CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL
M. YVES BOT
présentées le 10 septembre 2013 ( 1 )
Affaire C‑43/12
Commission européenne
contre
Parlement européen,
Conseil de l’Union européenne
«Directive 2011/82/UE — Échange transfrontalier d’informations concernant les infractions en matière de sécurité routière — Choix de la base juridique — Article 87, paragraphe 2, sous a), TFUE — Article 91, paragraphe 1, sous c), TFUE»
1. Par le présent recours, la Commission européenne conteste la base juridique sur laquelle a été adoptée la directive 2011/82/UE du Parlement européen et du Conseil, du 25 octobre 2011, facilitant l’échange transfrontalier d’informations concernant les infractions en matière de sécurité routière ( 2 ) (ci-après la «directive»).
2. Cette directive met en place un système d’échange d’informations qui permet à l’autorité compétente de l’État membre dans lequel une infraction aux règles de circulation routière a été commise d’obtenir, auprès de l’État membre d’immatriculation, les données qui lui permettront d’identifier la personne responsable de l’infraction constatée.
3. Initialement, la Commission avait fondé sa proposition de directive du Parlement européen et du Conseil facilitant l’application transfrontière de la législation dans le domaine de la sécurité routière ( 3 ) sur l’article 71, paragraphe 1, sous c), CE, lequel correspond désormais à l’article 91, paragraphe 1, sous c), TFUE.
4. Cette dernière disposition fait partie du titre VI de la troisième partie du traité FUE, relatif aux transports. Elle est ainsi rédigée:
«En vue de réaliser la mise en œuvre de l’article 90 et compte tenu des aspects spéciaux des transports, le Parlement européen et le Conseil [de l’Union européenne], statuant conformément à la procédure législative ordinaire et après consultation du Comité économique et social [européen] et du Comité des régions [de l’Union européenne], établissent:
[…]
c) les mesures permettant d’améliorer la sécurité des transports;
[…]»
5. Après de longues et difficiles négociations ayant conduit à réduire le contenu de la directive, le Conseil a considéré que la directive devait être adoptée non pas dans le cadre de la politique commune des transports, mais sur le fondement de l’article 87, paragraphe 2, TFUE, lequel fait partie du chapitre 5 («Coopération policière») du titre V («L’espace de liberté, de sécurité et de justice») de la troisième partie du traité FUE. En accord avec le Parlement, c’est cette base juridique qui a
été finalement retenue.
6. L’article 87, paragraphe 1, TFUE dispose que l’«Union développe une coopération policière qui associe toutes les autorités compétentes des États membres, y compris les services de police, les services des douanes et autres services répressifs spécialisés dans les domaines de la prévention ou de la détection des infractions pénales et des enquêtes en la matière».
7. Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, TFUE:
«Aux fins du paragraphe 1, le Parlement européen et le Conseil, statuant conformément à la procédure législative ordinaire peuvent établir des mesures portant sur:
a) la collecte, le stockage, le traitement, l’analyse et l’échange d’informations pertinentes;
[…]»
8. Au soutien de sa position selon laquelle la directive aurait dû être fondée sur l’article 91, paragraphe 1, sous c), TFUE, la Commission met en avant le fait que la directive a pour objectif principal l’amélioration de la sécurité routière et que cet objectif relève de la politique commune des transports. Le mécanisme d’échange d’informations mis en place par la directive ne serait qu’un moyen pour atteindre un tel objectif.
9. Elle fait également valoir que l’article 87, paragraphe 2, TFUE a un champ d’application limité à la matière pénale, de sorte que cette disposition ne pourrait servir de base juridique que pour la création d’un système d’échange d’informations concernant des infractions pénales. Pour définir ce que recouvre la notion de matière pénale en droit de l’Union, une référence aux qualifications retenues en droit national devrait être maintenue. Seules les infractions faisant formellement partie du
droit pénal des États membres pourraient donc faire l’objet d’un échange d’informations au titre de l’article 87, paragraphe 2, TFUE.
10. Eu égard à la conception ainsi retenue par la Commission du champ d’application de cette disposition, le mécanisme d’échange d’informations mis en place par la directive ne relèverait pas, selon elle, de la coopération policière au sens de l’article 87 TFUE. En effet, les infractions routières qui sont visées par la directive ne seraient pas exclusivement qualifiées d’«infractions pénales» dans les droits des États membres. Un examen des systèmes juridiques de ces États ferait ainsi apparaître
que ces infractions relèvent tantôt du droit administratif, tantôt du droit pénal desdits États. Le constat selon lequel des infractions routières peuvent être considérées dans certains États membres comme constituant des infractions administratives empêcherait donc l’Union européenne de mettre en place, sur le fondement de l’article 87, paragraphe 2, TFUE, un système d’échange d’informations relatif aux infractions routières.
11. Le Parlement et le Conseil contestent l’approche défendue par la Commission, de même que tous les États membres qui sont intervenus dans le cadre du présent recours ( 4 ).
12. Pour les raisons que nous allons à présent développer, nous pensons également que la Commission défend une conception trop restrictive du champ d’application de l’article 87, paragraphe 2, TFUE et que cette disposition constituait bien la base juridique correcte du système d’échange d’informations mis en place par la directive.
I – Notre appréciation
13. Le présent recours invite à déterminer si un système d’échange d’informations permettant d’identifier les personnes ayant commis une infraction routière dans un État membre autre que leur État d’immatriculation relève ou non de la coopération policière régie par l’article 87 TFUE, alors même qu’un tel système vise à améliorer la sécurité routière et que les infractions en cause ne sont pas qualifiées d’«infractions pénales» dans l’ensemble des États membres.
14. Nous précisons d’emblée, même si cela peut être considéré comme allant de soi, que la détermination de la base juridique appropriée pour l’adoption de la directive ne doit en aucune façon être influencée par les particularités institutionnelles qui distinguent encore, après le traité de Lisbonne, le titre V de la troisième partie du traité FUE, relatif à l’espace de liberté, de sécurité et de justice des autres politiques sectorielles. Nous pensons, en particulier, au protocole (no 21) sur la
position du Royaume-Uni et de l’Irlande à l’égard de l’espace de liberté, de sécurité et de justice, annexé aux traités UE et FUE, ainsi qu’au protocole (no 22) sur la position du Danemark, annexé aux mêmes traités.
15. Selon une jurisprudence constante, le choix de la base juridique d’un acte de l’Union doit se fonder sur des éléments objectifs susceptibles de contrôle juridictionnel, parmi lesquels figurent la finalité et le contenu de cet acte. Si l’examen d’une mesure démontre qu’elle poursuit deux finalités ou qu’elle a deux composantes et si l’une de ces finalités ou de ces composantes est identifiable comme étant principale tandis que l’autre n’est qu’accessoire, l’acte doit être fondé sur une seule base
juridique, à savoir celle exigée par la finalité ou la composante principale ou prépondérante ( 5 ).
16. Comme l’indique son article 1er, la directive «vise à assurer un niveau élevé de protection de tous les usagers de la route dans l’Union en facilitant l’échange transfrontalier d’informations concernant les infractions en matière de sécurité routière et, partant, l’application des sanctions, lorsque lesdites infractions ont été commises dans un État membre autre que celui où le véhicule a été immatriculé».
17. En visant ainsi à assurer un niveau élevé de protection à tous les usagers de la route dans l’Union, il est incontestable que le législateur de l’Union poursuit l’objectif d’améliorer la sécurité dont doivent bénéficier ces usagers lorsqu’ils empruntent les routes des États membres, en réduisant le nombre de tués et de blessés ainsi que les dégâts matériels. Cet objectif est mis en avant notamment aux considérants 1, 6, 15 et 26 de la directive.
18. Il est vrai que, comme le précise le considérant 1 de la directive, l’«amélioration de la sécurité routière est un objectif central de la politique des transports de l’Union». Il peut, d’ailleurs, être déduit de la jurisprudence de la Cour que le législateur de l’Union est habilité, sur le fondement de l’article 91, paragraphe 1, sous c), TFUE, à adopter des dispositions communes tendant à améliorer la sécurité routière ( 6 ).
19. Pour autant, le constat selon lequel la directive vise à améliorer la sécurité routière ne nous paraît pas suffisant pour faire entrer celle-ci dans le champ de la politique des transports et l’exclure du champ de la coopération policière régie par l’article 87 TFUE.
20. En effet, l’objectif visant à assurer un niveau élevé de protection pour tous les usagers de la route dans l’Union nous paraît également pouvoir être rattaché à celui poursuivi dans le cadre du titre V de la troisième partie du traité FUE, relatif à l’espace de liberté, de sécurité et de justice, à savoir, aux termes de l’article 67, paragraphe 3, TFUE, atteindre un niveau élevé de sécurité.
21. De plus, la mise en œuvre d’une coopération policière dans le cadre de l’article 87 TFUE, en permettant une répression plus efficace d’une catégorie d’infractions, peut tout à fait viser un objectif d’intérêt général également poursuivi dans le cadre d’une politique sectorielle telle que la politique des transports.
22. Nous notons à ce propos que, dans le cadre du domaine voisin de la coopération judiciaire en matière pénale, l’article 83, paragraphe 2, TFUE permet à l’Union d’établir des règles minimales relatives à la définition des infractions pénales et des sanctions, lorsque le rapprochement des dispositions législatives et réglementaires des États membres en matière pénale s’avère indispensable pour assurer la mise en œuvre efficace d’une politique de l’Union dans un domaine ayant fait l’objet de mesures
d’harmonisation ( 7 ). L’existence d’une base juridique permettant l’harmonisation du droit pénal des États membres lorsque cela est nécessaire pour atteindre les objectifs poursuivis dans le cadre des politiques sectorielles démontre que la frontière n’est pas étanche entre, d’une part, les bases juridiques des politiques sectorielles et, d’autre part, celles permettant d’établir une coopération policière ou judiciaire dans le cadre du titre V de la troisième partie du traité FUE. Ainsi, une
réglementation de l’Union qui aurait pour objet d’établir des règles minimales relatives à la définition des infractions pénales et des sanctions en matière de circulation routière aurait bien pour objectif d’améliorer la sécurité routière, mais relèverait pourtant de l’article 83, paragraphe 2, TFUE.
23. Dans le même ordre d’idées, nous aurons plus loin l’occasion d’évoquer un acte de droit dérivé relevant de la coopération judiciaire en matière pénale, à savoir la décision-cadre 2005/214/JAI du Conseil, du 24 février 2005, concernant l’application du principe de reconnaissance mutuelle aux sanctions pécuniaires ( 8 ), qui, en permettant la reconnaissance des sanctions pécuniaires infligées en cas d’infractions routières, contribue incontestablement à l’objectif d’amélioration de la sécurité
routière.
24. Il doit donc être déduit de ces éléments que la coopération judiciaire en matière pénale, telle que conçue par le traité de Lisbonne, peut poursuivre des objectifs d’intérêt général relevant des politiques sectorielles. Nous ne voyons pas pourquoi il devrait en aller différemment s’agissant de la coopération policière.
25. Il découle de ces premières considérations que le constat selon lequel la directive vise l’amélioration de la sécurité routière n’est pas, en soi, déterminant pour décider lequel des articles 87, paragraphe 2, TFUE ou 91, paragraphe 1, sous c), TFUE constitue la base juridique correcte de la directive.
26. Il convient donc d’approfondir l’examen des finalités poursuivies par la directive en ne nous limitant pas à l’objectif affiché d’amélioration de la sécurité routière.
27. En décidant d’adopter la directive, le législateur de l’Union est parti d’un constat simple, à savoir que le développement de la libre circulation des personnes au sein de l’Union est souvent synonyme d’impunité en matière d’infractions routières.
28. Comme l’indique l’exposé des motifs de la proposition de directive, susmentionnée, la nécessité de mettre en place un système d’échange d’informations est née de ce que les infractions routières restent souvent impunies lorsqu’elles sont commises avec un véhicule immatriculé dans un État membre autre que celui de l’infraction. Le problème se pose en particulier pour les infractions enregistrées automatiquement à l’aide de caméras, sans contact direct entre le conducteur et les autorités de
police ( 9 ).
29. Au considérant 2 de la directive, le législateur de l’Union constate ainsi que «les sanctions sous forme de pénalités financières afférentes à certaines infractions routières restent souvent inappliquées lorsque ces infractions sont commises dans un autre État membre que celui où le véhicule a été immatriculé». Partant de ce constat, la «directive vise à assurer que, même dans de tels cas, l’efficacité de l’enquête relative aux infractions en matière de sécurité routière est garantie».
30. Selon le considérant 6 de la directive, «[a]fin d’améliorer la sécurité routière dans l’ensemble de l’Union et de garantir l’égalité de traitement entre les conducteurs, que les contrevenants soient résidents ou non-résidents, la mise en œuvre des sanctions devrait être facilitée quel que soit l’État membre d’immatriculation du véhicule. À cet effet, un système d’échange d’informations transfrontalier devrait être créé pour certaines infractions déterminées en matière de sécurité routière,
qu’elles soient de nature administrative ou pénale au regard de la loi de l’État membre concerné, ce qui permettrait à l’État membre de l’infraction d’accéder aux données relatives à l’immatriculation des véhicules de l’État membre d’immatriculation».
31. En outre, selon le considérant 7 de la directive, «[u]ne meilleure efficacité de l’échange transfrontalier des données relatives à l’immatriculation des véhicules, qui devrait faciliter l’identification des personnes soupçonnées d’avoir commis une infraction en matière de sécurité routière, est susceptible d’accentuer l’effet dissuasif et d’inciter à la prudence les conducteurs de véhicules immatriculés dans un État membre différent de l’État membre de l’infraction, ce qui permettrait de réduire
le nombre de victimes d’accidents sur les routes».
32. Ces considérants expriment la finalité principale de la directive, à savoir celle de permettre une répression plus efficace des infractions routières par la mise en place d’un mécanisme de coopération policière. Ce mécanisme est constitué par un échange d’informations permettant d’identifier les personnes responsables de ces infractions routières, ce qui constitue un préalable indispensable à leur poursuite et à leur sanction par les autorités compétentes des États membres.
33. De cette répression plus efficace des infractions routières, laquelle, par son effet dissuasif, incitera les conducteurs non-résidents à respecter les règles de circulation routière des États membres qu’ils traversent, découlera une amélioration de la sécurité routière. Tel est, en tout cas, le souhait émis par le législateur de l’Union. L’amélioration de la sécurité routière constitue, dès lors, le but ultime, l’effet souhaité, et la répression plus efficace des infractions routières l’objectif
le plus immédiat et direct, les deux objectifs étant bien entendu intimement liés.
34. La finalité qui nous paraît déterminante afin d’établir quelle est la base juridique correcte de la directive est donc celle visant à permettre une répression plus efficace des infractions routières en instituant un mécanisme de coopération entre les autorités nationales compétentes en matière répressive. Un acte poursuivant une telle finalité à titre principal nous paraît devoir relever de la coopération policière au sens de l’article 87 TFUE.
35. Un tel acte s’inscrit pleinement dans l’action de l’Union visant à la construction d’un espace de liberté, de sécurité et de justice. Si le terme «liberté» contenu dans cette expression vise incontestablement la libre circulation des personnes dans l’Union, sa signification ne s’arrête cependant pas là ( 10 ). Comme l’indique le plan d’action du Conseil et de la Commission concernant les modalités optimales de mise en œuvre des dispositions du traité d’Amsterdam relatives à l’établissement d’un
espace de liberté, de sécurité et de justice ( 11 ), adopté par le Conseil «Justice et affaires intérieures» du 3 décembre 1998, il s’agit aussi de «la liberté de vivre dans un environnement où la loi est respectée, en sachant que les autorités publiques, séparément ou ensemble (au niveau national, à celui de l’Union européenne et au-delà), mettent toutes leurs compétences au service de la poursuite et de la répression de ceux qui cherchent à nier cette liberté ou à en abuser» ( 12 ). Par
ailleurs, selon ce même document, l’espace de «justice» a pour ambition de «donner aux citoyens un sentiment commun de justice dans toute l’Union» ( 13 ). Or, comme l’exprime notamment le considérant 6 de la directive, c’est précisément au sentiment d’injustice qui peut naître de l’impunité dont bénéficient les conducteurs de véhicules immatriculés dans un État membre autre que l’État membre de l’infraction que la directive entend remédier.
36. Voyons, à présent, si le contenu de la directive confirme le choix de l’article 87, paragraphe 2, TFUE comme base juridique correcte de celle-ci.
37. Aux termes de l’article 2 de la directive, celle-ci s’applique à huit infractions en matière de sécurité routière, à savoir l’excès de vitesse, le non-port de la ceinture de sécurité, le franchissement d’un feu rouge, la conduite en état d’ébriété, la conduite sous l’influence de drogues, le non-port du casque, la circulation sur une voie interdite et l’usage illicite d’un téléphone portable ou de tout autre équipement de communication en conduisant un véhicule.
38. Les éléments constitutifs de ces infractions n’étant pas harmonisés au niveau de l’Union ( 14 ), ceux-ci sont déterminés par les États membres ( 15 ), de même que les sanctions applicables à de telles infractions.
39. Le système d’échange d’informations mis en place par la directive intervient donc non pas en complément de mesures qui auraient été prises par l’Union en vue d’harmoniser les éléments constitutifs de certaines infractions et leurs sanctions, mais uniquement pour permettre une meilleure application des règles de circulation routière définies de manière autonome par chacun des États membres.
40. Comme le révèle l’examen du contenu de la directive, l’unique objet de celle-ci est de mettre en place un système permettant aux autorités compétentes des États membres en matière répressive d’échanger des informations en matière d’infractions routières. Il s’agit donc de mettre à la disposition des autorités nationales chargées de faire respecter les règles nationales de circulation routière un outil destiné à identifier les contrevenants étrangers. Cet outil permet aux États membres
d’améliorer les moyens dont ils disposent au stade de l’enquête relative à une infraction routière, en leur permettant d’obtenir les informations nécessaires à l’identification de l’auteur de cette infraction et donc à la répression de celle-ci.
41. Le cœur du système mis en place pour aider les États membres à mieux réprimer les infractions routières se situe dans les articles 4 et 5 de la directive.
42. L’article 4 de la directive est relatif à la procédure pour l’échange d’informations entre États membres. Il prévoit, à son paragraphe 1, que, pour les enquêtes relatives aux infractions en matière de sécurité routière visées à l’article 2 de la directive, les États membres permettent aux points de contact nationaux des autres États membres d’accéder à leurs données nationales relatives à l’immatriculation des véhicules et d’y effectuer des requêtes automatisées concernant les données relatives
aux véhicules et les données relatives aux propriétaires ou aux détenteurs des véhicules. L’article 4, paragraphe 2, premier alinéa, de la directive précise que ces requêtes «sont effectuées par le point de contact national de l’État membre de l’infraction à l’aide d’un numéro d’immatriculation complet».
43. L’article 4, paragraphe 2, dernier alinéa, de la directive dispose que l’«État membre de l’infraction utilise, en vertu de la […] directive, les données obtenues aux fins d’établir qui est personnellement responsable d’infractions en matière de sécurité routière visées aux articles 2 et 3».
44. L’article 4, paragraphe 4, de la directive prévoit, en outre, que, pour réaliser l’échange d’informations, les États membres s’appuient notamment sur l’application informatique qui a été spécialement conçue aux fins de l’article 12 de la décision 2008/615/JAI du Conseil, du 23 juin 2008, relative à l’approfondissement de la coopération transfrontalière, notamment en vue de lutter contre le terrorisme et la criminalité transfrontalière ( 16 ). Il s’agit là d’un élément démontrant que la directive
constitue le prolongement, en matière d’infractions routières, d’autres instruments de coopération policière, tels que les décisions Prüm qui sont notamment destinées à lutter contre le terrorisme et la criminalité transfrontalière ( 17 ). Cette idée ressort également des considérants 2, 9 et 10 de la directive.
45. Une fois que la personne soupçonnée d’avoir commis l’infraction routière en cause a été identifiée, il appartient à l’État membre de l’infraction de décider d’engager ou non des poursuites. Si tel est le cas, l’article 5 de la directive définit les modalités selon lesquelles l’infraction devra être notifiée à cette personne. Conformément à l’article 5, paragraphe 2, de la directive, la lettre de notification contient «toutes les informations pertinentes, notamment la nature de l’infraction […],
le lieu, la date et l’heure de l’infraction, le titre des textes de droit national qui ont été violés et la sanction ainsi que, lorsqu’il y a lieu, des informations sur l’appareil utilisé pour détecter l’infraction». Par ailleurs, l’article 5, paragraphe 3, de la directive prévoit que l’État membre de l’infraction «envoie la lettre de notification dans la langue utilisée dans le document d’immatriculation, s’il est disponible, ou dans l’une des langues officielles de l’État membre
d’immatriculation, afin de garantir le respect des droits fondamentaux».
46. Les articles 4 et 5 de la directive mettent donc en place un mécanisme typique d’une coopération policière, à savoir un système d’échange d’informations entre autorités compétentes en matière répressive destiné à mener à bien les enquêtes de police relatives aux infractions routières et à permettre la répression de ces infractions en identifiant les personnes responsables.
47. La jurisprudence de la Cour contient des indications qui permettent de saisir ce qui relève de la coopération policière. Ainsi, dans son arrêt du 10 février 2009, Irlande/Parlement et Conseil ( 18 ), la Cour a indiqué, à propos de la directive 2006/24/CE du Parlement européen et du Conseil, du 15 mars 2006, sur la conservation de données générées ou traitées dans le cadre de la fourniture de services de communications électroniques accessibles au public ou de réseaux publics de communications,
et modifiant la directive 2002/58/CE ( 19 ), que cette directive «réglemente […] des opérations qui sont indépendantes de la mise en œuvre de toute éventuelle action de coopération policière et judiciaire en matière pénale». La Cour note, à cet égard, qu’«[e]lle n’harmonise ni la question de l’accès aux données par les autorités nationales compétentes en matière répressive ni celle relative à l’utilisation et à l’échange de ces données entre ces autorités» et observe que ces questions «relèvent,
en principe, du domaine couvert par le titre VI du traité UE» ( 20 ).
48. En outre, dans son arrêt du 26 octobre 2010, Royaume-Uni/Conseil ( 21 ), la Cour a relevé que la décision 2008/633/JAI du Conseil, du 23 juin 2008, concernant l’accès en consultation au système d’information sur les visas (VIS) par les autorités désignées des États membres et par l’Office européen de police (Europol) aux fins de la prévention et de la détection des infractions terroristes et des autres infractions pénales graves, ainsi qu’aux fins des enquêtes en la matière ( 22 ), «poursuit des
objectifs qui, en tant que tels, relèvent de la coopération policière» ( 23 ). En ce qui concerne le contenu de la décision 2008/633, la Cour a noté qu’«il porte à la fois sur les modalités de désignation, par les États membres, des autorités compétentes en matière de sécurité intérieure autorisées à consulter le VIS et sur les conditions d’accès, de communication et de conservation des données utilisées aux fins susmentionnées» ( 24 ). Elle en a déduit que «les dispositions de ladite décision
peuvent, en principe, être regardées comme organisant une forme de coopération policière» ( 25 ). La Cour s’est appuyée sur ces éléments relatifs à la finalité et au contenu de la décision 2008/633 pour considérer que, sous l’angle du choix de la base juridique, cette décision relevait bien du domaine de la coopération policière, même si elle constituait également une mesure développant les dispositions de l’acquis de Schengen relatives à la politique commune en matière de visas ( 26 ).
49. À notre avis, les indications ainsi contenues dans les arrêts précités Irlande/Parlement et Conseil ainsi que Royaume-Uni/Conseil permettent de considérer que la directive relève du domaine de la coopération policière et qu’elle a été adoptée à juste titre sur le fondement de l’article 87, paragraphe 2, TFUE.
50. Il convient, par ailleurs, de noter que, dans la mesure où il s’agit d’une coopération policière relevant de l’article 87 TFUE, l’article 7 de la directive, qui est relatif à la protection des données, prévoit l’application de la décision-cadre 2008/977/JAI du Conseil, du 27 novembre 2008, relative à la protection des données à caractère personnel traitées dans le cadre de la coopération policière et judiciaire en matière pénale ( 27 ), aux données traitées dans le cadre du système d’échange
d’informations prévu par la directive.
51. Enfin, la lecture de l’article 11 de la directive confirme que la mise en place d’un système d’échange d’informations relatif aux infractions routières définies par les États membres constitue la composante principale de la directive. Cet article fait état des mesures qui pourraient, à l’avenir, être adoptées par l’Union, telles que des normes communes pour les équipements automatiques de contrôle et pour les procédures, voire l’harmonisation des règles de circulation routière. Tel n’est
cependant pas l’état du droit de l’Union, ce qui empêche d’appréhender le système d’échange d’informations mis en place par la directive comme une mesure venant compléter des mesures d’harmonisation des règles de circulation routière prises par l’Union dans le cadre de la politique commune des transports. Autrement dit, ce système ne constitue pas une mesure accessoire à d’autres mesures adoptées par le législateur de l’Union dans le cadre de la politique commune des transports. Ledit système
n’a ainsi pas pour objet de garantir la pleine effectivité de normes édictées par l’Union dans ce domaine. Par ailleurs, nous avons déjà indiqué que la directive ne procède ni à l’harmonisation des éléments constitutifs des infractions routières ni à celle des sanctions qui leur sont applicables, lesquels restent du ressort des États membres. Pour ces motifs, un raisonnement inspiré de celui développé par la Cour dans ses arrêts du 13 septembre 2005, Commission/Conseil ( 28 ), et du 23 octobre
2007, Commission/Conseil ( 29 ), ne nous paraît pas pouvoir justifier un recours à l’article 91, paragraphe 1, sous c), TFUE comme base juridique de la directive. Nous notons, en outre, que ces arrêts sont intervenus dans le contexte juridique qui prévalait avant le traité de Lisbonne, ce contexte étant marqué par la priorité que l’article 47 UE accordait aux bases juridiques relatives aux politiques sectorielles.
52. Le système d’échange d’informations relatives aux infractions routières mis en place par la directive, en tant qu’instrument de coopération policière indépendant de toute mesure d’harmonisation des infractions et des sanctions prise par l’Union dans le cadre de la politique commune des transports, relève donc, à notre avis, de l’article 87, paragraphe 2, TFUE.
53. À cette analyse, la Commission objecte que l’article 87 TFUE est réservé à la coopération policière relative aux infractions pénales qualifiées comme telles dans les droits des États membres. Ainsi, dans la mesure où les infractions routières relèvent tantôt du droit administratif, tantôt du droit pénal des États membres ( 30 ), l’article 87 TFUE ne pourrait pas constituer la base juridique correcte d’un système d’échange d’informations concernant ces infractions.
54. Nous ne partageons pas l’avis de la Commission, et ce pour plusieurs raisons.
55. En premier lieu, la conception restrictive que la Commission a du champ d’application de l’article 87 TFUE ne trouve pas d’appui suffisant dans le titre même du chapitre 5 du titre V de la troisième partie du traité FUE, qui est limité à la coopération policière, sans indication expresse que cette coopération ne concerne que la matière pénale.
56. Quant au libellé de l’article 87, paragraphe 1, TFUE, il est particulièrement large dans la mesure où il indique que l’«Union développe une coopération policière qui associe toutes les autorités compétentes des États membres» ( 31 ). La mention selon laquelle ces autorités comprennent «les services de police, les services des douanes et [les] autres services répressifs spécialisés dans les domaines de la prévention ou de la détection des infractions pénales et des enquêtes en la matière» exprime
l’idée que ces services ne sont indiqués qu’à titre d’exemple, sans que la liste soit exhaustive. Par ailleurs, comme en témoignent d’autres versions linguistiques de la disposition concernée, la référence aux infractions pénales semble uniquement se rattacher aux «autres services répressifs», mais ne pas concerner les services de police et les services des douanes, et encore moins «toutes les autorités compétentes des États membres» ( 32 ).
57. À la lecture de l’article 87, paragraphe 1, TFUE, il n’est donc nullement exclu qu’une coopération policière relevant de cette disposition puisse être développée entre des autorités qui n’ont pas pour rôle de faire appliquer le droit pénal au sein des États membres, dès lors qu’elles assurent des missions relevant du domaine de la police au sens large, qu’il s’agisse de la police administrative ou judiciaire ( 33 ). En d’autres termes, la coopération policière visée à l’article 87, paragraphe 1,
TFUE doit être entendue de manière fonctionnelle, c’est-à-dire qu’elle se rapporte à la coopération entre les autorités des États membres chargées de la prévention, de la détection et de la répression des infractions.
58. Il est donc erroné d’affirmer, comme le fait la Commission, que la conception formelle qu’elle retient du champ d’application de l’article 87 TFUE, en tant que celui-ci ne concernerait que les infractions pénales qualifiées comme telles dans les différents droits des États membres, trouve un appui suffisant dans le texte de cet article.
59. L’examen d’autres actes de l’Union ayant pour objet l’échange d’informations en matière de coopération policière milite également en faveur d’une approche fonctionnelle en vertu de laquelle cette coopération vise plus largement le maintien de l’ordre public et la lutte contre les infractions, sans une limitation expresse aux infractions pénales qualifiées comme telles dans les droits des États membres.
60. Outre l’article 12, paragraphe 1, premier alinéa, de la décision 2008/615, auquel nous avons fait référence précédemment ( 34 ), qui prévoit que la consultation automatisée de données relatives à l’immatriculation des véhicules est effectuée «[a]ux fins de la prévention et de l’enquête en matière d’infractions pénales, et dans le cadre du traitement d’autres infractions relevant de la compétence des tribunaux ou du ministère public de l’État membre effectuant la consultation, ainsi que dans le
cadre du maintien de la sécurité publique», nous pouvons citer également la décision 2009/917/JAI du Conseil, du 30 novembre 2009, sur l’emploi de l’informatique dans le domaine des douanes ( 35 ), qui dispose, à son article 1er, paragraphe 2, que l’«objectif du système d’information des douanes […] est d’aider à prévenir, rechercher et poursuivre les infractions graves aux lois nationales en rendant les données plus rapidement disponibles et en renforçant ainsi l’efficacité des procédures de
coopération et de contrôle des administrations douanières des États membres».
61. En deuxième lieu, la conception formelle retenue par la Commission présente un certain nombre d’inconvénients. Elle va d’abord à l’encontre de l’exigence d’uniformité d’application du droit de l’Union, en entraînant une hétérogénéité dans l’espace et dans le temps de l’application de mécanismes de coopération policière tels que celui prévu par la directive. En effet, l’application d’un tel mécanisme serait alors fonction de la qualification retenue au niveau national pour chacune des infractions
visées à l’article 2 de la directive. Par ailleurs, les qualifications retenues par les États membres sont susceptibles de varier dans le temps, ce qui rend le champ d’application de la directive incertain. En outre, au sein d’un État membre, la qualification d’une infraction routière peut évoluer au cours de la procédure, une infraction administrative pouvant ainsi devenir une infraction pénale, par exemple si le contrevenant ne paie pas l’amende infligée.
62. Circonscrire le champ d’application de l’article 87 TFUE aux infractions pénales qualifiées comme telles dans les droits des États membres aboutit également à réduire sérieusement l’effet utile de cet article. Si l’on suit la thèse de la Commission, non seulement celui-ci ne pourrait pas être utilisé dès lors qu’une coopération policière contribue à un intérêt général relevant d’une politique sectorielle, mais en outre son application serait limitée aux infractions qui relèvent formellement du
droit pénal de l’ensemble des États membres.
63. Nous précisons, à cet égard, que retenir une approche fonctionnelle du champ d’application de l’article 87 TFUE permet d’assurer l’effet utile de ce dernier tout en ne compromettant pas, contrairement à ce qu’affirme la Commission, celui de l’article 91, paragraphe 1, sous c), TFUE. Cette dernière disposition pourra fonder de nombreux actes contribuant à améliorer la sécurité routière, tels que des actes relatifs aux caractéristiques des routes et à leur entretien, au contrôle technique des
véhicules, au temps de travail et à la formation des chauffeurs routiers, ou encore au rapprochement des règles de circulation routière.
64. En troisième lieu, quand bien même il faudrait considérer que la coopération policière relevant de l’article 87 TFUE concerne uniquement la matière pénale, cette dernière notion devrait, en tout état de cause, être définie de manière fonctionnelle, et non de manière formelle en référence aux qualifications nationales comme le soutient la Commission. Une telle approche fonctionnelle s’impose tant pour les exigences d’uniformité d’application du droit de l’Union que nous avons précédemment
mentionnées que pour assurer l’efficacité de la coopération policière mise en place. Dans cette perspective, une coopération policière qui concerne les infractions donnant lieu à des sanctions qui ont à la fois un caractère punitif et dissuasif peut reposer sur l’article 87 TFUE. Il faut donc s’attacher à la «finalité répressive» ( 36 ) des sanctions applicables en cas d’infractions routières, plutôt qu’à l’appartenance de telles infractions et sanctions au droit pénal des États membres.
65. Nous estimons, à cet égard, que l’approche fonctionnelle retenue par la Cour européenne des droits de l’homme pour définir ce qui relève de la matière pénale dans le cadre de l’article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950, peut servir de source d’inspiration pour définir le champ d’application de l’article 87 TFUE. Nous nous référons plus particulièrement à l’arrêt de la Cour européenne des droits de
l’homme Öztürk c. Allemagne du 21 février 1984 ( 37 ), qui se rapporte aux infractions routières. En suivant cette approche fonctionnelle, il ne fait pas de doute que les infractions routières qui sont énumérées à l’article 2 de la directive ont un caractère pénal dans la mesure où elles donnent lieu, dans les États membres, à des sanctions qui ont à la fois un caractère punitif et dissuasif. Peu importe donc que ces sanctions relèvent du droit administratif répressif ou du droit pénal des États
membres.
66. En quatrième lieu, la conception formelle retenue par la Commission présente l’inconvénient majeur d’exclure tout un domaine de la délinquance du champ de la coopération en matière policière, en l’occurrence la délinquance routière. En effet, cette forme de délinquance est souvent caractérisée par des infractions relativement «mineures» ( 38 ) qui ne relèvent pas nécessairement du droit pénal des États membres, mais qui peuvent donner lieu, pour des raisons d’efficacité, à l’imposition d’une
sanction par une autorité administrative et non par une juridiction compétente en matière pénale. Or, rien n’indique que les auteurs du traité FUE aient entendu limiter le champ d’application de l’article 87, paragraphe 2, sous a), TFUE aux infractions qui, en raison de leur gravité, relèvent du droit pénal des États membres, et non de leur droit administratif répressif.
67. Nous relevons d’ailleurs que, bien qu’elles fassent partie tantôt du droit administratif répressif, tantôt du droit pénal des États membres, les infractions routières sont déjà intégrées dans des actes de droit dérivé adoptés dans le cadre de la coopération judiciaire en matière pénale. Il est, à cet égard, intéressant de se référer à la décision-cadre 2005/214, que nous avons évoquée précédemment ( 39 ), qui complète le système d’échange d’informations mis en place par la directive.
68. Le considérant 4 de cette décision-cadre précise qu’elle «devrait couvrir les sanctions pécuniaires relatives [aux] infractions routières». Aux termes de l’article 5, paragraphe 1, de ladite décision-cadre, le champ d’application de celle-ci couvre, notamment, les infractions relatives à une «conduite contraire aux normes qui règlent la circulation routière». Or, la décision-cadre 2005/214 ne soumet pas la reconnaissance mutuelle des sanctions pécuniaires infligées en cas d’infractions routières
à la condition que ces infractions relèvent formellement du droit pénal des États membres.
69. Dans l’affaire Baláž ( 40 ), qui est actuellement pendante devant la Cour, la Commission soutient cependant une approche formelle semblable à celle qu’elle défend à l’appui du présent recours. Cette affaire concerne l’interprétation de la notion de «juridiction ayant compétence notamment en matière pénale» visée à l’article 1er, sous a), iii), de la décision-cadre 2005/214. Selon cette disposition, qui concerne notamment les infractions routières, la décision qui doit faire l’objet d’une
reconnaissance mutuelle est définie comme «toute décision infligeant à titre définitif une sanction pécuniaire à une personne physique ou morale, lorsque la décision a été rendue par […] une autorité de l’État d’émission autre qu’une juridiction en raison d’actes punissables au regard du droit national de l’État d’émission en ce qu’ils constituent des infractions aux règles de droit, pour autant que l’intéressé ait eu la possibilité de faire porter l’affaire devant une juridiction ayant
compétence notamment en matière pénale» ( 41 ). Dans ses observations, la Commission fait valoir que la condition ainsi prévue à ladite disposition est remplie lorsque l’intéressé a la possibilité de soumettre l’affaire à une juridiction qui statue sur les infractions pénales que les États membres qualifient formellement comme telles. Dans les conclusions qu’elle a présentées le 18 juillet 2013 dans l’affaire Baláž, précitée, l’avocat général Sharpston estime que l’interprétation proposée par la
Commission ne peut pas être retenue, en considérant, en substance, qu’une telle interprétation irait à l’encontre de l’intention du législateur de l’Union d’inclure dans le mécanisme de reconnaissance mutuelle les sanctions pécuniaires indépendamment de la question de savoir si les infractions auxquelles elles s’appliquent sont qualifiées de «pénales» dans les États membres concernés ( 42 ). Cette analyse rejoint l’approche fonctionnelle que nous soutenons dans le cadre du présent recours.
70. En somme, la décision-cadre 2005/214, comme la directive, témoigne de la volonté du législateur de l’Union de retenir, en matière de coopération policière et judiciaire, une approche fonctionnelle de la matière pénale afin de ne pas faire dépendre des différences qui existent entre les systèmes et les traditions juridiques des États membres l’efficacité des mécanismes de coopération. Nous retrouvons la même idée dans la directive 2011/99/UE du Parlement européen et du Conseil, du 13 décembre
2011, relative à la décision de protection européenne ( 43 ).
71. Plusieurs indications contenues dans le programme de Stockholm, adopté par le Conseil européen en 2010 ( 44 ), vont également à l’encontre de la conception formelle retenue par la Commission. En effet, nous relevons que, au point 3.1.1, intitulé «Droit pénal», le Conseil européen indique que la «reconnaissance mutuelle pourrait s’appliquer à tous les types de jugements et de décisions de nature judiciaire, que ce soit en matière pénale ou administrative, en fonction du système juridique
concerné». Au même point consacré au droit pénal, le Conseil européen invite la Commission «à élaborer une étude globale sur les obstacles juridiques et administratifs qui se posent actuellement à l’application transfrontière des sanctions et des décisions administratives en matière d’infractions routières et à présenter, si besoin est, de nouvelles initiatives législatives et non législatives en vue d’améliorer la sécurité routière dans l’Union». Ces indications démontrent, à notre avis, d’une
part, que l’objectif d’améliorer la sécurité routière dans l’Union fait partie intégrante de la construction d’un espace de liberté, de sécurité et de justice et, d’autre part, que les mécanismes de coopération et de reconnaissance mutuelle en matière pénale sont susceptibles, dans une approche fonctionnelle, de s’appliquer aux infractions routières qui font l’objet de sanctions dans le cadre du droit administratif répressif des États membres.
72. D’ailleurs, la Commission elle-même, dans sa communication au Parlement européen et au Conseil du 10 juin 2009, intitulée «Un espace de liberté, de sécurité et de justice au service des citoyens» ( 45 ), indique, dans les développements qu’elle consacre à la reconnaissance mutuelle en matière pénale, que celle-ci «doit s’étendre à d’autres types de décisions qui, selon les États membres, peuvent avoir un caractère soit pénal, soit administratif». À cet égard, elle relève, notamment, que
«certaines amendes, dont la nature pénale ou administrative varie selon les États membres, doivent pouvoir être exécutées entre États, dans le but notamment de renforcer la sécurité routière et, plus généralement, d’assurer le respect des politiques de l’Union» ( 46 ).
73. Nous déduisons de tous ces éléments que la répression des infractions routières peut faire l’objet de mécanismes de coopération policière et judiciaire en matière pénale sur le fondement des dispositions du traité FUE relatives à l’espace de liberté, de sécurité et de justice, que ces infractions soient rattachées au droit administratif répressif ou au droit pénal des États membres.
74. Il convient, pour finir, de préciser que retenir une approche fonctionnelle de ce qui relève de la matière pénale dans le cadre de la coopération policière et de la coopération judiciaire n’entraîne pas la disparition de toute approche formelle. Comme nous l’avons vu, le recours à une approche fonctionnelle est nécessaire pour assurer l’efficacité et l’application uniforme de mécanismes de coopération policière ou judiciaire relatifs à des infractions et à des sanctions dont la qualification n’a
pas fait l’objet de mesures d’harmonisation au niveau de l’Union et qui relèvent donc, selon les systèmes et les traditions juridiques des États membres, de leur droit administratif ou de leur droit pénal.
75. En revanche, l’approche formelle reste pertinente lorsque, sur le fondement de l’article 83, paragraphes 1 et 2, TFUE, l’Union décide d’établir des règles minimales relatives à la définition des infractions pénales et des sanctions dans les domaines mentionnés à ces paragraphes. Dans cette situation, l’harmonisation de la qualification formelle des infractions en tant qu’infractions pénales est expressément requise. La notion d’infraction pénale est alors à prendre au sens formel, sans danger
d’hétérogénéité entre les États membres puisque ceux-ci se trouvent contraints de donner la même qualification à une infraction donnée.
II – Conclusion
76. Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, nous proposons à la Cour de:
— rejeter le recours, et
— condamner la Commission européenne aux dépens, le Royaume de Belgique, l’Irlande, la Hongrie, la République de Pologne, la République slovaque, le Royaume de Suède ainsi que le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord supportant leurs propres dépens.
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( 1 ) Langue originale: le français.
( 2 ) JO L 288, p. 1.
( 3 ) COM(2008) 151 final.
( 4 ) Il s’agit du Royaume de Belgique, de l’Irlande, de la Hongrie, de la République de Pologne, de la République slovaque, du Royaume de Suède ainsi que du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord.
( 5 ) Voir, notamment, arrêt du 19 juillet 2012, Parlement/Conseil (C‑130/10, points 42 et 43).
( 6 ) Voir arrêt du 9 septembre 2004, Espagne et Finlande/Parlement et Conseil (C-184/02 et C-223/02, Rec. p. I-7789, point 30).
( 7 ) Sur ce qui peut être qualifié d’«harmonisation pénale accessoire», voir Bernardi, A., «L’harmonisation pénale accessoire»; Tricot, J., «Discussion – L’harmonisation pénale accessoire: question(s) de méthode – Observations sur l’art et la manière de légiférer pénalement selon l’Union européenne», et Gindre, E., «Discussion – L’harmonisation pénale accessoire. Éléments de réflexion sur la place du droit pénal au sein de l’Union européenne», Le droit pénal de l’Union européenne au lendemain du
Traité de Lisbonne, Société de législation comparée, Paris, 2012, respectivement p. 153, 185 et 197.
( 8 ) JO L 76, p. 16.
( 9 ) Page 2 de cette proposition de directive.
( 10 ) Voir, en ce sens, Labayle, H., «Espace de liberté, sécurité et justice – Cadre général», Jurisclasseur Europe, fascicule 2625, 2012, point 9.
( 11 ) JO 1999, C 19, p. 1.
( 12 ) Point 6.
( 13 ) Point 15.
( 14 ) Il faut, toutefois, noter l’existence, s’agissant du non-port de la ceinture de sécurité, de la directive 91/671/CEE du Conseil, du 16 décembre 1991, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives au port obligatoire de la ceinture de sécurité dans les véhicules de moins de 3,5 tonnes (JO L 373, p. 26), telle que modifiée par la directive 2003/20/CE du Parlement européen et du Conseil, du 8 avril 2003 (JO L 115, p. 63).
( 15 ) Comme en témoigne le renvoi au droit de l’État membre de l’infraction dans les définitions contenues à l’article 3 de la directive.
( 16 ) JO L 210, p. 1. Cette décision est associée à la décision 2008/616/JAI du Conseil, du 23 juin 2008, concernant la mise en œuvre de la décision 2008/615 (JO L 210, p. 12). Ces décisions sont communément dénommées «décisions Prüm».
( 17 ) Le modèle retenu par la directive s’inspire ainsi de l’article 12, paragraphe 1, premier alinéa, de la décision 2008/615, qui prévoit que, «[a]ux fins de la prévention et de l’enquête en matière d’infractions pénales, et dans le cadre du traitement d’autres infractions relevant de la compétence des tribunaux ou du ministère public de l’État membre effectuant la consultation, ainsi que dans le cadre du maintien de la sécurité publique, les États membres autorisent les points de contact
nationaux des autres États membres […] à accéder aux données nationales suivantes relatives à l’immatriculation des véhicules […]:
a) les données relatives aux propriétaires ou aux détenteurs, et
b) les données relatives aux véhicules.»
( 18 ) C-301/06, Rec. p. I-593.
( 19 ) JO L 105, p. 54.
( 20 ) Point 83 de cet arrêt.
( 21 ) C-482/08, Rec. p. I-10413.
( 22 ) JO L 218, p. 129.
( 23 ) Point 50 de cet arrêt.
( 24 ) Point 51 dudit arrêt.
( 25 ) Idem.
( 26 ) Points 67 et 68 de l’arrêt Royaume-Uni/Conseil, précité.
( 27 ) JO L 350, p. 60.
( 28 ) C-176/03, Rec. p. I-7879.
( 29 ) C-440/05, Rec. p. I-9097.
( 30 ) Voir, à cet égard, considérants 6 et 8 de la directive.
( 31 ) Italique ajouté par nous.
( 32 ) Voir, notamment, les versions en langues allemande et anglaise de l’article 87, paragraphe 1, TFUE:
«Die Union entwickelt eine polizeiliche Zusammenarbeit zwischen allen zuständigen Behörden der Mitgliedstaaten, einschlieβlich der Polizei, des Zolls und anderer auf die Verhütung oder die Aufdeckung von Straftaten sowie entsprechende Ermittlungen spezialisierter Strafverfolgungsbehörden.»
«The Union shall establish police cooperation involving all the Member States’ competent authorities, including police, customs and other specialised law enforcement services in relation to the prevention, detection and investigation of criminal offences.»
( 33 ) Voir, en faveur d’une définition fonctionnelle de la coopération policière, De Biolley, S., «Coopération policière dans l’Union européenne», Jurisclasseur Europe, fascicule 2680, 2010, point 5.
( 34 ) Voir note en bas de page 17.
( 35 ) JO L 323, p. 20.
( 36 ) Arrêt du 5 juin 2012, Bonda (C‑489/10, point 39).
( 37 ) Série A no 73, spécialement § 53 à 56.
( 38 ) Nous reprenons ici le qualificatif utilisé par le législateur de l’Union, notamment à propos d’infractions routières courantes, d’une part, dans la directive 2010/64/UE du Parlement européen et du Conseil, du 20 octobre 2010, relative au droit à l’interprétation et à la traduction dans le cadre des procédures pénales (JO L 280, p. 1; voir considérant 16 et article 1er, paragraphe 3), et, d’autre part, dans la directive 2012/13/UE du Parlement européen et du Conseil, du 22 mai 2012, relative
au droit à l’information dans le cadre des procédures pénales (JO L 142, p. 1; voir considérant 17 et article 2, paragraphe 2).
( 39 ) Voir point 23 des présentes conclusions.
( 40 ) C‑60/12.
( 41 ) Italique ajouté par nous.
( 42 ) Voir points 52 à 54 des conclusions.
( 43 ) JO L 338, p. 2. Voir, en particulier, considérants 3, 8, 10 et 20 de cette directive.
( 44 ) Le programme de Stockholm – Une Europe ouverte et sûre qui sert et protège les citoyens (JO 2010, C 115, p. 1).
( 45 ) COM(2009) 262 final.
( 46 ) Point 3.1.