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17/01/2013 | CJUE | N°C-118/10

CJUE | CJUE, Arrêt de la Cour, Commission européenne contre Conseil de l'Union européenne., 17/01/2013, C-118/10


CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. PAOLO MENGOZZI

présentées le 17 janvier 2013 ( 1 )

Affaire C‑118/10

Commission européenne

contre

Conseil de l’Union européenne

«Aides d’État — Compétence du Conseil — Article 108, paragraphe 2, troisième alinéa, TFUE — Régimes d’aides existants — Proposition de mesures utiles — Effets — Règlement (CE) no 659/1999 — Aide aux investissements en vue de l’acquisition de terres agricoles en Lettonie»

1.  Par le recour

s qui fait l’objet de la présente affaire, la Commission européenne demande à la Cour d’annuler la décision 2009/991/UE du Conseil, du 16 déce...

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. PAOLO MENGOZZI

présentées le 17 janvier 2013 ( 1 )

Affaire C‑118/10

Commission européenne

contre

Conseil de l’Union européenne

«Aides d’État — Compétence du Conseil — Article 108, paragraphe 2, troisième alinéa, TFUE — Régimes d’aides existants — Proposition de mesures utiles — Effets — Règlement (CE) no 659/1999 — Aide aux investissements en vue de l’acquisition de terres agricoles en Lettonie»

1.  Par le recours qui fait l’objet de la présente affaire, la Commission européenne demande à la Cour d’annuler la décision 2009/991/UE du Conseil, du 16 décembre 2009, concernant l’octroi d’une aide d’État par les autorités de la République de Lettonie en vue de l’acquisition de terres agricoles entre le 1er janvier 2010 et le 31 décembre 2013 ( 2 ) (ci‑après la «décision attaquée»).

2.  Dans trois recours parallèles, pendants devant la Cour, la Commission a attaqué trois autres décisions du Conseil de l’Union européenne relatives à des aides du même type octroyées par la République de Lituanie (C‑111/10), la République de Pologne (affaire C‑117/10) et la Hongrie (affaire C‑121/10).

3.  Tous ces recours soulèvent la même question délicate: une proposition de mesures utiles formulée par la Commission dans le cadre de l’examen permanent des régimes d’aides existant dans les États membres effectué en vertu de l’article 108, paragraphe 1, TFUE (ou de l’article 88, paragraphe 1, CE pour ce qui concerne l’affaire C‑117/10, précitée) constitue-t-elle une prise de position définitive de cette institution quant à la compatibilité du régime en question avec le marché intérieur, de nature
à empêcher le Conseil d’exercer la compétence qui lui est attribuée par l’article 108, paragraphe 2, troisième alinéa, TFUE (ou par l’article 88, paragraphe 2, troisième alinéa, CE) d’autoriser, si des circonstances exceptionnelles le justifient, une aide en dérogation des dispositions de l’article 107 TFUE (ou de l’article 87 CE) et des autres dispositions applicables?

I – Le cadre juridique

4. L’article 108, paragraphe 1, TFUE dispose:

«La Commission procède avec les États membres à l’examen permanent des régimes d’aides existant dans ces États. Elle propose à ceux-ci les mesures utiles exigées par le développement progressif ou le fonctionnement du marché intérieur.»

5. Le paragraphe 2 de cet article prévoit, aux troisième et quatrième alinéas:

«Sur demande d’un État membre, le Conseil, statuant à l’unanimité, peut décider qu’une aide, instituée ou à instituer par cet État, doit être considérée comme compatible avec le marché intérieur, en dérogation des dispositions de l’article 107 ou des règlements prévus à l’article 109, si des circonstances exceptionnelles justifient une telle décision. Si, à l’égard de cette aide, la Commission a ouvert la procédure prévue au présent paragraphe, premier alinéa, la demande de l’État intéressé
adressée au Conseil aura pour effet de suspendre ladite procédure jusqu’à la prise de position du Conseil.

Toutefois, si le Conseil n’a pas pris position dans un délai de trois mois à compter de la demande, la Commission statue.»

6. Pour un exposé des dispositions pertinentes de l’annexe IV, chapitre 4, de l’acte d’adhésion de la République de Lettonie à l’Union européenne ( 3 ) (ci‑après l’«acte d’adhésion de 2003»), du règlement (CE) no 659/1999 du Conseil, du 22 mars 1999, portant modalités d’application de l’article 93 du traité CE ( 4 ), des lignes directrices de la Communauté concernant les aides d’État dans le secteur agricole ( 5 ) et des lignes directrices de la Communauté concernant les aides d’État dans le secteur
agricole et forestier 2007-2013 ( 6 ) (ci-après les «lignes directrices agricoles 2007-2013»), étant donné que le cadre juridique de la présente affaire correspond en substance à celui de l’affaire C‑117/10, je me permets de renvoyer aux points 5 à 16 des conclusions que je présente aujourd’hui dans cette dernière affaire.

7. Dans une communication publiée au Journal officiel de l’Union européenne du 15 mars 2008 ( 7 ), la Commission a pris note, conformément à l’article 19, paragraphe 1, du règlement no 659/1999, de «l’accord explicite et inconditionnel» de la République de Lettonie aux propositions de mesures utiles contenues au point 196 des lignes directrices agricoles 2007-2013, que les autorités lettones ont communiqué par écrit à la Commission le 20 février 2007.

II – Les antécédents du litige et la décision attaquée

8. La Commission a publié en 2005 une communication relative aux aides notifiées selon la procédure prévue à l’annexe IV, chapitre 4, point 4, de l’acte d’adhésion de 2003 que les États membres ayant adhéré en 2004 désiraient voir considérer comme des aides existantes au sens de l’article 88, paragraphe 1, CE, jusqu’à la fin de la troisième année suivant l’adhésion. Parmi les mesures communiquées par la République de Lettonie figure un régime d’aides intitulé «programme d’octroi de crédits pour
l’acquisition de terres agricoles» ( 8 ).

9. La République de Lettonie a institué ce régime en 2002. Son application a toutefois été suspendue le 1er janvier 2006 car la ligne de crédit prévue à cette fin s’était épuisée à la fin de l’année 2005. Les aides étaient octroyées aux agriculteurs (personnes physiques ou morales) sous la forme d’une bonification des intérêts sur les prêts à long terme (jusqu’à 20 ans) destinés à financer des investissements. La subvention était subordonnée à des conditions précises relatives au taux d’intérêt, au
montant maximal du prêt, au pourcentage de revenu que l’emprunteur tire de la production agricole, à la situation fiscale de l’emprunteur et à ses fonds propres (qui doivent majoritairement appartenir à des citoyens lettons ou à des résidents permanents).

10. Par lettre du 30 mai 2005, la Commission a invité les États membres à lui soumettre des propositions visant à simplifier les règles en matière d’aides dans le secteur agricole. Divers États membres lui ont demandé de maintenir la possibilité d’octroyer des aides aux investissements pour l’acquisition de terres agricoles et ont proposé de supprimer l’article 4, paragraphe 8, du règlement (CE) no 1857/2006 et d’inclure l’acquisition de terres agricoles dans les dépenses éligibles aux aides à
l’investissement comme le faisaient déjà les lignes directrices de la Communauté concernant les aides d’État dans le secteur agricole. La République de Lettonie n’a formulé aucune proposition dans ce sens.

11. Par lettre du 17 novembre 2009 adressée au Conseil «Agriculture et pêche», les autorités lettones ont demandé que les aides à l’acquisition de terres agricoles en Lettonie soient autorisées à titre exceptionnel en vertu de l’article 88, paragraphe 2, troisième alinéa, CE. Le 3 décembre 2009, cet État membre a transmis certaines informations complémentaires au Conseil. Le 16 décembre 2009, le Conseil a adopté la décision attaquée à l’unanimité (avec l’abstention de huit délégations).
L’article 1er de cette décision énonce:

«L’aide d’État exceptionnelle, d’un montant de 8 millions LVL au maximum, accordée par les autorités lettones pour des prêts destinés à l’acquisition de terres agricoles pendant la période allant du 1er janvier 2010 au 31 décembre 2013 est considérée comme compatible avec le marché intérieur.»

12. L’aide déclarée compatible est décrite aux considérants 9 et 10 de la décision attaquée dans les termes suivants:

«(9) L’aide d’État qu’il est prévu d’accorder s’élève à 8 millions de lats lettons (LVL) au maximum et devrait permettre l’acquisition de 70000 hectares de terres agricoles, entre 2010 et 2013, par environ 1000 agriculteurs. Ces aides peuvent concerner tant les terres que possèdent l’État et les municipalités, que celles que possèdent les personnes physiques.

(10) L’aide de l’État prendra la forme de subventions pour le paiement des intérêts des crédits, couvrant 4 points de pourcentage du taux d’intérêt annuel pratiqué par la banque. Toutefois, lorsque ce taux d’intérêt annuel est inférieur à 4 points de pourcentage, le taux d’intérêt effectivement payé par l’emprunteur sera intégralement remboursé».

III – La procédure devant la Cour et les conclusions des parties

13. Par requête déposée au greffe de la Cour le 26 février 2010, la Commission a présenté le recours qui fait l’objet de la présente affaire. Par ordonnance du 16 septembre 2010, la République de Lituanie a été admise à intervenir au soutien des conclusions du Conseil.

14. La Commission demande à la Cour d’annuler la décision attaquée et de condamner le Conseil aux dépens. Le Conseil demande à la Cour de dire le recours non fondé et de condamner la Commission aux dépens. La République de Lituanie demande à la Cour de dire le recours non fondé.

IV – Sur le recours

15. À l’appui de son recours, la Commission soulève quatre moyens, tirés respectivement de l’incompétence du Conseil pour adopter la décision attaquée, du détournement de pouvoir, de la violation du principe de coopération loyale entre les institutions et de l’erreur manifeste d’appréciation.

A – Sur le premier moyen, tiré de l’incompétence du Conseil

16. Par son premier moyen, tiré du défaut de compétence du Conseil, la Commission fait valoir en substance que la proposition de mesures utiles formulée au point 196 des lignes directrices agricoles 2007-2013, combinée à l’acceptation de cette proposition par la République de Lettonie, constitue une «décision» par laquelle la Commission a déclaré incompatible avec le marché commun le régime d’aides autorisé par la décision attaquée pour toute la période d’application desdites lignes directrices,
c’est-à-dire jusqu’au 31 décembre 2013. Rappelant les arrêts du 29 juin 2004 ( 9 ) et du 22 juin 2006 ( 10 ), pour l’analyse desquels je renvoie aux points 27 à 31 des conclusions que je présente aujourd’hui dans l’affaire C‑117/10, la Commission estime que, en vertu du principe de préemption qui, selon ces arrêts, constitue la base du critère de répartition des compétences que l’article 108, paragraphe 2, TFUE attribue à la Commission et au Conseil, ce dernier n’était pas compétent en l’espèce
pour adopter la décision attaquée.

17. Les débats des parties devant la Cour soulèvent en substance quatre questions. La première consiste à déterminer si, comme le soutient la Commission, contredite par le Conseil, le régime d’aides à l’acquisition de terres agricoles notifié par la République de Lettonie en 2004 a conservé le statut d’«aide existante» jusqu’au 31 décembre 2009 et peut dès lors faire l’objet de la proposition de mesures utiles contenue au point 196 des lignes directrices agricoles 2007-2013 (voir titre 1
ci-dessous). La deuxième question concerne le statut du régime d’aides autorisé par la décision attaquée et requiert notamment d’apprécier si, comme l’affirme la Commission, ce régime coïncide avec celui qui a fait l’objet de la proposition de mesures utiles contenue au point 196 des lignes directrices en question ou si, comme l’affirme au contraire le Conseil, il constitue une aide nouvelle et différente (voir titre 2 ci-dessous). La troisième question concerne les effets d’une proposition de
mesures utiles acceptée par l’État membre concerné (voir titre 3 ci-dessous). La quatrième question, enfin, requiert de définir la portée de la proposition de mesures utiles formulée au point 196 des lignes directrices agricoles 2007-2013 et de l’acceptation de cette proposition par la République de Lettonie (voir titre 4 ci-dessous).

1. Sur le statut du régime d’aides à l’acquisition de terres agricoles institué par la République de Lettonie jusqu’au 31 décembre 2009

18. La thèse de la Commission se fonde sur la prémisse que le régime d’aides à l’investissement dans l’acquisition de terres agricoles institué en Lettonie avant l’adhésion à la Communauté n’a jamais cessé de constituer une aide existante au sens de l’article 108, paragraphe 1, TFUE depuis la date de sa notification à la Commission en 2004 jusqu’au 31 décembre 2009.

19. Le Conseil estime que cette prémisse est erronée. Il soutient en premier lieu que, au sens de l’annexe IV, chapitre 4, point 4, de l’acte d’adhésion de 2003, le régime d’aides notifié par la République de Lettonie en 2004 ne pouvait être considéré comme une aide existante que jusqu’à la fin de la troisième année après la date d’adhésion et que la Commission n’était pas habilitée à proroger l’application de ce régime au moyen d’une proposition de mesures utiles au sens de l’article 108,
paragraphe 1, TFUE, ce qu’elle aurait fait au point 196 des lignes directrices agricoles 2007-2013. En outre, une telle proposition ne pourrait avoir pour effet de modifier les dispositions du droit primaire, en l’espèce la règle prévue à l’annexe IV de l’acte d’adhésion de 2003. Je renvoie sur cette question aux points 44 à 47 des conclusions présentées ce jour dans l’affaire C‑117/10, dans lesquelles j’ai rejeté des arguments identiques soulevés par le Conseil.

20. En deuxième lieu, le Conseil estime que, dans la mesure où la ligne de crédit prévue pour le régime d’aides en cause s’est épuisée à la fin de l’année 2005, de sorte que les autorités lettones n’ont accordé aucun nouveau prêt à partir de 2006, ce régime n’était plus en vigueur depuis le 31 décembre 2005. Je relève à cet égard qu’il ressort des documents produits par la Commission et non contestés par le Conseil que le régime que la République de Lettonie a communiqué à la Commission en 2004
selon la procédure prévue à l’annexe IV, chapitre 4, point 4, de l’acte d’adhésion de 2003 était destiné à s’appliquer jusqu’en 2023, que certaines modifications d’ordre technique y ont été apportées en 2007 et que la possibilité de continuer à financer le régime a été expressément prévue. Dans ces circonstances, j’estime que c’est à bon droit que l’institution requérante conclut que, même s’il n’était plus opérationnel depuis 2006, ce régime pouvait être réactivé à tout moment sans qu’il soit
nécessaire de modifier le cadre législatif et sans qu’il perde sa qualité de régime d’aides existant.

21. Il convient donc de conclure que, comme le soutient la Commission, le régime d’aides à l’acquisition de terres agricoles communiqué par la République de Lettonie en 2004 a conservé son statut de régime existant au sens de l’annexe IV, chapitre 4, point 4, de l’acte d’adhésion de 2003 jusqu’au 31 décembre 2009, date prévue au point 196 des lignes directrices agricoles 2007-2013 pour sa mise en conformité avec celles-ci. Il s’ensuit que ce régime pouvait bien faire l’objet de mesures utiles au
sens de l’article 108, paragraphe 1, TFUE et de l’article 18 du règlement no 659/1999.

2. Sur le régime d’aides autorisé par la décision attaquée

22. Il est constant entre les parties que tant le régime d’aides approuvé par le Conseil que celui que la République de Lettonie a communiqué en 2004 consistent en des subventions aux paiements d’intérêts sur des prêts, destinées à couvrir quatre points de pourcentage du taux d’intérêt annuel appliqué par la banque. J’observe en outre que, dans divers passages de leur lettre du 17 novembre 2009 au Conseil, les autorités lettones indiquent expressément le régime institué en Lettonie en 2002 et
communiqué à la Commission en 2004 comme étant le cadre de référence de leur demande. Il ressort même de cette lettre que la République de Lettonie demandait en substance au Conseil de l’autoriser à «réactiver» ce régime pour la période 2010-2013. Les arguments avancés par le Conseil pour démontrer que les deux régimes sont différents, consistant essentiellement à soutenir que le régime approuvé dans la décision attaquée a une autre portée dans le temps, bénéficiera à d’autres personnes et est
fondé sur de nouveaux éléments de fait et de droit doivent, selon moi, être rejetés pour les motifs que j’ai exposés aux points 53, 54 et 56 des conclusions que je présente aujourd’hui dans l’affaire C‑117/10, auxquels je me permets de renvoyer. Quant à l’affirmation du Conseil selon laquelle la mise en œuvre du régime autorisé par la décision attaquée nécessitera l’adoption d’un nouveau cadre juridique, je relève que la lettre au Conseil du 17 novembre 2009 révèle clairement l’intention du
gouvernement letton de ne pas apporter au régime existant d’autre modification substantielle que son refinancement lui-même.

23. En revanche, il est constant en l’espèce que la ligne de crédit que les autorités lettones avaient prévue en 2002 pour financer le régime d’aides communiqué à la Commission en 2004 s’est épuisée à la fin de l’année 2005 et que ce régime n’a pas fait l’objet d’un autre financement, à tout le moins jusqu’à la décision attaquée. Or, il ressort de la jurisprudence que le refinancement d’un régime d’aides pour lequel l’État membre a prévu une dotation spécifique et qui a été approuvé par la
Commission sur la base d’une notification mentionnant une telle dotation constitue une aide nouvelle ( 11 ). J’estime que cette jurisprudence est applicable mutatis mutandis au cas d’espèce.

24. J’estime donc que le régime d’aides déclaré compatible avec le marché intérieur dans la décision attaquée constitue une «aide nouvelle» au sens de l’article 1er, sous c), du règlement no 659/1999, en tant que «modification d’une aide existante» ( 12 ). Les conséquences de cette qualification seront examinées ci‑dessous (titre 4).

3. Sur les effets d’une proposition de mesures utiles acceptée par l’État membre concerné

25. Sur la base des motifs exposés aux points 62 à 72 de mes conclusions présentées ce jour dans l’affaire C‑117/10, auxquels je renvoie, je suis d’avis qu’une proposition de mesures utiles acceptée par l’État membre auquel elle est destinée constitue une prise de position définitive de la Commission sur la compatibilité du régime d’aides dont il s’agit, qui produit des effets juridiques contraignants analogues à ceux d’une décision. Un tel acte est donc susceptible selon moi, en vertu de la
jurisprudence de la Cour rappelée au point 16 des présentes conclusions, d’empêcher qu’une décision en sens contraire soit adoptée sur la base de l’article 108, paragraphe 2, troisième alinéa, TFUE.

26. Cela étant, il convient de définir la portée, d’une part, de la prise de position sur la compatibilité des aides à l’acquisition de terres agricoles adoptée par la Commission dans le cadre de la proposition de mesures utiles contenue au point 196 des lignes directrices agricoles 2007-2013 et, d’autre part, des obligations que la République de Lettonie a assumées en acceptant cette proposition. L’éventuelle constatation de l’incompétence du Conseil pour adopter la décision attaquée dépend en
effet du résultat de ce double examen. En l’espèce, il convient en outre de vérifier l’incidence de la conclusion à laquelle je suis parvenu au point 23 des présentes conclusions, selon laquelle le régime approuvé par le Conseil constitue une modification d’un régime d’aides existant au sens de l’article 1er, sous c), du règlement no 659/1999.

4. Sur la portée des mesures utiles contenues au point 196 des lignes directrices agricoles 2007-2013 et de l’acceptation de la République de Lettonie

27. J’ai observé au point 74 des conclusions que je présente ce jour dans l’affaire C‑117/10 qu’il est vrai que les lignes directrices agricoles 2007-2013 prennent position dans le sens de l’incompatibilité de principe des aides à l’investissement pour l’acquisition de terres agricoles qui ne sont pas conformes à l’article 4, paragraphe 8, du règlement no 1857/2006, mais que cette prise de position ne peut pas être considérée en soi comme définitive, dès lors que, dans le cas d’aides individuelles
ou de régimes d’aides à instituer, la Commission est toujours tenue, en vertu du point 183 des lignes directrices, de constater et de déclarer l’incompatibilité de ces aides au moyen de la procédure d’examen prévue à l’article 108 TFUE. Pour cette raison, j’ai rejeté la thèse de la Commission, réitérée dans le cadre du recours faisant l’objet de la présente affaire, selon laquelle les lignes directrices agricoles 2007-2013 «déclarent» incompatibles avec le marché commun, à partir du 31 décembre
2007 et jusqu’au 31 décembre 2013, toutes les aides aux investissements pour l’acquisition de terres agricoles – y compris donc celles qui ne sont pas encore instituées – qui ne leur sont pas conformes. Ainsi que l’ont observé, à juste titre selon moi, le Conseil et le gouvernement lituanien, intervenant dans la présente affaire, adopter cette thèse reviendrait en effet à reconnaître à la Commission un pouvoir réglementaire dérogeant à la procédure prévue à l’article 108 TFUE.

28. Dans ce contexte, c’est en vertu de l’effet combiné de la proposition de mesures utiles formulée au point 196 des lignes directrices agricoles 2007-2013 et de l’engagement pris par l’État membre concerné que, dans les conclusions susmentionnées, j’ai considéré que la prise de position de la Commission relative aux régimes d’aides à l’acquisition de terres agricoles existant dans cet État membre avait un caractère définitif et était susceptible de faire échec à la compétence du Conseil au titre
de l’article 88, paragraphe 2, troisième alinéa, CE (voir points 75 et 76 desdites conclusions).

29. En l’espèce, la République de Lettonie a transmis par écrit son accord «explicite et inconditionnel» ( 13 ) sur les mesures proposées par la Commission au point 196 des lignes directrices agricoles 2007-2013, assumant ainsi l’obligation de modifier pour le 31 décembre 2009 son régime d’aides à l’acquisition de terres agricoles communiqué à la Commission en 2004. En maintenant ce régime en vigueur et en s’abstenant de le modifier, la République de Lettonie a violé cette obligation.

5. Conclusions sur la compétence du Conseil pour adopter la décision attaquée

30. Il faut encore vérifier en l’espèce quelles sont les conséquences du fait que l’aide visée par la décision attaquée constitue une «aide nouvelle» au sens de l’article 1er, sous c), du règlement no 659/1999.

31. Il ressort de la jurisprudence citée au point 16 des présentes conclusions qu’une telle qualification n’est en principe pas décisive en soi pour exclure la compétence du Conseil au titre de l’article 108, paragraphe 2, troisième alinéa, TFUE. En effet, ainsi que j’ai déjà eu l’occasion de le préciser au point 50 des conclusions présentées ce jour dans l’affaire C‑117/10, dans l’arrêt du 29 juin 2004, Commission/Conseil, précité, la Cour a rejeté un argument analogue du Conseil ( 14 ) et a
déclaré, privilégiant une approche fondée sur l’analyse des effets des mesures en cause, que la compétence de cette institution au titre de l’article 108, paragraphe 2, troisième alinéa, TFUE peut être exclue non seulement à l’égard d’une mesure d’aide que la Commission a déjà déclarée incompatible avec le marché commun, mais aussi à l’égard d’une mesure distincte pouvant être qualifiée d’«aide nouvelle», dès lors que ces deux mesures sont liées d’une manière tellement indissociable qu’il
apparaîtrait artificiel de les distinguer.

32. J’estime que, en l’espèce, le régime communiqué à la Commission par les autorités lettones en 2004 et son refinancement sont liés de cette manière. En approuvant un tel refinancement, le Conseil a, dans les faits, délié la République de Lettonie de l’obligation de modifier ce régime qu’elle avait assumée envers la Commission, légitimant ainsi la violation d’un accord conclu en application de l’article 88, paragraphe 1, CE. La décision attaquée a eu pour effet de neutraliser les effets de la
prise de position définitive adoptée par la Commission au point 196 des lignes directrices agricoles 2007-2013 quant à la compatibilité dudit régime avec le marché commun.

33. Dans ces circonstances, je suggère à la Cour de faire droit au premier moyen et de déclarer, en application de la jurisprudence rappelée au point 16 des présentes conclusions, que le Conseil n’était pas compétent pour adopter la décision attaquée. Le recours de la Commission doit donc, à mon avis, être accueilli et la décision attaquée annulée. Je procéderai à un bref examen des autres moyens soulevés par la Commission pour le cas où la Cour ne partagerait pas la solution que je suggère.

B – Sur les deuxième et troisième moyens, tirés respectivement du détournement de pouvoir et de la violation de l’obligation de coopération loyale

34. Les deuxième et troisième moyens sont identiques aux deuxième et troisième moyens dans l’affaire C‑117/10, qui sont examinés brièvement aux points 80 à 84 des conclusions que je présente ce jour dans cette affaire. Étant donné que, dans ces deux affaires, je suggère à la Cour de faire droit au premier moyen, j’estime que l’analyse effectuée aux points 80 à 84 desdites conclusions est transposable au cas d’espèce, raison pour laquelle j’y renvoie.

C – Sur le quatrième moyen, tiré de l’erreur manifeste d’appréciation quant à l’existence de circonstances exceptionnelles et de la violation du traité et des principes généraux du droit communautaire

35. Dans le cadre de son quatrième moyen, la Commission soulève en substance deux griefs que j’examinerai séparément ci-dessous. Elle fait valoir en premier lieu que la décision attaquée est entachée d’une erreur manifeste d’appréciation en ce que les circonstances invoquées pour justifier les mesures d’aide autorisées n’ont pas de caractère exceptionnel. En deuxième lieu, elle soutient que ces mesures sont disproportionnées par rapport aux objectifs poursuivis, étant donné en particulier la durée
de l’autorisation accordée.

36. Pour ce qui concerne, d’une manière générale, la notion de «circonstances exceptionnelles» au sens de l’article 108, paragraphe 2, troisième alinéa, TFUE, la nature et l’étendue du pouvoir d’appréciation du Conseil dans l’exercice de la compétence qui lui est attribuée par cet article et les limites du contrôle de la Cour sur les décisions adoptées en vertu de ce pouvoir, je me permets de renvoyer aux considérations exposées aux points 86 et 87 des conclusions que je présente aujourd’hui dans
l’affaire C‑117/10.

1. Sur le premier grief, relatif à l’erreur manifeste d’appréciation quant à l’existence de circonstances exceptionnelles au sens de l’article 108, paragraphe 2, troisième alinéa, TFUE

37. Dans le cadre de ce grief, la Commission fait valoir, en premier lieu, que la décision attaquée présente erronément comme des circonstances exceptionnelles certains problèmes structurels du secteur agricole en Lettonie. À cet égard, je suis d’accord avec la Commission pour considérer que les éléments auxquels se réfère le Conseil au considérant 2 de la décision attaquée, à savoir la «structure défavorable des exploitations en Lettonie», le fait que «la Lettonie soit l’État membre qui reçoit le
moins de paiements directs en raison [du] mécanisme d’introduction progressive prévu dans [l’]acte d’adhésion de 2003» et le fait que «les revenus des agriculteurs sont peu élevés» ( 15 ), ainsi que la circonstance qu’une certaine partie des terres agricoles sont détenues et gérées par des exploitants n’appartenant pas au monde agricole, mentionnée au considérant 3 de cette décision, ne constituent pas en tant que tels des circonstances exceptionnelles au sens de l’article 108, paragraphe 2,
troisième alinéa, TFUE. D’une part, en effet, ces éléments se bornent à décrire la structure de l’économie agraire lettone (taille réduite des exploitations agricoles, faible niveau des revenus) et, d’autre part, ils concernent l’application d’instruments de soutien direct ( 16 ) prévus par des actes institués lors de l’adhésion à l’Union de l’État membre concerné. La nature non conjoncturelle de ces éléments implique qu’ils sont dépourvus du nécessaire caractère exceptionnel.

38. Toutefois, contrairement à ce que soutient l’institution requérante, dans l’économie de la décision attaquée, ces éléments ne sont pas présentés comme des circonstances exceptionnelles, mais bien, précisément, comme des facteurs caractéristiques de la structure de l’économie agraire lettone, et la référence à ces éléments sert avant tout à évaluer les répercussions économiques et sociales de la récession, le principal facteur qui, selon les considérants 3 et 4 de ladite décision, justifie les
mesures autorisées. La même remarque vaut pour la considération selon laquelle les agriculteurs manquent de fonds propres, qui figure au considérant 7 de la décision attaquée et dont la Commission se limite à invoquer le caractère structurel, mais sans fournir d’éléments de preuve à cet égard. D’autre part, il ressort clairement de l’arrêt du 29 février 1996, Commission/Conseil que, dans l’exercice de la compétence prévue à l’article 108, paragraphe 2, troisième alinéa, TFUE, le Conseil peut se
fonder sur la persistance ou l’aggravation de problèmes structurels dans un secteur donné de l’économie afin d’évaluer les effets produits sur ce secteur par une conjoncture défavorable ( 17 ).

39. Pour ce qui concerne l’argument de la Commission selon lequel l’infléchissement des revenus en 2009, mentionné au considérant 2 de la décision attaquée, la «récession de plus en plus forte dans laquelle est entrée l’économie mondiale du fait de la crise» en 2009, qui figure au considérant 4 de cette décision, ainsi que l’augmentation des prix des intrants agricoles en 2008, visée au considérant 5 de ladite décision, ont touché l’ensemble des États membres, je rappelle que, selon la
jurisprudence, le fait qu’une situation déterminée puisse concerner plusieurs États membres en même temps ou, le cas échéant, concerner d’autres secteurs de l’économie n’exclut pas que cette situation puisse constituer une circonstance pertinente pour l’application de l’article 108, paragraphe 2, troisième alinéa, TFUE ( 18 ), compte tenu notamment des conséquences particulières que cette situation a pu produire dans un État membre donné. La Commission souligne elle-même à ce propos, dans ses
mémoires, que la République de Lettonie a été gravement touchée par la crise économique qui, comme cela a été dit ci-dessus, constitue le principal élément sur lequel s’est fondé le Conseil dans la décision attaquée. La Commission n’exclut d’ailleurs pas qu’une crise économique généralisée puisse en principe constituer une circonstance exceptionnelle.

40. Enfin, la Commission allègue que les données figurant au considérant 8 de la décision attaquée à propos de l’importance de la récession sur le marché des terres agricoles ne sont pas fiables parce qu’elles se réfèrent au volume des transactions enregistrées en 2007, année au cours de laquelle la «bulle immobilière» aurait atteint son apogée. Quand bien même cette allégation serait suffisamment étayée par des éléments de preuve ( 19 ), elle ne suffit pas à remettre en cause le caractère
exceptionnel de la récession, que la Commission ne conteste d’ailleurs pas, et de ses conséquences sur le secteur agraire letton.

41. Sur la base de ce qui précède, j’estime que la Commission n’a pas démontré l’existence d’une erreur manifeste d’appréciation pour ce qui concerne l’existence de circonstances de nature à justifier l’adoption d’une décision en vertu de l’article 108, paragraphe 2, troisième alinéa, TFUE.

2. Sur le caractère inadéquat et disproportionné des mesures autorisées par la décision attaquée

42. La Commission fait valoir, en premier lieu, que les régimes d’aides à l’acquisition de terres ne permettent ni de résoudre ni de réduire les problèmes structurels évoqués au considérant 2 de la décision attaquée, notamment la petite taille des exploitations agricoles lettones. Se basant sur des données établies par Eurostat, elle observe que la taille moyenne des exploitations agricoles en Lettonie a augmenté au cours du temps d’une manière substantiellement indépendante de l’octroi d’aides à
l’acquisition de terres agricoles. J’observe à cet égard que les données statistiques produites par la Commission montrent que la structure des exploitations agricoles lettones a connu une évolution plus importante de 2003 à 2005, période pendant laquelle le régime d’aides à l’acquisition de terres agricoles était opérationnel (augmentation de 5,2 hectares de la taille moyenne d’une exploitation agricole) que de 2005 à 2007 (3,2 hectares), ce qui ne permet pas d’exclure que le régime en question
ait directement concouru à cette plus forte augmentation pendant les années où il était opérationnel. En tout état de cause, quand bien même il faudrait déduire de ces données que seule une augmentation modeste de la taille moyenne des exploitations agricoles lettones peut être attribuée à l’application de ce régime, cela ne suffirait pas selon moi, en soi, à démontrer que le Conseil a manifestement excédé les limites de son pouvoir d’appréciation en considérant que les mesures approuvées dans
la décision attaquée étaient adéquates pour poursuivre notamment les objectifs mentionnés au considérant 6 de cette décision, à savoir permettre aux personnes sans emploi de se tourner vers l’agriculture, permettre aux exploitants qui pratiquent une agriculture de semi-subsistance et qui ne travaillent plus comme employés dans des secteurs autres que l’agriculture d’améliorer la structure de leur exploitation et faciliter la vente de terres agricoles détenues par ceux qui sont sans emploi et qui
ont besoin de capital pour acquérir le statut de travailleur indépendant.

43. En deuxième lieu, la Commission souligne que, pour faire face aux conséquences de la crise, elle a adopté, en 2009, une communication spécifique relative à un cadre communautaire temporaire pour les aides d’État destinées à favoriser l’accès au financement dans le contexte de la crise économique et financière actuelle ( 20 ) (ci-après le «cadre temporaire»). Ce cadre, tel que modifié ( 21 ), autorise les États membres à intervenir sous différentes formes en faveur des exploitations agricoles et
notamment à octroyer une aide temporaire d’un montant maximal de 15000 euros jusqu’à la fin de l’année 2010. La Commission estime que, dans la mesure où il n’a pas tenu compte de cette aide, spécifiquement destinée à faire face aux problèmes engendrés par la crise et n’a, en particulier, pas vérifié si elle aurait permis de remédier à ces problèmes, le Conseil aurait violé le principe de proportionnalité. La Commission estime en outre que le Conseil aurait dû tenir compte d’autres instruments
adoptés par elle ou par le Conseil lui-même pour remédier aux problèmes indiqués dans la décision attaquée ou susceptibles d’être utilisés à cette fin en Lettonie.

44. Les arguments de la Commission amènent à apprécier si et dans quelle mesure il incombait au Conseil de tenir compte des mesures déjà adoptées au niveau de l’Union pour remédier aux situations que l’État membre demandeur avait invoquées au titre de circonstances exceptionnelles. J’estime à ce propos, me basant sur les considérations exposées au point 96 de mes conclusions présentées ce jour dans l’affaire C‑117/10, auxquelles je renvoie, que le Conseil reste tenu à tout le moins de prendre en
considération, dans l’appréciation qu’il effectue au titre de l’article 108, paragraphe 2, troisième alinéa, TFUE, les mesures préexistantes spécifiquement destinées à remédier aux situations susceptibles de justifier l’autorisation des aides en cause ( 22 ), sans que cela implique une obligation pour le Conseil d’examiner ou d’indiquer dans sa décision l’ensemble des règles de droit qui régissent la matière en question.

45. En l’espèce, il ne ressort pas de la décision attaquée que le Conseil aurait vérifié si la République de Lettonie a utilisé les possibilités offertes par le cadre temporaire et quels effets les éventuelles interventions réalisées sur cette base auraient produits ( 23 ). Je relève cependant que la subvention directe d’un montant limité à laquelle se réfère la Commission, d’une part, tout en ayant pour fonction d’atténuer les répercussions économiques de la crise, n’était pas spécifiquement
destinée à encourager des investissements visant à améliorer la structure des exploitations agricoles et, d’autre part, ne pouvait être octroyée que jusqu’au 31 décembre 2010. Dans ces circonstances, le Conseil a pu considérer à bon droit, selon moi, qu’une intervention plus ciblée et d’une plus grande portée dans le temps pouvait à la fois poursuivre, le cas échéant en combinaison avec d’autres instruments, l’objectif d’atténuer les conséquences de la crise financière et, en particulier, les
problèmes d’accès au crédit rencontrés par les agriculteurs et, dans le même temps, apporter une réponse plus adéquate aux problèmes structurels de l’économie agraire lettone. Il est vrai que le Conseil était, selon moi, tenu de prendre en considération, dans la décision attaquée, les actions de lutte contre le chômage dans les zones rurales prévues dans le cadre de la politique communautaire de développement rural conformément au règlement (CE) no 1698/2005 ( 24 ). Néanmoins, cette omission ne
suffit pas non plus en soi, selon moi, pour remettre en cause la légalité de cette décision, compte tenu du fait que cette dernière se base sur une multitude de motifs et sur une évaluation globale de la situation du secteur en question dans une conjoncture temporelle déterminée. Je relève en outre que, dans leur lettre du 3 décembre 2009 adressée au Conseil, les autorités lettones ont indiqué partiellement les raisons pour lesquelles elles considèrent que ces actions ne peuvent pas se
substituer à un régime destiné à encourager l’acquisition de terres agricoles par les agriculteurs. En revanche, je ne pense pas que le Conseil était spécifiquement obligé de tenir compte, comme l’affirme la Commission, du règlement (CE) no 1535/2007 ( 25 ), s’agissant d’un instrument qui n’est pas spécifiquement destiné à poursuivre les objectifs indiqués dans la décision. En tout état de cause, le régime approuvé dans la décision attaquée est destiné à encourager l’investissement dans
l’acquisition de terres agricoles et opère donc sur un autre plan que ce règlement.

46. Enfin et en troisième lieu, la Commission fait valoir que la portée dans le temps des mesures approuvées ainsi que la durée des effets qu’elles produiront (s’agissant de financements sur des prêts à long terme) font que ces mesures sont disproportionnées.

47. Étant donné le caractère exceptionnel de la compétence du Conseil au titre de l’article 108, paragraphe 2, troisième alinéa, TFUE, la dérogation accordée en vertu de cette disposition doit, à mon sens, être limitée dans le temps et ne doit être autorisée que pour la durée strictement nécessaire pour remédier aux circonstances invoquées à l’appui de la décision attaquée ( 26 ). Cela implique que, lorsqu’une décision adoptée en vertu de l’article 108, paragraphe 2, troisième alinéa, TFUE concerne
des régimes d’aides destinés à s’appliquer pendant une période relativement longue, comme en l’espèce, il incombe au Conseil d’indiquer les raisons pour lesquelles il estime que cela est nécessaire à la lumière des circonstances invoquées à l’appui de la déclaration de compatibilité. En l’espèce, s’il est vrai que la lettre des autorités lettones du 27 novembre 2009 au Conseil et la décision attaquée n’indiquent que sommairement les raisons pour lesquelles il a été jugé nécessaire d’autoriser le
régime litigieux pour une période de quatre ans, ces raisons peuvent se déduire du contexte dans lequel s’inscrit la décision attaquée ainsi que de la nature des mesures autorisées, des problèmes que ces mesures devaient concourir à résoudre et des objectifs poursuivis. En outre, le Conseil a fourni des indications supplémentaires dans ses mémoires.

48. Pour ce qui concerne le fond du grief soulevé par la Commission, je relève qu’il se base essentiellement sur le constat que la durée de la dérogation accordée dans la décision attaquée coïncide avec la durée de validité des lignes directrices agricoles 2007-2013. Selon l’institution requérante, cela trahit le fait que le choix du Conseil répondait plus à la volonté de paralyser l’application de ces lignes directrices qu’à celle de limiter la dérogation à la mesure de ce qui est strictement
nécessaire pour corriger les déséquilibres constatés. Or, tout en prenant acte de cette coïncidence, j’estime que, compte tenu des objectifs à long terme que la décision entend poursuivre et des répercussions de la crise économique et financière, elles aussi susceptibles de se prolonger sur une longue période, qui sont invoquées comme circonstances exceptionnelles à l’appui de ladite décision, la Commission n’est pas parvenue à démontrer que, en autorisant le régime en question pour la période
qui va du 1er janvier 2010 au 31 décembre 2013, le Conseil aurait manifestement excédé les limites du pouvoir d’appréciation dont il jouit dans l’exercice de la compétence prévue à l’article 108, paragraphe 2, troisième alinéa, TFUE.

V – Conclusion

49. En vertu des considérations qui précèdent, je suggère à la Cour de:

— faire droit au premier moyen, tiré du défaut de compétence du Conseil;

— annuler la décision attaquée;

— condamner le Conseil aux dépens, et

— déclarer que l’État membre intervenant supporte ses propres dépens.

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( 1 ) Langue originale: l’italien.

( 2 ) JO L 339, p. 34.

( 3 ) Acte relatif aux conditions d’adhésion à l’Union européenne de la République tchèque, de la République d’Estonie, de la République de Chypre, de la République de Lettonie, de la République de Lituanie, de la République de Hongrie, de la République de Malte, de la République de Pologne, de la République de Slovénie et de la République slovaque, et aux adaptations des traités sur lesquels est fondée l’Union européenne (JO 2003, L 236, en particulier p. 798).

( 4 ) JO L 83, p. 1.

( 5 ) JO 2000, C 28, p. 2.

( 6 ) JO 2006, C 319, p. 1.

( 7 ) JO C 70, p. 11.

( 8 ) JO 2005, C 147, p. 2. Pour ce qui concerne la République de Lettonie, l’intitulé du régime en question figure au point 23. Dans sa requête, la Commission indique que la notification elle‑même a eu lieu selon la procédure prévue à l’annexe IV, chapitre 3, sous c), de l’acte d’adhésion de 2003, qui ne s’applique cependant pas aux «activités de production, de transformation ou de commercialisation de produits figurant dans la liste de l’annexe I du traité CE» (produits auxquels s’appliquent les
dispositions du traité relatives à la politique agricole commune).

( 9 ) Commission/Conseil (C-110/02, Rec. p. I-6333).

( 10 ) Commission/Conseil (C-399/03, Rec. p. I-5629).

( 11 ) Arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 3 février 2011, Italie/Commission (T-3/09, Rec. p. II-95), confirmé par l’ordonnance de la Cour du 22 mars 2012, Italie/Commission (C‑200/11 P). Voir aussi article 4, paragraphes 1 et 2, sous a), du règlement (CE) no 794/2004 de la Commission, du 21 avril 2004, concernant la mise en œuvre du règlement no 659/1999 (JO L 140, p. 1).

( 12 ) Il s’agit d’une modification séparable du régime auquel elle s’applique et qui n’entraîne donc pas la transformation du régime lui-même en une aide nouvelle.

( 13 ) Voir communication mentionnée au point 7 des présentes conclusions.

( 14 ) Le Conseil, soutenu par le gouvernement portugais, faisait valoir que l’aide litigieuse constituait une «aide nouvelle» parce qu’elle consistait en un versement nouveau, elle résultait d’une disposition nationale autre que les décrets-lois qui avaient institué le régime d’aides déclaré incompatible par la Commission et répondait à des conditions d’éligibilité et de paiement différentes de celles applicables aux aides accordées sur le fondement de ce régime (point 21).

( 15 ) Italiques ajoutés par mes soins.

( 16 ) Le système d’introduction graduelle des paiements communautaires directs, prévu par l’acte d’adhésion de 2003 (p. 369 et 370), a été adapté par la décision 2004/281/CE du Conseil, du 22 mars 2004, portant adaptation de l’acte relatif aux conditions d’adhésion à l’Union européenne de la République tchèque, de la République d’Estonie, de la République de Chypre, de la République de Lettonie, de la République de Lituanie, de la République de Hongrie, de la République de Malte, de la République
de Pologne, de la République de Slovénie et de la République slovaque, et aux adaptations des traités sur lesquels est fondée l’Union européenne, à la suite de la réforme de la politique agricole commune (JO L 93, p. 1). Cette décision a fait l’objet d’un recours en annulation présenté par la République de Pologne, que la Cour a rejeté par son arrêt du 23 octobre 2007, Pologne/Conseil (C-273/04, Rec. p. I-8925). Pour une vue d’ensemble du régime et de son fonctionnement, voir conclusions de l’avocat
général Poiares Maduro dans l’affaire ayant donné lieu à cet arrêt.

( 17 ) C-122/94, Rec. p. I-881, point 21.

( 18 ) L’arrêt du 29 février 1996, Commission/Conseil, précité, a rejeté, au point 22, un argument analogue de la Commission.

( 19 ) Les données de l’article du Center for Economic and Policy Research de février 2010, intitulé «Latvia’s Recession: the Cost of Adjustment With An ‘Internal Devaluation’», auxquelles renvoie la Commission, ne se réfèrent pas spécifiquement au marché des terres agricoles.

( 20 ) JO C 83, p. 1.

( 21 ) Communication de la Commission modifiant le Cadre Communautaire Temporaire pour les aides d’État destinées à favoriser l’accès au financement dans le contexte de la crise économique et financière actuelle (JO 2009, C 261, p. 2).

( 22 ) Voir également, en ce sens, conclusions de l’avocat général Cosmas dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 29 février 1996, Commission/Conseil, précité, et en particulier point 85 de celles-ci.

( 23 ) Je relève cependant que la lettre que les autorités lettones ont adressée au Conseil le 3 décembre 2009 contient, au paragraphe 9, une référence, fût-elle sommaire, au cadre temporaire et à son insuffisance pour faire face aux difficultés engendrées par la crise économique et financière.

( 24 ) Règlement du Conseil du 20 septembre 2005 concernant le soutien au développement rural par le Fonds européen agricole pour le développement rural (Feader) (JO L 277, p. 1).

( 25 ) Règlement de la Commission du 20 décembre 2007 concernant l’application des articles 87 et 88 du traité CE aux aides de minimis dans le secteur de la production de produits agricoles (JO L 337, p. 35).

( 26 ) Voir, en ce sens, arrêt du 29 février 1996, Commission/Conseil, précité, point 25.


Synthèse
Formation : Grande chambre
Numéro d'arrêt : C-118/10
Date de la décision : 17/01/2013
Type de recours : Recours en annulation - non fondé

Analyses

Recours en annulation - Aides d’État - Article 108, paragraphes 1 et 2, TFUE - Aide accordée par la République de Lettonie en vue de l’acquisition de terres agricoles - Compétence du Conseil de l’Union européenne - Régime d’aides existant - Adhésion de la République de Lettonie à l’Union européenne - Aide accordée avant l’adhésion - Mesures utiles - Caractère indissociable de deux régimes d’aides - Changement de circonstances - Circonstances exceptionnelles - Crise économique - Erreur manifeste d’appréciation - Principe de proportionnalité.

Aides accordées par les États

Principes, objectifs et mission des traités

Concurrence


Parties
Demandeurs : Commission européenne
Défendeurs : Conseil de l'Union européenne.

Composition du Tribunal
Avocat général : Mengozzi

Origine de la décision
Date de l'import : 30/06/2023
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2013:12

Source

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