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15/05/2013 | CJUE | N°C-184/12

CJUE | CJUE, Arrêt de la Cour, United Antwerp Maritime Agencies (Unamar) NV contre Navigation Maritime Bulgare., 15/05/2013, C-184/12


CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. NILS WAHL

présentées le 15 mai 2013 ( 1 )

Affaire C‑184/12

United Antwerp Maritime Agencies (Unamar) NV

contre

Navigation Maritime Bulgare

[demande de décision préjudicielle formée par le Hof van Cassatie (Belgique)]

«Convention sur la loi applicable aux obligations contractuelles — Principe d’autonomie de la volonté — Limites — Interférence des lois de police du for — Contrat d’agence commerciale»

I – Introduction

1.

La présente affaire porte sur l’interprétation des articles 3 et 7, paragraphe 2, de la convention sur la loi applicable aux ob...

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. NILS WAHL

présentées le 15 mai 2013 ( 1 )

Affaire C‑184/12

United Antwerp Maritime Agencies (Unamar) NV

contre

Navigation Maritime Bulgare

[demande de décision préjudicielle formée par le Hof van Cassatie (Belgique)]

«Convention sur la loi applicable aux obligations contractuelles — Principe d’autonomie de la volonté — Limites — Interférence des lois de police du for — Contrat d’agence commerciale»

I – Introduction

1. La présente affaire porte sur l’interprétation des articles 3 et 7, paragraphe 2, de la convention sur la loi applicable aux obligations contractuelles ouverte à la signature à Rome le 19 juin 1980 ( 2 ) (ci-après la «convention de Rome»), en lien avec la directive 86/653/CEE du Conseil, du 18 décembre 1986, relative à la coordination des droits des États membres concernant les agents commerciaux indépendants ( 3 ).

2. La demande de décision préjudicielle présentée en l’espèce par le Hof van Cassatie s’insère dans le cadre d’un litige opposant United Antwerp Maritime Agencies (Unamar) NV (ci-après «Unamar»), société de droit belge, à Navigation Maritime Bulgare (ci-après «NMB»), société de droit bulgare, au sujet du paiement de diverses indemnités prétendument dues à la suite de la résiliation, par NMB, du contrat d’agence commerciale qui liait jusqu’alors ces deux sociétés. Dans le cadre de la procédure
judiciaire qui en a résulté s’est notamment posée la question de la possibilité, pour le juge belge, d’appliquer au contrat les dispositions impératives de la loi du for malgré l’existence d’une clause d’arbitrage désignant la chambre de commerce et d’industrie de Sofia (Bulgarie) et prévoyant expressément l’application du droit bulgare au contrat.

3. La Cour est plus particulièrement invitée à préciser dans quelles conditions le juge national peut écarter, en application de l’article 7, paragraphe 2, de la convention de Rome, les dispositions pertinentes de la loi d’un État membre applicable au contrat en vertu du choix des parties (lex contractus) en faveur des dispositions impératives de la loi du for. Elle est plus précisément amenée à fournir des indications aux fins de déterminer si la loi d’un État membre de l’Union européenne, qui,
tout en constituant la transposition correcte d’une directive européenne, va au-delà de la protection offerte par cette dernière, peut imposer cette protection plus étendue dans l’hypothèse où la lex contractus est le droit d’un autre État membre de l’Union qui a également et correctement transposé cette directive.

II – Le cadre juridique

A – La convention de Rome

4. L’article 3 de cette convention, intitulé «Liberté de choix», dispose:

«1.   Le contrat est régi par la loi choisie par les parties. Ce choix doit être exprès ou résulter de façon certaine des dispositions du contrat ou des circonstances de la cause. Par ce choix, les parties peuvent désigner la loi applicable à la totalité ou à une partie seulement de leur contrat.

[…]»

5. L’article 7, paragraphe 2, de ladite convention, intitulé «Lois de police», prévoit que «[l]es dispositions de la présente convention ne pourront porter atteinte à l’application des règles de la loi du pays du juge qui régissent impérativement la situation quelle que soit la loi applicable au contrat».

B – La directive 86/653

6. Selon le considérant 2 de la directive 86/653, celle-ci a été adoptée compte tenu du fait que «les différences entre les législations nationales en matière de représentation commerciale affectent sensiblement, à l’intérieur de la Communauté, les conditions de concurrence et l’exercice de la profession et portent atteinte au niveau de protection des agents commerciaux dans leurs relations avec leurs commettants, ainsi qu’à la sécurité des opérations commerciales […]».

7. L’article 1er, paragraphe 2, de ladite directive prévoit:

«Aux fins de la présente directive, l’agent commercial est celui qui, en tant qu’intermédiaire indépendant, est chargé de façon permanente, soit de négocier la vente ou l’achat de marchandises pour une autre personne, ci-après dénommée ‘commettant’, soit de négocier et de conclure ces opérations au nom et pour le compte du commettant.»

8. L’article 17, paragraphe 1, de cette directive dispose:

«Les États membres prennent les mesures nécessaires pour assurer à l’agent commercial, après cessation du contrat, une indemnité selon le paragraphe 2 ou la réparation du préjudice selon le paragraphe 3.»

C – Le droit belge

9. La loi du 13 avril 1995 relative au contrat d’agence commerciale ( 4 ) (ci-après la «loi de 1995») dispose, à son article 1er, notamment que «[le] contrat d’agence commerciale est le contrat par lequel l’une des parties, l’agent commercial, est chargée de façon permanente, et moyennant rémunération, par l’autre partie, le commettant, sans être soumis à l’autorité de ce dernier, de la négociation et éventuellement de la conclusion d’affaires au nom et pour compte du commettant».

10. L’article 18, paragraphes 1 et 3, de la loi de 1995 est ainsi rédigé:

«1.   Lorsque le contrat d’agence est conclu pour une durée indéterminée ou pour une durée déterminée avec faculté de dénonciation anticipée, chacune des parties peut y mettre fin en respectant un préavis.

[…]

3.   La partie qui résilie le contrat sans invoquer un des motifs prévus à l’article 19, alinéa 1er, ou sans respecter le délai de préavis fixé au paragraphe 1er, alinéa 2, est tenue de payer à l’autre partie une indemnité égale à la rémunération en cours correspondant soit à la durée du préavis, soit à la partie de ce délai restant à courir.»

11. L’article 20 de la loi de 1995 dispose:

«Après la cessation du contrat, l’agent commercial a droit à une indemnité d’éviction lorsqu’il a apporté de nouveaux clients au commettant ou a développé sensiblement les affaires avec la clientèle existante, pour autant que cette activité doive encore procurer des avantages substantiels au commettant.»

12. L’article 21 de la loi de 1995 énonce:

«Pour autant que l’agent commercial ait droit à l’indemnité d’éviction visée à l’article 20 et que le montant de cette indemnité ne couvre pas l’intégralité du préjudice réellement subi, l’agent commercial peut, mais à charge de prouver l’étendue du préjudice allégué, obtenir en plus de cette indemnité, des dommages et intérêts à concurrence de la différence entre le montant du préjudice réellement subi et celui de cette indemnité.»

13. Aux termes de l’article 27 de la loi de 1995:

«Sous réserve de l’application des conventions internationales auxquelles la Belgique est partie, toute activité d’un agent commercial ayant son établissement principal en Belgique relève de la loi belge et de la compétence des tribunaux belges.»

III – Le litige au principal, la question préjudicielle et la procédure devant la Cour

14. Unamar et NMB ont conclu, en 2005, un contrat d’agence commerciale en vue de l’exploitation d’un service de transport maritime régulier au moyen de conteneurs appartenant à NMB. Le contrat prévoyait que celui-ci était régi par le droit bulgare et que tout différent relatif au contrat serait tranché par la chambre d’arbitrage instituée auprès de la chambre de commerce et d’industrie de Sofia.

15. Ce contrat d’agence commerciale a, par un contrat du 22 décembre 2008, été prolongé une ultime fois jusqu’au 31 mars 2009. Unamar a alors estimé qu’il avait été irrégulièrement mis fin au contrat et a engagé, le 25 février 2009, une action devant le rechtbank van koophandel te Antwerpen, en vue d’obtenir le paiement de diverses indemnités prévues par la loi de 1995.

16. Le 13 mars 2009, NMB a, à son tour, cité Unamar devant le rechtbank van koophandel te Antwerpen, afin d’obtenir le paiement d’arriérés de fret d’un montant de 327207,87 euros.

17. Après avoir joint les deux affaires, le rechtbank van koophandel te Antwerpen a, par jugement du 12 mai 2009, jugé que le déclinatoire de juridiction, invoqué par NMB, tiré de l’existence d’une clause compromissoire était non fondé. Ce tribunal a, en substance, considéré, premièrement, que l’article 27 de la loi de 1995 était une règle de rattachement unilatérale d’application immédiate, ce qui rendait inopérant le choix d’un droit étranger; deuxièmement, que cette loi, bien que ne relevant pas
de l’ordre public international belge, devait être appliquée; troisièmement, que tous les litiges relevant du champ d’application de cette loi n’étaient, dès lors, pas susceptibles d’arbitrage à moins que le droit belge ou un droit étranger équivalent n’ait été déclaré applicable dans le contrat d’agence, et, enfin, que, dès lors que le contrat litigieux était soumis au droit bulgare et qu’il n’apparaissait pas que les règles contenues dans la directive 86/653 étaient, en vertu de ce droit,
également applicables aux agents commerciaux ayant conclu des contrats de fourniture de services, les déclinatoires de compétence opposés par NMB manquaient en droit.

18. NMB a, le 24 juin 2009, interjeté appel de cette décision devant le hof van beroep te Antwerpen. Par arrêt du 23 décembre 2010, cette juridiction a condamné Unamar au paiement du solde des frets d’un montant de 77207,87 euros majorés des intérêts de retard et des dépens. En outre, le hof van beroep te Antwerpen a déclaré le déclinatoire de juridiction invoqué par NMB fondé et s’est déclaré sans juridiction pour statuer sur la demande de paiement d’indemnités introduite par Unamar. Selon cette
juridiction, la loi de 1995 n’était pas d’ordre public et ne relevait pas non plus de l’ordre public international belge. Cette cour a également estimé que, par application de l’article 7 de la convention de Rome, aucune suite ne devait être donnée aux dispositions impératives spéciales de ladite loi. Selon elle, le droit bulgare choisi par les parties offrait également à Unamar, en tant qu’agent maritime de NMB, la protection minimale prévue par la directive 86/653. Dans ces conditions,
l’autonomie de la volonté des parties devait primer sur le droit d’un autre État membre de l’Union, en l’occurrence le Royaume de Belgique.

19. Le 27 mai 2011, Unamar a introduit un pourvoi en cassation contre cet arrêt devant le Hof van Cassatie qui a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante:

«Compte tenu […] de la qualification en droit belge des articles 18, 20 et 21 de la loi [de 1995], en cause dans la procédure, de lois de police au sens de l’article 7, paragraphe 2, de la convention de Rome, les articles 3 et 7, paragraphe 2, de [cette convention], lus on non en combinaison avec la directive [86/653], doivent-ils être interprétés en ce sens qu’ils permettent que les lois de police du pays du juge qui offrent une protection plus étendue que la protection minimale imposée par la
directive [86/653], soient appliquées au contrat, même s’il apparaît que le droit applicable au contrat est le droit d’un autre État membre de l’Union européenne dans lequel c’est également la protection minimale offerte par la directive 86/653 qui a été mise en œuvre?»

20. Des observations écrites ont été présentées par NMB, le gouvernement belge ainsi que par la Commission européenne. Aucune demande de tenue d’audience n’a été présentée.

IV – Analyse juridique

A – Propos introductifs

21. Avant d’aborder l’examen du fond de la question préjudicielle, je souhaiterais apporter quelques précisions qui m’apparaissent nécessaires pour recentrer l’objet de la discussion et lever les incertitudes potentielles quant à la portée de la présente demande de décision préjudicielle.

22. En effet, je relève que, alors que, dans l’affaire au principal, avaient été débattues non seulement la question de la loi applicable au contrat, mais également celle de savoir si les tribunaux belges étaient effectivement compétents pour connaître du litige opposant Unamar à NMB, la Cour est uniquement saisie de la question de la détermination de la loi applicable en vertu de la convention de Rome. Ce cantonnement de l’objet de la question, aussi surprenant puisse-t-il apparaître à première
vue ( 5 ), ne rend pas pour autant la présente demande de décision préjudicielle dénuée de pertinence ( 6 ), la problématique de la détermination, en vertu de la convention de Rome, de la loi applicable au contrat d’agence commerciale conclu entre Unamar et NMB se situant au cœur du litige au principal.

23. En l’occurrence, la question de la loi applicable et celle de la validité de la clause d’arbitrage désignant la chambre du commerce et d’industrie de Sofia sont intimement liées. La juridiction de renvoi s’est ainsi référée à la convention pour la reconnaissance et l’exécution des sentences arbitrales étrangères, signée à New York le 10 juin 1958 ( 7 ), qui dispose à son article II, paragraphe 3, que «[l]e tribunal d’un État contractant, saisi d’un litige sur une question au sujet de laquelle
les parties ont conclu une convention au sens du présent article, renverra les parties à l’arbitrage, à la demande de l’une d’elles, à moins qu’il ne constate que ladite convention est caduque, inopérante ou non susceptible d’être appliquée» ( 8 ). Elle en a déduit que le rejet d’une clause d’arbitrage valable selon une loi étrangère peut être décidé sur le fondement d’une règle de droit de la loi du for dont il peut être déduit que le litige ne peut être soumis à l’arbitrage. Or, précise la
juridiction de renvoi, il ressortirait de la genèse de la loi de 1995 que les articles 18, 20 et 21 de ladite loi doivent être considérés comme des dispositions de droit impératif. Il ressort donc du raisonnement suivi par celle-ci qu’il existe un lien étroit entre la détermination de la loi applicable au contrat et la possibilité pour le juge d’écarter la clause d’arbitrage et, ainsi, fonder sa compétence.

B – Réponse à la question préjudicielle

24. La Cour est, en substance, amenée à déterminer si la loi d’un État membre de l’Union, qui transpose une directive de l’Union tout en offrant la possibilité de garantir une protection plus étendue que ce qu’elle prévoit, peut imposer cette protection plus étendue en application de l’article 7, paragraphe 2, de la convention de Rome, même lorsque la lex contractus est le droit d’un autre État membre de l’Union qui a également et correctement transposé cette directive.

25. En l’occurrence, il découle des éléments soumis à la Cour que le Royaume de Belgique et la République de Bulgarie ont toutes deux correctement transposé la directive 86/653. À la différence de ce qui a été exposé s’agissant de la loi de 1995, très peu d’informations ont été fournies quant à la teneur des mesures de transposition adoptées en Bulgarie ( 9 ). Toutefois, les parties intervenantes s’accordent, me semble-t-il, pour indiquer que la protection offerte par la législation belge va au-delà
de celle prévue par ladite directive, non seulement parce qu’elle couvre un champ d’application plus étendu, mais également parce qu’elle prévoit que, en cas de cessation d’un contrat, l’agent commercial a droit, de manière cumulative, à une indemnité et à la réparation du préjudice subi.

26. Il convient donc de fournir des précisions sur les conditions dans lesquelles les dispositions de la loi bulgare, qui constitue la lex contractus, peuvent, dans le cadre du litige au principal, être écartées au profit des dispositions impératives de la loi de 1995.

27. Pour ce faire, il me paraît opportun, dans un premier temps, d’apporter un certain nombre de précisions sur la portée de l’article 7, paragraphe 2, de la convention de Rome, appréhendée à la lumière des enseignements qui doivent, à mon sens, être tirés de la jurisprudence de la Cour. J’examinerai, dans un second temps, si et dans quelle mesure l’harmonisation des législations nationales en vertu du droit dérivé de l’Union est de nature à avoir un impact sur la mise en œuvre de cette même
disposition.

1. Portée de l’article 7, paragraphe 2, de la convention de Rome à la lumière des enseignements de la jurisprudence

28. Il est nécessaire de rappeler, à titre liminaire, que, dans l’hypothèse, telle que celle visée dans le litige au principal, où les parties ont marqué leur choix pour l’application d’une loi déterminée au contrat dans les conditions définies à l’article 3, paragraphe 1, de la convention de Rome, il convient, en principe, en conformité avec le principe d’autonomie de la volonté des parties énoncé dans le même article, d’appliquer celle-ci.

29. Dans le cadre du mécanisme de détermination de la loi applicable prévu par la convention de Rome, le principe d’autonomie de la volonté des parties peut, toutefois, être pertubé de deux façons: d’une part, par l’élaboration de règles spécifiques à certains contrats où il apparaît nécessaire de protéger la partie la plus faible (contrats de consommation ou contrats de travail) — paramètre qui est étranger au cas d’espèce — et, d’autre part, par l’interférence, en vertu de principes
traditionnellement reconnus en droit international privé, mais également dans le droit des États membres, de dispositifs spécifiques. Parmi eux, figurent l’intervention, conformément à l’intitulé ( 10 ) de l’article 7 de la convention de Rome, des lois de police. Cette dernière intervention se présente différemment selon que sont en cause des dispositions impératives contenues dans une loi étrangère avec laquelle la situation présente un lien étroit (paragraphe 1) ou, comme c’est le cas en
l’espèce, des dispositions impératives appartenant à la loi du for (paragraphe 2).

30. S’agissant des lois de police du for, je relève que l’article 7, paragraphe 2, de la convention de Rome, s’il implique, d’un point de vue fonctionnel, que la loi de police du for doit l’emporter sur toute autre disposition ( 11 ), il ne donne aucune définition conceptuelle de ce qu’il faut entendre par la loi de police. Cette disposition se limite à indiquer, sans autres conditions, qu’il ne pourra être porté atteinte à l’application des dispositions de la lex fori «qui régissent impérativement
la situation quelle que soit la loi applicable au contrat». Le rapport explicatif Giuliano Lagarde n’apporte pas beaucoup plus d’indications sur ce point ( 12 ).

31. Selon moi, il ressort de ces quelques données que, conformément aux principes généralement consacrés en droit international privé, les autorités nationales disposent d’une large marge d’appréciation pour décider dans quels domaines et pour quels motifs une disposition de la loi du for doit se voir conférer un caractère impératif, justifiant que les dispositions pertinentes de la loi choisie par les parties soient écartées. L’article 7, paragraphe 2, de la convention de Rome exclut, en principe,
tout pouvoir du juge sur l’opportunité d’appliquer les lois de police du for, dès lors que le contrat dont il a à connaître, même soumis à une autre loi, entre dans le champ d’application que les lois de police ont elles-mêmes fixé ( 13 ).

32. Cette conclusion n’est pas infirmée par la définition des lois de police retenue par la Cour dans l’affaire Arblade e.a. ( 14 ) ou encore dans l’affaire Commission/Luxembourg ( 15 ), définition qui a été en grande partie reprise à l’article 9 du règlement Rome I, intitulé «Lois de police», ( 16 ), étant précisé que cette dernière disposition correspond, en substance, à l’article 7 de la convention de Rome.

33. Je rappelle que, dans l’affaire Arblade e.a., la Cour a dit pour droit que l’expression «lois de police et de sûreté» devait s’entendre comme visant «des dispositions nationales dont l’observation a été jugée cruciale pour la sauvegarde de l’organisation politique, sociale ou économique de l’État membre concerné, au point d’en imposer le respect à toute personne se trouvant sur le territoire national de cet État membre ou à tout rapport juridique localisé dans celui-ci» ( 17 ). Dans le même
sens, je relève que, dans l’affaire Commission/Luxembourg, c’est dans le cadre de l’examen de l’exception d’ordre public, en tant que dérogation au principe fondamental de la libre prestation de services, que la notion de lois de police et de sûreté dégagée dans l’affaire Arblade e.a., précitée, a été reprise ( 18 ).

34. À supposer que la Cour ait entendu dégager par les arrêts précités un concept autonome européen de lois de police, ce qui, en dépit des doutes qui ont pu être exprimés à cet égard ( 19 ), me semble être confirmé par la définition des lois de police désormais retenue dans le règlement Rome I, il n’en reste pas moins que la qualification d’une disposition nationale donnée de loi de police doit être effectuée au cas par cas en fonction des motifs d’intérêt général qui ont motivé l’adoption de
celle-ci.

35. À mon sens, il convient, dans une large mesure, de s’en remettre au souhait du législateur national de conférer un caractère impératif aux dispositions nationales: il s’agit des règles édictées par l’État dans le but affiché ou non de préserver des intérêts qu’il juge essentiels. Autrement dit, les États membres restent compétents pour déterminer concrètement quand sont affectés des intérêts publics, entendus au sens large ( 20 ), justifiant d’assurer à certaines normes un caractère impératif.
Le juge national devra, aux fins de la qualification d’une disposition nationale de loi de police, tenir compte tant du libellé que de l’économie générale de l’acte auquel elle appartient ( 21 ).

36. Cependant, eu égard aux obligations qui s’imposent aux États membres en vertu du principe de primauté du droit de l’Union, la possibilité offerte aux autorités nationales d’écarter la lex contractus en faveur de la lex fori, conformément à l’article 7, paragraphe 2, de la convention de Rome, n’est pas pour autant sans limites.

37. En effet, il m’apparaît indispensable de rappeler que l’invocation des lois de police du for, en application de l’article 7, paragraphe 2, de la convention de Rome, ne peut avoir pour résultat de soustraire les États membres de leur obligation de veiller au respect des dispositions du traité, sous peine de méconnaître la primauté et l’application uniforme du droit de l’Union ( 22 ). En particulier, ces règles ne doivent pas aboutir à constituer une entrave injustifiée aux droits et libertés
découlant des traités.

2. Examen de l’impact de l’harmonisation des législations découlant de l’adoption de la directive 86/653 sur la possibilité, en vertu de l’article 7, paragraphe 2, de la convention de Rome, d’appliquer les lois de police du for

38. Ainsi que je l’ai mentionné dans la section précédente, sous réserve du respect du principe de primauté du droit de l’Union, les autorités nationales disposent d’une large marge d’appréciation pour déterminer pour quels motifs et dans quels domaines elles souhaitent doter certaines règles d’un caractère impératif, justifiant, conformément à l’article 7, paragraphe 2, de la convention de Rome, que le juge du for puisse les appliquer quelle que soit par ailleurs la loi applicable au contrat.

39. La question se pose néanmoins de savoir si l’harmonisation des législations opérée en vertu d’une directive de l’Union est de nature à avoir un impact sur l’efficacité des lois de police du for par rapport aux lois d’autres États membres, lorsque sont en cause, comme en l’espèce, des législations nationales adoptées en vue de la transposition de ladite directive.

40. Je suis d’avis que la réponse devant être apportée à cette question ne sera pas nécessairement la même selon que l’harmonisation en cause est de type minimal ou exhaustif.

41. Dans l’hypothèse où la coordination des législations nationales découlant de la directive met en œuvre une protection minimale, il est ainsi loisible aux États membres de maintenir ou d’adopter des dispositions plus strictes en la matière ( 23 ). Les autorités nationales sont donc en mesure, eu égard à la marge d’appréciation qui leur est laissée, d’étendre tant le champ d’application que le niveau de la protection consacrée par ladite directive en vue de défendre des intérêts qu’elles jugent
essentiels. Dans une telle configuration, il peut subsister des différences significatives entre les législations nationales adoptées en vue de transposer la directive de l’Union. Il ne devrait, selon moi, pas être exclu que les dispositions nationales étendant tant le champ que le niveau de la protection minimale consacrée par la directive se voient reconnaître un caractère impératif et, partant, puissent supplanter, par le jeu de l’article 7, paragraphe 2, de la convention de Rome, les
dispositions de la loi désignée par les parties, et ce quand bien même cette dernière loi serait celle d’un État membre ayant correctement transposé la directive. Je rappelle, en effet, que la convention de Rome laisse, a priori et sous réserve, bien entendu, du respect de la primauté du droit de l’Union, aux États membres une large marge d’appréciation pour déterminer les dispositions de leur droit respectif qui doivent être qualifiées d’impératives.

42. En revanche, dans l’hypothèse où la directive met en œuvre une harmonisation complète des législations nationales, elle doit aboutir à l’adoption de législations nationales consacrant tant un champ qu’un niveau de protection, sinon identiques, à tout le moins équivalents. Une telle harmonisation implique, par nature, que les situations dont le juge a à connaître doivent uniquement être appréciées au regard des critères établis par le législateur de l’Union ( 24 ). Dans une telle configuration,
il devrait donc être exclu d’admettre que les lois de police d’un État membre puissent évincer, par le jeu de l’article 7, paragraphe 2, de la convention de Rome, les dispositions de la loi d’un autre État membre.

43. Par ailleurs, sous l’angle des principes reconnus en droit international privé, il peut être présumé que la vocation protectrice de la loi de police est, en définitive, couverte par l’harmonisation exhaustive découlant de la directive de l’Union. En effet, ainsi que je l’ai souligné plus haut, la possibilité pour les autorités compétentes d’appliquer les règles de la loi du for, en vertu de l’article 7, paragraphe 2, de la convention de Rome, lu notamment à la lumière de l’affaire Arblade e.a.,
précitée, et de la définition reprise à l’article 9, paragraphe 1, du règlement Rome I, est, dans une large mesure, conditionnée par la volonté du législateur national de protéger des intérêts qu’il considère importants. Or, dans l’hypothèse de législations nationales transposant une directive d’harmonisation complète, les intérêts dont la protection est poursuivie sont en quelque sorte couverts par l’harmonisation des législations qui en découle. La lex contractus ne devrait donc, en principe,
pas pouvoir être écartée au profit de la loi du for dans une telle configuration.

44. Or, ainsi que je l’exposerai par la suite, la directive 86/653 réalise une harmonisation minimale ( 25 ) des législations nationales des États membres qui exclut notamment de son champ d’application les agents commerciaux indépendants opérant dans le domaine de la prestation de services et qui ne confère aux agents qu’une protection minimale en cas de cessation du contrat d’agence (a). Il en découle que, dans l’hypothèse où les dispositions nationales adoptées par l’État membre du for, en vue de
la transposition de ladite directive, vont au-delà du champ d’application et de la protection minimale prévue par cette dernière — configuration qui semble correspondre à celle visée dans l’affaire au principal —, il est possible que celles-ci soient appliquées à la place de la loi d’un autre État membre, désignée par les parties au contrat (b).

a) La directive 86/653 met en place une harmonisation minimale qui, premièrement, exclut notamment de son champ d’application les agents commerciaux opérant dans le domaine de la prestation de services et, deuxièmement, prévoit une protection minimale aux agents commerciaux en cas de cessation d’un contrat d’agence

45. Il ressort tant de la décision de renvoi que des observations soumises devant la Cour que le contrat d’agence commerciale visé par l’affaire au principal est un contrat conclu entre Unamar et NMB, qui avait trait à des opérations de transport maritime par des conteneurs appartenant à NMB, soit en vue de la prestation de services. Il ressort, en outre, de la décision de renvoi que le litige au principal avait pour origine la rupture du contrat d’agence unissant ces deux sociétés et l’action
consécutive de Unamar en vue de l’octroi des indemnités prévues par la loi de 1995.

46. Or, s’agissant, premièrement, du champ d’application du domaine d’activités couvert par la protection offerte, en vertu de la directive 86/653, aux agents commerciaux, je relève que le gouvernement belge, sans formellement contester l’applicabilité de ladite directive au cas d’espèce, qui concerne la situation d’un contrat d’agence en vue de l’exploitation d’un service de transport maritime, a indiqué que la loi de 1995 avait un champ d’application plus large que celui de la directive 86/653,
cette dernière ne visant, en son article 1er, paragraphe 2, que les seules activités d’intermédiation en matière de vente ou d’achat de marchandises.

47. Dans le même sens, la Commission a mentionné que le législateur belge avait choisi d’appliquer le régime de protection des agents commerciaux indépendants prévu par ladite directive non seulement aux intermédiaires indépendants chargés de «la vente ou de l’achat de marchandises» (article 1er, paragraphe 2, de la directive 86/653), mais également aux agents commerciaux indépendants chargés de la négociation et éventuellement de la conclusion d’affaires (article 1er de la loi de 1995), ce qui peut
comprendre la prestation de services. Or, précise-t-elle, selon toute vraisemblance, la législation bulgare ne s’appliquerait pas à la prestation de services. La Commission est toutefois d’avis que la décision de renvoi ne permet pas de tirer de conclusion définitive quant à la nature du contrat visé en l’espèce et qu’elle est partie du postulat que celui-ci avait principalement trait à la négociation de la vente et de l’achat de marchandises.

48. Pour ma part, je suis d’avis que la loi de 1995 dépasse le simple cadre de la transposition de la directive 86/653. Un examen comparatif entre les dispositions de celles-ci fait, selon moi, clairement ressortir que le législateur belge a souhaité étendre la protection conférée par cette directive à l’ensemble des agents commerciaux indépendants, y compris ceux qui interviennent dans des opérations relatives aux services ( 26 ). Ce souhait d’extension du champ matériel de la protection conférée
par la directive 86/653 s’explique vraisemblablement par le fait que le législateur belge avait souhaité, au-delà de la transposition de ladite directive, élaborer un statut relativement complet de l’agent commercial indépendant en s’inspirant notamment de la convention Benelux ainsi que des règles jusqu’alors applicables au représentant de commerce salarié ( 27 ).

49. À mon sens, il ne fait guère de doute que la directive 86/653 doit être interprétée en ce sens que son champ d’application n’inclut pas les intermédiaires chargés de négocier des contrats de services. Ainsi que la Cour l’a déjà jugé, l’article 1er, paragraphe 2, de la directive 86/653 circonscrit de manière précise la notion d’agent commercial en la limitant à des situations bien définies ( 28 ). Cette disposition reconnaît, en effet, la qualité d’agent commercial à celui qui, en tant
qu’intermédiaire indépendant, est chargé de façon permanente soit de négocier la vente ou l’achat de marchandises pour une autre personne, soit de négocier et de conclure ces opérations au nom et pour le compte du commettant. Ne sont donc pas visés par ladite directive les intermédiaires indépendants chargés de négocier des contrats de services. Par ailleurs et ainsi que la Cour l’a également mentionné ( 29 ), je relève que des références aux «marchandises» concernées par les contrats d’agence
figurent également à l’article 4, paragraphe 2, sous a), à l’article 6, paragraphe 1, et à l’article 20, paragraphe 2, sous b), de la directive 86/653.

50. Cette interprétation découlant du libellé de la directive 86/653 est confirmée par l’examen des travaux préparatoires de celle-ci. En effet, la première proposition de directive de la Commission dans ce domaine ( 30 ) couvrait toutes les «opérations commerciales», à savoir les marchandises et les services (voir articles 2, 7, paragraphes 1 et 2, 8 et 10, paragraphe 2, de ce projet). Il ressort clairement de la comparaison entre ladite proposition de directive et le texte de la directive 86/653
finalement adopté par le Conseil que des modifications substantielles ont été apportées, consistant à limiter les activités des agents concernés aux opérations de vente ou d’achat de marchandises, en supprimant notamment toutes les références aux services ( 31 ).

51. L’extension par la législation nationale, en l’occurrence la loi de 1995, du champ d’application de la directive 86/653 aux agents opérant dans le domaine de la prestation de services a, selon moi, une conséquence importante. La disposition nationale, dans la mesure où elle étend le champ d’application de la directive au domaine des services, ne peut plus être considérée comme une pure mesure de transposition, mais devient une règle strictement nationale ( 32 ). C’est uniquement dans la mesure
où le champ d’application de la directive coïncide avec celui de la législation nationale que cette dernière peut être comprise comme une mesure de transposition.

52. Deuxièmement, en ce qui concerne le niveau de la protection conférée à l’agent commercial en cas de cessation du contrat qui le lie au commettant, l’article 17 de la directive 86/653 fait notamment obligation aux États membres de mettre en place un mécanisme de dédommagement de l’agent commercial après la cessation du contrat. Cette disposition offre aux États membres une option entre le système de l’indemnité de clientèle et celui de la réparation du préjudice. Ce mécanisme ne vise qu’à
garantir que l’agent commercial bénéficie d’un dédommagement minimal et ne préjuge pas de la possibilité pour les États membres de prévoir dans leurs législations des indemnisations complémentaires. Si, à l’instar de la majorité des États membres ( 33 ), le Royaume de Belgique a marqué, lors de la transposition de la directive 86/653, une préférence pour le système de l’indemnité de clientèle, désignée dans les articles 20 à 23 de la loi de 1995 par les termes «d’indemnité d’éviction»,
l’article 21 de cette loi n’exclut pas que l’agent puisse, sous certaines conditions, obtenir des dommages et intérêts lorsque l’indemnité ne couvre pas l’intégralité du préjudice subi.

b) Les dispositions nationales de transposition qui étendent le champ et/ou le niveau de protection découlant d’une directive peuvent se voir reconnaître un caractère impératif

53. S’agissant d’une loi du for qui, ainsi que cela semble être le cas dans l’affaire au principal, étend non seulement le champ d’application, mais également le niveau de la protection conférée à l’agent en vertu de la directive 86/653, je considère que le juge pourra, en principe, appliquer celle-ci, en application de l’article 7, paragraphe 2, de la convention de Rome, en lieu et place de la loi étrangère désignée par les parties au contrat.

54. S’il appartient en définitive au seul juge du for de déterminer les dispositions de son droit qui doivent se voir conférer un caractère impératif eu égard à l’économie et au libellé de l’acte auquel elles appartiennent, je suis d’avis que les conditions de mise en œuvre des lois de police du for sont, dans une hypothèse telle que celle visée dans l’affaire au principal, remplies.

55. En premier lieu, s’agissant de l’évaluation du caractère impératif d’une règle de droit, je rappelle que celle-ci doit être réalisée en fonction de son libellé et de l’économie générale de l’acte auquel elle appartient ( 34 ). Le juge peut ainsi reconnaître le caractère impératif à une disposition en se fondant sur la volonté du législateur ( 35 ) ainsi que sur la teneur du texte en cause ( 36 ).

56. Or, ainsi qu’il ressort de l’article 27 de la loi de 1995, le législateur belge a, au-delà du domaine de transposition des dispositions de la directive 86/653, auxquelles, je le rappelle, la Cour a reconnu un caractère impératif ( 37 ), expressément mentionné que, «[s]ous réserve de l’application des conventions internationales auxquelles la Belgique est partie, toute activité d’un agent commercial ayant son établissement principal en Belgique relève de la loi belge et de la compétence des
tribunaux belges». L’ensemble des dispositions de la loi de 1995 peut, en outre, être analysé comme la manifestation du législateur belge de sauvegarder un intérêt important.

57. En second lieu, dans un cas tel que celui visé dans l’affaire au principal où la loi du for étend le champ d’application et le niveau de protection des agents commerciaux indépendants prévus par la directive 86/653, il me semble difficile de déceler une restriction ou une entrave aux droits et libertés découlant des traités, qui serait de nature à constituer une altération de l’obligation faite aux États membres de respecter les dispositions du traité. S’agissant, en particulier, du
dédommagement prévu en cas de cessation du contrat d’agence, je relève que la Cour, tout en soulignant que le régime mis en place par l’article 17 de la directive 86/653 présentait un caractère impératif, a indiqué que celui-ci ne mettait en place qu’un niveau de protection minimale. Dès lors, si les législations nationales ne peuvent pas introduire de règles aboutissant à ce que les agents commerciaux se voient octroyer un niveau d’indemnité inférieur à celui prévu par cet article, il ne
devrait pas être proscrit que celles-ci prévoient un niveau de dédommagement supérieur ( 38 ). Le juge national est donc, en principe, en mesure d’appliquer les dispositions impératives de la loi du for en lieu et place des dispositions de la loi d’un autre État membre désignée par les parties au contrat.

58. Il ressort à mon sens de ces considérations que, dans l’hypothèse où les États membres ont décidé d’élaborer une législation nationale dont le champ d’application et le niveau de protection est plus important que celui prévu par la directive 86/653, tel que cela semble être le cas dans l’affaire au principal, il est possible d’appliquer les lois de police du for à la place de la loi étrangère, conformément à l’article 7, paragraphe 2, de la convention de Rome.

59. Cette conclusion me paraît en outre en accord avec la solution retenue dans l’affaire Ingmar, précitée. À cet égard, il faut rappeler que cette affaire avait trait à un litige dans lequel les parties avaient expressément choisi de soumettre le contrat d’agence commerciale qui les liait à la loi d’un pays tiers, plutôt qu’à la loi nationale transposant la directive 86/653 ( 39 ). Dans un tel contexte, la dérogation au principe d’autonomie, qui doit en principe prévaloir en matière contractuelle,
a été justifiée par la nécessité de soumettre le contrat aux dispositions protectrices de l’agent commercial découlant de ladite directive. La Cour a en effet rappelé qu’il était essentiel «pour l’ordre juridique communautaire qu’un commettant établi dans un pays tiers, dont l’agent commercial exerce son activité à l’intérieur de la Communauté, ne puisse éluder ces dispositions par le simple jeu d’une clause de choix de loi. La fonction que remplissent les dispositions en cause exige en effet
qu’elles trouvent application dès lors que la situation présente un lien étroit avec la Communauté, notamment lorsque l’agent commercial exerce son activité sur le territoire d’un État membre, quelle que soit la loi à laquelle les parties ont entendu soumettre le contrat» ( 40 ).

60. Si, certes, ainsi que cela a pu être relevé par la Commission et NMB dans leurs observations, les faits ayant donné lieu à cette affaire avaient trait à une situation très différente, en ce sens qu’ils concernaient une situation dans laquelle les parties au contrat d’agence avaient opté pour le droit d’un pays tiers, où, par définition, le régime de protection de l’agent commercial découlant de la directive 86/653 n’était pas d’application, il n’en reste pas moins que la question posée
s’inscrivait dans le cadre d’une divergence notable quant aux conditions que doit remplir une règle juridique pour être qualifiée de disposition impérative au sens du droit international privé ( 41 ). Pour y répondre, la Cour s’est fondée, dans le cadre de l’examen des objectifs et du libellé de l’acte en cause, sur le constat que les dispositions pertinentes apparaissaient nécessaires à la réalisation des objectifs du traité ( 42 ), mais également sur le fait qu’il poursuivait un objectif de
protection de l’agent ( 43 ). Il peut en être déduit, par analogie, que, aux fins de qualifier une disposition d’impérative, il peut être tenu compte de la vocation protectrice d’une règle donnée au regard non seulement d’intérêts strictement publics, mais également de la nécessité de tenir compte de la situation particulière d’un groupe de personnes.

V – Conclusion

61. Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, je propose de répondre à la question posée par le Hof van Cassatie dans les termes suivants:

«Les articles 3 et 7, paragraphe 2, de la convention sur la loi applicable aux obligations contractuelles ouverte à la signature à Rome le 19 juin 1980, lus en combinaison avec la directive 86/653/CEE du Conseil, du 18 décembre 1986, relative à la coordination des droits des États membres concernant les agents commerciaux indépendants, doivent être interprétés en ce sens qu’ils permettent que les lois de police du pays du juge du for qui offrent à l’agent commercial une protection plus étendue
que la protection imposée par cette directive en vertu de l’intérêt particulier que l’État membre accorde à ces dispositions soient appliquées au contrat, même s’il apparaît que le droit applicable au contrat est le droit d’un autre État membre de l’Union européenne dans lequel ladite protection minimale découlant de ladite directive a été mise en œuvre.»

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( 1 ) Langue originale: le français.

( 2 ) JO 1980, L 266, p. 1. Conformément à l’article 1er du premier protocole du 19 décembre 1988 concernant l’interprétation par la Cour de justice de 1980 (JO 1998, C 27, p. 47), lequel est entré en vigueur le 1er août 2004, la Cour est compétente pour se prononcer sur les demandes de décision préjudicielle portant sur l’interprétation des dispositions de ladite convention. En outre, en vertu de l’article 2, sous a), de ce protocole, le Hof van Cassatie (Belgique) a la faculté de demander à la
Cour de statuer à titre préjudiciel sur une question soulevée dans le cadre d’une affaire pendante devant elle et portant sur l’interprétation desdites dispositions. S’agissant de l’applicabilité ratione temporis de la convention de Rome, il suffit de rappeler que le règlement (CE) no 593/2008 du Parlement européen et du Conseil, du 17 juin 2008, sur la loi applicable aux obligations contractuelles (Rome I) (JO L 177, p. 6, ci-après le «règlement Rome I»), qui a remplacé la convention de Rome, ne
s’applique qu’aux contrats conclus à compter du 17 décembre 2009 (voir article 28 de ce règlement). Or, il ressort clairement de la décision de renvoi que le contrat en cause dans le litige au principal a été conclu au cours de l’année 2005 et prorogé, une ultime fois, le 22 décembre 2008.

( 3 ) JO L 382, p. 17.

( 4 ) Moniteur belge du 2 juin 1995, p. 15621.

( 5 ) Il ressort en effet de la décision de renvoi que la question de la compétence des juridictions belges pour connaître du litige au principal était fortement débattue entre les parties au litige au principal. Étaient plus précisément en cause la validité et l’effectivité de la clause d’arbitrage insérée dans le contrat d’agence litigieux.

( 6 ) Conformément à une jurisprudence bien établie, le refus de statuer sur une demande formée par une juridiction nationale n’est possible que s’il apparaît de manière manifeste que l’interprétation sollicitée n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal, lorsque le problème est de nature hypothétique ou encore lorsque la Cour ne dispose pas des éléments de fait et de droit nécessaires pour répondre de façon utile aux questions qui lui sont posées (voir, notamment, arrêts du
29 mars 2012, Belvedere Costruzioni, C‑500/10, point 16, et SAG ELV Slovensko e.a., C‑599/10, point 15 et jurisprudence citée).

( 7 ) Recueil des traités des Nations unies, vol. 330, p. 3.

( 8 ) Soulignement ajouté.

( 9 ) Les indications fournies dans les observations ne se réfèrent pas précisément à ces dispositions. Selon les informations dont je dispose, cette transposition a été effectuée par un acte adopté et publié au courant de l’année 2006, et dont l’entrée en vigueur a été fixée au 1er janvier 2007.

( 10 ) La notion de lois de police, qui permet de désigner les dispositions impératives tant de la loi étrangère que de la loi du for, ne figure que dans le titre de l’article 7 de la convention de Rome et n’est pas, en tant que telle, reprise dans le corps de la disposition.

( 11 ) Si l’on se réfère au libellé de l’article 7 de la convention de Rome, l’interférence des lois de police du for est, à la différence des lois de police d’une loi étrangère, à première vue inconditionnelle. S’agissant des lois de police de la loi étrangère, l’article 7, paragraphe 1, de cette convention prévoit en effet que celles-ci ne peuvent intervenir que dans des conditions strictement définies. Aux termes de cette disposition, «il pourra être donné effet aux dispositions impératives de la
loi d’un autre pays avec lequel la situation présente un lien étroit, si et dans la mesure où, selon le droit de ce dernier pays, ces dispositions sont applicables quelle que soit la loi régissant le contrat. Pour décider si effet doit être donné à ces dispositions impératives, il sera tenu compte de leur nature et de leur objet ainsi que des conséquences qui découleraient de leur application ou de leur non-application».

( 12 ) Dans le rapport concernant la convention sur la loi applicable aux obligations contractuelles, par Mario Giuliano, professeur à l’université de Milan, et Paul Lagarde, professeur à l’université de Paris I (JO 1980, C 282, p. 1, en particulier p. 27 et 28), il est en effet simplement indiqué que «[l]’origine de ce paragraphe est liée au souci de certaines délégations de sauvegarder les règles (notamment les règles en matière d’ententes, de concurrence, de pratiques restrictives de concurrence,
de protection du consommateur, certaines règles en matière de transport) de la loi du pays du juge qui régissent impérativement la situation quelle que soit la loi applicable au contrat. Le paragraphe ne fait donc que mettre en évidence l’incidence de lois de police (lois d’application immédiate, leggi di applicazione necessaria, etc.) sous une optique différente de celle du paragraphe 1».

( 13 ) Voir Lagarde, P., «Convention de Rome», Répertoire de droit communautaire, Dalloz, point 106.

( 14 ) Arrêt du 23 novembre 1999 (C-369/96 et C-376/96, Rec. p. I-8453).

( 15 ) Arrêt du 19 juin 2008 (C-319/06, Rec. p. I-4323).

( 16 ) Il ressort de la proposition de règlement présentée par la Commission le 15 décembre 2005 [COM(2005) 650 final] que la définition des lois de police retenue finalement à l’article 9 du règlement Rome I s’inspire effectivement de la jurisprudence Arblade e.a., précitée. Aux termes du paragraphe 1 de cet article, «[u]ne loi de police est une disposition impérative dont le respect est jugé crucial par un pays pour la sauvegarde de ses intérêts publics, tels que son organisation politique,
sociale ou économique, au point d’en exiger l’application à toute situation entrant dans son champ d’application, quelle que soit par ailleurs la loi applicable au contrat d’après le présent règlement».

( 17 ) Arrêt Arblade e.a., précité (point 30).

( 18 ) Voir arrêt Commission/Luxembourg, précité (point 29).

( 19 ) Il a pu en effet être légitimement soutenu que c’est uniquement en rapport avec l’appréciation de l’existence de «lois de police et de sûreté» au sens de l’article 3, premier alinéa, du code civil belge, que la Cour avait entendu exposer, à titre liminaire (voir point 30 de l’arrêt), la signification de cette expression (voir, notamment, Kuipers, J.-J., et Migliorini, S., «Qu’est-ce que sont les lois de police ? une querelle franco-allemande après la communautarisation de la Convention de
Rome», European Review of Private Law, 2-2011, p. 199).

( 20 ) Ces intérêts ne doivent pas, à mon sens, uniquement être cantonnés à des intérêts purement étatiques, mais peuvent couvrir toute règle jugée essentielle pour la sauvegarde de l’organisation sociale, politique et économique. En ce sens, je relève que l’impérativité des dispositions nationales transposant la directive 86/653 a, dans l’arrêt du 9 novembre 2000, Ingmar (C-381/98, Rec. p. I-9305, point 23), été déduite des objectifs de celle-ci, à savoir ceux visant «à supprimer les restrictions à
l’exercice de la profession d’agent commercial, à uniformiser les conditions de concurrence à l’intérieur de la Communauté et à accroître la sécurité des opérations commerciales».

( 21 ) Voir, par analogie, point 73 des conclusions de l’avocat général Léger dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Ingmar, précité.

( 22 ) Arrêt Arblade e.a., précité (point 31).

( 23 ) Voir, notamment, en ce sens, arrêt du 1er mars 2012, Akyüz (C‑467/10, point 53).

( 24 ) Voir, tout particulièrement, arrêts du 8 avril 2003, Pippig Augenoptik (C-44/01, Rec. p. I-3095, point 44), et du 18 novembre 2010, Lidl (C-159/09, Rec. p. I-11761, point 22).

( 25 ) L’appréciation du degré d’harmonisation consacré par une directive doit se fonder sur le libellé ainsi que sur le sens et l’objectif des dispositions pertinentes (voir, en ce sens, arrêts du 25 avril 2002, Commission/France, C-52/00, Rec. p. I-3827, point 16, et du 14 juillet 2005, Lagardère Active Broadcast, C-192/04, Rec. p. I-7199, point 46).

( 26 ) C’est un constat similaire qui avait été fait, dans le cadre de l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 16 mars 2006, Poseidon Chartering (C-3/04, Rec. p. I-2505), s’agissant de la transposition en droit néerlandais de la même directive (points 6 et 12 de l’arrêt, ainsi que points 5, 11 et 12 des conclusions de l’avocat général Geelhoed dans cette affaire). Cette extension serait également consacrée dans de nombreux États membres, notamment dans les législations belge, allemande, espagnole,
française, italienne, autrichienne, luxembourgeoise, néerlandaise et portugaise. En revanche, dans les législations danoise, hellénique, irlandaise, finlandaise, suédoise ou encore britannique, l’objet du contrat d’agence était, dans un premier temps, limité à la vente et à l’achat de marchandises (voir, pour une étude de celles-ci, Steinmann, T., Kenel, P., et Billotte, I., «Le contrat d’agence commerciale en Europe», LGDJ, 2005, notamment p. 22 à 54).

( 27 ) Voir, notamment, Verbraeken, C., et Schoutheete, A., «La loi du 13 avril 1995 relative au contrat d’agence commerciale», Journal des tribunaux, no 5764 (1995), p. 461-469. Les auteurs relèvent que, en énonçant que l’agent commercial négocie ou conclut des «affaires», «le législateur a fait volontairement usage [d’un] vocable vague […] de façon à donner à la loi un champ d’application le plus large possible et à maintenir le parallélisme avec le statut de représentant de commerce [voir,
notamment, documents parlementaires, session ordinaire, 1994-1995, 1750-2, p. 2 et 3]. Alors que la directive ne visait que la vente et l’achat de marchandises, la loi s’applique également à la vente, l’achat ou la mise en location d’immeubles, à la prestation de services ou à certains contrats d’entreprise». Il est à noter que le champ d’application de la loi de 1995 a fait l’objet de deux autres extensions en 1999 (pour couvrir les secteurs des assurances, des établissements de crédit et des
marchés réglementés de valeurs mobilières), puis en 2005 (aux fins de protéger les candidats et les membres des organes de concertation paritaire).

( 28 ) Voir, en ce sens, ordonnance du 10 février 2004, Mavrona (C-85/03, Rec. p. I-1573, point 15).

( 29 ) Voir ordonnance du 6 mars 2003, Abbey Life Assurance (C‑449/01, points 4 et 14).

( 30 ) JO 1977, C 13, p. 2.

( 31 ) Voir ordonnance Abbey Life Assurance, précitée (point 15).

( 32 ) Voir, en ce sens, Bergé, J.-S., «Au-delà du droit communautaire, le droit national», Revue des contrats, 2006, p. 873 à 878. Commentant l’arrêt Poseidon, précité, et s’interrogeant sur la nature juridique de la règle nationale étendant le domaine d’application d’une directive de l’Union, l’auteur considère qu’une règle nationale qui reprend à son compte une règle de l’Union, hors de son domaine d’application, demeure une règle strictement nationale. Ladite règle n’est donc pas comparable à
une règle de transposition classique qui revêt, quant à elle, une double nature: nationale, quant à sa forme, et communautaire, quant à son objet. Ce serait donc uniquement si la directive se veut applicable que la législation nationale doit être comprise comme une mesure nationale de transposition.

( 33 ) Voir Steinmann, T., Kenel, P., et Billotte, I., «Le contrat d’agence commerciale en Europe», op. cit., p. 566 à 611.

( 34 ) Voir point 35 ci-dessus.

( 35 ) S’agissant de la loi de 1995, cette volonté a clairement été exprimée dans les travaux préparatoires. Il a ainsi été noté que «[l]e groupe de travail conclut donc que toutes les dispositions sont de droit impératif sauf celles où il est expressément mentionné que des dérogations sont possibles» (voir documents parlementaires, Sénat, 355-3, S.E. 1991-1992, 14).

( 36 ) Voir, en particulier, articles 18, 20 et 21 de la loi de 1995.

( 37 ) Voir arrêts Ingmar, précité (points 20 à 25), et du 23 mars 2006, Honyvem Informazioni Commerciali (C-465/04, Rec. p. I-2879, point 22).

( 38 ) Voir, en ce sens, arrêt Honyvem Informazioni Commerciali, précité (point 28).

( 39 ) Voir arrêt Ingmar, précité (point 10).

( 40 ) Ibidem (point 25).

( 41 ) Ibidem (notamment points 16 à 19).

( 42 ) Ibidem (points 23 à 25).

( 43 ) Ibidem (point 20).


Synthèse
Formation : Troisième chambre
Numéro d'arrêt : C-184/12
Date de la décision : 15/05/2013
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle: Hof van Cassatie - Belgique.

Convention de Rome sur la loi applicable aux obligations contractuelles - Articles 3 et 7, paragraphe 2 - Liberté de choix des parties - Limites - Lois de police - Directive 86/653/CEE - Agents commerciaux indépendants - Contrats de vente ou d’achat de marchandises - Rupture du contrat d’agence par le commettant - Réglementation nationale de transposition prévoyant une protection allant au-delà des exigences minimales de la directive et prévoyant également une protection des agents commerciaux dans le cadre de contrats de fourniture de services.

Convention de Rome du 19 juin 1980

Libre prestation des services

Droit d'établissement


Parties
Demandeurs : United Antwerp Maritime Agencies (Unamar) NV
Défendeurs : Navigation Maritime Bulgare.

Composition du Tribunal
Avocat général : Wahl

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2013:301

Source

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