ORDONNANCE DE LA COUR (sixième chambre)
6 juin 2013 (*)
«Pourvoi – Article 19 du statut de la Cour – Recours en annulation manifestement irrecevable – Principes d’égalité de traitement et de proportionnalité – Moyens du pourvoi manifestement non fondés»
Dans l’affaire C‑535/12 P,
ayant pour objet un pourvoi au titre de l’article 56 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, introduit le 18 novembre 2012,
Rafael Faet Oltra, demeurant à Valence (Espagne),
partie requérante,
l’autre partie à la procédure étant:
Médiateur européen,
partie défenderesse en première instance,
LA COUR (sixième chambre),
composée de M^me M. Berger, président de chambre, MM. E. Levits (rapporteur) et J.-J. Kasel, juges,
avocat général: M. P. Mengozzi,
greffier: M. A. Calot Escobar,
vu la décision prise, l’avocat général entendu, de statuer par voie d’ordonnance motivée, conformément à l’article 181 du règlement de procédure de la Cour,
rend la présente
Ordonnance
1 Par son pourvoi, M. Faet Oltra demande l’annulation de l’ordonnance du Tribunal de l’Union européenne du 20 septembre 2012, Faet Oltra/Médiateur (T‑294/12, ci-après l’«ordonnance attaquée»), par laquelle celui-ci a rejeté comme manifestement irrecevable son recours tendant à l’annulation de la décision du Médiateur européen du 23 février 2012 rejetant la plainte qu’il avait déposée à la suite du refus de la Commission européenne d’engager une procédure en manquement à l’encontre du Royaume
d’Espagne (ci-après la «décision litigieuse»).
Les antécédents du litige, la procédure devant le Tribunal et l’ordonnance attaquée
2 Dans le cadre d’un litige l’opposant aux autorités espagnoles en ce qui concerne le versement d’une rémunération, M. Faet Oltra, avocat de profession, a entamé une procédure judiciaire devant les tribunaux espagnols. N’ayant pas obtenu gain de cause, il a demandé à la Commission d’engager une procédure en manquement à l’encontre du Royaume d’Espagne. Cette institution a considéré, d’une part, que les faits exposés par le requérant relevaient non pas du droit de l’Union, mais du seul droit
espagnol et, d’autre part, qu’elle ne pouvait déceler dans ces faits aucune violation du droit de l’Union. Partant, elle a informé M. Faet Oltra de ce qu’elle n’entamerait pas de procédure en manquement à l’encontre de cet État membre.
3 Le requérant a saisi le Médiateur européen d’une plainte dirigée contre le refus qui lui avait ainsi été opposé par la Commission, en alléguant une violation du principe de bonne administration. Considérant que la Commission s’était conformée à son code de bonne conduite administrative, le Médiateur européen a, par la décision litigieuse, classé ladite plainte.
4 Par une requête déposée au greffe du Tribunal le 8 mai 2012, le requérant a introduit un recours tendant à l’annulation de la décision litigieuse.
5 Sans procéder à l’examen de l’affaire au fond, le Tribunal a rappelé, au point 6 de l’ordonnance attaquée, que, en vertu de l’article 19 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, les parties, autres que les États membres et les institutions de l’Union, l’Autorité de surveillance AELE ou les parties à l’accord sur l’Espace économique européen (EEE) doivent être représentées par un avocat habilité à exercer devant une juridiction d’un État membre ou d’un autre État partie audit
accord.
6 Soulignant, au point 7 de l’ordonnance attaquée, que, selon une jurisprudence constante, cette obligation s’impose même si le requérant est un avocat habilité à plaider devant une juridiction nationale, le Tribunal a constaté, au point 8 de ladite ordonnance, que la requête introductive d’instance avait été signée par le requérant lui-même et, partant, il a rejeté le recours comme manifestement irrecevable.
Sur le pourvoi
7 En vertu de l’article 181 du règlement de procédure de la Cour, lorsqu’un pourvoi est, en tout ou partie, manifestement irrecevable ou manifestement non fondé, la Cour peut à tout moment, sur rapport du juge rapporteur, l’avocat général entendu, le rejeter totalement ou partiellement par voie d’ordonnance motivée, et ce sans ouvrir la procédure orale.
8 À l’appui de son pourvoi, le requérant soulève, en substance, trois moyens tirés respectivement d’une violation du droit de se représenter soi-même, ainsi que des principes d’égalité de traitement et de proportionnalité.
Observations liminaires
9 D’emblée, force est de constater que M. Faet Oltra a lui-même signé le présent pourvoi, sans se faire représenter par un avocat habilité à plaider.
10 Dès lors, il convient, en vertu de l’article 19 du statut de la Cour, de considérer que le présent pourvoi est manifestement irrecevable.
11 Toutefois, c’est en application de cette disposition que le Tribunal a rejeté d’office le recours en annulation présenté devant lui par M. Faet Oltra.
12 Partant, et dans la mesure où le requérant conteste précisément l’application qui a été faite de l’article 19 du statut de la Cour par le Tribunal, il convient d’examiner les moyens qu’il invoque.
Sur le premier moyen
Argumentation du requérant
13 En premier lieu, M. Faet Oltra soutient que l’application faite par le Tribunal de l’article 19 du statut de la Cour est contraire à l’article 6, paragraphe 3, sous c), de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950 (ci-après la «CEDH»). En effet, d’une part, il ne saurait être exclu que, en l’espèce, la procédure judiciaire le concernant puisse revêtir une dimension pénale. D’autre part, il conviendrait
d’étendre le principe de l’auto-représentation aux procédures civiles.
14 En second lieu, le requérant considère que le droit à l’auto-représentation est consacré à l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.
Appréciation de la Cour
15 S’agissant du premier argument invoqué par le requérant, il convient de rappeler que l’article 6, paragraphe 3, sous c), de la CEDH garantit le droit de l’accusé de se défendre à l’égard d’accusations en matière pénale (ordonnance du 5 décembre 1996, Lopes/Cour de justice, C‑174/96 P, Rec. p. I‑6401, point 12).
16 Force est toutefois de constater que, en l’espèce, le recours de M. Faet Oltra est dirigé contre une décision du Médiateur européen classant une plainte dirigée contre le refus de la Commission d’engager une procédure en manquement à l’encontre du Royaume d’Espagne. Dès lors, le présent litige ne porte manifestement pas sur des «accusations en matière pénale» au sens de la CEDH.
17 En outre, en se limitant à exiger que la possibilité pour une personne de se défendre elle-même soit étendue à la procédure civile, le requérant n’apporte aucun élément révélant une remise en cause, en l’espèce, du principe selon lequel, en vertu de l’article 6, paragraphe 3, sous c), de la CEDH, le droit de se défendre soi-même est reconnu à un accusé dans les litiges relatifs à des accusations pénales.
18 S’agissant du second argument invoqué au soutien du premier moyen, il y a lieu de constater, d’une part, que le requérant n’apporte aucun élément duquel il pourrait être conclu que l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne consacrerait le droit de se représenter soi-même.
19 D’autre part, la Cour a déjà jugé que l’exigence relative à la position et à la qualité d’avocat indépendant procède de la conception du rôle de l’avocat dans l’ordre juridique de l’Union, énoncé à l’article 19 du statut de la Cour, laquelle se rattache aux traditions juridiques communes aux États membres (ordonnance du 29 septembre 2010, EREF/Commission, C‑74/10 P et C‑75/10 P, point 52). Cette conception est celle d’un collaborateur de la justice appelé à fournir, en toute indépendance et
dans l’intérêt supérieur de celle-ci, l’assistance légale dont le client a besoin (arrêt du 6 septembre 2012, Prezes Urzędu Komunikacji Elektronicznej et Pologne/Commission, C‑422/11 P et C‑423/11 P, non encore publié au Recueil, point 23).
20 C’est sur ce fondement que la Cour a jugé que l’expression «les autres parties doivent être représentées par un avocat», figurant à l’article 19, troisième alinéa, de son statut, exclut qu’une partie et son défenseur puissent être une seule et même personne.
21 Ce principe ne saurait être remis en cause par l’interprétation que donne le requérant du point 2 de l’ordonnance du 21 novembre 2007, Correia de Matos/Parlement (C‑502/06 P). S’il est vrai que, dans cette affaire, le greffier de la Cour avait demandé au requérant de déposer un document de légitimation certifiant qu’il était habilité à exercer devant une juridiction d’un État membre, il n’en demeure pas moins qu’une telle demande ne pouvait préjuger du rejet du pourvoi par la Cour, au motif
que le requérant avait lui-même signé le recours en annulation déclaré irrecevable par le Tribunal en première instance.
22 Par conséquent, le premier moyen du pourvoi doit être écarté comme manifestement non fondé.
Sur le deuxième moyen
Argumentation du requérant
23 Le requérant soutient que, en ayant rejeté son recours en annulation comme manifestement irrecevable au motif qu’il avait signé lui-même sa requête, le Tribunal a violé le principe de non-discrimination. En effet, dans la mesure où le droit d’être représenté par un agent est reconnu aux institutions et aux États membres, ledit principe requerrait qu’un droit identique soit reconnu aux personnes privées.
Appréciation de la Cour
24 À titre liminaire, il y a lieu de rappeler que le principe de non-discrimination exige que des situations comparables ne soient pas traitées de manière différente et que des situations différentes ne soient pas traitées de manière égale, à moins qu’un tel traitement ne soit objectivement justifié (arrêt du 11 septembre 2007, Lindorfer/Conseil, C‑227/04 P, Rec. p. I‑6767, point 63).
25 À cet égard, dans le cadre des recours en annulation, la situation des États membres et des institutions ne saurait être comparable à celle des personnes physiques et des personnes morales. Ainsi, il ressort d’une jurisprudence constante que les institutions et les États membres sont recevables à introduire un recours en annulation sans qu’ils doivent démontrer un intérêt à agir. En revanche, lorsque ce recours est introduit par une personne physique ou par une personne morale, la Cour a
itérativement jugé que celui-ci n’est ouvert que si les effets juridiques obligatoires de cet acte sont de nature à affecter les intérêts de la requérante, en modifiant de façon caractérisée la situation juridique de celle-ci (voir, en ce sens, arrêt du 13 octobre 2011, Deutsche Post/Commission, C‑463/10 P et C‑475/10 P, non encore publié au Recueil, points 36 et 37).
26 En outre, et contrairement à ce qu’allègue M. Faet Oltra, l’obligation faite à une partie, y compris lorsqu’elle a la qualité d’avocat, de recourir à un tiers pour assurer sa représentation devant les juridictions de l’Union place les parties dans les mêmes conditions de défense devant ces juridictions, indépendamment de leur qualité professionnelle et est de nature, dès lors, à garantir le principe d’égalité (voir, en ce sens, ordonnance Lopes/Cour de Justice, précitée, point 12).
27 Partant, le deuxième moyen du pourvoi doit être écarté comme manifestement non fondé.
Sur le troisième moyen
Argumentation du requérant
28 Le requérant soutient que l’obligation qui lui est faite, en vertu de l’article 19 du statut de la Cour, d’avoir recours à un avocat pour le représenter devant les juridictions de l’Union constitue une violation du principe de proportionnalité, eu égard aux frais qu’un tel recours occasionne par rapport aux prétentions qu’il fait valoir au niveau national.
Appréciation de la Cour
29 D’emblée, il convient de rappeler que le recours formé par le requérant tend, à titre principal, à l’annulation de la décision par laquelle le Médiateur européen a classé la plainte de l’intéressé dirigée contre la Commission, par suite du refus de cette dernière d’engager une procédure en manquement à l’encontre du Royaume d’Espagne.
30 Partant, dans ce contexte, le requérant ne saurait se prévaloir des frais qu’il serait susceptible d’engager dans le cadre de cette procédure pour exciper du caractère disproportionné de ceux-ci par rapport au montant des prétentions qu’il a fait valoir devant les autorités espagnoles dans le cadre de procédures nationales.
31 Par ailleurs, la circonstance alléguée, selon laquelle, dans le cas spécifique du requérant, les frais liés à la représentation de ce dernier par un avocat seraient supérieurs au montant de ses prétentions, ne saurait, à elle seule, être de nature à démontrer que l’obligation de représentation par un tiers est constitutive d’une violation du principe de proportionnalité.
32 En tout état de cause, il convient de rappeler que, d’une part, en vertu de l’article 91, sous b), du règlement de procédure du Tribunal, les frais liés à la rémunération d’un avocat sont considérés comme des dépens récupérables et, d’autre part, l’article 94 de ce règlement de procédure prévoit qu’un requérant peut demander la prise en charge des frais liés à l’assistance et à la représentation en justice devant le Tribunal. Partant, les frais de représentation que M. Faet Oltra aurait dû
engager devant le Tribunal auraient pu être récupérés, voire pris en charge, dans les conditions prévues aux articles 94 à 97 dudit règlement de procédure.
33 Il s’ensuit que le troisième moyen du pourvoi doit être écarté comme manifestement non fondé.
34 Par conséquent, il convient de rejeter le pourvoi.
Sur les dépens
35 La présente ordonnance étant adoptée avant la notification du pourvoi à la partie défenderesse et, par conséquent, avant que celle-ci n’ait pu exposer des dépens, il convient de décider que M. Faet Oltra supportera ses propres dépens, conformément à l’article 137 du règlement de procédure.
Par ces motifs, la Cour (sixième chambre) ordonne:
1) Le pourvoi est rejeté.
2) M. Rafael Faet Oltra supporte ses propres dépens.
Signatures
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* Langue de procédure: l’espagnol.