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17/01/2013 | CJUE | N°C-117/10

CJUE | CJUE, Arrêt de la Cour, Commission européenne contre Conseil de l'Union européenne., 17/01/2013, C-117/10


CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. PAOLO MENGOZZI

présentées le 17 janvier 2013 ( 1 )

Affaire C‑117/10

Commission européenne

contre

Conseil de l’Union européenne

«Aides d’État — Compétence du Conseil — Article 88, paragraphe 2, troisième alinéa, CE — Régimes d’aides existants — Proposition de mesures utiles — Effets — Règlement (CE) no 659/1999 — Aides aux investissements en vue de l’acquisition de terres agricoles en Pologne»

1.  Par le recours q

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CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. PAOLO MENGOZZI

présentées le 17 janvier 2013 ( 1 )

Affaire C‑117/10

Commission européenne

contre

Conseil de l’Union européenne

«Aides d’État — Compétence du Conseil — Article 88, paragraphe 2, troisième alinéa, CE — Régimes d’aides existants — Proposition de mesures utiles — Effets — Règlement (CE) no 659/1999 — Aides aux investissements en vue de l’acquisition de terres agricoles en Pologne»

1.  Par le recours qui fait l’objet de la présente affaire, la Commission européenne demande à la Cour d’annuler la décision 2010/10/CE du Conseil, du 20 novembre 2009, concernant l’octroi d’une aide d’État par les autorités de la République de Pologne en vue de l’acquisition de terres agricoles entre le 1er janvier 2010 et le 31 décembre 2013 ( 2 ) (ci-après la «décision attaquée»).

2.  Dans trois recours parallèles, la Commission a attaqué trois autres décisions du Conseil de l’Union européenne relatives à des aides du même type octroyées par la République de Lituanie (affaire C‑111/10), par la République de Lettonie (affaire C‑118/10) et par la Hongrie (affaire C‑121/10).

3.  Tous ces recours soulèvent la même question délicate: une proposition de mesures utiles formulée par la Commission dans le cadre de l’examen permanent des régimes d’aides existant dans les États membres effectué en vertu de l’article 88, paragraphe 1, CE (ou de l’article 108, paragraphe 1, TFUE pour ce qui concerne les affaires C‑111/10, C‑118/10 et C‑121/10) constitue-t-elle une prise de position définitive de cette institution quant à la compatibilité du régime en question avec le marché
commun, de nature à empêcher le Conseil d’exercer la compétence, qui lui est attribuée par l’article 88, paragraphe 2, troisième alinéa, CE (ou par l’article 108, paragraphe 2, troisième alinéa, TFUE), d’autoriser, si des circonstances exceptionnelles le justifient, une aide en dérogation des dispositions de l’article 87 CE (ou de l’article 107 TFUE) et des autres dispositions applicables?

I – Le cadre juridique

4. Bien qu’elle ait été publiée après l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne, la décision attaquée a été adoptée sur la base des dispositions du traité CE. Il convient donc de se référer à ces dernières dans les présentes conclusions.

5. L’article 88, paragraphe 1, CE dispose:

«La Commission procède avec les États membres à l’examen permanent des régimes d’aides existant dans ces États. Elle propose à ceux-ci les mesures utiles exigées par le développement progressif ou le fonctionnement du marché commun».

6. Le paragraphe 2 de cet article prévoit, aux troisième et quatrième alinéas:

«Sur demande d’un État membre, le Conseil, statuant à l’unanimité, peut décider qu’une aide, instituée ou à instituer par cet État, doit être considérée comme compatible avec le marché commun, en dérogation des dispositions de l’article 87 ou des règlements prévus à l’article 89, si des circonstances exceptionnelles justifient une telle décision. Si, à l’égard de cette aide, la Commission a ouvert la procédure prévue au présent paragraphe, premier alinéa, la demande de l’État intéressé adressée
au Conseil aura pour effet de suspendre ladite procédure jusqu’à la prise de position du Conseil.

Toutefois, si le Conseil n’a pas pris position dans un délai de trois mois à compter de la demande, la Commission statue».

7. En vertu de l’annexe IV, chapitre 4, de l’acte d’adhésion de la République de Pologne à l’Union européenne ( 3 ) (ci-après l’«acte d’adhésion de 2003»), dans la partie relative aux conditions d’application des règles de la concurrence du traité CE:

«Sans préjudice des procédures concernant les régimes d’aides existants prévues à l’article 88 du traité CE, les régimes d’aides et les aides individuelles accordés au titre d’activités de production, de transformation ou de commercialisation de produits figurant dans la liste de l’annexe I du traité CE, à l’exception des produits de la pêche et de leurs dérivés, mis en application dans un nouvel État membre avant la date d’adhésion et toujours applicables après cette date, sont considérés comme
des aides existantes au sens de l’article 88, paragraphe 1, [CE], sous réserve que soient remplies les conditions suivantes:

— les mesures d’aide sont notifiées à la Commission dans un délai de quatre mois à compter de la date d’adhésion. Cette notification comporte des informations sur la base juridique de chaque mesure. […] La Commission publie la liste de ces aides.

Ces mesures d’aide sont considérées comme des aides ‘existantes’ au sens de l’article 88, paragraphe 1, [CE] jusqu’à la fin de la troisième année suivant la date d’adhésion.

Les nouveaux États membres modifient, le cas échéant, ces mesures d’aide afin de se conformer aux orientations données par la Commission, au plus tard à la fin de la troisième année suivant la date d’adhésion. Une fois ce délai écoulé, toute aide jugée incompatible avec ces orientations est considérée comme une aide nouvelle».

8. En vertu de l’article 1er, sous b) et c), du règlement (CE) no 659/1999 du Conseil, du 22 mars 1999, portant modalités d’application de l’article 93 du traité CE ( 4 ) (devenu article 88 CE), tel que modifié par l’acte d’adhésion de 2003, aux fins dudit règlement, on entend par:

«b) ‘aide existante’:

i) sans préjudice […] de l’annexe IV, point 3, et de l’appendice de ladite annexe de l’acte d’adhésion de […] la Pologne […], toute aide existant avant l’entrée en vigueur du traité dans l’État membre concerné, c’est-à-dire les régimes d’aides et aides individuelles mis à exécution avant, et toujours applicables après, ladite entrée en vigueur;

ii) toute aide autorisée, c’est-à-dire les régimes d’aides et les aides individuelles autorisés par la Commission ou le Conseil;

[…]

c) ‘aide nouvelle’: toute aide, c’est-à-dire tout régime d’aides ou toute aide individuelle, qui n’est pas une aide existante, y compris toute modification d’une aide existante;

[…]».

9. Les articles 17 à 19, figurant dans le chapitre V du règlement no 659/1999, définissent la procédure relative aux aides existantes. L’article 17, intitulé «Coopération conformément à l’article [88, paragraphe 1, CE]», au paragraphe 2, prévoit ce qui suit:

«Si la Commission considère qu’un régime d’aides existant n’est pas, ou n’est plus, compatible avec le marché commun, elle informe l’État membre concerné de cette conclusion préliminaire et l’invite à présenter ses observations dans un délai d’un mois. […]».

10. En vertu de l’article 18, intitulé «Proposition de mesures utiles»:

«Si, à la lumière des informations que lui a transmises l’État membre en application de l’article 17, la Commission parvient à la conclusion qu’un régime d’aides existant n’est pas, ou n’est plus, compatible avec le marché commun, elle adresse à l’État membre concerné une recommandation proposant l’adoption de mesures utiles. Cette recommandation peut notamment proposer:

a) de modifier sur le fond le régime d’aides en question, ou

b) d’introduire un certain nombre d’exigences procédurales, ou

c) de supprimer le régime d’aides en question».

11. Enfin, l’article 19 du règlement no 659/1999 définit, aux paragraphes 1 et 2, les effets juridiques d’une proposition de mesures utiles dans les termes suivants:

«1.   Si l’État membre concerné accepte les mesures proposées et en informe la Commission, cette dernière en prend acte et en informe l’État membre. L’État membre est tenu, par cette acceptation, de mettre en œuvre les mesures utiles.

2.   Si l’État membre concerné n’accepte pas les mesures proposées et que la Commission, après examen des arguments qu’il présente, continue de penser que ces mesures sont nécessaires, elle ouvre la procédure visée à l’article 4, paragraphe 4 [ ( 5 )]. Les articles 6, 7 et 9 s’appliquent mutatis mutandis».

12. Les lignes directrices de la Communauté concernant les aides d’État dans le secteur agricole ( 6 ) (ci-après les «lignes directrices agricoles 2000»), venues à échéance le 31 décembre 2006, citaient, au point 4.1.1.5, quatrième tiret, les acquisitions foncières parmi les dépenses éligibles aux aides à l’investissement dans les exploitations agricoles.

13. Le point 29 des lignes directrices de la Communauté concernant les aides d’État dans le secteur agricole et forestier 2007–2013 ( 7 ) (ci-après les «lignes directrices agricoles 2007-2013»), qui ont remplacé, à dater du 1er janvier 2007, les lignes directrices agricoles 2000 ( 8 ), dispose:

«Les aides aux investissements dans les exploitations agricoles seront déclarées compatibles avec l’article 87, paragraphe 3, point c), du traité si elles remplissent toutes les conditions de l’article 4 du règlement (CE) no 1857/2006»[ ( 9 )].

14. L’article 4, paragraphes 1 et 8, du règlement no 1857/2006, auquel renvoie le point 29 des lignes directrices agricoles 2007-2013, prévoit ce qui suit:

«1.   Les aides aux investissements dans les exploitations agricoles, à l’intérieur de la Communauté, en faveur de la production primaire de produits agricoles sont compatibles avec le marché commun au sens de l’article 87, paragraphe 3, point c), [CE], et sont exemptées de l’obligation de notification prévue à l’article 88, paragraphe 3, [CE] si elles remplissent les conditions des paragraphes 2 à 10 du présent article.

[…]

8.   Des aides peuvent être accordées pour l’achat de terres autres que des terrains à bâtir d’un coût ne dépassant pas 10 % des dépenses éligibles de l’investissement».

15. En vertu du point 195 des lignes directrices agricoles 2007-2013, qui figure au chapitre VIII.E, intitulé «Mesures existantes en matière d’aide d’État conformément à l’acte d’adhésion 2003»:

«En ce qui concerne l’évaluation des régimes d’aide et des aides individuelles qui sont considérés comme des aides existantes conformément à l’annexe IV, chapitre 4, point 4, de l’acte d’adhésion 2003, les lignes directrices de la Communauté concernant les aides d’État dans le secteur agricole applicables à la date du 31 décembre 2006 restent applicables jusqu’au 31 décembre 2007 sans préjudice du point 196, à condition que ces aides soient conformes auxdites lignes directrices au plus tard à la
date du 30 avril 2007».

16. Les points 196 à 198 des mêmes lignes directrices, qui figurent au chapitre VIII.F, intitulé «Propositions de mesures utiles», sont rédigés dans les termes suivants:

«196. Conformément à l’article 88, paragraphe 1, [CE], la Commission propose aux États membres de modifier leurs régimes d’aide existants afin de se conformer aux présentes lignes directrices au plus tard le 31 décembre 2007, à l’exception des régimes d’aide existants […] pour des investissements concernant l’acquisition de terres dans des exploitations agricoles, qui doivent être modifiés pour être rendus conformes aux présentes lignes directrices au plus tard le 31 décembre 2009.

197. Les États membres sont invités à confirmer par écrit qu’ils acceptent ces propositions de mesures utiles au plus tard le 28 février 2007.

198. Au cas où un État membre ne confirmerait pas son acceptation par écrit avant cette date, la Commission appliquera l’article 19, paragraphe 2, du règlement (CE) no 659/1999 et, si nécessaire, entamera les procédures mentionnées dans cette disposition».

17. Dans une communication publiée au Journal officiel du 15 mars 2008 ( 10 ), la Commission a pris note, conformément à l’article 19, paragraphe 1, du règlement no 659/1999, de l’«accord explicite et inconditionnel» de la République de Pologne aux propositions de mesures utiles contenues au point 196 des lignes directrices agricoles 2007-2013, que les autorités polonaises ont communiqué par écrit à la Commission le 26 février 2007.

II – Antécédents du litige et décision attaquée

18. En 2004, suivant la procédure prévue à l’annexe IV, chapitre 4, de l’acte d’adhésion de 2003 (évoquée au point 7 ci-dessus), la République de Pologne a notifié à la Commission les mesures qu’elle désirait voir considérer comme des aides existantes au sens de l’article 88, paragraphe 1, CE, jusqu’à la fin de la troisième année suivant l’adhésion. Parmi ces mesures figuraient notamment les mesures suivantes: «Subventions pour le paiement des intérêts des crédits à l’investissement dans le secteur
agricole et agro-alimentaire» et «Vente de terres appartenant à l’agence de la propriété agricole du Trésor avec remboursement échelonné de la somme due et application d’un taux d’intérêt préférentiel» ( 11 ).

19. Par lettre du 30 mai 2005, la Commission a invité les États membres à lui soumettre des propositions visant à simplifier les règles en matière d’aides dans le secteur agricole. Par lettre de juin 2006, commentant le projet de nouvelles lignes directrices que la Commission lui avait envoyé le 19 mai 2006, le gouvernement polonais a demandé à cette dernière de maintenir les aides aux investissements pour l’achat de terres agricoles. Par lettre du 3 novembre 2006, il lui a demandé de modifier le
projet de règlement no 1857/2006 en supprimant son article 4, paragraphe 8 et en incluant l’acquisition de terres agricoles dans les dépenses éligibles aux aides à l’investissement énumérées à l’article 4, paragraphe 4. La République de Pologne avait présenté la même proposition lors de la réunion de la Commission et des États membres du 25 octobre 2006.

20. Par lettre du 21 avril 2009, les autorités polonaises ont demandé à la Commission de modifier le point 196 des lignes directrices agricoles 2007-2013. La Commission a répondu par lettre du 15 mai 2009 en rappelant que la possibilité de maintenir les régimes d’aides existants pour les investissements dans les acquisitions de terres agricoles avait été introduite dans les lignes directrices à titre exceptionnel, pour répondre aux demandes présentées par certains États membres, dont la République
de Pologne, et qu’il ne paraissait pas possible de proroger encore une telle dérogation.

21. Par lettre du 12 juin 2009, adressée à la présidence de l’Union, les autorités polonaises ont demandé que les aides à l’acquisition de terres agricoles en Pologne soient autorisées à titre exceptionnel du 1er janvier 2010 au 31 décembre 2013 au titre de l’article 88, paragraphe 2, troisième alinéa, CE. Une demande du même type a été envoyée le 28 septembre 2009 au Conseil «Agriculture et pêche». La Commission aurait, en diverses occasions, tant au cours de réunions préparatoires du Comité
spécial pour l’agriculture que lors de réunions avec les représentants du gouvernement polonais, manifesté son désaccord sur la mesure demandée et proposé d’autres solutions.

22. Le 20 novembre 2009, le Conseil a adopté à l’unanimité (avec l’abstention de sept délégations) la décision attaquée. L’article 1er de cette décision énonce:

«L’aide exceptionnelle, d’un montant maximal de 400 millions PLN, accordée par les autorités polonaises pour des prêts destinés à l’acquisition de terres agricoles pendant la période allant du 1er janvier 2010 au 31 décembre 2013 est considérée comme compatible avec le marché commun».

23. L’aide déclarée compatible est décrite aux considérants 9 et 10 de la décision attaquée, dans les termes suivants:

«(9) L’aide d’État qu’il est prévu d’accorder s’élève à 400 millions de PLN et devrait permettre la vente de 600000 hectares de terres agricoles entre 2010 et 2013, en vue de créer des exploitations agricoles ou d’étendre des exploitations existantes, afin qu’elles répondent aux critères d’exploitation familiale, c’est-à-dire une superficie allant jusqu’à 300 hectares. Ce dispositif devrait permettre la création d’environ 24000 exploitations d’une superficie supérieure ou égale à la moyenne des
exploitations dans la voïvodie concernée. Le montant moyen de l’aide par exploitation devrait avoisiner 4500 euros. Le prix des terres éligibles ne devrait pas dépasser le prix moyen du marché dans la voïvodie concernée. En ce qui concerne les terres détenues par l’Agence de la propriété agricole du Trésor d’État, il convient de recourir à une procédure d’appel d’offre.

(10) L’aide prendra la forme de subventions pour le paiement des intérêts des crédits. Autrement dit, il s’agira du paiement de la différence entre le taux d’intérêt annuel pratiqué par la banque, qui représente une fois et demie le taux de réescompte appliqué aux lettres de change réescomptées par la Banque nationale de Pologne et le taux d’intérêt réel payé par l’emprunteur, qui atteint au minimum 2 %».

III – La procédure devant la Cour et les conclusions des parties

24. Par requête déposée au greffe de la Cour le 3 mars 2010, la Commission a présenté le recours qui fait l’objet de la présente affaire. Par ordonnance du 9 août 2010, la Hongrie, la République de Lituanie et la République de Pologne ont été admises à intervenir au soutien des conclusions du Conseil.

25. La Commission demande à la Cour d’annuler la décision attaquée et de condamner le Conseil aux dépens. Le Conseil demande à la Cour de rejeter le recours comme non fondé et de condamner la Commission aux dépens. La Hongrie, la République de Pologne et la République de Lituanie demandent à la Cour de rejeter le recours comme non fondé. La République de Pologne soutient aussi les conclusions du Conseil pour ce qui concerne la condamnation de la Commission aux dépens.

IV – Le recours

26. À l’appui de son recours, la Commission soulève quatre moyens fondés respectivement sur l’incompétence du Conseil pour adopter la décision attaquée, sur un détournement de pouvoir, sur une violation du principe de coopération loyale entre les institutions et sur une erreur manifeste d’appréciation. Avant d’examiner ces moyens, il convient de rappeler brièvement la jurisprudence de la Cour sur le rôle de la Commission et du Conseil dans la procédure de contrôle des aides d’État.

A – La jurisprudence de la Cour sur le rôle de la Commission et du Conseil dans la procédure de contrôle des aides d’État

27. La Cour s’est prononcée sur la portée de l’article 88, paragraphe 2, troisième alinéa, CE pour la première fois dans le cadre d’un recours en annulation présenté par la Commission contre deux décisions par lesquelles le Conseil avait approuvé des aides à la distillation de certains vins en Italie et en France ( 12 ). Pour ce qui nous intéresse ici, l’arrêt rendu à cette occasion se distingue en ce que la Cour a jugé implicitement que la compétence que ladite disposition attribue au Conseil ne
disparaît pas lorsque la Commission, dans le cadre d’une décision d’ouverture de la procédure prévue à l’article 88, paragraphe 2, CE, s’est prononcée dans le sens de l’incompatibilité de l’aide autorisée ensuite par le Conseil.

28. La position de la Cour dans le cas où la Commission et le Conseil adoptent des vues inconciliables sur la compatibilité de l’aide en cause a été précisée dans deux arrêts ultérieurs.

29. Dans l’affaire qui a donné lieu au premier de ces arrêts, rendu en assemblée plénière le 29 juin 2004 ( 13 ), la Commission, à l’issue de la procédure prévue à l’article 88, paragraphe 2, CE, avait déclaré incompatibles avec le marché commun certaines mesures d’aide instituées par la République portugaise dans le secteur porcin et avait ordonné leur récupération. À la demande de la République portugaise, le Conseil avait ensuite adopté une décision en vertu de l’article 88, paragraphe 2,
troisième alinéa, CE, déclarant compatible avec le marché commun une aide aux éleveurs de porcs portugais tenus de rembourser les aides en question. La Commission a contesté la compétence du Conseil pour adopter cette décision qui, selon elle, revenait à autoriser les aides qu’elle avait précédemment déclarées incompatibles. Dans son arrêt, la Cour a relevé tout d’abord que l’article 88 CE attribue à la Commission un rôle central pour statuer sur la compatibilité des aides d’État avec le marché
commun, qu’il s’agisse d’examiner des régimes d’aide existants ou d’autoriser des aides à instituer. Elle a observé ensuite qu’il ressort des termes mêmes de l’article 88, paragraphe 2, troisième alinéa, CE, que «cette disposition vise un cas exceptionnel et particulier» ( 14 ) et que le pouvoir attribué au Conseil «revêt manifestement […] un caractère d’exception» ( 15 ). Il s’ensuit, selon la Cour, que, «dès lors qu’une décision constatant l’incompatibilité d’une aide avec le marché commun a
été adoptée par la Commission, le Conseil ne saurait paralyser l’efficacité de cette décision en déclarant lui-même l’aide compatible avec le marché commun sur le fondement de l’article 88, paragraphe 2, troisième alinéa, CE» ( 16 ). La Cour a poursuivi en affirmant que «le Conseil ne saurait davantage mettre en échec l’efficacité d’une telle décision en déclarant compatible avec le marché commun, au titre de ladite disposition, une aide destinée à compenser, au profit des bénéficiaires de
l’aide […] déclarée incompatible par la Commission, les remboursements auxquels ceux-ci sont tenus en application de ladite décision». Elle a jugé que cette interprétation était conforme au principe de la sécurité juridique, dans la mesure où elle «permet d’éviter qu’une même aide d’État fasse l’objet de décisions contraires prises successivement par la Commission et le Conseil» et s’oppose à la remise en cause du «caractère définitif d’une décision administrative, acquis à l’expiration de
délais de recours raisonnables ou par l’épuisement des voies de recours» ( 17 ).

30. Par un arrêt rendu le 22 juin 2006 ( 18 ), la Cour a confirmé ces principes. Le litige portait en l’espèce sur une décision par laquelle le Conseil avait autorisé le Royaume de Belgique à accorder certains avantages fiscaux aux centres de coordination. Le régime fiscal de ces centres avait fait l’objet de diverses prises de position de la Commission, dont une décision d’incompatibilité adoptée en février 2003 au terme de la procédure prévue à l’article 88, paragraphe 2, CE. En avril de la même
année, le gouvernement belge avait notifié à la Commission certaines modifications de la loi instituant les centres de coordination, sur lesquelles une nouvelle procédure formelle d’examen avait été ouverte. Dans le même temps, le Royaume de Belgique s’était adressé au Conseil, qui, le 16 juillet 2003, avait adopté une décision au titre de l’article 88, paragraphe 2, troisième alinéa, CE prorogeant l’application du régime fiscal en question à certains centres de coordination. Après avoir rappelé
l’arrêt du 29 juin 2004, Commission/Conseil, précité, la Cour a relevé que les mesures approuvées par le Conseil coïncidaient avec celles que la Commission avait déclarées incompatibles avec le marché commun dans sa décision de février 2003. Rejetant les arguments du Conseil, qui soutenait que ces mesures constituaient des aides nouvelles, instituées par des dispositions légales nouvelles et concernant un nombre restreint de centres de coordination, faciles à identifier, la Cour a annulé la
décision pour incompétence.

31. Il ressort des précédents rappelés ci-dessus, d’une part, que la répartition des compétences attribuées à la Commission et au Conseil par l’article 88, paragraphe 2, CE se fonde sur le principe de préemption, «en sorte que, dès lors que l’une de ces institutions s’est prononcée sur la compatibilité d’une aide donnée, l’autre ne pourrait dès lors plus adopter de décision au sujet de cette aide» ( 19 ) et, d’autre part, que, dans l’état actuel de la jurisprudence, seule une prise de position
définitive de l’institution qui intervient en premier lieu est considérée comme pouvant faire échec à la compétence de l’autre.

B – Sur le premier moyen tiré de l’incompétence du Conseil

32. Dans son premier moyen, tiré du défaut de compétence du Conseil, la Commission soulève deux griefs distincts. D’une part, elle fait valoir que la décision attaquée a été adoptée au-delà du délai de trois mois prévu à l’article 88, paragraphe 2, quatrième alinéa, CE. D’autre part, elle conteste la compétence du Conseil pour agir au titre de l’article 88, paragraphe 2, troisième alinéa, CE dans les circonstances de l’espèce. Même si la question soulevée par ce dernier grief précède logiquement la
question soulevée par le premier grief, dans mon analyse j’adopterai par commodité l’ordre suivi par la Commission dans ses mémoires.

1. Sur le premier grief du premier moyen, relatif à la violation du délai prévu à l’article 88, paragraphe 2, quatrième alinéa, CE

33. La Commission estime que le Conseil est tenu d’exercer le pouvoir qui lui est attribué par l’article 88, paragraphe 2, troisième alinéa, CE dans un délai de trois mois à dater de la demande de l’État membre concerné. Cette limite temporelle, qui se justifierait par le caractère exceptionnel de la compétence reconnue au Conseil, serait expressément prévue à l’article 88, paragraphe 2, quatrième alinéa, CE. En l’espèce, dans la mesure où la demande de la République de Pologne aurait été présentée
par lettre du 12 juin 2009, la décision attaquée, adoptée le 20 novembre 2009, serait intervenue après l’échéance dudit délai. Le Conseil réplique que la Commission fait une interprétation erronée de l’article 88, paragraphe 2, CE et qu’il ressort de la combinaison des troisième et quatrième alinéas de cette disposition que le délai de trois mois s’applique seulement dans le cas où la demande de l’État membre a été introduite après l’ouverture par la Commission de la procédure prévue à
l’article 88, paragraphe 2, deuxième alinéa, CE.

34. Pour ma part, je considère que la lecture de l’article 88, paragraphe 2, troisième et quatrième alinéas, CE suggérée par le Conseil est correcte. Il est vrai que ce délai de trois mois est prévu dans un alinéa distinct de cet article, ce qui peut laisser penser que la limite temporelle en question serait de valeur générale. Néanmoins, l’homogénéité terminologique entre la seconde phrase du troisième alinéa et le quatrième alinéa («[…] la demande de l’État intéressé adressée au Conseil aura pour
effet de suspendre ladite procédure jusqu’à la prise de position du Conseil» et «[t]outefois, si le Conseil n’a pas pris position») ( 20 ) ainsi que la formulation du dernier membre de phrase du quatrième alinéa («[…] la Commission statue»), qui semble présupposer l’existence d’une procédure déjà ouverte, sont autant d’éléments qui me semblent militer en faveur de l’interprétation avancée par le Conseil ( 21 ). Selon cette lecture, la limite temporelle posée à l’exercice de la compétence
attribuée au Conseil par l’article 88, paragraphe 2, troisième alinéa, CE fait partie intégrante du système établi par le traité afin de prévenir un éventuel conflit de décisions dans le cas où la demande de l’État membre a été présentée après l’ouverture de la procédure prévue à l’article 88, paragraphe 2, deuxième alinéa, CE. Dans cette perspective, le choix d’un délai relativement bref est destiné à contrebalancer l’obligation de suspendre la procédure qui pèse sur la Commission, en
permettant une reprise rapide de cette procédure en cas d’inertie du Conseil.

35. L’interprétation proposée, qui est d’ailleurs implicitement avalisée par la jurisprudence de la Cour ( 22 ), laisse ouverte la question des éventuelles limites temporelles applicables à l’exercice de la compétence en question par le Conseil dans les cas autres que celui que nous venons d’examiner. Il est permis de s’interroger à cet égard sur une éventuelle application par analogie du délai de trois mois prévu à l’article 88, paragraphe 2, quatrième alinéa, CE dans le cas où la Commission
entendrait ouvrir la procédure prévue à l’article 88, paragraphe 2, deuxième alinéa, CE après la présentation par l’État membre concerné d’une demande au titre du troisième alinéa et où la mesure d’aide en question est encore à l’examen au Conseil ( 23 ). Tel n’est toutefois manifestement pas le cas en l’espèce.

36. Il convient néanmoins de considérer que l’exercice de la compétence du Conseil est soumis au respect d’un délai raisonnable en vertu des principes généraux du droit de l’Union. Or, indépendamment de toute autre considération, je ne suis pas d’avis, à la lumière de l’ensemble des circonstances du cas d’espèce, qu’un délai d’environ cinq mois puisse, même en tenant compte du caractère exceptionnel de l’intervention du Conseil, être considéré comme déraisonnable.

37. Sur la base de ce qui précède, le premier grief soulevé par la Commission doit, selon moi, être rejeté.

38. À titre subsidiaire, pour le cas où la Cour estimerait que le délai de trois mois prévu à l’article 88, paragraphe 2, quatrième alinéa, CE serait applicable en l’espèce, le Conseil fait valoir qu’il s’est prononcé dans ledit délai. Soutenu par le gouvernement polonais, il affirme n’avoir été valablement saisi par la République de Pologne que le 28 septembre 2009, date de la lettre envoyée par les autorités polonaises au Conseil «Agriculture et pêche». La demande d’intervention du Conseil au
titre de l’article 88, paragraphe 2, troisième alinéa, CE contenue dans cette lettre aurait remplacé la demande de la même teneur formulée dans la lettre du 12 juin 2009 qui, à la suite d’un échange de correspondance entre le Conseil et les autorités polonaises, aurait été retirée. En conséquence, le Conseil n’aurait pas été en mesure de prendre position sur la lettre du 12 juin 2009, qui n’a été ni distribuée ni inscrite à l’ordre du jour d’une session ou d’une réunion de l’une de ses instances
préparatoires.

39. Sur ce point, il ne me semble ni contesté ni contestable que, tant par son intitulé que par son contenu, la lettre du 12 juin 2009 constitue une demande basée sur l’article 88, paragraphe 2, troisième alinéa, CE. Le Conseil ne nie pas avoir reçu la lettre en question, adressée au président du Conseil «Agriculture et pêche» et accompagnée d’une communication ( 24 ) de la représentation permanente de la Pologne auprès de l’Union européenne, même s’il affirme, sans en tirer aucune conséquence
spécifique, n’en avoir reçu qu’une copie et non l’original ( 25 ). En revanche, ni le Conseil ni le gouvernement polonais ne fournissent de preuve à l’appui de l’allégation selon laquelle la demande contenue dans cette lettre aurait été retirée par les autorités polonaises. Dans ces circonstances, j’estime qu’il faut faire courir le délai de trois mois prévu à l’article 88, paragraphe 2, quatrième alinéa, CE, à le supposer applicable en l’espèce, à partir de la demande formulée dans la lettre du
12 juin 2009 et que, en conséquence, la décision attaquée est intervenue au-delà de ce délai. Enfin, il convient également de rejeter l’argument que le Conseil tire de la circonstance que seule la demande du 28 septembre 2009 a été «traitée» selon le processus décisionnel prévu. En effet, l’éventuelle inertie ou l’éventuel retard du Conseil dans l’ouverture de la procédure interne d’examen est sans incidence sur la date à laquelle commence à courir le délai prévu à l’article 88, paragraphe 2,
quatrième alinéa, CE, qui coïncide avec la date d’introduction de la demande.

2. Sur le second grief du premier moyen, relatif au défaut de compétence du Conseil pour agir au titre de l’article 88, paragraphe 2, troisième alinéa, CE

40. Dans le cadre de ce grief, la Commission fait valoir en substance que la proposition de mesures utiles formulée au point 196 des lignes directrices agricoles 2007-2013, combinée à l’acceptation de cette proposition par la République de Pologne, constitue une «décision» par laquelle la Commission a déclaré incompatible avec le marché commun le régime d’aides autorisé par la décision attaquée pour toute la période d’application desdites lignes directrices, c’est-à-dire jusqu’au 31 décembre 2013.

41. Les débats des parties devant la Cour soulèvent en substance quatre questions. La première consiste à déterminer si, comme le soutient la Commission, contredite par le Conseil et les États membres intervenants, le régime d’aides à l’acquisition de terres agricoles notifié par la République de Pologne en 2004 a conservé le statut d’«aide existante» jusqu’au 31 décembre 2009 et peut dès lors faire l’objet de la proposition de mesures utiles contenue au point 196 des lignes directrices agricoles
2007-2013 [voir infra, sous a)]. La deuxième question concerne le statut du régime d’aides autorisé par la décision attaquée et requiert notamment d’apprécier si, comme l’affirme la Commission, ce régime coïncide avec celui qui a fait l’objet de la proposition de mesures utiles contenue au point 196 des lignes directrices en question ou si, comme l’affirme au contraire le Conseil, soutenu par les États membres intervenants, il constitue une aide nouvelle et différente [voir infra, sous b)]. La
troisième question concerne les effets d’une proposition de mesures utiles acceptée par l’État membre concerné [voir infra, sous c)]. La quatrième question, enfin, requiert de définir la portée de la proposition de mesures utiles formulée au point 196 des lignes directrices agricoles 2007-2013 et de l’acceptation de cette proposition par la République de Pologne [voir infra, sous d)].

a) Sur le statut du régime d’aides à l’acquisition de terres agricoles mis en œuvre par la République de Pologne jusqu’au 31 décembre 2009

42. La thèse de la Commission se fonde sur la prémisse que les mesures d’aide à l’investissement dans l’acquisition de terres agricoles instituées en Pologne avant l’adhésion à la Communauté n’ont jamais cessé de constituer une aide existante au sens de l’article 88, paragraphe 1, CE depuis la date de leur notification à la Commission en 2004 jusqu’au 31 décembre 2009. Le Conseil soutient au contraire que, au sens de l’annexe IV, chapitre 4, point 4, de l’acte d’adhésion de 2003, les régimes d’aides
notifiés par la République de Pologne en 2004 ne pouvaient être considérés comme des aides existantes que jusqu’à la fin de la troisième année après la date d’adhésion. Il fait valoir que la Commission n’était pas habilitée à proroger l’application de ces régimes au moyen d’une proposition de mesures utiles au sens de l’article 88, paragraphe 1, CE, ce qu’elle aurait fait au point 196 des lignes directrices agricoles 2007-2013. En outre, une telle proposition ne pourrait avoir pour effet de
modifier les dispositions du droit primaire, en l’espèce la règle prévue à l’annexe IV de l’acte d’adhésion de 2003.

43. À mon avis, les arguments du Conseil ne sont pas convaincants.

44. L’annexe IV, chapitre 4, point 4, de l’acte d’adhésion de 2003 prévoit que les mesures d’aide au secteur agricole appliquées dans les nouveaux États membres et communiquées à la Commission «sont considérées comme des aides ‘existantes’ au sens de l’article 88, paragraphe 1, [CE] jusqu’à la fin de la troisième année suivant la date d’adhésion» et que, à l’échéance de ce délai, «toute aide jugée incompatible avec [les lignes directrices appliquées par la Commission] est considérée comme une aide
nouvelle». On déduit a contrario de cette disposition que les mesures d’aide compatibles avec les lignes directrices applicables au terme de la période indiquée, c’est-à-dire le 30 avril 2007, ont conservé leur statut d’aides existantes au-delà de cette date.

45. En vertu du point 194 des lignes directrices agricoles 2007-2013, celles-ci s’appliquent à partir du 1er janvier 2007. Le point 195 a toutefois institué un régime spécifique pour les aides considérées comme existantes au sens de l’annexe IV, chapitre 4, point 4, de l’acte d’adhésion de 2003 en prévoyant que les lignes directrices agricoles applicables au 31 décembre 2006, c’est-à-dire celles de 2000, resteraient en vigueur pour l’évaluation de ces aides jusqu’au 31 décembre 2007. En outre, au
point 196 des lignes directrices agricoles 2007-2013, la Commission a accordé à tous les États membres une période transitoire de deux ans, venue à échéance le 31 décembre 2009, pour leur permettre d’adapter progressivement aux nouvelles lignes directrices les régimes d’aides à l’acquisition de terres agricoles prévus par leurs législations respectives.

46. Ainsi que je l’ai indiqué au point 12 des présentes conclusions, les lignes directrices agricoles de 2000, applicables jusqu’au 31 décembre 2007 pour les aides visées au point 195 des lignes directrices agricoles 2007-2013, comprenaient l’acquisition de terres agricoles au nombre des dépenses éligibles aux aides à l’investissement dans les exploitations agricoles. Il s’ensuit que, à l’échéance du terme de trois ans prévu à l’annexe IV, chapitre 4, point 4, de l’acte d’adhésion de 2003, soit le
30 avril 2007, les mesures d’aide à l’acquisition de terres agricoles communiquées par la République de Pologne en 2004 étaient conformes aux lignes directrices qui leur étaient applicables à cette date ( 26 ) et ont, dès lors, conservé leur statut d’aides existantes jusqu’au 31 décembre 2007, date à laquelle elles ne devaient plus être évaluées en fonction des lignes directrices agricoles 2000. Par ailleurs, en application du point 196 des lignes directrices agricoles 2007-2013, ces mesures ont
conservé leur qualification d’aides existantes même après le 31 décembre 2007.

47. Il ressort de ce qui précède que la Commission n’a pas agi en violation des procédures prévues à l’article 88, paragraphes 1 et 2, CE ni modifié des dispositions de droit primaire au moyen des lignes directrices agricoles 2007-2013, comme le soutient le Conseil, en prorogeant au-delà du délai prévu à l’annexe IV de l’acte d’adhésion de 2003 l’application de régimes d’aides qui, à l’échéance de ce délai, auraient dû être considérés comme des aides nouvelles, puisque non conformes aux lignes
directrices applicables. En effet, au point 196 de ces lignes directrices, elle s’est bornée à moduler dans le temps l’application des critères d’évaluation de ces régimes, empêchant de fait que ceux-ci perdent leur qualification d’aides existantes, sans toutefois contrevenir à la disposition déjà citée de l’annexe IV de l’acte d’adhésion de 2003.

48. Il convient donc de conclure que, comme le soutient la Commission, les régimes d’aides à l’acquisition de terres agricoles communiqués par la République de Pologne en 2004 ont conservé leur statut de régimes existants au sens de l’annexe IV, chapitre 4, point 4, de l’acte d’adhésion de 2003 jusqu’au 31 décembre 2009, date prévue au point 196 des lignes directrices agricoles 2007-2013 pour leur mise en conformité avec celles-ci. Il s’ensuit que ces régimes pouvaient bien faire l’objet de mesures
utiles au sens de l’article 88, paragraphe 1, CE et de l’article 18 du règlement no 659/1999.

b) Sur le régime d’aides autorisé par la décision attaquée

49. Le Conseil, soutenu par le gouvernement polonais, fait valoir que le régime d’aides à l’acquisition de terres agricoles approuvé par la décision attaquée doit, en tout état de cause, être considéré comme une «aide nouvelle» car, d’une part, il présente un certain nombre d’éléments qui le distinguent de celui sur lequel la Commission se serait prononcée et, d’autre part, il a perdu sa qualité d’aide existante à partir du 1er janvier 2010, dès lors qu’il n’a pas été modifié par la République de
Pologne pour le 31 décembre 2009.

50. À cet égard, j’observe tout d’abord que, contrairement à ce que semble considérer le Conseil, la seule circonstance que l’aide visée par la décision attaquée doive être qualifiée de «nouvelle» au sens de l’article 1er, sous c), du règlement no 659/1999 ne permet pas de conclure que, en adoptant cette décision, le Conseil serait resté dans les limites de la compétence qui lui est attribuée par l’article 88, paragraphe 2, troisième alinéa, CE. En effet, dans l’arrêt du 29 juin 2004,
Commission/Conseil, précité, la Cour a rejeté un argument analogue du Conseil ( 27 ) et a déclaré, privilégiant une approche fondée sur l’analyse des effets des mesures en cause, que la compétence de cette institution au titre de l’article 88, paragraphe 2, troisième alinéa, CE peut être exclue non seulement à l’égard d’une mesure d’aide que la Commission a déjà déclarée incompatible avec le marché commun, mais aussi à l’égard d’une mesure distincte pouvant être qualifiée d’«aide nouvelle», dès
lors que ces deux mesures sont liées d’une manière tellement indissociable qu’il apparaîtrait artificiel de les distinguer.

51. Cela étant précisé, je relève ensuite qu’il est constant entre les parties que tant le régime d’aides approuvé par le Conseil que celui qui a été notifié par la République de Pologne en 2004 et appliqué comme aide existante jusqu’au 31 décembre 2009 consistent en des subventions au paiement des intérêts sur des prêts destinés à l’acquisition de terres agricoles. J’observe en outre que divers passages des lettres des 12 juin et 28 septembre 2009, adressées par les autorités polonaises au Conseil,
font explicitement référence à la nécessité d’«étendre» ou de «maintenir» jusqu’au 31 décembre 2013 la possibilité pour la République de Pologne d’octroyer des aides à l’acquisition de terres agricoles ( 28 ), ou encore de «continuer à appliquer» ces aides pendant la période 2010-2013 ( 29 ), nécessité que ces autorités avaient déjà fait valoir avec force lors des consultations en vue de l’adoption des lignes directrices agricoles 2007-2013 (voir points 19 et 20 supra).

52. Or, le Conseil et le gouvernement polonais se bornent à relever que le régime approuvé par le Conseil: i) a une autre portée dans le temps que celui couvert par le point 196 des lignes directrices agricoles 2007-2013; ii) concerne d’autres bénéficiaires que ceux qui ont introduit une demande sur la base du précédent régime; iii) est institué par un cadre réglementaire différent, et iv) a été évalué sur la base de circonstances différentes de celles qui prévalaient lors de l’adoption des lignes
directrices agricoles 2007-2013.

53. Pour ce qui concerne le premier des aspects énumérés ci-dessus, j’observe que les pièces du dossier ne montrent pas et que le Conseil ou le gouvernement polonais n’ont pas soutenu que le régime d’aides à l’acquisition de terres agricoles notifié par la République de Pologne en 2004 aurait été institué pour une durée déterminée. Au contraire, les tentatives répétées d’obtenir de la Commission qu’elle insère dans les lignes directrices agricoles 2007-2013 une disposition analogue à celle que
contenaient les lignes directrices antérieures pour ce qui concerne ce type d’aide attestent de la volonté claire des autorités polonaises de maintenir en vigueur le régime en question pour toute la période couverte par les nouvelles lignes directrices et, partant, au-delà de la limite du 31 décembre 2009 imposée par la Commission. Il n’est donc pas correct d’affirmer que le régime notifié par la République de Pologne en 2004 avait une autre portée dans le temps que le régime visé par la
décision attaquée. Je rappelle par ailleurs que, en vertu du point 196 des lignes directrices agricoles 2007-2013, les régimes d’aides à l’acquisition de terres agricoles existant dans les États membres doivent être appliqués conformément aux dispositions de ces lignes directrices à partir du 1er janvier 2010 et jusqu’au 31 décembre 2013. Or, indépendamment des effets d’une telle disposition, qui seront examinés ultérieurement, il ne fait aucun doute que celle-ci concerne des aides destinées à
s’appliquer au cours de la même période que celle qui est prise en considération dans la décision attaquée. En tout état de cause, la Cour a déjà jugé au point 36 de son arrêt du 22 juin 2006, Commission/Conseil, précité, que la circonstance que le régime d’aides approuvé par le Conseil a une portée dans le temps différente de celle du régime déclaré incompatible par la Commission n’a pas forcement d’incidence sur la constatation que la décision du Conseil contredit celle de la Commission.

54. Tout aussi peu pertinente est l’affirmation selon laquelle le régime d’aides visé par la décision attaquée est destiné à d’autres bénéficiaires que ceux qui ont présenté une demande sur la base du régime notifié par la République de Pologne en 2004. En effet, faute d’arguments destinés à démontrer que les aides octroyées dans le cadre de ces régimes le sont en fonction de conditions subjectives différentes, la seule circonstance que ces aides puissent bénéficier concrètement à d’autres personnes
que celles qui ont déjà été admises à en jouir ou même à des personnes qui n’étaient initialement pas des bénéficiaires potentiels mais le sont devenues ensuite, grâce à une modification de leur situation factuelle ou juridique, doit être considérée comme un effet normal de l’application dans le temps d’un régime d’aides. La même considération vaut dans le cas où la réglementation applicable prévoit expressément qu’une personne ayant déjà bénéficié d’une aide ne peut pas présenter de nouvelle
demande d’aide dans le cadre du même régime ( 30 ).

55. Pour ce qui concerne l’allégation selon laquelle les aides approuvées dans la décision attaquée sont octroyées sur la base d’un nouveau cadre juridique national, j’observe, sur la base de recherches que j’ai effectuées, que le règlement du Conseil des ministres du 6 janvier 2010, dont le gouvernement polonais n’indique que les références dans son mémoire en intervention, se borne à préciser certaines dispositions du règlement du Conseil des ministres du 22 janvier 2009, relatif à certaines
missions de l’Agence pour la restructuration et la modernisation de l’agriculture, concernant des cas dans lesquels les aides en question ne peuvent pas être octroyées, parce que le contrat de vente du terrain est conclu entre des personnes unies par des liens de parenté ou de succession. Ce règlement indique par ailleurs le règlement du ministre de l’Agriculture du 19 juin 2007 comme cadre juridique de référence pour le régime juridique des aides dans le secteur agricole ( 31 ). En conséquence,
quand bien même l’acte cité par le gouvernement polonais aurait effectivement introduit en 2010 une modification des modalités d’attribution des aides à l’achat de terres agricoles, il s’agit à l’évidence d’une modification mineure, qui ne remet pas en cause l’affirmation de la Commission selon laquelle ces aides continuent d’être octroyées en vertu d’un cadre juridique substantiellement inchangé par rapport à celui qui était en vigueur au 31 décembre 2009.

56. L’argument fondé sur la constatation que la décision attaquée a été arrêtée sur la base de circonstances qui n’existaient pas au moment où les lignes directrices agricoles 2007-2013 ont été adoptées, dans la mesure où il se réfère aux éléments sur la base desquels la Commission et le Conseil ont effectué leur appréciation, me semble manifestement dépourvu de pertinence pour démontrer que ces institutions se seraient prononcées sur des régimes différents.

57. Pour ce qui concerne, enfin, l’argument selon lequel, à partir du 1er janvier 2010, le régime d’aides à l’acquisition de terres agricoles appliqué en Pologne constituerait une «aide nouvelle», dans la mesure où cet État membre n’a pas mis en œuvre, pour le 31 décembre 2009, les mesures utiles proposées dans les lignes directrices agricoles 2007-2013, je relève qu’une telle qualification, d’une part, est sans incidence sur le régime en tant que tel et, d’autre part, ainsi qu’il est précisé au
point 50 des présentes conclusions, ne suffit pas, en soi, à établir la compétence du Conseil pour adopter la décision attaquée, en particulier dans un cas comme celui de l’espèce où il résulte que le Conseil et la Commission se sont prononcés sur des mesures substantiellement identiques.

58. À la lumière de ce qui précède, il convient de conclure que les arguments avancés par le Conseil et par la République de Pologne ne sont pas de nature à remettre en cause la correspondance substantielle entre, d’une part, le régime d’aides à l’acquisition de terres agricoles en vigueur dans cet État membre et qui fait l’objet de la proposition de mesures utiles au point 196 des lignes directrices agricoles 2007-2013 et, d’autre part, le régime autorisé par la décision attaquée, telle que cette
correspondance apparaît à l’examen du dossier.

59. Il reste donc à vérifier si la Commission a pris une position définitive sur la compatibilité de ce régime avec le marché commun, de nature à faire échec à la compétence du Conseil en vertu de l’article 88, paragraphe 2, troisième alinéa, CE.

c) Sur les effets d’une proposition de mesures utiles acceptée par l’État membre concerné

60. La Commission estime que le point 196 des lignes directrices agricoles 2007-2013, conjointement avec l’acceptation par les États membres des mesures utiles proposées dans cette disposition, produit des effets qui peuvent être assimilés à ceux d’un ensemble de décisions individuelles déclarant incompatibles avec le marché commun, après le 31 décembre 2009, les régimes d’aides à l’acquisition de terres agricoles non conformes à ces lignes directrices. La circonstance qu’il ne s’agit pas de
décisions individuelles n’ôterait rien au fait que la Commission aurait néanmoins arrêté sa position sur la compatibilité de ces régimes, en exerçant son pouvoir d’appréciation au moyen des lignes directrices au lieu de le faire dans chaque cas particulier. En l’espèce, la décision applicable aux régimes d’aides à l’acquisition de terres agricoles existant en Pologne aurait obligé cette dernière à abolir lesdits régimes pour le 31 décembre 2009 et à s’abstenir de les instituer à nouveau après
cette date, et ce jusqu’au 31 décembre 2013. Il s’ensuit, selon la Commission, que, en application des principes dégagés par la Cour dans les arrêts du 29 juin 2004, Commission/Conseil, et du 22 juin 2006, Commission/Conseil, précités (voir points 29 et 30 supra), le Conseil n’était pas compétent pour adopter une décision autorisant à nouveau la République de Pologne à octroyer de telles aides.

61. Le Conseil, soutenu par le gouvernement polonais, réplique que, dans le cas d’espèce, à la différence des affaires mentionnées ci-dessus, la Commission n’a adopté aucune décision d’incompatibilité des mesures d’aide approuvées par la décision attaquée. La Cour aurait par ailleurs précisé, dans son arrêt du 29 février 1996, Commission/Conseil, précité (voir point 27 supra), qu’un simple avis de la Commission sur la compatibilité d’une aide n’est pas de nature à faire échec à la compétence du
Conseil au titre de l’article 88, paragraphe 2, troisième alinéa, CE. Selon le Conseil, la Commission n’aurait pas pris position, que ce soit sous la forme d’une décision ou d’un simple avis, sur la compatibilité des régimes d’aides à l’acquisition de terres agricoles applicables en Pologne du 1er janvier 2010 au 31 décembre 2013. Le point 196 des lignes directrices agricoles 2007-2013, lu en combinaison avec le point 29 des mêmes lignes directrices, impliquerait seulement que, à partir du
1er janvier 2010, toute aide à l’acquisition de terres agricoles doit être considérée comme une aide nouvelle dont la compatibilité doit être évaluée sur la base des articles 87 CE et 88 CE si elle ne bénéficie pas d’une exemption au titre du règlement no 1857/2006.

62. Je relève pour ma part que l’article 88 CE, comme l’actuel article 108 TFUE, attribuait à la Commission une compétence générale pour statuer sur la compatibilité des aides d’État avec le marché commun, qu’il s’agisse d’examiner des régimes d’aides existants ou d’autoriser des aides à instituer. Dans l’exercice de cette compétence, en vertu du paragraphe 1 de cette disposition, la Commission procédait, en collaboration avec les États membres, à l’examen permanent des régimes d’aides existants.

63. Les modalités de cet examen sont définies, dans leurs grandes lignes, aux articles 17 à 19 du règlement no 659/1999, selon le schéma suivant: si la Commission considère qu’un régime d’aides existant n’est pas ou n’est plus compatible avec le marché intérieur, elle propose à l’État membre concerné les mesures nécessaires pour remédier aux problèmes constatés, y compris, le cas échéant, l’abolition du régime et, dans le cas où l’État membre n’accepte pas ces mesures, elle ouvre la procédure
d’enquête formelle prévue à l’article 88, paragraphe 2, CE.

64. L’examen permanent des régimes d’aides existants, tout comme l’examen des projets tendant à instituer ou à modifier des aides prévu à l’article 88, paragraphe 3, CE, comporte donc deux phases, dont la seconde n’est qu’éventuelle. Toutefois, alors que, dans le cas d’aides nouvelles, sauf retrait de la notification par l’État membre concerné, la Commission est tenue d’ouvrir la procédure formelle d’examen si elle éprouve des doutes sérieux sur la compatibilité de l’aide notifiée avec le marché
intérieur ou est convaincue de son incompatibilité, dans le cas des aides existantes, cette procédure n’est ouverte que si, et dans la mesure où, l’État membre intéressé n’accepte pas les mesures recommandées. En effet, l’acceptation par l’État membre concerné oblige celui-ci, conformément à l’article 19, paragraphe 1, du règlement no 659/1999, à mettre en œuvre ces mesures, sans qu’il soit nécessaire pour la Commission d’adopter une décision contraignante à son égard. Dans le cadre de l’examen
des aides existantes, l’ouverture de la procédure formelle d’examen a donc pour objectif essentiel de donner un caractère contraignant au constat d’incompatibilité sur la base duquel la Commission a recommandé les mesures utiles, en soi dépourvu d’un tel caractère faute d’accord de l’État membre concerné ( 32 ).

65. Dans le cas d’espèce, étant donné que la République de Pologne a accepté la proposition de mesures utiles formulée au point 196 des lignes directrices agricoles 2007-2013, la Commission n’avait pas besoin d’ouvrir la procédure au titre de l’article 88, paragraphe 2, CE. Il est néanmoins constant que les autorités polonaises n’ont pas mis ces mesures en œuvre et ont, au contraire, saisi le Conseil afin d’obtenir une décision sur la base de l’article 88, paragraphe 2, troisième alinéa, CE. Dans
ces circonstances, il convient donc de déterminer quelles sont les conséquences d’une éventuelle violation de l’obligation, pesant sur les États membres en vertu de l’article 19, paragraphe 1, du règlement no 659/1999, de mettre en œuvre les mesures recommandées par la Commission et acceptées par ceux-ci. Il faut notamment déterminer si, comme le soutiennent le Conseil et le gouvernement polonais, la Commission était tout de même tenue, dans ces circonstances, d’ouvrir la procédure formelle
d’examen. En cas de réponse affirmative, la violation de l’obligation prévue à l’article 19, paragraphe 1, du règlement no 659/1999 serait assimilée à la non-acceptation des mesures recommandées et la prise de position de la Commission sur l’incompatibilité du régime en cause ne pourrait pas être considérée comme définitive. Les effets d’une proposition de mesures utiles que l’État membre aurait initialement acceptées, mais auxquelles il n’aurait pas donné suite, ne seraient donc pas
dissemblables de ceux d’une décision d’ouverture de la procédure formelle d’examen relative à un projet d’aides considéré prima facie comme incompatible avec le marché commun, décision qui, en soi, selon la Cour, n’est pas de nature à faire échec au pouvoir attribué au Conseil par l’article 88, paragraphe 2, troisième alinéa, CE ( 33 ). En cas de réponse négative, en revanche, une proposition de mesures utiles acceptée par l’État membre produirait les mêmes effets ou des effets analogues à ceux
d’une décision d’incompatibilité adoptée sur la base de l’article 88, paragraphe 2, premier alinéa, CE ( 34 ) et la jurisprudence rappelée aux points 29 et 30 des présentes conclusions pourrait donc être transposée au cas d’espèce.

66. La lettre de l’article 19 du règlement no 659/1999 ne donne pas d’indication permettant de conclure en faveur d’une solution ou de l’autre. En particulier, le paragraphe 2 de cet article, dans la mesure où il vise de manière générale le cas dans lequel l’État membre «n’accepte pas les mesures proposées par la Commission», ne permet pas d’exclure a priori qu’il s’applique aussi dans le cas où le refus intervient après que l’État membre a, dans un premier temps, accepté ces mesures. Toutefois, la
subdivision de cet article en deux paragraphes distincts, dont chacun régit un cas spécifique (acceptation de la proposition au paragraphe 1 et refus de celle-ci au paragraphe 2), offre un argument structurel en faveur de la thèse selon laquelle l’ouverture de la procédure formelle d’examen n’est nécessaire que dans le cas où l’État membre et la Commission sont depuis le début en désaccord sur les mesures à mettre en œuvre. La jurisprudence de la Cour offre d’autres éléments en faveur de cette
thèse. Dans son arrêt IJssel-Vliet ( 35 ), rappelant un arrêt rendu antérieurement dans l’affaire CIRFS e.a./Commission ( 36 ), elle a reconnu la valeur contraignante, à l’égard du Royaume des Pays-Bas, de règles en matière d’octroi d’aides dans le secteur de la pêche contenues dans des lignes directrices adoptées par la Commission sur la base de l’article 93, paragraphe 1, du traité CEE, élaborées en coopération avec cet État membre et expressément acceptées par celui-ci. Pour parvenir à cette
conclusion, la Cour a en particulier mis l’accent sur le «cadre de coopération» établi par la Commission et le gouvernement néerlandais, qui entraînait des obligations dont ni l’une ni l’autre ne pouvait s’affranchir unilatéralement ( 37 ).

67. En partant de cette jurisprudence, j’estime que c’est précisément le cadre particulier de la coopération entre la Commission et les États membres, voulue et même imposée par le traité lui-même, qui constitue la clef d’interprétation de tout le système de suivi et d’examen des régimes d’aides existants. En effet, c’est en vertu de ce cadre que la Cour, d’abord, et le législateur, ensuite, ont reconnu la valeur contraignante, dans le cadre de ce système, de l’acte qui constitue la matérialisation
de cette coopération. C’est donc en vertu de ce même contexte que, selon moi, la Commission doit être considérée comme habilitée à agir en manquement contre l’État membre qui n’exécute pas l’obligation, à laquelle il s’est volontairement assujetti, de mettre en œuvre les mesures qu’elle a proposées ( 38 ). En effet, il ne serait pas cohérent avec les effets reconnus à une proposition de mesures utiles acceptée par l’État membre destinataire d’affirmer que le seul remède dont dispose la
Commission en pareil cas serait d’ouvrir la procédure prévue à l’article 88, paragraphe 2, CE, ce qui permettrait d’ailleurs à l’État membre en question, malgré l’obligation qu’il a précédemment assumée, de continuer à accorder des aides sur la base du régime existant pendant toute la durée de cette procédure.

68. Il convient de rappeler, d’autre part, que la Commission arrête sa proposition de mesures utiles au terme d’un examen du régime en question et que, en vertu de l’article 18 du règlement no 659/1999, cette proposition suppose le constat préalable de l’incompatibilité avec le marché commun du régime, tel qu’appliqué par l’État membre concerné. Dans le cas où ces mesures requièrent la modification de certains aspects du régime en question, elles constituent la correction que la Commission estime
nécessaire pour autoriser l’État membre à continuer d’octroyer les aides sur la base du régime existant. Il s’ensuit que lorsque, à la suite de l’acceptation des mesures utiles, la Commission clôt la procédure d’examen, elle a formellement pris position sur le régime en question. Cette prise de position va dans le sens de la compatibilité du régime en question pour autant que l’État membre concerné mette en œuvre les mesures proposées et dans le sens de son incompatibilité si, à l’inverse, il ne
les met pas en œuvre ( 39 ).

69. Sur la base des motifs qui précèdent, je considère donc que, si l’État membre s’engage à mettre en œuvre les mesures utiles proposées par la Commission, la prise de position de cette institution sur la compatibilité du régime d’aides en cause acquiert un caractère définitif et que, en cas de manquement à cette obligation, le régime en cause doit être considéré comme incompatible avec le marché intérieur ( 40 ).

70. Affirmer qu’une proposition de mesures utiles acceptée par l’État membre concerné constitue une prise de position définitive de la Commission sur la compatibilité du régime d’aides en cause soulève aussi la délicate question du caractère attaquable de cet acte au sens de l’article 230 CE (devenu article 263 TFUE). Si le droit des personnes lésées par cette prise de position d’en demander et d’en obtenir l’annulation semble logiquement découler de sa nature d’acte produisant des effets
juridiquement contraignants, on ne peut cependant négliger la circonstance que ces effets naissent du fait d’un tiers (l’acceptation par l’État membre), sur lequel la Commission n’a aucune influence, tandis que le seul acte émanant directement d’elle-même (la proposition de mesures utiles) constitue une recommandation et est, en soi, dépourvue de caractère contraignant ( 41 ).

71. J’estime à cet égard que la procédure prévue aux articles 18 et 19 du règlement no 659/1999 doit être considérée dans son ensemble et dans le contexte particulier de la coopération entre la Commission et l’État membre voulue par le traité, sur laquelle, comme je l’ai déjà dit, repose tout le système de contrôle des régimes d’aides existants. Dans le cadre de cette procédure, la proposition de mesures utiles adressée par la Commission à l’État membre ne lie pas ce dernier, qui reste libre de
l’accepter et de s’engager à mettre ces mesures en œuvre ou de la refuser et de s’exposer à une procédure au titre de l’article 88, paragraphe 2, CE. Toutefois, en vertu de l’article 19, paragraphe 1, du règlement no 659/1999, l’acceptation par l’État membre est un acte réceptice, c’est-à-dire qu’elle ne produit pas d’effet si elle n’a pas été communiquée à la Commission et si cette dernière n’en a pas formellement pris acte et informé à son tour l’État membre ( 42 ). La force obligatoire de la
proposition de mesures utiles résulte donc, en dernière instance, d’un acte de la Commission ( 43 ). En d’autres termes, à la suite de l’acceptation par l’État membre concerné, de la prise d’acte de cette acceptation par la Commission et de la communication y afférente à l’État membre, la proposition de mesures utiles cesse de constituer une simple recommandation, c’est-à-dire un acte dépourvu par nature de force obligatoire ( 44 ) et qui, en conséquence, n’est pas attaquable ( 45 ), pour
commencer à produire les mêmes effets qu’une décision ( 46 ). Les personnes lésées par cet acte (les bénéficiaires des aides, les concurrents de ceux-ci, les collectivités territoriales qui octroient les aides, etc.) doivent dès lors être mises en mesure de présenter un recours juridictionnel dans les conditions prévues à l’article 230, quatrième alinéa, CE. La Cour semble être allée dans ce sens dans son arrêt Allemagne/Commission, précité ( 47 ), tandis que le Tribunal a récemment affirmé de
manière expresse ( 48 ) qu’une proposition de mesures utiles acceptée par un État membre était un acte attaquable au titre de l’article 230, quatrième alinéa, CE.

72. Sur la base de l’ensemble des considérations qui précèdent, je suis d’accord avec la thèse de la Commission selon laquelle une proposition de mesures utiles acceptée par l’État membre auquel elle est destinée constitue une prise de position définitive de la Commission sur la compatibilité du régime d’aides en question, qui produit des effets juridiques analogues à ceux d’une décision. Un tel acte est donc susceptible, en vertu de la jurisprudence de la Cour rappelée aux points 29 et 30 des
présentes conclusions, d’empêcher qu’une décision en sens contraire soit adoptée sur la base de l’article 88, paragraphe 2, troisième alinéa, CE.

73. Il convient à ce stade de définir la portée, d’une part, de la prise de position sur la compatibilité des aides à l’acquisition de terres agricoles adoptée par la Commission dans le cadre de la proposition de mesures utiles contenue au point 196 des lignes directrices agricoles 2007-2013 et, d’autre part, des obligations que la République de Pologne a assumées en acceptant cette proposition. L’éventuelle constatation de l’incompétence du Conseil pour adopter la décision attaquée dépend en effet
du résultat de ce double examen.

d) Sur la portée des mesures utiles contenues au point 196 des lignes directrices agricoles 2007-2013 et de l’acceptation de la République de Pologne

74. Les lignes directrices agricoles 2007-2013 fixent les critères auxquels la Commission entend se référer pour évaluer les aides dans le secteur agricole pendant la période du 31 décembre 2007 au 31 décembre 2013. Pour ce qui concerne les aides aux investissements dans les exploitations agricoles, le point 29 de ces lignes directrices prévoit qu’elles seront déclarées compatibles avec le marché intérieur si elles remplissent toutes les conditions de l’article 4 du règlement no 1857/2006. Celui-ci
dispose, au paragraphe 8, que des aides «peuvent être accordées pour l’achat de terres autres que des terrains à bâtir d’un coût ne dépassant pas 10 % des dépenses éligibles de l’investissement». Il est donc vrai, comme le soutient la Commission, que les lignes directrices agricoles 2007-2013 prennent position dans le sens de l’incompatibilité de principe des aides à l’investissement pour l’acquisition de terres agricoles qui ne sont pas conformes à l’article 4, paragraphe 8, du règlement
no 1857/2006. Toutefois, dans le cas de nouveaux régimes d’aides et d’aides individuelles nouvelles, cette prise de position ne peut pas être considérée en soi comme définitive, dès lors que la Commission est tenue, en vertu du point 183 des lignes directrices, de constater et déclarer l’incompatibilité de ces aides au moyen de la procédure d’examen prévue à l’article 88 CE. Il ne paraît donc pas correct d’affirmer, comme semble le faire la Commission dans certains passages des mémoires qu’elle
a déposés devant la Cour, que les susdites lignes directrices «déclarent» incompatibles avec le marché commun, à partir du 31 décembre 2007 et jusqu’au 31 décembre 2013, toutes les aides aux investissements pour l’acquisition de terres agricoles qui ne leur sont pas conformes. De ce point de vue, les arguments du Conseil, selon lesquels adopter cette thèse reviendrait à reconnaître à la Commission un pouvoir réglementaire dérogeant à la procédure prévue à l’article 88 CE, doivent être suivis.

75. Pour ce qui concerne les régimes d’aides à l’acquisition de terres agricoles existant à la date d’adoption des lignes directrices 2007-2013, le point 196 de celles-ci propose aux États membres de les y rendre conformes pour le 31 décembre 2009. Le fondement de cette proposition est la prise de position qui figure au point 29 des lignes directrices, en vertu de laquelle de telles aides sont incompatibles avec le marché commun si elles ne remplissent pas les conditions prévues à l’article 4,
paragraphe 8, du règlement no 1857/2006. En l’espèce, il est constant que la République de Pologne a communiqué à la Commission son accord pour mettre en œuvre les mesures utiles recommandées, accord que la Commission a publié, dans les formes prévues à l’article 26, paragraphe 1, du règlement no 659/1999, dans les termes suivants:

«En vertu du point 196 des lignes directrices de la Communauté concernant les aides [agricoles] 2007-2013, les États membres doivent modifier leurs régimes d’aide existants afin de se conformer aux lignes directrices au plus tard le 31 décembre 2007, à l’exception des régimes d’aide existants […] pour des investissements concernant l’acquisition de terres dans des exploitations agricoles, qui doivent être modifiés pour être rendus conformes aux lignes directrices au plus tard le 31 décembre
2009.

Le point 197 de ces mêmes lignes directrices invite les États membres à confirmer par écrit qu’ils acceptent ces propositions de mesures utiles au plus tard le 28 février 2007.

La nécessité d’accepter les mesures utiles précitées a été rappelée aux États membres dans une lettre de la Commission du 29 janvier 2007.

Les États membres suivants ont communiqué par écrit leur accord explicite et inconditionnel aux mesures utiles proposées: […]

Pologne: 26 février 2007 […]

En vertu de l’article 19, paragraphe 1, du règlement (CE) no 659/1999, la Commission prend acte de l’accord explicite et inconditionnel des États membres figurant dans la liste ci-dessus, sur les mesures utiles qu’elle a proposées».

76. Contrairement à ce que soutient le Conseil, le contenu et la portée de l’engagement ainsi pris par la République de Pologne ressortent clairement de la lecture combinée du point 196 des lignes directrices agricoles 2007-2013 avec le point 29 du même acte et avec l’article 4, paragraphe 8, du règlement no 1857/2006: cet État membre était tenu de modifier ses régimes existants d’aides aux investissements pour l’acquisition de terres agricoles en supprimant la possibilité de subventionner
l’acquisition de terres agricoles au-delà de la limite prévue à l’article 4, paragraphe 8, du règlement no 1857/2006.

77. En maintenant ces régimes en vigueur sans les modifier, la République de Pologne a violé cet engagement.

e) Conclusions sur la compétence du Conseil pour adopter la décision attaquée

78. Il découle de l’ensemble des considérations qui précèdent que, en autorisant des mesures d’aide qui correspondent en substance avec celles que la République de Pologne avait accepté de supprimer, le Conseil a non seulement, dans les faits, délié l’État membre de l’obligation qu’il avait assumée envers la Commission, légitimant ainsi la violation d’un accord conclu en application de l’article 88, paragraphe 1, CE, mais a aussi adopté une décision ouvertement contraire à la position définitive
prise par la Commission au point 196 des lignes directrices agricoles 2007-2013 pour ce qui concerne la compatibilité de ces mesures avec le marché commun.

79. Dans ces circonstances, je suggère à la Cour de faire droit au second grief du premier moyen et de déclarer, en application de la jurisprudence rappelée aux points 29 et 30 des présentes conclusions, que le Conseil n’était pas compétent pour adopter la décision attaquée. Le recours de la Commission doit donc, à mon avis, être accueilli et la décision attaquée, annulée. Je procéderai à l’examen des autres moyens soulevés par la Commission pour le cas où la Cour ne partagerait pas la solution que
je suggère.

C – Sur les deuxième et troisième moyens tirés respectivement du détournement de pouvoir et de la violation de l’obligation de coopération loyale

80. Dans son deuxième moyen, la Commission affirme en substance que, en autorisant des mesures d’aide déclarées incompatibles avec le marché commun au point 196 des lignes directrices agricoles 2007-2013, le Conseil a utilisé la compétence qui lui est attribuée par l’article 88, paragraphe 2, troisième alinéa, CE à des fins autres que celles qui sont prévues par le traité. En effet, cette disposition habiliterait le Conseil à déclarer compatible avec le marché commun, dans des circonstances
exceptionnelles, une aide que la Commission ne serait pas en mesure d’autoriser, mais n’attribuerait pas à cette institution le pouvoir de neutraliser l’évaluation effectuée par la Commission sur la compatibilité d’une aide dans un acte ayant force obligatoire.

81. Je me borne à relever à cet égard que le moyen en question se fonde sur la même prémisse que le premier moyen, à savoir que le point 196 des lignes directrices agricoles 2007-2013, combiné à l’acceptation par la République de Pologne des mesures utiles qui y sont formulées, constitue une prise de position définitive et contraignante de la Commission sur la compatibilité avec le marché commun de mesures substantiellement identiques à celles qui font l’objet de la décision attaquée. En
conséquence, si, comme je l’ai suggéré, la Cour considère que cette prémisse est correcte, le moyen tiré du détournement de pouvoir serait absorbé par le premier moyen, tiré de l’incompétence du Conseil, tandis que, dans le cas contraire, il devrait être déclaré non fondé pour les motifs qui seraient à la base du rejet du premier moyen.

82. Dans son troisième moyen, la Commission fait valoir que, en adoptant la décision attaquée, le Conseil a délié la République de Pologne de l’obligation de coopération qui lui incombe dans le cadre de l’examen permanent des régimes d’aides existants prévu à l’article 88, paragraphe 1, CE et de l’engagement qu’elle avait pris en acceptant les mesures utiles recommandées par la Commission. Le Conseil serait ainsi allé à l’encontre de l’équilibre institutionnel instauré par le traité en empiétant sur
les compétences que celui-ci attribue à la Commission. Le Conseil considère que ce moyen n’est pas fondé et, à son tour, reproche à la Commission d’avoir violé l’obligation de coopération loyale en s’abstenant de soulever la prétendue incompétence du Conseil lors des réunions du Conseil «Agriculture et pêche» consacrées à la demande de la République de Pologne et en suggérant à cette dernière, dans une lettre du 15 mai 2009, de s’adresser au Conseil en vertu de l’article 88, paragraphe 2,
troisième alinéa, CE.

83. Ce moyen ne me semble être autonome par rapport au premier moyen que dans la mesure où les arguments de la Commission sont interprétés en ce sens qu’ils imputent au Conseil une violation du principe de coopération loyale consistant à ne pas s’être abstenu, dans les circonstances de l’espèce, d’adopter un acte relevant des compétences qui lui sont attribuées par le traité. Or, à première vue, il ne me semble pas que l’obligation de coopération loyale entre institutions ( 49 ) ou le principe de
l’équilibre institutionnel, sur la base desquels doit se dérouler le dialogue interinstitutionnel au sein du système décisionnel de l’Union, puissent imposer à une institution de ne pas exercer, sans en dépasser les limites, une compétence qui lui est propre, qui est de caractère exceptionnel et déroge aux règles qui régissent la matière en question, pour permettre à l’institution à laquelle est attribuée une compétence générale en cette matière de l’exercer. En l’espèce, conclure le contraire
reviendrait en substance à fixer de nouvelles limites à la compétence attribuée au Conseil par l’article 88, paragraphe 2, troisième alinéa, CE par rapport à celles qui sont prévues par le traité et que la Cour a précisées dans sa jurisprudence.

84. En revanche, je suis d’accord avec la Commission lorsqu’elle dit que sa suggestion faite à la République de Pologne de présenter une demande au titre de l’article 88, paragraphe 2, troisième alinéa, CE ainsi que le comportement de ses fonctionnaires au cours de la procédure devant le Conseil ne constituent pas une violation de l’obligation de coopération loyale et, en tout état de cause, ne peuvent pas être invoqués par le Conseil comme éléments justifiant la violation de cette obligation qui
lui est reprochée par la Commission.

D – Sur le quatrième moyen, tiré de l’erreur manifeste d’appréciation quant à l’existence de circonstances exceptionnelles et de la violation du traité et des principes généraux du droit communautaire

85. Dans le cadre de son quatrième moyen, la Commission soulève en substance deux griefs. Elle fait valoir, en premier lieu, que la décision attaquée est entachée d’une erreur manifeste d’appréciation en ce que les circonstances invoquées pour justifier les mesures d’aide autorisées n’ont pas de caractère exceptionnel. En deuxième lieu, elle soutient que ces mesures sont disproportionnées par rapport aux objectifs poursuivis, étant donné en particulier la durée de l’autorisation accordée.

86. J’observe à titre préliminaire que, comme le souligne la Commission elle-même en rappelant l’arrêt du 29 février 1996, Commission/Conseil, précité, dans l’application de l’article 88, paragraphe 2, troisième alinéa, CE, le Conseil jouit d’un large pouvoir d’appréciation qui justifie que le contrôle juridictionnel se limite à vérifier si son exercice n’est pas entaché «d’une erreur manifeste ou d’un détournement de pouvoir ou si l’autorité en question n’a pas manifestement dépassé les limites de
son pouvoir d’appréciation» ( 50 ). Pour ce qui concerne plus précisément le contrôle de la Cour au regard du principe de proportionnalité, compte tenu du caractère exceptionnel et dérogatoire de la compétence en question ainsi que du large pouvoir d’appréciation reconnu aux institutions de l’Union dans le cadre de la politique agricole commune ( 51 ), en particulier lorsqu’elles sont appelées à effectuer des appréciations d’ordre économique, politique et social et à concilier les différents
objectifs assignés par le traité à cette politique, j’estime, comme cela ressort par ailleurs déjà de l’arrêt du 29 février 1996, Commission/Conseil, précité ( 52 ), que le contrôle de la Cour doit se limiter en l’espèce à l’examen du caractère manifestement inapproprié de la mesure approuvée au regard de l’objectif que le Conseil entendait poursuivre.

87. Quant à la notion de «circonstances exceptionnelles» au sens de la disposition en cause, j’estime correcte l’interprétation qu’en donne la Commission, selon laquelle un problème structurel, et non simplement conjoncturel, ne peut pas, à tout le moins considéré isolément, constituer, par sa nature même, une telle circonstance. Pour utiliser les termes employés par l’avocat général Cosmas dans ses conclusions dans l’affaire Commission/Conseil, précitée, la notion de circonstances exceptionnelles
«comprend l’idée de l’extraordinaire et de l’imprévu ou, à tout le moins, du non permanent, du non continu et, évidemment, de ce qui s’écarte du régulier».

1. Sur le premier grief, relatif à une erreur manifeste d’appréciation quant à l’existence de circonstances exceptionnelles au sens de l’article 88, paragraphe 2, troisième alinéa, CE

88. Dans le cadre de ce grief, la Commission fait valoir, en premier lieu, que la décision attaquée présente erronément comme des circonstances exceptionnelles certains problèmes structurels du secteur agricole en Pologne. À cet égard, tout d’abord, je suis d’accord avec la Commission pour considérer que les éléments auxquels se réfère le Conseil au considérant 2 de la décision attaquée, à savoir la «structure défavorable des exploitations agricoles polonaises», le «faible niveau des paiements
directs que la Pologne reçoit dans le cadre du mécanisme d’introduction progressive prévu dans l’acte d’adhésion de 2003» et la circonstance que «les revenus des agriculteurs sont peu élevés» ( 53 ), ne constituent pas en tant que tels des circonstances exceptionnelles au sens de l’article 88, paragraphe 2, troisième alinéa, CE. D’une part, en effet, ces éléments se bornent à décrire la structure de l’économie agraire polonaise (taille réduite des exploitations agricoles, faible niveau des
revenus); d’autre part, ils concernent l’application d’instruments de soutien direct ( 54 ) prévus par des actes institués lors de l’adhésion à l’Union de l’État membre concerné. La nature non conjoncturelle de ces éléments implique qu’ils sont dépourvus du nécessaire caractère exceptionnel ( 55 ). En revanche, je ne suis pas convaincu qu’il soit permis de conclure dans le même sens pour ce qui concerne le dernier des éléments mentionnés au considérant 2 de la décision attaquée, à savoir le
«recul de 10 % du taux de change de l’euro [qui] a entraîné une baisse de la valeur des paiements aux agriculteurs» en réduisant davantage le niveau de revenu des agriculteurs polonais en 2008. L’affirmation de la Commission, selon laquelle les fluctuations des taux de change des monnaies nationales par rapport à l’euro sont un phénomène normal qui touche tous les États membres qui n’ont pas encore adopté l’euro, ne me paraît pas suffisante en soi pour exclure que de telles fluctuations
puissent, conjuguées à d’autres facteurs, concourir à créer une conjoncture exceptionnellement défavorable dans un secteur déterminé ( 56 ). Par ailleurs, le fait qu’une situation déterminée puisse concerner plusieurs États membres en même temps ou, le cas échéant, concerner d’autres secteurs de l’économie n’exclut pas que cette situation puisse constituer une circonstance pertinente pour l’application de l’article 88, paragraphe 2, troisième alinéa, CE ( 57 ). De même, il ne me paraît pas
possible d’exclure a priori que l’élément mentionné au considérant 6 de la décision attaquée, à savoir l’augmentation du chômage dans les zones rurales en 2009, soit de caractère exceptionnel, surtout si l’on considère que, comme le relève la Commission elle-même, la période précédente (2003-2007) avait été marquée par une tendance inverse. En outre, comme le souligne le Conseil, les données statistiques annexées à la requête montrent qu’une augmentation particulièrement significative (de
24,6 %) du taux de chômage dans les zones rurales a été enregistrée entre le troisième trimestre de 2008 et le troisième trimestre de 2009. Ni la remarque que le niveau de chômage dans les zones rurales en Pologne ne semble pas particulièrement élevé en comparaison de la moyenne de l’Union ni l’affirmation qu’il s’agit d’un phénomène de caractère structurel ne me paraissent décisives à cet égard.

89. Il est plus difficile d’évaluer l’importance du facteur indiqué au considérant 7 de la décision attaquée, c’est-à-dire que le prix des terres agricoles en Pologne a connu depuis 2007 une augmentation forte et continue. En effet, si les chiffres fournis par la Commission montrent une tendance constante à l’augmentation des prix des terres agricoles depuis 2003, le phénomène paraît toutefois plus marqué à partir de la période indiquée par le Conseil (2007), sans toutefois atteindre des niveaux
pouvant être qualifiés d’exceptionnels. La considération de la Commission selon laquelle cette augmentation dépend d’un facteur structurel, à savoir la rareté des terres agricoles mises en vente et, partant, une offre incapable de satisfaire la demande, ne me paraît pas revêtir une importance décisive s’il est effectivement démontré que la tendance à l’augmentation des prix s’est intensifiée à partir de 2007.

90. En deuxième lieu, dans le cadre du présent grief, la Commission soutient que le Conseil aurait erronément présenté comme une circonstance exceptionnelle l’«évolution des conditions du marché». J’observe à ce propos que, pour ce qui concerne, en particulier, l’augmentation des «prix des intrants agricoles» ( 58 )en 2009, mentionnée au considérant 4 de la décision attaquée, la Commission se borne en substance à observer que les coûts de ces intrants ont augmenté pour tous les États membres. Or,
comme j’ai déjà eu l’occasion de le souligner, une telle remarque ne suffit pas, en soi, à priver une circonstance déterminée de son caractère exceptionnel, compte tenu des conséquences particulières que cette circonstance a pu produire dans un État membre donné. Pour ce qui concerne les circonstances mentionnées aux considérants 3 et 5 de la décision attaquée, à savoir la récession due à la crise économique et les «inondations dans 11 voïvodies (sur un total de 16 voïvodies)» ( 59 ), la
Commission elle-même semble affirmer qu’elles peuvent en principe constituer des circonstances exceptionnelles.

91. Si l’examen qui a été effectué jusqu’ici révèle que certains des facteurs invoqués dans la décision attaquée sont dépourvus, en soi, de caractère exceptionnel, cela ne suffit pas, à mon avis, pour démontrer l’existence d’une erreur manifeste d’appréciation sur l’existence de circonstances justifiant l’exercice du pouvoir attribué au Conseil par l’article 88, paragraphe 2, troisième alinéa, CE. L’approche suggérée par la Commission, qui consiste à examiner chacun des facteurs séparément, ne me
semble pas correcte. Il ressort en effet de la décision attaquée que la référence à certains facteurs, en particuliers ceux que la Commission désigne comme des éléments «structurels» de l’économie agraire polonaise, sert à décrire le contexte particulier dans lequel se situent les mesures autorisées et pour évaluer les répercussions d’ordre économique et social de la récession, le principal élément qui, dans l’économie de la décision attaquée, justifie l’adoption de ces mesures. D’autre part, il
ressort clairement de l’arrêt du 29 février 1996, Commission/Conseil, précité, que, dans l’exercice de la compétence prévue à l’article 88, paragraphe 2, troisième alinéa, CE, le Conseil peut se fonder sur la persistance ou l’aggravation de problèmes structurels dans un secteur donné de l’économie afin d’évaluer les effets produits sur ce secteur par une conjoncture défavorable ( 60 ).

92. Sur la base de ce qui précède, je suis enclin à considérer, compte tenu du large pouvoir d’appréciation dont jouit le Conseil dans ce domaine, que la Commission n’a pas démontré l’existence d’une erreur manifeste d’appréciation pour ce qui concerne l’existence de circonstances de nature à justifier l’adoption d’une décision en vertu de l’article 88, paragraphe 2, troisième alinéa, CE.

2. Sur le caractère inadéquat et disproportionné des mesures autorisées par la décision attaquée

93. La Commission considère que les mesures approuvées par le Conseil ne sont pas adéquates pour résoudre les problèmes évoqués dans la décision attaquée. Elle soutient, en premier lieu, que ces mesures seraient inadéquates pour atteindre l’objectif d’augmenter la taille des exploitations agricoles, qui n’aurait connu aucune évolution sensible au cours du temps, alors que la République de Pologne applique des mesures analogues depuis 1996. D’après la Commission, cela s’explique par le fait que les
aides en question, au lieu de promouvoir la restructuration de la propriété foncière, ont eu pour seul effet de faire monter les prix des terres agricoles. Pour la même raison, les mesures approuvées par le Conseil seraient aussi totalement inadéquates pour remédier à la situation soulignée au considérant 7 de la décision attaquée, c’est-à-dire l’augmentation forte et continue de ces prix depuis 2007. La Commission observe en outre que ces mesures ne sont pas adéquates au regard de l’objectif de
réduire le chômage dans les zones rurales, dans la mesure où elles visent à consolider les exploitations agricoles existantes. Enfin, la Commission ne voit pas comment l’aide autorisée pourrait remédier à l’augmentation des prix et souligne que, dès lors que cette aide est liée à l’octroi de prêts, elle reste de toute manière inaccessible pour les familles dont le niveau de vie aurait subi une baisse catastrophique à cause de l’augmentation des prix des intrants agricoles.

94. Les arguments de la Commission ne suffisent pas, à mon avis, à prouver que le Conseil aurait manifestement excédé les limites de son pouvoir d’appréciation en considérant que les mesures litigieuses, qui sont spécifiquement destinées à encourager les investissements dans l’acquisition de terres agricoles, seraient manifestement inadéquates pour atteindre l’objectif de consolidation de la structure des exploitations agricoles existantes ou de permettre aux personnes sans emploi de se tourner vers
l’agriculture (considérant 6 de la décision attaquée). De même, l’affirmation selon laquelle ces mesures constituent la cause de l’augmentation continue des prix des terres agricoles ne paraît pas démontrée.

95. En deuxième lieu, la Commission souligne que, pour faire face aux conséquences de la crise, elle a adopté, en 2009, une communication spécifique relative à un cadre communautaire temporaire pour les aides d’État destinées à favoriser l’accès au financement dans le contexte de la crise économique et financière actuelle ( 61 ) (ci-après le «cadre temporaire»). Ce cadre, tel que modifié ( 62 ), autorise les États membres à intervenir sous différentes formes en faveur des exploitations agricoles et
notamment à octroyer une aide temporaire d’un montant maximal de 15000 euros jusqu’à la fin de 2010. La Commission estime que, dans la mesure où il n’a pas tenu compte de cette aide, spécifiquement destinée à faire face aux problèmes engendrés par la crise et n’a, en particulier, pas vérifié si elle permettrait de remédier à ces problèmes, le Conseil aurait violé le principe de proportionnalité. La Commission estime en outre que le Conseil aurait dû tenir compte d’autres instruments adoptés par
elle ou par le Conseil lui-même pour remédier aux problèmes indiqués dans la décision attaquée ou susceptibles d’être utilisés à cette fin en Pologne.

96. Les arguments de la Commission amènent à apprécier si et dans quelle mesure il incombait au Conseil de tenir compte des mesures déjà adoptées au niveau de l’Union pour remédier aux situations que l’État membre demandeur avait invoquées au titre de circonstances exceptionnelles. Il convient de rappeler à cet égard que le Conseil exerce la compétence qui lui est attribuée par l’article 88, paragraphe 2, troisième alinéa, CE en dérogation aux dispositions de l’article 87 et aux règlements visés à
l’article 89. On ne peut donc pas soutenir que, dans ce contexte, il serait lié par les mesures que la Commission ou lui-même ont adoptées en application de ces articles, exception faite, naturellement, des décisions de la Commission qui sont susceptibles de faire échec à l’exercice de cette compétence. Affirmer le contraire serait ouvertement contraire à la lettre sans équivoque de l’article 88, paragraphe 2, troisième alinéa, CE. Dans le même temps, je ne vois cependant pas comment, pour
apprécier si le cas d’espèce présente des circonstances exceptionnelles de nature à justifier l’adoption d’une décision sur la base de la disposition en question, il serait possible de faire totalement abstraction du contexte normatif et réglementaire dans lequel s’inscrivent les mesures à autoriser, en particulier si, pour définir ces circonstances, le Conseil se réfère à des situations structurelles et, partant, persistantes dans le temps, dans le secteur dont il s’agit. J’estime en
conséquence que cette institution reste tenue à tout le moins de prendre en considération, dans son appréciation, les mesures préexistantes spécifiquement destinées à remédier aux situations susceptibles de justifier l’autorisation des aides en cause ( 63 ), sans que cela implique une obligation pour le Conseil d’examiner ou d’indiquer dans sa décision l’ensemble des règles de droit qui régissent la matière en question.

97. En l’espèce, il ne ressort pas de la décision attaquée que le Conseil aurait vérifié si la République de Pologne a utilisé les possibilités offertes par le cadre temporaire et quels effets les éventuelles interventions réalisées sur cette base auraient produits. Je relève cependant que la subvention directe d’un montant limité à laquelle se réfère la Commission, d’une part, tout en ayant pour fonction d’atténuer les répercussions économiques de la crise, n’était pas spécifiquement destinée à
améliorer la structure des exploitations agricoles et, d’autre part, ne pouvait être octroyée que jusqu’au 31 décembre 2010. Dans ces circonstances, le Conseil a pu considérer à bon droit, selon moi, qu’une intervention plus ciblée et d’une plus grande portée dans le temps pouvait à la fois poursuivre, le cas échéant en combinaison avec d’autres instruments, l’objectif d’atténuer les conséquences de la crise financière, notamment les problèmes d’accès au crédit rencontrés par les agriculteurs
et, dans le même temps, apporter une réponse plus adéquate aux problèmes structurels de l’économie agraire polonaise. De même, il est vrai que le Conseil était, selon moi, tenu de prendre en considération, dans la décision attaquée, les actions de lutte contre le chômage dans les zones rurales prévues dans le cadre de la politique communautaire de développement rural conformément au règlement (CE) no 1698/2005 ( 64 ) ainsi que les effets des aides octroyées par la République de Pologne pour
compenser les pertes subies par les agriculteurs à cause des inondations de 2009 qui, selon les affirmations de l’institution requérante, auraient permis de couvrir environ 80 % de ces pertes. Néanmoins, une telle omission ne suffit pas non plus en soi pour remettre en cause la légalité de la décision attaquée, compte tenu du fait que cette dernière se base sur une multitude de motifs et sur une évaluation globale de la situation du secteur en question dans une conjoncture temporelle déterminée.
En revanche, je ne pense pas que le Conseil était spécifiquement obligé de tenir compte, comme l’affirme la Commission, d’autres instruments d’aide, tels que le règlement (CE) no 1535/2007 ( 65 ), auxquels la République de Pologne aurait pu recourir pour compenser certaines dépenses pesant sur les agriculteurs. Il s’agit en effet de subventions qui ne sont pas spécifiquement destinées à poursuivre les objectifs indiqués dans la décision attaquée. En tout état de cause, ainsi que le souligne le
Conseil à propos des instruments que je viens de rappeler, le régime approuvé dans la décision attaquée est destiné à encourager l’investissement dans l’acquisition de terres agricoles et opère donc sur un autre plan que lesdits instruments.

98. Enfin, la Commission fait valoir que la portée dans le temps des mesures approuvées ainsi que la durée des effets qu’elles produiront (s’agissant de financements sur des prêts à long terme) font que ces mesures sont disproportionnées.

99. À cet égard, étant donné le caractère exceptionnel de la compétence du Conseil au titre de l’article 88, paragraphe 2, troisième alinéa, CE, il n’est pas douteux que la dérogation accordée en vertu de cette disposition doive être limitée dans le temps et ne doive être autorisée que pour la durée strictement nécessaire pour remédier aux circonstances invoquées à l’appui de la décision ( 66 ). Cela implique à mon avis que, lorsqu’une décision adoptée en vertu de l’article 88, paragraphe 2,
troisième alinéa, CE concerne des régimes destinés à s’appliquer pendant une période relativement longue, comme en l’espèce, il incombe au Conseil d’indiquer les raisons pour lesquelles il estime que cela est nécessaire à la lumière des circonstances invoquées à l’appui de la déclaration de compatibilité. En l’espèce, s’il est vrai que les lettres du 12 juin et du 28 septembre 2009 des autorités polonaises au Conseil et la décision attaquée n’indiquent que sommairement les raisons pour
lesquelles il a été jugé nécessaire d’autoriser le régime litigieux pour une période de quatre ans, ces raisons peuvent se déduire du contexte dans lequel s’inscrit la décision attaquée ainsi que de la nature des mesures autorisées, des problèmes que ces mesures devaient concourir à résoudre et des objectifs poursuivis. En outre, le Conseil a fourni des indications supplémentaires dans ses mémoires.

100. Pour ce qui concerne le fond du grief soulevé par la Commission, je relève qu’il se base essentiellement sur le constat que la durée de la dérogation accordée dans la décision attaquée coïncide avec la durée de validité des lignes directrices agricoles 2007-2013. Selon l’institution requérante, cela trahit le fait que le choix du Conseil répondait plus à la volonté de paralyser l’application de ces lignes directrices qu’à celle de limiter la dérogation à la mesure de ce qui est strictement
nécessaire pour corriger les déséquilibres constatés. Or, tout en prenant acte de cette coïncidence, j’estime que, compte tenu des objectifs à long terme que la décision entend poursuivre et des répercussions de la crise économique et financière, elles aussi susceptibles de se prolonger sur une longue période, qui sont invoquées comme circonstances exceptionnelles à l’appui de cette décision, la Commission n’est pas parvenue à démontrer que, en autorisant le régime en question pour la période
qui va du 1er janvier 2010 au 31 décembre 2013, le Conseil aurait manifestement excédé les limites du pouvoir d’appréciation dont il jouit dans l’exercice de la compétence prévue à l’article 88, paragraphe 2, troisième alinéa, CE.

101. Sur la base de ce qui précède, j’estime que le quatrième moyen doit être rejeté.

V – Conclusion

102. Pour les raisons indiquées aux points 40 à 79, je suggère à la Cour de:

— accueillir le second grief du premier moyen, relatif au défaut de compétence du Conseil de l’Union européenne;

— annuler la décision attaquée;

— condamner le Conseil aux dépens et

— déclarer que les États membres intervenants supportent leurs propres dépens.

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( 1 ) Langue originale: l’italien.

( 2 ) JO L 4, p. 89.

( 3 ) Acte relatif aux conditions d’adhésion à l’Union européenne de la République tchèque, de la République d’Estonie, de la République de Chypre, de la République de Lettonie, de la République de Lituanie, de la République de Hongrie, de la République de Malte, de la République de Pologne, de la République de Slovénie et de la République Slovaque, et aux adaptations des traités sur lesquels est fondée l’Union européenne (JO 2003, L 236, notamment p. 798).

( 4 ) JO L 83, p. 1.

( 5 ) Il s’agit de la procédure formelle d’examen prévue à l’article 88, paragraphe 2, premier alinéa, CE.

( 6 ) JO 2000, C 28, p. 2.

( 7 ) JO 2006, C 319, p. 1.

( 8 ) Lignes directrices agricoles 2007-2013, point 194.

( 9 ) Règlement de la Commission, du 15 décembre 2006, concernant l’application des articles 87 et 88 du traité aux aides d’État accordées aux petites et moyennes entreprises actives dans la production de produits agricoles et modifiant le règlement (CE) no 70/2001 (JO L 358, p. 3).

( 10 ) JO C 70, p. 11.

( 11 ) JO 2005, C 147, p. 2. Pour ce qui concerne la République de Pologne, l’intitulé des régimes en question figure aux points 2 et 5.

( 12 ) Arrêt du 29 février 1996, Commission/Conseil (C-122/94, Rec. p. I-881). La question avait déjà été traitée par l’avocat général Mayras dans ses conclusions dans l’affaire Commission/Allemagne (arrêt du 12 juillet 1973, 70/72, Rec. p. 813).

( 13 ) Arrêt Commission/Conseil (C-110/02, Rec. p. I-6333).

( 14 ) Point 30; dans le même sens, dans un obiter dictum, voir aussi arrêt du 12 octobre 1978, Commission/Belgique (156/77, Rec. p. 1881).

( 15 ) Point 31.

( 16 ) Point 44.

( 17 ) Point 35.

( 18 ) Arrêt Commission/Conseil (C-399/03, Rec. p. I-5629).

( 19 ) Point 20 des conclusions de l’avocat général Jacobs dans l’affaire Commission/Conseil (arrêt du 29 juin 2004, précité).

( 20 ) Les italiques sont de l’auteur.

( 21 ) En ce sens milite également l’emploi, dans la plupart des versions linguistiques du traité, de l’adverbe «toutefois» au début du quatrième alinéa de l’article 88, paragraphe 2, CE.

( 22 ) Arrêt du 29 juin 2004, Commission/Conseil, précité, point 33.

( 23 ) Une telle application suppose que la Commission soit habilitée, malgré la demande présentée au Conseil, à décider d’ouvrir la procédure formelle d’examen, qui resterait en tout état de cause suspendue en vertu de l’article 88, paragraphe 2, troisième alinéa, CE. En ce cas, le délai prévu au quatrième alinéa commencerait à courir à la date d’ouverture de la procédure, coïncidant avec la date de suspension.

( 24 ) Cette communication est erronément datée du 16 juillet 2009.

( 25 ) La communication et la lettre ont été enregistrées par le secrétariat du Conseil le 24 juin 2009.

( 26 ) Ni le Conseil ni aucun des États membres intervenants ne conteste la conformité desdites mesures aux lignes directrices agricoles 2000.

( 27 ) Le Conseil, soutenu par le gouvernement portugais, faisait valoir que l’aide litigieuse constituait une «aide nouvelle» parce qu’elle consistait en un versement nouveau, elle résultait d’une disposition nationale autre que les décrets-lois qui avaient institué le régime d’aides déclaré incompatible par la Commission et répondait à des conditions d’éligibilité et de paiement différentes de celles applicables aux aides accordées sur le fondement de ce régime (point 21).

( 28 ) Voir lettre du 12 juin 2009, point 4 et lettre du 28 septembre 2009, point 5.

( 29 ) Voir lettre du 28 septembre 2009, point 5.

( 30 ) Cette conclusion n’est affectée ni par l’article 1er, sous c), du règlement no 659/1999, en vertu duquel constitue une «aide nouvelle», «toute modification d’une aide existante» ni par la jurisprudence citée par le Conseil et le gouvernement polonais, en particulier les arrêts du 17 juin 1999, Piaggio (C-295/97, Rec. p. I-3735), et du 18 juin 2002, Allemagne/Commission (C-242/00, Rec. p. I-5603), dans lesquels la Cour a implicitement accordé la qualification d’«aide nouvelle» à une liste de
régions éligibles sur la base de régimes d’aides à finalité régionale, destinée à compléter la liste qui avait déjà été approuvée par la Commission et, en conséquence, à modifier le champ d’application territorial et subjectif du régime d’aides en question.

( 31 ) Dz. U. no 109, position 750.

( 32 ) Cela n’exclut pas que la procédure prévue à l’article 88, paragraphe 3, CE puisse conduire la Commission à revoir sa position, en particulier à la lumière des observations présentées par les intéressés. En l’espèce, toutefois, la Commission serait liée par les lignes directrices agricoles 2007-2013.

( 33 ) Arrêt du 29 février 1996, Commission/Conseil, précité.

( 34 ) Avec la conséquence que la Commission pourrait agir contre l’État membre qui a manqué à ses obligations en vertu de l’article 88, paragraphe 2, deuxième alinéa, CE ou de l’article 226 CE (devenu article 258 TFUE).

( 35 ) Arrêt du 15 octobre 1996 (C-311/94, Rec. p. I-5023); voir aussi les conclusions de l’avocat général Lenz présentées le 23 mai 1996 dans cette affaire (Rec. p. I‑5025).

( 36 ) Arrêt du 24 mars 1993 (C-313/90, Rec. p. I-1125).

( 37 ) Voir en particulier points 36, 37 et 41; voir aussi, dans le même sens, arrêt du 29 juin 1995, Espagne/Commission (C-135/93, Rec. p. I-1651). Selon une partie de la doctrine, la jurisprudence de la Cour sur les effets obligatoires des propositions de mesures utiles acceptées par les États membres, malgré ses indéniables avantages d’ordre pratique, soulève quelques questions sur le plan des principes, dès lors qu’elle reviendrait en substance à introduire dans les sources du droit
communautaire un nouveau type d’acte; voir en ce sens, par exemple, Waelbroeck, M., «Les propositions de mesures utiles: une nouvelle source de droit communautaire?», dans Mélanges en hommage à Jean-Victor Louis, Université libre de Bruxelles, 2003, p. 217. Malgré ces légitimes interrogations, en l’état actuel, cette jurisprudence est suffisamment constante pour qu’un revirement ne soit ni probable ni souhaitable. Comme nous l’avons vu, elle a par ailleurs fait l’objet d’une codification précise
dans le règlement no 659/1999.

( 38 ) En ce sens, pour ce qui concerne la violation des obligations relatives à la présentation de rapports annuels sur les régimes d’aides existants, prévues dans les lignes directrices agricoles adoptées par la Commission et implicitement acceptées par l’État membre en question, voir arrêt du 12 janvier 2006, Commission/Luxembourg (C-69/05, Rec. p. I-7).

( 39 ) Autrement dit, la prise de position de la Commission doit, dans ces circonstances, être considérée comme produisant des effets analogues à ceux d’une décision conditionnelle au sens de l’article 7, paragraphe 4, du règlement no 659/1999.

( 40 ) Contrairement à ce que soutiennent le Conseil et le gouvernement polonais, le point 35 de l’arrêt CIRFS e.a./Commission, précité, ne permet pas de parvenir à une autre solution, en fournissant des arguments à l’appui de la thèse selon laquelle, dans le cas où les mesures utiles ne sont pas mises en œuvre, le régime d’aides en question devient une aide nouvelle, dont la compatibilité doit être évaluée par la Commission dans le cadre de la procédure prévue à l’article 88, paragraphe 2, CE. En
effet, dans l’affaire CIRFS e.a./Commission, le régime litigieux, auquel le Royaume des Pays-Bas avait donné son accord, prévoyait seulement l’obligation de notifier les aides octroyées dans le cadre du régime d’aides existant, et non de le modifier.

( 41 ) Voir arrêt du 22 octobre 1996, Salt Union/Commission (T-330/94, Rec. p. II-1475), et conclusions de l’avocat général Mischo dans l’affaire Allemagne/Commission, précitée. Selon une partie de la doctrine, les personnes lésées par une proposition de mesures utiles à laquelle l’État membre a donné son accord ne peuvent s’adresser qu’au juge national en attaquant l’acte par lequel l’État membre en question a donné son accord; voir en ce sens, Waelbroeck, M., op. cit., p. 221.

( 42 ) Il convient de rappeler à cet égard que, en vertu de l’article 26 du règlement no 659/1999, la Commission «publie au Journal officiel des Communautés européennes une communication succincte des décisions qu’elle prend en application […] de l’article 18 en liaison avec l’article 19, paragraphe 1» et que cette communication succincte doit mentionner la «possibilité de se procurer un exemplaire de la décision dans la ou les versions linguistiques faisant foi». Sur les effets de cette
communication, voir arrêt du Tribunal du 11 mars 2009, TF1/Commission (T-354/05, Rec. p. II-471).

( 43 ) Le Tribunal observe à cet égard, dans l’arrêt TF1/Commission, précité, que «ce n’est que lorsque la Commission décide, dans l’exercice de sa compétence exclusive pour apprécier la compatibilité des aides d’État avec le marché commun, d’accepter les engagements de l’État comme répondant à ses préoccupations, que la procédure d’examen [des régimes d’aides existants] prend fin […]» (point 70).

( 44 ) Article 249, cinquième alinéa, CE (devenu article 288, cinquième alinéa, TFUE). Dans des cas déterminés, le traité reconnaît des effets juridiques limités aux recommandations: voir article 97, paragraphe 2, CE (devenu article 117 TFUE). Voir arrêt du Tribunal du 15 décembre 1999, Freistaat Sachsen e.a./Commission (T-132/96 et T-143/96, Rec. p. II-3663, point 209), et conclusions de l’avocat général Mayras dans l’affaire Commission/Allemagne, précitée (Rec. p. 834), et celles de l’avocat
général Lenz dans l’affaire CIRFS e.a./Commission, précitée.

( 45 ) Article 230, premier alinéa, CE (devenu article 263, premier alinéa, TFUE). Dans son arrêt Salt Union/Commission, précité, le Tribunal a jugé que le refus de la Commission d’adresser une proposition de mesures utiles à un État membre n’était pas un acte attaquable, car celui-ci n’est pas tenu de l’accepter.

( 46 ) Dans l’arrêt TF1/Commission, précité, le Tribunal a défini la procédure prévue aux articles 17, 18 et 19 du règlement no 659/1999 comme une procédure, «par sa nature même, […] décisionnelle» (point 69).

( 47 ) Dans cette affaire, la République fédérale d’Allemagne avait présenté un recours en annulation contre une décision par laquelle la Commission avait, selon la requérante, considéré que certaines aides régionales n’étaient compatibles avec le marché commun que pour certaines régions correspondant à un certain pourcentage de la population allemande. Dans l’exception par laquelle elle soutenait l’irrecevabilité du recours, la Commission soutenait notamment que la décision attaquée par le
gouvernement allemand était purement confirmative de deux prises de position antérieures adoptées en exécution des lignes directrices concernant les aides d’État à finalité régionale, dans lesquelles elle avait fixé le plafond de couverture exprimé en termes de population des aides à finalité régionale pour la période 2000-2006 et avait demandé au gouvernement allemand d’adapter ses régimes d’aides existants pour les rendre compatibles avec ces lignes directrices. En rejetant cet argument, la Cour a
constaté avant tout que les prises de position en question, qui sont qualifiées de «décisions» dans l’arrêt, faisaient «partie intégrante des lignes directrices concernant les aides régionales et n’ayant, par elles-mêmes, de force contraignante qu’à la condition d’avoir été acceptées par les États membres». Elle a observé ensuite que les autorités allemandes, tout en ayant approuvé l’adaptation proposée par la Commission, avaient toutefois formulé une réserve expresse quant au calcul des plafonds.
Partant de ces prémisses, la Cour a conclu que la partie des lignes directrices concernant les aides régionales qui était relative à la méthode de calcul du plafond de couverture n’était pas opposable à la République fédérale d’Allemagne, de sorte que les prises de position invoquées par la Commission ne pouvaient pas être considérées comme des actes que la décision attaquée – la première à posséder une force contraignante à l’égard de l’État membre – se serait bornée à confirmer. La Cour n’a donc
pas rejeté a priori la possibilité qu’une proposition de mesures utiles acceptée par un État membre constitue un acte attaquable, mais elle s’est bornée en substance à l’exclure dans le cas d’espèce.

( 48 ) Arrêt TF1/Commission, précité, points 60 à 81.

( 49 ) Voir article 13, paragraphe 2, TUE et, pour la jurisprudence, en particulier, arrêts du 27 septembre 1988, Grèce/Conseil (204/86, Rec. p. 5323), et du 30 mars 1995, Parlement/Conseil (C-65/93, Rec. p. I-643).

( 50 ) Points 18 et 19. La Cour rappelle en outre, au point 18, que, «lorsque la mise en œuvre par le Conseil de la politique agricole de la Communauté implique la nécessité d’évaluer une situation économique complexe, le pouvoir discrétionnaire dont il jouit ne s’applique pas exclusivement à la nature et à la portée des dispositions à prendre, mais aussi, dans une certaine mesure, à la constatation de données de base en ce sens, notamment, qu’il est loisible au Conseil de se fonder, le cas échéant,
sur des constatations globales».

( 51 ) Voir, en dernier lieu, arrêt du 26 juin 2012, Pologne/Commission (C‑335/09 P, points 71 et 72), pour ce qui concerne les compétences d’exécution de la Commission et arrêt du Tribunal du 3 septembre 2009, Cheminova e.a./Commission (T-326/07, Rec. p. I-2685, points 194 à 196).

( 52 ) Dans la mesure où, au point 18, la Cour, rappelant le point 25 de l’arrêt du 29 octobre 1980, Roquette Frères/Conseil (138/79, Rec. p. 3333), se réfère au cas dans lequel l’autorité en question a «manifestement dépassé les limites de son pouvoir d’appréciation».

( 53 ) Les italiques sont de l’auteur.

( 54 ) Le système d’introduction graduelle des paiements communautaires directs, prévu par l’acte d’adhésion de 2003 (p. 369 et 370), a été adapté par la décision 2004/281/CE du Conseil, du 22 mars 2004, portant adaptation de l’acte d’adhésion de 2003, à la suite de la réforme de la politique agricole commune (JO L 93, p. 1). Cette décision a fait l’objet d’un recours en annulation présenté par la République de Pologne, que la Cour a rejeté par son arrêt du 23 octobre 2007, Pologne/Conseil
(C-273/04, Rec. p. I-8925). Pour une vue d’ensemble du régime et de son fonctionnement, voir conclusions de l’avocat général Poiares Maduro présentées dans cette affaire le 21 juin 2007.

( 55 ) Je relève toutefois avec le Conseil que le rapport figurant à l’annexe A 11 de la requête fait état d’une diminution de 16 % des revenus des agriculteurs en 2008 par rapport à 2007.

( 56 ) Le rapport «Five years of Poland in the European Union», dont certains extraits ont été produits par la Commission en annexe de sa requête, semble d’ailleurs se prononcer dans ce sens.

( 57 ) L’arrêt du 29 février 1996, Commission/Conseil, précité, a rejeté, au point 22, un argument analogue de la Commission.

( 58 ) Les italiques sont de l’auteur.

( 59 ) Les italiques sont de l’auteur.

( 60 ) Point 21.

( 61 ) JO 2009, C 83, p. 1.

( 62 ) Communication de la Commission modifiant le cadre communautaire temporaire pour les aides d’État destinées à favoriser l’accès au financement dans le contexte de la crise économique et financière actuelle (JO 2009, C 261, p. 2).

( 63 ) Dans ce sens, voir aussi conclusions de l’avocat général Cosmas dans l’affaire Commission/Conseil (arrêt du 29 février 1996, précité), en particulier point 85.

( 64 ) Règlement du Conseil, du 20 septembre 2005, concernant le soutien au développement rural par le Fonds européen agricole pour le développement rural (Feader) (JO L 277, p. 1).

( 65 ) Règlement de la Commission, du 20 décembre 2007, concernant l’application des articles 87 et 88 du traité CE aux aides de minimis dans le secteur de la production de produits agricoles (JO L 337, p. 35).

( 66 ) Voir, en ce sens, arrêt du 29 février 1996, Commission/Conseil, précité, point 25.


Synthèse
Formation : Grande chambre
Numéro d'arrêt : C-117/10
Date de la décision : 17/01/2013
Type de recours : Recours en annulation - non fondé

Analyses

Recours en annulation - Aides d’État - Article 88, paragraphes 1 et 2, CE - Aide accordée par la République de Pologne en vue de l’acquisition de terres agricoles - Compétence du Conseil de l’Union européenne - Régime d’aides existant - Adhésion de la République de Pologne à l’Union européenne - Aide accordée avant l’adhésion - Mesures utiles - Caractère indissociable de deux régimes d’aides - Changement de circonstances - Circonstances exceptionnelles - Crise économique - Erreur manifeste d’appréciation - Principe de proportionnalité.

Aides accordées par les États

Concurrence

Principes, objectifs et mission des traités


Parties
Demandeurs : Commission européenne
Défendeurs : Conseil de l'Union européenne.

Composition du Tribunal
Avocat général : Mengozzi

Origine de la décision
Date de l'import : 30/06/2023
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2013:11

Source

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