‑570/10, ci‑après l’«arrêt attaqué»), par lequel ce dernier a rejeté son recours tendant à l’annulation de la décision de la deuxième chambre de recours de l’Office de l’harmonisation dans le marché intérieur (marques, dessins et modèles) (OHMI) du
6 octobre 2010 (affaire R 425/2010‑2), relative à une procédure d’opposition (ci-après la «décision litigieuse»).
Le cadre juridique
2 Le règlement (CE) no 207/2009 du Conseil, du 26 février 2009, sur la marque communautaire (JO L 78, p. 1), qui est entré en vigueur le 13 avril 2009, a opéré une codification du règlement (CE) no 40/94 du Conseil, du 20 décembre 1993, sur la marque communautaire (JO 1994, L 11, p. 1), et l’a abrogé.
3 Sous l’intitulé «Motifs relatifs de refus», l’article 8, paragraphes 1, sous b), et 5, du règlement no 207/2009 dispose:
«1. Sur opposition du titulaire d’une marque antérieure, la marque demandée est refusée à l’enregistrement:
[...]
b) lorsqu’en raison de son identité ou de sa similitude avec la marque antérieure et en raison de l’identité ou de la similitude des produits ou des services que les deux marques désignent, il existe un risque de confusion dans l’esprit du public du territoire dans lequel la marque antérieure est protégée; le risque de confusion comprend le risque d’association avec la marque antérieure.
[...]
5. Sur opposition du titulaire d’une marque antérieure au sens du paragraphe 2, la marque demandée est également refusée à l’enregistrement si elle est identique ou similaire à la marque antérieure et si elle est destinée à être enregistrée pour des produits ou des services qui ne sont pas similaires à ceux pour lesquels la marque antérieure est enregistrée, lorsque, dans le cas d’une marque communautaire antérieure, elle jouit d’une renommée dans la Communauté et, dans le cas d’une marque
nationale antérieure, elle jouit d’une renommée dans l’État membre concerné et que l’usage sans juste motif de la marque demandée tirerait indûment profit du caractère distinctif ou de la renommée de la marque antérieure ou qu’il leur porterait préjudice.»
4 L’article 8, paragraphes 1, sous b), et 5, du règlement no 40/94 était rédigé dans les mêmes termes que les dispositions correspondantes du règlement no 207/2009.
Les antécédents du litige
5 Le 9 mars 2006, le prédécesseur en droit d’Environmental Manufacturing a présenté une demande d’enregistrement de marque communautaire à l’OHMI pour un signe figuratif représentant une tête de loup en vue de la commercialisation des produits relevant de la classe 7 au sens de l’arrangement de Nice concernant la classification internationale des produits et des services aux fins de l’enregistrement des marques, du 15 juin 1957, tel que révisé et modifié, et correspondant à la description suivante,
à savoir «Machines pour le traitement professionnel et industriel des déchets de bois et déchets végétaux; machines professionnelles et industrielles à déchiqueter le bois et à faire des copeaux».
6 À la suite de la publication de la demande au Bulletin des marques communautaires no 38/2006, du 18 septembre 2006, la Société Elmar Wolf (ci‑après «Elmar Wolf») a formé opposition à l’enregistrement de la marque demandée pour lesdits produits.
7 L’opposition était fondée sur plusieurs marques françaises et internationales figuratives antérieures. Les motifs invoqués à l’appui de cette opposition étaient ceux visés à l’article 8, paragraphes 1, sous b), et 5, du règlement no 40/94.
8 Le 24 septembre 2007, le prédécesseur en droit d’Environmental Manufacturing a cédé à celle-ci ladite demande d’enregistrement. Le 2 octobre 2007, Environmental Manufacturing a demandé, conformément à l’article 43 du règlement no 40/94 (devenu article 42 du règlement no 207/2009), qu’Elmar Wolf apporte des preuves de l’usage des marques antérieures. Celle-ci a alors présenté des éléments documentaires à cet effet.
9 Le 25 janvier 2010, la division d’opposition de l’OHMI a rejeté l’opposition fondée sur l’article 8, paragraphe 1, sous b), du règlement no 207/2009, au motif qu’il n’existait aucun risque de confusion entre les marques concernées. La division d’opposition a également rejeté l’opposition fondée sur l’article 8, paragraphe 5, de ce règlement, au motif qu’Elmar Wolf n’avait pas apporté de preuve de l’existence d’un quelconque préjudice porté à la renommée des marques antérieures ou d’un profit
indûment tiré de celles-ci.
10 Le 23 mars 2010, Elmar Wolf a formé un recours contre cette décision. Celle-ci a été annulée par la décision litigieuse. En ce qui concerne l’article 8, paragraphe 5, du règlement no 207/2009, la deuxième chambre de recours a considéré que les marques antérieures jouissaient d’une renommée élevée dans trois États membres. Ensuite, elle a considéré qu’il existait un certain degré de similitude entre les marques en cause et que le public pertinent pourrait établir un lien entre les signes, eu égard
au caractère distinctif et à la renommée des marques antérieures, ainsi qu’à la similitude des produits visés par les marques en cause. Enfin, la chambre de recours a conclu, en se référant aux arguments avancés par Elmar Wolf, que la marque demandée pourrait diluer l’image unique des marques antérieures et pourrait indûment profiter de leur caractère distinctif ou de leur renommée.
Le recours devant le Tribunal et l’arrêt attaqué
11 Environmental Manufacturing a formé un recours en annulation de la décision litigieuse devant le Tribunal. Au soutien de ce recours, elle a soulevé deux moyens, tirés, d’une part, d’une violation de l’article 42, paragraphes 2 et 3, du règlement no 207/2009 et, d’autre part, d’une violation de l’article 8, paragraphe 5, de ce règlement.
12 Le Tribunal, aux points 16 à 24 de l’arrêt attaqué, a écarté le premier moyen comme étant non fondé.
13 En ce qui concerne le second moyen, le Tribunal a conclu, au point 47 de l’arrêt attaqué, que la chambre de recours a estimé à bon droit que le public pertinent pouvait établir un lien entre les signes représentés par les deux marques en conflit.
14 Ensuite, le Tribunal a précisé, aux points 48 et 49 de l’arrêt attaqué, quant au risque de dilution, que, selon Environmental Manufacturing, le titulaire de la marque antérieure doit alléguer et prouver que l’usage de la marque postérieure aura un impact sur le comportement des consommateurs des produits couverts par la marque antérieure ou qu’il existe un risque sérieux que tel soit le cas à l’avenir. Il a également précisé qu’Environmental Manufacturing soutient que la chambre de recours a omis
d’examiner cet impact dans le cas d’espèce, qu’Elmar Wolf aurait dû présenter des arguments expliquant concrètement comment la dilution lui porterait préjudice et que la simple mention d’une dilution ne suffisait pas pour justifier l’application de l’article 8, paragraphe 5, du règlement no 207/2009.
15 Le Tribunal a considéré, aux points 50 à 54 de l’arrêt attaqué:
«50 [Le] motif de refus tiré du risque de dilution, tel que prévu à l’article 8, paragraphe 5, du règlement no 207/2009, contribue, avec les autres motifs relatifs de refus énoncés audit article, à préserver la fonction première de la marque, à savoir sa fonction d’origine. S’agissant du risque de dilution, cette fonction est compromise lorsque se trouve affaiblie l’aptitude de la marque antérieure à identifier les produits ou les services pour lesquels elle est enregistrée et utilisée comme
provenant du titulaire de ladite marque, l’usage de la marque postérieure entraînant une dispersion de l’identité de la marque antérieure et de son emprise sur l’esprit du public. Tel est notamment le cas lorsque la marque antérieure, qui suscitait une association immédiate avec les produits ou les services pour lesquels elle est enregistrée, n’est plus en mesure de le faire (arrêt [du 27 novembre 2008,] Intel Corporation, [C-252/07, Rec. p. I-8823,] point 29).
51 Il ressort de l’arrêt Intel Corporation[, précité,] qu’il appartient au titulaire de la marque antérieure qui se prévaut de la protection accordée à l’article 8, paragraphe 5, du règlement no 207/2009 de rapporter la preuve que l’usage de la marque postérieure porterait préjudice au caractère distinctif de sa marque antérieure. À cette fin, le titulaire de la marque antérieure n’est pas tenu de démontrer l’existence d’une atteinte effective et actuelle à sa marque. En effet, lorsqu’il est
prévisible qu’une telle atteinte découlera de l’usage que le titulaire de la marque postérieure peut être amené à faire de sa marque, le titulaire de la marque antérieure ne saurait être obligé d’en attendre la réalisation effective pour pouvoir faire interdire ledit usage. Le titulaire de la marque antérieure doit toutefois établir l’existence d’éléments permettant de conclure à un risque sérieux qu’une telle atteinte se produise dans le futur (arrêt Intel Corporation, [précité,] points 37,
38 et 71).
52 À cette fin, le titulaire de la marque antérieure doit apporter des éléments permettant de conclure prima facie à un risque futur non hypothétique de préjudice [...]. Une telle conclusion peut être établie notamment sur la base de déductions logiques résultant d’une analyse des probabilités et en prenant en compte les pratiques habituelles dans le secteur commercial pertinent ainsi que toute autre circonstance de l’espèce [...].
53 Il ne saurait toutefois être exigé que, en sus de ces éléments, le titulaire de la marque antérieure démontre un effet supplémentaire de l’arrivée de la marque postérieure sur le comportement économique du consommateur moyen des produits ou des services pour lesquels la marque antérieure est enregistrée. En effet, une telle condition ne figure ni dans l’article 8, paragraphe 5, du règlement no 207/2009 ni dans l’arrêt Intel Corporation[, précité].
54 S’agissant du point 77 de l’arrêt Intel Corporation[, précité], il ressort du choix des termes ‘il s’ensuit’ et de la structure du point 81 du même arrêt que la modification du comportement économique du consommateur, à laquelle se réfère [Environmental Manufacturing] à l’appui de son grief, est établie dès lors que le titulaire de la marque antérieure a réussi à démontrer, conformément au point 76 dudit arrêt, que se trouve affaiblie l’aptitude de cette marque à identifier les produits ou les
services pour lesquels elle est enregistrée et utilisée comme provenant du titulaire de ladite marque, l’usage de la marque postérieure entraînant une dispersion de l’identité de la marque antérieure et de son emprise sur l’esprit du public.»
16 Aux points 56 à 65 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a examiné si la chambre de recours a fait une juste application de l’article 8, paragraphe 5, du règlement no 207/2009 et des principes susmentionnés dans le cas d’espèce.
17 Le Tribunal a conclu, au point 66 de l’arrêt attaqué, d’une part, que c’est à bon droit que la chambre de recours a estimé que l’utilisation de la marque dont l’enregistrement est demandé était susceptible de porter préjudice au caractère distinctif des marques antérieures et, d’autre part, qu’il n’y avait pas lieu d’accueillir l’argument d’Environmental Manufacturing tiré de la nécessité de démontrer les effets économiques du rapprochement entre les marques en conflit.
18 Le Tribunal a indiqué, au point 67 de l’arrêt attaqué, que, «[dans] la mesure où la chambre de recours a ainsi fait une juste application de l’article 8, paragraphe 5, du règlement no 207/2009 en raison du risque de dilution généré par la marque demandée, il n’y a plus lieu d’examiner le risque [qu’Environmental Manufacturing tire indûment profit du caractère distinctif ou de la renommée des marques antérieures (parasitisme)] sur lequel la décision [litigieuse] se fonde également».
19 Dans ces conditions, le Tribunal a écarté le second moyen comme étant non fondé et a rejeté le recours dans son ensemble.
Les conclusions des parties
20 Par son pourvoi, Environmental Manufacturing demande à la Cour d’annuler l’arrêt attaqué, de statuer définitivement sur le litige et de condamner l’OHMI ainsi qu’Elmar Wolf aux dépens.
21 L’OHMI demande à la Cour de rejeter le pourvoi et de condamner Environmental Manufacturing aux dépens.
22 Elmar Wolf demande à la Cour, à titre principal, de rejeter le pourvoi et, à titre subsidiaire, de renvoyer l’affaire devant le Tribunal, ainsi que de condamner Environmental Manufacturing à supporter ses propres dépens et ceux encourus par Elmar Wolf.
Sur le pourvoi
23 À l’appui de son pourvoi, Environmental Manufacturing invoque un seul moyen, tiré d’une violation de l’article 8, paragraphe 5, du règlement no 207/2009.
Argumentation des parties
24 Environmental Manufacturing fait valoir que, à la suite de l’arrêt Intel Corporation, précité, la preuve que l’usage de la marque postérieure porte ou porterait préjudice au caractère distinctif de la marque antérieure suppose que soit démontrée une modification du comportement économique du consommateur moyen des produits pour lesquels la marque antérieure est enregistrée consécutive à l’usage de la marque postérieure ou bien que soit démontré un risque sérieux qu’une telle modification se
produise dans le futur. Ainsi, une telle preuve devrait être apportée pour que la dilution d’une marque antérieure puisse être établie.
25 Environmental Manufacturing reproche au Tribunal de ne pas avoir exigé cette preuve, en concluant qu’il suffit que l’aptitude de la marque antérieure à identifier les produits pour lesquels elle est enregistrée et utilisée comme provenant du titulaire de ladite marque se trouve affaiblie, l’usage de la marque postérieure entraînant une dispersion de l’identité de la marque antérieure et de son emprise sur l’esprit du public.
26 Environmental Manufacturing estime que l’analyse faite par le Tribunal n’a pas pris en compte la jurisprudence de la Cour, selon laquelle une incidence sur le comportement économique des consommateurs implique une incidence sur leur comportement commercial. Environmental Manufacturing fait valoir qu’une telle incidence potentielle ou réelle doit être examinée dans le cadre d’un recours formé sur le fondement de l’article 8, paragraphe 5, du règlement no 207/2009 et que, étant donné que cette
question n’a été ni examinée ni prouvée, le Tribunal aurait dû rejeter l’argument selon lequel il y avait eu dilution au sens de cette disposition.
27 L’OHMI admet que la preuve d’un préjudice porté au caractère distinctif de la marque antérieure, au sens de l’article 8, paragraphe 5, du règlement no 207/2009, requiert la preuve d’un changement réel ou éventuel du comportement économique du consommateur moyen des produits pour lesquels les marques antérieures sont enregistrées. Il fait toutefois valoir que le changement du comportement économique du consommateur moyen et la dispersion de l’identité de la marque antérieure constituent des
conditions qui ne sont ni indépendantes ni cumulatives et qu’elles font en réalité partie d’une seule et même exigence.
28 L’OHMI estime que la condition selon laquelle l’usage de la marque postérieure entraîne une dispersion de l’identité de la marque antérieure et de son emprise sur l’esprit du public, reprise aux points 29 et 76 de l’arrêt Intel Corporation, précité, est simplement une expression du changement du comportement économique du consommateur moyen. Il soutient qu’un tel changement se produira lorsque, dans la perception de ce consommateur, la valeur économique de la marque renommée souffrira de
l’utilisation d’un signe postérieur. Il suffirait, pour que le comportement économique du consommateur soit affecté, que ce consommateur considère la marque renommée comme moins attrayante, moins prestigieuse ou moins exclusive en raison de l’utilisation du signe postérieur contesté.
29 L’OHMI soutient que l’arrêt attaqué est fondé sur la prémisse correcte selon laquelle «une modification du comportement économique du consommateur moyen des produits pour lesquels la marque antérieure est enregistrée» suppose que soit démontré, comme en l’espèce, que «l’usage de la marque postérieure entraîne une dispersion de l’identité de la marque antérieure et de son emprise sur l’esprit du public». Cette affirmation serait simplement une explication de la prémisse.
30 L’OHMI est d’avis que la dispersion de l’identité et de l’emprise sur l’esprit du public signifient que la valeur économique de la marque renommée subit un impact négatif et que la perception du public et son «comportement économique» représenteraient donc les deux faces d’une même médaille. L’OHMI ajoute que la conclusion figurant au point 62 de l’arrêt attaqué est l’expression du changement probable du comportement économique du consommateur des produits couverts par les marques antérieures,
qui peut être attendu de l’utilisation simultanée du signe contesté.
31 Elmar Wolf rappelle que la chambre de recours a établi, aux considérants 36 et 38 de la décision litigieuse, que l’utilisation de la marque dont l’enregistrement est demandé est susceptible de comporter un risque de dilution ainsi que de générer un profit indu de la marque antérieure. Elle relève que le Tribunal, en constatant au point 66 de l’arrêt attaqué que la marque dont l’enregistrement est demandé peut porter préjudice au caractère distinctif des marques antérieures, n’a pas examiné, en
raison d’une économie de procédure, le profit indûment tiré de ce caractère distinctif.
32 En ce qui concerne le respect du prétendu critère complémentaire et distinct dégagé par l’arrêt Intel Corporation, précité, Elmar Wolf fait valoir que le Tribunal a indiqué, à juste titre, que l’argument tiré de la nécessité de démontrer les effets économiques du rapprochement entre les marques en conflit ne saurait être accueilli.
33 Elmar Wolf considère que les circonstances sur lesquelles repose l’analyse de la Cour, dans l’arrêt Intel Corporation, précité, concernent le cas où les produits ou les services couverts par la marque antérieure ne sont pas similaires aux produits ou aux services couverts par la marque postérieure, tandis que la présente affaire concerne des produits identiques ou, à tout le moins, similaires. Ainsi, les critères dégagés par la Cour dans l’arrêt Intel Corporation, précité, ne sont pas applicables
en l’espèce.
Appréciation de la Cour
34 Selon la jurisprudence de la Cour, la preuve que l’usage de la marque postérieure porte ou porterait préjudice au caractère distinctif de la marque antérieure suppose que soient démontrés une modification du comportement économique du consommateur moyen des produits ou des services pour lesquels la marque antérieure est enregistrée consécutive à l’usage de la marque postérieure ou un risque sérieux qu’une telle modification se produise dans le futur (arrêt Intel Corporation, précité, points 77
et 81 ainsi que point 6 du dispositif).
35 Certes, le point 77 de l’arrêt Intel Corporation, précité, est introduit par les termes «[i]l s’ensuit que», et ce point suit immédiatement l’examen de la question de l’affaiblissement de l’aptitude d’identification et de la dispersion de l’identité de la marque antérieure et, ainsi, il pourrait être considéré comme seulement explicatif du point qui le précède. Toutefois, le même texte, reproduit au point 81 et dans le dispositif de cet arrêt, est autonome. Le fait qu’il figure dans le dispositif
dudit arrêt souligne son importance.
36 Le libellé de la jurisprudence précitée est explicite. Il en résulte que, sans apporter la preuve que cette condition est remplie, le préjudice ou le risque de préjudice porté au caractère distinctif de la marque antérieure prévu à l’article 8, paragraphe 5, du règlement no 207/2009 ne saurait être constaté.
37 La notion de «modification du comportement économique du consommateur moyen» pose une condition de nature objective. Cette modification ne saurait être déduite uniquement des éléments subjectifs tels que la seule perception des consommateurs. Le seul fait que ces derniers remarquent la présence d’un nouveau signe similaire à un signe antérieur ne suffit pas à lui seul à établir l’existence d’un préjudice ou d’un risque de préjudice porté au caractère distinctif de la marque antérieure au sens de
l’article 8, paragraphe 5, du règlement no 207/2009, dans la mesure où cette similitude ne crée pas de confusion dans leur esprit.
38 Or, le Tribunal, au point 53 de l’arrêt attaqué, a écarté l’examen de la condition posée par l’arrêt Intel Corporation, précité, et, par conséquent, a commis une erreur de droit.
39 Le Tribunal a constaté, au point 62 de l’arrêt attaqué, que «le fait pour des concurrents d’utiliser des signes ayant une certaine similitude pour des produits identiques ou semblables compromet l’association immédiate que le public pertinent fait entre les signes et les produits en cause, ce qui est de nature à porter atteinte à l’aptitude de la marque antérieure à identifier les produits pour lesquels elle est enregistrée comme provenant du titulaire de ladite marque».
40 Cependant, dans son arrêt Intel Corporation, précité, la Cour a clairement exprimé la nécessité d’exiger un standard de preuve plus élevé pour pouvoir constater le préjudice ou le risque de préjudice porté au caractère distinctif de la marque antérieure, au sens de l’article 8, paragraphe 5, du règlement no 207/2009.
41 Accepter le critère proposé par le Tribunal pourrait, par ailleurs, aboutir à une situation dans laquelle des opérateurs économiques s’approprient indûment certains signes, ce qui pourrait nuire à la concurrence.
42 Certes, le règlement no 207/2009 et la jurisprudence de la Cour n’exigent pas de rapporter les preuves d’un préjudice réel, mais admettent également le risque sérieux d’un tel préjudice, permettant l’utilisation des déductions logiques.
43 Néanmoins, de telles déductions ne doivent pas résulter de simples suppositions mais, comme le Tribunal l’a lui-même relevé au point 52 de l’arrêt attaqué, en citant un arrêt antérieur du Tribunal, ces déductions reposent sur «une analyse des probabilités et en prenant en compte les pratiques habituelles dans le secteur commercial pertinent, ainsi que toute autre circonstance de l’espèce».
44 Cependant, le Tribunal n’a pas censuré l’absence d’une telle analyse, en méconnaissance de la jurisprudence citée dans son propre arrêt.
45 S’agissant de l’argument d’Elmar Wolf, selon lequel le critère dégagé par la Cour dans l’arrêt Intel Corporation, précité, concerne des produits ou des services qui ne sont pas similaires aux produits et aux services couverts par une marque postérieure et, dès lors, ne serait pas applicable en l’espèce, il suffit de relever que, eu égard à sa formulation générale, la jurisprudence figurant aux points 77 et 81 ainsi qu’au point 6 du dispositif de cet arrêt ne saurait être interprétée comme étant
limitée aux circonstances factuelles impliquant des produits ou des services n’étant pas similaires aux produits ou aux services couverts par une marque postérieure.
46 Dans ces conditions, il doit être constaté que le pourvoi est fondé.
47 Dès lors, il y a lieu d’annuler l’arrêt attaqué.
48 Conformément à l’article 61, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, lorsque la Cour annule la décision du Tribunal, elle peut soit statuer elle-même définitivement sur le litige, lorsque celui-ci est en état d’être jugé, soit renvoyer l’affaire devant le Tribunal pour qu’il statue.
49 Dans la présente affaire, les conditions ne sont pas remplies pour que la Cour puisse elle-même statuer définitivement sur le litige.
50 Par conséquent, il y a lieu de renvoyer l’affaire devant le Tribunal et de réserver les dépens.
Par ces motifs, la Cour (cinquième chambre) déclare et arrête:
1) L’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 22 mai 2012, Environmental Manufacturing/OHMI – Wolf (Représentation d’une tête de loup) (T‑570/10), est annulé.
2) L’affaire est renvoyée devant le Tribunal de l’Union européenne.
3) Les dépens sont réservés.
Signatures
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( *1 ) Langue de procédure: l’anglais.