CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL
M ME JULIANE KOKOTT
présentées le 5 septembre 2013 ( 1 )
Affaire C‑302/12
X
contre
Minister van Financiën
[demande de décision préjudicielle formée par le Hoge Raad der Nederlanden (Pays-Bas)]
«Fiscalité — Taxe d’immatriculation des véhicules automobiles — Liberté d’établissement — Directive 83/182/CEE — Habitations et utilisation permanente d’un véhicule dans deux États membres»
I – Introduction
1. La présente demande de décision préjudicielle s’inscrit une fois de plus dans le contexte de la taxe néerlandaise sur les voitures de tourisme et les motos qui a occupé la Cour à plusieurs reprises ces dernières années ( 2 ).
2. Cette taxe néerlandaise d’immatriculation des véhicules automobiles est réclamée dans la présente procédure à une citoyenne de l’Union qui a une habitation non seulement aux Pays-Bas mais aussi en Belgique et utilise son véhicule dans les deux États membres. Les deux États membres prétendent dès lors tous deux prélever leur propre taxe d’immatriculation des véhicules automobiles. Dans la présente procédure, il y a dès lors lieu de préciser la mesure dans laquelle ce double prélèvement d’une taxe
d’immatriculation des véhicules automobiles doit se concilier avec le droit de l’Union.
II – Cadre juridique
A – Droit de l’Union
3. L’article 1er, paragraphe 1, de la directive 83/182/CEE du Conseil, du 28 mars 1983, relative aux franchises fiscales applicables à l’intérieur de la Communauté en matière d’importation temporaire de certains moyens de transport ( 3 ), énonce sous le titre «Champ d’application»:
«Les États membres accordent, aux conditions fixées ci-après, lors de l’importation temporaire en provenance d’un État membre de véhicules routiers à moteur […] une franchise:
— des taxes sur le chiffre d’affaires, des accises et de toute autre taxe à la consommation;
— des taxes mentionnées en annexe.»
4. Les franchises fiscales pour véhicules de tourisme sont régies par les articles 3 à 5 de la directive 83/182 et sont chacune fonction de la «résidence normale» du particulier qui importe le véhicule ou de l’utilisateur.
5. L’article 7, paragraphe 1, de la directive 83/182 définit la résidence normale comme suit dans le passage qui nous intéresse:
«1. Pour l’application de la présente directive, on entend par ‘résidence normale’ le lieu où une personne demeure habituellement, c’est-à-dire pendant au moins 185 jours par année civile, en raison d’attaches personnelles et professionnelles, ou, dans le cas d’une personne sans attaches professionnelles, en raison d’attaches personnelles, révélant des liens étroits entre elle-même et l’endroit où elle habite.
[…]»
B – Législation nationale
6. Dans l’année litigieuse, le Royaume des Pays-Bas a prélevé une taxe d’immatriculation des voitures de tourisme et des motos au titre de la Wet op de belasting van personenauto’s en motorrijwielen 1992 (ci-après la «taxe VM»).
7. Ainsi que la Cour l’a vu dans d’autres affaires ( 4 ), le fait générateur de la taxe VM est l’inscription d’une voiture de tourisme ou d’une moto dans le registre des immatriculations néerlandais ainsi que la mise en circulation sur le réseau routier néerlandais d’une voiture de tourisme ou d’une moto non immatriculée ou non immatriculée aux Pays-Bas lorsque ce véhicule est mis à la disposition d’une personne physique ou morale, résidant ou établie aux Pays-Bas.
III – Procédure au principal et procédure devant la Cour
8. La procédure au principal a pour objet un avis d’imposition notifié à X au titre de la taxe VM d’un véhicule acquis et immatriculé en Belgique en 2004.
9. X est une ressortissante belge qui a à la fois aux Pays-Bas et en Belgique une habitation qu’elle utilise alternativement en cours d’année. Elle exerce en plus une activité d’orthodontiste aux Pays-Bas.
10. En 2006, les autorités fiscales néerlandaises ont constaté que X avait sa résidence aux Pays-Bas et conduisait sur le réseau routier néerlandais une voiture de tourisme qui n’était immatriculée qu’en Belgique. Elles ont alors réclamé à la redevable une taxe VM d’un montant de 17315 euros. Auparavant X avait déjà acquitté une taxe belge de 4957 euros pour inscrire son véhicule dans le registre des immatriculations en Belgique.
11. X a contesté la taxe VM devant les autorités et juridictions néerlandaises. Le Hoge Raad der Nederlanden, à présent saisi du litige, considère, d’après les éléments de fait constatés, que X a une résidence à la fois aux Pays-Bas et en Belgique et utilise le véhicule en permanence dans les deux États membres. Dans ce contexte, il a saisi la Cour au titre de l’article 267 TFUE des questions suivantes:
«1. L’exercice des compétences fiscales par deux États membres, en particulier la perception d’une taxe d’immatriculation sur un véhicule à moteur, est-il illimité lorsqu’un citoyen de l’Union réside dans deux États membres conformément à des législations nationales et utilise effectivement à titre permanent dans ces deux États membres un véhicule à moteur dont il est propriétaire?
2. En cas de réponse négative à la première question, le principe de proportionnalité peut-il avoir un effet correcteur en matière de perception d’une taxe d’immatriculation dans un cas tel que celui de l’espèce et, dans l’affirmative, ce principe implique-t-il qu’un État membre ou les deux États membres doivent s’imposer des limites dans l’exercice de leurs compétences fiscales et de quelle manière?»
12. Dans la procédure devant la Cour, des observations écrites ont été présentées par X, le Royaume des Pays-Bas, la République hellénique et la Commission européenne.
IV – Appréciation juridique
13. Par ses deux questions, la juridiction de renvoi veut savoir en substance si le droit de l’Union s’oppose au prélèvement d’une taxe d’immatriculation des voitures au titre de la mise en circulation d’un véhicule par une citoyenne de l’Union réputée résider dans deux États membres au regard des réglementations nationales et qui utilise son véhicule à titre permanent dans les deux États membres, alors qu’il a déjà été immatriculé et taxé dans l’autre État membre.
14. Bien que les questions n’indiquent pas les dispositions du droit de l’Union à interpréter, les motifs de la décision de renvoi montrent que la juridiction de renvoi cherche à connaître l’interprétation du droit primaire (point 2 plus bas). Nous estimons toutefois avec la Commission qu’il appartient aussi à la Cour d’examiner l’interprétation de la directive 83/182 (point 1 ci-dessous) pour donner à la juridiction de renvoi une réponse utile à la solution du litige ( 5 ).
1. Les franchises fiscales de la directive 83/182
15. Il convient d’examiner tout d’abord si la requérante dans la procédure au principal ne peut pas bénéficier d’une franchise fiscale de la directive 83/182 pour la taxe VM.
a) Champ d’application
16. Cela présuppose tout d’abord qu’une taxe d’immatriculation telle la taxe VM en cause ici relève bel et bien du champ d’application de la directive 83/182.
17. Aux termes de l’article 1er, paragraphe 1, cette directive trouve application aux taxes sur le chiffre d’affaires, accises et toute autre taxe à la consommation ainsi qu’aux taxes mentionnées dans l’annexe à la directive, alors que la taxe sur la valeur ajoutée mise en place par le droit de l’Union est exclue du champ d’application conformément à l’article 2, paragraphe 2, de la directive 91/680/CEE ( 6 ).
18. L’annexe ne mentionne pour les Pays-Bas que la taxe sur les véhicules automobiles («Motorrijtuigenbelasting») de la loi relative à la taxe sur les véhicules automobiles (Wet op de Motorrijtuigenbelasting) du 21 juillet 1966, qui est une taxe annuelle distincte de la taxe VM ( 7 ).
19. Si la taxe VM n’est pas une taxe sur le chiffre d’affaires au sens du droit de l’Union du simple fait qu’elle ne vise que les véhicules automobiles et n’a donc pas de portée générale ( 8 ), elle pourrait toutefois constituer une accise ou une autre taxe à la consommation au sens de l’article 1er, paragraphe 1, de la directive 83/182.
20. Malheureusement, la directive ne définit pas ces notions et on n’en trouve, à ce jour, aucune définition dans la jurisprudence de la Cour.
21. La notion de la taxe à la consommation ne peut pas se comprendre dans le contexte de la directive 83/182 en ce sens qu’elle ne concernerait que les taxes frappant des biens à consommer instantanément, c’est-à-dire non durables ( 9 ). La directive a en effet exclusivement pour objet des moyens de transport susceptibles d’être utilisés à titre permanent. On voit donc que des taxes prélevées en général directement sur un véhicule à la suite de son importation, parmi lesquelles peut en principe
compter aussi une taxe d’immatriculation des véhicules ( 10 ), sont des taxes à la consommation au sens de l’article 1er, paragraphe 1, de la directive 83/182.
22. Quand on se demande si une taxe de cette nature doit être considérée comme une taxe à la consommation au sens de l’article 1er, paragraphe 1, de la directive 83/182, on doit toutefois distinguer les différents faits générateurs d’une taxe d’immatriculation des véhicules. La présente taxe VM couvre en effet tant l’inscription d’un véhicule dans le registre des immatriculations que sa mise en circulation sur le réseau routier néerlandais sans immatriculation nationale. Lorsqu’une taxe
d’immatriculation de véhicules automobiles se fonde sur la mise en circulation d’un véhicule sur le réseau routier national, le fait générateur de la taxe lié à l’utilisation du véhicule à moteur est constitué dès qu’il franchit la frontière. Dans un tel cas, la taxation découle directement de l’importation de la voiture.
23. Dans deux recours en manquement, concernant une taxe d’immatriculation frappant l’utilisation de voitures déjà immatriculées dans un autre État membre, la Cour a déjà retenu, dans cet esprit, des atteintes aux obligations de la directive 83/182 ( 11 ). La constatation d’une telle atteinte présuppose que la directive 83/812 ait vocation à s’appliquer à des taxes d’immatriculation de véhicules automobiles dans la mesure où elles se fondent sur l’utilisation du réseau routier. De surcroît, dans un
autre recours en manquement, la Cour n’a pas suivi l’avocat général qui concluait que les taxes à la consommation et les taxes d’immatriculation étaient fondamentalement différentes ( 12 ).
24. La jurisprudence que la Cour a consacrée à la directive 83/183/CEE ( 13 ) adoptée simultanément ne s’oppose pas non plus à l’application de la directive 83/182 à des taxes d’immatriculation de véhicules automobiles prélevées à la mise en circulation d’un véhicule. Certes, la Cour a constaté que l’article 1er, paragraphe 1, de la directive 83/183, qui considère également les taxes sur le chiffre d’affaires, les accises et toute autre taxe à la consommation, ne vise pas des taxes prélevées non pas
en raison de l’importation en tant que telle, mais uniquement en raison de l’immatriculation ou de l’utilisation d’un véhicule ( 14 ). Cependant, l’article 1er, paragraphe 2, de la directive 83/183 montre que la notion de taxe à la consommation peut couvrir en principe des taxes d’immatriculation de véhicules, puisqu’il exclut expressément du champ d’application de la directive des taxes concernant l’utilisation de biens, telles que les taxes perçues lors de l’immatriculation des véhicules
automobiles. La conception restrictive de la Cour concernant des taxes à la consommation au sens de la directive 83/183 ne peut dès lors s’expliquer que parce que son article 1er, paragraphe 1, n’inclut expressément que des taxes «normalement» prélevées à l’importation. Les taxes d’immatriculation des véhicules automobiles ne sont cependant pas prélevées dans tous les États membres ( 15 ).
25. Enfin, rien dans la genèse de la directive ne permet de dire que les taxes d’immatriculation des véhicules automobiles ne pourraient pas être incluses dans la notion de la taxe à la consommation au sens de l’article 1er, paragraphe 1, de la directive 83/182 dans la mesure où elles se fondent sur la mise en circulation d’un véhicule sur le réseau routier national. Il est vrai que, dans sa proposition, la Commission avait tout d’abord étendu explicitement le champ d’application aux taxes
d’immatriculation des véhicules automobiles ( 16 ), ce que l’on ne retrouve pas dans la directive adoptée. D’une part, on peut toutefois y voir une volonté du Conseil qui, à l’époque, ne voulait pas voir inclure la taxe classique d’immatriculation des véhicules automobiles qui se fondait uniquement sur l’inscription d’un véhicule automobile dans les registres. D’autre part, en son article 1er, paragraphes 1 et 2, une autre proposition de la Commission qualifie expressément les taxes
d’immatriculation de taxes de consommation ( 17 ).
26. Aux termes de son article 1er, paragraphe 1, la directive 83/182 couvre ainsi une taxe d’immatriculation des véhicules automobiles telle que la taxe VM néerlandaise, dans la mesure où elle taxe la mise en circulation sur le réseau routier national.
b) Conditions d’une franchise fiscale
27. Il convient d’examiner au reste si, dans un cas comme celui qui donne lieu à la procédure au principal, X peut bénéficier d’une franchise prévue dans la directive 83/182.
28. Toutes les franchises fiscales que la directive 83/182 prévoit en ses articles 3 à 5 pour les voitures de tourisme présupposent que la personne qui importe le véhicule doive avoir sa résidence normale dans un État membre autre que celui de l’importation temporaire ( 18 ). Pour qu’une de ces franchises fiscales puisse jouer en l’espèce, X devrait donc avoir sa résidence normale en dehors des Pays-Bas.
29. D’après les faits constatés par la juridiction de renvoi, X a toutefois une résidence à la fois aux Pays-Bas et en Belgique. Et lorsque la taxe frappe la mise en circulation, il faut même avoir une résidence aux Pays-Bas pour prélever la taxe VM.
30. Ces constats faits en droit national aux fins de la taxe VM ne sont toutefois pas décisifs pour la résidence normale qui conditionne les franchises fiscales de la directive 83/182. On doit souligner ici qu’il ne peut exister qu’une seule résidence normale au sens de la directive 83/182, laquelle est uniformément définie dans l’Union ( 19 ) par l’article 7, paragraphe 1, de la directive 83/182. Cela transparaît, d’une part, de la définition de la résidence normale figurant à l’article 7,
paragraphe 1, même, et, d’autre part, de l’article 9, paragraphe 3, deuxième alinéa, de la directive 83/182 qui, «en vue d’éviter toute double imposition», empêche de considérer deux résidences qui pourraient résulter de l’application de règles spéciales en faveur du Royaume de Danemark. Au reste, l’existence d’une seule résidence au sens de la directive répond précisément à l’esprit et à la finalité de la directive 83/182, évoqués dans ses deux premiers considérants, qui veut éliminer les
entraves fiscales à la libre circulation. Ainsi que la Cour l’a déjà indiqué, la résidence normale au sens de la directive sert à délimiter les compétences fiscales des États membres ( 20 ).
31. Bien que, aux fins de la taxe VM, X ait en droit national sa résidence aux Pays-Bas aussi, le bénéfice qu’elle peut éventuellement tirer d’une franchise fiscale de la directive 83/182 impose d’examiner si sa résidence normale au sens de l’article 7, paragraphe 1, ne se trouve pas en dehors des Pays-Bas.
32. Il appartient à la juridiction de renvoi de se livrer à cet examen sur la base de tous les éléments de fait de l’espèce méritant d’être pris en compte au regard des critères dégagés par la jurisprudence de la Cour ( 21 ). Ainsi, pour déterminer le lieu de la résidence normale, il convient de prendre en considération à la fois les attaches professionnelles et personnelles de l’intéressé dans un lieu donné ainsi que leur durée ( 22 ).
33. Si la juridiction de renvoi constate alors que X a aux Pays-Bas sa résidence normale au sens de l’article 7, paragraphe 1, de la directive 83/182, toute franchise fiscale au titre de cette directive est exclue. Autrement, il appartiendrait à la juridiction de renvoi de vérifier chacune des autres conditions des franchises fiscales des articles 3 à 5 de la directive étant entendu que X peut le cas échéant directement invoquer la directive ( 23 ).
c) Conclusion intermédiaire
34. Il convient donc de répondre, dans un premier temps, à la question préjudicielle que le droit de l’Union s’oppose au prélèvement d’une taxe d’immatriculation des véhicules automobiles au titre de la mise en circulation d’une voiture dans un cas où une citoyenne de l’Union est réputée résider dans deux États membres, au regard de législations nationales, et utilise à titre permanent dans les deux États membres sa voiture, déjà immatriculée et taxée dans l’autre État membre, lorsque sa résidence
normale au sens l’article 7, paragraphe 1, de la directive 83/182 ne se trouve pas dans le pays et que les autres conditions d’une franchise fiscale sont réunies.
2. Le droit primaire
35. Si le juge de renvoi devait déterminer dans la procédure au principal que les conditions d’une franchise fiscale au titre de la directive 83/182 ne sont pas réunies ou ne doivent donner lieu qu’à une franchise partielle ( 24 ), la question qui se pose en plus au regard du droit de l’Union est de savoir si le Royaume des Pays-Bas serait justifié à prélever la taxe VM alors que la requérante dans la procédure au principal a déjà acquitté une taxe d’immatriculation en Belgique.
36. La fiscalité automobile relève certes en principe de la compétence des États membres, mais ils doivent toutefois l’exercer dans le respect du droit primaire de l’Union ( 25 ). Ce respect que les États membres doivent au droit primaire a déjà donné lieu à une jurisprudence très abondante de la Cour rendue dernièrement surtout par voie d’ordonnances.
37. Selon une jurisprudence constante, il est conforme à l’article 90 CE (devenu article 110 TFUE) qu’un État membre, lors de la fixation de la résidence normale de l’intéressé sur son territoire, exige le versement d’un droit d’enregistrement du véhicule, indépendamment du point de savoir si un droit d’enregistrement similaire a déjà été payé dans un autre État membre ( 26 ).
38. Toutefois, dans le passé, la Cour a constaté à plusieurs reprises des manquements des États membres aux libertés fondamentales dans le prélèvement de taxes d’immatriculation de véhicules automobiles ( 27 ). Nous devrons dès lors examiner plus bas si le prélèvement d’une taxe comme la taxe VM néerlandaise méconnaît une liberté fondamentale lorsque l’intéressé a déjà acquitté une taxe d’immatriculation dans un autre État membre.
39. Le prélèvement de la taxe VM s’inscrivant dans l’exercice d’une activité non salariée d’orthodontiste que X exerce aux Pays-Bas, nous nous livrerons à cet examen au regard de la liberté d’établissement de l’article 43 CE (devenu article 49 TFUE).
a) Restrictions
40. L’article 43 CE interdit les restrictions au libre établissement de ressortissants d’un État membre dans le territoire d’un autre État membre. Aux termes du deuxième alinéa de cette disposition, la liberté d’établissement comporte l’exercice d’activités non salariées. En tant que ressortissante belge, X est donc protégée par la liberté d’établissement dans l’exercice de son activité d’orthodontiste aux Pays-Bas.
41. Sont en principe à considérer comme restrictions à la liberté d’établissement les mesures qui interdisent, gênent ou rendent moins attrayant l’exercice de la liberté d’établissement ( 28 ). Le fait que X doive payer la taxe VM en raison de l’utilisation du réseau routier néerlandais constitue en principe une restriction de cette nature.
42. La Cour a toutefois déterminé à plusieurs reprises, en particulier à l’endroit de la libre circulation des travailleurs de l’article 39 CE, que le transfert d’une activité dans un autre État membre ne devait pas être nécessairement neutre en matière d’imposition. En principe, un éventuel désavantage, par rapport à la situation antérieure au transfert, n’est pas contraire à l’article 39 CE, si cette législation ne désavantage pas ce travailleur par rapport à ceux qui y étaient déjà précédemment
assujettis ( 29 ). Il s’ensuit qu’on ne doit dès lors retenir l’existence d’une restriction en raison de l’imposition dans l’État d’accueil qu’en cas de discrimination par rapport à une situation purement interne comparable. Les articles 39 CE et 43 CE assurant la même protection juridique ( 30 ), cela vaut également pour la liberté d’établissement à appliquer ici.
43. Selon une jurisprudence constante, un État membre peut soumettre à une taxe d’immatriculation un véhicule automobile immatriculé dans un autre État membre lorsque ledit véhicule est destiné à être essentiellement utilisé sur le territoire du premier État membre à titre permanent ou qu’il est, en fait, utilisé de cette façon ( 31 ). Alors que l’ancienne jurisprudence a considéré que cela justifiait la restriction d’une liberté fondamentale ( 32 ), la Cour a précisé récemment à juste titre que,
dans un tel cas, faute d’inégalité de traitement, il n’y a pas de discrimination car en définitive toutes les personnes qui utilisent, avec ou sans immatriculation du pays, un véhicule à titre permanent dans le pays, sont traitées de manière égale ( 33 ).
44. Dans ce contexte, le prélèvement de la taxe VM ne constitue pas une restriction à la liberté d’établissement de X si, ainsi que la juridiction de renvoi compétente à cet égard ( 34 ) l’a déjà constaté en fait, elle utilise son véhicule à titre permanent aux Pays-Bas. L’utilisation du véhicule par X n’étant pas limitée dans le temps par un contrat de location ( 35 ), elle est traitée en définitive par le prélèvement de la taxe comme les personnes qui utilisent aux Pays-Bas un véhicule à titre
permanent parce qu’il y est immatriculé.
45. Le fait, constaté par la juridiction de renvoi, que X utilise également son véhicule à titre permanent en Belgique ne le récuse pas. Selon la jurisprudence, il n’y a tout d’abord pas de rattachement impératif entre la résidence d’une personne et le lieu de l’utilisation à titre permanent ( 36 ). Une utilisation essentiellement à titre permanent dans un État membre ne signifie donc pas non plus une utilisation qui s’y déroule exclusivement et constamment. C’est ainsi que la Cour a déjà admis une
utilisation à titre essentiellement permanent dans un État membre par exemple si l’intéressé se rend tous les jours ouvrés avec son véhicule à son lieu de travail dans un autre État membre et utilise ainsi régulièrement le réseau routier qui s’y trouve ( 37 ).
46. Enfin, le principe de proportionnalité ne limite pas un double prélèvement de taxes d’immatriculation de véhicules automobiles par deux États membres, comme en l’espèce dans certaines conditions. Si l’on doit en effet constater une utilisation à titre essentiellement permanent sans limitation de temps dans le pays, il n’y a pas de principe de proportionnalité à respecter contrairement à ce qu’en dit la juridiction de renvoi dans la décision de renvoi. Il ne doit en effet l’être, selon la
jurisprudence, que si le prélèvement de la taxe requiert une justification car un véhicule n’est pas utilisé à titre essentiellement permanent dans le pays ( 38 ) ou parce que l’utilisation est soumise à une limitation de durée ( 39 ). Mais s’il s’agit d’une utilisation à titre permanent sans limitation de durée, il n’y a tout simplement pas, nous l’avons dit ( 40 ), de restriction à défaut d’inégalité de traitement en sorte que la taxe ne doit pas être évaluée dans sa proportionnalité.
47. Ces principes dictés par la jurisprudence sur la compatibilité de taxes d’immatriculation des véhicules automobiles avec les libertés fondamentales peuvent aboutir à soumettre un citoyen de l’Union à la double imposition de taxes d’immatriculation des véhicules automobiles. C’est ainsi que, en l’espèce, il se peut que, en plus de la taxe acquittée en Belgique au titre de l’immatriculation, X doive acquitter aux Pays-Bas aussi une taxe au titre de l’utilisation du réseau routier néerlandais en
particulier si elle y a sa résidence normale au sens de la directive 83/182.
48. Indépendamment du fait qu’une double imposition de cette nature puisse se justifier par la double utilisation des réseaux routiers nationaux, il est conforme à une jurisprudence constante que les désavantages pouvant découler de l’exercice parallèle des compétences fiscales des différents États membres, pour autant qu’un tel exercice n’est pas discriminatoire, ne constituent pas des restrictions aux libertés de circulation ( 41 ). Il s’ensuit que même la double imposition juridique est en
principe compatible avec les libertés fondamentales, c’est-à-dire l’imposition de la même opération par deux États membres ( 42 ). Il doit dès lors être à plus forte raison loisible aux États membres de pratiquer une taxation qui n’aboutit qu’à une double imposition économique, ici de l’utilisation d’un véhicule, par deux États membres différents. Le présent cas d’espèce ne concernerait en effet pas une double imposition juridique car la taxe serait prélevée aux Pays-Bas au titre de
l’utilisation du réseau routier néerlandais et en Belgique au titre de l’immatriculation locale.
49. Le droit de l’Union offre toutefois avec la directive 83/182, nous l’avons vu ( 43 ), une certaine limitation d’une double imposition née de taxes d’immatriculation des véhicules automobiles. Dans la mesure où le véhicule est immatriculé dans l’État membre de la résidence normale au sens de cette directive, la taxation au titre de l’utilisation du véhicule dans un autre État membre devrait être régulièrement exclue par les franchises fiscales de cette directive.
50. En conclusion, la taxe VM néerlandaise réclamée à X ne restreindrait pas le droit d’établissement que l’article 43 CE lui garantit.
b) Conclusion intermédiaire
51. En conséquence, dans un cas comme celui qui donne lieu à la procédure au principal, le droit primaire n’empêche pas un État membre de prélever une taxe telle la taxe VM alors que l’assujetti a déjà acquitté une taxe d’immatriculation dans un autre État membre.
V – Conclusion
52. Nous proposons donc à la Cour de répondre aux questions préjudicielles du Hoge Raad der Nederlanden comme suit:
Le droit de l’Union ne s’oppose au prélèvement d’une taxe d’immatriculation des véhicules automobiles au titre de la mise en circulation d’une voiture dans un cas où une citoyenne de l’Union a une habitation dans deux États membres et utilise à titre permanent dans les deux États membres sa voiture, déjà immatriculée et taxée dans l’autre État membre, que lorsque sa résidence normale au sens l’article 7, paragraphe 1, de la directive 83/182/CEE du Conseil, du 28 mars 1983, relative aux
franchises fiscales applicables à l’intérieur de la Communauté en matière d’importation temporaire de certains moyens de transport, ne se trouve pas dans le pays et que les autres conditions d’une franchise fiscale sont réunies.
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( 1 ) Langue originale: l’allemand.
( 2 ) Voir, à cet égard, ordonnance du 27 avril 2012, Notermans-Boddenberg (C‑114/11); arrêt du 26 avril 2012, van Putten (C‑578/10 à C‑580/10); ordonnances du 29 septembre 2010, VAV-Autovermietung (C‑91/10); du 22 mai 2008, Ilhan (C‑42/08), et du 27 juin 2006, van de Coevering (C-242/05, Rec. p. I-5843).
( 3 ) JO L 105, p. 59.
( 4 ) Voir arrêt van Putten, précité (point 6).
( 5 ) Voir sur cette compétence de la Cour, notamment, arrêts du 20 mars 1986, Tissier (35/85, Rec. p. 1207, point 9), et du 30 mai 2013, Worten (C‑342/12, point 30).
( 6 ) Directive du Conseil du 16 décembre 1991 complétant le système commun de la taxe sur la valeur ajoutée et modifiant, en vue de l’abolition des frontières fiscales, la directive 77/388/CEE (JO L 376, p. 1).
( 7 ) Voir arrêt du 20 septembre 2007, Commission/Pays-Bas (C-297/05, Rec. p. I-7467, point 12).
( 8 ) Voir points 112 et suivants des conclusions que nous avons présentées le 5 septembre 2013 dans l’affaire Hervis Sport- es Divatkereskedelmi (C‑385/12, pendante devant la Cour), à propos de l’article 401 de la directive 2006/112/CE.
( 9 ) En ce sens points 43 et suivants des conclusions que l’avocat général Mischo a présentées le 27 avril 1989 dans l’affaire Wisselink e.a. (arrêt du 13 juillet 1989, 93/88 et 94/88, Rec. p. 2671).
( 10 ) Voir, en ce sens, point 56 des conclusions que l’avocat général Mme Stix-Hackl a présentées le 4 mars 2004 dans l’affaire Lindfors (arrêt du 15 juillet 2004, C-365/02, Rec. p. I-7183).
( 11 ) Voir arrêts du 7 juin 2007, Commission/Grèce (C-156/04, Rec. p. I-4129), et du 4 juin 2009, Commission/Finlande (C‑144/08).
( 12 ) Voir points 75 et suivants des conclusions que l’avocat général Jacobs a présentées le 20 janvier 2005 dans l’affaire Commission/Danemark (arrêt du 15 septembre 2005, C-464/02, Rec. p. I-7929).
( 13 ) Directive du Conseil du 28 mars 1983 relative aux franchises fiscales applicables aux importations définitives de biens personnels des particuliers en provenance d’un État membre (JO L 105, p. 64).
( 14 ) Voir notamment arrêts du 29 avril 2004, Weigel (C-387/01, Rec. p. I-4981, point 47), et Alevizos, précité (point 49); voir également points 50 à 56 et jurisprudence citée des conclusions que nous avons présentées le 25 janvier 2007 dans l’affaire Alevizos, précitée.
( 15 ) Voir communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil et au Comité économique et social européen, du 14 décembre 2012, intitulée «Renforcer le marché unique en supprimant les obstacles fiscaux transfrontières pour les voitures particulières» [COM(2012) 756 final, p. 5].
( 16 ) Article 1er de la proposition de directive du Conseil du 30 octobre 1975relative aux franchises fiscales applicables à l’intérieur de la Communauté en matière d’importation temporaire de certains moyens de transport (JO C 267, p. 8).
( 17 ) Article 1er, paragraphes 1 et 2, de la proposition de directive du Conseil du 10 février 1998 régissant le traitement fiscal des véhicules à moteur de tourisme transférés définitivement dans un autre État membre dans le cadre d’un transfert de résidence ou utilisés temporairement dans un État membre autre que celui où ils sont immatriculés (JO C 108, p. 75).
( 18 ) Voir en particulier articles 3, sous a), aa), 4, paragraphe 1, sous a), aa), et 5, paragraphe 1, sous a) et b), de la directive 83/182.
( 19 ) Voir arrêt du 2 août 1993, Commission/Grèce (C-9/92, Rec. p. I-4467, point 8).
( 20 ) Voir, en ce sens, arrêt du 23 avril 1991, Ryborg (C-297/89, Rec. p. I-1943, points 13 à 16).
( 21 ) Voir, en ce sens, arrêt du 7 juin 2007, Commission/Grèce (C-156/04, Rec. p. I-4129, point 46).
( 22 ) Voir, à cet égard, en particulier arrêt Commission/Grèce (précité à la note 21, point 45 et jurisprudence citée).
( 23 ) Voir arrêt du 29 mai 1997, Klattner (C-389/95, Rec. p. I-2719, point 35), sur l’article 3 de la directive 83/182.
( 24 ) Voir à cet égard en particulier les règles de l’article 3 au début et de l’article 4, paragraphe 2, de la directive 83/182.
( 25 ) Voir, en ce sens, arrêt van Putten (précité à la note 2, point 37 et jurisprudence citée).
( 26 ) Arrêt Commission/Grèce (précité à la note 21, point 85 et jurisprudence citée).
( 27 ) Voir dernièrement ordonnance VAV-Autovermietung, précitée.
( 28 ) Voir arrêt du 7 mars 2013, DKV Belgium (C‑577/11, point 31 et jurisprudence citée).
( 29 ) Arrêts précités Weigel (point 55) et Alevizos (point 76), et du 15 septembre 2011, Schulz-Delzers et Schulz (C-240/10, Rec. p. I-8531, point 42).
( 30 ) Arrêt du 5 février 1991, Roux (C-363/89, Rec. p. I-273, point 23) sur les articles 48 et 52 CEE.
( 31 ) Arrêt van Putten (précité à la note 2, point 46 et jurisprudence citée).
( 32 ) Voir arrêts du 15 décembre 2005, Nadin et Nadin-Lux (C-151/04 et C-152/04, Rec. p. I-11203, point 41); et du 23 février 2006, Commission/Finlande (C‑232/03, points 44 à 47), et ordonnance du 27 juin 2006, van de Coevering (C-242/05, Rec. p. I-5843, points 21 à 24).
( 33 ) Voir, en ce sens, arrêt van Putten (précité à la note 2, point 50); et ordonnance Notermans-Boddenberg, précité (point 27); de manière similaire déjà arrêt Commission/Danemark (précité à la note 12, point 78).
( 34 ) Voir arrêt Nadin et Nadin-Lux (précité à la note 32, point 42).
( 35 ) Voir à cet égard ordonnance VAV-Autovermietung (précitée à la note 2, point 19 et jurisprudence citée).
( 36 ) Voir à cet égard arrêts Nadin et Nadin-Lux (précité à la note 32), et Commission/Finlande (précité à la note 32), et ordonnance du 24 octobre 2008, Vandermeir (C-364/08, Rec. p. I-8087).
( 37 ) Voir ordonnance Notermans-Boddenberg (précitée à la note 2, points 29 et suiv.).
( 38 ) Voir ordonnance van de Coevering (précitée à la note 32, points 26 et suiv.).
( 39 ) Voir ordonnance Ilhan, précitée (points 18 et suiv.).
( 40 ) Voir plus haut points 43 et suiv.
( 41 ) Voir uniquement arrêt du 8 décembre 2011, Banco Bilbao Vizcaya Argentaria (C-157/10, Rec. p. I-13023, point 38 et jurisprudence citée).
( 42 ) Voir arrêt du 16 juillet 2009, Damseaux (C-128/08, Rec. p. I-6823, points 26 et suiv.).
( 43 ) Voir plus haut points 15 et suiv.