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06/11/2012 | CJUE | N°C-551/10

CJUE | CJUE, Arrêt de la Cour, Éditions Odile Jacob SAS contre Commission européenne., 06/11/2012, C-551/10


ARRÊT DE LA COUR (grande chambre)

6 novembre 2012 ( *1 )

«Pourvoi — Opérations de concentration d’entreprises sur le marché de l’édition des livres — Règlement (CEE) no 4064/89 — Convention de portage — Motifs inopérants»

Dans l’affaire C‑551/10 P,

ayant pour objet un pourvoi au titre de l’article 56 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, introduit le 24 novembre 2010,

Éditions Odile Jacob SAS, établie à Paris (France), représentée par Mes O. Fréget, M. Struys, M. Potel et L. Eskenazi

, avocats,

partie requérante,

les autres parties à la procédure étant:

Commission européenne, représentée par ...

ARRÊT DE LA COUR (grande chambre)

6 novembre 2012 ( *1 )

«Pourvoi — Opérations de concentration d’entreprises sur le marché de l’édition des livres — Règlement (CEE) no 4064/89 — Convention de portage — Motifs inopérants»

Dans l’affaire C‑551/10 P,

ayant pour objet un pourvoi au titre de l’article 56 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, introduit le 24 novembre 2010,

Éditions Odile Jacob SAS, établie à Paris (France), représentée par Mes O. Fréget, M. Struys, M. Potel et L. Eskenazi, avocats,

partie requérante,

les autres parties à la procédure étant:

Commission européenne, représentée par M. A. Bouquet, Mme O. Beynet et M. S. Noë, en qualité d’agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie défenderesse en première instance,

Lagardère SCA, établie à Paris, représentée par Mes A. Winckler, F. de Bure et J.-B. Pinçon, avocats,

partie intervenante en première instance,

LA COUR (grande chambre),

composée de M. V. Skouris, président, M. K. Lenaerts, vice-président, M. A. Tizzano, Mme R. Silva de Lapuerta, M. A. Rosas, Mme M. Berger et M. E. Jarašiūnas, présidents de chambre, MM. E. Juhász (rapporteur), J.-C. Bonichot, Mme A. Prechal et M. C. G. Fernlund, juges,

avocat général: M. J. Mazák,

greffier: Mme R. Şereş, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 13 décembre 2011,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 6 mars 2012,

rend le présent

Arrêt

1 Par son pourvoi, Éditions Odile Jacob SAS (ci-après «Odile Jacob») demande l’annulation de l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 13 septembre 2010, Éditions Jacob/Commission (T‑279/04, ci-après l’«arrêt attaqué»), par lequel celui-ci a rejeté son recours tendant à l’annulation de la décision 2004/422/CE de la Commission, du 7 janvier 2004, déclarant une opération de concentration compatible avec le marché commun et le fonctionnement de l’accord sur l’Espace économique européen (Affaire
no COMP/M.2978 – Lagardère/Natexis/VUP), publiée sous forme de résumé au Journal officiel de l’Union européenne du 28 avril 2004 (JO L 125, p. 54, ci-après la «décision litigieuse»).

2 Par la décision litigieuse, la Commission des Communautés européennes a autorisé l’acquisition par Lagardère SCA (ci-après «Lagardère»), par l’intermédiaire de Natexis Banques Populaires SA (ci-après «NBP») et de ses filiales Segex SARL (ci-après «Segex»), Ecrinvest 4 SA (ci-après «Ecrinvest 4») ainsi que d’Investima 10 SAS (ci-après «Investima 10»), des actifs d’édition de Vivendi Universal Publishing SA (ci-après «VUP»), sous réserve du respect intégral par Lagardère de ses engagements, tels que
repris à l’annexe II de cette décision.

3 Cette affaire s’inscrit dans une liste de recours intentés par les différents acteurs de la vente des actifs d’édition détenus en Europe par VUP et qui ont été cédés à Lagardère et à Wendel Investissement SA (ci-après «Wendel Investissement»), dont l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 28 juin 2012, Commission/Éditions Odile Jacob (C‑404/10 P), relative à l’accès aux documents au cours de la procédure de contrôle des opérations de concentration en cause, ainsi que les affaires concernant
l’agrément de Wendel Investissement comme acquéreur d’une partie des actifs cédés, lesquelles ont donné lieu à l’arrêt du 6 novembre 2012, Commission et Lagardère/Éditions Odile Jacob (C‑553/10 P et C‑554/10 P).

Le cadre juridique

4 L’article 2 du règlement (CEE) no 4064/89 du Conseil, du 21 décembre 1989, relatif au contrôle des opérations de concentration entre entreprises (JO L 395, p. 1, et rectificatif JO 1990, L 257, p. 13), tel que modifié par le règlement (CE) no 1310/97 du Conseil, du 30 juin 1997 (JO L 180, p. 1, et rectificatif JO 1998, L 40, p. 17, ci-après le «règlement no 4064/89»), intitulé «Appréciation des opérations de concentration», prévoit:

«1.   Les opérations de concentration visées par le présent règlement sont appréciées en fonction des dispositions qui suivent en vue d’établir si elles sont ou non compatibles avec le marché commun.

Dans cette appréciation, la Commission tient compte:

a) de la nécessité de préserver et de développer une concurrence effective dans le marché commun, au vu notamment de la structure de tous les marchés en cause et de la concurrence réelle ou potentielle d’entreprises situées à l’intérieur ou à l’extérieur de la Communauté;

b) de la position sur le marché des entreprises concernées et de leur puissance économique et financière, des possibilités de choix des fournisseurs et des utilisateurs, de leur accès aux sources d’approvisionnement ou aux débouchés, de l’existence en droit ou en fait de barrières à l’entrée, de l’évolution de l’offre et de la demande des produits et services concernés, des intérêts des consommateurs intermédiaires et finals ainsi que de l’évolution du progrès technique et économique pour autant
que celle-ci soit à l’avantage des consommateurs et ne constitue pas un obstacle à la concurrence.

2.   Les opérations de concentration qui ne créent pas ou ne renforcent pas une position dominante ayant comme conséquence qu’une concurrence effective serait entravée de manière significative dans le marché commun ou une partie substantielle de celui-ci doivent être déclarées compatibles avec le marché commun.

3.   Les opérations de concentration qui créent ou renforcent une position dominante ayant comme conséquence qu’une concurrence effective serait entravée de manière significative dans le marché commun ou une partie substantielle de celui-ci doivent être déclarées incompatibles avec le marché commun.

[...]»

5 L’article 3 du règlement no 4064/89, intitulé «Définition de la concentration», dispose:

«1.   Une opération de concentration est réalisée:

a) lorsque deux ou plusieurs entreprises antérieurement indépendantes fusionnent,

ou

b) lorsque:

— une ou plusieurs personnes détenant déjà le contrôle d’une entreprise au moins,

ou

— une ou plusieurs entreprises

acquièrent directement ou indirectement, que ce soit par prise de participations au capital ou achat d’éléments d’actifs, contrat ou tout autre moyen, le contrôle de l’ensemble ou de parties d’une ou de plusieurs autres entreprises.

[...]

3.   Aux fins de l’application du présent règlement, le contrôle découle des droits, contrats ou autres moyens qui confèrent, seuls ou conjointement et compte tenu des circonstances de fait ou de droit, la possibilité d’exercer une influence déterminante sur l’activité d’une entreprise, et notamment:

a) des droits de propriété ou de jouissance sur tout ou partie des biens d’une entreprise;

b) des droits ou des contrats qui confèrent une influence déterminante sur la composition, les délibérations ou les décisions des organes d’une entreprise.

4.   Le contrôle est acquis par la ou les personnes ou entreprises:

a) qui sont titulaires de ces droits ou bénéficiaires de ces contrats

ou

b) qui, n’étant pas titulaires de ces droits ou bénéficiaires de ces contrats, ont le pouvoir d’exercer les droits qui en découlent.

5.   Une opération de concentration n’est pas réalisée:

a) lorsque des établissements de crédits, d’autres établissements financiers ou des sociétés d’assurances, dont l’activité normale inclut la transaction et la négociation de titres pour compte propre ou pour compte d’autrui, détiennent, à titre temporaire, des participations qu’ils ont acquises dans une entreprise en vue de leur revente, pour autant qu’ils n’exercent pas les droits de vote attachés à ces participations en vue de déterminer le comportement concurrentiel de cette entreprise ou pour
autant qu’ils n’exercent ces droits de vote qu’en vue de préparer la réalisation de tout ou partie de cette entreprise ou de ses actifs, ou la réalisation de ces participations, et que cette réalisation intervient dans un délai d’un an à compter de la date de l’acquisition; ce délai peut être prorogé sur demande par la Commission lorsque ces établissements ou ces sociétés justifient que cette réalisation n’a pas été raisonnablement possible dans le délai imparti;

[...]»

6 L’article 4 de ce règlement, intitulé «Notification préalable des opérations de concentration», énonce:

«1.   Les opérations de concentration de dimension communautaire visées par le présent règlement doivent être notifiées à la Commission dans un délai d’une semaine à compter de la conclusion de l’accord ou de la publication de l’offre d’achat ou d’échange ou de l’acquisition d’une participation de contrôle. Le délai commence à compter de la survenance du premier de ces événements.

2.   Les opérations de concentration qui consistent en une fusion au sens de l’article 3 paragraphe 1 point a) ou dans l’établissement d’un contrôle en commun au sens de l’article 3 paragraphe 1 point b) doivent être notifiées conjointement par les parties à la fusion ou à l’établissement du contrôle en commun. Dans les autres cas, la notification doit être présentée par la personne ou l’entreprise qui acquiert le contrôle de l’ensemble ou de parties d’une ou de plusieurs entreprises.

[...]»

7 Aux termes de l’article 6 dudit règlement, intitulé «Examen de la notification et engagement de la procédure»:

«1.   La Commission procède à l’examen de la notification dès sa réception.

a) Si elle aboutit à la conclusion que l’opération de concentration notifiée ne relève pas du présent règlement, elle le constate par voie de décision.

b) Si elle constate que l’opération de concentration notifiée, bien que relevant du présent règlement, ne soulève pas de doutes sérieux quant à sa compatibilité avec le marché commun, elle décide de ne pas s’y opposer et la déclare compatible avec le marché commun.

La décision par laquelle la concentration est déclarée compatible couvre également les restrictions directement liées et nécessaires à la réalisation de la concentration.

c) Sans préjudice du paragraphe 2, si la Commission constate que l’opération de concentration notifiée relève du présent règlement et soulève des doutes sérieux quant à sa compatibilité avec le marché commun, elle décide d’engager la procédure.

2.   Si la Commission constate que, après modifications apportées par les entreprises concernées, une opération de concentration notifiée ne soulève plus de doutes sérieux au sens du paragraphe 1 point c), elle peut décider de déclarer ladite opération compatible avec le marché commun, conformément au paragraphe 1 point b).

La Commission peut assortir la décision qu’elle prend en vertu du paragraphe 1 point b) de conditions et de charges destinées à assurer que les entreprises concernées respectent les engagements qu’elles ont pris à son égard en vue de rendre la concentration compatible avec le marché commun.

[...]»

8 L’article 7 du même règlement, intitulé «Suspension de l’opération de concentration», dispose:

«1.   Une concentration telle que définie à l’article 1er ne peut être réalisée ni avant d’être notifiée, ni avant d’avoir été déclarée compatible avec le marché commun par une décision prise en vertu de l’article 6 paragraphe 1 point b) ou de l’article 8 paragraphe 2 ou sur la base de la présomption établie à l’article 10 paragraphe 6.

[...]

5.   La validité de toute transaction qui serait réalisée en ne respectant pas le paragraphe 1 dépend de la décision prise en application de l’article 6 paragraphe 1 point b) ou de l’article 8 paragraphes 2 ou 3 ou de la présomption établie à l’article 10 paragraphe 6.

[...]»

9 L’article 8 du règlement no 4064/89, intitulé «Pouvoirs de décision de la Commission», énonce:

«[...]

2.   Lorsque la Commission constate qu’une opération de concentration notifiée, le cas échéant après modifications apportées par les entreprises concernées, répond au critère défini à l’article 2 paragraphe 2 et, dans les cas visés à l’article 2 paragraphe 4, aux critères de l’article 85 paragraphe 3 du traité [CEE], elle prend une décision déclarant la concentration compatible avec le marché commun.

La Commission peut assortir sa décision de conditions et de charges destinées à assurer que les entreprises concernées respectent les engagements qu’elles ont pris à son égard en vue de rendre la concentration compatible avec le marché commun. La décision déclarant la concentration compatible couvre également les restrictions directement liées et nécessaires à la réalisation de la concentration.

3.   Lorsque la Commission constate qu’une opération de concentration répond au critère défini à l’article 2 paragraphe 3 ou, dans les cas visés à l’article 2 paragraphe 4, ne répond pas aux critères de l’article 85 paragraphe 3 du traité, elle prend une décision déclarant la concentration incompatible avec le marché commun.

4.   Si une opération de concentration a déjà été réalisée, la Commission peut ordonner, dans une décision au titre du paragraphe 3 ou dans une décision distincte, la séparation des entreprises ou des actifs regroupés ou la cessation du contrôle commun ou toute autre action appropriée pour rétablir une concurrence effective.

5.   La Commission peut révoquer la décision qu’elle a prise au titre du paragraphe 2:

a) si la déclaration de compatibilité repose sur des indications inexactes dont une des entreprises concernées est responsable, ou si elle a été obtenue frauduleusement,

ou

b) si les entreprises concernées contreviennent à une charge dont est assortie sa décision.

6.   Dans les cas visés au paragraphe 5, la Commission peut prendre une décision au titre du paragraphe 3, sans être tenue par le délai visé à l’article 10 paragraphe 3.»

10 L’article 10 de ce règlement, intitulé «Délais d’engagement de la procédure et des décisions», prévoit:

«[...]

2.   Les décisions prises en application de l’article 8 paragraphe 2, concernant des opérations de concentration notifiées, doivent intervenir dès qu’il apparaît que les doutes sérieux visés à l’article 6 paragraphe 1 point c) sont levés, notamment en raison de modifications apportées par les entreprises concernées, et au plus tard dans le délai fixé au paragraphe 3.

3.   Sans préjudice de l’article 8 paragraphe 6, les décisions prises en application de l’article 8 paragraphe 3, concernant des opérations de concentration notifiées, doivent intervenir dans un délai maximal de quatre mois à compter de la date de l’engagement de la procédure.

4.   Les délais fixés aux paragraphes 1 et 3 sont exceptionnellement suspendus lorsque la Commission, en raison de circonstances dont une des entreprises participant à la concentration est responsable, a été contrainte de demander un renseignement par voie de décision en application de l’article 11 ou d’ordonner une vérification par voie de décision en application de l’article 13.

[...]

6.   Si la Commission n’a pas pris de décision au titre de l’article 6 paragraphe 1 points b) ou c) ou au titre de l’article 8 paragraphe 2 ou 3, dans les délais respectivement déterminés aux paragraphes 1 et 3 du présent article, l’opération de concentration est réputée déclarée compatible avec le marché commun, sans préjudice de l’article 9.»

11 L’article 14 dudit règlement, intitulé «Amendes», dispose:

«1.   La Commission peut, par voie de décision, infliger aux personnes visées à l’article 3 paragraphe 1 point b), aux entreprises ou aux associations d’entreprises des amendes d’un montant de 1000 à 50000 [euros] lorsque, de propos délibéré ou par négligence:

a) elles omettent de notifier une opération de concentration conformément à l’article 4;

b) elles donnent des indications inexactes ou dénaturées à l’occasion d’une notification présentée en application de l’article 4;

[...]

2.   La Commission peut, par voie de décision, infliger aux personnes ou entreprises des amendes jusqu’à concurrence de 10 % du chiffre d’affaires total réalisé par les entreprises concernées au sens de l’article 5, lorsque de propos délibéré ou par négligence:

a) elles contreviennent à une charge imposée par décision prise en vertu de l’article 7 paragraphe 4 ou de l’article 8 paragraphe 2 deuxième alinéa;

b) elles réalisent une opération de concentration en ne respectant pas l’article 7 paragraphe 1 ou une décision prise en application de l’article 7 paragraphe 2;

c) elles réalisent une opération de concentration déclarée incompatible avec le marché commun par décision prise en application de l’article 8 paragraphe 3 ou ne prennent pas les mesures ordonnées par décision prise en application de l’article 8 paragraphe 4.

[...]»

Les antécédents du litige

12 Les faits à l’origine du litige, tels qu’ils sont exposés aux points 10 à 59 de l’arrêt attaqué, sont les suivants:

«10 Le 25 septembre 2002, [Vivendi Universal SA (ci-après ‘Vivendi Universal’)] a décidé de céder les actifs d’édition détenus en Europe par sa filiale VUP.

11 Lagardère s’est portée candidate à l’acquisition de ces actifs, constitués de participations et d’actifs de direction de VUP (ci-après les ‘actifs cibles’).

12 Il est toutefois apparu que le calendrier de cession établi par [Vivendi Universal], qui désirait réaliser la vente et en recevoir le prix dans les meilleurs délais, n’était pas compatible avec l’échéancier des formalités nécessaires à l’autorisation préalable par les autorités de concurrence compétentes de ce projet de rachat.

13 Lagardère a donc demandé à [NBP] de se substituer à elle, par l’intermédiaire d’une de ses filiales créée en vue de l’acquisition des actifs cibles auprès de VUP, leur détention à titre provisoire, puis, une fois obtenue l’autorisation du projet de rachat des actifs cibles par Lagardère, leur revente à celle-ci.

14 À la suite de l’engagement pris par Lagardère à l’égard de NBP de supporter l’intégralité des risques liés aux opérations destinées à permettre la réalisation de l’opération de concentration envisagée et à tenir indemne NBP de tout dommage, cette dernière a accepté la demande de Lagardère, par lettre du 8 octobre 2002.

15 Lagardère et NBP ont présenté les principales conditions d’acquisition des actifs cibles par NBP à la Commission [...], qui les a approuvées.

16 Le 14 octobre 2002, NBP et Lagardère ont signé une convention intitulée ‘Accords NBP/Groupe Lagardère relatifs à VUP’, dont le titre I, ‘Structures d’acquisition’ (‘HOLDCO’), comportait les clauses suivantes:

Objet exclusif Acquisition auprès de [Vivendi Universal], détention et cession des activités de VUP [...]
Financement de HOLDCO par NBP 100 % du prix d’acquisition des actifs [cibles], y compris tout ajustement éventuel en application du contrat d’acquisition des actifs [cibles] auprès de [Vivendi Universal]

Fonds propres de 38 500 euros

Avance d’actionnaires de NBP pour le solde
Cadre juridique de l’opération Article 3, paragraphe 5, sous a), du règlement [...] no 4064/89 [...]; objectif de revente de la totalité des titres de HOLDCO à Lagardère

17 Lagardère a ensuite présenté à [Vivendi Universal] son offre d’acquisition des actifs cibles, laquelle prévoyait la substitution à Lagardère de NBP ou de toute entité de ce groupe.

18 [Vivendi Universal] a décidé d’engager les négociations avec Lagardère en vue de la cession des actifs cibles.

19 Dans un communiqué commun du 23 octobre 2002, Lagardère et NBP ont déclaré:

‘C’est [...] en total accord avec [Vivendi Universal] que NBP est intervenue à la demande [de Lagardère] dans le processus de rachat de VUP [...]

L’intervention de NBP s’inscrit dans le cadre de l’article 3, paragraphe 5, sous a), du règlement no 4064/89 [...], qui permet à un établissement financier d’acquérir une entreprise en vue de sa revente sans devoir obtenir l’autorisation de la Commission [...] (une telle opération n’étant pas considérée comme une concentration).’

20 Le 29 octobre 2002, [Vivendi Universal] a approuvé la cession à Lagardère des actifs cibles, constitués des activités d’édition de livres de VUP en Europe et en Amérique latine, à l’exception du Brésil.

21 Le 3 décembre 2002, Investima 10 [...], filiale à 100 % d’Ecrinvest 4 [...], elle-même filiale à 100 % de Segex [...], contrôlée pour sa part à 100 % par NBP, a signé en faveur de VUP une promesse d’acquisition des actifs cibles. Aux termes de cette promesse, Investima 10 s’engageait à conclure avec VUP le contrat d’acquisition des actifs cibles (ci-après le ‘contrat d’acquisition’), sous réserve de l’exercice de cette promesse par VUP.

22 Le même jour, Segex et Ecrinvest 4 ont conclu avec Lagardère un contrat de cession devant permettre à Lagardère, par le biais d’Ecrinvest 4, d’acquérir la totalité du capital social d’Investima 10 (ci-après le ‘contrat de cession’).

23 Aux termes du contrat de cession, Segex devait céder à Lagardère, d’une part, l’intégralité des actions d’Ecrinvest 4 détenues par Segex et, d’autre part, deux créances en compte courant de Segex sur Ecrinvest 4, telles qu’elles existeraient à la date du transfert de leur propriété par Segex à Lagardère.

24 L’article 3, paragraphe 2, sous i), du contrat de cession précisait que la date du transfert de propriété à Lagardère des actions d’Ecrinvest 4 et des deux créances de Segex sur Ecrinvest 4 devait être postérieure à l’obtention par Lagardère, auprès des autorités de concurrence compétentes, de l’autorisation d’acquérir Ecrinvest 4.

25 Selon l’article 3, paragraphe 3, premier et deuxième alinéas, du contrat de cession, le transfert à Lagardère de la propriété des actifs cibles, sous la forme du capital d’Investima 10 détentrice de ces actifs cibles, devait intervenir, au plus tard, le trentième jour suivant la date de la décision autorisant l’opération de concentration envisagée ou le premier jour ouvré suivant ce trentième jour, si ce dernier était un jour non ouvré.

26 L’article 1er, paragraphe 1, deuxième alinéa, du contrat de cession spécifiait que le transfert à Lagardère de la propriété des actions d’Ecrinvest 4 interviendrait à la date du transfert, de par l’effet de l’accomplissement par Segex des formalités nécessaires à ce transfert.

27 L’article 1er du contrat de cession précisait, au deuxième et au quatrième alinéa de ses paragraphes 2 et 3, que le transfert de la propriété des deux créances de Segex sur Ecrinvest 4 interviendrait à la date du transfert et que, à compter de cette date, Lagardère serait le créancier d’Ecrinvest 4 en lieu et place de Segex.

28 Aux termes de l’article 3, paragraphe 1, deuxième et troisième alinéas, du contrat de cession:

‘[...] la cession des actions [et des créances] est ferme, définitive et irrévocable, les décisions des autorités de concurrence compétentes déterminant la date du transfert de propriété desdites actions et créances [à Lagardère].

Les parties reconnaissent qu’aucun transfert de propriété des actions [et des créances] ne peut intervenir avant la date de transfert et que, en conséquence, [Segex] ne peut céder tout ou partie des actions [et des créances] ou consentir des sûretés sur ces dernières ou émettre toute valeur mobilière donnant ou pouvant donner accès immédiatement ou à terme à une quotité du capital ou des droits de vote d’Ecrinvest 4 ni à s’engager à terme ou sous condition à faire l’une quelconque des
opérations précitées.’

29 L’annexe 7 du contrat de cession énumère en ces termes les décisions du directoire d’Investima 10 devant être présentées à son conseil de surveillance en vue de l’exercice éventuel de son droit de veto:

‘1. Cession ou transfert par tous moyens ou démembrement de tout ou partie des [a]ctifs à des tiers non contrôlés par [Investima 10], ou octroi de sûretés sur tout ou partie des [a]ctifs ou entrée au capital des [a]ctifs de tels tiers ou engagement à terme ou sous condition de faire l’une quelconque de ces opérations, sauf en exécution d’un accord conclu par [Investima 10] à la date de signature du présent contrat;

Désignation des organes sociaux des [a]ctifs;

Mise en œuvre des clauses d’ajustement de prix et de garanties d’actif et de passif du [contrat d’acquisition].

Mise en œuvre de tous droits de préemption, de promesse de vente ou d’achat, de sortie conjointe et similaires relatifs aux [p]articipations, stipulés dans le [contrat d’acquisition].

Distribution d’acomptes sur dividende.’

30 Les parties sont convenues à l’article 2, paragraphes 1 et 2, du contrat de cession d’un prix de cession global des actions et d’un prix de cession des deux créances. Conformément à ces dispositions, Lagardère a payé à Segex, dès le 3 décembre 2002, le prix des actions et des deux créances.

31 Segex a consenti des avances en compte courant au bénéfice d’Ecrinvest 4, à charge pour celle-ci de consentir des avances en compte courant équivalentes à Investima 10, pour permettre à celle-ci d’acquérir les actifs cibles, pour autant que la promesse d’achat des actifs cibles soit levée par VUP.

32 Lagardère s’est engagée à indemniser Segex, Ecrinvest 4 et Investima 10 de tout préjudice susceptible de résulter de la mise en œuvre du contrat de cession, sauf fraude ou faute lourde.

33 Lagardère a donné instruction à Crédit agricole Indosuez SA d’émettre au profit de Segex une garantie à première demande de ses engagements à l’égard de Segex. À ces fins, Lagardère s’est engagée à verser à Crédit agricole Indosuez le montant de tout appel de garantie que cet établissement serait appelé à effectuer.

34 Enfin, Lagardère s’est portée caution solidaire d’Investima 10 pour garantir au bailleur de VUP le paiement par Investima 10 des loyers d’un immeuble destiné à regrouper la plupart des activités éditoriales du pôle VUP.

35 Un projet de notification du rachat des actifs cibles envisagé par Lagardère a été déposé auprès de la Commission, le 10 décembre 2002.

36 Le 20 décembre 2002, VUP a donné suite à la promesse d’acquisition que lui avait faite Investima 10 et celle-ci a conclu le même jour avec VUP le contrat d’acquisition des actifs cibles.

37 Le 14 avril 2003, Lagardère a procédé à la notification auprès de la Commission de son projet de rachat des actifs cibles, en application de l’article 4, paragraphe 1, du règlement no 4064/89.

38 Conformément à l’article 4, paragraphe 3, de ce règlement, cette notification a donné lieu à la publication de l’avis suivant au Journal officiel de l’Union européenne du 17 avril 2003 (JO C 92, p. 9):

‘1 Le 14 avril 2003, la Commission a reçu notification, conformément à l’article 4 du règlement [no 4064/89], d’un projet de concentration par lequel [Lagardère] acquiert, au sens de l’article 3, paragraphe 1, [sous] b), dudit règlement, le contrôle de l’ensemble de l’entreprise [VUP France], contrôlée par Investima 10, elle-même contrôlée par [NBP], par achat d’actions.

[...]’

39 Par décision du 5 juin 2003, qui a fait l’objet d’un avis publié au Journal officiel du 12 juin 2003 (JO C 137, p. 14 [...]), la Commission, constatant que le projet de concentration notifié soulevait des doutes sérieux quant à sa compatibilité avec le marché commun, a engagé le contrôle approfondi de cette opération, sur le fondement de l’article 6, paragraphe 1, sous c), du règlement no 4064/89.

40 Aux considérants 6 à 8 de [ladite] décision [...], la Commission a relevé ce qui suit:

‘6. Le schéma retenu par Lagardère pour l’acquisition [des actifs cibles] devait répondre à l’un des souhaits du vendeur qui était de pouvoir, dans les meilleurs délais, réaliser la concentration et de recevoir paiement du prix. C’est donc en vue de répondre à ce souci de rapidité que, à la demande de Lagardère, [NBP] est intervenue dans le processus d’acquisition des [actifs cibles].

7. Le 3 décembre 2002, [NBP] a conclu avec Lagardère un accord de vente ferme, permettant à Lagardère (via Ecrinvest 4), après autorisation de l’opération par la Commission, de devenir propriétaire de la totalité du capital d’Investima 10, société qui détient les [actifs cibles]. Le prix d’acquisition de ces titres a été immédiatement payé d’avance par Lagardère à Segex, société titulaire de la totalité des actions composant le capital d’Ecrinvest 4, à la même date.

8. Par conséquent, la concentration est une acquisition de contrôle unique, au sens de l’article 3, paragraphe 1, sous b), du règlement no 4064/89 [...]’

41 En vertu de l’article 11, paragraphe 1, du règlement no 4064/89, la Commission a adressé des demandes de renseignements à Lagardère. Tous les renseignements demandés n’ayant pas été fournis dans les délais impartis, la Commission a adopté, le 16 juin et le 8 août 2003, respectivement, deux décisions de demande de renseignements sur le fondement de l’article 11, paragraphe 5, du règlement no 4064/89.

42 En conséquence, le délai de quatre mois à compter de la date de l’engagement du contrôle approfondi imparti à la Commission par l’article 10, paragraphe 3, du règlement no 4064/89 pour constater l’incompatibilité éventuelle d’une opération de concentration avec le marché commun, en application de l’article 8, paragraphe 3, de ce règlement, a été suspendu à deux reprises, en vertu de l’article 10, paragraphe 4, de ce même règlement.

43 Il ressort des écritures des parties qu’Investima 10 est devenue Éditis SA [ci-après ‘Éditis’] le 14 octobre 2003.

44 Le 27 octobre 2003, la Commission a adressé à Lagardère une communication des griefs lui exposant les problèmes de concurrence soulevés par l’opération de concentration notifiée, à laquelle Lagardère a répondu le 17 novembre suivant.

45 En conséquence, Lagardère a présenté à la Commission, le 2 décembre 2003, une proposition comportant une série de mesures correctives prenant la forme d’engagements de rétrocession d’actifs cibles.

46 Le 22 décembre 2003, le comité consultatif en matière de concentrations entre entreprises a émis à l’unanimité un avis favorable au projet de décision d’autorisation conditionnelle de l’opération de concentration notifiée qui lui a été soumis par la Commission en application de l’article 19, paragraphe 3, du règlement no 4064/89.

47 Par la décision [litigieuse], adoptée en vertu de l’article 8, paragraphe 2, du règlement no 4064/89, la Commission a autorisé l’opération de concentration notifiée [...], sous réserve du respect intégral par Lagardère de ses engagements, tels que repris à l’annexe II de cette décision.

48 Dans la décision [litigieuse], la Commission a relevé que VUP et [Hachette Livre SA (ci-après ‘Hachette’), contrôlée par Lagardère,] étaient les deux seuls grands groupes de l’édition francophone en mesure d’assurer leur développement en toute autonomie, dans la mesure où ils exercent, au-delà de l’édition, une activité de commercialisation complète (diffusion et distribution) et disposent, en outre, de collections populaires en format de poche. Tous les autres groupes dépendraient plus ou
moins de VUP et/ou de Hachette pour certaines activités et, notamment, pour la commercialisation. En combinant les opérations des deux plus grandes entreprises du marché de l’édition francophone, l’opération notifiée produirait ainsi des effets anticoncurrentiels horizontaux, verticaux et congloméraux.

49 La Commission en a conclu que, en l’absence de mesures correctives, l’opération de concentration [en cause] conduirait sur plusieurs marchés sectoriels à la création ou au renforcement de positions dominantes ayant comme conséquence une entrave significative à une concurrence effective.

50 Aux termes de ses engagements, Lagardère devait rétrocéder l’intégralité des actifs cibles (ci-après les ‘actifs rétrocédés’), à l’exclusion des actifs cibles suivants [...]:

[...]

51 Les actifs rétrocédés représentaient approximativement 60 à 70 % du chiffre d’affaires mondial de VUP et 70 à 80 % du chiffre d’affaires réalisé par VUP sur les marchés francophones concernés par l’opération de concentration [en cause].

52 Dans la décision [litigieuse], la Commission a considéré que les engagements de Lagardère conduisaient à l’élimination de la quasi-totalité des chevauchements horizontaux des activités des parties à l’opération de concentration [en cause] sur l’ensemble des marchés francophones où cette opération créait ou renforçait une position dominante, à l’exception du marché des livres de référence pour lequel le désinvestissement consenti par Lagardère était cependant supérieur à la part de marché
initiale de Hachette [...]

53 La Commission a estimé également que les engagements de Lagardère auraient pour effet, dans le cas d’une cession à un repreneur unique, d’éliminer la grande majorité des effets verticaux et congloméraux de l’opération analysée dans la décision [litigieuse], lesquels résultaient, notamment, du poids global de l’entité issue de la concentration dans le secteur de l’édition francophone et, en particulier, dans la diffusion et la distribution de livres et contribuaient à la création ou au
renforcement de positions dominantes sur les marchés en cause.

54 La Commission en a conclu que, eu égard aux engagements de Lagardère, l’opération de concentration [en cause] ne conduirait pas à la création ni au renforcement d’une position dominante de l’entité fusionnée sur le marché commun.

55 La Commission a donc décidé que, sous réserve du respect intégral de ses engagements par Lagardère en conformité avec l’article 2, paragraphe 2, et l’article 8, paragraphe 2, du règlement no 4064/89, son acquisition du contrôle unique, au sens de l’article 3, paragraphe 1, sous b), de ce règlement, des actifs [cibles], était compatible avec le marché commun et le fonctionnement de l’accord sur l’Espace économique européen [du 2 mai 1992 (JO 1994, L 1, p. 3)].

56 La décision [litigieuse] a été publiée sous forme de résumé au Journal officiel du 28 avril 2004 [...], en application de l’article 20, paragraphe 1, du règlement no 4064/89.

57 Lagardère s’est rapprochée de plusieurs entreprises, dont la requérante, susceptibles de racheter les actifs rétrocédés. La requérante a manifesté son intérêt pour cette opération.

58 Le 28 mai 2004, Lagardère et Wendel Investissement [...] sont convenues d’un projet de reprise des actifs rétrocédés.

59 Par lettre du 4 juin 2004, Lagardère a demandé à la Commission d’agréer Wendel [Investissement] comme acquéreur des actifs rétrocédés.»

13 Par décision du 30 juillet 2004, communiquée à Odile Jacob, à sa demande, par télécopie du 27 août 2004, la Commission a agréé Wendel Investissement comme repreneur des actifs rétrocédés.

14 Le transfert de la propriété à Wendel Investissement des actifs rétrocédés, dénommés «Nouvel Éditis», est intervenu le 30 septembre 2004.

15 Par requête déposée le 8 novembre 2004 au greffe du Tribunal, la requérante a introduit un recours tendant à l’annulation de la décision de la Commission du 30 juillet 2004.

16 Par arrêt du 13 septembre 2010, Éditions Jacob/Commission (T-452/04, Rec. p. II-4713), le Tribunal a annulé cette décision.

17 Par arrêt du 9 juin 2010, Éditions Jacob/Commission (T-237/05, Rec. p. II-2245), le Tribunal a annulé la décision D (2005) 3286 de la Commission, du 7 avril 2005, rejetant une demande de la requérante visant à obtenir, en application du règlement (CE) no 1049/2001 du Parlement européen et du Conseil, du 30 mai 2001, relatif à l’accès du public aux documents du Parlement européen, du Conseil et de la Commission (JO L 145, p. 43), l’accès à certains documents concernant la procédure de contrôle de
l’opération de concentration en cause.

18 Par l’arrêt du 28 juin 2012, Commission/Éditions Odile Jacob (C‑404/10 P), la Cour a annulé l’arrêt du Tribunal du 9 juin 2010, Éditions Jacob/Commission, précité, et a rejeté le recours introduit devant le Tribunal visant à l’annulation de la décision de la Commission du 7 avril 2005.

La procédure devant le Tribunal

19 Par requête déposée au greffe du Tribunal le 8 juillet 2004, la requérante a introduit un recours tendant à l’annulation de la décision litigieuse.

20 La requérante a invoqué neuf moyens à l’appui de ses conclusions en annulation, qui ont été tous rejetés par le Tribunal dans l’arrêt attaqué.

Les conclusions des parties

21 Par son pourvoi, Odile Jacob demande à la Cour:

— d’annuler l’arrêt attaqué, et

— de condamner la Commission aux dépens, y compris ceux mis à sa charge en première instance et ceux exposés par elle au titre du présent pourvoi.

22 La Commission demande à la Cour:

— de rejeter le pourvoi, et

— de condamner la requérante aux dépens.

23 Lagardère demande à la Cour:

— de rejeter le pourvoi, et

— de condamner la requérante aux dépens.

Sur le pourvoi

24 Dans son pourvoi, Odile Jacob soulève quatre moyens. Le premier moyen est tiré d’une erreur de droit dans l’appréciation de la notion de concentration et dans la qualification de l’opération de portage, à savoir l’opération par laquelle les actifs cibles ont été cédés à NBP. Le deuxième moyen est relatif à une erreur de droit en ce que le Tribunal n’a pas tiré les conséquences juridiques des violations procédurales commises par la Commission. Le troisième moyen vise une erreur de droit en ce que
le Tribunal n’a pas tiré les conséquences juridiques d’un défaut de motivation. Le quatrième moyen est relatif à la méconnaissance des critères pertinents pour l’appréciation du renforcement d’une position dominante et du caractère approprié des engagements.

25 Dans la mesure où les deux premiers moyens se recoupent, il convient de les examiner ensemble.

Sur les premier et deuxième moyens, relatifs aux erreurs de droit commises par le Tribunal, d’une part, dans l’appréciation de la notion de concentration et dans la qualification de l’opération de portage, et, d’autre part, du fait de n’avoir pas tiré les conséquences juridiques des violations procédurales commises par la Commission

Argumentation des parties

26 Odile Jacob fait valoir, par son premier moyen, que, en procédant à un examen de l’opération de portage considérée de manière isolée, sans tenir compte de l’ensemble du montage juridique ayant abouti à la prise de contrôle par Lagardère des actifs cibles, le Tribunal a méconnu l’objectif général du contrôle des opérations de concentration qui vise à appréhender la réalité économique qui sous-tend les opérations juridiques. Selon Odile Jacob, le Tribunal n’a pas examiné l’ensemble des opérations,
dont l’opération qui consiste à confier une entreprise à un acquéreur provisoire sur la base d’un accord prévoyant la revente future de l’activité à un acquéreur final, aboutissant à conférer, in fine, le contrôle exclusif ou conjoint des actifs cédés à cet acquéreur final, en l’occurrence Lagardère. L’exception, prévue à l’article 3, paragraphe 5, du règlement no 4064/89, serait d’interprétation stricte.

27 Odile Jacob reproche au Tribunal d’avoir agréé la création d’un «contrat de gardiennage» d’entreprise échappant au contrôle des opérations de concentration. Cette entité ne serait pas indépendante, puisqu’elle serait sous l’influence déterminante de Lagardère et que sa direction dispose d’une certaine marge de manœuvre contractuelle. Le contrat de cession, qui crée des devoirs et des obligations à la charge des actionnaires et de la direction de la nouvelle entité à l’égard de Lagardère,
aliénerait l’indépendance de ceux qui se sont engagés.

28 La Commission et Lagardère font valoir que ce moyen est inopérant, puisque l’objet de la décision litigieuse était non pas d’examiner les faits dès le mois de décembre 2002, mais bien de contrôler la compatibilité avec le marché commun de l’opération notifiée le 14 avril 2003 qui portait sur l’acquisition du contrôle des actifs de VUP. Par conséquent, la qualification de l’opération de portage et les conséquences de cette qualification sont indépendantes et n’affectent pas la légalité de la
décision litigieuse autorisant ladite opération sous conditions.

29 Par son deuxième moyen, Odile Jacob fait valoir que, en considérant que l’absence de notification de l’opération de concentration en cause, dans les délais prescrits à l’article 4, paragraphe 1, du règlement no 4064/89, n’avait pour sanction qu’une amende, et non la révocation de la décision litigieuse, l’arrêt attaqué est entaché d’une erreur de droit. En effet, une telle sanction pécuniaire ne serait applicable que pour les entreprises, mais en aucun cas pour des violations procédurales
commises par la Commission elle-même. Cette notification, le 14 avril 2003, soit plus de quatre mois après la signature du contrat de cession, aurait ainsi eu pour conséquence la mise en œuvre anticipée de ladite opération au mépris des dispositions du règlement no 4064/89.

30 Le Tribunal n’aurait pas tiré les conséquences juridiques de ces violations procédurales et, partant, aurait donc validé une fraude à la loi assimilable à un détournement de pouvoir de la part de la Commission, ce qui serait contraire tant à la portée qu’à l’objectif du règlement no 4064/89. Le non-respect desdits délais aurait permis de ne pas effectuer l’examen de l’opération de concentration en cause en temps utile, de suspendre artificiellement le délai d’examen de celle-ci et de verser
immédiatement le prix au vendeur, conférant ainsi un avantage concurrentiel à Lagardère à l’égard de ses concurrents.

31 Pour la Commission, le deuxième moyen est à la fois inopérant et infondé.

32 Selon la Commission, la requérante n’a pas démontré en quoi ces prétendues violations procédurales pouvaient avoir un impact sur la validité de la décision litigieuse. Rien dans le règlement no 4064/89 ne pourrait permettre à la Commission de déclarer l’opération incompatible avec le marché commun à titre de sanction d’une prétendue violation procédurale, qu’elle soit commise par la Commission ou par la partie notifiante.

Appréciation de la Cour

33 Il convient de relever que le Tribunal a constaté, au point 162 de l’arrêt attaqué, que la qualification de l’opération de portage des actifs cibles est, en toute hypothèse, sans incidence sur la légalité de la décision litigieuse.

34 Le Tribunal a conclu, au point 164 de l’arrêt attaqué, que, en tout état de cause, à supposer même que l’opération de portage en cause ait permis à Lagardère d’acquérir, dès le mois de décembre 2002, le contrôle unique ou conjoint, avec NBP, des actifs cibles, une telle circonstance ne saurait affecter la légalité de la décision litigieuse, et a rejeté le moyen comme étant inopérant.

35 Cette conclusion du Tribunal n’est entachée d’aucune erreur de droit.

36 En effet, le recours d’Odile Jacob visait uniquement l’annulation de la décision litigieuse par laquelle la Commission a déclaré l’opération de concentration en cause compatible avec le marché commun.

37 À supposer même que les transactions effectuées au mois de décembre 2002 aient permis à Lagardère d’acquérir, déjà à cette période, le contrôle unique ou conjoint avec NBP des actifs cibles, cette circonstance n’aurait pas abouti à une conséquence autre que la constatation du retard avec lequel la notification de l’opération de concentration en cause a été effectuée ou, éventuellement, ainsi que l’a relevé le Tribunal au point 154 de l’arrêt attaqué, la constatation de la réalisation prématurée,
non autorisée par le règlement no 4064/89, de cette opération.

38 Or, bien que de telles constatations puissent entraîner les sanctions prévues par ledit règlement, notamment l’imposition d’une amende, conformément à l’article 14, paragraphes 1, sous a), ou 2, du règlement no 4064/89, elles ne sauraient aboutir à l’annulation de la décision litigieuse, dès lors qu’elles n’ont aucune incidence sur la compatibilité de l’opération de concentration en cause avec le marché commun.

39 En effet, il convient de rappeler que l’article 7, paragraphe 5, du règlement no 4064/89 prévoit que la validité de toute transaction qui serait réalisée avant sa notification et avant la déclaration de sa compatibilité avec le marché commun dépend de la décision prise par la Commission à l’issue de l’examen de la notification ou de la procédure d’examen approfondi. Or, il ressort du point 47 de l’arrêt attaqué que la Commission, par la décision litigieuse, a autorisé l’opération de concentration
en cause sous certaines conditions.

40 Par conséquent, pour que le Tribunal puisse se prononcer sur la légalité de la décision litigieuse, l’examen de la question de savoir si Lagardère a acquis un contrôle unique ou conjoint avec NBP des actifs cibles, par l’opération de portage en cause, n’était pas nécessaire. Les constatations du Tribunal relatives à cette question doivent donc être considérées comme surabondantes.

41 Il convient d’ajouter que tous les moyens et les arguments de la requérante concernant les effets éventuels de l’opération de portage sont, dès lors, également inopérants.

42 Partant, il y a lieu de rejeter le premier moyen comme inopérant et le deuxième moyen comme non fondé.

Sur le troisième moyen, relatif à l’erreur de droit commise par le Tribunal en ce que celui-ci n’a pas tiré les conséquences juridiques d’un défaut de motivation de la décision litigieuse

Argumentation des parties

43 Odile Jacob estime que le Tribunal aurait dû sanctionner l’absence de motivation de la décision litigieuse en ce qui concerne la qualification de l’opération de portage.

44 Le Tribunal, en validant l’absence de toute obligation de motivation concernant l’application par la Commission d’une exception aux dispositions impératives du règlement no 4064/89, aurait permis une violation des principes d’égalité et de sécurité juridique. Lagardère aurait ainsi profité d’une position plus favorable que celle de ses concurrents qui ont participé à la vente des actifs cibles, violant ainsi le principe d’égalité des participants à l’appel d’offres pour la vente de ces actifs. La
Commission n’aurait pas pu se départir de sa pratique décisionnelle usuelle en matière de contrôle des opérations de concentration sans motivation, sous peine de violer le principe de sécurité juridique et de protection de la confiance légitime.

45 La Commission fait valoir que la requérante n’a en rien démontré en quoi la décision litigieuse ainsi que l’arrêt attaqué étaient insuffisamment motivés concernant l’opération de portage. En toute hypothèse, la Commission relève que les questions relatives à la qualification du portage sont sans incidence sur le dispositif de la décision litigieuse. Quelle que soit la qualification de l’opération de portage, il serait incontestable que l’opération de concentration en cause, telle que notifiée le
14 avril 2003, était bien une opération de concentration et que, ainsi, la Commission ne serait pas tenue de se prononcer et de s’expliquer sur l’opération de portage elle-même. Tous les autres motifs développés par le Tribunal l’auraient été à titre surabondant et ne sauraient être retenus pour mettre en cause la motivation de l’arrêt attaqué.

Appréciation de la Cour

46 En alléguant que le Tribunal aurait dû sanctionner l’absence de motivation de la décision litigieuse en ce qui concerne la qualification de l’opération de portage, le raisonnement d’Odile Jacob repose sur la prémisse selon laquelle la qualification de cette opération aurait une incidence sur la légalité de la décision litigieuse.

47 Or, il ressort des points 37 à 40 du présent arrêt que la qualification de l’opération de portage n’a pas d’incidence sur la légalité de la décision litigieuse.

48 En tout état de cause, selon une jurisprudence constante, lors de la rédaction d’un acte, les institutions de l’Union européenne ne sont pas tenues de prendre position sur des éléments clairement secondaires ou d’anticiper des objections potentielles. Le degré de précision de la motivation d’une décision doit être proportionné aux possibilités matérielles et aux conditions techniques ou de délai dans lesquelles elle doit intervenir. Ainsi, la Commission ne viole pas son obligation de motivation
si, lorsqu’elle exerce son pouvoir de contrôle des opérations de concentration, elle n’inclut pas dans sa décision l’appréciation d’un certain nombre d’aspects de la concentration qui lui semblent manifestement hors de propos, dépourvus de signification ou clairement secondaires pour l’appréciation de cette dernière (voir arrêt du 10 juillet 2008, Bertelsmann et Sony Corporation of America/Impala, C-413/06 P, Rec. p. I-4951, point 167 ainsi que jurisprudence citée).

49 L’exigence de motivation d’une décision de la Commission déclarant une opération de concentration compatible avec le marché commun en vertu de l’article 8, paragraphe 2, du règlement no 4064/89 est satisfaite si cette décision expose clairement les raisons pour lesquelles la Commission considère que la concentration en question, le cas échéant après modifications apportées par les entreprises concernées, ne crée pas ou ne renforce pas une position dominante ayant comme conséquence qu’une
concurrence effective serait entravée de manière significative dans le marché commun ou une partie substantielle de celui-ci (voir arrêt Bertelsmann et Sony Corporation of America/Impala, précité, point 168).

50 Dans ces circonstances, il ressort des points 234 à 240 de l’arrêt attaqué que le Tribunal, en s’appuyant sur les considérants 6, 7 et 989 à 1003 de la décision litigieuse, a examiné la motivation de cette décision et a conclu qu’elle était suffisante.

51 Il s’ensuit que le troisième moyen doit être rejeté comme étant non fondé.

Sur le quatrième moyen, relatif à la méconnaissance des critères pertinents pour l’appréciation du renforcement d’une position dominante et du caractère approprié des engagements

Argumentation des parties

52 Tiré de prétendues erreurs de droit quant à l’analyse de l’opération de concentration en cause, le quatrième moyen comporte deux branches.

– Sur la première branche du quatrième moyen

53 Selon Odile Jacob, le Tribunal, en considérant que le démantèlement d’Éditis est sans influence sur l’appréciation de la compatibilité de l’opération de concentration en cause avec le marché commun, n’aurait pas apprécié avec pertinence la création ou le renforcement d’une position dominante sur le marché concerné. En cas de démantèlement de l’une des deux entreprises formant un duopole non dominant sur le marché, le Tribunal ne pouvait pas exclure, par principe, que l’affaiblissement de l’un des
deux concurrents opérant sur ce marché puisse aboutir à la création ou au renforcement d’une position dominante de l’autre. Par conséquent, le Tribunal aurait dû prendre en compte l’effet du démantèlement d’Éditis sur la création d’une position dominante.

54 Pour la Commission, le Tribunal n’a aucunement énoncé une règle de droit selon laquelle il serait exclu, par principe, que l’affaiblissement de l’un des deux concurrents aboutisse à la création d’une position dominante. Le Tribunal aurait simplement rappelé que le critère pertinent était la création ou le renforcement d’une position dominante et que la notion de démantèlement, qui était un terme excessif, n’était pas en elle-même un critère suffisant pour identifier une création ou un
renforcement d’une position dominante, qui sont le résultat d’un ensemble d’éléments. Le Tribunal aurait, ainsi, analysé à bon droit la capacité de pression concurrentielle d’Éditis après la cession des actifs rétrocédés.

55 Lagardère estime qu’il est impossible de prendre en compte le démantèlement de la cible dans le cadre des engagements aux fins de l’appréciation d’une position dominante. En effet, dans une première étape, la Commission devrait apprécier si l’opération notifiée crée ou renforce une position dominante susceptible d’entraver la concurrence. À ce stade, les engagements proposés par les parties ne seraient pas pris en compte et l’opération notifiée serait analysée dans son intégralité. Ce ne serait
que lors d’une deuxième et d’une troisième étape, à savoir postérieurement, que la Commission examinerait si les engagements permettraient de résoudre les problèmes de concurrence identifiés et si ces engagements seraient effectivement mis en œuvre. Dès lors, le prétendu démantèlement de la cible résulterait de l’analyse des engagements et serait donc sans pertinence au stade de l’appréciation d’une potentielle position dominante.

– Sur la seconde branche du quatrième moyen

56 Sur le caractère approprié des engagements ayant permis l’autorisation conditionnelle de l’opération de concentration en cause, Odile Jacob estime que, en premier lieu, le Tribunal n’a pas tenu compte de la nécessité de restaurer et de développer une concurrence effective. Le Tribunal, en ne relevant pas que le texte des engagements permettait une alternative entre la préservation «ou» le développement de la concurrence, aurait commis une erreur de droit. En effet, pour la requérante, ces deux
conditions sont cumulatives, comme l’énonce le considérant 13 du règlement no 4064/89. Le degré de concurrence effective dans le marché commun non seulement ne pourrait être inférieur à celui qui préexistait à l’opération, mais encore la structure du marché devrait permettre un accroissement effectif de ce niveau de concurrence à brève échéance.

57 En second lieu, le Tribunal n’aurait pas apprécié à bon droit la capacité du repreneur des actifs rétrocédés afin de préserver une concurrence effective. Pour Odile Jacob, un repreneur financier, dépourvu d’expérience sur le marché concerné et dont les équipes pourraient être modifiées, n’a pas la capacité de préserver et de développer la concurrence de l’activité d’édition concernée. Partant, Éditis serait structurellement affaiblie et le Tribunal, en ne sanctionnant pas la Commission du fait de
ne pas avoir exigé un acquéreur initial, aurait commis une erreur de droit susceptible de remettre en cause l’opération de concentration en cause.

58 Sur l’efficacité des engagements, la requérante souligne que l’arrêt attaqué a correctement analysé les effets liés au portefeuille de marques et les effets congloméraux de l’opération de concentration en cause, mais s’est abstenu de vérifier le caractère juridiquement approprié des engagements souscrits par Lagardère. Le Tribunal aurait ainsi validé une approche «fragmentée» consistant à ne vérifier que les chevauchements marché par marché, sans prendre en compte de façon plus globale les effets
de cette opération sur l’ensemble des marchés concernés, comme l’aurait entrepris la Cour dans l’arrêt Bertelsmann et Sony Corporation of America/Impala, précité.

59 Pour la Commission, la requérante s’appuie sur une prémisse erronée pour fonder le quatrième moyen. La communication de la Commission concernant les mesures correctives recevables conformément au règlement no 4064/89 et au règlement (CE) no 447/98 de la Commission (JO 2001, C 68, p. 3, ci-après la «communication sur les mesures correctives»), évoquerait uniquement le «rétablissement» et la «préservation» de la concurrence, afin que ces remèdes puissent assurer qu’un degré de concurrence, qui
existait avant l’opération de concentration concernée, soit préservé ou rétabli. Toutefois, il ne s’agirait en aucun cas d’améliorer, dans un esprit d’ingénierie des marchés ou de planification économique, ce niveau de concurrence.

60 Sur la capacité du repreneur des actifs rétrocédés, la Commission relève que cet argument revient en réalité à contester l’analyse des faits opérée par le Tribunal. En tout état de cause, un concurrent potentiel ne serait rien de plus qu’un acteur qui n’est pas encore présent comme concurrent sur un marché donné, mais qui possède les moyens et les incitations à y entrer. Or, dans le cas d’espèce, Éditis serait une entreprise autonome dotée de tous les actifs nécessaires pour être un concurrent
sur le marché concerné, soit environ 80 % des actifs cibles, disposant également de ses propres structures de gestion, de management et de logistique. Ce serait à juste titre que le Tribunal a considéré qu’un repreneur financier n’était pas forcément dépourvu de l’expérience requise, puisqu’il pouvait s’appuyer sur les dirigeants en place d’Éditis.

61 À titre subsidiaire, la Commission relève que la situation de l’espèce se distingue clairement des situations dans lesquelles l’acquéreur initial est choisi par la Commission. Dans cette dernière hypothèse, il s’agirait de situations où les actifs cédés en soi n’apparaîtraient pas comme un opérateur viable, mais pourraient néanmoins l’être en fonction du repreneur. Or, tel ne serait pas le cas avec l’opération de concentration en cause, dans laquelle Éditis serait un opérateur viable, actif sur
les marchés concernés, doté de toutes les ressources nécessaires pour concurrencer Lagardère. L’argument d’Odile Jacob relatif à la spécificité du duopole non dominant ne serait pas pertinent, puisque cet élément ne figurerait pas dans les critères énoncés par la communication sur les mesures correctives pour le choix de l’acquéreur final.

62 Sur le caractère juridiquement approprié des engagements souscrits par Lagardère, la Commission met en exergue le fait que le périmètre très réduit des actifs des marques et des positions de marché préalablement détenu par VUP, qui était conservé par Lagardère à la suite des engagements, exclut que l’addition de ces positions à celles détenues par Lagardère avant l’opération de concentration en cause crée des effets de portefeuille ou congloméraux. Or, le périmètre des marques, ainsi que des
positions sur les divers marchés d’édition, détenu par Lagardère avant l’opération, ne serait pas significativement élargi du fait de l’addition des actifs cibles conservés, tandis que le périmètre des marques et des positions de marché détenu par Éditis à la suite des engagements sur les marchés francophones serait essentiellement comparable à celui détenu par VUP avant l’opération.

63 Lagardère souligne que le règlement no 4064/89 ne contient aucune disposition indiquant qu’une opération de concentration ou des engagements qui en découlent doivent nécessairement aboutir à un accroissement du niveau de concurrence existant. Il ne saurait être exigé que ces engagements permettent de développer la concurrence au-delà de la situation concurrentielle initiale.

64 Pour ce qui est des arguments relatifs à la validation des conditions de sélection du repreneur des actifs rétrocédés, Lagardère les considère comme irrecevables.

65 Sur les engagements souscrits par Lagardère et la question de la suppression de toute addition de parts de marché sur l’ensemble des marchés en cause, Lagardère relève que le Tribunal a estimé, à bon droit, sur le fondement de son appréciation des faits, que ces engagements aboutissaient effectivement à faire diminuer de manière suffisante le poids de la nouvelle entité et à réduire très fortement tout «effet de gamme» potentiel. Les engagements ainsi souscrits seraient, par conséquent,
appropriés.

Appréciation de la Cour

66 S’agissant de la première branche du quatrième moyen, l’article 2, paragraphes 2 et 3, du règlement no 4064/89 confère à la Commission la mission d’assurer que les opérations de concentration soumises à son contrôle ne créent ou ne renforcent pas une position dominante ayant comme conséquence qu’une concurrence effective serait entravée de manière significative dans le marché commun ou une partie substantielle de celui-ci.

67 Il n’appartient pas, ainsi, à la Commission, comme voudrait le faire entendre la requérante, de mettre en place un système de concurrence parfaite et de décider, à la place des acteurs économiques, qui devrait opérer sur le marché.

68 La Commission, selon l’article 2, paragraphe 1, sous a), dudit règlement, doit tenir compte de la nécessité de préserver et de développer une concurrence effective dans le marché commun. Il s’agit d’une exigence qui constitue un élément important dans l’appréciation à laquelle doit se livrer la Commission, mais elle ne saurait modifier la règle définie au paragraphe 2 de cet article.

69 En ce qui concerne le démantèlement allégué d’Éditis, contrairement à la position de la requérante, le Tribunal n’a pas exclu par principe que l’affaiblissement par démantèlement de l’une des deux entreprises formant un duopole non dominant sur le marché puisse aboutir à la création ou au renforcement d’une position dominante de l’autre.

70 En effet, il ressort des points 285 à 287 de l’arrêt attaqué que le Tribunal s’est limité à constater que la rétrocession des actifs cibles à l’origine de 60 % du chiffre d’affaires global de VUP et la conservation par Lagardère des actifs cibles résiduels, donc la modification de la position initiale des parties en cause sur les différents marchés sectoriels affectés, n’étaient pas, à elles seules, un motif suffisant pour déterminer si l’opération de concentration créait ou renforçait une
position dominante ayant comme conséquence l’entrave significative d’une concurrence effective sur le marché commun ou une partie substantielle de celui-ci.

71 Enfin, il convient de relever que, au point 290 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a estimé que le démantèlement d’Éditis n’est pas étayé et il a ajouté, au point 293 de cet arrêt, que, en tout état de cause, la capacité concurrentielle de Nouvel Éditis dépend de la capacité du repreneur des actifs rétrocédés à maintenir ou à développer une concurrence effective. Le seul fait qu’Éditis aurait été démantelée ne constitue pas, en soi, un critère susceptible de faire constater son affaiblissement
potentiel sur le marché.

72 Il convient donc de rejeter la première branche du quatrième moyen.

73 S’agissant de la seconde branche du quatrième moyen, il ne saurait être soutenu non plus par Odile Jacob que le Tribunal a commis une erreur dans son appréciation des engagements relatifs à la capacité d’un repreneur financier.

74 En ce qui concerne le choix de l’acquéreur des actifs rétrocédés, il n’appartient pas à la Commission de sélectionner elle-même un acquéreur qui pourrait théoriquement satisfaire aux conditions optimales d’une concurrence parfaite sur un marché déterminé.

75 Il ressort du point 49 de la communication sur les mesures correctives que, afin de garantir l’efficacité des engagements souscrits, la vente à un acquéreur est subordonnée à l’approbation préalable de la Commission.

76 Par conséquent, la Commission ne dispose que de la possibilité d’agréer ou non un acquéreur qui lui est présenté et de vérifier, conformément au point 49 de ladite communication, qu’il est un concurrent actuel ou potentiel viable, indépendant des parties et sans aucun lien avec elles, qui possède des ressources financières, des compétences confirmées et la motivation nécessaire pour pouvoir préserver et développer la capacité de l’activité de concurrencer activement les parties.

77 À cet égard, il convient de relever que le Tribunal a estimé, aux points 341 à 343 de l’arrêt attaqué, que le repreneur des actifs rétrocédés répondait aux critères définis au point 10 des engagements de Lagardère.

78 En outre, même si un repreneur financier ne dispose pas d’une expérience préalable sur le marché concerné, il pourrait conserver les dirigeants en place de l’entité cédée ou même s’adjoindre d’autres compétences disponibles dans le secteur en cause.

79 En ce qui concerne le fait que le Tribunal ne se serait pas livré à une analyse des conditions de nomination de l’acquéreur initial des actifs rétrocédés, Odile Jacob allègue que la viabilité de ces actifs dépendait de l’identité du repreneur dans la mesure où il devait être un concurrent au moins aussi efficace que Lagardère pour éviter que la perturbation inéluctable de l’équilibre duopolistique n’aboutisse à la création d’une position dominante pour la nouvelle entité.

80 Il convient de relever, à l’instar du Tribunal, que la requérante ne démontre pas en quoi la nomination d’un acquéreur initial s’imposait dans le cas d’espèce.

81 En effet, le point 20 de la communication sur les mesures correctives dispose que, dans certains cas, la viabilité de la cession d’actifs dépend de l’identité de l’acquéreur. Dans cette hypothèse, la concentration n’est autorisée que si les parties s’engagent à ne pas réaliser l’opération notifiée avant d’avoir signé un accord contraignant sur la cession avec un acquéreur initial approuvé par la Commission.

82 Or, ainsi que le Tribunal l’a relevé aux points 290 et 291 de l’arrêt attaqué, Éditis était un opérateur viable, actif sur les marchés en cause, doté de toutes les ressources nécessaires pour concurrencer activement Lagardère. La nomination d’un acquéreur initial n’était ainsi pas nécessaire pour sauvegarder la viabilité des actifs.

83 Enfin, concernant le dernier argument relatif au caractère approprié des engagements de Lagardère au regard des constatations effectuées par la Commission sur l’existence des effets de portefeuille et congloméraux, il suffit de relever que cet argument a déjà été soulevé en première instance, comme il ressort des points 296 à 300 de l’arrêt attaqué, et qu’il a été analysé par le Tribunal aux points 302 à 321 de cet arrêt.

84 Odile Jacob, sous couvert d’une prétendue erreur de droit, vise en réalité à contester l’appréciation factuelle que le Tribunal a effectuée.

85 Or, il résulte d’une jurisprudence constante que le Tribunal est seul compétent, d’une part, pour constater les faits, sauf dans le cas où une inexactitude matérielle de ses constatations résulterait des pièces du dossier qui lui ont été soumises, et, d’autre part, pour apprécier ces faits. L’appréciation des faits ne constitue donc pas, sous réserve du cas de la dénaturation des éléments de preuve qui lui ont été soumis, une question de droit soumise, comme telle, au contrôle de la Cour (voir,
notamment, arrêt du 3 mai 2012, Legris Industries/Commission, C‑289/11 P, point 51 et jurisprudence citée).

86 En l’occurrence, Odile Jacob ne fonde pas ses allégations sur une inexactitude matérielle des constatations du Tribunal résultant des pièces du dossier ni sur une dénaturation des éléments de preuve qui lui ont été soumis. La requérante critique l’appréciation, en tant que telle, portée par le Tribunal sur les faits, les éléments de preuve et les arguments qui y sont relatifs, et reproche ainsi, en réalité, au Tribunal son analyse de l’adéquation des remèdes retenus par la Commission relatifs aux
effets de portefeuille et congloméraux de l’opération de concentration en cause à la suite des cessions consenties par Lagardère.

87 Dès lors, il y a lieu de considérer que cet argument doit être écarté comme étant irrecevable au stade du pourvoi.

88 Par conséquent, le quatrième moyen doit être rejeté comme étant partiellement non fondé et partiellement irrecevable.

89 Aucun des moyens invoqués par la requérante n’étant accueilli, il y a lieu de rejeter le pourvoi.

Sur les dépens

90 Aux termes de l’article 184, paragraphe 2, du règlement de procédure, lorsque le pourvoi n’est pas fondé, la Cour statue sur les dépens. Aux termes de l’article 138, paragraphe 1, de ce règlement, applicable à la procédure de pourvoi en vertu des articles 184, paragraphe 1, et 190, paragraphe 1, de celui-ci, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Odile Jacob ayant succombé en ses moyens et la Commission ainsi que Lagardère ayant conclu à sa condamnation,
il y a lieu de la condamner aux dépens.

  Par ces motifs, la Cour (grande chambre) déclare et arrête:

  1) Le pourvoi est rejeté.

  2) Éditions Odile Jacob SAS est condamnée aux dépens.

  Signatures

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( *1 ) Langue de procédure: le français.


Synthèse
Formation : Grande chambre
Numéro d'arrêt : C-551/10
Date de la décision : 06/11/2012
Type d'affaire : Pourvoi - non fondé, Pourvoi - irrecevable
Type de recours : Recours en annulation

Analyses

Pourvoi - Opérations de concentration d’entreprises sur le marché de l’édition des livres - Règlement (CEE) nº 4064/89 - Convention de portage - Motifs inopérants.

Concurrence

Concentrations entre entreprises


Parties
Demandeurs : Éditions Odile Jacob SAS
Défendeurs : Commission européenne.

Composition du Tribunal
Avocat général : Mazák
Rapporteur ?: Juhász

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2012:681

Source

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