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07/11/2013 | CJUE | N°C‑512/12

CJUE | CJUE, Arrêt de la Cour, Octapharma France SAS contre Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) et Ministère des Affaires sociales et de la Santé., 07/11/2013, C‑512/12


CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. NIILO JÄÄSKINEN

présentées le 7 novembre 2013 ( 1 )

Affaire C‑512/12

Octapharma France SAS

contre

Agence nationale de sécurité du médicament etdes produits de santé (ANSM) etministère des Affaires sociales etde la Santé

[demande de décision préjudicielle formée par le Conseil d’État (France)]

«Rapprochement des législations — Directive 2001/83/CE — Directive 2004/27/CE — Directive 2002/98/CE — Champ d’application — Produits sanguins labiles â

€” Plasma dans la production duquel intervient un processus industriel — Application simultanée ou exclusive de la directive 2001/83/CE,...

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. NIILO JÄÄSKINEN

présentées le 7 novembre 2013 ( 1 )

Affaire C‑512/12

Octapharma France SAS

contre

Agence nationale de sécurité du médicament etdes produits de santé (ANSM) etministère des Affaires sociales etde la Santé

[demande de décision préjudicielle formée par le Conseil d’État (France)]

«Rapprochement des législations — Directive 2001/83/CE — Directive 2004/27/CE — Directive 2002/98/CE — Champ d’application — Produits sanguins labiles — Plasma dans la production duquel intervient un processus industriel — Application simultanée ou exclusive de la directive 2001/83/CE, telle que modifiée par la directive 2004/27/CE, et de la directive 2002/98/CE — Article 168, paragraphe 4, TFUE — Faculté pour un État membre de maintenir des mesures de protection plus strictes pour le sang et les
dérivés du sang»

I – Introduction

1. La présente demande de décision préjudicielle formée par le Conseil d’État (France) vise à déterminer quel régime juridique de l’Union européenne est applicable à un produit à base de plasma appelé l’«Octaplas». Ce produit est préparé selon un processus industriel (ci-après le «plasma préparé industriellement») et utilisé dans les transfusions sanguines. Octapharma France SAS (ci-après «Octapharma»), qui est le producteur et le distributeur de ce produit, et la République française ont des
opinions divergentes, qui ont une incidence sur les conditions dans lesquelles l’Octaplas peut être administré et commercialisé sur le marché intérieur.

2. La question se résume comme suit: l’article 3, point 6, de la directive 2001/83/CE ( 2 ), telle que modifiée par la directive 2004/27/CE ( 3 ), interdit‑il à l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) de classifier comme produit sanguin labile un plasma préparé industriellement connu sous le nom de «plasma SD», qui inclut l’Octaplas ( 4 )?

II – Le litige au principal et les questions préjudicielles

3. Par décision du 20 octobre 2010, le directeur général de l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps), devenue ultérieurement l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), a classifié l’Octaplas comme produit sanguin labile. Octapharma a saisi le Conseil d’État, lui demandant, entre autres, d’annuler la décision du 20 octobre 2010, d’enjoindre au directeur général de l’Afssaps d’appliquer, dans un délai de trois mois à compter de la date
à laquelle l’arrêt sera rendu par le Conseil d’État, l’article 1er de la directive 2004/27 et, de manière similaire, d’enjoindre à la République française de procéder à la transposition correcte de la directive 2004/27.

4. L’Établissement français du sang (EFS) est un organisme de droit public qui, en vertu de la loi française, détient le monopole dans l’organisation, sur le territoire national, des activités de collecte du sang, de préparation et de distribution des produits sanguins labiles. Ainsi, la classification du plasma SD comme produit sanguin labile signifie que celui‑ci doit être administré et distribué exclusivement par l’EFS. La décision du 20 octobre 2010 a été rendue malgré le fait qu’Octapharma a pu
commercialiser l’Octaplas en tant que médicament dans une trentaine de pays du monde entier et dans l’Union, y compris en Belgique, en Allemagne, en Autriche et au Royaume‑Uni.

5. Octapharma soutient que l’autorisation de mise sur le marché du plasma préparé industriellement est régie exclusivement par la directive 2001/83, telle que modifiée par la directive 2004/27, et que le plasma préparé industriellement doit plutôt être inclus dans la catégorie des médicaments.

6. Les autorités françaises contestent cela, en se fondant principalement sur le fait que la mise sur le marché en France du plasma préparé industriellement est régie exclusivement par un autre instrument de l’Union, à savoir la directive 2002/98/CE ( 5 ). En outre, elles invoquent le droit des États membres, en vertu de l’article 168, paragraphe 4, TFUE, de maintenir ou d’établir des «mesures de protection plus strictes» que celles adoptées par le législateur de l’Union, statuant conformément à la
procédure législative ordinaire, afin de fixer des normes «de qualité et de sécurité» des «organes et substances d’origine humaine, du sang et des dérivés du sang».

7. Au vu des considérations qui précèdent, le Conseil d’État a saisi la Cour des questions préjudicielles suivantes:

«1) Le plasma issu de sang total à finalité transfusionnelle dans la production duquel intervient un processus industriel est‑il susceptible de se voir simultanément appliquer les dispositions [des directives 2001/83 et 2002/98], en ce qui concerne non seulement sa collecte et son contrôle, mais également sa transformation, sa conservation et sa distribution? À ce titre, la règle posée à l’article 2, paragraphe 2, de la directive [2001/83] peut‑elle être interprétée comme conduisant à n’appliquer
que la seule réglementation communautaire du médicament à un produit entrant simultanément dans le champ d’application d’une autre réglementation communautaire uniquement dans le cas où cette dernière est moins rigoureuse que celle du médicament?

2) Les dispositions du [paragraphe] 2 de l’article 4 de la directive [2002/98] doivent‑elles être interprétées, le cas échéant, à la lumière de l’article 168 [TFUE], comme permettant le maintien ou l’introduction de dispositions nationales qui, parce qu’elles soumettraient le plasma dans la production duquel intervient un processus industriel à un régime plus strict que celui auquel sont soumis les médicaments, justifieraient que soit écartée l’application de tout ou partie des dispositions de la
directive [2001/83], en particulier celles qui subordonnent la commercialisation des médicaments à la seule condition de l’obtention préalable d’une autorisation de mise sur le marché et, dans l’affirmative, sous quelles conditions et dans quelle mesure?»

8. Octapharma, le gouvernement français et la Commission européenne ont déposé des observations écrites et ont participé à l’audience qui a eu lieu le 10 juillet 2013.

III – Analyse

A – Synthèse de la législation de l’Union pertinente

9. En l’espèce, nous sommes en présence d’une concurrence entre deux régimes juridiques, à savoir celui applicable aux médicaments en vertu de la directive 2001/83, telle que modifiée par la directive 2004/27, d’une part, et celui applicable au sang humain et aux composants sanguins en vertu de la directive 2002/98, d’autre part. Cette dernière contient des dispositions autonomes établissant des normes de qualité et de sécurité pour la collecte, le contrôle, la transformation, la conservation et la
distribution du sang humain et des composants sanguins. La directive 2004/27 contient également une modification importante de la directive 2001/83, sur laquelle je reviendrai ci‑dessous. La marge d’appréciation laissée aux États membres, en vertu de l’article 168 TFUE, pour introduire des «mesures de protection plus strictes» que celles prévues par la législation de l’Union vient compliquer encore plus le règlement du présent litige.

10. La directive 2001/83 est entrée en vigueur au mois de décembre 2001 ( 6 ). Même avant d’être modifiée par la directive 2004/27, elle contenait des dispositions spécifiques relatives au sang et au plasma. Le considérant 17 de la directive 2001/83 prévoit qu’il est nécessaire d’adopter des dispositions spécifiques pour, entre autres, «les médicaments dérivés du sang humain ou du plasma humain», tandis que le considérant 28 de celle-ci prévoit, entre autres, que la délivrance d’une autorisation de
mise sur le marché d’un médicament dérivé du sang humain ou du plasma humain est subordonnée à la preuve apportée par le fabricant de sa capacité d’assurer de façon continue la conformité des lots ainsi qu’à la preuve de l’absence de contamination virale spécifique, dans la mesure où le développement de la technique le permet.

11. L’harmonisation communautaire dans le domaine du sang et des produits sanguins a été réalisée par la directive 2002/98, qui a également modifié la directive 2001/83. En vertu de son article 32, la directive 2002/98 devait être transposée par les États membres avant le 8 février 2005.

12. Le considérant 3 de la directive 2002/98 prévoit que «[l]es exigences de qualité, de sécurité et d’efficacité relatives aux spécialités pharmaceutiques préparées industriellement à partir du sang ou du plasma humains ont été fixées par la directive 2001/83», mais ajoute que, «[t]outefois, l’exclusion spécifique, dans ladite directive, du sang total, du plasma et des cellules sanguines d’origine humaine a conduit à une situation où la qualité et la sécurité de ceux‑ci ne font l’objet d’aucune
réglementation communautaire contraignante, dans la mesure où ils sont destinés à la transfusion et ne sont pas transformés en tant que tels». Ledit considérant 3 prévoit aussi, entre autres, qu’il est essentiel que «des dispositions communautaires garantissent que le sang et ses composants […] présentent un niveau comparable de qualité et de sécurité tout au long de la filière transfusionnelle dans tous les États membres».

13. Le considérant 4 de la directive 2002/98 rappelle que la directive 2001/83 traite des mesures à prendre par les États membres pour éviter la transmission de maladies infectieuses liées au sang et aux composants sanguins, comme point de départ dans la fabrication de spécialités pharmaceutiques. Le considérant 5 de ladite directive ajoute qu’il y a lieu de modifier la directive 2001/83 afin d’assurer un niveau équivalent de sécurité et de qualité des composants sanguins, quel que soit l’usage
auquel ils sont destinés, en établissant des exigences techniques pour la collecte et le contrôle de tout le sang et de tous les composants sanguins, y compris les matières premières pour la fabrication de médicaments.

14. Par conséquent, l’article 31 de la directive 2002/98 a remplacé l’article 109 de la directive 2001/83 par le texte suivant:

«Pour ce qui est de la collecte et du contrôle du sang humain et du plasma humain, la directive [2002/98/CE] est applicable» ( 7 ).

15. En outre, la directive 2002/98 a introduit plusieurs dispositions visant à établir des normes de qualité et de sécurité pour le sang humain et les composants sanguins afin d’assurer un niveau élevé de protection de la santé humaine (voir article 1er de ladite directive).

16. L’article 2, paragraphe 1, de la directive 2002/98 prévoit que cette directive s’applique à la «collecte» et au «contrôle» du sang humain et des composants sanguins, quelle que soit leur destination, et à leur transformation, à leur stockage et à leur distribution, lorsqu’ils sont destinés à la transfusion, tandis que l’article 2, paragraphe 2, de ladite directive prévoit que, «lorsque du sang ou des composants sanguins sont collectés et contrôlés dans le seul but d’être utilisés pour des
transfusions autologues et qu’ils sont clairement identifiés comme tels, les dispositions auxquelles il convient de se conformer à cet égard correspondent à celles visées à l’article 29, point g)».

17. Trois définitions figurant à l’article 3 de la directive 2002/98 aident à déterminer le champ d’application de cette directive. En vertu de l’article 3, sous a), de celle-ci, on entend par «‘sang’, le sang total prélevé chez un donneur et transformé à des fins soit de transfusion soit de fabrication». En vertu de cet article 3, sous b), on entend par «‘composant sanguin’, un composant thérapeutique du sang (globules rouges, globules blancs, plaquettes, plasma), qui peut être obtenu par
différentes méthodes», tandis que ledit article 3, sous c), prévoit qu’un «produit sanguin» signifie «tout produit thérapeutique dérivé du sang ou du plasma humain».

18. Enfin, l’article 4, paragraphe 2, de la directive 2002/98 maintient la compétence nationale d’un État membre pour appliquer une réglementation plus protectrice, en prévoyant que cette directive «n’empêche pas un État membre de maintenir ou d’introduire sur son territoire des mesures de protection plus strictes, dans le respect des dispositions du traité».

19. La directive 2001/83 a été amplement modifiée par la directive 2004/27. En vertu du considérant 7 de la directive 2004/27, il y a lieu de clarifier les définitions et le champ d’application de la directive 2001/83, «du fait des progrès scientifiques et techniques». Le considérant 7 de la directive 2004/27 prévoit également, entre autres, que, «[a]fin de prendre en compte […] l’émergence de nouvelles thérapies et […] le nombre croissant de produits dits ‘frontière’ entre le secteur des
médicaments et les autres secteurs, il convient de modifier la définition du médicament pour éviter, lorsqu’un produit répond pleinement à la définition du médicament, mais pourrait aussi répondre à la définition d’autres produits réglementés, que subsiste un doute sur la législation applicable».

20. En vertu de l’article 2, paragraphe 2, de la directive 2001/83, telle que modifiée par la directive 2004/27, «[e]n cas de doute, lorsqu’un produit, eu égard à l’ensemble de ses caractéristiques, est susceptible de répondre à la fois à la définition d’un ‘médicament’ et à la définition d’un produit régi par une autre législation communautaire, les dispositions de la présente directive s’appliquent».

21. Enfin, nonobstant la modification susmentionnée de l’article 109 de la directive 2001/83 qui a été prévue par la directive 2002/98, la directive 2004/27 a modifié l’article 3 de la directive 2001/83, de sorte que son point 6 prévoit désormais que la directive 2001/83 ne s’applique pas «au sang total, au plasma, aux cellules sanguines d’origine humaine, à l’exception du plasma dans la production duquel intervient un processus industriel». Avant d’être modifié, l’article 3, point 6, de la
directive 2001/83 prévoyait que cette directive ne s’applique pas «au sang total, au plasma, aux cellules sanguines d’origine humaine».

B – Sur la première question

22. À mon sens, la réponse à la première question est claire. L’article 3, point 6, de la directive 2001/83, qui a été modifié par l’article 1er de la directive 2004/27, prévoit que la directive 2001/83 «ne s’applique pas […] au sang total, au plasma, aux cellules sanguines d’origine humaine, à l’exception du plasma dans la production duquel intervient un processus industriel». Le sens clair et littéral dudit article 3, point 6, ne laisse aucune place au doute. Le plasma préparé industriellement
doit être régi par la directive 2001/83.

23. À mon avis, cela signifie qu’il n’est pas strictement nécessaire que la Cour aille plus loin ( 8 ), en examinant, par exemple, la finalité de la modification apportée à l’article 3, point 6, de la directive 2001/83 par la directive 2004/27. Toutefois, même si cette nécessité existait, comme la Commission l’a indiqué lors de l’audience et dans ses observations écrites, l’intention du législateur, lorsqu’il a adopté la directive 2004/27, était de soumettre le plasma préparé industriellement aux
règles communautaires relatives aux médicaments à usage humain, c’est-à-dire à la directive 2001/83. Cet objectif se reflète tout particulièrement dans le considérant 7 de la directive 2004/27.

24. À mon avis, il n’y a donc pas lieu de prendre en considération l’article 2, paragraphe 2, de la directive 2001/83, telle que modifiée par la directive 2004/27, et l’approche à suivre «en cas de doute» (mise en italique par mes soins), lorsqu’un produit «est susceptible de répondre à la fois à la définition d’un ‘médicament’ et à la définition d’un produit régi par une autre législation communautaire». Cependant, même si cela était le cas, le sens clair de l’article 3, point 6, de la directive
2001/83, telle que modifiée par la directive 2004/27, ainsi que la finalité de l’article 2, paragraphe 2, de la directive 2001/83, telle que modifiée par la directive 2004/27, donnent la priorité à la directive 2001/83, telle que modifiée par la directive 2004/27, par rapport à la directive 2002/98.

25. Si l’article 3, point 6, de la directive 2001/83, telle que modifiée par la directive 2004/27, n’existait pas, la directive 2002/98 serait applicable à la collecte et au contrôle du plasma préparé industriellement ainsi qu’à sa transformation, à son stockage et à sa distribution, lorsqu’il est destiné à la transfusion. Cela résulte de l’article 2, paragraphe 1, de la directive 2002/98, lu en combinaison avec les définitions contenues à l’article 3, sous b) et c), de la même directive.

26. Il y a donc lieu de se demander quel est le rôle exact de la directive 2002/98 dans le domaine du plasma préparé industriellement. Comme la Commission l’a indiqué lors de l’audience, la passerelle entre la directive 2002/98 et la directive 2001/83, telle que modifiée par la directive 2004/27, est l’article 109 de la directive 2001/83, qui a été modifié par l’article 31 de la directive 2002/98. Cet article prévoit que la directive 2002/98 est applicable à la collecte et au contrôle du sang et du
plasma humains. Cela inclut le sang et le plasma humains régis par la directive 2002/98 ainsi que le plasma préparé industriellement, ce dernier étant soit un composant sanguin, soit un produit sanguin, tel que défini à l’article 3, sous b) et c), de la directive 2002/98, mais relevant à un autre titre du champ d’application de la directive 2001/83, telle que modifiée par la directive 2004/27.

27. Il est vrai que la directive 2002/98 ne contient pas d’exceptions expresses relatives au plasma préparé industriellement, et que son article 2, paragraphe 1, mentionne la «collecte» et le «contrôle» ainsi que «leur transformation, […] leur stockage et […] leur distribution, lorsqu’ils sont destinés à la transfusion» ( 9 ). Toutefois, à mon avis, cela est insuffisant pour exclure l’applicabilité de la directive 2001/83, telle que modifiée par la directive 2004/27, au plasma préparé
industriellement, même lorsqu’il est destiné à la transfusion, étant donné, notamment, que la directive 2004/27 a été adoptée après la directive 2002/98.

28. Comme Octapharma l’a indiqué lors de l’audience, la présente affaire ne concerne pas la collecte ou le contrôle du plasma préparé industriellement. Elle concerne plutôt sa commercialisation (à savoir sa production, son autorisation et sa distribution). Ainsi, étant donné le champ d’application matériel de la directive 2001/83, telle que modifiée par la directive 2004/27, et de la directive 2002/98 respectivement, cette dernière n’est pas pertinente pour le règlement du litige.

29. Concernant l’argument invoqué par le gouvernement français, selon lequel l’article 168, paragraphe 4, sous a), TFUE l’autorise à adopter des «mesures de protection plus strictes» que celles adoptées par le législateur de l’Union au regard des normes «de qualité et de sécurité» des «organes et substances d’origine humaine, du sang et des dérivés du sang», je suis d’accord avec les observations présentées par la Commission lors de l’audience relatives à la pertinence de l’article 168 TFUE.
L’exception contenue dans l’article 168, paragraphe 4, sous a), TFUE n’est applicable que dans le contexte de la directive 2002/98, étant donné qu’il s’agit d’une mesure d’harmonisation minimale. Cela signifie que l’autorisation accordée aux États membres de maintenir ou d’introduire «des mesures de protection plus strictes, dans le respect des dispositions du traité» qui figure à l’article 4, paragraphe 2, de la directive 2002/98, est limitée aux questions relevant de cette directive.
Néanmoins, comme je l’ai déjà indiqué, l’a présente affaire ne rentre pas dans le champ d’application matériel de la directive 2002/98.

30. Comme la Commission l’a indiqué également lors de l’audience, et compte tenu du fait que la directive 2001/83, telle que modifiée par la directive 2004/27, harmonise de manière exhaustive les règles en matière de mise sur le marché des médicaments à usage humain ( 10 ), y compris du plasma préparé industriellement, les États membres ne sont plus autorisés à adopter des mesures nationales plus strictes.

31. Je souhaiterais faire une dernière observation concernant la première question. Bien que j’aie conclu que le plasma préparé industriellement relève du champ d’application matériel de la directive 2001/83, telle que modifiée par la directive 2004/27, même s’il est destiné à la transfusion, la juridiction nationale n’a soumis aucune question sur le fait de savoir si le produit spécifique «Octaplas» est un «médicament», au sens de ladite directive 2001/83. À mon avis, les arguments du gouvernement
français semblent reposer là‑dessus, car ils laissent entendre que le sang destiné à la transfusion ne peut pas être un médicament.

32. Même si, pour les raisons que j’ai données, cette position ne peut pas être acceptée, par souci d’exhaustivité, je note simplement que l’appréciation portant sur le fait de savoir si le plasma SD en général et le produit Octaplas en particulier sont effectivement des médicaments relève de la compétence de la juridiction de renvoi. Celle‑ci doit se prononcer sur cette question en prenant dûment en compte, entre autres, les articles 1er et 2, paragraphe 1, de la directive 2001/83, telle que
modifiée par la directive 2004/27, la jurisprudence de la Cour relative à la signification de la notion de «médicaments à usage humain» ( 11 ) et l’arrêt qui sera rendu dans l’a présente affaire.

C – Sur la deuxième question

33. Compte tenu de ma réponse à la première question, il n’est pas nécessaire d’apporter une réponse séparée à la deuxième question préjudicielle. Cela est dû au fait que j’ai conclu que l’article 4, paragraphe 2, de la directive 2002/98 ne vise que les activités relevant du champ d’application matériel de ladite directive, qui n’inclut pas la commercialisation du plasma préparé industriellement.

D – Suspension temporaire

34. Enfin, dans l’éventualité où la Cour acceptait les arguments d’Octapharma, le gouvernement français demande à la Cour d’exercer son pouvoir d’appréciation afin de suspendre les effets dans le temps de son arrêt. Le gouvernement français soutient que des modifications législatives importantes ainsi que des adaptations d’ordre administratif et pratique seront nécessaires afin d’éviter les risques pour la santé publique, et tout particulièrement pour la sécurité des patients, résultant de
l’application immédiate de la directive 2001/83, telle que modifiée par la directive 2004/27, au plasma préparé industriellement et destiné à la transfusion aux patients en France. Ces produits devront être administrés au moyen d’un système différent de celui applicable au plasma dérivé du sang humain sans l’intervention d’un processus industriel.

35. Par ailleurs, l’EFS ne détient pas les autorisations nécessaires pour fonctionner comme un établissement pharmaceutique et n’aurait pas le droit de préparer ou de livrer, à des fins de transfusion, du plasma préparé industriellement si les effets dans le temps de l’arrêt de la Cour n’étaient pas suspendus. Cela signifie que le plasma de ce type détenu par l’EFS ne serait pas utilisable, même dans des cas d’urgence chirurgicale.

36. Le gouvernement français a affirmé qu’un quart des approvisionnements en plasma en France est constitué de plasma préparé industriellement. Dans ces conditions, l’approvisionnement en plasma en France pourrait être sérieusement perturbé en l’absence de suspension des effets dans le temps de l’arrêt de la Cour.

37. Enfin, il a été souligné que la coexistence en droit français de deux systèmes de vigilance, l’un pour le sang et l’autre pour les médicaments, peut engendrer des complications supplémentaires en termes de sécurité des patients et de santé publique. En dernier ressort, la modification des actes législatifs pertinents peut être requise afin de coordonner les deux systèmes.

38. Toutefois, aussi valables et importants que ces facteurs puissent être, ils reflètent des considérations plus vastes que la question juridique étroite sur laquelle la Cour doit se prononcer dans la présente affaire, à savoir si le plasma préparé industriellement entre dans le champ d’application de la directive 2001/83, telle que modifiée par la directive 2004/27, dans celui de la directive 2002/98 ou dans les deux. Il convient de noter que le rapporteur public avait suggéré au Conseil d’État de
soumettre une question à la Cour en l’invitant à suspendre les effets dans le temps de son arrêt, mais que cette suggestion n’a pas été suivie.

39. À mon avis, les considérations de sécurité juridique reconnues par la jurisprudence de la Cour ne justifient pas la suspension des effets dans le temps de l’arrêt de la Cour. Comme je l’ai déjà expliqué, après l’adoption de la directive 2004/27 selon le processus législatif de l’Union, rien ne permettait aux autorités françaises, ou à celles de n’importe quel autre État membre, de continuer à considérer que l’autorisation de mise sur le marché du plasma préparé industriellement et destiné à la
transfusion n’était pas régie par la directive 2001/83, telle que modifiée par la directive 2004/27. Ce n’est qu’à titre exceptionnel que la Cour peut, par application d’un principe général de sécurité juridique inhérent à l’ordre juridique de l’Union, être amenée à limiter la possibilité pour tout intéressé d’invoquer une disposition qu’elle a interprétée en vue de mettre en cause des relations juridiques établies de bonne foi ( 12 ).

40. Il est vrai que, dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Inter‑Environnement Wallonie et Terre wallonne, il a été soutenu devant la Cour et accepté par celle‑ci que l’objectif d’un niveau de protection élevé de l’environnement «soit davantage atteint […] au moyen d’un maintien des effets de l’arrêté annulé pendant une courte période nécessaire à sa réfection plutôt que par une annulation rétroactive» ( 13 ). Cet arrêt, qui a été invoqué par le gouvernement français devant la Cour et mentionné
par le rapporteur public devant le Conseil d’État, autorisait la juridiction de renvoi de faire usage de dispositions du droit national lui accordant le droit de maintenir certains effets d’une décision d’un État membre ayant été adoptée en violation d’une obligation contenue dans une directive, à savoir la directive 2001/42/CE ( 14 ). Cette autorisation était soumise à des conditions strictes et détaillées établies par la Cour.

41. Toutefois, à mon avis, la Cour manque, en l’espèce d’informations détaillées et concrètes relatives aux circonstances pertinentes en France ainsi qu’aux conséquences résultant des différentes actions qui pourraient être entreprises. De telles informations ont été communiquées par la juridiction nationale dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Inter‑Environnement Wallonie et Terre wallonne, précité, dans le contexte d’une question préjudicielle portant expressément sur le fait de savoir si
elle pouvait, en se fondant sur la législation nationale, suspendre l’annulation d’une mesure prise par un État membre qui s’est avérée avoir été adoptée en violation du droit de l’Union ( 15 ).

42. En l’espèce, il y a un manque d’informations concrètes concernant, entre autres, les effets pratiques du délai de trois mois pour l’adoption d’une nouvelle décision par le directeur général de l’Afssaps (l’actuelle ANSM) et pour la transposition par la République française de la directive 2001/83, telle que modifiée par la directive 2004/27, comme Octapharma l’a demandé dans son recours devant le Conseil d’État. Il n’y a pas non plus d’informations sur le fait de savoir si l’EFS est ou non
susceptible de s’implanter dans le secteur des médicaments et s’il est possible de remédier aux difficultés susmentionnées en ayant recours à l’article 126 bis de la directive 2001/83, telle que modifiée par la directive 2004/27 ( 16 ). Enfin, la possibilité d’une accélération des procédures législatives et administratives pertinentes n’a pas non plus été discutée ( 17 ).

43. Par ailleurs, une simple suspension des effets dans le temps conduirait, en l’espèce, à une situation dans laquelle Octapharma serait privée illégalement de la possibilité de demander une autorisation de mise sur le marché pour l’Octaplas en tant que médicament, dans l’hypothèse où la juridiction nationale considérait que ce produit correspond à la définition d’un médicament, résultat qui serait en conflit avec le principe général selon lequel les États membres sont tenus d’effacer les
conséquences illicites d’une violation du droit de l’Union ( 18 ).

44. À mon avis, si les organes compétents du gouvernement français doivent agir rapidement pour éviter les conséquences plus étendues en matière sociale et de santé publique découlant de la levée du monopole de l’EFS sur le plasma préparé industriellement, de sorte que l’autorisation pour sa mise sur le marché puisse être traitée en fonction des dispositions pertinentes du droit de l’Union, ces considérations restent éloignées de la question distincte de la qualification du produit sur laquelle la
Cour a été invitée à se prononcer.

IV – Conclusion

45. Compte tenu des considérations qui précèdent, je propose à la Cour de répondre aux questions déférées à titre préjudiciel par le Conseil d’État comme suit:

1) Le plasma issu de sang total à finalité transfusionnelle dans la production duquel intervient un processus industriel rentre exclusivement dans le champ d’application de la directive 2001/83/CE du Parlement européen et du Conseil, du 6 novembre 2001, instituant un code communautaire relatif aux médicaments à usage humain, telle que modifiée par la directive 2004/27/CE du Parlement européen et du Conseil, du 31 mars 2004, en ce qui concerne sa transformation, sa conservation et sa
distribution.

2) Eu égard à la réponse à la première question, il n’est pas nécessaire de répondre à la deuxième question.

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( 1 ) Langue originale: l’anglais.

( 2 ) Directive du Parlement européen et du Conseil du 6 novembre 2001 instituant un code communautaire relatif aux médicaments à usage humain (JO L 311, p. 67).

( 3 ) Directive du Parlement européen et du Conseil du 31 mars 2004 (JO L 136, p. 34).

( 4 ) Conformément au dossier de l’a présente affaire, ce produit est fabriqué avec du plasma frais congelé et viro‑atténué par solvant‑détergent.

( 5 ) Directive du Parlement européen et du Conseil du 27 janvier 2003 établissant des normes de qualité et de sécurité pour la collecte, le contrôle, la transformation, la conservation et la distribution du sang humain, et des composants sanguins, et modifiant la directive 2001/83/CE (JO L 33, p. 30).

( 6 ) Voir article 129 de la directive 2001/83.

( 7 ) Le texte original de l’article 109 de la directive 2001/83 prévoyait: «1. En ce qui concerne l’utilisation du sang ou du plasma humains en tant que matière première pour la fabrication des médicaments, les États membres prennent les mesures nécessaires pour éviter la transmission de maladies infectieuses. Dans la mesure où cela est couvert par les modifications prévues à l’article 121, paragraphe 1, outre l’application de monographies de la Pharmacopée européenne concernant le sang et le
plasma, ces mesures comprennent celles recommandées par le Conseil de l’Europe et l’Organisation mondiale de la santé [(OMS)], notamment en matière de sélection et de contrôle des donneurs de sang et de plasma. 2. Les États membres prennent toutes mesures utiles pour que les donneurs et les centres de prélèvement du sang et du plasma humains soient toujours clairement identifiables. 3. Toutes les garanties de sécurité visées aux paragraphes 1 et 2 doivent également être assurées par les importateurs
de sang et de plasma humains en provenance des pays tiers.»

( 8 ) Voir point 37 de mes conclusions dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 9 avril 2013, Commission/Irlande (C‑85/11); voir arrêt du 15 juillet 2010, Commission/Royaume‑Uni (C-582/08, Rec. p. I-7195, point 51), et point 52 de mes conclusions dans ce dernier arrêt.

( 9 ) Voir, également, considérants 2 et 15 de la directive 2002/98.

( 10 ) Arrêt du 20 septembre 2007, Antroposana e.a. (C-84/06, Rec. p. I-7609, points 40 à 42). Audit point 42, la Cour a jugé que la directive 2001/83 «a établi un cadre réglementaire complet en ce qui concerne les procédures d’enregistrement et d’autorisation de mise sur le marché des médicaments à usage humain». Voir, également, arrêt du 29 mars 2012, Commission/Pologne (C‑185/10).

( 11 ) Voir, notamment, arrêts du 21 mars 1991, Delattre (C-369/88, Rec. p. I-1487); du 28 octobre 1992, Ter Voort (C-219/91, Rec. p. I-5485); du 9 juin 2005, HLH Warenvertrieb et Orthica (C-211/03, C-299/03 et C-316/03 à C-318/03, Rec. p. I-5141); Antroposana e.a., précité; du 15 janvier 2009, Hecht‑Pharma (C-140/07, Rec. p. I-41); du 30 avril 2009, BIOS Naturprodukte (C-27/08, Rec. p. I-3785), ainsi que du 6 septembre 2012, Chemische Fabrik Kreussler (C‑308/11).

( 12 ) Arrêt du 6 mars 2007, Meilicke e.a. (C-292/04, Rec. p. I-1835, point 35). Voir, également, arrêt du 10 mai 2012, Santander Asset Management SGIIC e.a. (C‑338/11 à C‑347/11, points 56 à 63).

( 13 ) Arrêt du 28 février 2012 (C‑41/11, point 55).

( 14 ) Directive du Parlement européen et du Conseil du 27 juin 2001 relative à l’évaluation des incidences de certains plans et programmes sur l’environnement (JO L 197, p. 30).

( 15 ) Arrêt du 17 juin 2010, Terre wallonne et Inter‑Environnement Wallonie (C-105/09 et C-110/09, Rec. p. I-5611).

( 16 ) Aux termes dudit article 126 bis, en «l’absence d’autorisation de mise sur le marché ou de demande en instance pour un médicament autorisé dans un autre État membre conformément à la présente directive, un État membre peut, pour des raisons de santé publique justifiées, autoriser la mise sur le marché de ce médicament».

( 17 ) Selon l’annexe I, partie III, point 1.1, de la directive 2003/63/CE de la Commission, du 25 juin 2003, modifiant la directive 2001/83 (JO L 159, p. 46), pour les médicaments dérivés du sang ou du plasma humains, les exigences relatives aux matières de départ concernant les dossiers peuvent être remplacées par un Dossier Permanent du Plasma certifié conformément à ladite partie. Lorsqu’un Dossier Permanent du Plasma correspond uniquement à des médicaments dérivés du sang/plasma dont
l’autorisation de mise sur le marché est limitée à un seul État membre, l’évaluation scientifique et technique dudit Dossier Permanent du Plasma est réalisée par l’autorité compétente nationale de cet État membre.

( 18 ) Arrêt Inter‑Environnement Wallonie et Terre wallonne, précité (point 43).


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : C‑512/12
Date de la décision : 07/11/2013
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle, introduite par le Conseil d’État (France).

Rapprochement des législations – Directive 2001/83/CE – Directive 2002/98/CE – Champ d’application – Produit sanguin labile – Plasma préparé selon un processus industriel – Application simultanée ou exclusive des directives – Faculté pour un État membre de prévoir un régime plus rigoureux pour le plasma que pour les médicaments.

Rapprochement des législations

Santé publique


Parties
Demandeurs : Octapharma France SAS
Défendeurs : Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) et Ministère des Affaires sociales et de la Santé.

Composition du Tribunal
Avocat général : Jääskinen

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2013:727

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