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28/05/2013 | CJUE | N°C-77/11

CJUE | CJUE, Arrêt de la Cour, Conseil de l'Union européenne contre Parlement européen., 28/05/2013, C-77/11


CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. YVES BOT

présentées le 28 mai 2013 ( 1 )

Affaire C‑77/11

Conseil de l’Union européenne

contre

Parlement européen

«Recours en annulation — Acte du président du Parlement européen relatif au budget de l’Union européenne pour l’exercice 2011 — Non-conformité de cet acte avec la nouvelle procédure budgétaire établie par le traité FUE — Non-respect de l’équilibre institutionnel — Violation du principe d’attribution des pouvoirs et du devoir de coopératio

n loyale — Violation des formes substantielles — Maintien temporaire des effets du budget»

I – Introduction

1. ...

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. YVES BOT

présentées le 28 mai 2013 ( 1 )

Affaire C‑77/11

Conseil de l’Union européenne

contre

Parlement européen

«Recours en annulation — Acte du président du Parlement européen relatif au budget de l’Union européenne pour l’exercice 2011 — Non-conformité de cet acte avec la nouvelle procédure budgétaire établie par le traité FUE — Non-respect de l’équilibre institutionnel — Violation du principe d’attribution des pouvoirs et du devoir de coopération loyale — Violation des formes substantielles — Maintien temporaire des effets du budget»

I – Introduction

1. La présente affaire oppose le Conseil de l’Union européenne et le Parlement européen au sujet de la manière dont a été conduite la procédure ayant abouti à l’adoption du budget général de l’Union européenne pour l’exercice 2011. Cette procédure a été, pour la première fois, menée intégralement sous l’empire de l’article 314 TFUE.

2. Par son recours, le Conseil demande à la Cour d’annuler l’acte du président du Parlement constatant l’adoption définitive du budget général de l’Union européenne pour l’exercice 2011 ( 2 ). Il soutient, à titre principal, que ses prérogatives résultant de l’article 314 TFUE ont été violées dans la mesure où l’adoption du budget pour l’exercice 2011 n’a pas donné lieu, contrairement à ce qu’imposerait cet article, à un acte législatif du Parlement et du Conseil cosigné par ces deux institutions.
Il invoque également un non-respect de l’équilibre institutionnel, une violation du principe d’attribution des pouvoirs et du devoir de coopération loyale entre les institutions, ainsi que, à titre subsidiaire, une violation des formes substantielles.

3. Dans les présentes conclusions, nous exposerons les raisons pour lesquelles nous considérons que la procédure relative au budget de l’Union pour l’année 2011 a été conduite conformément aux modalités fixées par l’article 314 TFUE. Plus précisément, nous proposerons à la Cour de rejeter les différents arguments du Conseil tendant à démontrer la nécessité, en sus de l’acte du président du Parlement constatant que le budget est définitivement adopté, d’un acte législatif du Parlement et du Conseil
cosigné par ces deux institutions, dont l’objet serait de formaliser l’adoption du budget par lesdites institutions.

II – Le cadre juridique

4. En vertu de l’article 13, paragraphe 2, TUE, «[c]haque institution agit dans les limites des attributions qui lui sont conférées dans les traités, conformément aux procédures, conditions et fins prévues par ceux-ci. Les institutions pratiquent entre elles une coopération loyale».

5. Aux termes de l’article 14, paragraphe 1, TUE, «[l]e Parlement européen exerce, conjointement avec le Conseil, les fonctions législative et budgétaire». De façon symétrique, l’article 16, paragraphe 1, TUE prévoit que «[l]e Conseil exerce, conjointement avec le Parlement européen, les fonctions législative et budgétaire».

6. Il résulte de l’article 288, premier alinéa, TFUE que «[p]our exercer les compétences de l’Union, les institutions adoptent des règlements, des directives, des décisions, des recommandations et des avis».

7. Selon l’article 289, paragraphe 2, TFUE, «[d]ans les cas spécifiques prévus par les traités, l’adoption d’un règlement, d’une directive ou d’une décision par le Parlement européen avec la participation du Conseil ou par celui-ci avec la participation du Parlement européen constitue une procédure législative spéciale». Le paragraphe 3 de ce même article précise que «[l]es actes juridiques adoptés par procédure législative constituent des actes législatifs».

8. Aux termes de l’article 296, premier alinéa, TFUE, «[l]orsque les traités ne prévoient pas le type d’acte à adopter, les institutions le choisissent au cas par cas, dans le respect des procédures applicables et du principe de proportionnalité». Le troisième alinéa de ce même article précise que «[l]orsqu’ils sont saisis d’un projet d’acte législatif, le Parlement européen et le Conseil s’abstiennent d’adopter des actes non prévus par la procédure législative applicable au domaine concerné».

9. L’article 297, paragraphe 1, TFUE est ainsi libellé:

«Les actes législatifs adoptés conformément à la procédure législative ordinaire sont signés par le président du Parlement européen et par le président du Conseil.

Les actes législatifs adoptés conformément à une procédure législative spéciale sont signés par le président de l’institution qui les a adoptés.

[…]»

10. L’article 314 TFUE décrit le déroulement de la procédure budgétaire. Les dispositions de cet article qui sont plus particulièrement en cause dans le cadre du présent recours sont le premier alinéa et le paragraphe 9.

11. Aux termes de l’article 314, premier alinéa, TFUE:

«Le Parlement européen et le Conseil, statuant conformément à une procédure législative spéciale, établissent le budget annuel de l’Union conformément aux dispositions ci-après.»

12. Quant à l’article 314, paragraphe 9, TFUE, il est ainsi rédigé:

«Lorsque la procédure prévue au présent article est achevée, le président du Parlement européen constate que le budget est définitivement adopté.»

III – Les antécédents du litige

13. Faisant suite à des échanges entretenus entre le Conseil et le Parlement durant la procédure visant à l’adoption du budget pour l’année 2010, relatifs à la portée des changements introduits par le traité de Lisbonne sur le déroulement de la procédure budgétaire, le président du Conseil a adressé au président du Parlement une lettre en date du 12 novembre 2010 dans laquelle il rappelait que, à la suite de l’entrée en vigueur de ce traité, le président du Conseil et le président du Parlement
devraient tous deux signer l’acte établissant le budget annuel de l’Union dans la mesure où ces deux institutions sont coauteurs de cet acte. Ledit acte devrait être distingué de l’acte du président du Parlement constatant, conformément à l’article 314, paragraphe 9, TFUE, que le budget est définitivement adopté.

14. Le 10 décembre 2010, le Conseil a adopté sa position concernant le nouveau projet de budget de l’Union pour l’exercice 2011. Il a annexé à cette position un projet de décision du Parlement et du Conseil établissant le budget général de l’Union européenne pour l’exercice 2011. Ce projet de décision comportait un article unique indiquant que ce budget était établi conformément à l’annexe de ladite décision et devait être signé par le président de chacune des deux institutions.

15. Le 14 décembre 2010, le président du Parlement a répondu à la lettre du président du Conseil du 12 novembre 2010. Il lui a notamment précisé que, selon lui, le traité de Lisbonne n’avait rien changé au fait que c’est le président du Parlement qui déclare que le budget a été définitivement adopté et qui, en faisant cela, signe le budget. Le président du Parlement a donc indiqué au président du Conseil qu’il ne pouvait partager son opinion selon laquelle le budget de l’Union devrait être signé par
les présidents de ces deux institutions.

16. Lors de la séance plénière du 15 décembre 2010, le Parlement a approuvé la position du Conseil sans amendements. À l’issue de ce vote du Parlement, le président en exercice du Conseil a déclaré ce qui suit, à savoir «le Parlement vient donc d’approuver la position du Conseil sur le projet de budget 2011 sans amendements. Je ne peux évidemment, au nom du Conseil, que me féliciter de notre accord commun sur le budget 2011». Le même jour, le président du Parlement a signé l’acte constatant que la
procédure engagée en application de l’article 314 TFUE était achevée et que le budget général de l’Union pour l’exercice 2011 était définitivement adopté.

17. Le 15 décembre 2010 également, le président du Conseil a adressé au président du Parlement une lettre dans laquelle il s’est félicité du vote positif du Parlement sur le projet de budget 2011 et a rappelé que le traité FUE dispose que le budget est établi par le Parlement et par le Conseil. Il a, par conséquent, joint en annexe de cette lettre un projet de décision du Parlement européen et du Conseil établissant le budget général de l’Union européenne pour l’exercice 2011, signé par lui et
destiné à être aussi signé par le président du Parlement. Cette sollicitation n’a cependant pas été suivie d’effet.

18. C’est la raison pour laquelle le Conseil a décidé d’introduire le présent recours en vue de faire annuler l’acte par lequel le président du Parlement a constaté, le 15 décembre 2010, que la procédure engagée en application de l’article 314 TFUE était achevée et que le budget général de l’Union européenne pour l’exercice 2011 était définitivement adopté.

19. Par ordonnance du président de la Cour en date du 29 juin 2011, le Royaume d’Espagne a été admis à intervenir au soutien des conclusions du Conseil.

IV – Sur le recours

A – Les deux thèses en présence

20. Les deux thèses défendues respectivement par le Conseil et par le Parlement reposent en grande partie sur une divergence de vues quant à la manière dont doivent être conciliées deux dispositions de l’article 314 TFUE, à savoir le premier alinéa et le paragraphe 9 de cet article.

21. Le Conseil s’appuie sur l’article 314, premier alinéa, TFUE, lu en relation avec plusieurs autres dispositions des traités, pour soutenir que l’établissement du budget requiert l’adoption, conjointement par le Parlement et par le Conseil, d’un acte législatif signé par le président de chacune de ces deux institutions. L’acte du président du Parlement prévu à l’article 314, paragraphe 9, TFUE constatant que le budget est définitivement adopté ne saurait être assimilé à un acte d’adoption du
budget. Il s’agirait seulement d’un acte déclaratif pris par le président du Parlement après que les deux institutions ont signé l’acte législatif portant adoption du budget.

22. Au contraire, le Parlement se réfère audit article 314, paragraphe 9, ainsi qu’à l’interprétation que la Cour a retenue de la disposition, en substance identique sur ce point, figurant dans le traité CE, pour défendre l’idée selon laquelle, si un accord entre les deux institutions est bien nécessaire, l’article 314 TFUE n’impose toutefois pas que celui-ci soit formalisé par un acte législatif du Parlement et du Conseil. Seul l’acte du président du Parlement pris en application de l’article 314,
paragraphe 9, TFUE serait de nature à confirmer l’adoption définitive du budget, après vérification de la régularité de la procédure, et à conférer à ce dernier un effet juridique.

23. Voyons plus en détail les arguments développés par le Conseil et le Parlement au soutien de leurs thèses respectives.

1. Les arguments du Conseil

24. Le Conseil soulève quatre moyens au soutien de son recours, à savoir la violation de l’article 314 TFUE, lu en liaison avec plusieurs autres dispositions des traités, du fait de l’absence d’un acte législatif du Parlement et du Conseil cosigné par ces deux institutions, le non-respect de l’équilibre institutionnel établi par cet article, la violation du principe d’attribution des pouvoirs et du devoir de coopération loyale entre les institutions inscrits à l’article 13, paragraphe 2, TUE ainsi
que, à titre subsidiaire, la violation des formes substantielles. Dans la mesure où les arguments invoqués au soutien de ces moyens se recoupent largement, il nous paraît opportun, afin d’éviter des répétitions, de les exposer d’un seul tenant. Nous procéderons de même dans le cadre de notre appréciation afin de ne pas scinder artificiellement l’évaluation du bien-fondé de ces arguments.

25. Selon le Conseil, le budget annuel de l’Union, ainsi que les budgets rectificatifs, devraient désormais être établis par un acte législatif commun aux deux institutions qui en sont les auteurs. Cet acte devrait être signé par les présidents de celles-ci, conformément à l’article 297, paragraphe 1, deuxième alinéa, TFUE. Les auteurs de la procédure législative spéciale prévue à l’article 314 TFUE étant, aux termes de cet article, tant le Parlement que le Conseil, il en résulte que l’acte
établissant le budget devrait porter les signatures des présidents de ces deux institutions.

26. Par conséquent, l’acte établissant le budget pour l’année 2011 serait entaché d’illégalité, dans la mesure où il consiste en un acte atypique et non législatif, pris et signé par le seul président du Parlement en violation des articles 314 TFUE, 288 TFUE, 289, paragraphes 2 et 3, TFUE, 296, premier et troisième alinéas, TFUE, 297, paragraphe 1, deuxième alinéa, TFUE ainsi que 13, paragraphe 2, TUE.

27. Selon le Conseil, l’article 314 TFUE requiert l’adoption d’un acte législatif et un tel acte ne saurait être qu’un règlement, une directive ou une décision, comme le rappelle l’article 289, paragraphe 2, TFUE. Le traité de Lisbonne ne ferait aucune exception quant aux formes juridiques qui peuvent résulter de la procédure législative spéciale et n’autoriserait pas l’adoption d’un acte législatif sui generis ou celle d’un acte sui generis tout court. Par ailleurs, il découlerait de l’article 289,
paragraphe 3, TFUE que la procédure législative spéciale visée à l’article 314 TFUE doit déboucher sur l’adoption d’un acte législatif.

28. Le Conseil relève qu’il découle de l’article 314, premier alinéa, TFUE, et plus particulièrement de l’usage du verbe «établissent» au pluriel, que la procédure législative spéciale prévue à cet article se distingue des autres procédures législatives spéciales prévues par le traité FUE en ce qu’elle comporte deux sujets principaux. Aucun de ceux-ci n’aurait l’ascendant sur l’autre. Pointant les similitudes et les particularités de cette procédure par rapport à la procédure législative ordinaire,
le Conseil qualifie la procédure prévue à l’article 314 TFUE de «codécision simplifiée».

29. La confusion entre l’acte par lequel le président du Parlement constate que le budget est définitivement adopté et l’acte législatif établissant le budget empêcherait le Conseil d’exercer les prérogatives qu’il détient en vertu du traité et violerait donc l’article 314 TFUE. Si le Conseil reconnaît qu’il revient au président du Parlement, en vertu de l’article 314, paragraphe 9, TFUE, de constater que le budget est définitivement adopté, une telle constatation ou déclaration ne saurait, à son
avis, valoir adoption.

30. Selon le Conseil, l’acte du président du Parlement, constatant solennellement que les deux coauteurs du budget annuel de l’Union ont établi ensemble celui-ci, constituerait une formalité substantielle de la procédure budgétaire et une condition de prise d’effet de l’acte législatif. Néanmoins, il s’agirait de la mise en œuvre par le président du Parlement d’une compétence liée, en ce sens que, après l’adoption et la signature de l’acte législatif par ses deux coauteurs, la constatation de
l’adoption définitive du budget serait un acte dû.

31. S’agissant de l’arrêt de la Cour du 3 juillet 1986, Conseil/Parlement ( 3 ), et, en particulier, du passage de celui-ci selon lequel «[c]’est le président du Parlement qui constate formellement que la procédure budgétaire a été menée à terme par l’adoption définitive du budget et qui confère ainsi force obligatoire au budget, aussi bien vis-à-vis des institutions que des États membres», le Conseil considère que cette affirmation s’inscrivait dans un contexte particulier et que, de surcroît,
l’évolution des traités successifs a rendu cette jurisprudence obsolète. En particulier, le traité de Lisbonne imposerait un regard nouveau sur l’acte portant adoption du budget, ses auteurs et, partant, sa signature.

32. Le Conseil tire également argument de l’article 296, premier alinéa, TFUE pour considérer que, en application de cette disposition, l’acte établissant le budget devrait être une décision conjointe des deux institutions. Ladite disposition, qui ne pourrait être écartée au motif que l’article 314 TFUE constituerait une lex specialis, aurait, par conséquent, été violée.

33. Sous l’angle du principe de l’équilibre institutionnel, le Conseil observe que, la distinction entre les dépenses obligatoires et les dépenses non obligatoires ayant été abolie, les deux branches de l’autorité budgétaire se trouvent désormais sur un pied d’égalité, avec les mêmes pouvoirs, exercés dans le cadre d’une procédure de codécision avec l’objectif d’aboutir à un commun accord en temps utile pour le financement de l’Union lors de l’exercice à venir. L’article 314 TFUE ne se limiterait
pas à inscrire dans le traité la pratique antérieure, mais introduirait un nouvel équilibre entre les deux branches de l’autorité budgétaire. Aucune institution ne saurait avoir le dernier mot sur un acte codécidé.

34. L’exigence d’un acte formel doté de force obligatoire sur la base des traités ne traduirait pas simplement la mise en conformité avec les articles 288 TFUE et 289, paragraphe 2, TFUE, mais elle traduirait également un nouvel équilibre que les institutions et leurs organes ont le devoir de respecter. Les circonstances dans lesquelles le président du Parlement a été amené à constater que le budget pour l’exercice 2011 a été définitivement adopté font que ce président, en tant qu’organe de son
institution, a manqué à ce devoir. L’acte dudit président devrait, par conséquent, être annulé.

35. Sous l’angle de la violation du principe d’attribution des pouvoirs et du devoir de coopération loyale inscrits à l’article 13, paragraphe 2, TUE, le Conseil soutient que l’acte du président du Parlement va au-delà des limites des attributions qui lui sont conférées par les traités modifiés et viole les procédures, les conditions et les fins prévues par ceux-ci. Dans le cadre de l’article 314 TFUE, la formalité solennelle prévue au paragraphe 9 de cet article ne pourrait pas se transformer en un
acte juridique unilatéral adoptant le budget.

36. Le Conseil estime également que le Parlement a manqué au devoir de coopération loyale qui doit régir les rapports entre les institutions. Il reproche, en particulier, au Parlement de ne pas avoir pris part à ses démarches visant à rechercher une solution conforme aux traités, mutuellement acceptable et respectueuse à la fois des pouvoirs des institutions et des prérogatives du président du Parlement. Il reproche aussi au président du Parlement de ne pas avoir informé le président du Conseil, le
jour du vote du budget en séance plénière, à savoir le 15 décembre 2010, alors que celui-ci était présent lors de ce vote, de la teneur de sa lettre du 14 décembre 2010. Le Conseil précise en outre que cette lettre du président du Parlement n’est venue à la connaissance du président du Conseil que le 17 décembre 2010, soit deux jours après le constat d’arrêt définitif du budget pour l’exercice 2011.

37. Dans l’hypothèse où la Cour rejetterait la thèse défendue à titre principal par le Conseil, celui-ci soutient, à titre subsidiaire, que l’acte du président du Parlement devrait être annulé pour violation des formes substantielles. En particulier, le Conseil est d’avis que, à partir du moment où il était pleinement conscient du désaccord entre le Parlement et le Conseil sur le type d’acte adoptant le budget et sa signature, le président du Parlement ne pouvait pas constater que la procédure
budgétaire pour l’exercice 2011 était achevée. Le Conseil observe que le président du Parlement n’aurait informé la séance plénière de son institution ni de la position du Conseil rappelée dans la lettre de celui-ci en date du 12 novembre 2010 ni de l’ultime initiative du président du Conseil, prise le jour même du vote du Parlement sur le projet de budget, dans le but d’offrir une solution au différend. Dans la mesure où la position du Conseil sur le projet de budget incluait un projet de
décision portant adoption du budget par les deux institutions, le Conseil fait valoir que l’acte du président du Parlement est intervenu à un moment où, à défaut d’accord des deux institutions sur le type d’acte portant adoption du budget et sa signature, la procédure budgétaire n’était pas encore achevée. Pour cette raison, l’acte du président du Parlement serait entaché d’illégalité.

38. Enfin, dans la mesure où le différend entre le Conseil et le Parlement ne porte pas sur le contenu du budget pour l’année 2011, le Conseil demande à la Cour, dans l’hypothèse où elle déciderait d’annuler l’acte du président du Parlement, de maintenir les effets du budget pour l’année 2011 jusqu’à ce qu’il soit remédié à l’illégalité constatée, en application de l’article 264, second alinéa, TFUE.

2. Les arguments du Parlement

39. Le Parlement conteste la thèse selon laquelle l’accord entre lui-même et le Conseil devrait donner lieu à l’adoption d’un acte législatif, cosigné par les présidents de ces deux institutions, et qui ne pourrait être qu’un règlement, une directive ou une décision, conformément à l’article 289, paragraphe 2, TFUE.

40. Il considère que la procédure visant à l’adoption du budget est sui generis. L’acte du président du Parlement prévu à l’article 314, paragraphe 9, TFUE serait le seul acte qui conférerait au budget sa force obligatoire «aussi bien vis-à-vis des institutions que des États membres», comme la Cour l’a souligné dans son arrêt Conseil/Parlement, précité ( 4 ), lequel resterait, selon le Parlement, d’actualité après l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne. L’acte du président du Parlement aurait
ainsi une nature constitutive. Si les auteurs du traité avaient voulu modifier les pouvoirs du Parlement relatifs à l’adoption définitive du budget, ils n’auraient pas maintenu, à l’article 314, paragraphe 9, TFUE, une disposition analogue à celle de l’ex-article 272, paragraphe 7, CE.

41. Selon le Parlement, l’acte de son président vaut adoption du budget, car sans ce dernier acte le budget ne serait pas «définitivement adopté», au sens de l’article 314, paragraphe 9, TFUE. Il précise que l’acte du président du Parlement est pris dans l’exercice d’un pouvoir propre, c’est-à-dire le pouvoir de constater que le budget est définitivement adopté. Cela implique que le président du Parlement vérifie la régularité de la procédure et la conformité du budget avec le traité. Ce pouvoir ne
serait pas symbolique, la Cour le qualifiant d’ailleurs d’«acte juridique propre» ( 5 ).

42. Par ailleurs, le Parlement considère que même si l’article 314, premier alinéa, TFUE prévoit que le Parlement et le Conseil statuent conformément à une procédure législative spéciale, il n’est nullement prévu qu’un règlement, une directive ou une décision doive être adopté. Si tel devait être le cas, les rédacteurs du traité l’auraient indiqué explicitement.

43. S’agissant de la prétendue violation de l’article 296, premier alinéa, TFUE, le Parlement estime que cette disposition n’est pas d’application dans le cas du budget, l’article 314 TFUE constituant une lex specialis par rapport à ladite disposition. Le fait que les auteurs du traité n’aient pas prévu le type d’acte législatif serait un choix délibéré. En effet, alors que la Convention sur l’avenir de l’Europe et le traité établissant une Constitution pour l’Europe avaient prévu une «loi
européenne» pour le budget de l’Union, la conférence intergouvernementale de 2007 aurait voulu maintenir sur ce point l’approche de l’ex-article 272 CE. Le Parlement ajoute qu’il serait très surprenant, voire invraisemblable, que les auteurs du traité aient souhaité laisser aux institutions le soin de choisir un type d’acte législatif au cas par cas, en particulier lorsqu’il s’agit d’un acte d’importance politique et institutionnelle tel que le budget de l’Union, qui est adopté annuellement. En
outre, il faudrait tenir compte de la nature du budget, qui constitue un document essentiellement comptable comportant les prévisions de toutes les recettes et les dépenses à effectuer pendant une certaine période. Ce document serait ensuite joint, après vérification par le président du Parlement de la conformité de la procédure avec le traité, à l’acte par lequel il est adopté, c’est-à-dire celui par lequel le président du Parlement constate que le budget est définitivement adopté.

44. Le Parlement considère que les notions de règlement, de directive ou de décision, telles qu’elles ressortent de l’article 288 TFUE, ne répondent pas à la spécificité du budget. Le Parlement indique, à cet égard, que, à la différence de tout autre type de législation, le budget ne contient que des prévisions des recettes et des dépenses. Seule l’exécution des crédits inscrits au budget requerrait l’adoption préalable d’un acte de base. Cette circonstance serait révélatrice de la dichotomie entre
le processus législatif et le processus budgétaire. À ce sujet, le Parlement observe que le budget est adopté selon une procédure sui generis spécifiquement adaptée à la nature et au rôle de cet instrument. En particulier, cette procédure tiendrait compte de la nature comptable du document à établir et de la nécessité de garantir l’adoption de l’instrument avant la fin de l’année.

45. Concernant la prétendue exigence d’une signature de l’acte adoptant le budget par le président de chacune des deux institutions, le Parlement souligne que le propre des actes législatifs adoptés conformément à la procédure législative spéciale est qu’ils ne sont pas signés par les présidents du Parlement et du Conseil, car cela est réservé aux actes adoptés conformément à la procédure législative ordinaire, comme le précise l’article 297, paragraphe 1, TFUE. En outre, l’article 314 TFUE ne
prévoirait nulle part que le président du Conseil a le droit de cosigner le budget. De plus, il conviendrait de préserver l’effet utile de l’article 314, paragraphe 9, TFUE, cette disposition constituant une lex specialis par rapport à l’article 297 TFUE.

46. La procédure budgétaire ne pouvant être assimilée à la procédure législative ordinaire, il serait erroné de prétendre, comme le fait le Conseil, qu’aucune institution n’a le dernier mot sur un acte codécidé. Le Parlement relève, à cet égard, que l’article 314, paragraphe 7, sous d), TFUE vise un cas de figure dans lequel le président du Parlement peut être amené à constater que le budget est adopté alors même que seul le Parlement approuve le projet commun tandis que le Conseil le rejette. Un
tel cas de figure démontrerait que le budget peut être adopté et signé par le président du Parlement sans même qu’un accord soit exigé de la part du Conseil.

47. La cosignature d’une décision par le Parlement et par le Conseil ne serait pas logique dans une procédure qui prévoit la possibilité d’adopter le budget même dans le cas où le Conseil rejette le projet commun. L’article 314, paragraphe 7, sous d), TFUE répondrait à une exigence simple, à savoir que le budget soit adopté avant la fin de l’année afin d’éviter d’avoir recours au régime dit «des douzièmes provisoires». Au lieu d’introduire deux procédures différentes, une pour le cas où le Parlement
et le Conseil marquent leur accord et une pour le cas où l’article 314, paragraphe 7, sous d), TFUE doit être appliqué, les rédacteurs du traité auraient choisi une seule procédure, à savoir celle par laquelle le président du Parlement constate que le budget est définitivement adopté par un acte juridique propre, de caractère objectif, même si la procédure est caractérisée par l’action conjointe de ces deux institutions.

48. Le Parlement estime en outre qu’il n’a pas violé le principe d’attribution des pouvoirs, mais qu’il a agi conformément à l’article 314, paragraphe 9, TFUE lorsqu’il a constaté que la procédure budgétaire était achevée et qu’il a signé le budget. Il estime que s’il avait accepté qu’un acte législatif autonome, tel qu’un règlement, une directive ou une décision, soit adopté formellement et signé par les présidents des deux institutions, comme s’il s’agissait d’un acte adopté dans le cadre d’une
procédure ordinaire, il aurait agi ultra vires et aurait violé l’article 314 TFUE, en vidant aussi de son contenu le paragraphe 9 de cet article.

49. Par ailleurs, le Parlement considère que l’argument du Conseil selon lequel il aurait violé le devoir de coopération loyale inscrit à l’article 13, paragraphe 2, TUE est manifestement dénué de fondement. Le Parlement et son président auraient eu pour seul souci de respecter l’article 314 TFUE. Par ailleurs, le Parlement relève que son président a expliqué sa position sur la demande du Conseil dans sa lettre du 14 décembre 2010. Le Parlement observe également que lors du vote du budget 2011, le
15 décembre 2010, le président du Conseil n’a nullement soulevé la question de l’acte législatif à adopter ou la question de la signature. Il s’est limité à dire qu’il se félicitait de l’accord entre les deux institutions. Ce n’est qu’après que le budget a été signé, séance tenante, que le président du Conseil a transmis au président du Parlement une lettre contenant, en annexe, une décision du Parlement et du Conseil portant sa signature, alors même qu’il connaissait le point de vue du
président du Parlement sur la signature du budget.

50. Enfin, quant à la violation alléguée des formes substantielles, le Parlement fait valoir qu’il a accompli sa mission, telle que prévue à l’article 314, paragraphe 9, TFUE, en constatant qu’il y avait un accord entre les deux institutions et que la procédure avait été régulière.

B – Notre appréciation

51. Comme nous l’avons précédemment indiqué, le différend entre le Conseil et le Parlement repose en grande partie sur la difficulté qu’il peut y avoir, à première vue, à concilier deux dispositions de l’article 314 TFUE. La première disposition est contenue à l’article 314, premier alinéa, TFUE, qui prévoit, rappelons-le, que «[l]e Parlement européen et le Conseil, statuant conformément à une procédure législative spéciale, établissent le budget annuel de l’Union conformément aux dispositions
ci-après». La seconde figure à l’article 314, paragraphe 9, TFUE, qui précise que «[l]orsque la procédure prévue au présent article est achevée, le président du Parlement européen constate que le budget est définitivement adopté».

52. Si la première de ces deux dispositions constitue une formulation nouvelle du rôle tenu par le Parlement et par le Conseil dans l’établissement du budget annuel de l’Union, la seconde se situe dans la continuité de l’ex-article 272, paragraphe 7, CE, dont elle reprend le libellé, à la seule différence, sans conséquence à notre avis, que le verbe «adopté» remplace désormais le verbe «arrêté» ( 6 ). Le pouvoir que conserve le président du Parlement de constater que le budget est définitivement
adopté doit donc être concilié avec l’affirmation selon laquelle le Parlement et le Conseil doivent désormais être considérés comme étant les coauteurs du budget annuel de l’Union dans son intégralité, la distinction entre les dépenses obligatoires et les dépenses non obligatoires ayant été abolie. L’un des enjeux du présent recours consiste dès lors à garantir l’effet utile de l’article 314, paragraphe 9, TFUE tout en respectant la qualité du Conseil en tant que coauteur, avec le Parlement, du
budget.

53. Nous précisons d’emblée que, à notre avis, l’affirmation selon laquelle le Parlement et le Conseil établissent conjointement le budget ne signifie pas que l’adoption de ce dernier doit donner lieu à un acte législatif, consistant en un règlement, en une directive ou en une décision, au sens de l’article 288 TFUE, qui devrait être signé par les présidents de chacune de ces deux institutions.

54. En effet, nous observons que cette thèse du Conseil ne trouve aucun appui explicite dans le libellé de l’article 314 TFUE. Les auteurs du traité n’ont ainsi pas fait le choix d’indiquer expressément que le Parlement et le Conseil, statuant conformément à une procédure législative spéciale, établissent, par un règlement, par une directive ou par une décision, le budget annuel de l’Union.

55. L’absence de précision quant au type d’acte par lequel le Parlement et le Conseil établissent le budget annuel de l’Union constitue également une différence notable par rapport au traité établissant une Constitution pour l’Europe dont les articles I‑56 et III‑404, premier alinéa, prévoyaient que «[l]a loi européenne établit le budget annuel de l’Union».

56. Faute d’indication explicite à l’article 314 TFUE quant à la nécessité d’un acte législatif signé conjointement par les présidents du Parlement et du Conseil afin de formaliser l’adoption du budget, il convient de rechercher si, comme le suggère le Conseil, la mention figurant au premier alinéa de cet article, selon laquelle le budget est établi conformément à une «procédure législative spéciale», est de nature à conforter la thèse soutenue par le Conseil.

57. Cette mention peut, à première vue, créer la confusion si on la compare aux articles 14, paragraphe 1, TUE et 16, paragraphe 1, TUE. En effet, alors que ces deux dispositions opèrent une distinction entre les fonctions législative et budgétaire, la formulation de l’article 314, premier alinéa, TFUE suggère que la procédure budgétaire doit être rattachée à la catégorie des procédures législatives. Le Conseil déduit de cette assimilation de la procédure budgétaire à une procédure législative
qu’elle doit déboucher sur un acte législatif choisi parmi les actes de la nomenclature prévue à l’article 288 TFUE et cosigné par les présidents du Parlement et du Conseil. Nous ne partageons pas cet avis.

58. Si l’on s’en tient à la lettre de l’article 289, paragraphe 3, TFUE, aux termes duquel «[l]es actes juridiques adoptés par procédure législative constituent des actes législatifs», il nous semble exact d’affirmer que, dans la mesure où elle entre dans la catégorie des procédures législatives, la procédure budgétaire doit aboutir à l’adoption d’un acte législatif.

59. Cependant, nous ne pensons pas qu’il doive s’agir d’un acte législatif cosigné par les présidents du Parlement et du Conseil.

60. Nous observons, à cet égard, qu’il peut être déduit de l’article 297, paragraphe 1, premier et deuxième alinéas, TFUE que si la cosignature est bien la règle dans le cadre de la procédure législative ordinaire, tel n’est pas le cas pour les actes législatifs adoptés conformément à une procédure législative spéciale. Ce constat s’inscrit dans la logique de ce que prévoit l’article 289, paragraphe 2, TFUE, à savoir que, à la différence de la procédure législative ordinaire qui consiste en
l’adoption d’un acte législatif conjointement par le Parlement et le Conseil, la procédure législative spéciale se caractérise par l’adoption d’un acte législatif par une seule de ces institutions avec la participation de l’autre. Si les auteurs du traité avaient voulu une véritable codécision concrétisée par un acte législatif signé par le Parlement et par le Conseil, ils auraient prévu que les modalités de la procédure législative ordinaire s’appliquent dans le cadre de la procédure
budgétaire.

61. L’indication selon laquelle le budget annuel de l’Union est établi conformément à une procédure législative spéciale est, précisément, destinée à mettre l’accent sur le fait que la procédure budgétaire, bien qu’elle s’inspire du déroulement de la procédure législative ordinaire, tel qu’il est précisé à l’article 294 TFUE, par exemple en ce qui concerne la convocation d’un comité de conciliation en cas de désaccord entre le Parlement et le Conseil, doit être distinguée de celle-ci.

62. Il s’agit certes d’une procédure législative, en ce sens qu’elle fait intervenir les deux branches de l’autorité législative, qui constituent également les deux branches de l’autorité budgétaire, et qu’elle doit aboutir à l’adoption d’un acte législatif. Cette procédure est cependant qualifiée de «spéciale», en ce sens qu’elle est adaptée aux exigences propres à la fonction budgétaire et à la spécificité de l’instrument que constitue le budget.

63. Les auteurs du traité ont ainsi mis en place une procédure spécifique dont les différentes étapes répondent à la nature particulière du budget, qui constitue un acte de prévision et d’autorisation ( 7 ), à l’impératif de célérité de la procédure afin de permettre un vote du budget avant le début de l’exercice budgétaire à venir, ainsi qu’à la nécessité d’aboutir à un résultat en surmontant un éventuel désaccord entre le Parlement et le Conseil.

64. Cette procédure s’inscrit dans un calendrier resserré et elle est organisée de manière à ce qu’un accord entre le Parlement et le Conseil soit obtenu en temps voulu afin d’éviter, autant que possible, le recours au régime des douzièmes provisoires dans le cadre de l’exercice budgétaire suivant ( 8 ).

65. L’accord entre le Parlement et le Conseil peut intervenir à différents stades. Dans le meilleur des cas, il interviendra lorsque le Parlement approuve la position du Conseil à l’issue de la première phase, conformément à l’article 314, paragraphe 4, sous a), TFUE ( 9 ). Si le Parlement adopte, à la majorité des membres qui le composent, des amendements, un comité de conciliation est appelé à se réunir, excepté dans le cas où le Conseil informe le Parlement qu’il approuve tous ses amendements (
10 ).

66. Lorsque le comité de conciliation se réunit, une deuxième phase s’ouvre et tend vers la recherche d’un accord sur un projet commun entre les membres du Conseil ou leurs représentants et les membres représentant le Parlement ( 11 ). Si le comité de conciliation parvient dans un délai de 21 jours à partir de sa convocation à un accord sur un projet commun, le Parlement et le Conseil disposent chacun d’un délai de quatorze jours à compter de la date de cet accord pour approuver le projet commun (
12 ).

67. Plusieurs situations sont alors susceptibles de se produire.

68. Si le Parlement et le Conseil approuvent tous deux le projet commun ou ne parviennent pas à statuer, ou si l’une de ces institutions approuve le projet commun tandis que l’autre ne parvient pas à statuer, le budget est réputé définitivement adopté conformément au projet commun ( 13 ).

69. En revanche, lorsque le Parlement, statuant à la majorité des membres qui le composent, et le Conseil rejettent tous deux le projet commun, ou si l’une de ces institutions rejette le projet commun tandis que l’autre ne parvient pas à statuer, le budget ne peut être considéré comme étant adopté et un nouveau projet de budget doit être présenté par la Commission européenne ( 14 ). Il en va de même lorsque le Parlement, statuant à la majorité des membres qui le composent, rejette le projet commun
tandis que le Conseil l’approuve ( 15 ).

70. Inversement, la situation dans laquelle le Conseil rejette le projet commun alors que le Parlement l’approuve n’empêche pas nécessairement l’adoption du budget. En effet, le rejet par le Conseil du projet commun peut, à certaines conditions, être surmonté. Ainsi, l’article 314, paragraphe 7, sous d), TFUE prévoit que le Parlement peut, en statuant à la majorité des membres qui le composent et des trois cinquièmes des suffrages exprimés, décider de confirmer l’ensemble ou une partie des
amendements visés au paragraphe 4, point c), de ce même article. L’article 314, paragraphe 7, sous d), TFUE précise en outre que si l’un des amendements du Parlement n’est pas confirmé, la position agréée au sein du comité de conciliation concernant la ligne budgétaire qui fait l’objet de cet amendement est retenue. Le budget est alors réputé définitivement adopté sur cette base.

71. Enfin, si dans le délai de 21 jours visé à l’article 314, paragraphe 5, TFUE, le comité de conciliation ne parvient pas à un accord sur un projet commun, un nouveau projet de budget est présenté par la Commission ( 16 ).

72. De cette description de la procédure budgétaire telle qu’elle est désormais prévue à l’article 314 TFUE, nous déduisons que l’adoption du budget ne peut intervenir que lorsqu’un accord entre le Parlement et le Conseil a été obtenu. Même dans le cas particulier visé à l’article 314, paragraphe 7, sous d), TFUE, conférant au Parlement le pouvoir de passer outre le rejet par le Conseil du projet commun, le budget est réputé adopté sur la base de l’accord obtenu au sein du comité de conciliation.
C’est l’existence d’un accord, intervenu dans le cadre d’un processus privilégiant la collaboration et la concertation entre le Parlement et le Conseil ( 17 ), qui permet de considérer que le budget a été établi par ces deux institutions, conformément à ce que requiert l’article 314, premier alinéa, TFUE.

73. Quels que soient les cas de figure envisagés, l’accord ainsi intervenu entre le Parlement et le Conseil n’a pas besoin, contrairement à ce que soutient ce dernier, d’être formalisé par un acte législatif cosigné par les présidents de ces deux institutions pour que le budget puisse être considéré comme étant adopté.

74. Si l’on se réfère au cas de figure visé à l’article 314, paragraphe 7, sous d), TFUE, il nous paraît d’ailleurs difficile de soutenir que les auteurs du traité aient entendu soumettre l’adoption du budget à la signature du président du Conseil alors même que cette institution a rejeté le projet commun.

75. En outre, l’article 314 TFUE ne requiert ni explicitement ni implicitement l’existence d’un acte législatif cosigné par les présidents du Parlement et du Conseil pour que le budget devienne apte à produire des effets juridiques.

76. En décider autrement reviendrait, ainsi que le fait valoir le Parlement, à priver d’effet utile l’acte du président du Parlement prévu à l’article 314, paragraphe 9, TFUE.

77. Or, force est de constater que les auteurs du traité de Lisbonne ont décidé de maintenir, dans des termes quasiment inchangés, cette ultime phase de la procédure budgétaire, par laquelle le président du Parlement constate que le budget est définitivement adopté. Par ailleurs, rien n’indique qu’ils aient entendu ôter à cet acte du président du Parlement les effets juridiques que la jurisprudence de la Cour lui a reconnus.

78. Dans ces conditions, nous estimons que l’acte par lequel le président du Parlement constate que le budget est définitivement adopté doit se voir reconnaître la même fonction et les mêmes effets juridiques qu’avant l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne.

79. Il résulte, à cet égard, de la jurisprudence de la Cour que, par cet acte, «[c]’est le président du Parlement qui constate formellement que la procédure budgétaire a été menée à terme par l’adoption définitive du budget et qui confère ainsi force obligatoire au budget, aussi bien vis-à-vis des institutions que des États membres. En exerçant cette fonction, le président du Parlement intervient par un acte juridique propre, de caractère objectif, au terme d’une procédure caractérisée par l’action
conjointe de différentes institutions» ( 18 ).

80. Autrement dit, dans cette ultime phase de la procédure, l’acte du président du Parlement a pour fonction d’attester de la mise en œuvre et de l’achèvement réguliers de la procédure budgétaire. C’est également cet acte du président du Parlement qui permet au budget de produire des effets juridiques à l’égard des institutions et des États membres.

81. L’acte du président du Parlement constitue donc l’acte législatif, assimilable à une décision produisant des effets obligatoires au sens de l’article 288, quatrième alinéa, TFUE, qui clôt la procédure législative spéciale prévue à l’article 314 TFUE ( 19 ). Il s’agit, en somme, de la décision budgétaire sans laquelle le budget demeurerait un instrument dépourvu d’effets juridiques ( 20 ).

82. Cette décision budgétaire constitue bien entendu un acte attaquable, comme l’illustre la présente procédure. Une telle décision est notamment susceptible d’être annulée lorsqu’elle est intervenue alors qu’un accord entre le Parlement et le Conseil sur le contenu du budget, dans les conditions prévues à l’article 314 TFUE, fait défaut.

83. Tel n’est pas le cas en l’espèce. Il résulte en effet clairement des pièces du dossier qu’un accord non équivoque est intervenu entre le Parlement et le Conseil sur le contenu du budget pour l’exercice 2011. La circonstance que ces deux institutions entretenaient un différend sur la formalisation de cet accord n’empêchait pas le président du Parlement de prendre, le 15 décembre 2010, l’acte constatant que la procédure engagée en application de l’article 314 TFUE était achevée et que le budget
général de l’Union pour l’exercice 2011 était définitivement adopté.

84. Au vu de tous ces éléments, nous proposons à la Cour de rejeter comme non fondé le moyen principal du Conseil, tiré de la violation de l’article 314 TFUE en raison de l’absence d’un acte législatif cosigné par les présidents du Parlement et du Conseil.

85. Par ailleurs, dans la mesure où nous considérons que le Parlement a agi dans le respect de l’article 314 TFUE, il ne saurait lui être reproché de ne pas avoir respecté l’équilibre institutionnel établi par l’article 314 TFUE, d’avoir violé le principe d’attribution des pouvoirs et le devoir de coopération loyale entre les institutions, ou bien encore d’avoir violé les formes substantielles.

V – Conclusion

86. Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, nous proposons à la Cour de:

— rejeter le recours, et

— condamner le Conseil de l’Union européenne aux dépens, le Royaume d’Espagne supportant ses propres dépens.

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( 1 ) Langue originale: le français.

( 2 ) JO 2011, L 68, p. I/1.

( 3 ) 34/86, Rec. p. 2155.

( 4 ) Point 8.

( 5 ) Arrêt Conseil/Parlement, précité (point 8).

( 6 ) Nous relevons en outre que, dans la version anglaise du traité, le terme «adopted» est resté inchangé.

( 7 ) Voir arrêt Conseil/Parlement, précité (point 6), qui précise que le budget est un «acte qui prévoit et autorise préalablement chaque année les recettes et les dépenses».

( 8 ) Voir article 315 TFUE.

( 9 ) L’article 314, paragraphe 4, sous b), TFUE prévoit également que, lorsque le Parlement n’a pas statué, le budget est réputé adopté.

( 10 ) Voir article 314, paragraphe 4, sous c), TFUE.

( 11 ) Voir article 314, paragraphe 5, TFUE.

( 12 ) Voir article 314, paragraphe 6, TFUE.

( 13 ) Voir article 314, paragraphe 7, sous a), TFUE.

( 14 ) Voir article 314, paragraphe 7, sous b), TFUE.

( 15 ) Voir article 314, paragraphe 7, sous c), TFUE.

( 16 ) Voir article 314, paragraphe 8, TFUE.

( 17 ) Ainsi, l’article 314 TFUE formalise et consolide une pratique de dialogue ayant fait l’objet d’accords interinstitutionnels.

( 18 ) Arrêt Conseil/Parlement, précité (point 8).

( 19 ) Un tel acte étant expressément prévu à l’article 314, paragraphe 9, TFUE dans le cadre de la procédure législative spéciale en cause, l’article 296, premier et troisième alinéas, TFUE est sans pertinence.

( 20 ) L’attribution d’effets juridiques au budget ne dispense pas, en principe, les institutions de l’Union, lorsqu’elles souhaitent exécuter des dépenses inscrites au budget, de l’obligation d’adopter un acte juridiquement contraignant donnant un fondement juridique à l’action de l’Union, conformément à ce que prévoit l’article 310, paragraphe 3, TFUE.


Synthèse
Formation : Grande chambre
Numéro d'arrêt : C-77/11
Date de la décision : 28/05/2013
Type de recours : Recours en annulation - non fondé

Analyses

Recours en annulation - Adoption définitive du budget général de l’Union pour l’exercice 2011 - Acte du président du Parlement constatant cette adoption définitive - Article 314, paragraphe 9, TFUE - Établissement par le Parlement et le Conseil du budget annuel de l’Union - Article 314, premier alinéa, TFUE - Principe de l’équilibre institutionnel - Principe d’attribution des pouvoirs - Devoir de coopération loyale - Respect des formes substantielles.

Dispositions institutionnelles

Budget

Dispositions financières


Parties
Demandeurs : Conseil de l'Union européenne
Défendeurs : Parlement européen.

Composition du Tribunal
Avocat général : Bot

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2013:330

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