ARRÊT DE LA COUR (deuxième chambre)
12 juillet 2012 ( *1 )
«Coopération policière et judiciaire en matière pénale — Décision-cadre 2001/220/JAI — Statut des victimes dans le cadre de procédures pénales — Directive 2004/80/CE — Indemnisation des victimes de la criminalité — Responsabilité d’une personne morale — Indemnisation dans le cadre de la procédure pénale»
Dans l’affaire C‑79/11,
ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre des articles 267 TFUE et 35 UE, introduite par le juge chargé des enquêtes préliminaires près le Tribunale di Firenze (Italie), par décision du 9 février 2011, parvenue à la Cour le 22 février 2011, dans la procédure pénale contre
Maurizio Giovanardi e.a.,
LA COUR (deuxième chambre),
composée de M. J. N. Cunha Rodrigues (rapporteur), président de chambre, MM. U. Lõhmus, A. Ó Caoimh, A. Arabadjiev, et C. G. Fernlund, juges,
avocat général: Mme E. Sharpston,
greffier: Mme M. Ferreira, administrateur principal,
vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 15 mars 2012,
considérant les observations présentées:
— pour Mme Giunti e.a., par Mes A. Conti et S. Grisenti, avvocati,
— pour le gouvernement italien, par Mme G. Palmieri, en qualité d’agent, assistée de M. L. D’Ascia, avvocato dello Stato,
— pour le gouvernement allemand, par M. T. Henze ainsi que par Mmes J. Kemper et F. Wannek, en qualité d’agents,
— pour le gouvernement néerlandais, par Mmes C. Wissels et B. Koopman, en qualité d’agents,
— pour le gouvernement autrichien, par M. A. Posch, en qualité d’agent,
— pour la Commission européenne, par Mme F. Moro et M. R. Troosters, en qualité d’agents,
ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 15 mai 2012,
rend le présent
Arrêt
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de la décision-cadre 2001/220/JAI du Conseil, du 15 mars 2001, relative au statut des victimes dans le cadre de procédures pénales (JO L 82, p. 1, ci-après la «décision-cadre»), et de la directive 2004/80/CE du Conseil, du 29 avril 2004, relative à l’indemnisation des victimes de la criminalité (JO L 261, p. 15).
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’une procédure pénale engagée à l’encontre de M. Giovanardi et de plusieurs autres personnes à la suite d’un accident survenu sur leur lieu de travail.
Le cadre juridique
Le droit de l’Union
3 Il ressort du considérant 3 de la décision-cadre que le Conseil européen de Tampere (Finlande), au cours de sa réunion des 15 et 16 octobre 1999, a prévu d’établir des normes minimales pour la protection des victimes de la criminalité, notamment en ce qui concerne l’accès à la justice de ces victimes et leur droit à réparation.
4 Aux termes du considérant 4 de la décision-cadre:
«Il convient que les États membres rapprochent leurs dispositions législatives et réglementaires dans la mesure nécessaire à la réalisation de l’objectif consistant à offrir aux victimes de crimes un niveau élevé de protection, indépendamment de l’État membre dans lequel elles se trouvent.»
5 L’article 1er de la décision-cadre dispose que, aux fins de celle-ci, on entend par:
«a) ‘victime’: la personne physique qui a subi un préjudice, y compris une atteinte à son intégrité physique ou mentale, une souffrance morale ou une perte matérielle, directement causé par des actes ou des omissions qui enfreignent la législation pénale d’un État membre;
[…]
c) ‘procédure pénale’: la procédure pénale conformément à la loi nationale applicable;
[…]»
6 L’article 9 de la décision-cadre, intitulé «Droit à réparation dans le cadre de la procédure pénale», énonce à son paragraphe 1:
«Chaque État membre garantit qu’il existe, pour la victime d’une infraction pénale, le droit d’obtenir qu’il soit statué dans un délai raisonnable sur la réparation par l’auteur de l’infraction dans le cadre de la procédure pénale, sauf lorsque, pour certains cas, la loi nationale prévoit que l’indemnisation interviendra dans un autre cadre.»
7 Aux termes de l’article 1er de la directive 2004/80:
«Si l’infraction intentionnelle violente a été commise dans un État membre autre que celui où le demandeur réside habituellement, les États membres veillent à ce que celui-ci ait le droit de présenter sa demande à une autorité ou à tout autre organisme dudit État membre.»
La réglementation nationale
8 Il ressort de l’article 1er du décret législatif no 231, du 8 juin 2001 (Gazzetta Ufficiale della Repubblica italiana no 140, du 19 juin 2001, p. 4, ci-après le «décret législatif no 231/2001»), que ce décret régit la responsabilité des organismes pour les infractions administratives découlant d’un délit, qu’il s’applique tant aux sociétés et aux organismes constitués sous la forme d’une personne morale qu’aux associations, y compris celles non dotées de la personnalité juridique, mais qu’il ne
s’applique pas à l’État, ni aux collectivités territoriales, non plus qu’aux autres organismes publics non économiques et aux entités exerçant des fonctions constitutionnelles.
9 L’article 5 du décret législatif no 231/2001, lequel détermine les personnes physiques qui, en tant qu’auteurs matériels de l’infraction, engagent la responsabilité de l’organisme ou de la personne morale, dispose:
«1. L’organisme est responsable des infractions commises dans son intérêt ou à son profit:
a) par des personnes exerçant des fonctions de représentation, d’administration ou de direction de l’organisme ou d’une unité organisationnelle disposant d’une autonomie financière et fonctionnelle au sein de l’organisme, ainsi que par des personnes exerçant, de fait, la gestion et le contrôle de l’organisme;
b) par des personnes placées sous la direction ou le contrôle de l’une des personnes visées au point a).
2. La responsabilité de l’organisme n’est pas engagée si les personnes mentionnées au paragraphe 1 ont agi exclusivement dans leur propre intérêt ou dans l’intérêt de tiers.»
10 Les articles 6 et 7 de ce décret législatif précisent les circonstances dans lesquelles la responsabilité d’une personne morale peut être engagée.
11 L’article 6, paragraphe 1, du même décret législatif dispose:
«Si l’infraction est commise par les personnes mentionnées à l’article 5, paragraphe 1, point a), la responsabilité de l’organisme n’est pas engagée dès lors qu’il fournit la preuve que:
a) l’organe de direction a adopté et appliqué efficacement, avant que l’infraction ne soit commise, des modèles d’organisation et de gestion de nature à empêcher des infractions du type de celle constatée;
b) la tâche consistant à surveiller le fonctionnement et le respect des modèles, et à veiller à leur actualisation, a été confiée à une unité de l’organisme disposant de pouvoirs autonomes d’initiative et de contrôle;
c) les personnes ont commis l’infraction en contournant frauduleusement les modèles d’organisation et de gestion;
d) l’unité visée au point b) n’a pas manqué à son devoir de surveillance ou exercé une surveillance insuffisante.»
12 L’article 7 du décret législatif no 231/2001 prévoit:
«1. Dans le cas prévu à l’article 5, paragraphe 1, point b), l’organisme est tenu pour responsable si la commission de l’infraction a été rendue possible en raison du défaut d’exécution des obligations de direction ou de contrôle.
2. Dans tous les cas, le défaut d’exécution des obligations de direction ou de contrôle est exclu si, avant que l’infraction ne soit commise, l’organisme a adopté et appliqué efficacement un modèle d’organisation, de gestion et de contrôle de nature à empêcher des infractions du type de celle constatée.
3. Eu égard à la nature et à la dimension de l’organisation ainsi qu’au type d’activité exercée, le modèle prévoit des mesures appropriées pour garantir l’exercice de l’activité dans le respect de la loi et pour déceler et éliminer en temps opportun des situations de risque.
4. L’application efficace du modèle requiert:
a) une vérification périodique et la modification éventuelle du modèle si des violations notables des prescriptions sont constatées ou en cas de changements dans l’organisation ou dans l’activité;
b) un système disciplinaire permettant de sanctionner le non-respect des mesures indiquées dans le modèle.»
13 L’article 25 septies dudit décret législatif, dans sa version résultant du décret législatif no 81, du 9 avril 2008, portant exécution de l’article 1er de la loi no 123, du 3 août 2007, en matière de protection de la santé et de la sécurité sur les lieux de travail (supplément ordinaire no 108 à la GURI no 101, du 30 avril 2008), intitulé «Homicide par négligence ou lésions corporelles graves ou très graves commises en violation des dispositions sur la protection de la santé et de la sécurité sur
le lieu de travail», dispose:
«1. Lorsqu’il est commis en violation de l’article 55, paragraphe 2, du décret législatif portant exécution de la délégation visée à la loi no 123, du 3 août 2007, en matière de santé et de sécurité sur le lieu de travail, le délit visé à l’article 589 du code pénal est sanctionné d’une amende équivalant à 1 000 quotas. En cas de condamnation pour le délit visé à la phrase précédente, les sanctions d’interdiction prévues à l’article 9, paragraphe 2, s’appliquent pour une durée qui ne peut être
inférieure à trois mois ni supérieure à un an.
2. Sans préjudice de la disposition énoncée au paragraphe 1 du présent article, le délit visé à l’article 589 du code pénal est sanctionné d’une amende qui ne peut être inférieure à 250 quotas ni supérieure à 500 quotas, lorsqu’il est commis en violation des dispositions sur la protection de la santé et de la sécurité sur le lieu de travail. En cas de condamnation pour le délit visé à la phrase précédente, les sanctions d’interdiction prévues à l’article 9, paragraphe 2, s’appliquent pour une
durée qui ne peut être inférieure à trois mois ni supérieure à un an.
3. Lorsqu’il est commis en violation des dispositions sur la protection de la santé et de la sécurité sur le lieu de travail, le délit visé à l’article 590, paragraphe 3, du code pénal est sanctionné d’une amende qui ne peut être supérieure à 250 quotas. En cas de condamnation pour le délit mentionné dans la phrase précédente, les sanctions d’interdiction prévues à l’article 9, paragraphe 2, s’appliquent pour une durée qui ne peut être supérieure à six mois.»
14 Aux termes de l’article 34 du décret législatif no 231/2001:
«Les dispositions du présent chapitre ainsi que, dans la mesure où elles sont compatibles, les dispositions du code de procédure pénale et du décret législatif no 271, du 28 juillet 1989, s’appliquent aux procédures relatives aux infractions administratives du fait d’une infraction.»
15 Selon l’article 35 dudit décret législatif:
«Les dispositions relatives à l’inculpé s’appliquent à l’organisme, dans la mesure de leur compatibilité.»
16 Conformément à l’article 36 de ce décret législatif, la compétence pour connaître des infractions administratives de l’organisme en cause incombe à la juridiction pénale qui est compétente pour connaître des délits à l’origine desdites infractions.
17 En vertu de l’article 185 du code pénal, toute infraction qui cause un préjudice patrimonial ou moral oblige l’auteur de l’infraction et les personnes qui, en vertu du droit civil, doivent répondre de ses actes à le réparer.
18 L’article 74 du code de procédure pénale énonce que l’action civile en restitution et en réparation du préjudice, prévue à l’article 185 du code pénal, peut être exercée dans le procès pénal par la personne à qui l’infraction a causé un préjudice, ou par ses héritiers universels, contre l’inculpé et la personne civilement responsable.
19 L’article 83, paragraphe 1, du code de procédure pénale dispose:
«[La personne] civilement responsable du fait de l’inculpé peut être citée à comparaître dans le procès pénal par la partie civile et, dans le cas prévu à l’article 77, paragraphe 4, par le ministère public. L’inculpé peut être cité comme civilement responsable du fait de ses coïnculpés s’il a été acquitté ou si une décision de non-lieu a été prononcée à son égard […]»
Le litige au principal et la question préjudicielle
20 Le 28 juillet 2010, le ministère public près le Tribunale di Firenze a requis le renvoi en jugement de M. Giovanardi et de plusieurs autres personnes, poursuivis pour avoir concouru par négligence, au sens des articles 41, 113 et 589, paragraphes 2 et 4, du code pénal, à causer, respectivement, la mort d’une personne et des blessures très graves à d’autres personnes. Les faits se sont produits le 2 octobre 2008 à l’occasion de travaux que les inculpés effectuaient en tant que salariés de Rete
Ferroviaria Italiana SpA (société des chemins de fer italiens) pour la dépose de certains dispositifs de sécurité des aiguillages d’une jonction ferroviaire.
21 L’acte d’inculpation préliminaire du ministère public contient également la réquisition de renvoi en jugement de deux personnes morales, Elettri Fer Srl et Rete Ferroviaria Italiana SpA, appelées à répondre d’une «infraction administrative» telle que prévue à l’article 25 septies, paragraphes 2 et 3, du décret législatif no 231/2001, conformément aux dispositions qui régissent en droit italien la responsabilité «administrative» du fait d’une infraction des personnes morales pour le compte
desquelles les inculpés agissaient dans l’exercice de leurs fonctions.
22 La juridiction de renvoi expose que les personnes physiques inculpées se voient imputer la responsabilité directe des faits qui ont causé la mort d’un ouvrier ainsi que des blessures à deux autres ouvriers qui exécutaient des travaux sur ladite jonction ferroviaire, pour ne pas avoir mis en œuvre les mesures légalement requises pour assurer leur sécurité, tandis que les personnes morales, appelées à répondre de la responsabilité «administrative» du fait d’une infraction, se voient imputer le fait
de n’avoir pas adopté des modes d’organisation plus élaborés, ce qui les expose aux sanctions prévues par le décret législatif no 231/2001.
23 Au cours de l’audience préliminaire qui s’est tenue le 30 novembre 2010 devant la juridiction de renvoi, qui est appelée à statuer sur les réquisitions de renvoi en jugement du ministère public, les victimes ont, en application des articles 74 et suivants du code de procédure pénale, demandé à être autorisées à se constituer parties civiles non seulement contre les personnes physiques inculpées, mais aussi contre les deux personnes morales citées en justice par le ministère public.
24 Ces dernières se sont opposées à cette demande au motif que la législation italienne ne permettait pas aux victimes de poursuivre directement les personnes morales, même lorsque celles-ci sont appelées à la cause, pour obtenir la réparation des préjudices causés par les infractions commises par leurs salariés.
25 La juridiction de renvoi relève que l’article 185 du code pénal met l’obligation de réparation à la charge de l’auteur de l’infraction pénale et des personnes physiques ou morales qui, en vertu du droit civil, doivent répondre de son fait. À cette fin, le code de procédure pénale permet aux victimes d’une infraction pénale de se constituer parties civiles contre les inculpés dans le cadre du procès pénal ainsi que de demander la citation des personnes, physiques ou morales, qui, en vertu du droit
civil, doivent répondre des agissements des inculpés, dès lors que ces agissements ont été commis dans le cadre d’une relation de travail ou dans l’intérêt direct et pour le compte de ces personnes.
26 Le décret législatif no 231/2001 a introduit en droit italien l’institution juridique particulière de la responsabilité «administrative» des personnes morales du fait d’une infraction. Parmi les différentes infractions pour lesquelles l’article 25 septies de ce décret législatif prévoit cette forme de responsabilité figure l’homicide par négligence, lorsque celui-ci s’accompagne d’une violation de l’article 55, paragraphe 5, du décret législatif no 81, du 9 avril 2008, qui fait partie des
différents chefs d’inculpation dans l’affaire au principal.
27 Le décret législatif no 231/2001 ne prévoit pas expressément la possibilité de se constituer partie civile contre les personnes morales poursuivies en raison d’infractions «administratives» visées par ce décret. Selon la jurisprudence majoritaire de la Corte suprema di cassazione et des juridictions du fond, de telles demandes de constitution de partie civile doivent être déclarées irrecevables.
28 La juridiction de renvoi observe que, si elle partage cette interprétation du droit italien, la situation qui en résulte n’est pas compatible avec le droit de l’Union, dans la mesure où le droit italien limite ainsi la possibilité pour la victime d’obtenir pleinement réparation de son préjudice et la contraint à introduire une nouvelle action en réparation en dehors du procès pénal, laquelle, à supposer qu’il y soit fait droit, intervient plus tard, ce qui prive une telle action d’efficacité.
29 Dans ces conditions, le juge chargé des enquêtes préliminaires près le Tribunale di Firenze a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante:
«La réglementation italienne relative à la responsabilité administrative des organismes/personnes morales prévue par le décret législatif no 231/2001 et ses modifications successives, en ne prévoyant pas ‘expressément’ la possibilité que ceux-ci soient appelés à répondre dans le procès pénal des préjudices causés aux victimes des infractions, est-elle conforme aux dispositions du droit communautaire en matière de protection des victimes d’infractions dans le procès pénal?»
Sur la compétence de la Cour
30 Conformément à l’article 9 du protocole no 36 sur les dispositions transitoires, annexé au traité FUE, les effets juridiques de la décision-cadre, qui a été adoptée sur la base du titre VI du traité UE avant l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne, sont préservés aussi longtemps que cette décision-cadre n’a pas été abrogée, annulée ou modifiée en application des traités.
31 Par ailleurs, l’article 10, paragraphe 1, du même protocole dispose que les attributions de la Cour en ce qui concerne les actes de l’Union dans le domaine de la coopération policie're et judiciaire en matie're pénale, qui ont été adoptés avant l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne en vertu du titre VI du traité UE, restent inchangées, y compris lorsqu’elles ont été acceptées conformément à l’article 35, paragraphe 2, UE. En application de l’article 10, paragraphe 3, de ce protocole, la
mesure transitoire figurant au paragraphe 1 de cet article cesse de produire ses effets cinq ans apre's le 1er décembre 2009, date de l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne.
32 Il ressort de l’information relative à la date d’entrée en vigueur du traité d’Amsterdam, publiée au Journal officiel des Communautés européennes du 1er mai 1999 (JO L 114, p. 56), que la République italienne a fait une déclaration au titre de l’article 35, paragraphe 2, UE, par laquelle elle acceptait la compétence de la Cour pour statuer sur la validité et l’interprétation des actes visés à l’article 35 UE selon les modalités prévues au paragraphe 3, sous b), de cet article.
33 Il est constant en outre que la décision-cadre, fondée sur les articles 31 UE et 34 UE, relève des actes visés à l’article 35, paragraphe 1, UE, à propos desquels la Cour peut statuer à titre préjudiciel et il n’est pas contesté que la juridiction de renvoi, agissant dans le cadre d’une procédure telle que celle en cause au principal, doit être considérée comme une juridiction d’un État membre au sens de l’article 35 UE (voir, notamment, arrêt du 21 décembre 2011, X, C-507/10, Rec. p. I-14241,
point 21).
34 Dans ces conditions, la Cour est compétente pour répondre à la question posée.
Sur la question préjudicielle
35 Par sa question, la juridiction de renvoi demande si les dispositions du décret législatif no 231/2001 relatives à la responsabilité administrative des personnes morales, pour autant qu’elles ne prévoient pas la possibilité que ces personnes soient appelées à répondre, dans le cadre de la procédure pénale, des préjudices causés par celles-ci aux victimes d’une infraction pénale, sont compatibles avec la directive 2004/80 et avec l’article 9 de la décision-cadre.
36 Si, conformément à une jurisprudence bien établie de la Cour, celle-ci, dans le cadre d’un renvoi préjudiciel, ne peut se prononcer ni sur des questions qui relèvent du droit interne des États membres ni sur la conformité de dispositions nationales au droit de l’Union, elle peut cependant fournir les éléments d’interprétation de ce dernier qui sont de nature à permettre à la juridiction nationale de trancher le litige dont elle se trouve saisie (voir, notamment, arrêt du 8 juin 2006, WWF Italia
e.a., C-60/05, Rec. p. I-5083, point 18).
37 Il convient d’écarter d’emblée la pertinence de la directive 2004/80. En effet, ainsi qu’il ressort notamment de son article 1er, celle-ci vise à faciliter aux victimes de la criminalité intentionnelle violente l’accès à l’indemnisation dans des situations transfrontalières, alors qu’il est constant que, dans l’affaire au principal, les poursuites concernent des infractions commises par négligence, qui plus est, dans un contexte purement national.
38 S’agissant de la décision-cadre, l’article 9, paragraphe 1, de celle-ci dispose que chaque État membre garantit qu’il existe, pour la victime d’une infraction pénale, le droit d’obtenir qu’il soit statué dans un délai raisonnable sur la réparation par l’auteur de l’infraction dans le cadre de la procédure pénale, sauf lorsque, pour certains cas, la loi nationale prévoit que l’indemnisation interviendra dans un autre cadre.
39 Conformément à l’article 1er, sous a), de la décision-cadre, est considérée comme «victime», aux fins de celle-ci, la personne physique qui a subi un préjudice «directement causé par des actes ou des omissions qui enfreignent la législation pénale d’un État membre».
40 Il est constant que le droit italien permet aux victimes en cause au principal de demander réparation aux personnes physiques, auteurs des infractions pénales auxquelles renvoie le décret législatif no 231/2001, des préjudices causés directement par ces infractions pénales en se constituant parties civiles à cette fin dans le cadre de la procédure pénale.
41 Une telle situation s’accorde avec l’objectif poursuivi par l’article 9, paragraphe 1, de la décision-cadre, consistant à garantir à la victime le droit d’obtenir une décision relative à la réparation, par l’auteur de l’infraction, dans le cadre de la procédure pénale et dans un délai raisonnable.
42 La juridiction de renvoi se demande si ledit article ne doit pas être interprété en ce sens que la victime doit en outre pouvoir demander, dans le cadre de la même procédure pénale, réparation de ces préjudices aux personnes morales qui sont poursuivies au titre de l’article 25 septies du décret législatif no 231/2001.
43 Une telle interprétation ne saurait être retenue.
44 Tout d’abord, si, comme il est énoncé au considérant 4 de la décision-cadre, il convient d’offrir aux victimes de crimes un niveau élevé de protection (voir, notamment, arrêt du 9 octobre 2008, Katz, C-404/07, Rec. p. I-7607, points 42 et 46), la décision-cadre ne vise qu’à établir, dans le cadre de la procédure pénale telle que définie à son article 1er, sous c), des normes minimales pour la protection des victimes d’infractions pénales (arrêt du 15 septembre 2011, Gueye et Salmerón Sánchez,
C-483/09 et C-1/10, Rec. p. I-8263, point 52).
45 Ensuite, la décision-cadre, qui a pour seul objet le statut des victimes dans le cadre de procédures pénales, ne comporte aucune indication selon laquelle le législateur de l’Union aurait entendu obliger les États membres à prévoir la responsabilité pénale des personnes morales.
46 Enfin, il résulte des termes mêmes de l’article 1er, sous a), de la décision-cadre que celle-ci garantit, en principe, à la victime le droit à réparation dans le cadre de la procédure pénale pour les «actes ou omissions qui enfreignent la législation pénale des États membres» et qui sont «directement» à l’origine des préjudices (voir arrêt du 28 juin 2007, Dell’Orto, C-467/05, Rec. p. I-5557, points 53 et 57).
47 Or, il ressort de la décision de renvoi qu’une infraction «administrative» telle que celle donnant lieu à des poursuites sur le fondement du décret législatif no 231/2001 est une infraction distincte qui ne présente pas un lien causal direct avec les préjudices causés par l’infraction pénale dont une personne physique est l’auteur et dont réparation est demandée. Selon la juridiction de renvoi, dans un régime tel que celui institué par ce décret législatif, la responsabilité de la personne morale
est qualifiée d’«administrative», d’«indirecte» et de «subsidiaire» et se distingue de la responsabilité pénale de la personne physique, auteur de l’infraction pénale ayant causé directement les préjudices et auquel, ainsi qu’il a été relevé au point 40 du présent arrêt, réparation peut être demandée dans le cadre de la procédure pénale.
48 Par conséquent, les personnes lésées du fait d’une infraction administrative commise par une personne morale, telle que celle poursuivie au titre du régime mis en place par le décret législatif no 231/2001, ne sauraient être considérées, aux fins de l’application de l’article 9, paragraphe 1, de la décision-cadre, comme les victimes d’une infraction pénale qui ont le droit d’obtenir qu’il soit statué, dans le cadre de la procédure pénale, sur la réparation par cette personne morale.
49 Il résulte des considérations qui précèdent qu’il convient de répondre à la question posée que l’article 9, paragraphe 1, de la décision-cadre doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à ce que, dans le cadre d’un régime de responsabilité des personnes morales tel que celui en cause au principal, la victime d’une infraction pénale ne puisse pas demander réparation des préjudices directement causés par ladite infraction, dans le cadre de la procédure pénale, à la personne morale auteur
d’une infraction administrative.
Sur les dépens
50 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (deuxième chambre) dit pour droit:
L’article 9, paragraphe 1, de la décision-cadre 2001/220/JAI du Conseil, du 15 mars 2001, relative au statut des victimes dans le cadre de procédures pénales, doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à ce que, dans le cadre d’un régime de responsabilité des personnes morales tel que celui en cause au principal, la victime d’une infraction pénale ne puisse pas demander réparation des préjudices directement causés par ladite infraction, dans le cadre de la procédure pénale, à la
personne morale auteur d’une infraction administrative.
Signatures
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( *1 ) Langue de procédure: l’italien.