CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL
M. YVES BOT
présentées le 20 septembre 2012 ( 1 )
Affaire C‑325/11
Krystyna Alder,
Ewald Alder
contre
Sabina Orlowska,
Czeslaw Orlowski
[demande de décision préjudicielle formée par le Sąd Rejonowy w Koszalinie (Pologne)]
«Signification et notification des actes judiciaires et extrajudiciaires — Règlement (CE) no 1393/2007 — Portée — Détermination des cas dans lesquels un acte doit être transmis d’un État membre à l’autre — Disposition nationale prévoyant une fiction de signification par remise au dossier de la procédure à défaut de désignation par la partie domiciliée sur le territoire d’un autre État membre d’un représentant chargé de recevoir les significations domicilié sur le territoire national»
1. La présente demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation du règlement (CE) no 1393/2007 du Parlement européen et du Conseil, du 13 novembre 2007, relatif à la signification et à la notification dans les États membres des actes judiciaires et extrajudiciaires en matière civile ou commerciale («signification ou notification des actes»), et abrogeant le règlement (CE) no 1348/2000 du Conseil ( 2 ).
2. La question porte plus précisément sur le point de savoir si les États membres disposent ou non d’une marge de manœuvre pour définir les cas dans lesquels un acte doit faire l’objet d’une signification transfrontière selon les modalités prévues par le règlement no 1393/2007.
3. L’application uniforme des règles de signification et de notification des actes judiciaires dans tous les États membres constituant un enjeu majeur de la construction d’un espace judiciaire européen, l’aspect technique et la complexité de la matière, caractérisée tant par l’enchevêtrement de normes nationales, internationales ou issues du droit de l’Union que par la coexistence, au sein même de l’ordre juridique de l’Union européenne, des règles issues du règlement no 1393/2007 et de règles
issues d’autres instruments, ne doivent pas masquer l’importance certaine que revêt cette question, qui offre à la Cour l’occasion de préciser les modalités d’articulation entre les droits procéduraux internes et l’ordre juridique de l’Union.
4. La présente affaire trouve son origine dans une action en paiement présentée le 20 novembre 2008 devant le Sąd Rejonowy w Koszalinie (Pologne) par Mme Alder et M. Alder ( 3 ), qui résident en Allemagne, à l’encontre de Mme Orlowska et M. Orlowski, qui résident en Pologne.
5. Cette juridiction a informé les époux Alder de leur obligation de désigner, dans le délai d’un mois, un représentant autorisé à recevoir les significations, en application de l’article 11355 du code de procédure civile polonais (Kodeks postępowania cywilnego), qui prévoit que, à défaut de désignation, par la partie dont la résidence se situe à l’étranger, d’un mandataire ad litem ou d’un représentant autorisé à recevoir ces significations, les actes judiciaires destinés à cette partie sont
conservés au dossier et réputés signifiés.
6. Les époux Alder n’ayant pas désigné de mandataire ad litem ou de représentant autorisé à recevoir les significations, leur demande a été rejetée par jugement du 5 juin 2009, à l’issue d’une audience à laquelle ils n’ont pas comparu.
7. Les époux Alder ont, le 29 octobre 2009, présenté une demande de réouverture de la procédure et de rétractation du jugement, en faisant valoir qu’ils avaient été privés de la possibilité d’agir faute d’avoir été effectivement convoqués à l’audience et que, en s’abstenant de signifier les actes judiciaires à leur adresse en Allemagne, le Sąd Rejonowy w Koszalinie avait enfreint le principe de non-discrimination en raison de la nationalité. Cette juridiction a, le 23 juin 2010, rejeté leur
demande.
8. Sur appel interjeté par les époux Alder, le Sąd Okręgowy w Koszalinie (Pologne) a, le 19 avril 2011, cassé ce jugement et renvoyé l’affaire devant la juridiction initialement saisie afin qu’elle statuât à nouveau, en considérant que la fiction de la signification était contraire au règlement no 1393/2007.
9. Le Sąd Rejonowy w Koszalinie, qui ne partage pas cette analyse, a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante:
«L’article 1er, paragraphe 1, du règlement […] no 1393/2007 […] et l’article 18 TFUE doivent-ils être interprétés en ce que les actes judiciaires destinés à une partie dont la résidence ou le lieu de séjour habituel se situe dans un autre État membre peuvent être conservés au dossier, en étant réputés signifiés, lorsque ladite partie n’a pas désigné un représentant autorisé à recevoir les significations qui réside dans l’État membre dans lequel se déroule la procédure juridictionnelle?»
I – Le cadre juridique
A – Le droit de l’Union
1. L’article 18 TFUE
10. L’article 18 TFUE prévoit:
«Dans le domaine d’application des traités, et sans préjudice des dispositions particulières qu’ils prévoient, est interdite toute discrimination exercée en raison de la nationalité.
Le Parlement européen et le Conseil, statuant conformément à la procédure législative ordinaire, peuvent prendre toute réglementation en vue de l’interdiction de ces discriminations.»
2. Le règlement no 1393/2007
11. Le règlement no 1393/2007, qui abroge et remplace le règlement (CE) no 1348/2000 du Conseil, du 29 mai 2000, relatif à la signification et à la notification dans les États membres des actes judiciaires et extrajudiciaires en matière civile et commerciale ( 4 ), établit un système de signification et de notification des actes judiciaires et extrajudiciaires en matière civile ou commerciale dans les États membres de l’Union. Destiné à accélérer et à faciliter la transmission des actes, le
règlement no 1393/2007 prévoit la transmission directe des actes dans les meilleurs délais ( 5 ) par l’entremise d’entités d’origine et d’entités requises, désignées par les États membres ( 6 ), tout en admettant d’autres modes de transmission ( 7 ) sans établir de hiérarchie entre eux ( 8 ), tels que la transmission par voie consulaire ou diplomatique, en cas de circonstances exceptionnelles ( 9 ), la signification ou la notification par les agents diplomatiques ou consulaires ( 10 ), la
signification ou la notification par l’intermédiaire des services postaux ( 11 ) ou la signification ou la notification directe par l’huissier de justice à la demande de toute personne intéressée ( 12 ).
12. Les considérants 6 à 9 du règlement no 1393/2007 sont rédigés comme suit:
«(6) L’efficacité et la rapidité des procédures judiciaires en matière civile impliquent que la transmission des actes judiciaires et extrajudiciaires soit effectuée directement et par des moyens rapides entre les entités locales désignées par les États membres. […]
(7) La rapidité de la transmission justifie l’utilisation de tout moyen approprié, pour autant que soient respectées certaines conditions quant à la lisibilité et à la fidélité du document reçu. […]
(8) Le présent règlement ne devrait pas s’appliquer à la signification et à la notification d’un acte au représentant mandaté d’une partie dans l’État membre où l’instance a lieu, quel que soit le lieu de résidence de cette partie.
(9) La signification ou la notification d’un acte devraient être effectuées dans les meilleurs délais, et, en tout état de cause, dans un délai d’un mois à compter de la réception par l’entité requise.»
13. L’article 1er de ce règlement prévoit:
«1. Le présent règlement est applicable en matière civile et commerciale, lorsqu’un acte judiciaire ou extrajudiciaire doit être transmis d’un État membre à un autre pour y être signifié ou notifié. Il ne couvre notamment pas les matières fiscales, douanières ou administratives, ni la responsabilité de l’État pour des actes ou des omissions commis dans l’exercice de la puissance publique (‘acta jure imperii’).
2. Le présent règlement ne s’applique pas lorsque l’adresse du destinataire de l’acte n’est pas connue.
3. Aux fins du présent règlement, on entend par ‘État membre’, les États membres, à l’exception du Danemark.»
14. Aux termes de l’article 26, dernier alinéa, dudit règlement, celui-ci est «obligatoire dans tous ses éléments et directement applicable dans les États membres conformément au traité instituant la Communauté européenne».
B – Le droit polonais
15. Aux termes de l’article 11355 du code de procédure civile polonais:
«1. La partie dont la résidence, le lieu de séjour habituel ou le siège se situe à l’étranger, et qui n’a pas désigné de mandataire ad litem résidant en Pologne, est tenue d’y nommer un représentant autorisé à recevoir les significations.
2. Si aucun représentant autorisé à recevoir les significations n’a été nommé, les actes judiciaires destinés à cette partie sont conservés au dossier et réputés signifiés. La partie doit en être informée lors de la première signification. Elle doit également être informée de la possibilité de répondre à l’acte introductif d’instance et de déposer des observations écrites, ainsi que des personnes qu’elle peut désigner comme représentants.»
II – Notre analyse
16. La question posée par le Sąd Rejonowy w Koszalinie implique d’examiner la compatibilité de l’article 11355 du code de procédure civile polonais avec le droit de l’Union d’un double point de vue. Il convient, d’une part, de rechercher si la fiction de signification à défaut de désignation d’un représentant est autorisée au regard du règlement no 1393/2007 et en particulier de son article 1er. Il y a lieu, d’autre part, de vérifier si la disposition litigieuse est conciliable avec le principe de
non-discrimination en raison de la nationalité prévu à l’article 18 TFUE.
17. Pour la clarté de notre analyse, nous examinerons séparément ces deux aspects de la question.
A – L’examen de la disposition litigieuse au regard de l’article 1er du règlement no 1393/2007
18. En vertu de l’article 1er, paragraphe 1, du règlement no 1393/2007, celui-ci est applicable «lorsqu’un acte judiciaire ou extrajudiciaire doit être transmis d’un État membre à un autre pour y être signifié ou notifié».
19. Adopté sur le fondement de l’article 61, sous c), CE, qui n’habilite le Conseil à prendre des mesures relevant du domaine de la coopération judiciaire dans les matières civiles que si elles ont une «incidence transfrontière», le règlement no 1393/2007 ne s’applique qu’en cas de signification ou de notification internationale et non pas en cas de signification ou de notification interne.
20. L’article 1er de ce règlement ne précisant pas dans quels cas un acte «doit» être transmis à l’étranger pour y être signifié ou notifié, la question se pose de savoir s’il laisse à chaque État membre le soin de définir quand un acte doit être transmis à l’étranger aux fins de signification ou de notification ou si, au contraire, il s’applique dès l’instant que l’adresse du destinataire de l’acte à signifier ou à notifier est située dans un autre État membre.
1. Les arguments des parties
21. Les défendeurs au principal ainsi que les gouvernements polonais et italien se prononcent dans le sens de la première branche de l’alternative en faisant valoir que, conformément au principe de l’autonomie procédurale, le règlement no 1393/2007 se limite à organiser la mise en œuvre des significations requises par les droits procéduraux nationaux.
22. Les gouvernements polonais et italien ajoutent que des obligations analogues de désignation d’un représentant autorisé à recevoir les significations existent dans le droit de l’Union ( 13 ).
23. Le gouvernement polonais estime, par ailleurs, que l’institution du représentant autorisé à recevoir les significations, prévue par le droit polonais, est destinée à réaliser les mêmes objectifs d’efficacité et de rapidité des procédures judiciaires que ceux poursuivis par le règlement no 1393/2007.
24. Les époux Alder, le gouvernement portugais et la Commission européenne optent, au contraire, en faveur de la seconde branche de l’alternative, en soutenant que les modalités de signification et de notification prévues par le règlement no 1393/2007 s’appliquent dès lors que la partie à laquelle l’acte doit être signifié réside dans un autre État membre et que son adresse est connue.
25. Pour les époux Alder, en ne faisant application de ce règlement que pour la première notification, la norme nationale polonaise bloque la circulation communautaire des actes judiciaires, alors pourtant que l’article 14 dudit règlement autorise la signification ou la notification des actes par l’intermédiaire des services postaux.
26. Se fondant sur l’article 26, dernier alinéa, du règlement no 1393/2007, le gouvernement portugais considère, dans le même sens, que les dispositions du code de procédure civile polonais ne peuvent s’appliquer qu’aux citoyens qui ont leur résidence dans un État tiers à l’Union, le devoir de transmission en vertu de ce règlement tenant seulement au fait que la résidence, le lieu de séjour habituel ou le siège de l’une des parties ne se situe pas dans l’État membre dans lequel le recours a été
introduit, ce qui confère un caractère transnational à l’affaire, indépendamment de ce que consacre le droit procédural national.
27. Tout en estimant également que l’obligation de désigner un représentant en Pologne n’est pas conforme au règlement no 1393/2007, la Commission, qui indique que la compatibilité de l’article 11355 du code de procédure civile polonais avec le droit de l’Union fait l’objet d’un dialogue avec les autorités polonaises à la suite d’une pétition adressée au Parlement ( 14 ), consacre une part prépondérante de ses observations à l’examen de la compatibilité de cette disposition avec l’article 18 TFUE.
Elle soutient que l’obligation de désigner un représentant en Pologne est incompatible avec cet article puisqu’elle constitue une discrimination indirecte en raison de la nationalité, dans la mesure où elle vise généralement les ressortissants d’autres États membres qui, dans de nombreux cas, n’auront pas de résidence, de lieu de séjour habituel ou de siège en Pologne.
2. Notre appréciation
28. En accord avec la position des époux Alder, du gouvernement portugais et de la Commission, nous estimons qu’il n’est pas conforme au règlement no 1393/2007 de sanctionner par une fiction de signification le défaut de désignation, par la partie domiciliée à l’étranger, d’un représentant chargé de recevoir les actes domicilié en Pologne.
29. Ce règlement abroge et remplace le règlement no 1348/2000, lequel s’inspire de la convention établie sur la base de l’article K.3 du traité sur l’Union européenne, relative à la signification et à la notification dans les États membres de l’Union européenne des actes judiciaires et extrajudiciaires en matière civile ou commerciale ( 15 ). La convention de 1997, destinée à élaborer un instrument visant à simplifier et à accélérer les procédures de transmission des actes judiciaires et
extrajudiciaires entre les États membres, n’est pas entrée en vigueur, faute d’avoir été ratifiée avant l’entrée en vigueur du traité d’Amsterdam.
30. Bien que comportant certaines innovations ( 16 ) afin, notamment, de mieux préserver les droits des parties, la convention de 1997 s’inscrivait dans le droit fil de la convention de La Haye du 15 novembre 1965 relative à la signification et à la notification à l’étranger des actes judiciaires et extrajudiciaires en matière civile ou commerciale ( 17 ), laquelle établit un mécanisme de coopération administrative permettant la signification ou la notification d’un acte par l’intermédiaire d’une
autorité centrale chargée de recevoir les demandes et d’y donner suite. Par ailleurs, l’article IV du protocole annexé à la convention de Bruxelles du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale ( 18 ), telle que modifiée par la convention du 29 novembre 1996 relative à l’adhésion de la République d’Autriche, de la République de Finlande et du Royaume de Suède ( 19 ), instaurait comme mode de transmission facultatif des
actes judiciaires la signification d’officier ministériel à officier ministériel.
31. La convention de La Haye de 1965 est considérée comme étant dépourvue de caractère obligatoire, en ce sens qu’elle n’est applicable que lorsque la loi interne de l’État du for décide qu’un acte doit être transmis à l’étranger aux fins de signification ou de notification. Ainsi, le manuel pratique sur le fonctionnement de cette convention, rédigé par le Bureau permanent de la Conférence de La Haye de droit international privé ( 20 ), mentionne-t-il qu’un «bref aperçu» de la pratique des États
parties «semble confirmer, à quelques exceptions près, le caractère non obligatoire de [ladite] convention» ( 21 ), tout en ajoutant, comme à regret, que, pour satisfaire pleinement à l’objectif d’assurer que l’acte signifié ou notifié a été porté à la connaissance réelle du destinataire, la convention de La Haye de 1965 aurait dû s’immiscer dans le droit national et définir elle-même les conditions d’une signification ou d’une notification valable, ce qui aurait été le seul moyen d’éliminer les
modes de signification ou de notification fictifs comme la notification au parquet.
32. Toutefois, nous pensons que l’évolution profonde qu’a connue la matière à la suite, notamment, de sa communautarisation implique une nouvelle lecture des rapports entre la réglementation désormais issue du règlement no 1393/2007 et les droits procéduraux nationaux.
33. Il convient, en effet, de tenir compte de l’évolution des objectifs assignés à la politique de l’Union en matière de coopération judiciaire civile et de la volonté de créer un espace judiciaire européen, destiné, d’une part, à garantir la libre circulation des actes judiciaires et extrajudiciaires et, d’autre part, à promouvoir les droits fondamentaux.
34. Revenons successivement sur ces deux finalités indissociables.
35. Le règlement no 1393/2007 s’inscrit, en premier lieu, dans la création d’un espace judiciaire européen au sein duquel doit être assurée la libre circulation des actes judiciaires et extrajudiciaires.
36. Ainsi que la Cour l’a jugé dans ses arrêts du 8 novembre 2005, Leffler ( 22 ), et du 25 juin 2009, Roda Golf & Beach Resort ( 23 ), l’objectif du traité d’Amsterdam de créer un «espace de liberté, de sécurité et de justice», donnant à la Communauté européenne une «dimension nouvelle», et le transfert, du traité UE vers le traité CE, du régime permettant l’adoption de mesures relevant du domaine de la coopération judiciaire dans les matières civiles ayant une incidence transfrontière attestent de
la volonté des États membres d’«ancrer» de telles mesures dans l’ordre juridique de l’Union ( 24 ).
37. Cet «ancrage» confère une nouvelle consistance au système de signification et de notification transfrontière, qui participe au bon fonctionnement du marché intérieur en garantissant la libre circulation des actes judiciaires et extrajudiciaires.
38. La volonté de bâtir un espace judiciaire européen a, d’ailleurs, conduit le législateur de l’Union à dépasser la voie de la simple coordination des procédures nationales en procédant à des avancées dans la mise en place de procédures communautaires spécifiques destinées à régler plus rapidement et efficacement les litiges transfrontaliers, telles que le titre exécutoire européen pour les créances incontestées ( 25 ) ainsi que les procédures européennes d’injonction de payer ( 26 ) et de
règlement des petits litiges ( 27 ).
39. S’ils ne procèdent pas à l’unification des modes de signification ou de notification à l’échelle européenne, ces nouveaux instruments instaurent, en revanche, des normes minimales, au regard desquelles tant le règlement no 805/2004 que le règlement no 1896/2006 précisent qu’un mode de signification ou de notification fondé sur une fiction juridique ne peut être jugé comme suffisant ( 28 ).
40. Alors que l’accomplissement d’actes de procédure sur le territoire d’un autre État membre était traditionnellement considéré comme heurtant la souveraineté des États, ces différents règlements réalisent, au travers de l’instauration de ces normes minimales, un abandon progressif, bien que limité, de certains attributs de cette souveraineté, puisqu’ils prévoient la réalisation de significations ou de notifications transfrontières directes par la voie postale ( 29 ), sans octroyer aux États
membres la faculté de s’opposer à ce mode de transmission. De la même façon, à la différence de la convention de La Haye de 1965, qui prévoit que l’État requis peut s’opposer à la transmission directe par la voie postale d’actes judiciaires à des personnes se trouvant sur son territoire ( 30 ), le règlement no 1393/2007 ne permet pas à l’État membre sur le territoire duquel réside le destinataire de l’exclure, ni même d’en préciser les conditions d’utilisation ( 31 ).
41. La création d’un espace judiciaire européen est, en second lieu, indissociable de la finalité générale d’une Union de droit que constitue la promotion des droits fondamentaux.
42. Ce nouvel espace a, notamment, pour objectif de promouvoir les garanties procédurales, composantes du droit à un procès équitable tel qu’il découle des articles 47, deuxième alinéa, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et 6, paragraphe 1, de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950, tout en les conciliant avec les impératifs de célérité et d’efficacité de la justice civile.
43. Dans le prolongement du Conseil européen de Tampere des 15 et 16 octobre 1999 ainsi que du programme de La Haye, adopté en 2004, le Conseil européen a proclamé, dans le programme de Stockholm, adopté en 2010 ( 32 ), que le principal objectif de l’action menée dans le domaine des dispositions de droit procédural en matière civile consiste à faire en sorte que les frontières entre les États membres ne constituent pas un obstacle au règlement des affaires civiles ni à l’engagement de procédures
judiciaires ou à l’exécution des décisions en matière civile. Le Conseil européen a également déclaré que la priorité devait être donnée à la mise en place de mécanismes destinés à faciliter l’accès à la justice afin que les citoyens puissent faire valoir leurs droits partout dans l’Union. Allant au-delà de la coopération judiciaire traditionnelle, l’édification d’une «Europe du droit et de la justice» ( 33 ) a donc ainsi directement pour objet de répondre aux besoins des justiciables ( 34 ).
44. Or, la mise en œuvre de modes de signification et de notification efficaces figure parmi les garanties procédurales du procès équitable. La Cour européenne des droits de l’homme considère, en effet, que le «droit à un tribunal» et le principe de l’égalité des armes, inhérents au procès équitable, «visant l’ensemble du droit procédural des États contractants, […] s’appliquent également dans ce domaine particulier qu’est la signification et la notification des actes judiciaires aux parties» ( 35 )
et que l’obligation pour les États contractants «d’organiser leur système judiciaire de telle sorte que leurs juridictions puissent garantir à chacun le droit d’obtenir une décision définitive sur les contestations relatives à ses droits et obligations de caractère civil dans un délai raisonnable […] implique également la mise en place de procédés de notification efficaces, permettant d’assurer la notification de la date des audiences aux parties en temps voulu» ( 36 ).
45. Dans son arrêt du 8 mai 2008, Weiss und Partner ( 37 ), la Cour, qui a considéré que l’interprétation du règlement no 1348/2000 ne pouvait être dissociée du contexte de développement dans le domaine de la coopération judiciaire en matière civile dans lequel ce règlement s’inscrivait, a mis l’accent sur la protection des droits de la défense en relevant, par analogie avec la solution dégagée pour l’interprétation du règlement no 44/2001, que les objectifs d’amélioration et d’accélération de la
transmission des actes poursuivis par le règlement no 1348/2000 «ne sauraient […] être atteints en affaiblissant, de quelque manière que ce soit, les droits de la défense», lesquels «dérivent du droit à un procès équitable consacré à l’article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales» et «constituent un droit fondamental qui fait partie des principes généraux du droit dont la Cour assure le respect» ( 38 ).
46. Plusieurs dispositions du règlement no 1393/2007 témoignent de la volonté de créer un système de signification et de notification des actes judiciaires propre à garantir le droit à un procès équitable. Le système de la double date, qui permet de prendre en considération, lorsqu’un acte doit être signifié ou notifié dans un délai déterminé, la loi de l’État membre d’origine pour fixer la date à l’égard du requérant, tout en tenant compte de la loi de l’État membre requis pour déterminer la date à
l’égard du destinataire de l’acte, répond au souci d’assurer un équilibre entre les intérêts des parties. La protection du destinataire de l’acte est assurée par la faculté qui lui est reconnue de refuser de recevoir l’acte s’il n’est pas traduit dans une langue comprise par lui ou dans la langue officielle de l’État membre requis, par l’obligation pour le juge de surseoir à statuer lorsque le défendeur ne comparaît pas ou encore par la possibilité pour le défendeur de bénéficier d’un relevé de
la forclusion résultant de l’expiration des délais de recours s’il a eu une connaissance tardive de la procédure et si ses moyens de défense n’apparaissent pas dénués de fondement.
47. L’objectif de protection des droits de la défense, qui inspirait déjà le règlement no 1348/2000, sort d’ailleurs renforcé des changements apportés à ce texte par le règlement no 1393/2007 qui, par exemple, améliore l’information du destinataire en imposant de lui indiquer par écrit, au moyen d’un formulaire standard, qu’il peut refuser de recevoir l’acte à signifier ou à notifier s’il n’est pas rédigé dans une langue comprise par lui ou dans la langue officielle de l’État membre requis ( 39 ) ou
renforce la certitude de réception de l’acte en imposant la lettre recommandée avec accusé de réception ou tout procédé équivalent comme mode de signification ou de notification par l’intermédiaire des services postaux ( 40 ).
48. C’est à la lumière de ces finalités qu’il convient d’interpréter le règlement no 1393/2007, en respectant l’impératif d’une application uniforme de ses dispositions. À cet égard, il convient de relever que, tandis qu’elle avait, dans un premier temps, présenté une proposition de directive afin de transformer la convention de 1997 en instrument communautaire ( 41 ), la Commission a suivi l’avis divergent du Parlement qui avait proposé de légiférer par voie de règlement ( 42 ), afin de garantir
une «mise en œuvre rapide, claire et homogène» des nouvelles dispositions ( 43 ). Ce choix de la voie du règlement, plutôt que de celle de la directive, comme instrument d’instauration de ce système révèle l’attachement du législateur de l’Union au «caractère directement applicable» des dispositions du règlement no 1393/2007 et à l’«application uniforme de celles-ci» ( 44 ).
49. Selon nous, la signification ou la notification d’un acte judiciaire doit nécessairement être effectuée conformément aux prescriptions de ce règlement dès lors que le destinataire de l’acte réside dans un autre État membre.
50. Cette interprétation est étayée tant par le libellé que par les objectifs et l’économie générale dudit règlement.
51. En premier lieu, plaide en ce sens une interprétation littérale de l’article 1er du règlement no 1393/2007. Si l’article 1er, paragraphe 1, de ce règlement est ambigu, puisqu’il n’indique pas dans quels cas un acte judiciaire ou extrajudiciaire «doit» être transmis d’un État membre à un autre pour y être signifié ou notifié, cette disposition doit être lue en combinaison avec l’article 1er, paragraphe 2, dudit règlement, qui précise qu’il «ne s’applique pas lorsque l’adresse du destinataire de
l’acte n’est pas connue». L’absence de domicile connu du destinataire étant le seul cas dans lequel l’application du règlement no 1393/2007 est expressément exclue, il est possible d’en déduire, a contrario, que ce règlement s’applique dans tous les cas où le destinataire a une adresse connue située dans un autre État membre.
52. En deuxième lieu, nous estimons que permettre à chaque État membre de continuer à appliquer des dispositions nationales prévoyant une fiction de signification lorsque le destinataire demeure dans un autre État membre compromet les objectifs de libre circulation des actes et de promotion des droits fondamentaux. Il importe, en particulier, de souligner que l’intégration des règles de signification et de notification des actes judiciaires dans les composantes du procès équitable destinées à
garantir, pour le demandeur, le droit d’accès au juge et, pour le défendeur, le droit d’être informé en temps utile de l’objet et de la cause de la demande afin de pouvoir se défendre implique la prohibition de tout mode de signification fictif ayant pour conséquence de priver les parties des règles protectrices contenues dans le règlement no 1393/2007. Or, une fiction de signification pourrait avoir, par exemple, pour effet de priver le défendeur domicilié dans un autre État membre de la
possibilité de refuser de recevoir un acte introductif d’instance qui ne serait pas traduit dans une langue comprise par lui ou dans la langue officielle de l’État membre requis ( 45 ).
53. En troisième lieu, il ressort de l’économie générale du règlement no 1393/2007 que le système de signification et de notification qu’il établit tend à garantir la réception réelle et effective de l’acte judiciaire par son destinataire, laquelle représente le dénominateur commun des différents modes de signification ou de notification mis à la disposition des États membres. Dans cette optique, une remise purement fictive, découlant d’une présomption légale déduite de la remise des actes au
dossier de la procédure, ne saurait être admise. Aussi, contrairement à ce que soutient le gouvernement polonais, nous ne pensons pas que l’artifice procédural que constitue la fiction de signification par remise au dossier de la procédure puisse être valablement comparé aux mécanismes de transmission des actes mis en place par ce règlement.
54. En définitive, la circonstance que le droit national applicable au litige au principal prévoit, en matière de notification des actes judiciaires, une présomption qui dispense de l’obligation de notifier au domicile réel de la partie qui demeure à l’étranger nous paraît contraire tant à la lettre qu’à la finalité et à l’économie générale du règlement no 1393/2007 et de nature à priver celui-ci de son effet utile en contournant le système de signification et de notification des actes judiciaires
qu’il établit.
55. L’arrêt du 15 mars 2012, G ( 46 ), corrobore cette interprétation.
56. Dans cet arrêt, où se posait la question de la compatibilité avec le droit de l’Union d’une disposition du code de procédure civile allemand (Zivilprozessordnung) prévoyant la signification par voie d’affichage public de l’acte introductif d’instance lorsque l’adresse du défendeur est inconnue, la Cour a encadré les conditions dans lesquelles un jugement pouvait être prononcé par défaut à l’encontre d’un défendeur auquel, dans l’impossibilité de le localiser, l’acte introductif d’instance avait
été signifié par voie de publication selon le droit national. Bien que ledit arrêt ait été rendu dans des circonstances au principal où le règlement no 1393/2007 ne trouvait pas à s’appliquer, puisque l’adresse du destinataire de l’acte n’était pas connue ( 47 ), son examen révèle deux enseignements qui sont pertinents pour la réponse à apporter à la présente question préjudicielle.
57. Le premier de ces enseignements est que la marge de manœuvre reconnue aux États membres pour fixer les règles procédurales applicables aux actions engagées devant leurs juridictions est nécessairement limitée par l’obligation de respecter le droit de l’Union. Ainsi la Cour a-t-elle énoncé que, «si, en l’absence de réglementation systématique des procédures internes par le droit de l’Union, il appartient […] aux États membres, dans le cadre de leur autonomie procédurale, de fixer les règles
procédurales applicables aux actions engagées devant leurs juridictions, lesdites règles ne doivent pas porter atteinte au droit de l’Union» ( 48 ).
58. Le second enseignement qui se dégage de l’examen dudit arrêt est qu’un mode de signification qui ne vise pas à permettre au destinataire de recevoir effectivement l’acte, telle la signification par publication, ne peut être admis que lorsque l’adresse du destinataire de l’acte n’est pas connue et que toutes les recherches requises par les principes de diligence et de bonne foi ont été entreprises pour le retrouver ( 49 ). Il en résulte, a contrario, que, lorsque l’adresse du destinataire est
connue, l’acte doit être signifié ou notifié à cette adresse.
59. La conclusion selon laquelle le règlement no 1393/2007 s’oppose à une fiction de signification telle que celle prévue par la disposition nationale litigieuse rencontre, toutefois, trois objections que nous voulons, à présent, réfuter.
60. La première objection avancée à l’encontre de cette solution est tirée de l’article 11355 du code de procédure civile polonais qui, s’il institue une fiction de signification, prévoit également que, lors de la première signification, une information est donnée aux parties sur la nécessité de désigner un représentant et sur la possibilité de demander l’exemption des frais de procédure et la désignation d’un mandataire ad litem.
61. Cependant, cet avertissement ne nous paraît pas de nature à justifier une dérogation aux dispositions du règlement no 1393/2007 et à rendre acceptable la fiction de signification, qui ne répond pas aux exigences du procès équitable. Outre que le gouvernement polonais indique que la première notification n’est que «le plus souvent» effectuée par application de ce règlement, ce dont il résulte qu’elle ne l’est pas systématiquement, nous estimons que l’information initialement donnée ne garantit
pas un déroulement contradictoire de la procédure et ne saurait, en conséquence, suppléer à l’absence de notification ultérieure des actes judiciaires.
62. De surcroît, admettre une fiction de signification sous prétexte que le destinataire a été averti de son obligation de désigner un représentant chargé de recevoir les significations n’est pas conforme au principe de coopération loyale et à celui de confiance mutuelle, qui impliquent que tous les actes judiciaires qui doivent être signifiés ou notifiés à un destinataire qui réside dans un autre État membre le soient conformément au système établi par le règlement no 1393/2007.
63. La deuxième objection repose sur le considérant 8 du règlement no 1393/2007, qui précise que celui-ci ne devrait pas s’appliquer à la signification et à la notification d’un acte au représentant mandaté d’une partie dans l’État membre où l’instance a lieu, quel que soit le lieu de résidence de cette partie.
64. Nous sommes toutefois d’avis que cette exception, qui, au demeurant, ne figure que dans un considérant sans être ni reprise ni explicitée dans un article déterminé, doit être d’interprétation stricte et ne peut viser, outre la désignation d’un mandataire ad litem, que l’élection de domicile volontaire, résultant d’une manifestation de volonté par laquelle la personne chez qui l’élection de domicile est effectuée se voit reconnaître qualité pour recevoir les significations ou les notifications
des actes judiciaires.
65. La troisième objection, prise de l’existence de dispositions du droit de l’Union prévoyant l’élection de domicile, ne nous paraît pas plus pertinente.
66. Certes, il est exact que tant le règlement no 44/2001 que le règlement no 2201/2003 obligent la partie qui demande l’exécution dans un État membre d’une décision rendue dans un autre État membre à faire élection de domicile dans le ressort de la juridiction saisie ou à désigner un mandataire ad litem lorsque la loi de l’État membre requis ne connaît pas l’élection de domicile.
67. Pour autant, nous ne voyons pas comment l’existence, à l’échelle européenne, de ce régime dérogatoire par rapport aux règles de droit commun issues du règlement no 1393/2007 pourrait autoriser les États membres à introduire ou à maintenir dans leur ordre juridique national des règles de signification ou de notification transfrontière qui se substitueraient au système de signification ou de notification prévu par ce règlement alors même que les conditions d’application de celui-ci seraient
réunies.
68. Par ailleurs, l’exigence d’une élection de domicile, propre à la procédure d’exequatur et destinée à faciliter tant la communication au requérant de la décision statuant sur sa demande que l’exercice d’un recours par la partie contre laquelle l’exécution est requise, s’applique, par hypothèse, indistinctement, à tout citoyen de l’Union quelle que soit sa nationalité.
69. Enfin, nous relèverons que, si les conséquences qui résultent de la violation des modalités relatives à l’élection de domicile sont définies par la loi de l’État membre requis, la Cour a, néanmoins, encadré la marge de manœuvre des États membres en jugeant que «la sanction prévue ne saurait […] ni remettre en cause la validité du jugement accordant l’exequatur, ni permettre qu’il soit porté atteinte aux droits de la partie contre laquelle l’exécution est poursuivie» ( 50 ).
70. Quant à l’argument tiré du règlement de procédure, il nous semble dépourvu de toute pertinence, puisque ce texte n’est pas comparable à l’instrument d’harmonisation des législations nationales que constitue le règlement no 1393/2007. Ajoutons, à titre surabondant, que l’élection de domicile prévue à l’article 38, paragraphe 2, du règlement de procédure est simplement facultative ( 51 ) et que, en outre, dans le cas où une partie n’aurait pas élu domicile ou consenti à ce que les significations
soient adressées par un moyen technique de communication, il est procédé aux significations à la partie concernée par envoi postal recommandé adressé à l’agent ou à l’avocat de cette partie.
71. Telles sont les raisons pour lesquelles nous concluons que la disposition litigieuse doit être considérée comme incompatible avec le règlement no 1393/2007. Quelles que puissent être ses lacunes et ses insuffisances, notamment en ce qui concerne les modalités de signification par voie postale ( 52 ), ce règlement représente tant une avancée majeure qu’une condition essentielle de la construction d’un espace judiciaire européen, au sein duquel le «fossile procédural» ( 53 ) que constitue la
fiction de signification par remise au dossier de la procédure n’a pas sa place.
72. Nous proposons, en conséquence, à la Cour de dire pour droit que l’article 1er du règlement no 1393/2007 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation d’un État membre, telle que celle en cause au principal, qui prévoit que les actes judiciaires destinés à une partie dont la résidence, le lieu de séjour habituel ou le siège est situé dans un autre État membre sont conservés au dossier de la procédure, en étant réputés signifiés, lorsque ladite partie n’a pas désigné un
représentant autorisé à recevoir les significations qui réside dans l’État membre où se déroule l’instance.
73. Les considérations qui précèdent suffisent pour répondre à l’interrogation de la juridiction de renvoi. Néanmoins, dans l’hypothèse où la Cour n’adopterait pas notre proposition d’interprétation du règlement no 1393/2007, il nous paraît utile d’examiner rapidement la question au regard de l’article 18 TFUE.
B – L’examen de la disposition litigieuse au regard de l’article 18 TFUE
74. Nous considérons, à l’instar des époux Alder, du gouvernement portugais et de la Commission, que l’obligation d’élire domicile enfreint le principe de non-discrimination en fonction de la nationalité posé par l’article 18 TFUE.
75. Ce principe a pour corollaire, au sein de l’espace judiciaire européen, l’obligation de respecter l’égalité de traitement entre tous les justiciables de l’Union, quels que soient leur nationalité ou leur lieu de résidence. À l’occasion de sa réunion de Tampere des 15 et 16 octobre 1999, le Conseil européen a ainsi souligné que le «citoyen ne peut jouir de la liberté que dans un véritable espace de justice, où chacun peut s’adresser aux tribunaux et aux autorités de tous les États membres aussi
facilement qu’il le ferait dans son propre pays».
76. La Cour a itérativement jugé qu’une règle procédurale civile nationale exigeant, lors d’un recours juridictionnel, le versement d’une cautio judicatum solvi ne peut opérer une discrimination à l’égard de personnes auxquelles le droit de l’Union confère le droit à l’égalité de traitement ( 54 ).
77. Dans son arrêt du 10 février 1994, Mund & Fester ( 55 ), elle a considéré qu’une disposition procédurale nationale qui, pour un jugement devant être exécuté dans un autre État membre, autorise la saisie conservatoire au seul motif que l’exécution devra avoir lieu à l’étranger, alors que, pour un jugement devant être exécuté sur le territoire national, elle ne l’autorise qu’au motif qu’il est probable que, à défaut, l’exécution sera rendue impossible ou fondamentalement plus difficile constitue
une forme dissimulée de discrimination qui n’est pas justifiée par des circonstances objectives.
78. À la lumière de ces décisions, nous estimons qu’une disposition procédurale qui impose aux parties qui résident dans un autre État membre l’obligation de désigner un représentant dans l’État membre où se déroule l’instance pour recevoir les significations et les notifications des actes judiciaires contrevient au principe de non-discrimination.
79. Si, comme l’observe le gouvernement polonais, l’article 11355 du code de procédure civile polonais ne révèle pas de discrimination directe fondée sur la nationalité, puisqu’il s’applique dans tous les cas où une partie, quelle que soit sa nationalité, est domiciliée dans un autre État membre, il n’en reste pas moins que, comme le fait valoir à juste titre la Commission, cette disposition s’appliquera principalement aux ressortissants des autres États membres, qui, le plus souvent, n’ont pas de
résidence ou de lieu de séjour habituel en Pologne, plutôt qu’aux citoyens polonais.
80. En outre, l’affirmation du gouvernement polonais selon laquelle la fiction de signification n’est pas discriminatoire puisqu’une sanction identique est prévue à l’article 136, paragraphe 2, du code de procédure civile polonais à l’encontre de la partie domiciliée en Pologne est, selon nous, inexacte. En effet, à la différence de la partie résidant à l’étranger, la partie domiciliée en Pologne n’est pas tenue de désigner un représentant chargé de recevoir les significations ou les notifications.
Elle ne s’expose à la sanction de la signification fictive que dans le cas particulier où elle n’aurait pas informé la juridiction de son changement de résidence ou du siège en cours d’instance.
81. Les motivations avancées par le gouvernement polonais à l’appui de l’obligation d’élire domicile en Pologne, à savoir, principalement, la nécessité de garantir un déroulement efficace de la procédure juridictionnelle, ne nous paraissent pas constituer des raisons pouvant justifier son maintien, puisque le règlement no 1393/2007 a précisément pour objet de faciliter et d’accélérer les transmissions transfrontières en prévoyant divers modes de transmission des actes.
82. Nous estimons, en conséquence, que l’article 11355 du code de procédure civile polonais constitue une discrimination au regard de l’article 18 TFUE.
III – Conclusion
83. Nous proposons à la Cour de répondre à la question posée par le Sąd Rejonowy w Koszalinie de la manière suivante:
L’article 1er du règlement (CE) no 1393/2007 du Parlement européen et du Conseil, du 13 novembre 2007, relatif à la signification et à la notification dans les États membres des actes judiciaires et extrajudiciaires en matière civile ou commerciale («signification ou notification des actes»), et abrogeant le règlement (CE) no 1348/2000 du Conseil, doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation d’un État membre, telle que celle en cause au principal, qui prévoit que les actes
judiciaires destinés à une partie dont la résidence, le lieu de séjour habituel ou le siège est situé dans un autre État membre sont conservés au dossier de la procédure, en étant réputés signifiés, lorsque ladite partie n’a pas désigné un représentant autorisé à recevoir les significations qui réside dans l’État membre où se déroule l’instance.
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( 1 ) Langue originale: le français.
( 2 ) JO L 324, p. 79.
( 3 ) Ci-après les «époux Alder».
( 4 ) JO L 160, p. 37.
( 5 ) Article 4, paragraphe 1, de ce règlement.
( 6 ) Article 2, paragraphes 1 et 2, dudit règlement.
( 7 ) Section 2 du règlement no 1393/2007.
( 8 ) Voir arrêt du 9 février 2006, Plumex (C-473/04, Rec. p. I-1417, points 19 à 22).
( 9 ) Article 12 de ce règlement.
( 10 ) Article 13 dudit règlement.
( 11 ) Article 14 du règlement no 1393/2007.
( 12 ) Article 15 de ce règlement.
( 13 ) Les gouvernements polonais et italien citent le règlement (CE) no 44/2001 du Conseil, du 22 décembre 2000, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO 2001, L 12, p. 1). Le gouvernement polonais ajoute le règlement (CE) no 2201/2003 du Conseil, du 27 novembre 2003, relatif à la compétence, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale abrogeant le
règlement (CE) no 1347/2000 (JO L 338, p. 1), ainsi que le règlement de procédure de la Cour.
( 14 ) Pétition 0277/2010, présentée par A. K., de nationalité polonaise, sur l’impossibilité, en Pologne, de signifier des documents judiciaires et extrajudiciaires par courrier ou par voie électronique.
( 15 ) JO 1997, C 261, p. 2, ci-après la «convention de 1997».
( 16 ) Voir point 3 de l’introduction du rapport explicatif concernant la convention établie sur la base de l’article K.3 du traité sur l’Union européenne, relative à la signification et à la notification dans les États membres de l’Union européenne des actes judiciaires et extrajudiciaires en matière civile ou commerciale (JO 1997, C 261, p. 26).
( 17 ) Ci-après la «convention de La Haye de 1965».
( 18 ) JO 1972, L 299, p. 32.
( 19 ) JO 1997, C 15, p. 1.
( 20 ) Manuel pratique sur le fonctionnement de la Convention Notification de La Haye, Bureau permanent de la Conférence de La Haye de droit international privé, 3e éd., Wilson & Lafleur, Montréal, 2006.
( 21 ) Point 41, p. 23.
( 22 ) C-443/03, Rec. p. I-9611.
( 23 ) C-14/08, Rec. p. I-5439.
( 24 ) Arrêts précités Leffler (point 45) ainsi que Roda Golf & Beach Resort (point 48).
( 25 ) Règlement (CE) no 805/2004 du Parlement européen et du Conseil, du 21 avril 2004, portant création d’un titre exécutoire européen pour les créances incontestées (JO L 143, p. 15).
( 26 ) Règlement (CE) no 1896/2006 du Parlement européen et du Conseil, du 12 décembre 2006, instituant une procédure européenne d’injonction de payer (JO L 399, p. 1).
( 27 ) Règlement (CE) no 861/2007 du Parlement européen et du Conseil, du 11 juillet 2007, instituant une procédure européenne de règlement des petits litiges (JO L 199, p. 1).
( 28 ) Aux termes du considérant 13 du règlement no 805/2004, «un mode de signification ou de notification fondé sur une fiction juridique en ce qui concerne le respect de ces normes minimales ne peut être jugé suffisant aux fins de la certification d’une décision en tant que titre exécutoire européen» et, aux termes du considérant 19 du règlement no 1896/2006, «un mode de signification ou de notification de l’injonction de payer européenne qui serait fondé sur une fiction juridique ne devrait pas
pouvoir être jugé suffisant».
( 29 ) Articles 13, paragraphe 1, sous c), du règlement no 805/2004, 14, paragraphe 1, sous e), du règlement no 1896/2006, et 13, paragraphe 1, du règlement no 861/2007.
( 30 ) Article 10, sous a), de cette convention.
( 31 ) L’article 14 du règlement no 1393/2007 impose l’utilisation de la lettre recommandée avec accusé de réception ou tout procédé équivalent.
( 32 ) Le programme de Stockholm – une Europe ouverte et sûre qui sert et protège les citoyens (JO 2010, C 115, p. 1).
( 33 ) Voir point 3 du programme de Stockholm.
( 34 ) Voir, en ce sens, Hess, B., «Nouvelles techniques de la coopération judiciaire transfrontière en Europe», Revue critique de droit international privé, 2003, p. 215. Cet auteur évoque un «changement conceptuel» dans le système européen de coopération judiciaire qui «se définit non plus sous l’angle de la coopération inter-étatique, mais à partir des intérêts et des besoins des justiciables» (p. 221 et 222).
( 35 ) Voir Cour eur. D. H., arrêt Övüs c. Turquie du 13 octobre 2009, § 46 et 47 ainsi que jurisprudence citée.
( 36 ) Voir Cour eur. D. H., arrêt Gospodinov c. Bulgarie du 10 mai 2007, § 40.
( 37 ) C-14/07, Rec. p. I-3367.
( 38 ) Point 47.
( 39 ) Article 8, paragraphe 1, de ce règlement.
( 40 ) Article 14 dudit règlement.
( 41 ) Proposition de directive du Conseil relative à la signification et à la notification dans les États membres des actes judiciaires et extrajudiciaires en matière civile ou commerciale [COM(1999) 219 final].
( 42 ) Voir proposition modifiée de règlement du Conseil relatif à la signification et à la notification dans les États membres des actes judiciaires et extrajudiciaires en matière civile ou commerciale [COM(2000) 75 final].
( 43 ) Voir justification de l’amendement 1 dans le rapport sur la proposition de directive du Conseil relative à la signification et à la notification dans les États membres des actes judiciaires et extrajudiciaires en matière civile ou commerciale (A5-0060/1999 final).
( 44 ) Arrêts précités Leffler (point 46) ainsi que Roda Golf & Beach Resort (point 49).
( 45 ) Voir, en ce sens, Schack, H., «Transnational Service of Process: A Call for Uniform and Mandatory Rules», Revue de droit uniforme, avril 2001, p. 827. Selon cet auteur, «[i]nsofar as national rules on service of process deny the defendant’s right to be heard, they infringe the fair proceeding requirement of Article 6 I ECHR» (p. 836).
( 46 ) C‑292/10.
( 47 ) L’arrêt G, précité, applique la règle énoncée à l’article 26, paragraphe 2, du règlement no 44/2001, selon laquelle le juge est tenu de surseoir à statuer aussi longtemps qu’il n’est pas établi que le défendeur a été mis à même de recevoir l’acte introductif d’instance ou un acte équivalent en temps utile pour se défendre ou que toute diligence a été faite à cette fin. Toutefois, une règle de sursis à statuer identique figure à l’article 19, paragraphe 1, du règlement no 1393/2007, ce qui
s’explique aisément, puisque la règle de l’article 26, paragraphe 2, du règlement no 44/2001 a été directement importée de l’article 15 de la convention de La Haye de 1965, dont s’inspire le règlement no 1393/2007 (voir, en ce sens, Pataut, E., «Notifications internationales et règlement ‘Bruxelles I’», Vers de nouveaux équilibres entre ordres juridiques – Mélanges en l’honneur d’Hélène Gaudemet-Tallon, Dalloz, Paris, 2008, p. 377, spécialement p. 381).
( 48 ) Arrêt G, précité (point 45).
( 49 ) Ibidem (point 55 et jurisprudence citée).
( 50 ) Arrêt du 10 juillet 1986, Carron (198/85, Rec. p. 2437, point 14).
( 51 ) Cette disposition précise que, en plus ou «au lieu» de l’élection de domicile, la requête peut indiquer que l’avocat ou l’agent consent à ce que des significations lui soient adressées par télécopieur ou tout autre moyen technique de communication.
( 52 ) Voir, sur ce sujet, Hess, B., op. cit.
( 53 ) L’expression est utilisée par Herbert Roth pour qualifier le mode de signification fictif que constituait la «remise au parquet», autrefois en vigueur dans plusieurs législations d’États membres (voir Roth, H., «Remise au parquet und Auslandszustellung nach dem Haager Zustellungsübereinkommen von 1965», Praxis des Internationalen Privat-und Verfahrensrechts, 2000, p. 497).
( 54 ) Arrêts du 26 septembre 1996, Data Delecta et Forsberg (C-43/95, Rec. p. I-4661, point 12); du 20 mars 1997, Hayes (C-323/95, Rec. p. I-1711, point 13), ainsi que du 2 octobre 1997, Saldanha et MTS (C-122/96, Rec. p. I-5325, point 19).
( 55 ) C-398/92, Rec. p. I-467.