ARRÊT DE LA COUR (cinquième chambre)
24 octobre 2013 ( *1 )
«Renvoi préjudiciel — Sécurité sociale — Règlement (CEE) no 1408/71 — Prestation familiale — Boni pour enfant — Réglementation nationale prévoyant l’octroi d’une prestation en tant que bonification d’office pour enfant — Non-cumul des prestations familiales»
Dans l’affaire C‑177/12,
ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par la Cour de cassation (Luxembourg), par décision du 29 mars 2012, parvenue à la Cour le 17 avril 2012, dans la procédure
Caisse nationale des prestations familiales
contre
Salim Lachheb,
Nadia Lachheb,
LA COUR (cinquième chambre),
composée de M. T. von Danwitz, président de chambre, MM. E. Juhász, A. Rosas (rapporteur), D. Šváby et C. Vajda, juges,
avocat général: M. M. Wathelet,
greffier: M. A. Calot Escobar,
vu la procédure écrite,
considérant les observations présentées:
— pour la Caisse nationale des prestations familiales, par Me A. Rodesch, avocat,
— pour M. et Mme Lachheb, par Me C. Rimondini, avocat,
— pour la Commission européenne, par MM. V. Kreuschitz et G. Rozet, en qualité d’agents,
vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,
rend le présent
Arrêt
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des articles 18 TFUE et 45 TFUE, des articles 1er, sous u), i), 3, et 4, paragraphe 1, sous h), du règlement (CEE) no 1408/71 du Conseil, du 14 juin 1971, relatif à l’application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non-salariés et aux membres de leur famille qui se déplacent à l’intérieur de la Communauté, dans sa version modifiée et mise à jour par le règlement (CE) no 118/97 du Conseil, du
2 décembre 1996 (JO 1997, L 28, p. 1), tel que modifié par le règlement (CE) no 647/2005 du Parlement européen et du Conseil, du 13 avril 2005 (JO L 117, p. 1, ci-après le «règlement no 1408/71»), ainsi que de l’article 7 du règlement (CEE) no 1612/68 du Conseil, du 15 octobre 1968, relatif à la libre circulation des travailleurs à l’intérieur de la Communauté (JO L 257, p. 2).
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant la Caisse nationale des prestations familiales (ci-après la «CNPF») à M. et Mme Lachheb, résidents français dont l’un travaille au Luxembourg et l’autre en France, au sujet d’une décision de la CNPF d’intégrer une prestation dénommée «boni pour enfant» dans la base de calcul destinée à déterminer le montant des prestations familiales devant bénéficier à M. et Mme Lachheb à charge de l’État luxembourgeois.
Le cadre juridique
Le droit de l’Union
3 Les considérants 1, 5, 8 et 10 du règlement no 1408/71 sont libellés comme suit:
«considérant que les règles de coordination des législations nationales de sécurité sociale s’inscrivent dans le cadre de la libre circulation des personnes et doivent contribuer à l’amélioration de leur niveau de vie et des conditions de leur emploi;
[...]
considérant qu’il convient, dans le cadre de cette coordination, de garantir à l’intérieur de la Communauté aux travailleurs ressortissants des États membres ainsi qu’à leurs ayants droit et leurs survivants, l’égalité de traitement au regard des différentes législations nationales;
[...]
considérant qu’il convient de soumettre les travailleurs salariés et non-salariés qui se déplacent à l’intérieur de la Communauté au régime de la sécurité sociale d’un seul État membre, de sorte que les cumuls de législations nationales applicables et les complications qui peuvent en résulter soient évités;
[...]
considérant que, en vue de garantir le mieux l’égalité de traitement de tous les travailleurs occupés sur le territoire d’un État membre, il est approprié de déterminer comme législation applicable, en règle générale, la législation de l’État membre sur le territoire duquel l’intéressé exerce son activité salariée ou non salariée».
4 L’article 1er de ce règlement énonce les définitions applicables dans le cadre de celui-ci.
5 L’article 1er, sous u), dudit règlement dispose ainsi:
«i) le terme ‘prestations familiales’ désigne toutes les prestations en nature ou en espèces destinées à compenser les charges de famille dans le cadre d’une législation prévue à l’article 4 paragraphe 1 point h), à l’exclusion des allocations spéciales de naissance ou d’adoption mentionnées à l’annexe II;
ii) le terme ‘allocations familiales’ désigne les prestations périodiques en espèces accordées exclusivement en fonction du nombre et, le cas échéant, de l’âge des membres de la famille».
6 L’article 3, paragraphe 1, du même règlement prévoit:
«Les personnes auxquelles les dispositions du présent règlement sont applicables sont soumises aux obligations et sont admises au bénéfice de la législation de tout État membre dans les mêmes conditions que les ressortissants de celui-ci, sous réserve de dispositions particulières contenues dans le présent règlement.»
7 Aux termes de l’article 4, paragraphe 1, sous h), du règlement no 1408/71, celui-ci s’applique à toutes les législations relatives aux branches de sécurité sociale qui concernent les prestations familiales.
8 En vertu de son article 4, paragraphe 2, ce règlement s’applique aux régimes de sécurité sociale généraux et spéciaux, contributifs et non contributifs, ainsi qu’aux régimes relatifs aux obligations de l’employeur ou de l’armateur concernant les prestations visées au paragraphe 1.
9 L’article 5 dudit règlement est libellé dans les termes suivants:
«Les États membres mentionnent les législations et régimes visés à l’article 4 paragraphes 1 et 2, les prestations spéciales à caractère non contributif visées à l’article 4 paragraphe 2 bis, les prestations minimales visées à l’article 50 ainsi que les prestations visées aux articles 77 et 78, dans les déclarations notifiées et publiées conformément à l’article 97.»
10 Sous l’intitulé «Règles générales», l’article 13 du même règlement dispose:
«1. Sous réserve de l’article 14 quater et 14 septies, les personnes auxquelles le présent règlement est applicable ne sont soumises qu’à la législation d’un seul État membre. Cette législation est déterminée conformément aux dispositions du présent titre.
2. Sous réserve des articles 14 à 17:
a) la personne qui exerce une activité salariée sur le territoire d’un État membre est soumise à la législation de cet État, même si elle réside sur le territoire d’un autre État membre ou si l’entreprise ou l’employeur qui l’occupe a son siège ou son domicile sur le territoire d’un autre État membre;
[...]»
11 L’article 73 du règlement no 1408/71 prévoit:
«Le travailleur salarié ou non salarié soumis à la législation d’un État membre a droit, pour les membres de sa famille qui résident sur le territoire d’un autre État membre, aux prestations familiales prévues par la législation du premier État, comme s’ils résidaient sur le territoire de celui-ci, sous réserve des dispositions de l’annexe VI.»
12 L’article 76 de ce règlement est libellé comme suit:
«1. Lorsque des prestations familiales sont, au cours de la même période, pour le même membre de la famille et au titre de l’exercice d’une activité professionnelle, prévues par la législation de l’État membre sur le territoire duquel les membres de la famille résident, le droit aux prestations familiales dues en vertu de la législation d’un autre État membre, le cas échéant en application des articles 73 ou 74, est suspendu jusqu’à concurrence du montant prévu par la législation du premier
État membre.
2. Si une demande de prestations n’est pas introduite dans l’État membre sur le territoire duquel les membres de la famille résident, l’institution compétente de l’autre État membre peut appliquer les dispositions du paragraphe 1 comme si des prestations étaient octroyées dans le premier État membre.»
13 L’article 7, paragraphes 1 et 2, du règlement no 1612/68 dispose:
«1. Le travailleur ressortissant d’un État membre ne peut, sur le territoire des autres États membres, être, en raison de sa nationalité, traité différemment des travailleurs nationaux, pour toutes conditions d’emploi et de travail, notamment en matière de rémunération, de licenciement, et de réintégration professionnelle ou de réemploi s’il est tombé en chômage.
2. Il y bénéficie des mêmes avantages sociaux et fiscaux que les travailleurs nationaux.»
14 L’article 10, paragraphe 1, du règlement (CEE) no 574/72 du Conseil, du 21 mars 1972, fixant les modalités d’application du règlement no 1408/71 (JO L 74, p. 1), dans sa version modifiée et mise à jour par le règlement no 118/97 (ci-après le «règlement no 574/72»), prévoit:
«a) Le droit aux prestations ou allocations familiales dues en vertu de la législation d’un État membre selon laquelle l’acquisition du droit à ces prestations ou allocations n’est pas subordonnée à des conditions d’assurance, d’emploi ou d’activité non salariée est suspendu lorsque, au cours d’une même période et pour le même membre de la famille, des prestations sont dues soit en vertu de la seule législation nationale d’un autre État membre, soit en application des articles 73, 74, 77 ou 78 du
règlement [no 1408/71], et ce jusqu’à concurrence du montant de ces prestations.
b) Toutefois, si une activité professionnelle est exercée sur le territoire du premier État membre:
i) dans le cas des prestations dues, soit en vertu de la seule législation nationale d’un autre État membre, soit en vertu des articles 73 ou 74 du règlement, par la personne ayant droit aux prestations familiales ou par la personne à qui elles sont servies, le droit aux prestations familiales dues, soit en vertu de la seule législation nationale de cet autre État membre, soit en vertu de ces articles, est suspendu jusqu’à concurrence du montant des prestations familiales prévu par la
législation de l’État membre sur le territoire duquel réside le membre de la famille. Les prestations versées par l’État membre sur le territoire duquel réside le membre de la famille sont à la charge de cet État membre;
[...]»
15 Il convient de relever, d’une part, que le règlement no 1408/71 a été remplacé par le règlement (CE) no 883/2004 du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale (JO L 166, p. 1), et, d’autre part, que le règlement no 574/72 a été remplacé par le règlement (CE) no 987/2009 du Parlement européen et du Conseil, du 16 septembre 2009, fixant les modalités d’application du règlement no 883/2004 (JO L 284, p. 1), ces nouveaux règlements
étant devenus applicables le 1er mai 2010, conformément à l’article 91 du règlement no 883/2004 et à l’article 97 du règlement no 987/2009. Toutefois, eu égard à l’époque des faits en cause au principal, ceux-ci demeurent régis par les règlements nos 1408/71 et 574/72.
Le droit luxembourgeois
16 La loi du 21 décembre 2007 portant introduction de la loi concernant le boni pour enfant (Mémorial A 2007, p. 3949) a modifié, à compter de l’année 2008, le système de la modération d’impôt pour enfant prévu par la réglementation luxembourgeoise. L’article 5 de cette loi, qui figure sous le titre II de celle-ci, dispose:
«Est introduite la loi du 21 décembre 2007 concernant le boni pour enfant.
Les articles de la loi précitée prennent la teneur suivante:
“Art. 1er.
Pour tout enfant vivant, soit dans le ménage commun de ses père et mère, soit dans le ménage de celui de ses père ou mère qui en assure seul l’éducation et l’entretien, et ouvrant droit aux allocations familiales conformément à l’article 1er de la loi modifiée du 19 juin 1985 concernant les allocations familiales et portant création de la Caisse nationale des prestations familiales [(Mémorial A 1985, p. 680)], il est octroyé un boni pour enfant à titre de bonification d’office de la modération
d’impôt prévue à l’article 122 de la loi modifiée du 4 décembre 1967 concernant l’impôt sur le revenu.
Art. 2.
Le boni pour enfant est fixé à 922,5 [euros] par an. Il est versé au cours de l’année d’imposition à laquelle il se rapporte suivant des modalités à déterminer par le règlement grand-ducal visé à l’article 6.
Le paiement se fait par la [CNPF] avec effet libératoire à l’attributaire des allocations familiales défini à l’article 5, alinéas 1er et 4, ou, dans le cas de l’enfant dont l’un des parents assure seul l’éducation et l’entretien au parent attributaire prévu à l’article 5, alinéa 2, première phrase, de la loi modifiée du 19 juin 1985 concernant les allocations familiales et portant création de la Caisse nationale des prestations familiales, ensemble avec le paiement des allocations familiales.
[...]
Art. 4.
Sont en outre applicables pour l’exécution de la présente loi, sauf adaptation terminologique s’il y a lieu, les articles 23, alinéas 2 à 3, 24, 26, 27, 28, 29, 30, 31 de la loi modifiée du 19 juin 1985 concernant les allocations familiales et portant création de la Caisse nationale des prestations familiales et les articles 208, alinéa 4, 273, alinéa 5, 276, 278, alinéas l et 2, 291, 292 bis, 302, alinéa 4, 311, 333, 334, alinéa 1, du code des assurances sociales.
Art. 5.
La première phrase de l’alinéa 1er de l’article 6 de la loi modifiée du 19 juin 1985 concernant les allocations familiales et portant création de la Caisse nationale des prestations familiales est complétée par ‘du boni pour enfant’ qui est intercalé après ‘de rentrée scolaire’.
Art. 6.
Un règlement grand-ducal peut préciser les modalités d’application de la présente loi.”
[...]»
17 L’article 29 de la loi du 19 juin 1985 concernant les allocations familiales et portant création de la Caisse nationale des prestations familiales, auquel l’article 4 de la loi du 21 décembre 2007 concernant le boni pour enfant renvoie pour son exécution, est devenu, à la suite de l’entrée en vigueur de la loi du 13 mai 2008 portant introduction d’un statut unique (Mémorial A 2008, p. 790), l’article 317 du code de la sécurité sociale. Aux termes dudit article 29:
«Il n’est dû en toute hypothèse qu’une allocation de même nature par enfant.
Il est pourvu par règlement grand-ducal à la prévention ou la restriction du cumul, à concurrence de l’allocation la plus élevée, des prestations prévues au présent livre avec celles prévues aux mêmes fins par un régime non luxembourgeois.»
18 L’article 1er du règlement grand-ducal du 19 décembre 2008 fixant les modalités de paiement du boni pour enfant à partir de l’année 2009 (Mémorial A 2008, p. 3305, ci-après le «règlement grand-ducal du 19 décembre 2008»), pris en exécution de l’article 6 de la loi du 21 décembre 2007 concernant le boni pour enfant, prévoit:
«À partir du premier janvier 2009, le boni pour enfant est versé par tranches mensuelles de 76,88 [euros] par enfant pour chaque mois au cours duquel l’enfant bénéficiaire visé à l’article 1er de la loi du 21 décembre 2007 concernant le boni pour enfant ouvre droit aux allocations familiales intégrales. [...]
Par exception à l’alinéa 1er, le boni est intégré au complément différentiel à concurrence d’un montant de 76,88 [euros] par enfant pour chaque mois au cours duquel l’enfant bénéficiaire ouvre droit à des prestations familiales différentielles accordées au titre d’une affiliation obligatoire auprès de la sécurité sociale luxembourgeoise. Le complément différentiel est versé annuellement ou semestriellement sur présentation d’une attestation de paiement de prestations non luxembourgeoises touchées
pendant la période de référence.
Le versement du boni se fait selon les mêmes modalités que les allocations familiales.»
Le litige au principal et les questions préjudicielles
19 M. et Mme Lachheb résident avec leurs enfants à Mondelange (France). Il ressort du dossier soumis à la Cour, d’une part, que M. Lachheb exerce une activité salariée au Luxembourg, tandis que son épouse travaille en France, et, d’autre part, que M. et Mme Lachheb ont droit, en vertu de la réglementation luxembourgeoise, au paiement d’un «complément différentiel» par la CNPF, dont le montant correspond à la différence entre les prestations familiales auxquelles ils ont droit de la part de l’État
dans lequel M. Lachheb occupe un emploi, à savoir le Grand-Duché de Luxembourg, et celles auxquelles ils peuvent prétendre à charge de leur État de résidence, à savoir la République française.
20 Sur opposition de M. et Mme Lachheb, le comité directeur de la CNPF a confirmé une décision du président de cette dernière qui, à partir du mois d’avril 2009, avait pris en compte le boni pour enfant, dû à M. et Mme Lachheb conformément à la réglementation luxembourgeoise, pour le calcul du complément différentiel prévu à l’article 1er, deuxième alinéa, du règlement grand-ducal du 19 décembre 2008.
21 Sur recours de M. et Mme Lachheb, le Conseil arbitral de la sécurité sociale a réformé cette décision, par jugement du 7 février 2011, en refusant, sur le fondement de l’article 95 de la Constitution, d’appliquer le règlement grand-ducal du 19 décembre 2008 en raison de sa non-conformité avec la loi du 21 décembre 2007 concernant le boni pour enfant, cette loi garantissant que les modérations d’impôt pour enfants ouvrant droit aux allocations familiales sont payées sous la forme de bonis pour
enfant à titre de bonification d’office. Ledit Conseil arbitral a déclaré que M. et Mme Lachheb avaient droit au maintien, à compter du mois d’avril 2009, du boni pour enfant prévu à titre de bonification d’office de la modération d’impôt.
22 La CNPF s’est pourvue en cassation contre ce jugement devant la juridiction de renvoi, faisant valoir cinq moyens dont les trois premiers sont tirés de la violation, du refus d’application, de la mauvaise application ou de la mauvaise interprétation des articles 1er, sous u), i), 3, paragraphe 1, 4, paragraphe 1, sous h), et 76, paragraphe 1, du règlement no 1408/71 ainsi que de l’article 10 du règlement no 574/72.
23 La juridiction de renvoi observe que le boni pour enfant prévu par la réglementation luxembourgeoise est considéré par celle-ci comme une prestation familiale à laquelle s’appliquent les règles de non-cumul prévues en cette matière.
24 Selon ladite juridiction, le mécanisme du complément différentiel, repris du droit de l’Union et auquel se réfère le règlement grand-ducal du 19 décembre 2008, est pertinent s’il est appliqué à une prestation qualifiée de prestation familiale, au sens des articles 1er, sous u), i), et 4, paragraphe 1, sous h), du règlement no 1408/71. En revanche, si le mécanisme du complément différentiel est appliqué à des avantages ne constituant pas des prestations de sécurité sociale au sens dudit règlement,
cette application, qui aurait pour effet de priver une partie des travailleurs frontaliers se déplaçant d’autres États membres vers le Luxembourg pour y exercer une activité professionnelle du paiement intégral du boni pour enfant alors que celui-ci serait alloué intégralement aux travailleurs résidant au Luxembourg, risquerait de constituer une mesure discriminatoire au sens de l’article 7 du règlement no 1612/68, des articles 18 TFUE et 45 TFUE ainsi que de l’article 3 du règlement no 1408/71.
25 Éprouvant des doutes quant à la qualification, en tant que prestation familiale au sens des articles 1er, sous u), i), et 4, paragraphe 1, sous h), du règlement no 1408/71, d’une prestation telle que le boni pour enfant prévu par la réglementation luxembourgeoise, la Cour de cassation a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:
«1) Une prestation telle que celle prévue par la loi du 21 décembre 2007 concernant le boni pour enfant constitue-t-elle une prestation familiale au sens des articles 1er, sous u), i), et 4, paragraphe 1, sous h), du règlement [no 1408/71]?
2) En cas de réponse négative à la première question, est-ce que les articles 18 [TFUE] et 45 [TFUE], [l’article] 7 du règlement [no 1612/68] ou [l’article] 3 du règlement [no 1408/71] s’opposent à une réglementation nationale du type de celle en cause au principal en vertu de laquelle l’octroi d’une prestation telle que celle prévue par la loi du 21 décembre 2007 concernant le boni pour enfant aux travailleurs qui exercent leur activité professionnelle sur le territoire de l’État membre concerné
et résident avec les membres de leur famille sur le territoire d’un autre État membre est suspendu jusqu’à concurrence du montant des prestations familiales prévues pour les membres de leur famille par la législation de l’État membre de résidence, la réglementation nationale obligeant de faire application à la prestation concernée des règles de non-cumul des prestations familiales prévues [à l’article] 76 du règlement [no 1408/71] et [à l’article] 10 du règlement [no 574/72]?»
Sur les questions préjudicielles
Sur la première question
26 Par sa première question, la juridiction de renvoi cherche à savoir si les articles 1er, sous u), i), et 4, paragraphe 1, sous h), du règlement no 1408/71 doivent être interprétés en ce sens qu’une prestation telle que le boni pour enfant instauré par la loi du 21 décembre 2007 concernant le boni pour enfant constitue une prestation familiale au sens de ce règlement.
27 Il importe de rappeler, à titre liminaire, que conformément à la lettre de l’article 4, paragraphe 1, du règlement no 1408/71 qui mentionne expressément les «législations relatives aux branches de sécurité sociale», le champ d’application matériel de ce règlement s’étend à toutes les législations des États membres relatives aux branches de sécurité sociale énumérées aux points a) à h) de cette même disposition.
28 Plus particulièrement, la Cour a itérativement jugé que la distinction entre prestations exclues du champ d’application du règlement no 1408/71 et prestations qui en relèvent repose essentiellement sur les éléments constitutifs de chaque prestation, notamment ses finalités et ses conditions d’octroi, et non pas sur le fait qu’une prestation est qualifiée ou non par une législation nationale de prestation de sécurité sociale (voir arrêt du 16 juillet 1992, Hughes, C-78/91, Rec. p. I-4839,
point 14). De plus, la Cour a eu l’occasion de préciser que ne doivent pas être considérées comme éléments constitutifs pour la classification des prestations des caractéristiques seulement formelles (voir arrêt du 11 septembre 2008, Petersen, C-228/07, Rec. p. I-6989, point 21 et jurisprudence citée). Il s’ensuit que le fait qu’une prestation relève du droit national fiscal n’est pas décisif pour l’appréciation de ses éléments constitutifs.
29 Pour cette appréciation, il convient, en premier lieu, d’examiner si le boni pour enfant, tel que celui en cause au principal, doit être considéré comme une «prestation de sécurité sociale» au sens du règlement no 1408/71.
30 Selon une jurisprudence constante, une prestation peut être considérée comme une prestation de sécurité sociale dans la mesure où elle est octroyée aux bénéficiaires en dehors de toute appréciation individuelle et discrétionnaire des besoins personnels, sur la base d’une situation légalement définie, et où elle se rapporte à l’un des risques expressément énumérés à l’article 4, paragraphe 1, du règlement no 1408/71 (voir, notamment, arrêt du 21 juillet 2011, Stewart, C-503/09, Rec. p. I-6497,
point 32 et jurisprudence citée).
31 Comme le font valoir la CNPF et la Commission, la prestation en cause au principal est, d’une part, octroyée automatiquement lorsqu’un enfant est à charge et pour compenser les charges liées à l’entretien de cet enfant et elle correspond, d’autre part, à un forfait, attribué automatiquement, sans aucun lien avec les revenus ou les impôts dus par le demandeur. Dès lors, une prestation telle que celle en cause au principal constitue bien une prestation de sécurité sociale.
32 Par ailleurs, la Cour a déjà jugé que le mode de financement d’une prestation est sans importance pour la qualification de celle-ci en tant que prestation de sécurité sociale, ainsi que le prouve le fait que, selon l’article 4, paragraphe 2, du règlement no 1408/71, les prestations non contributives ne sont pas exclues du champ d’application dudit règlement (voir arrêt Hughes, précité, point 21). De la même manière, la Cour a eu l’occasion de préciser que le mécanisme juridique auquel l’État
membre recourt pour mettre en œuvre la prestation n’importe pas pour la qualification de celle-ci en tant que prestation de sécurité sociale (voir, en ce sens, arrêt du 15 mars 2001, Offermanns, C-85/99, Rec. p. I-2261, point 46).
33 En second lieu, il convient de déterminer précisément la nature de la prestation en cause au principal. Pour distinguer entre les différentes catégories de prestations de sécurité sociale, il convient de prendre en considération le risque couvert par chaque prestation (arrêt du 18 juillet 2006, De Cuyper, C-406/04, Rec. p. I-6947, point 27).
34 Plus particulièrement, selon l’article 1er, sous u), i), du règlement no 1408/71, «le terme ‘prestations familiales’ désigne toutes les prestations en nature ou en espèces destinées à compenser les charges de famille». À cet égard, la Cour a jugé que les prestations familiales sont destinées à aider socialement les travailleurs ayant charge de famille en faisant participer la collectivité à ces charges (voir arrêts du 4 juillet 1985, Kromhout, 104/84, Rec. p. 2205, point 14, ainsi que du
19 septembre 2013, Hliddal et Bornand, C‑216/12 et C‑217/12, point 54 et jurisprudence citée).
35 L’expression «compenser les charges de famille», figurant à l’article 1er, sous u), i), du règlement no 1408/71, doit être interprétée en ce sens qu’elle vise, notamment, une contribution publique au budget familial, destinée à alléger les charges découlant de l’entretien des enfants (arrêts Offermanns, précité, point 41, et du 7 novembre 2002, Maaheimo, C-333/00, Rec. p. I-10087, point 25).
36 Dans l’affaire au principal, force est de constater, comme le soulignent la CNPF et la Commission et comme il ressort du dossier soumis à la Cour, que le boni pour enfant, qui est versé pour chaque enfant à charge, représente une contribution publique au budget familial destinée à alléger les charges découlant de l’entretien des enfants et constitue dès lors une prestation familiale au sens de l’article 1er, sous u), i), du règlement no 1408/71.
37 À cet égard, le fait que la contribution publique au budget familial prenne la forme d’une prestation en espèces payée au titre du droit fiscal national et que le boni pour enfant ait pour origine une modération d’impôt pour enfant ne remet pas en cause la qualification de «prestation familiale» d’une telle prestation, en vertu des principes rappelés au point 32 du présent arrêt.
38 Il ressort de l’ensemble des considérations qui précèdent qu’une prestation, telle que le boni pour enfant en cause au principal, constitue une prestation familiale au sens de l’article 1er, sous u), i), du règlement no 1408/71.
39 Il y a donc lieu de répondre à la première question que les articles 1er, sous u), i), et 4, paragraphe 1, sous h), du règlement no 1408/71 doivent être interprétés en ce sens qu’une prestation telle que le boni pour enfant instauré par la loi du 21 décembre 2007 concernant le boni pour enfant constitue une prestation familiale au sens de ce règlement.
Sur la seconde question
40 Compte tenu de la réponse apportée à la première question, il n’y a pas lieu de répondre à la seconde question.
Sur les dépens
41 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (cinquième chambre) dit pour droit:
Les articles 1er, sous u), i), et 4, paragraphe 1, sous h), du règlement (CEE) no 1408/71 du Conseil, du 14 juin 1971, relatif à l’application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non-salariés et aux membres de leur famille qui se déplacent à l’intérieur de la Communauté, dans sa version modifiée et mise à jour par le règlement (CE) no 118/97 du Conseil, du 2 décembre 1996, tel que modifié par le règlement (CE) no 647/2005 du Parlement européen et du Conseil,
du 13 avril 2005, doivent être interprétés en ce sens qu’une prestation telle que le boni pour enfant instauré par la loi du 21 décembre 2007 concernant le boni pour enfant constitue une prestation familiale au sens de ce règlement.
Signatures
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( *1 ) Langue de procédure: le français.