CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL
M. NILS WAHL
présentées le 19 juin 2013 ( 1 )
Affaire C‑321/12
F. van der Helder et
D. Farrington
contre
College voor zorgverzekeringen (Cvz)
[demande de décision préjudicielle formée par le Centrale Raad van Beroep (Pays-Bas)]
«Sécurité sociale — Assurance maladie — Règlement (CEE) no 1408/71 — Titre III, chapitre 1er — Article 28, paragraphe 2, sous b) — Pensionné bénéficiaire d’avantages en nature en vertu de la législation dans deux ou plusieurs États membres — Législation ayant couvert le plus longtemps le titulaire — Notion de ‘pensions’»
1. La libre circulation des personnes sur le territoire de l’Union européenne constitue, comme l’affirme le préambule le règlement du conseil (CEE) no 1408/71 ( 2 ), l’un des fondements de l’Union européenne. Pour cette raison, le législateur de l’Union a adopté un ensemble de règles détaillées et nombreuses en vue de coordonner les législations nationales de sécurité sociale, dès l’année 1971, afin d’assurer aux «travailleurs qui se déplacent à l’intérieur de [l’Union européenne] ainsi qu’à leurs
ayants droit et leurs survivants, le maintien des droits et des avantages acquis et en cours d’acquisition» ( 3 ).
2. L’affaire examinée soulève une question qui est importante pour les pensionnés qui résident dans un État membre dans lequel ils n’ont pas droit aux prestations et qui perçoivent des pensions de deux ou plusieurs autres États membres.
3. Par sa demande de décision préjudicielle, le Centrale Raad van Beroep (Tribunal central du contentieux administratif, Pays-Bas) cherche à déterminer, dans un cas tel que décrit ci-dessous, quelle branche de la sécurité sociale est décisive afin de déterminer l’État membre débiteur des frais des prestations en nature à fournir dans l’État où les pensionnés résident et, en conséquence, afin de déduire les cotisations dues. À cette fin, la juridiction de renvoi a demandé à la Cour d’interpréter la
notion de «législation nationale à laquelle le titulaire a été soumis le plus longtemps», visée à l’article 28, paragraphe 2, sous b), du règlement (ci-après «la notion en question»).
4. Avant d’entamer mon appréciation juridique, toutefois, il peut être utile de mentionner le fait que le règlement a été abrogé et remplacé à partir du 1er mai 2010 par le règlement (CE) no 883/2004 ( 4 ). Néanmoins, cela n’a pas d’effet sur l’importance de la question soulevée par le Centrale Raad van Beroep, dès lors que les dispositions qui sont pertinentes dans la présente instance sont restées en substance identiques dans ce nouveau règlement.
I – Le cadre juridique
A – La législation de l’Union
5. Le huitième considérant du préambule du règlement énonce:
«[…] il convient de soumettre les travailleurs salariés et non-salariés qui se déplacent à l’intérieur de la Communauté au régime de la sécurité sociale d’un seul État membre, de sorte que les cumuls de législations nationales applicables et les complications qui peuvent en résulter soient évités».
6. Les définitions applicables aux fins du règlement figurent dans son article 1er qui prévoit notamment:
«(j) le terme ‘législation’ désigne, pour chaque État membre, les lois, les règlements, les dispositions statutaires et toutes les autres mesures d’application, existants ou futurs, qui concernent les branches et les régimes de sécurité sociale visés à l’article 4 paragraphes 1 et 2 ou les prestations spéciales à caractère non contributif visées à l’article 4 paragraphe 2 bis.
[...]»
7. L’article 28 du règlement no 1408/71, intitulé «Pensions ou rentes dues en vertu de la législation d’un seul ou de plusieurs États, un droit aux prestations n’existant pas dans le pays de résidence», prévoit:
«1. Le titulaire d’une pension ou d’une rente due au titre de la législation d’un État membre ou de pensions ou de rentes dues au titre des législations de deux ou plusieurs États membres qui n’a pas droit aux prestations au titre de la législation de l’État membre sur le territoire duquel il réside bénéficie néanmoins de ces prestations pour lui-même et les membres de sa famille, dans la mesure où il y aurait droit en vertu de la législation de l’État membre ou de l’un au moins des États
membres compétents en matière de pension, compte tenu, le cas échéant, des dispositions de l’article 18 et de l’annexe VI, s’il résidait sur le territoire de l’État concerné […]. Le service des prestations est assuré dans les conditions suivantes:
a) les prestations en nature sont servies pour le compte de l’institution visée au paragraphe 2 par l’institution du lieu de résidence, comme si l’intéressé était titulaire d’une pension ou d’une rente en vertu de la législation de l’État sur le territoire duquel il réside et avait droit aux prestations en nature;
[…]
2. Dans les cas visés au paragraphe 1, la charge des prestations en nature incombe à l’institution déterminée selon les règles suivantes:
[…]
b) si le titulaire a droit auxdites prestations en vertu des législations de deux ou plusieurs États membres, la charge en incombe à l’institution compétente de l’État membre à la législation duquel le titulaire a été soumis le plus longtemps […]; au cas où l’application de cette règle aurait pour effet d’attribuer la charge des prestations à plusieurs institutions, la charge en incombe à celle de ces institutions qui applique la législation à laquelle le titulaire a été soumis en dernier lieu.»
8. L’article 33, paragraphe 1, du règlement, intitulé «Cotisations à la charge des titulaires de pensions ou de rentes», prévoit:
«1. L’institution d’un État membre débitrice d’une pension ou d’une rente qui applique une législation prévoyant des retenues de cotisations à la charge du titulaire d’une pension ou d’une rente, pour la couverture des prestations de maladie et de maternité, est autorisée à opérer ces retenues, calculées suivant ladite législation, sur la pension ou la rente due par elle, dans la mesure où les prestations servies en vertu des articles 27, 28, 28 bis, 29, 31 et 32 sont à la charge d’une
institution dudit État membre.»
B – La législation néerlandaise
9. Avant le 1er janvier 2006, la loi sur les caisses de maladie (Ziekenfondswet, ci-après la «ZFW») prévoyait un système d’assurance maladie obligatoire seulement pour les travailleurs salariés dont le revenu était inférieur à un certain seuil. Les personnes qui n’étaient pas couvertes par ce régime, afin d’être couvertes contre le risque de maladie, devaient conclure un contrat d’assurance privée.
10. De plus, même avant l’année 2006, la loi générale sur les frais médicaux spéciaux (Algemene wet bijzondere zietekosten, ci-après l’«AWBZ») – qui existe toujours actuellement – assurait l’ensemble de la population contre le risque de frais exceptionnels de maladie. Il s’agit, notamment, de risques qui ne sont pas couverts par la ZFW ni par une assurance privée.
11. Depuis le 1er janvier 2006, la loi sur l’assurance soins de santé (Zorgverzekeringswet, ci-après la «ZVW») institue un régime légal obligatoire d’assurance-maladie pour toutes les personnes résidant ou travaillant aux Pays-Bas.
12. Dans la mesure où il s’avère pertinent, l’article 69 de la ZVW énonce:
«1. Les personnes résidant à l’étranger qui, par application d’un règlement du Conseil des Communautés européennes ou par application d’un tel règlement adopté en vertu de l’accord sur l’Espace économique européen ou d’un traité en matière de sécurité sociale, ont droit, en cas de besoin, aux soins ou au remboursement de ceux-ci, comme le prévoit la législation sur l’assurance-maladie dans leur pays de résidence, se font connaître auprès du College voor zorgverzekeringen (Cvz) [Conseil des
assurances soins de santé], à moins qu’elles ne relèvent, en vertu de la présente loi, de l’assurance obligatoire.
2. Les personnes visées au paragraphe 1 sont redevables d’une cotisation qui sera fixée par arrêté ministériel. Pour la partie qui sera fixée par cet arrêté, ladite cotisation est considérée pour l’application de la loi sur les allocations de soins [Wet op de zorgtoeslag] comme une prime pour une assurance maladie.
[…]
4. Le Cvz est chargé de l’administration résultant des dispositions du paragraphe 1 et des instruments internationaux qui y sont mentionnés, ainsi que des décisions concernant le prélèvement et la perception de la cotisation mentionnée au paragraphe 2.
[…]»
II – Les faits à l’origine du litige, la procédure au principal et la question préjudicielle
13. M. van der Helder est un citoyen néerlandais qui, après avoir résidé et travaillé dans plusieurs États membres, vit en France depuis l’année 1991. Depuis le mois d’août 1997, il perçoit de la part du Royaume des Pays-Bas une pension en vertu de la loi portant régime général des pensions de retraite (Algemene Ouderdomswet). Cette pension est basée sur 43 années complètes d’assurance (en partie sur le fondement de la résidence et en partie par le biais de l’assurance à titre volontaire). En plus
de cette pension, il perçoit également une pension de retraite de la part de la République de Finlande, ainsi qu’une pension de retraite du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord.
14. M. Farrington, de nationalité britannique, vit en Espagne depuis le mois de mai 2004. Depuis le mois d’avril 2006, il perçoit de la part des Pays-Bas une pension au titre du régime de pensions de vieillesse des Pays-Bas. Cette pension se base sur 35 années complètes d’assurance aux Pays-Bas. En plus de celle-ci, M. Farrington reçoit une pension de retraite du Royaume-Uni.
15. MM. van der Helder et Farrington n’étaient pas tenus d’être assurés aux Pays-Bas au titre de la ZFW. Ils y avaient toutefois souscrit des contrats d’assurance privée et ils étaient également assurés au titre de l’AWBZ lorsqu’ils résidaient aux Pays-Bas. C’est pourquoi, les requérants au principal ne tombaient pas dans le champ d’application du règlement à cette époque. En effet, pour ce qui concernait les frais médicaux, le règlement n’était applicable qu’aux personnes auxquelles la totalité du
régime légal d’assurance maladie néerlandais au titre de l’AWBZ et de la ZFW s’appliquait ( 5 ).
16. À partir du 1er janvier 2006, lorsque la ZVW est entrée en vigueur, le régime d’assurance maladie légale est devenu applicable dans sa totalité à toute personne qui réside et travaille aux Pays-Bas, y compris les personnes qui avaient été antérieurement assurées à titre privé. En conséquence, le règlement est devenu applicable notamment aux bénéficiaires du régime légal de pensions de retraite néerlandais et de prestations d’incapacité de travail qui disposaient antérieurement d’une assurance
maladie privée et qui résident dans d’autres États membres ( 6 ).
17. Dans ce contexte, le Cvz a considéré que les requérants au principal devaient, à partir du 1er janvier 2006, être considérés comme des «bénéficiaires du traité» aux fins du règlement. En conséquence, ils bénéficiaient d’un droit aux soins dans leur pays de résidence respectifs. Dès lors qu’ils ne percevaient pas de pensions de leur pays de résidence respectifs et que, parmi les pays dont ils perçoivent une pension légale, c’est aux Pays-Bas qu’ils ont été le plus longtemps assurés à la sécurité
sociale, le Cvz a estimé que ce droit aux soins est à la charge du Royaume des Pays-Bas. Sur cette base, le Cvz a décidé de déduire des pensions qui doivent être versées aux requérants au principal les cotisations prévues à cet effet à l’article 69 de la ZVW.
18. Les requérants au principal ont introduit un recours devant le Rechtbank Amsterdam afin de contester la décision du Cvz d’opérer des retenues sur leurs pensions de retraite. Alors qu’ils ne contestent pas qu’ils ont travaillé pour la période la plus longue aux Pays-Bas et qu’ils ont ainsi été soumis à la législation de sécurité sociale néerlandaise pour la période la plus longue, ils prétendent que l’article 28, paragraphe 2, sous b), du règlement vise la législation relative aux prestations de
maladie et de maternité. Ils font valoir que, dès lors qu’ils n’ont jamais été couverts par une assurance maladie légale aux Pays-Bas (au titre du ZFW), ou que, en toute hypothèse, une telle assurance l’aurait été pour une période plus brève que celle de l’assurance maladie par laquelle ils ont été couverts dans d’autres États membres, le Royaume des Pays-Bas n’aurait pas à supporter les frais des prestations en nature fournies par leurs pays de résidence respectifs. Selon leur thèse, ces frais
devraient être supportés par la République de Finlande dans le cas de M. van der Helder, et par le Royaume-Uni dans le cas de M. Farrington.
19. Par des jugements en date du 23 février 2010 pour ce qui concerne M. van der Helder et du 31 août 2009 et du 10 mai 2011 pour ce qui concerne M. Farrington, le Rechtbank Amsterdam a déclaré l’action introduite par M. van der Helder fondée, tout en maintenant les effets juridiques de la décision qui avait été annulée, et a déclaré les recours de M. Farrington non fondés.
20. Les requérants au principal ont introduit des recours contre la décision du Rechtbank Amsterdam devant le Centrale Raad van Beroep. Éprouvant des doutes quant à l’interprétation correcte de l’article 28, paragraphe 2, sous b), du règlement, le Centrale Raad van Beroep a décidé de suspendre l’instance et de soumettre la question préjudicielle suivante:
«La législation à laquelle le titulaire a été soumis le plus longtemps, au sens de l’article 28, paragraphe 2, sous b), du règlement (CEE) no 1408/71, vise-t-elle la législation relative aux prestations de maladie et de maternité, la législation relative aux pensions de vieillesse, ou toutes les législations relatives aux branches de la sécurité sociale énumérées à l’article 4 de ce règlement ayant été applicables sur le fondement de son titre II?»
21. Conformément à la demande de la juridiction de renvoi, cette affaire, au vu des circonstances particulières de celle-ci, a fait l’objet d’un traitement prioritaire, sur le fondement de l’article 53, paragraphe 3, du règlement de procédure de la Cour.
22. Des observations écrites ont été déposées par M. Farrington, M. van der Helder et le Cvz, ainsi que par les gouvernements estonien, néerlandais, finlandais, suédois et du Royaume-Uni et par la Commission européenne. M. van der Helder, les gouvernements néerlandais, finlandais, suédois et du Royaume-Uni ainsi que la Commission ont présenté leurs plaidoiries à l’audience du 18 avril 2013.
III – Observations de la juridiction de renvoi et des parties intervenantes
23. Selon le Centrale Raad van Beroep, il est possible de concevoir trois interprétations différentes de la notion de «législation [à laquelle] le titulaire a été soumis le plus longtemps», visée à l’article 28, paragraphe 2, sous b), du règlement. Ce sont les suivantes.
24. Comme le font valoir les requérants au principal, la notion en question se rapporte exclusivement à la législation en matière de prestations maladie et maternité. Cette interprétation se fonde notamment sur le fait que l’article 28 apparaît au chapitre 1er, intitulé «Maladie et maternité», du titre III du règlement. Selon les requérants au principal, cet intitulé indique clairement quelles sont les branches du régime de sécurité sociale qui sont pertinentes pour cette disposition. Ils
soutiennent, en outre, que leur lecture est corroborée par un arrêt du Regeringsrätten (Cour administrative suprême, Suède) du 14 décembre 2011.
25. Aux termes d’une deuxième interprétation, défendue par le Cvz, mais également par les gouvernements néerlandais et suédois, la notion en question vise la législation de sécurité sociale dans son ensemble. Cette lecture serait étayée par l’article 1er, sous j), du règlement, qui définit le terme «législation» en se référant à l’article 4 – qui énumère toutes les matières couvertes par le règlement – et qui définit ainsi ce terme dans son sens le plus large possible.
26. Enfin, selon l’interprétation adoptée par le Rechtbank Amsterdam, et également privilégiée par la juridiction de renvoi, la notion en question vise la législation concernant l’assurance pension dont bénéficient les intéressés. Cette interprétation serait, selon ces juridictions, cohérente avec la finalité et le contexte de l’article 28 paragraphe 2, sous b), du règlement, tels qu’affirmés par la Cour dans l’arrêt Rundgren ( 7 ). Considérer l’État qui paye la pension comme responsable de l’octroi
des prestations de maladie en nature serait, de plus, conforme au fait que les régimes d’assurance maladie sont financés par le biais de cotisations fondées sur le revenu de l’intéressé. Cette interprétation est également soutenue par les gouvernements estonien, finlandais et du Royaume-Uni ainsi que par la Commission.
IV – Analyse juridique
27. Dans l’analyse qui suit, j’expliquerai en quoi le Rechtbank Amsterdam et le Centrale Raad van Beroep ont, à mon avis, raison dans leur interprétation de l’article 28, paragraphe 2, sous b), du règlement.
28. La Cour a déjà considéré que l’objectif du règlement, tel qu’énoncé dans ses deuxième et quatrième considérants du préambule, consiste dans «la libre circulation des travailleurs salariés et non salariés dans l’Union, tout en respectant les caractéristiques propres aux législations nationales de sécurité sociale. À cet effet, […] ce règlement retient pour principe l’égalité de traitement des travailleurs au regard des différentes législations nationales et vise à garantir au mieux l’égalité de
traitement de tous les travailleurs occupés sur le territoire d’un État membre ainsi qu’à ne pas pénaliser ceux d’entre eux qui exercent leur droit à la libre circulation» ( 8 ).
29. Cet objectif de facilitation de la mobilité au sein de l’Union ne doit pas toutefois – et ne saurait – être promu en compromettant en même temps le délicat équilibre financier entre les cotisations perçues et les prestations fournies sur lequel les systèmes de sécurité sociale des États membres sont généralement basés.
30. C’est pourquoi, la Cour a précisé que les différences matérielles et procédurales entre les systèmes de sécurité sociale des différents États membres et, partant, les différences des droits des personnes, qui sont des assurés, ne sont pas affectés par le règlement. En effet, chaque État membre conserve le pouvoir de déterminer dans sa législation, conformément au droit de l’Union, les conditions de l’octroi des prestations au titre d’un régime de sécurité sociale. Dans ces conditions, les
dispositions du droit de l’Union ne sauraient garantir à un assuré qu’un déplacement dans un autre État membre soit neutre en matière de sécurité sociale, notamment sur le plan de prestations de maladie. Compte tenu des disparités existant entre les régimes et la législation des États membres en la matière, un tel déplacement peut, selon le cas, être plus ou moins avantageux ou désavantageux pour la personne concernée sur le plan de la protection sociale ( 9 ).
31. Il est significatif à cet égard que la Cour a retenu que le règlement forme «un système de règles de conflits dont le caractère complet a pour effet de soustraire au législateur de chaque État membre le pouvoir de détermination de l’étendue et des conditions d’application de sa législation nationale, quant aux personnes qui y sont soumises et le territoire à l’intérieur duquel les dispositions nationales produisent leurs effets» ( 10 ). Les États membres ne disposent pas de la faculté de
déterminer dans quelle mesure est applicable leur propre législation ou celle d’un autre État membre, étant tenus de respecter les dispositions du droit de l’Union en vigueur ( 11 ). L’application du système de conflit de loi instauré par le règlement ne dépend que de la situation objective dans laquelle se trouve le travailleur intéressé ( 12 ).
32. Le principe essentiel de ce système de règles figure à l’article 13, paragraphe 1, qui ouvre le titre II du règlement. Cette disposition énonce que, sauf les exceptions prévues expressément, «les personnes auxquelles le présent règlement s’applique ne sont soumises qu’à la législation d’un seul État membre. Cette législation est déterminée conformément aux dispositions du présent titre».
33. Néanmoins, les règles générales prévues au titre II du règlement s’appliquent seulement «en l’absence de dispositions contraires dans les dispositions spéciales relatives aux diverses catégories ou prestations qui constituent le titre III du présent règlement» ( 13 ).
34. C’est exactement le cas des requérants au principal, dès lors que – comme cela est reconnu par les parties – ils relèvent du champ d’application de l’article 28 du règlement: ce sont des retraités ayant droit à des prestations en nature au titre de la législation d’au moins deux États membres et ils n’ont pas droit à ces avantages au titre de la législation de l’État membre dans lequel ils résident.
35. En l’espèce, l’article 28, paragraphe 2, sous b), du règlement prévoit que les frais des prestations en nature incombent, en principe, «à l’institution compétente de l’État membre à la législation duquel le titulaire a été soumis le plus longtemps».
36. La Cour a déjà eu l’occasion d’éclairer le but et la signification notamment de l’article 28 du règlement dans l’affaire Rundgren, précitée. La question principale dans cette affaire consistait à déterminer si un citoyen suédois résidant en Finlande, qui recevait en pratique des pensions de vieillesse uniquement de la Suède, devait payer des cotisations en Finlande du simple fait de son statut de résident.
37. L’arrêt de la Cour dans cette affaire fournit, à mon avis, un aperçu important pour l’interprétation de la notion en question. Je vais donc reproduire les passages de l’arrêt qui sont, selon moi, essentiels pour la présente instance.
38. En répondant à l’une des questions soumises par la juridiction nationale, la Cour a d’abord souligné que les articles 27, 28 et 28 bis du règlement avaient «pour objet de déterminer dans les différentes situations qu’ils considèrent, d’une part, l’institution à laquelle il incombe de servir aux titulaires de pensions ou de rentes les prestations de maladie et de maternité et, d’autre part, l’institution qui en supporte la charge». Il a ensuite souligné que l’article 28 bis, qui était la
disposition pertinente dans cette affaire, «attribue en principe la charge de ces prestations à l’institution de l’un des États membres compétents en matière de pension, de telle sorte que cette charge ne soit pas supportée par l’État membre sur le territoire duquel réside l’intéressé, du seul fait qu’il y réside». L’objectif de cette disposition est très clair pour la Cour: «ne pas pénaliser les États membres dont la législation ouvre un droit aux prestations en nature sur le seul fondement de
la résidence sur leur territoire» ( 14 ).
39. La Cour a ajouté ensuite – ce qui est particulièrement pertinent dans la présente affaire – que l’article 28 bis du règlement prévoit que l’institution qui supporte la charge des prestations en nature doit être déterminée selon des règles identiques à celles qui s’appliquent en vertu de l’article 28 du règlement. Comme la Cour l’a noté, «[e]n vertu de ces règles, l’institution du lieu de résidence sert les prestations en nature aux titulaires de pensions ou de rentes pour le compte et à la
charge de l’institution de l’un des États membres compétent en matière de pensions» ( 15 ).
40. Sur cette base, la Cour a conclu que, «[d]ans le système ainsi mis en place, par les articles 27, 28 et 28 bis du règlement […], l’institution à laquelle il incombe la charge des prestations en nature est toujours une institution d’un État membre compétent en matière de pension, dans la mesure où le titulaire de la pension ou de la rente aurait droit à ces prestations en vertu de la législation de cet État membre s’il résidait sur son territoire. Lorsque plusieurs États membres sont compétents
en matière de pension, la charge des prestations en nature est attribuée à l’un d’entre eux en fonction de critères concrets tels que le lieu de résidence de l’intéressé ou, si aucun de ces États membres n’est également l’État de résidence de l’intéressé, la durée pendant laquelle celui-ci a été soumis à la législation de chacun de ces États membres». Dans ce contexte, la Cour a également mis l’accent sur le fait que «[l]e lien ainsi établi dans ce système entre la compétence pour servir les
pensions ou les rentes et l’obligation d’assumer la charge des prestations en nature conduit à la conclusion est accessoire à une compétence effective en matière de pension» ( 16 ).
41. Dans l’arrêt van Delft e.a., précité, la Cour a confirmé ces principes, en affirmant que «l’État membre débiteur de la pension ou de la rente versée à un titulaire qui réside dans un autre État membre supporte l’essentiel du risque lié au service des prestations de maladie en nature dans l’État membre dans lequel réside ce dernier» ( 17 ).
42. À mon avis, il ressort clairement de la jurisprudence de la Cour qu’un lien nécessaire entre la pension et les prestations en nature est au centre de l’article 28 du règlement. En l’espèce, ce sera toujours l’État membre débiteur de la pension qui devra supporter les frais des prestations en nature.
43. Cette interprétation de l’article 28 se trouve également corroborée par les trois considérations suivantes.
44. En premier lieu, comme plusieurs parties qui ont déposé des observations l’ont fait remarquer, la règle de l’article 28 est fondée sur la prémisse que le financement de tout système de sécurité sociale est inévitablement dépendant des cotisations payées par les citoyens exerçant une forme d’activité économique ( 18 ). Il est donc logique et équitable que les frais des prestations en nature à fournir au cours de la retraite soient supportés par l’État membre dans lequel le pensionné a exercé son
activité économique pendant la période la plus longue ( 19 ). C’est probablement dans ce pays que le pensionné aura payé le plus de cotisations.
45. D’après l’interprétation soutenue par les requérants au principal, il conviendrait aussi de tenir compte des périodes au cours desquelles le pensionné, selon toute vraisemblance, n’a payé aucune cotisation ou seulement de faibles cotisations. Dans certains cas, cela signifierait que des périodes plus longues au cours desquelles aucune cotisation n’a été payée auraient la priorité par rapport à des périodes plus brèves au cours desquelles des cotisations auraient été effectivement acquittées. En
effet, plusieurs États membres accordent des prestations de soins en nature simplement sur la base de la résidence sur leur territoire.
46. Dans De legibus (Des lois), l’orateur romain Marcus Tullius Cicero a écrit: «salus populi suprema lex esto» («que le salut du peuple soit la loi suprême») ( 20 ). En effet, je crois aussi qu’un des principaux buts de toute administration publique doit être de prendre soin du bien-être de ses citoyens. À cette fin, il est important pour un pays d’assurer un large accès à des services de santé à tous les citoyens, en dépit des éventuelles différences de revenus et de richesse entre eux. Il est en
effet commun à la plupart sociétés développées qu’un accès universel à une large gamme de services médicaux de santé et médicaux soit imposée par la loi ( 21 ). Dans ce contexte, il convient de rappeler que la Déclaration universelle des droits de l’homme des Nations unies énonce que «[t]oute personne a droit à un niveau de vie suffisant pour assurer sa santé, son bien-être et ceux de sa famille, notamment pour l’alimentation, l’habillement, le logement, les soins médicaux ainsi que pour les
services sociaux nécessaires; elle a droit à la sécurité en cas de chômage, de maladie, d’invalidité, de veuvage, de vieillesse ou dans les autres cas de perte de ses moyens de subsistance par suite de circonstances indépendantes de sa volonté» (article 25, paragraphe 1). De même, l’article 35 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne affirme que «[t]oute personne a le droit d’accéder à la prévention en matière de santé et de bénéficier de soins médicaux dans les conditions
établies par les lois et les pratiques nationales».
47. Toutefois, des systèmes permettant un large accès à des prestations de soins de santé à toute la population impliquent des frais supérieurs pour la société. Les frais des soins fournis à certaines catégories de personnes telles que les étudiants, les chômeurs, les enfants ou les femmes enceintes doivent habituellement être couverts par les cotisations payées par les citoyens actifs ou, plus généralement, avec les deniers des contribuables.
48. À mon avis, la règle consacrée à l’article 28 du règlement vise à s’assurer que les États membres qui ont une politique plus généreuse en la matière ne soient pas obligés d’assumer la charge des prestations en nature servies à des pensionnés qui n’ont pas cotisé à leur système de sécurité sociale ou qui n’ont cotisé que dans une très faible mesure.
49. Le caractère objectivement inéquitable d’un tel système – qui risquerait d’amener les États à se livrer à un «nivellement par le bas» en ce qui concerne l’accès à des services de santé – peut s’illustrer par l’exemple de M. Farrington.
50. M. Farrington prétend que le Royaume-Uni devrait être, en vertu de l’article 28, paragraphe 2, sous b), du règlement, l’État responsable du paiement des prestations en nature à lui servir en Espagne, dès lors qu’il a résidé au Royaume-Uni à partir de 1948, lorsqu’il était âgé de 7 ans, jusqu’en 1972, lorsqu’il a émigré aux Pays-Bas, après 14 ans d’emploi. Cela signifie que, pendant une partie significative de sa vie au Royaume-Uni, il a eu accès au National Health Service du simple fait de sa
résidence dans ce pays. En revanche, M. Farrington a travaillé aux Pays-Bas pendant toute une période de 32 années au cours desquelles il y a vécu (de 1972 à 2004). On peut présumer que M. Farrington a payé des cotisations bien plus élevées au système de sécurité sociale des Pays-Bas qu’à celui du Royaume-Uni ou du moins que la plupart des personnes dans une situation similaire auraient agi ainsi. En conséquence, je ne vois pas de raison pour laquelle ce serait le Royaume-Uni et non le Royaume
des Pays-Bas qui devrait assumer la charge des prestations en nature auxquelles M. Farrington a le droit de bénéficier dans son nouveau pays de résidence, au cours de sa retraite.
51. Cet exemple montre que la lecture de l’article 28, paragraphe 2, sous b), pour laquelle plaident les requérants au principal, ne saurait être exacte. En substance, interpréter la notion en question comme se référant simplement à la législation de sécurité sociale de maladie et maternité romprait le lien entre les cotisations perçues dans l’État et les prestations qu’il sert, ce qui est le fondement de tous les systèmes de sécurité sociale. Cela conduirait, comme le souligne à juste titre la
Commission, à une distribution déséquilibrée de la charge financière parmi les différents États membres et pourrait aussi, je voudrais ajouter, potentiellement compromettre la stabilité de certains systèmes de sécurité sociale.
52. Comme l’observent les requérants au principal, leur lecture de la notion en question est étayée par un arrêt du Regeringsrätten, daté du 14 décembre 2011 ( 22 ), dans lequel les faits étaient comparables à ceux du litige au principal. Dans cette affaire, le Regeringsrätten a jugé que l’article 28 du règlement, qui se trouve au chapitre 1er, intitulé «Maladie et maternité», du titre III du règlement, constitue une dérogation aux dispositions générales sur la détermination de la législation
applicable énoncée au titre II, article 13, du règlement et a conclu que le terme «législation» devait s’interpréter comme la législation sociale en matière de maladie et maternité.
53. Il est vrai que l’article 28 se trouve au chapitre 1er, intitulé «Maladie et maternité», du titre III du règlement. Néanmoins, cela ne signifie pas que la notion en question est limitée à la législation sur la maladie et la maternité. Comme le gouvernement suédois l’a observé, le titre de ce chapitre indique seulement les types de prestations soumis aux règles figurant dans ce dernier, par dérogation aux règles générales prévues au titre II du règlement ( 23 ).
54. La faiblesse des arguments avancés par les requérants au principal – lorsqu’ils invoquent le titre du chapitre 1er – devient manifeste si ce titre est lu par comparaison avec l’intitulé général du titre III «Dispositions particulières aux différentes catégories de prestations», ainsi qu’avec les intitulés des chapitres subséquents de ce titre, chacun indiquant les catégories de prestations visées ( 24 ).
55. En second lieu, l’interprétation de la notion en question que je propose produit une règle de conflit qui, comme le Royaume-Uni le souligne justement, est relativement simple à appliquer et fournit des résultats juridiquement certains ( 25 ). Les périodes au cours desquelles un pensionné a acquis des droits à pension dans chaque État membre font l’objet d’un enregistrement et sont évidemment connues de leurs institutions compétentes.
56. Au contraire, l’interprétation de l’article 28, paragraphe 2, sous b), du règlement défendue par le Cvz ainsi que par les gouvernements néerlandais et suédois, visée au point 24 ci-dessus, semble produire des résultats plus incertains. Dès lors que certaines branches de la sécurité sociale sont souvent applicables à tous les résidents dans un État membre, le critère principal aux fins de l’application de l’article 28, paragraphe 2, sous b), du règlement serait habituellement la durée de la
résidence d’une personne dans un pays. Cependant, comme certains gouvernements ont dû le concéder au cours de l’audience, cette information peut ne pas être toujours déterminée aisément ou parfaitement fiable. Alors que les périodes durant lesquelles un citoyen a payé les cotisations sont dûment enregistrées et facilement vérifiables, on ne saurait en dire de même quant aux périodes pendant lesquelles des citoyens sont affiliés à d’autres branches de la sécurité sociale.
57. De plus, même les gouvernements néerlandais et suédois soutiennent que l’article 28, paragraphe 2, sous b), est destiné à s’assurer que c’est le pays dans lequel le pensionné a travaillé le plus longtemps et, partant, où il est probable qu’il a cotisé le plus qui doit supporter la charge des prestations en nature. Néanmoins, l’interprétation de cette disposition que ces gouvernements proposent ne semble pas garantir que cet objectif soit toujours atteint. En réalité, cette interprétation
implique que toute la période au cours de laquelle un citoyen a été affilié à une branche de la législation de sécurité sociale serait également prise en compte aux fins de l’article 28, paragraphe 2, sous b), du règlement. Le fait qu’un citoyen a été pendant une période donnée, par exemple, simplement un enfant ayant accès aux services de santé universels dispensés par un État membre, ou au contraire un travailleur acquittant toutes les cotisations dues serait totalement dépourvu de pertinence.
En effet, le facteur temps serait le seul paramètre qui entrerait en ligne de compte dans le cadre de l’article 28, paragraphe 2, sous b), du règlement.
58. À mon avis, cela ne saurait constituer la lecture correcte de l’article 28, paragraphe 2, sous b). Cette interprétation risquerait à nouveau de peser indûment sur les États membres qui apportent à leurs résidents des formes d’assistance de sécurité sociale, indépendamment du point de savoir si ces citoyens ont une activité économique et s’ils contribuent ou non au système de sécurité sociale en place.
59. Comme expliqué aux points 50 et 51 ci-dessus, un tel résultat me semblerait non seulement injuste à l’égard des États membres qui sont plus généreux en ce qui concerne leurs systèmes de sécurité sociale, mais aussi potentiellement préjudiciable à la stabilité financière de ces systèmes.
60. Il est vrai que l’article 1er, qui contient les définitions aux fins du règlement, définit, au point j), le terme «législation» comme désignant «pour chaque État membre, les lois, les règlements, les dispositions statutaires et toutes les autres mesures d’application, existants et futurs, qui concernent les branches et les régimes de sécurité sociale visés à l’article 4 paragraphes 1 et 2 ou les prestations spéciales à caractère non contributif visées à l’article 4 paragraphe 2 bis». Cela semble
suggérer une interprétation large de la notion en question.
61. Selon moi, cet argument ne convainc pas. À mon avis, la définition figurant à l’article 1er doit nécessairement être large, dans la mesure où cette définition est applicable à tout le règlement. Une définition large du terme «législation» est cohérente avec l’objectif du législateur de l’Union d’assurer une application uniforme du règlement dans tous les États membres, en dépit de la diversité des systèmes de sécurité sociale existants. En même temps, la définition de l’article 1er sert
également à délimiter ce qui n’est pas à considérer comme une législation de sécurité sociale (par exemple des conventions collectives ou des régimes spéciaux pour les travailleurs indépendants, dont la création est laissée à l’initiative des personnes concernées).
62. Cela ne signifie pas que, à chaque fois que le terme apparaît dans le règlement, il doit être compris conformément à la définition figurant à l’article 1er ( 26 ). Certaines dispositions du règlement peuvent également désigner le terme «législation» et se référer seulement à certaines branches de la législation.
63. C’est précisément le cas avec l’article 28 du règlement. Le terme «législation» de l’article 28, paragraphe 2, sous b), ne doit pas être lu, à mon avis, d’une façon totalement isolée du reste de la disposition. Il est significatif que l’article 28, paragraphe 1, vise «[l]e titulaire d’une pension ou d’une rente due au titre de la législation d’un État membre ou de pensions ou de rentes dues au titre des législations de deux ou plusieurs États membres». Le passage introductif du paragraphe 2, qui
se réfère ensuite au paragraphe 1, indique qu’il ne s’applique qu’aux cas visés dans ce paragraphe ( 27 ).
64. À partir d’une lecture globale de l’article 28, il apparaît donc clairement que c’est la législation en vertu de laquelle une personne est titulaire d’une pension et non la législation relative à toutes les branches du système de sécurité sociale qui est pertinente.
65. En troisième et dernier lieu, l’interprétation que je propose de la notion en question semble être corroborée par deux autres dispositions légales.
66. Premièrement, l’article 33, paragraphe 1, du règlement prévoit que «l’institution d’un État membre débitrice d’une pension ou d’une rente […] applique une législation prévoyant des retenues de cotisations à la charge du titulaire d’une pension ou d’une rente dues par elle, dans la mesure où les prestations servies […] sont à la charge d’une institution dudit État membre».
67. Cette disposition plaide en faveur de l’idée que c’est l’État membre débiteur du paiement de la pension qui doit également couvrir les frais des prestations en nature servies dans l’État de résidence du pensionné. Cela explique pourquoi il est possible pour un tel État membre d’opérer des retenues sur la pension ou la rente dues au pensionné. Il convient de noter que la Cour, dans l’arrêt Rundgren, précité, a expliqué que le terme «dues» à l’article 33 signifie qu’une pension doit être
effectivement versée au titulaire et qu’une compétence éventuelle de la verser ne serait pas suffisante pour opérer des retenues ( 28 ).
68. En second lieu, l’article 95 du règlement (CEE) no 574/72 du Conseil, du 21 mars 1972, fixant les modalités d’application du règlement no 1408/71 ( 29 ), intitulé «Remboursement des prestations en nature de l’assurance maladie-maternité servies aux titulaires de pensions ou de rentes et aux membres de leur famille n’ayant pas droit à des prestations au titre de la législation de l’État membre où ils résident», semble également pertinent. Dans l’arrêt van der Duin et ANOZ Zorgverzekeringen, la
Cour a jugé, à propos de cette disposition, que «le montant des prestations servies en vertu dudit article 28 est en principe remboursé à l’institution du lieu de résidence par l’institution compétente de l’État débiteur de la pension» ( 30 ).
69. Si l’on suivait l’interprétation de l’article 28, paragraphe 2, sous b), du règlement avancée par la partie requérante au principal, ou de l’interprétation soutenue par le Cvz, ces deux dispositions perdraient leur raison d’être: il ne saurait être exclu que, dans certains cas, les frais des prestations en nature doivent être couverts par un État membre qui ne paye aucune pension au titulaire. Dans de tels cas, il est manifeste qu’aucune retenue sur la pension ne serait opérée et aucun
remboursement d’une institution débitrice de la pension n’interviendrait.
70. Eu égard à ce qui précède, j’estime que la notion en question vise la législation concernant les pensions.
71. Étant parvenu à cette conclusion, une autre question doit être traitée. Dans la décision de renvoi, le Centrale Raad van Beroep demande en fait quels types d’assurance pension doivent être pris en compte aux fins de l’article 28 du règlement dans une affaire telle que celle examinée.
72. Je suis d’avis que le libellé de l’article 28 du règlement devrait s’interpréter, à cet égard, premièrement, dans un sens large et, deuxièmement, conformément à la législation nationale applicable.
73. Quant au premier un aspect, j’observe qu’il n’y a pas d’éléments dans le texte du règlement qui suggérerait que cette disposition doive être interprétée étroitement. Au contraire, l’expression «à la législation duquel le titulaire a été soumis» semble avoir été délibérément formulée dans le sens le plus large possible.
74. En fait, dans l’arrêt Rundgren, précité, la Cour a affirmé que «les termes ‘pension ou rente’ qui figurent à l’article 28 bis du règlement no 1408/71 concernent tant une pension fondée sur la résidence et constituant notamment une prestation d’invalidité et de vieillesse […] qu’une prestation fondée sur l’exercice d’un travail rémunéré» ( 31 ). J’estime que ce terme doit être interprété de la même manière au titre de l’article 28 du règlement.
75. De plus, si le libellé dans la version en langue anglaise de l’article 28 du règlement parle de «pensions payables», d’autres versions linguistiques du même instrument juridique sont libellées d’une façon différente. Par exemple, la version néerlandaise du texte de l’article 28 vise les «Pensioenen of renten», la version danoise les «ret til pension eller rente», la version espagnole des «pensiones o rentas debidas», la version française des «pensions ou rentes dues», la version italienne les
«pensioni o rendite dovute» et la version portugaise des «pensões ou rendas devidas» ( 32 ). Cette comparaison suggère qu’il convient de donner une interprétation large à l’article 28.
76. En bref, rien n’indique que le législateur de l’Union aurait voulu limiter la portée de l’article 28 à certains types spécifiques de pensions ou à certaines périodes d’assurance pension telles que, par exemple, les pensions de vieillesse ou les pensions accumulées par une personne au cours de sa vie active. De même, je ne vois pas pourquoi les périodes au cours desquelles un titulaire a payé des cotisations à un État membre sur la base d’un régime d’assurance volontaire ne devraient pas être
prises en compte lorsque cela est prévu dans une législation nationale.
77. Introduire une distinction entre les différents types de pensions ou les différentes périodes d’assurance pension ajouteraient, en outre, un élément de complexité et d’incertitude au critère fourni par l’article 28, paragraphe 2, sous b), du règlement.
78. Quant au second aspect, je rappelle que la Cour a déjà affirmé que, en principe, les conditions auxquelles est soumise la constitution des périodes d’assurances sont définies exclusivement par la législation de l’État membre sous laquelle les périodes en cause ont été accomplies, conformément à l’article 1er, sous r), du règlement no 1408/71 ( 33 ).
79. Le fait que, fondamentalement, l’article 28 renvoie cette question à la législation nationale applicable me semble également cohérent avec le fait que le règlement est fondé sur ce qui est actuellement l’article 48 TFUE (ex-article 51 du traité CEE). À cet égard, la Cour a constamment jugé que «l’article 48 TFUE prévoyant une coordination des législations des États membres et non leur harmonisation, les différences de fond et de procédure entre les régimes de sécurité sociale de chaque État
membre, et, partant, des droits des personnes affiliées à ces régimes, ne sont pas touchées par cette disposition» ( 34 ).
80. Pour cette raison, j’en conclus que le terme «pensions» doit être compris au sens large et en conformité avec la législation nationale applicable de sorte à inclure, le cas échéant, les pensions dues par un État membre sur la base de cotisations volontaires.
V – Conclusion
81. Eu égard à ce qui précède, je propose à la Cour de répondre à la question soumise à une décision préjudicielle par le Centrale Raad van Beroep comme suit:
La phrase «la législation à laquelle le titulaire a été soumis le plus longtemps», figurant à l’article 28, paragraphe 2, sous b), du règlement (CEE) no 1408/71 du Conseil, du 14 juin 1971, relatif à l’application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés et à leur famille qui se déplacent à l’intérieur de la Communauté, vise la législation relative aux pensions. Le terme «pensions» doit s’entendre au sens large et en conformité avec la législation nationale applicable, de sorte
à inclure, le cas échéant, les pensions dues par l’État membre sur la base de cotisations volontaires.
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( 1 ) Langue originale: l’anglais.
( 2 ) Règlement du Conseil du 14 juin 1971 relatif à l’application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés et à leur famille qui se déplacent à l’intérieur de la Communauté (JO L 149, p. 2, ci-après le «règlement»).
( 3 ) Sixième considérant du préambule du règlement.
( 4 ) Règlement du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 sur la coordination des systèmes de sécurité sociale (JO L 166, p. 1) a abrogé et remplacé le règlement à partir du 1er mai 2010 au moment où il a pris effet à la suite de l’entrée en vigueur du règlement (CE) no 987/2009 du Parlement européen et du Conseil, du 16 septembre 2009, fixant les modalités d’application du règlement no 883/2004 (JO L 284, p. 1.)
( 5 ) Jusqu’au 1er janvier 2006, l’annexe IV, section Q, point 1, sous a), du règlement prévoyait: «En ce qui concerne le droit aux prestations en nature en vertu de la législation néerlandaise, il y a lieu d’entendre par bénéficiaire des prestations en nature, aux fins de l’application du chapitre 1er du titre III, la personne assurée ou coassurée en vertu de l’assurance visée par la loi néerlandaise sur les caisses de maladie».
( 6 ) À l’époque considérée, l’annexe VI, section R, point 1, sous a), du règlement prévoyait: «En ce qui concerne le droit aux prestations en nature en vertu de la législation néerlandaise, il y a lieu d’entendre par ‘bénéficiaire des prestations en nature’, aux fins de l’application du chapitre 1er et du chapitre 4 du titre III du présent règlement: i) la personne tenue de s’assurer auprès d’un organisme d’assurance soins de santé en vertu de l’article 2 de la [ZVW], et ii) […] Les personnes qui
résident dans un autre État membre et qui, en vertu du règlement, peuvent prétendre à des soins de santé dans leur pays de résidence à la charge des Pays-Bas».
( 7 ) Arrêt du 10 mai 2001 (C-389/99, Rec, p. I-3731).
( 8 ) Arrêts du 18 juillet 2006, Nikula (C-50/05, Rec. p. I-7029, point 20), et du 3 mars 2011, Tomaszewska (C-440/09, Rec. p. I-1033, point 28).
( 9 ) Arrêts du 14 octobre 2010, van Delft e.a. (C-345/09, Rec. p. I-9879, points 99 et 100), et du 16 juillet 2009, von Chamier-Glisczinski (C-208/07, Rec. p. I-6095, points 84 et 85).
( 10 ) Arrêts du 10 juillet 1986, Luijten (60/85, Rec. p. 2365, point 14), et du 14 décembre 1989, Agegate (C-3/87, Rec. p. I-4459, point 27).
( 11 ) Arrêt du 12 juin 1986, Ten Holder (302/84, Rec. p. 1821, point 21 et la jurisprudence citée).
( 12 ) Voir, à cet égard, arrêts du 29 juin 1994, Aldewereld (C-60/93, Rec. p. I-2991, points 16 à 20), et Delft e.a., précité (point 52 et jurisprudence citée).
( 13 ) Arrêt du 27 mai 1982, Aubin (227/81, Rec. p. 1991, point 11).
( 14 ) Arrêt Rundgren, précité (points 44 et 45).
( 15 ) Idem.
( 16 ) Arrêt Rundgren, précité (points 46 et 47).
( 17 ) Point 79.
( 18 ) Ce principe sous-tend tout le règlement, comme l’explique l’article 13, paragraphe 2, sous a), qui énonce que «la personne physique qui exerce une activité salariée sur le territoire d’un État membre est soumise à la législation de cet État, même si elle réside sur le territoire d’un autre État membre ou si l’entreprise ou l’employeur qui l’occupe a son siège ou son domicile sur le territoire d’un autre État membre».
( 19 ) À cet égard, l’avocat général Poiares Maduro a affirmé au point 11 de ses conclusions dans l’affaire Nikula, précitée, qu’«il est nécessaire, dans la mesure du possible, de s’assurer que c’est l’État dans lequel la personne concernée a exercé son activité où elle a droit à une pension qui supporte la charge des prestations servies».
( 20 ) Livre III, chapitre III, alinéa VIII.
( 21 ) Récemment, les États-Unis d’Amérique ont introduit une loi fédérale visant à augmenter le niveau de couverture d’assurance maladie des citoyens américains. Voir le Patient Protection and Affordable Care Act (PPACA) (loi relative à la protection du patient et aux soins abordables», communément appelée «Obamacare», signée par le président Obama le 23 mars 2010). Le 28 juin 2012, dans l’affaire National Federation of Independent Business/Sebelius, 567 US – (2012), la Cour suprême des États-Unis
a déclaré constitutionnelle la plus grande partie de la loi.
( 22 ) Affaire no 4381-10, Wehmeyer.
( 23 ) En fait, au point 48 de ses conclusions dans l’affaire Rundgren, précitée, l’avocat général Alber suggère que le contexte des articles 28 et 28 bis du règlement indique qu’il s’agit de pensions.
( 24 ) Chapitre 2 «Invalidité», chapitre 3 «Vieillesse et décès (pensions)», chapitre 4 «Accidents du travail et maladies professionnelles», chapitre 5 «Allocations de décès», chapitre 6 «Chômage», chapitre 7 «Prestations et allocations familiales pour travailleurs et chômeurs», chapitre 8 «Prestations pour enfants à charge de titulaires de pensions ou de rentes et pour orphelins».
( 25 ) La Cour a en effet souligné que le système à appliquer au titre du règlement doit être prévisible, de sorte à être conforme au principe de sécurité juridique. Voir arrêt du 30 mars 2000, Banks e.a. (C-178/97, Rec. p. I-2005, point 41) et les conclusions de l’avocat général Jacobs dans l’affaire van Pommeren-Bourgondiën (C-227/03, Rec. p. I-6101, point 45).
( 26 ) Comme je l’ai souligné dans mes conclusions du 29 mai 2013 dans l’affaire Brey (C‑140/12), pendante devant la Cour (point 34), en général, il est souhaitable d’interpréter de manière uniforme les concepts du droit de l’Union, car cela contribue à une plus grande sécurité juridique. Une interprétation uniforme n’est toutefois pas toujours possible en pratique.
( 27 ) L’article 28, paragraphe 2, du règlement affirme: «dans les cas visés au paragraphe 1».
( 28 ) Points 47 à 50.
( 29 ) JO L 74, p. 1.
( 30 ) Arrêt du 3 juillet 2003 (C-156/01, Rec. p. I-7045, point 44).
( 31 ) Point 39.
( 32 ) En revanche, certaines versions linguistiques ressemblent plus au texte anglais: la version allemande parle de «Rentenanspruch», la version estonienne de «makstavad pensionid», la version finnoise de «maksettavat eläkkeet» et la version suédoise de «Rätt till pensioner».
( 33 ) Voir, notamment, arrêt Tomaszewska, précité (point 26), et du 18 avril 2013, Mulders (C‑548/11, point 37).
( 34 ) Voir, notamment, arrêt du 11 avril 2013, Jeltes e.a. (C‑443/11, point 43). Voir aussi arrêts von Chamier-Glisczinski, précité (point 84), et du 15 janvier 1986, Pinna (41/84, Rec. p. 1, point 20).