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11/07/2013 | CJUE | N°C-225/12

CJUE | CJUE, Arrêt de la Cour, C. Demir contre Staatssecretaris van Justitie., 11/07/2013, C-225/12


CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. NILS WAHL

présentées le 11 juillet 2013 ( 1 )

Affaire C‑225/12

C. Demir

contre

Staatssecretaris van Justitie

[demande de décision préjudicielle formée par le Nederlandse Raad van State (Pays‑Bas)]

«Accord d’association CEE-Turquie — Libre circulation des travailleurs — Obligation de statu quo en vertu de l’article 13 de la décision no 1/80 — Champ d’application — Législation d’un État membre exigeant un titre de séjour temporaire avant l’en

trée sur le territoire national»

1.  La présente affaire porte sur l’interprétation de l’article 13 de la déci...

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. NILS WAHL

présentées le 11 juillet 2013 ( 1 )

Affaire C‑225/12

C. Demir

contre

Staatssecretaris van Justitie

[demande de décision préjudicielle formée par le Nederlandse Raad van State (Pays‑Bas)]

«Accord d’association CEE-Turquie — Libre circulation des travailleurs — Obligation de statu quo en vertu de l’article 13 de la décision no 1/80 — Champ d’application — Législation d’un État membre exigeant un titre de séjour temporaire avant l’entrée sur le territoire national»

1.  La présente affaire porte sur l’interprétation de l’article 13 de la décision no 1/80 adoptée par le conseil d’association ( 2 ) institué par l’accord créant une association entre la Communauté économique européenne et la République de Turquie ( 3 ). Cette disposition est une clause de statu quo qui interdit aux parties contractantes d’introduire de nouvelles restrictions à la libre circulation des travailleurs à compter du 1er décembre 1980.

2.  Dans sa demande de décision préjudicielle, le Nederlandse Raad van State (Conseil d’État, Pays-Bas) demande des précisions sur le champ d’application exact de cette clause de statu quo. Il s’interroge en particulier sur la question de savoir dans quelles circonstances un ressortissant turc peut se prévaloir de l’article 13 de la décision no 1/80.

I – Cadre juridique

A – L’accord d’association CEE-Turquie

3. Conformément à l’article 2, paragraphe 1, de l’accord d’association, cet accord a pour objet de promouvoir le renforcement continu et équilibré des relations commerciales et économiques entre les parties contractantes, par la réalisation graduelle de la libre circulation des travailleurs ainsi que par l’élimination des restrictions à la liberté d’établissement et à la libre prestation des services.

4. Un protocole additionnel a été signé le 23 novembre 1970 ( 4 ) (ci‑après le «protocole additionnel»). L’article 41 de ce protocole dispose:

«1.   Les parties contractantes s’abstiennent d’introduire entre elles de nouvelles restrictions à la liberté d’établissement et à la libre prestation des services.»

5. Le 19 septembre 1980, le conseil d’association a adopté la décision no 1/80.

6. L’article 6 de la décision no 1/80 dispose:

«1.   Sous réserve des dispositions de l’article 7 relatif au libre accès à l’emploi des membres de sa famille, le travailleur turc, appartenant au marché régulier de l’emploi d’un État membre:

— a droit, dans cet État membre, après un an d’emploi régulier, au renouvellement de son permis de travail auprès du même employeur si celui-ci dispose d’un emploi;

[…]»

7. Son article 13 énonce:

«Les États membres de la Communauté et la Turquie ne peuvent introduire de nouvelles restrictions concernant les conditions d’accès à l’emploi des travailleurs et des membres de leur famille qui se trouvent sur leur territoire respectif en situation régulière en ce qui concerne le séjour et l’emploi.»

8. Conformément à l’article 16 de la décision no 1/80, les dispositions de cette décision s’appliquaient à compter du 1er décembre 1980.

B – Le droit national

9. Le 1er décembre 1980, la date pertinente aux fins du statu quo en vertu de l’article 13 de la décision no 1/80, l’entrée et le séjour des ressortissants étrangers aux Pays-Bas étaient régis par la loi relative aux étrangers (Vreemdelingenwet 1965) ( 5 ) (ci-après la «Vw 1965») et par l’arrêté d’exécution de la loi relative aux étrangers (Vreemdelingenbesluit 1966) ( 6 ) (ci-après le «Vb 1966»).

10. Selon l’article 41, paragraphe 1, sous c), du Vb 1966, dans sa version applicable au 1er décembre 1980, les ressortissants étrangers désireux de séjourner aux Pays-Bas pendant plus de trois mois devaient être en possession d’un passeport en cours de validité et d’un titre de séjour temporaire valable. Toutefois, le défaut de titre de séjour temporaire n’était pas considéré comme un motif suffisant de refus d’entrée sur le territoire s’il résultait d’un examen au fond que les conditions d’entrée
étaient remplies au demeurant.

11. La loi du 23 novembre 2000 procédant à une révision générale de la loi relative aux étrangers (Wet van 23 november 2000 tot algehele herziening van de Vreemdelingenwet) ( 7 ) (ci-après la «Vw 2000») est entrée en vigueur le 1er avril 2001. Le même jour est entré en vigueur l’arrêté d’exécution de ladite loi (Vreemdelingenbesluit 2000) ( 8 ) (ci‑après le «Vb 2000»).

12. En vertu de l’article 1er, sous h), de la Vw 2000, on entend par «titre de séjour temporaire» un visa pour un séjour de plus de trois mois demandé en personne par un étranger auprès d’une représentation diplomatique ou consulaire des Pays-Bas dans le pays d’origine et délivré par ladite représentation en vertu d’une autorisation préalable accordée par le ministère des Affaires étrangères.

13. Selon l’article 8, sous a), de la Vw 2000, un étranger peut séjourner légalement aux Pays-Bas s’il dispose d’un titre de séjour à durée déterminée.

14. Conformément à l’article 8, sous f), de la Vw 2000, un ressortissant étranger peut séjourner légalement aux Pays-Bas dans l’attente d’une décision sur une demande de titre de séjour à durée déterminée et il ne peut entre-temps être éloigné du territoire national.

15. L’article 16, paragraphe 1, sous a), de la Vw 2000 prévoit que la demande d’un titre de séjour à durée déterminée peut être rejetée si l’étranger ne dispose pas d’un titre de séjour temporaire valable dont la délivrance a été motivée par un but correspondant à celui de la demande de titre de séjour à durée déterminée.

16. Selon l’article 3.71, paragraphe 1, du VB 2000, une demande de titre de séjour à durée déterminée est rejetée si l’étranger ne dispose pas d’un titre de séjour provisoire valable.

17. Enfin, selon la circulaire relative aux étrangers de 2000 (Vreemdelingencirculaire 2000), une demande de titre de séjour temporaire est examinée en tenant compte des exigences auxquelles est soumis l’octroi d’un titre de séjour. En vertu de cette circulaire, l’obligation de demander un titre de séjour temporaire avant l’arrivée au Pays-Bas donne aux autorités la possibilité de vérifier plus facilement que le ressortissant étranger en question remplit toutes les conditions régissant la délivrance
d’un titre de séjour.

II – Les faits à l’origine du litige, la procédure au principal et les questions préjudicielles

18. M. C. Demir, de nationalité turque, est entré aux Pays-Bas le 1er octobre 1990 et il a été éloigné du territoire national le 11 décembre 1991 après avoir été arrêté pour séjour irrégulier.

19. Le 19 avril 1993, M. Demir a présenté une demande de titre de séjour pour résider aux Pays-Bas avec son épouse, de nationalité néerlandaise. Un titre de séjour lui a été délivré pour la période allant du 7 mai au 19 septembre 1993. Ce titre de séjour autorisait M. Demir à occuper le type d’activité professionnelle ne nécessitant aucun permis de travail. La validité dudit titre de séjour a ensuite été prorogée jusqu’au 18 juillet 1995. Durant cette période, M. Demir a occupé des emplois auprès de
divers employeurs durant plus de dix mois.

20. Après la dissolution de son mariage, M. Demir a présenté, le 3 août 1995, une demande de titre de séjour prolongé. Par décision du 8 juillet 1997, cette demande a été rejetée. Après un recours administratif infructueux, l’action judiciaire intentée par M. Demir contre la décision précitée a été déclarée irrecevable par un jugement du 12 mars 1998.

21. Entre 1998 et 2007, M. Demir a présenté plusieurs demandes de titre de séjour qui ont toutes été rejetées par les autorités nationales compétentes.

22. La présente affaire concerne une demande introduite par M. Demir le 13 février 2007 dans l’objectif d’obtenir un titre de séjour ordinaire à durée déterminée aux fins d’exercer une activité professionnelle salariée.

23. Le Staatssecretaris van justitie (ministre de la Justice néerlandais, ci-après le «ministre») a rejeté la demande de M. Demir par décision du 26 avril 2007, au motif que le demandeur n’était pas en possession d’un titre de séjour temporaire valable délivré dans un but correspondant à celui de la demande de titre de séjour à durée déterminée. Par décision du 10 septembre 2007, le ministre a ensuite rejeté comme non fondée l’objection soulevée par M. Demir contre cette décision.

24. M. Demir a contesté cette dernière décision devant le Rechtbank ’s-Gravenhage (tribunal d’arrondissement de La Haye), qui, par jugement du 16 juin 2008, a rejeté son recours. Selon ce tribunal, il résultait de l’arrêt Abatay e.a. ( 9 ) que des ressortissants turcs qui n’avaient pas respecté les règles de l’État membre d’accueil concernant la première entrée et le séjour sur le territoire et qui, par conséquent, ne résidaient pas de manière régulière sur le territoire de cet État, ne pouvaient
pas se prévaloir de l’article 13 de la décision no 1/80. Le Rechtbank ’s-Gravenhage a jugé que M. Demir ne pouvait pas se prévaloir de l’article 13 de la décision no 1/80 parce qu’il ne résidait pas aux Pays-Bas de manière régulière à la date de la demande pertinente, c’est‑à-dire le 13 février 2007.

25. Le 16 juillet 2008, M. Demir a fait appel de ce jugement devant la juridiction de renvoi, qui a saisi la Cour d’une demande de décision préjudicielle sur les questions suivantes:

«1) Faut-il interpréter l’article 13 de la décision no 1/80 en ce sens que cette disposition est applicable à une condition de fond et/ou de procédure en matière de première admission sur le territoire d’un État membre – même lorsqu’une telle condition (en l’occurrence une autorisation de séjour provisoire) a également pour objectif de prévenir, avant l’introduction d’une demande de titre de séjour, l’entrée et le séjour irréguliers – et peut, dès lors, être considérée comme une mesure qui peut
être renforcée, selon les termes du point 85 de l’arrêt […] Abatay e.a. […]?

2) a) Quelle signification faut-il reconnaître, à cet égard, à l’exigence d’une situation régulière en ce qui concerne le séjour, telle que prévue à l’article 13 de la décision no 1/80?

b) Importe-t-il, dans le cadre de cette appréciation, de prendre en considération le fait que l’introduction même d’une demande fait naître, en droit national, un séjour en situation régulière tant que la demande n’a pas été rejetée, ou, tout simplement, le fait que le séjour antérieur à l’introduction d’une demande est considéré selon le droit national comme illégal?»

26. Des observations écrites ont été présentées par M. Demir, les gouvernements néerlandais, allemand et italien ainsi que par la Commission européenne, qui, à l’exception du gouvernement italien, ont tous présenté des observations orales à l’audience du 25 avril 2013.

III – Analyse juridique

A – Questions préliminaires

27. La raison qui sous-tend les clauses de statu quo telles que l’article 13 de la décision no 1/80 et l’article 41, paragraphe 1, du protocole additionnel est d’interdire une aggravation des conditions existant à une date donnée ( 10 ). Ces clauses fonctionnent comme des «règles de nature quasi procédurale», qui déterminent, ratione temporis, les dispositions de la réglementation d’un État membre au regard desquelles il y a lieu d’apprécier la situation d’un ressortissant turc souhaitant faire
usage de la liberté d’établissement dans un État membre ( 11 ). En d’autres termes, une clause de statu quo détermine le droit applicable dans une affaire comme celle pendante devant la juridiction de renvoi.

28. L’élément central de la présente affaire réside dans la nécessité de concilier deux courants jurisprudentiels concernant le champ d’application de l’article 13 de la décision no 1/80 et de l’article 41 du protocole additionnel. De manière plus spécifique, la question qui se pose est de savoir si ces clauses de statu quo doivent être interprétées de la même manière, nonobstant certaines différences dans leur libellé.

29. Pour une meilleure compréhension des questions qui sous-tendent la présente demande de décision préjudicielle, je considère utile d’exposer brièvement les principes fondamentaux dégagés par la Cour dans sa jurisprudence concernant les clauses de statu quo en cause.

30. D’une part, la Cour a toujours jugé que chacune de ces clauses de statu quo vise à empêcher les autorités nationales d’introduire de nouveaux obstacles à l’exercice de la libre circulation des travailleurs, au droit d’établissement et à la libre prestation des services et ce faisant d’instaurer les conditions favorables à la réalisation graduelle de ces libertés. Par conséquent, le même objectif – garantir la réalisation progressive de ces libertés à l’égard des parties contractantes – se trouve
au cœur même de ces deux dispositions ( 12 ).

31. La Cour a en outre jugé que ces deux dispositions s’opposent, de la même manière, à l’adoption de toute nouvelle restriction à l’exercice de la liberté d’établissement, de la libre prestation des services et de la libre circulation des travailleurs. Cette interdiction porte sur les restrictions aux conditions de fond et/ou de procédure en matière de première admission sur le territoire d’un État membre des ressortissants turcs désireux de faire usage des libertés économiques consacrées par
l’accord d’association ( 13 ).

32. D’autre part, comme le relève la juridiction de renvoi, la Cour a constaté dans son arrêt antérieur Abatay e.a., précité, que, même si le champ d’application de l’article 13 de la décision no 1/80 n’est pas limité aux ressortissants turcs déjà intégrés au marché du travail d’un État membre, à la différence de l’article 6 de la décision no 1/80, la clause de statu quo ne saurait dès lors profiter à un ressortissant turc «que s’il a respecté les règles de l’État membre d’accueil en matière
d’entrée, de séjour et, le cas échéant, d’emploi et si, partant, il se trouve légalement sur le territoire dudit État». Par conséquent, les autorités compétentes demeurent «donc en droit, même depuis l’entrée en vigueur de la décision no 1/80, de renforcer les mesures susceptibles d’être prises à l’encontre des ressortissants turcs qui seraient en situation irrégulière» ( 14 ).

33. Toutefois, cela semble en contradiction avec la jurisprudence postérieure de la Cour concernant l’article 41, paragraphe 1, du protocole additionnel. Dans ce contexte, la Cour a constaté de manière spécifique que la circonstance que le ressortissant turc concerné réside ou non de manière régulière dans l’État membre d’accueil à la date de sa demande n’est pas pertinente aux fins de l’application de la clause de statu quo ( 15 ).

34. Au premier abord, l’articulation entre les déclarations précédentes semble quelque peu complexe. Comment interpréter le champ d’application de l’article 13 de la décision no 1/80? Quelle pertinence doit-on notamment accorder à l’expression «qui se trouvent sur leur territoire respectif en situation régulière», mentionnée à l’article 13 lorsqu’on détermine qui peut se prévaloir de cette disposition?

35. Dans les points qui suivent, j’analyserai tout d’abord la question de l’applicabilité de l’article 13 de la décision no 1/80 aux règles régissant l’octroi d’un titre de séjour comme celles examinées ici. J’examinerai ensuite l’importance du critère du séjour régulier aux fins de l’application de la disposition. Dans ce contexte, j’aborderai également la question de savoir si, comme la juridiction de renvoi l’envisage, les déclarations de la Cour dans l’arrêt Abatay e.a., précité ( 16 ), sont
pertinentes pour l’interprétation de l’article 13 dans l’affaire qu’elle a maintenant à juger.

B – L’existence d’une nouvelle restriction

36. La première question de la juridiction de renvoi vise à savoir si une condition telle que la possession d’un titre de séjour temporaire prévue par la Vw 2000 constitue une nouvelle restriction à la libre circulation des travailleurs équivalant à une «conditio[n] de fond et/ou de procédure en matière de première admission sur le territoire de l’État membre concerné des ressortissants turcs» au sens de la jurisprudence de la Cour précitée ( 17 ).

37. Cela me paraît être effectivement le cas.

38. Tout d’abord, il y a lieu de souligner que l’article 13 de la décision no 1/80 n’affecte en rien la compétence des États membres de refuser à des ressortissants turcs le droit d’entrer sur leur territoire et d’y occuper un premier emploi salarié ( 18 ). Elle impose toutefois des limites à l’exercice de cette compétence. De manière plus spécifique, l’obligation de statu quo n’a pas exigé des États membres qu’ils suppriment les restrictions à la libre circulation des travailleurs qui existaient
déjà à la date à laquelle la clause de statu quo a pris effet. Elle crée en revanche une obligation de maintenir le statu quo et, par conséquent, de s’abstenir d’introduire de nouvelles mesures susceptibles d’entraver la réalisation progressive des objectifs de l’accord d’association ( 19 ).

39. Postérieurement à l’arrêt Abatay e.a., précité, la Cour a également admis que l’obligation de statu quo au titre de l’article 13 de la décision no 1/80 s’étend – à l’instar de l’obligation prévue à l’article 41 du protocole additionnel – à l’introduction de toute mesure nouvelle qui aurait pour objectif ou pour effet de soumettre l’exercice de la libre circulation des travailleurs à des conditions plus restrictives que celles qui lui étaient applicables à la date d’entrée en vigueur de la
décision no 1/80 à l’égard de l’État membre concerné ( 20 ).

40. En principe, l’article 13 de la décision no 1/80 s’applique non seulement aux mesures directement liées à l’accès à l’emploi, mais également aux règles régissant la première admission sur le territoire d’un État membre de ressortissants turcs qui entendent faire usage de la libre circulation des travailleurs. À cet égard, la Cour a interprété l’article 13 comme s’appliquant aux règles régissant l’octroi et la prorogation de titres de séjour ( 21 ). En fait, eu égard au lien étroit existant
entre, d’une part, la nécessité d’obtenir un titre de séjour et, d’autre part, la possibilité d’occuper une activité professionnelle dans l’État membre d’accueil, l’extension en ce sens du champ d’application de l’article 13 de la décision no 1/80 pour couvrir la première admission semble appropriée pour garantir l’efficacité de la clause de statu quo.

41. S’agissant de la présente affaire, il résulte des informations figurant dans l’ordonnance de renvoi que, du fait de l’entrée en vigueur de la Vw 2000, les conditions d’exercice du droit à la libre circulation des travailleurs sont devenues plus strictes.

42. Il est vrai que la condition de possession d’un titre de séjour temporaire existait déjà le 1er décembre 1980 (comme le prévoit le Vb 1966). Il s’agit de la date à laquelle l’obligation de statu quo a pris effet et de la date de référence pertinente pour apprécier les effets de cette clause dans l’affaire pendante devant la juridiction de renvoi.

43. Toutefois, conformément à la jurisprudence de la juridiction de renvoi, l’absence d’un tel titre n’était pas considérée comme une condition suffisante pour refuser l’entrée sur le territoire au titre de la Vw 1965 si le demandeur remplissait au demeurant les autres conditions d’une première admission. En d’autres termes, l’absence d’un titre de séjour temporaire ne figurait pas parmi les motifs de refus sous réserve qu’un examen au fond de la demande démontre que les conditions d’octroi du titre
de séjour sollicité auraient été remplies autrement.

44. À cet égard, la juridiction de renvoi fait observer que l’absence d’un titre de séjour temporaire ne constituait pas un motif distinct et suffisant pour refuser l’admission jusqu’à l’entrée en vigueur, le 1er avril 2001, de la Vw 2000 ( 22 ).

45. Il ressort de l’ordonnance de renvoi que, depuis 2001, les ressortissants des pays tiers, y compris les ressortissants turcs, doivent demander un titre de séjour temporaire en dehors des Pays-Bas. La possession d’un titre de séjour temporaire (obtenu en dehors des Pays-Bas) semble donc constituer désormais un préalable nécessaire à l’obtention d’un titre de séjour ordinaire à durée déterminée.

46. En d’autres termes, avant l’entrée en vigueur de la Vw 2000, les ressortissants étrangers pouvaient présenter une demande de titre de séjour ordinaire à durée déterminée aux Pays-Bas sans courir le risque de refus automatique s’ils n’étaient pas déjà titulaires d’un titre de séjour temporaire. Étant donné que ce n’est plus le cas et que l’entrée irrégulière et le séjour irrégulier antérieurement à la demande constituent désormais un motif de refus suffisant, il me semble clair qu’une législation
nationale comme celle en cause constitue un nouvel obstacle à la libre circulation des travailleurs au sens de l’article 13 de la décision no 1/80. Il en va ainsi parce que, à la différence de la situation qui prévalait avant le 1er avril 2001, cette législation fait dépendre la première admission dans le pays de la détention d’un titre de séjour temporaire délivré en dehors des Pays-Bas ( 23 ).

47. Je propose donc de répondre à la première question préjudicielle que l’article 13 de la décision no 1/80 est applicable à une condition de fond et/ou de procédure en matière de première admission sur le territoire d’un État membre telle que la condition de posséder un titre de séjour temporaire en cause dans l’affaire pendante devant la juridiction de renvoi.

C – Le critère du séjour régulier

1. Qui peut se prévaloir de l’article 13 de la décision no 1/80?

48. Par sa seconde question, divisée en deux branches, la juridiction de renvoi cherche à savoir quelle signification attribuer dans ce contexte à l’expression «qui se trouvent sur leur territoire respectif en situation régulière» au sens de l’article 13 de la décision no 1/80. En d’autres termes: l’article 13 s’applique-t-il uniquement aux ressortissants turcs qui résident régulièrement dans l’État membre d’accueil ( 24 )?

49. Cette question appelle, à mon sens, une réponse négative. Dans les considérations qui suivent, j’exposerai les raisons pour lesquelles je ne pense pas que la «résidence régulière» puisse constituer un critère pertinent pour déterminer les personnes susceptibles de se prévaloir de l’article 13.

50. À ce stade, je dois souligner que l’application de l’article 13 de la décision no 1/80 n’est pas soumise à la condition que le ressortissant turc concerné satisfasse aux exigences découlant de l’article 6, paragraphe 1, de cette décision. Par conséquent, le champ d’application de la clause de statu quo ne se limite pas aux ressortissants turcs exerçant une activité salariée ( 25 ). Alors que l’article 6 réglemente les conditions d’exercice d’un emploi permettant l’intégration progressive de
l’intéressé dans l’État membre d’accueil, l’article 13 concerne les mesures nationales relatives à l’accès à l’emploi ( 26 ). En fait, cette dernière disposition peut également être invoquée par des ressortissants turcs qui ne bénéficient pas encore des droits consacrés à l’article 6, paragraphe 1, de la décision no 1/80 ( 27 ). À cet égard, le champ d’application de l’article 13 est considérablement plus large que celui de l’article 6 et couvre, en principe, une large catégorie de
ressortissants turcs.

51. Compte tenu de la différence entre le contexte dans lequel intervient l’article 13 de la décision no 1/80 et celui de son article 6, le fait qu’un ressortissant turc comme M. Demir ne satisfasse pas aux exigences des droits spécifiques tirés de l’article 6 ( 28 ) ne signifie pas nécessairement qu’il ne peut pas se prévaloir de l’article 13.

52. La question subsiste toutefois: qui peut se prévaloir de l’article 13 de la décision no 1/80?

53. À cet égard, les gouvernements néerlandais, allemand et italien soutiennent que l’article 13 de la décision no 1/80 ne peut pas être invoqué par des ressortissants turcs, comme M. Demir, qui se trouvent en situation irrégulière. Par conséquent, cette clause de statu quo peut être invoquée uniquement par les ressortissants turcs qui se sont conformés aux règles nationales concernant l’entrée et le séjour sur le territoire.

54. Selon le gouvernement allemand, il convient de distinguer l’article 13 de la décision no 1/80 de l’article 41, paragraphe 1, du protocole additionnel qui est entré en vigueur sensiblement plus tôt que la décision no 1/80. Alors que l’article 41, paragraphe 1, interdit de nouvelles restrictions dans le domaine de l’établissement et des services d’une manière générale, l’article 13 se réfère de manière spécifique aux travailleurs en situation régulière et aux membres de leur famille. Selon le
gouvernement allemand, cette différence de libellé s’explique: elle reflète la volonté des parties contractantes de limiter clairement la portée de l’article 13 de la décision no 1/80 sur la libre circulation des travailleurs comparée à celle de la clause de statu quo de l’article 41, paragraphe 1, qui s’applique à l’établissement et aux services.

55. Il est exact que, selon la jurisprudence issue de l’arrêt Abatay e.a., précité, un ressortissant turc ne peut bénéficier de l’article 13 que s’il a respecté les règles de l’État membre d’accueil en matière d’entrée, de séjour et, le cas échéant, d’emploi et si, partant, il se trouve légalement sur le territoire dudit État ( 29 ).

56. De plus, j’admets que, alors que l’article 41, paragraphe 1, du protocole additionnel n’exige pas que les ressortissants turcs concernés soient légalement présents ( 30 ), ou présents de manière effective, dans l’État membre d’accueil pour pouvoir bénéficier du statu quo en vertu de cette disposition, l’article 13 prévoit expressément un tel critère ( 31 ). Compte tenu de ce critère et du fait que l’embauche dans l’État membre d’accueil présuppose nécessairement le séjour dans cet État, il n’est
pas étonnant que la Cour se soit toujours référée au critère du séjour régulier dans ce contexte et qu’elle ait considéré que les ressortissants turcs ne peuvent invoquer cette disposition que s’ils séjournent légalement dans l’État membre d’accueil. Plus récemment, la Cour a réaffirmé cette jurisprudence dans l’arrêt Sahin ( 32 ).

57. Je crois néanmoins qu’un accent particulier doit être mis sur les circonstances spécifiques de la dernière affaire citée. En fait, le requérant séjournait déjà dans l’État membre d’accueil à la date où la législation nationale est entrée en vigueur. Le requérant était entré sur le territoire de l’État membre d’accueil de manière régulière et s’était conformé aux règles nationales pertinentes régissant la délivrance des titres de séjour avant l’entrée en vigueur de la législation nationale
litigieuse qui durcit certaines conditions y afférentes ( 33 ). Dans ces circonstances, la Cour n’était pas tenue d’examiner expressément la question du séjour régulier des ressortissants turcs qui souhaitent entrer sur le territoire de l’État membre d’accueil après l’entrée en vigueur d’une telle législation.

58. En fait, on priverait, selon moi, la clause de statu quo de son effet si on limitait le champ d’application ratione personae de l’article 13 de la décision no 1/80 aux ressortissants turcs qui séjournent régulièrement dans l’État membre d’accueil à la date à laquelle la législation nationale litigieuse entre en vigueur ou – comme l’ont suggéré les gouvernements néerlandais et allemand dans la présente affaire – à la date de la demande de titre de séjour.

59. Pour illustrer cela, imaginons que l’État membre X adopte une nouvelle législation qui entre en vigueur le 1er février 1981 et qui, comparée à la législation en vigueur au 1er décembre 1980, durcit les règles régissant les conditions d’octroi et de prorogation des titres de séjour. Sur la base de l’interprétation proposée par les gouvernements qui ont présenté des observations dans la présente affaire, seuls les ressortissants turcs qui séjournent déjà de manière régulière dans l’État membre X
au 1er février 1981 pourraient se prévaloir de l’article 13 de la décision no 1/80. Par conséquent, ceux arrivés après cette date devraient se conformer aux nouvelles conditions avant de pouvoir se prévaloir de cette disposition.

60. Imaginons en outre que l’État membre X introduise d’autres mesures, mais cette fois le 1er juillet 1982. Ces nouvelles règles durcissent encore davantage les conditions d’octroi et de prorogation des titres de séjour en vigueur au 1er décembre 1980. Là encore, seuls les ressortissants turcs qui séjournaient de manière régulière dans l’État membre X au 1er juillet 1982 pourraient se prévaloir de l’article 13. Ceux arrivés après le 1er juillet 1982 devraient se conformer à des règles plus strictes
en matière d’entrée et de séjour avant de pouvoir se prévaloir de l’article 13.

61. Comme le démontre cet exemple, une interprétation étroite du champ d’application de l’article 13 de la décision no 1/80 permettrait en pratique aux États membres de durcir progressivement des règles qui ne devraient pas être plus contraignantes et, par conséquent, de contourner la clause de statu quo. En effet, cette obligation équivaut à un devoir d’abstention envers ceux des ressortissants turcs qui peuvent se prévaloir de l’article 13 ( 34 ). L’objectif de la clause de statu quo étant de
garantir une extension progressive de la libre circulation des travailleurs au bénéfice des ressortissants turcs, la situation décrite précédemment est précisément le type de situation que cette clause entend prévenir.

62. Je considère donc que, pour garantir son efficacité, l’article 13 de la décision no 1/80 doit s’appliquer de la même manière aux ressortissants turcs qui souhaitent être admis pour la première fois sur le territoire de l’État membre après l’entrée en vigueur de la législation litigieuse. Toute autre interprétation irait à l’encontre de la raison d’être même de la clause de statu quo, qui est de garantir que les États membres respectent leurs obligations au titre de l’accord d’association.

2. Le critère du séjour régulier n’est pas pertinent dans ce contexte

63. La solution dégagée par la Cour dans l’arrêt Abatay e.a., précité, joue un rôle primordial dans l’ordonnance de renvoi ( 35 ). La juridiction de renvoi a notamment un doute sur le point de savoir si cet arrêt a la moindre incidence sur l’interprétation de l’article 13 de la décision no 1/80 dans la présente affaire.

64. Ce n’est pas mon avis.

65. Précédemment, j’ai essayé d’illustrer la raison pour laquelle je considère que la clause de statu quo en cause doit s’appliquer de la même manière aux ressortissants turcs qui entrent pour la première fois sur le territoire de l’État membre après l’entrée en vigueur de la législation nationale litigieuse. Certes, cette position ne rend pas automatiquement inopérant le critère du séjour régulier et elle pourrait, en principe, être conciliée avec l’arrêt Abatay e.a., précité, eu égard au fait que
la législation en cause concerne des exceptions aux obligations de permis de travail et non pas des règles régissant la première admission. Toutefois, cela ne serait concevable que si les conditions régissant la première admission et, plus spécifiquement, l’octroi de titres de séjour ne relevaient pas du champ d’application matériel de l’article 13.

66. En effet, comme je l’ai indiqué au point 31 des présentes conclusions, la Cour a explicitement reconnu l’extension du champ d’application de l’article 13 de la décision no 1/80 depuis l’arrêt Abatay e.a., précité. Il est désormais admis que cette disposition ne couvre pas uniquement les «conditions d’accès à l’emploi» au sens strict, mais également, à l’instar de l’article 41, paragraphe 1, du protocole additionnel, de nouvelles restrictions aux conditions de fond et/ou de procédure en matière
de première admission sur le territoire de l’État membre concerné. Cela étant, les objections faites par le gouvernement allemand s’agissant de la délimitation volontaire de la portée de l’article 13 de la décision no 1/80 par les parties contractantes semblent difficiles à concilier avec ladite jurisprudence.

67. À cet égard, l’affaire examinée par la juridiction de renvoi fournit une illustration utile de la raison pour laquelle il n’est pas défendable d’attacher une importance au critère du «séjour régulier» lorsqu’on détermine les personnes pouvant se prévaloir de l’article 13 de la décision no 1/80 dans des circonstances comme celles de la présente affaire.

68. Dans l’affaire pendante devant la juridiction de renvoi, la clause de statu quo oblige les autorités compétentes à s’abstenir d’appliquer la Vw 2000 – et en particulier la condition de possession d’un titre de séjour temporaire – aux ressortissants turcs qui sont en position de se prévaloir de l’article 13 de la décision no 1/80. En d’autres termes, en dépit de la nouvelle législation, leurs demandes de titre de séjour doivent être examinées suivant les mêmes conditions de fond que sous l’empire
des règles en vigueur avant le 1er avril 2001.

69. Toutefois, comme l’observe la juridiction de renvoi, le défaut de titre de séjour temporaire a eu pour effet de rendre irréguliers l’entrée et le séjour d’un ressortissant turc aux Pays-Bas à la fois à compter du 1er décembre 1980 et à compter du 1er avril 2001. Même si une entrée irrégulière aux Pays-Bas ne constituait pas une base suffisante pour refuser une demande de titre de séjour si le demandeur satisfaisait au demeurant aux conditions d’octroi d’un tel titre, cela n’affectait pas le
statut irrégulier d’un ressortissant turc au regard des règles régissant la première admission sur le territoire de l’État membre d’accueil.

70. Afin de clarifier ce point, imaginons qu’un ressortissant turc, M. Y, entre sur le territoire des Pays-Bas dans le but d’y occuper une activité professionnelle en 2013. J’ai déjà expliqué la raison pour laquelle je considère que l’article 13 de la décision no 1/80 s’applique aux ressortissants turcs qui arrivent sur le territoire de l’État membre d’accueil après l’entrée en vigueur de la législation nationale qui relève du champ d’application matériel de cette disposition. Par conséquent, M. Y
devrait pouvoir se prévaloir de l’article 13 au regard des règles en cause dans la procédure au principal. Mais, pour le dire clairement, sa demande de titre de séjour devrait être examinée sur la base des règles en vigueur au 1er décembre 1980 – ou, si ces règles ont été assouplies après cette date, conformément aux règles les plus favorables en vigueur après cette date ( 36 ) – nonobstant le défaut de titre de séjour temporaire. Toutefois, si l’on accordait une importance au critère du séjour
régulier dans ce contexte et si M. Y ne disposait pas d’un titre de séjour temporaire lorsqu’il est entré aux Pays-Bas, il ne pourrait pas se prévaloir du statu quo au titre de l’article 13 à l’encontre de la Vw 2000. Il en va ainsi car, à l’instar de M. Demir, il serait formellement en situation irrégulière à la fois en vertu des règles anciennes et en vertu des nouvelles règles.

71. Donner une importance au critère du «séjour régulier» dans de telles circonstances priverait clairement de sens l’obligation de statu quo prévue à l’article 13. Dans la mesure où une législation nationale, telle que la Vw 2000, régit la première admission et l’octroi d’un titre de séjour dans l’État membre d’accueil et, par conséquent, affecte la possibilité d’y obtenir un droit de séjour, je ne vois pas comment le «séjour régulier» pourrait constituer un critère utile pour déterminer le champ
d’application de l’article 13 de la décision no 1/80 ( 37 ).

72. Enfin, j’estime qu’il convient d’examiner brièvement la solution de la Cour au point 85 de l’arrêt Abatay e.a., précité, qui admet expressément l’introduction de mesures plus strictes applicables aux ressortissants turcs en situation irrégulière.

73. J’observe que l’article 13 de la décision no 1/80 ne confère pas aux ressortissants turcs des droits positifs (tels que le droit d’entrée ou de séjour), mais détermine, à la place, la législation applicable ratione temporis sur la base de laquelle la situation de la personne concernée doit être examinée. En effet, comme je l’ai expliqué au point 38 des présentes conclusions, l’article 13 de ladite décision ne limite pas la compétence des États membres pour refuser l’entrée sur leur territoire à
des ressortissants de pays tiers y compris des ressortissants turcs. Toutefois, conformément à l’obligation de statu quo prévue audit article 13, un tel refus opposé à des ressortissants turcs doit être fondé sur les règles les plus favorables en vigueur depuis l’entrée en vigueur de cette disposition.

74. Par conséquent, si un ressortissant turc choisit de demeurer sur le territoire d’un État après une décision de refus adoptée sur la base de ces règles et conformément à la législation de l’Union applicable dans le domaine pertinent, cette personne est indéniablement en situation irrégulière dans l’État membre d’accueil. Dans ces conditions, les États membres demeurent en droit de décider des conséquences d’un tel séjour irrégulier sur leur territoire, sous réserve que, et j’insiste sur ce point,
les règles opposables à ces individus ne relèvent pas de l’article 13 de la décision no 1/80.

75. Eu égard aux considérations qui précédent, j’estime qu’il convient de répondre la première branche de la seconde question en ce sens que, dans des circonstances comme celles de l’affaire pendante devant la juridiction de renvoi, le critère du séjour régulier à l’article 13 de la décision no 1/80 est sans pertinence pour déterminer si un ressortissant turc peut ou non se prévaloir de cette disposition.

76. Pour finir, au cas où la Cour répondrait à la première question ainsi qu’à la première branche de la seconde question comme je l’ai suggéré, il n’est pas nécessaire de répondre à la seconde branche de cette dernière question. Toutefois, dans un souci d’exhaustivité, je ferai les remarques suivantes dans le cas où la Cour souhaiterait examiner cette question.

77. Je suis déjà parvenu à la conclusion que l’on ne doit pas accorder d’importance au critère du «séjour régulier» lorsqu’on détermine si un ressortissant turc peut se prévaloir du statu quo prévu à l’article 13 de la décision no 1/80. Le fait que, en vertu du droit national, la présentation d’une demande a pour effet de rendre régulier le séjour durant la procédure d’examen de cette demande ne saurait, selon moi, modifier cette conclusion. Accorder une importance à cette règle redonnerait
certainement un sens au critère du séjour régulier, il en résulterait toutefois une construction artificielle.

78. En s’appuyant sur le raisonnement de la Cour concernant l’article 6 de la décision no 1/80, on ne saurait considérer que les ressortissants turcs satisfont au critère de séjour régulier lorsqu’un droit de séjour leur a été conféré sur la seule base de la législation nationale autorisant le séjour dans l’État membre dans l’attente de l’issue de la procédure d’octroi d’un titre de séjour ( 38 ). Comme le fait observer le gouvernement néerlandais, l’octroi d’un droit de séjour temporaire à un
demandeur vise simplement à garantir que la situation de la personne concernée ne soit pas affectée de manière excessive durant la procédure et, notamment, que les ressortissants étrangers ne soient pas éloignés du territoire national avant l’adoption d’une décision définitive. En dehors de l’effet suspensif d’une demande en cours d’examen, l’application de telles dispositions nationales n’aboutit pas à un droit de séjour stable et incontesté au sens de la jurisprudence citée précédemment.

IV – Conclusion

79. À la lumière des considérations qui précèdent, je propose à la Cour de répondre comme suit aux questions posées par le Nederlandse Raad van State:

«1) L’article 13 de la décision no 1/80, du 19 septembre 1980, relative au développement de l’association, adoptée par le conseil d’association institué par l’accord créant une association entre la Communauté économique européenne et la République de Turquie, est applicable à une condition de fond et/ou de procédure au titre de la législation nationale régissant la première admission telle que la condition en cause dans l’affaire pendante devant la juridiction nationale et concernant la
possession d’un titre de séjour temporaire.

2) Dans des circonstances comme celles de l’affaire pendante devant la juridiction de renvoi, le critère du séjour régulier prévu à l’article 13 de la décision no 1/80 n’est pas pertinent pour déterminer si un ressortissant turc peut se prévaloir ou non de cette disposition.»

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( 1 ) Langue originale: l’anglais.

( 2 ) Décision du 19 septembre 1980, relative au développement de l’association.

( 3 ) Le 12 septembre 1963, un accord a été signé créant une association entre la Communauté économique européenne et la République de Turquie. Cet accord a été conclu, approuvé et confirmé au nom de la Communauté par la décision 64/732/CEE du Conseil, du 23 décembre 1963 (JO 1964, 217, p. 3685, ci-après l’«accord d’association»).

( 4 ) Ce protocole a été signé le 23 novembre 1970 à Bruxelles et il a été conclu, approuvé et confirmé au nom de la Communauté par le règlement (CEE) no 2760/72 du Conseil, du 19 décembre 1972 (JO L 293, p. 1).

( 5 ) Staatsblad 1965, no 40.

( 6 ) Staatsblad 1966, no 387.

( 7 ) Staatsblad 2000, no 495.

( 8 ) Staatsblad 2000, no 497.

( 9 ) Arrêt du 21 octobre 2003 (C-317/01 et C-369/01, Rec. p. I-12301).

( 10 ) Arrêt du 9 décembre 2010, Toprak et Oguz (C-300/09 et C-301/09, Rec. p. I-12845, points 53 et 54).

( 11 ) Arrêt du 20 septembre 2007, Tum et Dari (C-16/05, Rec. p. I-7415, point 55).

( 12 ) Arrêt Toprak et Oguz, précité (points 52 à 54 et jurisprudence citée).

( 13 ) Concernant l’article 13, voir arrêts du 17 septembre 2009, Sahin (C-242/06, Rec. p. I-8465, points 63 à 65), et du 29 avril 2010, Commission/Pays-Bas (C-92/07, Rec. p. I-3683, points 47 à 49). Concernant l’article 41, paragraphe 1, voir arrêts Tum et Dari, précité (point 69), et du 19 février 2009, Soysal et Savatli (C-228/06, Rec. p. I-1031, points 47 et 49).

( 14 ) Arrêt précité (points 84 et 85).

( 15 ) Arrêts Tum et Dari, précité (point 59), et du 21 juillet 2011, Oguz (C-186/10, Rec. p. I-6957, point 33).

( 16 ) Voir point 32 des présentes conclusions.

( 17 ) Voir, notamment, arrêts précités Sahin (points 64 à 66) et Commission/Pays-Bas (points 48 et 49).

( 18 ) Voir, entre autres, arrêts Abatay e.a., précité (point 80), et du 29 septembre 2011, Unal (C-187/10, Rec. p. I-9045, point 41).

( 19 ) J’ajouterai que l’article 13 interdit également le renforcement des dispositions introduites après la date d’entrée en vigueur de la clause de statu quo qui a assoupli les règles applicables à cette date. Voir arrêt Toprak et Oguz, précité (point 62).

( 20 ) Arrêt Sahin, précité (point 63). Voir, également, arrêts du 15 novembre 2011, Dereci e.a. (C-256/11, Rec. p. I-11315, point 94), et Toprak et Oguz, précité (point 54).

( 21 ) Arrêts précités Sahin (points 64 et 65); Commission/Pays-Bas (point 50) et Toprak et Oguz (point 44).

( 22 ) La Cour a considéré que l’article 13 de la décision no 1/80 est susceptible de s’appliquer à des dispositions figurant non seulement dans un texte législatif ou réglementaire, mais aussi dans une circulaire, qui précise la manière dont le gouvernement concerné entend faire appliquer la loi. Voir, à cet égard, arrêt Toprak et Oguz, précité (point 31). Sur ce point, je ne vois aucune raison pour laquelle cette disposition ne s’appliquerait pas à une législation comme celle en cause dans la
procédure au principal compte tenu du fait que, en vertu de règles applicables au 1er décembre 1980, les autorités nationales compétentes n’avaient aucune exigence spécifique en matière de titre de séjour temporaire.

( 23 ) Cette conclusion ne saurait être affectée, comme le suggère la juridiction de renvoi, par l’objectif de la Vw 2000 de prévenir le séjour irrégulier.

( 24 ) Il est utile de relever que l’article 13 a un effet direct. Voir arrêt du 20 septembre 1990, Sevince (C-192/89, Rec. p. I-3461, point 26).

( 25 ) Arrêt Sahin, précité (point 50 et jurisprudence citée).

( 26 ) Ibidem (point 51).

( 27 ) Ibidem (point 51). Voir également arrêt Toprak et Oguz, précité (point 45).

( 28 ) Voir point 19 des présentes conclusions.

( 29 ) Point 84 de l’arrêt.

( 30 ) Voir arrêts précités Abatay e.a. (point 105) et Tum et Dari (point 59).

( 31 ) Dans ce contexte, je relève que, en tant que traité international, l’accord d’association CEE‑Turquie et les instruments basés sur celui-ci, comme le protocole additionnel et la décision no 1/80, doivent être interprétés en vertu de l’article 31 de la convention de Vienne sur le droit des traités – c’est‑à‑dire de bonne foi – suivant le sens ordinaire à attribuer à ses termes dans leur contexte, et à la lumière de son objectif et de son but. Voir arrêt du 2 mars 1999, Eddline El-Yassini
(C-416/96, Rec. p. I-1209, point 47). Voir, également, point 53 des conclusions du 11 avril 2013 de l’avocat général Cruz Villalón dans l’affaire Demirkan (C‑221/11, pendante devant la Cour).

( 32 ) Arrêt Sahin, précité (point 52). Voir, également, en ce sens arrêt Toprak et Oguz, précité.

( 33 ) Arrêt Sahin, précité (points 54 et 55). Voir également, dans le même sens, arrêts précités Toprak et Oguz (points 15 et 21) et Dereci e.a. (points 99 et 100). À l’inverse, l’arrêt Abatay e.a., précité, concernait des chauffeurs de camion turcs qui habitaient et travaillaient en Turquie et qui ne séjournaient en Allemagne que pour de courtes périodes.

( 34 ) Arrêt Dereci e.a., précité (point 87).

( 35 ) Voir point 32 ci-dessus.

( 36 ) La raison en est que la clause de statu quo interdit également aux États membres de revenir sur des règles plus favorables, même si elles ont été introduites après la date à laquelle le statu quo a pris effet. Cela vaut également lorsque ce durcissement n’aggrave pas les conditions d’obtention de ce titre de séjour par rapport à celles résultant de la disposition en vigueur à la date à laquelle la clause de statu quo est entrée en vigueur. Voir arrêt Toprak et Oguz, précité (point 62).

( 37 ) Le dossier ne contenant aucune preuve d’un comportement frauduleux ou abusif dans la présente affaire, il est néanmoins nécessaire d’observer que, en principe, les justiciables ne sauraient frauduleusement ou abusivement se prévaloir du droit de l’Union et que les juridictions nationales peuvent, au cas par cas, en se fondant sur des éléments objectifs, tenir compte du comportement abusif ou frauduleux des personnes concernées pour leur refuser, le cas échéant, le bénéfice des dispositions du
droit de l’Union invoquées. Voir, en ce sens, arrêt Tum et Dari, précité (point 64).

( 38 ) Arrêt du 30 septembre 1997, Ertanir (C-98/96, Rec. p. I-5179, points 47 et 50 et jurisprudence citée).


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : C-225/12
Date de la décision : 11/07/2013
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle: Raad van State - Pays-Bas.

Renvoi préjudiciel - Accord d’association CEE-Turquie - Article 13 de la décision nº 1/80 du conseil d’association - Clauses de ‘standstill’ - Notion de ‘situation régulière en ce qui concerne le séjour’.

Relations extérieures

Libre circulation des travailleurs

Accord d'association


Parties
Demandeurs : C. Demir
Défendeurs : Staatssecretaris van Justitie.

Composition du Tribunal
Avocat général : Wahl

Origine de la décision
Date de l'import : 30/06/2023
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2013:475

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