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12/07/2012 | CJUE | N°C‑181/11

CJUE | CJUE, Arrêt de la Cour, Compañía Española de Tabaco en Rama, SA (Cetarsa) contre Commission européenne., 12/07/2012, C‑181/11


ARRÊT DE LA COUR (sixième chambre)

12 juillet 2012 (*)

«Pourvoi – Concurrence – Ententes – Marché espagnol de l’achat et de la première transformation de tabac brut – Décision constatant une infraction à l’article 81 CE – Fixation des prix et répartition du marché – Amendes – Égalité de traitement – Limite maximale de 10 % du chiffre d’affaires – Coopération – Dénaturation d’éléments de preuve – Erreur manifeste d’appréciation – Défaut de motivation»

Dans l’affaire C‑181/11 P,

ayant pour objet un po

urvoi au titre de l’article 56 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, introduit le 13 avril 2011,

Compañía ...

ARRÊT DE LA COUR (sixième chambre)

12 juillet 2012 (*)

«Pourvoi – Concurrence – Ententes – Marché espagnol de l’achat et de la première transformation de tabac brut – Décision constatant une infraction à l’article 81 CE – Fixation des prix et répartition du marché – Amendes – Égalité de traitement – Limite maximale de 10 % du chiffre d’affaires – Coopération – Dénaturation d’éléments de preuve – Erreur manifeste d’appréciation – Défaut de motivation»

Dans l’affaire C‑181/11 P,

ayant pour objet un pourvoi au titre de l’article 56 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, introduit le 13 avril 2011,

Compañía española de tabaco en rama SA (Cetarsa), établie à Navalmoral de la Mata (Espagne), représentée par M^es M. Araujo Boyd, J. Buendía Sierra et A. Givaja Sanz, abogados,

partie requérante,

l’autre partie à la procédure étant:

Commission européenne, représentée par MM. F. Castillo de la Torre, É. Gippini Fournier et L. Malferrari, en qualité d’agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie défenderesse en première instance,

LA COUR (sixième chambre),

composée de M. U. Lõhmus, président de chambre, MM. Ó Caoimh et A. Arabadjiev (rapporteur), juges,

avocat général: M^me J. Kokott,

greffier: M^me M. Ferreira, administrateur principal,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 26 avril 2012,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1 Par son pourvoi, la Compañía española de tabaco en rama SA (ci-après «Cetarsa») demande, à titre principal, tout d’abord, l’annulation de l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 3 février 2011, Cetarsa/Commission (T‑33/05, ci-après l’«arrêt attaqué»), par lequel celui-ci a rejeté son recours tendant à l’annulation de la décision C(2004) 4030 final de la Commission, du 20 octobre 2004, relative à une procédure d’application de l’article 81, paragraphe 1, [CE] (affaire COMP/C.38.238/B.2
− Tabac brut – Espagne) (ci-après la «décision litigieuse»), ensuite, l’annulation de cette décision en tant qu’elle la concerne et, enfin, la réduction à 1 000 euros de l’amende qui lui a été infligée par ladite décision. À titre subsidiaire, elle demande que cette même amende soit ramenée à la somme de 2 905 200 euros.

2 La Commission européenne a formé un pourvoi incident dans lequel elle demande, d’une part, l’annulation du point 1 du dispositif de l’arrêt attaqué en tant qu’il réduit le montant de l’amende infligée à Cetarsa et, d’autre part, la modification de la répartition des dépens fixée par le Tribunal au point 4 de ce dispositif.

Les antécédents du litige

3 Pour les besoins du présent pourvoi, les antécédents du litige, tels qu’exposés aux points 1 à 57 de l’arrêt attaqué, peuvent être résumés comme suit.

4 Cetarsa, World Wide Tobacco España SA (ci-après «WWTE»), Tabacos Españoles SL (ci-après «Taes») et Agroexpansión SA (ci-après «Agroexpansión») sont les quatre entreprises de première transformation de tabac brut en Espagne. Par ailleurs, Deltafina SpA, qui transforme également du tabac brut et qui est une société italienne sœur de Taes, était le principal acheteur de ce produit sur le marché espagnol (ci-après, ensemble, les «transformateurs»).

5 Les 3 et 4 octobre 2001, la Commission a effectué des vérifications au titre de l’article 14 du règlement n° 17 du Conseil, du 6 février 1962, premier règlement d’application des articles [81 CE] et [82 CE] (JO 1962, 13, p. 204), notamment dans les locaux de Cetarsa, d’Agroexpansión, et de WWTE.

6 Par lettre du 16 janvier 2002, invoquant la communication de la Commission concernant la non-imposition d’amendes ou la réduction de leur montant dans les affaires portant sur des ententes (JO 1996, C 207, p. 4, ci-après la «communication sur la coopération»), les transformateurs ont fait connaître à cette institution leur volonté de coopérer avec celle-ci.

7 Par lettre du 21 janvier 2002, ces derniers ont fourni certaines informations à la Commission. Cetarsa, Agroexpansión et WWTE, par lettres du 15 février 2002, et Taes, par lettre du 18 février 2002, ont fourni certaines informations supplémentaires à cette institution.

8 Par la suite, la Commission a adressé plusieurs demandes de renseignements notamment aux transformateurs. Elle a également demandé des renseignements au ministère de l’Agriculture, de la Pêche et de l’Alimentation espagnol (ci-après le «ministère de l’Agriculture») à propos de la réglementation espagnole en matière de produits agricoles.

9 Le 11 décembre 2003, la Commission a adopté une communication des griefs qu’elle a adressée à 20 entreprises ou associations, au nombre desquelles figuraient les transformateurs.

10 Le 20 octobre 2004, la Commission a adopté la décision litigieuse qui concerne deux ententes horizontales conclues et mises en œuvre sur le marché espagnol du tabac brut. Un résumé de cette décision a été publié au Journal officiel de l’Union européenne du 19 avril 2007 (JO L 102, p. 14).

11 La première entente (ci-après l’«entente des transformateurs») avait pour objet de fixer, chaque année, pendant la période 1996-2001, le prix moyen de livraison (maximal) de chaque variété de tabac brut, toutes qualités confondues, ainsi que de répartir les quantités de chaque variété de tabac brut que chacun des transformateurs pouvait acheter auprès des producteurs.

12 De 1999 à 2001, les transformateurs étaient également convenus des fourchettes de prix par grade qualitatif de chaque variété de tabac brut figurant dans les tableaux annexés aux «contrats de culture» ainsi que des «conditions complémentaires», à savoir le prix minimal moyen par producteur et le prix minimal moyen par groupement de producteurs.

13 La seconde entente (ci-après l’«entente des représentants des producteurs») impliquait les trois syndicats agricoles espagnols (ci-après, ensemble, les «représentants des producteurs»). Cette entente avait pour objet de fixer chaque année, pendant la période 1996-2001, les fourchettes de prix par grade qualitatif de chaque variété de tabac brut figurant dans les tableaux annexés aux «contrats de culture» ainsi que les «conditions complémentaires».

14 Dans la décision litigieuse, la Commission a considéré que chacune de ces ententes constituait une infraction unique et continue à l’article 81, paragraphe 1, CE. À l’article 1^er de cette décision, elle a imputé la responsabilité de l’entente des transformateurs à neuf entreprises, au nombre desquelles figuraient ceux-ci, et celle de l’entente des représentants des producteurs à ces derniers. À l’article 2 de la même décision, la Commission a ordonné à ces entreprises et aux représentants
des producteurs de mettre immédiatement fin, s’ils ne l’avaient pas déjà fait, aux infractions visées à l’article 1^er et de s’abstenir désormais de toute pratique restrictive ayant un objet ou un effet identique ou équivalent. À l’article 3 de ladite décision, la Commission a infligé des amendes aux entreprises visées au point 4 du présent arrêt ainsi qu’aux représentants des producteurs.

15 Les montants des amendes ont été déterminés en application de la méthode définie dans les lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 et de l’article 65, paragraphe 5, [CA] (JO 1998, C 9, p. 3) et de la communication sur la coopération.

16 S’agissant de l’évaluation de la gravité des infractions en cause, la Commission a tenu compte de la nature propre de celles-ci, de leur impact concret sur le marché, de l’étendue du marché géographique en cause et de la taille du marché.

17 Quant à l’entente des représentants des producteurs, la Commission a relevé que ceux-ci avaient participé à des accords et/ou à des pratiques concertées ayant pour objet la fixation de fourchettes de prix par grade qualitatif de chaque variété de tabac brut, à l’intérieur desquelles ils négociaient ensuite le prix final du tabac brut à la livraison, et du prix minimal moyen par producteur et par groupement de producteurs.

18 Elle a ajouté que, si les marges à l’intérieur de ces fourchettes de prix étaient très larges et pouvaient varier de 100 % à 380 % entre le minimum et le maximum de chaque grade qualitatif pour une même variété de tabac brut, toutefois, en convenant du niveau minimal du prix moyen, par producteur et par groupement de producteurs, les représentants des producteurs visaient à relever le prix de vente final de leur tabac brut au-dessus du niveau qui aurait résulté du libre jeu de la
concurrence.

19 En ce qui concerne l’entente des transformateurs, la Commission a souligné que ceux-ci, outre le fait qu’ils s’étaient également entendus sur les fourchettes de prix par grade qualitatif et les conditions complémentaires, s’étaient mis d’accord en secret sur plusieurs autres aspects des prix et des quantités à vendre, et notamment le prix de livraison moyen (maximal) de chaque variété de tabac brut (toutes qualités confondues) et les volumes de tabac brut à acheter par chaque transformateur.
Elle a ajouté que, à partir de 1998, ils avaient également adopté des mécanismes complexes de compensation et de transfert afin d’assurer le respect de leur entente secrète sur les prix et les quantités.

20 La Commission en a conclu que les deux infractions devaient être qualifiées de «très graves», tout en précisant qu’elle tiendrait compte de la dimension relativement réduite du marché de produit.

21 Par la suite, la Commission a indiqué qu’il convenait de tenir compte du poids spécifique de chaque entreprise et donc de l’incidence réelle de son comportement illicite sur la concurrence afin que l’effet dissuasif de l’amende infligée à chaque entreprise soit proportionné à sa contribution au comportement illégal à sanctionner.

22 S’agissant de l’entente des transformateurs, la Commission a estimé que les amendes devaient être échelonnées eu égard à la contribution au comportement illégal et à la position sur le marché occupée par chaque partie en cause. Ainsi, la Commission a placé Cetarsa dans une première catégorie, qualifiée de «particulière», au motif qu’elle était «de loin le premier transformateur espagnol» et devait, de ce fait, se voir imposer le montant de départ le plus élevé, fixé à 8 000 000 euros.

23 S’agissant de l’entente des représentants des producteurs, la Commission a considéré qu’il n’y avait lieu d’infliger à chacun de ceux-ci qu’une amende symbolique de 1 000 euros. Elle a justifié sa position par le fait que le cadre réglementaire entourant la négociation collective des contrats types pouvait entraîner un degré considérable d’incertitude quant à la légalité du comportement des représentants des producteurs et des transformateurs dans le contexte bien précis de la négociation
collective des accords types.

24 La Commission a également relevé que l’existence et les résultats des négociations sur les contrats types étaient généralement dans le domaine public et qu’aucune autorité n’avait jamais mis en cause leur compatibilité avec le droit de l’Union ni avec le droit espagnol avant l’ouverture de la présente procédure.

25 Ensuite, la Commission a fixé la durée de l’infraction à cinq ans et quatre mois, ce qui correspond à une infraction de longue durée. Par conséquent, elle a majoré de 50 % le montant de départ de l’amende infligée à chacun des transformateurs. Partant, cette méthode a porté le montant de l’amende à infliger à Cetarsa à 12 000 000 euros.

26 Au titre des circonstances atténuantes, la Commission a relevé que les mêmes facteurs que ceux synthétisés aux points 23 et 24 du présent arrêt pouvaient s’appliquer au comportement des transformateurs en ce qui concerne uniquement leurs négociations publiques sur les fourchettes de prix et les conditions complémentaires ainsi que sur la conclusion de contrats types avec les représentants des producteurs.

27 La Commission a ajouté que, s’agissant des accords «secrets» relatifs au prix moyen de livraison (maximal) et à la répartition des quantités de chaque variété de tabac brut conclus par les transformateurs, les pratiques de ces derniers étaient allées nettement au-delà de ce que prévoyaient le cadre juridique applicable, les négociations publiques et les accords avec les représentants des producteurs.

28 Elle a toutefois reconnu que les négociations publiques entre les représentants des producteurs et les transformateurs avaient déterminé, tout au moins dans une certaine mesure, le cadre matériel dans lequel les transformateurs avaient pu développer, outre la position commune qu’ils adopteraient dans le contexte des négociations publiques, leur stratégie secrète sur les prix de livraison moyens (maximaux) et les quantités.

29 Eu égard à ces éléments, la Commission a décidé de réduire à hauteur de 40 % les montants de base des amendes infligées aux transformateurs. Le montant de base de l’amende à infliger à Cetarsa a, ainsi, été ramené à 7 200 000 euros.

30 Par la suite, la Commission a pris en compte la limite de 10 % du chiffre d’affaires prévue à l’article 23, paragraphe 2, deuxième alinéa, du règlement (CE) n° 1/2003 du Conseil, du 16 décembre 2002, relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 [CE] et 82 [CE] (JO 2003, L 1, p. 1). Elle a estimé qu’une telle adaptation ne s’imposait que dans le cas de Cetarsa. Ainsi, le montant de l’amende à infliger à cette dernière a été ramené à 4 842 000 euros.

31 Lors de l’application de la communication sur la coopération, la Commission a estimé que les renseignements fournis par Cetarsa, bien qu’étant significatifs, ne s’étaient pas avérés aussi utiles pour ses investigations que ceux fournis par Taes.

32 Elle a ajouté que, dans sa réponse à la communication des griefs, Cetarsa avait affirmé que l’entente des transformateurs sur les prix de livraison moyens (maximaux), d’une part, et les différents accords passés par les producteurs et les transformateurs sur un prix moyen par groupement de producteurs, d’autre part, étaient identiques et que, par conséquent, les effets anticoncurrentiels potentiels du comportement des transformateurs et des producteurs se neutralisaient, tout en relevant que
cette affirmation ne correspondait pas à la réalité des faits.

33 Eu égard à ces éléments, la Commission a décidé d’accorder à Cetarsa une réduction de l’amende de 25 % conformément au titre D, point 2, premier tiret, de la communication sur la coopération. Le montant final de l’amende infligée à Cetarsa s’est donc élevé à 3 631 500 euros.

La procédure devant le Tribunal et l’arrêt attaqué

34 Par une requête déposée au greffe du Tribunal le 21 janvier 2005, Cetarsa a introduit un recours tendant à obtenir, à titre principal, l’annulation de la décision litigieuse en tant qu’elle la concerne et, à titre subsidiaire, une réduction du montant de l’amende qui lui a été infligée.

35 À l’appui de son recours, Cetarsa invoquait six moyens. Pour les besoins de la présente procédure, il suffit de préciser que le premier moyen était tiré d’une violation du principe d’égalité de traitement en ce qui concerne l’infliction d’une amende symbolique. Par son deuxième moyen, la requérante soutenait que la Commission avait commis une violation du principe de proportionnalité en ce qui concerne l’appréciation de la gravité de l’infraction. Le cinquième moyen était tiré d’une
violation des principes de proportionnalité et d’égalité de traitement en ce qui concerne la fixation du montant de départ de l’amende. Par son sixième moyen, Cetarsa prétendait qu’une application erronée de la communication sur la coopération avait été commise par ladite institution.

36 Par l’arrêt attaqué, le Tribunal a rejeté l’ensemble des moyens soulevés par Cetarsa, à l’exception du sixième moyen, qu’il a partiellement accueilli. Dans l’exercice de son pouvoir de pleine juridiction, il a, dès lors, accordé à Cetarsa une réduction supplémentaire de 10 % de l’amende qui lui avait été infligée par la Commission, fixant ainsi le montant final de l’amende à 3 147 300 euros.

Les conclusions des parties

37 Cetarsa demande à la Cour:

– à titre principal, d’annuler l’arrêt attaqué ainsi que la décision litigieuse, et

– de réduire le montant de l’amende qui lui a été infligée à 1 000 euros;

– à titre subsidiaire, de réduire ce montant à 2 905 200 euros;

– de rejeter le pourvoi incident de la Commission, et

– de condamner cette dernière aux dépens.

38 La Commission demande à la Cour:

– de rejeter le pourvoi introduit par Cetarsa;

– d’annuler le point 1 du dispositif de l’arrêt attaqué en tant qu’il réduit le montant de l’amende infligée à Cetarsa ainsi que de modifier, en conséquence, la répartition des dépens telle que fixée au point 4 dudit dispositif, et

– de condamner Cetarsa aux dépens.

Sur les pourvois principal et incident

Sur le pourvoi principal

39 Cetarsa invoque, en substance, deux moyens au soutien de son pourvoi tirés, le premier, d’une violation du principe d’égalité de traitement commise par le Tribunal lors de l’examen des premier et deuxième moyens du recours et, le second, d’une violation des principes d’égalité de traitement et de proportionnalité commise lors de l’examen du cinquième moyen dudit recours.

Sur le premier moyen

– Argumentation des parties

40 Cetarsa reproche au Tribunal d’avoir jugé que les transformateurs et les représentants des producteurs ne se trouvaient pas dans une situation comparable et que cette différence justifiait que la Commission n’inflige une amende symbolique qu’à ces derniers. Selon Cetarsa, les éléments sur lesquels le Tribunal a fondé son appréciation ne justifient ni la différenciation de la gravité des comportements visés ni des sanctions calculées selon une méthode différente.

41 Cetarsa souligne que, selon les constatations du Tribunal lui-même, les comportements suivants étaient communs aux deux ententes:

– des réunions annuelles collectives entre les représentants des producteurs et les transformateurs pour fixer les tableaux de prix et les conditions complémentaires;

– la connaissance de l’existence de ces réunions par le ministère de l’Agriculture et l’encouragement de celles-ci par ce dernier;

– des réunions préalables entre, d’une part, les représentants des producteurs et, d’autre part, les transformateurs, aux fins de fixer les positions communes respectives pour les négociations annuelles collectives;

– l’incertitude créée par le cadre réglementaire national et l’attitude des autorités publiques quant à l’illégalité du comportement des participants aux deux ententes.

42 Malgré ces éléments communs, le Tribunal aurait justifié la différence de traitement entre les représentants des producteurs et les transformateurs par les éléments suivants:

– ces derniers étaient convenus de «prix moyens (maximaux)», c’est-à-dire la moyenne des prix finaux de la transaction payés par le transformateur au producteur, et non, ainsi qu’en étaient convenus les représentants des producteurs, de «prix moyens minimaux», à savoir le seuil minimal au-delà duquel devait se situer le prix moyen obtenu par chaque producteur;

– les transformateurs s’étaient mis d’accord sur les quantités que chaque transformateur achèterait aux producteurs;

– les accords conclus par les transformateurs pour fixer les prix moyens maximaux allaient au-delà de ce que prévoyait la législation nationale;

– le caractère «secret» des accords entre les transformateurs.

43 Or, selon Cetarsa, cette position du Tribunal est erronée, dès lors qu’elle se heurte au cadre réglementaire national applicable et à la logique économique des comportements analysés.

44 Premièrement, Cetarsa estime que le prix moyen minimal convenu par les représentants des producteurs est le reflet du prix fixé par les transformateurs. En effet, le prix moyen maximal fixé par ces derniers aurait réduit le bénéfice des producteurs et le prix moyen minimal fixé par les représentants des producteurs aurait réduit celui des transformateurs.

45 En outre, la décision litigieuse confirmerait que le prix moyen maximal ne préjugeait pas du prix final payé pour chaque variété de tabac, mais qu’il existait une négociation réelle au moment de l’achat. Cetarsa précise que les fourchettes de prix par grade qualitatif ne constituaient que le cadre général pour la détermination du prix à percevoir par le producteur et que, dans certains cas, le prix final de livraison était supérieur à celui que les transformateurs avaient fixé comme prix
maximal.

46 Cetarsa estime que les effets sur la concurrence de ces comportements sont identiques, que leur logique économique vise le même objectif, qui était de modifier les prix de manière artificielle, et que les deux parties ont appliqué, à cette fin, des méthodes comparables. Elle précise qu’il ressort de la doctrine que les ententes sur les prix de vente sont plus nuisibles à la concurrence, dès lors qu’elles visent à faire augmenter les prix, alors que les ententes sur les prix d’achat font
baisser les prix pour les opérateurs en aval et pour les consommateurs.

47 Deuxièmement, Cetarsa soutient que les producteurs n’avaient pas besoin de fixer les quantités destinées à la vente, car ces dernières résultaient des récoltes et de l’intérêt qu’ont les producteurs de vendre toute leur production. En outre, la législation nationale aurait exigé que les transformateurs informent, individuellement ou collectivement, le ministère de l’Agriculture du volume prévisible de leurs achats lors de chaque récolte.

48 Troisièmement, Cetarsa fait valoir que, aux termes de la réglementation nationale applicable, qui figurerait dans la décision litigieuse et que Cetarsa aurait invoquée lors de l’audience devant le Tribunal, les contrats de vente entre les producteurs et les transformateurs pouvaient être négociés collectivement, mais ils devaient être notifiés au ministère de l’Agriculture et contenir le volume d’achat prévisible estimé par ces derniers. Or, le Tribunal ne se serait pas prononcé à cet égard.

49 Selon Cetarsa, il résulte de ces éléments que, d’une part, des réunions préalables étaient nécessaires afin de déterminer des positions communes pour la négociation et que, d’autre part, les représentants des producteurs et les transformateurs se trouvaient dans une situation équivalente. En effet, tant la réglementation nationale que l’attitude du ministère de l’Agriculture auraient laissé entendre à ces derniers qu’ils étaient libres de se réunir et de fixer leur prix moyen maximal.

50 Dans ces conditions, Cetarsa estime que l’absence, dans les contrats types, des termes «prix moyens maximaux», alors qu’y figurent les termes «prix moyens minimaux», ne peut justifier l’écart entre les amendes infligées aux deux catégories d’opérateurs concernés.

51 Cetarsa souligne que, dans la mesure où la réglementation nationale applicable permettait aux parties de négocier collectivement le contrat d’achat et de vente, elle permettait la détermination non seulement des prix qui seraient proposés par chaque partie lors des négociations, mais aussi du prix final de la transaction.

52 Dès lors, Cetarsa en conclut que la fixation des prix moyens maximaux n’avait pas de répercussions sur la concurrence plus graves que celle des prix moyens minimaux arrêtés par les représentants des producteurs, que l’entente de ces derniers n’est pas allée moins loin que celle des transformateurs et que la réglementation nationale n’engendrait pas moins d’incertitude pour ces derniers que pour les représentants des producteurs quant à l’illégalité de leurs comportements respectifs.

53 Quatrièmement, selon Cetarsa, le fait que le contenu des réunions préalables n’a pas été rendu public ne signifie pas que les participants à celles-ci étaient conscients de leur caractère illégal. En effet, il serait inhérent à toute négociation collective que les parties souhaitent que leurs positions respectives ne soient pas connues avant le début des négociations et ce fait n’aurait causé aucun préjudice supplémentaire.

54 Lors de l’audience devant la Cour, Cetarsa a précisé que, selon elle, le Tribunal a dénaturé, par son analyse, les normes pertinentes du cadre réglementaire national.

55 La Commission considère que ce moyen est irrecevable, dès lors que Cetarsa se limiterait à mettre en question, par des arguments dont aucun n’aurait été invoqué en première instance et qui ne viseraient aucune dénaturation, des appréciations factuelles effectuées par le Tribunal, en particulier quant au droit national applicable. Or, ce dernier devrait également être considéré comme constituant un fait au stade du pourvoi.

– Appréciation de la Cour

56 À cet égard, il convient de rappeler qu’il résulte des articles 256, paragraphe 1, second alinéa, TFUE et 58, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne que le Tribunal est seul compétent, d’une part, pour constater les faits, sauf dans le cas où l’inexactitude matérielle de ses constatations résulterait des pièces du dossier qui lui ont été soumises, et, d’autre part, pour apprécier ces faits. Lorsque le Tribunal a constaté ou apprécié les faits, la Cour est
compétente pour exercer, en vertu dudit article 256 TFUE, un contrôle sur la qualification juridique de ces faits et les conséquences de droit qui en ont été tirées par le Tribunal (arrêts du 6 avril 2006, General Motors/Commission, C‑551/03 P, Rec. p. I‑3173, point 51, et du 29 mars 2011, ThyssenKrupp Nirosta/Commission, C‑352/09 P, non encore publié au Recueil, point 179).

57 La Cour a précisé, également, que l’appréciation des faits ne constitue pas, sous réserve du cas de la dénaturation des éléments de preuve produits devant le Tribunal, une question de droit soumise, comme telle, au contrôle de la Cour (arrêts du 18 mai 2006, Archer Daniels Midland et Archer Daniels Midland Ingredients/Commission, C‑397/03 P, Rec. p. I‑4429, point 85, ainsi que ThyssenKrupp Nirosta/Commission, précité, point 180).

58 En l’espèce, force est de constater que, par l’argumentation résumée aux points 44, 45 et 47 à 51 du présent arrêt, Cetarsa tend à remettre en cause des constatations et des appréciations de nature factuelle effectuées par le Tribunal. Il en va de même s’agissant des arguments, résumés au point 52 du présent arrêt, concernant l’étendue de l’entente des transformateurs et l’incertitude dans laquelle ces derniers se trouvaient au regard de la réglementation nationale ainsi que de ceux, résumés
au point 53 du présent arrêt, relatifs à la conscience de l’illégalité de l’entente en ce qui concerne le caractère secret des participants à celle-ci.

59 Dans la mesure où cette argumentation vise l’interprétation par le Tribunal de la réglementation nationale en cause, il convient de préciser qu’un grief tiré de l’appréciation erronée du droit national est recevable lorsqu’il est reproché au Tribunal d’avoir dénaturé ce droit (voir, en ce sens, arrêt du 24 octobre 2002, Aéroports de Paris/Commission, C‑82/01 P, Rec. p. I‑9297, point 63; ordonnance du 6 octobre 2011, ThyssenKrupp Acciai Speciali Terni e.a./Commission, C‑448/10 P à C‑450/10 P,
point 33; arrêt du 21 décembre 2011, A2A/Commission, C‑320/09 P, point 125).

60 Or, dans son mémoire introductif du pourvoi, Cetarsa n’a invoqué aucune dénaturation des éléments de preuve qui aurait été commise par le Tribunal. Pour autant qu’elle a soulevé une telle dénaturation pour la première fois lors de l’audience devant la Cour, il doit être rappelé que, en vertu de l’article 42, paragraphe 2, premier alinéa, du règlement de procédure de cette dernière, la production de moyens nouveaux en cours d’instance est interdite à moins que ces moyens ne se fondent sur des
éléments de droit et de fait qui se sont révélés pendant la procédure.

61 La prétendue dénaturation ne se fondant pas sur des éléments de droit et de fait qui se seraient révélés pendant la procédure, ledit moyen, qui a été soulevé pour la première fois lors de l’audience devant la Cour, doit être considéré comme tardif et, partant, irrecevable.

62 Par ailleurs, s’agissant de l’argumentation résumée au point 46 du présent arrêt, pour autant qu’elle concerne la gravité de l’effet sur la concurrence des prix maximaux fixés par les transformateurs, il y a lieu de rappeler que, ainsi qu’il ressort de l’article 58 du statut de la Cour, les moyens du pourvoi doivent être fondés sur des arguments tirés de la procédure devant le Tribunal. En outre, selon l’article 113, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour, le pourvoi ne peut
modifier l’objet du litige devant le Tribunal. Ainsi, la compétence de la Cour, dans le cadre du pourvoi, est limitée à l’appréciation de la solution juridique qui a été donnée aux moyens débattus devant les premiers juges. Une partie ne saurait donc modifier l’objet du litige en soulevant pour la première fois devant la Cour un moyen qu’elle aurait pu soulever devant le Tribunal mais qu’elle n’a pas soulevé, dès lors que cela reviendrait à lui permettre de saisir la Cour d’un litige plus étendu que
celui dont a eu à connaître le Tribunal. Un tel moyen doit donc être considéré comme irrecevable au stade du pourvoi (arrêts du 29 septembre 2011, Arkema/Commission, C‑520/09 P, non encore publié au Recueil, point 64, et du 3 mai 2012, Comap/Commission, C‑290/11 P, point 42).

63 S’agissant de l’argumentation résumée au point 46 du présent arrêt, qui est tirée de l’effet prétendument identique sur la concurrence du comportement des représentants des producteurs et de celui des transformateurs, voire d’un effet plus bénéfique du comportement de ces derniers, force est de constater que la lecture de la requête de première instance ne révèle aucun élément de nature à établir qu’une telle argumentation a été invoquée dans celle-ci.

64 Or, il ressort des dispositions combinées des articles 44, paragraphe 1, sous c), et 48, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal que la requête introductive d’instance doit contenir, notamment, un exposé sommaire des moyens invoqués et que la production de moyens nouveaux en cours d’instance est interdite à moins que ces moyens ne se fondent sur des éléments de droit et de fait qui se sont révélés pendant la procédure (arrêt du 28 juillet 2011, Mediaset/Commission, C‑403/10 P,
point 42).

65 Par conséquent, à supposer même que Cetarsa ait soulevé ladite argumentation lors de l’audience devant le Tribunal, elle aurait été, en tout état de cause, tardive et, partant, irrecevable, eu égard à l’article 48, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal.

66 Il s’ensuit que, compte tenu de la jurisprudence rappelée au point 62 du présent arrêt, cette argumentation doit être considérée comme étant irrecevable au stade du pourvoi.

67 Il en va de même de l’argumentation résumée au début du point 52 du présent arrêt, relative à la gravité des répercussions sur la concurrence de la fixation des prix moyens maximaux par les transformateurs, dès lors qu’aucune trace d’un tel moyen ne ressort des termes de la requête de première instance.

68 En ce qui concerne l’argumentation résumée au point 53 du présent arrêt, par laquelle Cetarsa reproche au Tribunal, en substance, d’avoir commis une erreur de droit en ce qui concerne l’appréciation du caractère secret du contenu des réunions des transformateurs, dès lors que celui-ci n’aurait pas causé de préjudice supplémentaire, il suffit de relever que cette argumentation procède d’une lecture erronée de l’arrêt attaqué.

69 En effet, contrairement à ce que suggère Cetarsa, le Tribunal n’a pas considéré, aux points 76 à 80 de l’arrêt attaqué, que le caractère secret du «second volet» de l’entente des transformateurs ajoutait à la gravité de l’infraction commise, mais il n’a utilisé le caractère secret d’une partie de cette entente qu’aux fins de distinguer ce volet du volet «public» de celle-ci.

70 Il s’ensuit que ladite argumentation doit être écartée comme étant, en tout état de cause, inopérante.

71 Enfin, en ce qui concerne la prétendue violation de l’obligation de motivation que Cetarsa reproche au Tribunal par l’argumentation résumée au point 48 du présent arrêt, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante de la Cour, l’obligation de motiver les arrêts, qui incombe au Tribunal en vertu des articles 36 et 53, premier alinéa, du statut de la Cour, n’impose pas à celui-ci de fournir un exposé qui suivrait exhaustivement et un par un tous les raisonnements articulés
par les parties au litige. La motivation peut donc être implicite, à condition qu’elle permette aux intéressés de connaître les motifs sur lesquels le Tribunal se fonde et à la Cour de disposer des éléments suffisants pour exercer son contrôle dans le cadre d’un pourvoi (voir, notamment, arrêt A2A/Commission, précité, point 97).

72 En l’espèce, il ressort des points 77 à 79 et 145 à 147 de l’arrêt attaqué que le Tribunal a considéré que les incertitudes occasionnées par le cadre réglementaire national n’affectaient pas de la même manière le volet secret de l’entente des transformateurs et le volet public de celle-ci ainsi que l’entente des représentants des producteurs. Par conséquent, il convient de considérer que, en tout état de cause, le Tribunal a rejeté de manière implicite l’argumentation résumée au point 48 du
présent arrêt.

73 En outre, ledit raisonnement du Tribunal est de nature à permettre tant à Cetarsa de connaître les raisons pour lesquelles le Tribunal a rejeté cette argumentation qu’à la Cour de disposer des éléments suffisants pour exercer son contrôle juridictionnel.

74 Eu égard à tout ce qui précède, le premier moyen invoqué par Cetarsa au soutien de son pourvoi, qui est en partie irrecevable et en partie non fondé, doit être écarté.

Sur le second moyen

– Argumentation des parties

75 Par le second moyen invoqué par Cetarsa au soutien de son pourvoi, cette dernière fait valoir que, contrairement à ce qu’a considéré le Tribunal, l’incertitude quant à l’illégalité du comportement des transformateurs engendrée par le cadre réglementaire national et par l’attitude du ministère de l’Agriculture n’a pas été dûment prise en compte par la réduction, au titre des circonstances atténuantes, de 40 % du montant de base de l’amende. Elle en déduit une violation des principes de
proportionnalité et d’égalité de traitement à son détriment.

76 Cetarsa souligne qu’elle a été la seule entreprise à ne pas avoir pu bénéficier de ladite circonstance atténuante. En effet, elle serait la seule pour laquelle le montant de base de l’amende aurait dépassé à tel point la limite des 10 % de son chiffre d’affaires qu’aucun des éléments ultérieurs du calcul dudit montant n’aurait pu avoir de répercussion sur l’amende qui lui a finalement été infligée.

77 Cetarsa fait valoir que, dès lors, la méthode de calcul de la Commission, qui se fonde sur des montants forfaitaires de départ indépendants de la taille et de la capacité économique des entreprises visées, sanctionne les petites et moyennes entreprises plus sévèrement que les grandes entreprises. En l’espèce, l’amende qui lui a été infligée serait égale à celles réservées aux rares ententes très graves et géographiquement très étendues.

78 Cette pénalisation des petites entreprises aurait été relevée par plusieurs autorités en la matière et la Commission aurait, depuis lors, adapté ses lignes directrices pour le calcul des amendes adoptées en 1998 en conséquence. En outre, la jurisprudence à laquelle le Tribunal s’est référé pour appuyer son rejet des prétentions de Cetarsa en première instance concernerait des circonstances différentes de celles de l’espèce. En particulier, s’agissant de la limite de 10 % du chiffre
d’affaires des entreprises visées, qui a pour objet d’empêcher l’infliction de sanctions excessives, il résulterait de la jurisprudence que cette limite ne fait pas obstacle à l’application de circonstances atténuantes, lesquelles poursuivent des objectifs distincts.

79 La Commission conclut au rejet de ce moyen.

– Appréciation de la Cour

80 Il est de jurisprudence constante que seul le montant final de l’amende infligée doit respecter la limite maximale de 10 % du chiffre d’affaires visée à l’article 23, paragraphe 2, deuxième alinéa, du règlement n° 1/2003 et que cette disposition n’interdit pas à la Commission de parvenir, au cours des différentes étapes du calcul de l’amende, à un montant intermédiaire supérieur à cette limite, pour autant que le montant final de l’amende n’excède pas ladite limite (voir, en ce sens, arrêts
du 28 juin 2005, Dansk Rørindustri e.a./Commission, C‑189/02 P, C‑202/02 P, C‑205/02 P à C‑208/02 P et C‑213/02 P, Rec. p. I‑5425, points 277 et 278, ainsi que du 29 juin 2006, SGL Carbon/Commission, C‑308/04 P, Rec. p. I‑5977, point 82).

81 Ainsi, s’il s’avère que, au terme du calcul, le montant final de l’amende doit être réduit à concurrence du montant dépassant ladite limite supérieure, le fait que certains facteurs tels que la gravité et la durée de l’infraction ne se répercutent pas de façon effective sur le montant de l’amende infligée n’est qu’une simple conséquence de l’application de cette limite supérieure audit montant final (arrêt Dansk Rørindustri e.a./Commission, précité, point 279).

82 En effet, ladite limite supérieure vise à éviter que soient infligées des amendes dont il est prévisible que les entreprises, au vu de leur taille, telle que déterminée par leur chiffre d’affaires global, fût-ce de façon approximative et imparfaite, ne seront pas en mesure de s’acquitter (arrêt Dansk Rørindustri e.a./Commission, précité, point 280).

83 Il s’agit donc d’une limite, uniformément applicable à toutes les entreprises et articulée en fonction de la taille de chacune d’elles, visant à éviter des amendes d’un niveau excessif et disproportionné. Cette limite supérieure a ainsi un objectif distinct et autonome par rapport à celui des critères de gravité et de durée de l’infraction (arrêt Dansk Rørindustri e.a./Commission, précité, points 281 et 282).

84 Ladite limite a comme seule conséquence possible que le montant de l’amende calculé sur la base de ces critères est réduit jusqu’au niveau maximal autorisé. Son application implique que l’entreprise concernée ne paie pas l’amende qui, en principe, serait due au titre d’une appréciation fondée sur lesdits critères (arrêt Dansk Rørindustri e.a./Commission, précité, point 283).

85 En l’occurrence, il convient de préciser que la prise en compte de circonstances atténuantes fait partie intégrante des étapes du calcul du montant final d’une amende et que, partant, il n’y a pas lieu de réserver à ces circonstances, contrairement à ce que prétend Cetarsa, un sort différent de celui accordé aux autres étapes du calcul.

86 En outre, la Commission a relevé à juste titre que Cetarsa est la seule entreprise de l’entente des transformateurs ayant bénéficié d’une réduction de l’amende en raison de la limite maximale prévue à l’article 23, paragraphe 2, deuxième alinéa, du règlement n° 1/2003 et que cette réduction est beaucoup plus importante que celle dont elle aurait bénéficié, en l’absence de cette limite, au titre desdites circonstances atténuantes.

87 Au demeurant, il ressort des points 272 à 283 de l’arrêt Dansk Rørindustri e.a./Commission, précité, que la Cour a déjà rejeté une argumentation en substance similaire à celle exposée aux points 76 et 77 du présent arrêt.

88 Dans ces conditions, le second moyen invoqué par Cetarsa au soutien de son pourvoi ne saurait prospérer et, partant, celui-ci doit être rejeté comme étant non fondé.

Sur le pourvoi incident

89 La Commission soulève, en substance, deux moyens tirés, le premier, d’une dénaturation des éléments de preuve, d’une erreur de droit ainsi que d’un défaut de motivation et, le second, d’une erreur de droit et d’un défaut de motivation. Les deux moyens visent l’appréciation par le Tribunal du sixième moyen invoqué au soutien du recours de première instance.

Sur le premier moyen

– Argumentation des parties

90 En premier lieu, la Commission fait valoir que, en concluant, aux points 269 à 271 de l’arrêt attaqué, qu’elle a commis une erreur manifeste d’appréciation, le Tribunal a dénaturé la réponse de Cetarsa à la communication des griefs. En effet, selon la Commission, il résulte manifestement de la conclusion des pages 7 à 10 de cette réponse que, contrairement à la constatation du Tribunal, Cetarsa prétendait que les deux ententes étaient identiques.

91 La Commission considère que son analyse est corroborée par le fait que Cetarsa invoque la même thèse dans le cadre de la procédure de pourvoi, ce qu’elle aurait omis de faire en première instance. Par conséquent, contrairement à ce qu’a jugé le Tribunal au point 270 de l’arrêt attaqué, dans lesdites pages, Cetarsa ne se serait pas limitée à apporter quelques précisions sur le prix minimal moyen par groupement de producteurs, mais aurait mis en cause les faits constatés par la Commission.

92 En deuxième lieu, eu égard à ce qui précède, la Commission soutient que le raisonnement du Tribunal est incompréhensible. En effet, la constatation effectuée par ce dernier audit point 270 ne serait soutenue ni par une analyse ni par un raisonnement et ne serait donc pas de nature à justifier la conclusion selon laquelle la Commission a commis une erreur manifeste.

93 En troisième lieu, la Commission considère que le Tribunal a appliqué de manière erronée le critère de l’erreur manifeste. Selon elle, pour qu’il y ait erreur manifeste, l’interprétation que la Commission a faite de la communication des griefs aurait dû être manifestement incorrecte, ce qui n’est pas le cas.

94 Cetarsa conclut au rejet de ce moyen.

– Appréciation de la Cour

95 À titre liminaire, il convient de relever que, en réponse au moyen soulevé par Cetarsa en première instance, tiré de ce que la Commission aurait violé la communication sur la coopération en lui accordant une réduction de l’amende inférieure à celle qui a été octroyée à Taes, le Tribunal s’est notamment prononcé comme suit aux points 269 et 270 de l’arrêt attaqué:

«269 Au considérant 453 de la décision [litigieuse], la Commission a relevé que, dans sa réponse à la communication des griefs, la requérante avait déclaré qu’elle ne contestait pas la matérialité des faits sur lesquels la Commission fondait ses accusations. La Commission a néanmoins refusé de faire bénéficier la requérante de l’application du point D 2, second tiret, de la communication sur la coopération en faisant valoir que cette dernière avait affirmé que l’entente des transformateurs sur
les prix de livraison moyens (maximaux), d’une part, et les différents accords passés par les producteurs et les transformateurs sur un prix moyen par groupement de producteurs, d’autre part, étaient identiques et que, par conséquent, les effets anticoncurrentiels potentiels du comportement des transformateurs et des producteurs se neutralisaient. Elle a renvoyé, à cet égard, aux pages 7 à 10 de la réponse de la requérante à la communication des griefs.

270 Force est de constater que les pages en question ne contiennent aucune affirmation du type de celle attribuée par la Commission à la requérante. Une telle affirmation ne saurait davantage être considérée comme inhérente aux développements figurant dans ces pages, contrairement à ce que la Commission a soutenu lors de l’audience. En réalité, auxdites pages, la requérante s’est bornée à donner quelques précisions sur le prix minimal moyen par groupement de producteurs qui faisait l’objet des
négociations entre les transformateurs, d’une part, et les représentants des producteurs, d’autre part.»

96 Tout d’abord, s’agissant de la prétendue dénaturation de la réponse de Cetarsa à la communication des griefs prétendument commise par le Tribunal, il y a lieu de rappeler que, lorsqu’il allègue une dénaturation d’éléments de preuve par le Tribunal, un requérant doit, en application des articles 256 TFUE, 58, premier alinéa, du statut de la Cour et 112, paragraphe 1, premier alinéa, sous c), du règlement de procédure de cette dernière, indiquer de façon précise les éléments qui auraient été
dénaturés par celui-ci et démontrer les erreurs d’analyse qui, dans son appréciation, auraient conduit le Tribunal à cette dénaturation (arrêt du 17 juin 2010, Lafarge/Commission, C‑413/08 P, Rec. p. I‑5361, point 16 et jurisprudence citée).

97 À cet égard, il est de jurisprudence constante qu’une dénaturation doit apparaître de façon manifeste des pièces du dossier, sans qu’il soit nécessaire de procéder à une nouvelle appréciation des faits et des preuves (arrêt du 27 octobre 2011, Autriche/Scheucher-Fleisch e.a., C‑47/10 P, non encore publié au Recueil, point 59 et jurisprudence citée).

98 En l’espèce, contrairement à ce que prétend la Commission, il ne ressort pas de façon manifeste de la conclusion des pages 7 à 10 de la réponse de Cetarsa à la communication des griefs que cette société aurait prétendu que l’entente des transformateurs et celle des représentants des producteurs étaient identiques. Ainsi que l’a relevé à juste titre le Tribunal, il apparaît que Cetarsa s’est bornée, dans cette conclusion, à donner des précisions sur les prix moyens faisant l’objet des
négociations entre les transformateurs, d’une part, et les représentants des producteurs, d’autre part.

99 Il s’ensuit que l’analyse effectuée par le Tribunal du passage litigieux de la réponse de Cetarsa à la communication des griefs ne révèle aucune dénaturation.

100 Ensuite, contrairement à ce que prétend la Commission, le raisonnement du Tribunal aux points 269 et 270 de l’arrêt attaqué satisfait entièrement aux exigences de motivation établies par la jurisprudence.

101 En effet, il a déjà été rappelé au point 71 du présent arrêt que l’obligation de motiver les arrêts incombant au Tribunal ne lui impose pas de fournir un exposé qui suivrait exhaustivement les raisonnements articulés par les parties au litige. La motivation peut donc être implicite, à condition qu’elle permette aux intéressés de connaître les motifs sur lesquels le Tribunal se fonde et à la Cour de disposer des éléments suffisants pour exercer son contrôle dans le cadre d’un pourvoi.

102 Or, en l’espèce, le raisonnement exposé par le Tribunal auxdits points 269 et 270 permet aux intéressés de connaître les motifs sur lesquels le Tribunal s’est fondé et à la Cour de disposer des éléments suffisants pour exercer son contrôle dans le cadre d’un pourvoi.

103 Enfin, il résulte de ce qui précède que le Tribunal pouvait, eu égard aux constatations qu’il avait effectuées aux mêmes points 269 et 270, conclure à une erreur manifeste d’appréciation de la Commission sans commettre, de ce fait, une erreur de droit.

104 Il s’ensuit que le premier moyen invoqué par la Commission au soutien de son pourvoi incident doit être écarté comme étant non fondé.

Sur le second moyen

– Argumentation des parties

105 La Commission considère que le Tribunal a fondé son raisonnement sur la prémisse implicite selon laquelle la prétendue non-contestation des faits donne lieu automatiquement à une réduction de 10 % du montant de l’amende.

106 Toutefois, selon la Commission, il ressort de la jurisprudence que l’application de la communication sur la coopération ne donne pas lieu à une réduction automatique de l’amende en cas d’absence de contestation des faits par l’entreprise concernée, cette institution disposant d’un large pouvoir d’appréciation pour examiner si ce défaut de contestation l’a aidée ou non à établir l’infraction. En effet, une réduction de l’amende au titre de la coopération serait justifiée uniquement lorsqu’elle
permet effectivement à la Commission de constater l’existence d’une infraction et d’y mettre fin. Partant, lorsque l’absence de contestation des faits ne facilite en rien le travail de cette institution, aucune réduction ne serait appliquée.

107 Or, le Tribunal n’aurait pas examiné si l’absence de contestation des faits par Cetarsa a permis effectivement à la Commission de constater l’existence d’une infraction et d’y mettre fin.

108 À tout le moins, la Commission estime que, faute d’avoir examiné cet élément, le point 272 de l’arrêt attaqué est entaché d’un défaut de motivation. En effet, la Cour ayant jugé, après l’adoption de la communication sur la coopération, que la non-contestation des faits lors de la procédure administrative n’empêche pas les parties de mettre en cause devant le Tribunal les faits constitutifs de l’infraction, l’obligation d’examiner et de motiver une réduction de l’amende en raison de l’absence
d’une telle contestation s’imposerait à plus forte raison à ce dernier.

109 Enfin, la Commission considère que, eu égard au fait que Cetarsa a invoqué, dans son pourvoi, l’absence de différences significatives entre l’entente des transformateurs et celle des représentants des producteurs, cette société ne mérite pas de bénéficier d’une réduction du montant de l’amende au titre de ladite communication.

110 Cetarsa conclut au rejet de ce moyen.

– Appréciation de la Cour

111 Il convient de relever que, en réponse au moyen soulevé par Cetarsa en première instance, tiré de ce que la Commission aurait violé la communication sur la coopération en lui accordant une réduction de l’amende inférieure à celle qui a été octroyée à Taes, le Tribunal s’est notamment prononcé comme suit aux points 271 et 272 de l’arrêt attaqué:

«271 Il s’ensuit que la Commission a commis une erreur manifeste d’appréciation en estimant que la requérante avait contesté la matérialité des faits au sens du point D 2, second tiret, de la communication sur la coopération. Partant, le sixième moyen doit être partiellement accueilli.

272 Dans ces conditions, il appartient au Tribunal de fixer un taux de réduction approprié. Dans l’exercice de son pouvoir de pleine juridiction, le Tribunal considère qu’il convient d’accorder à la requérante, au titre de sa coopération, une réduction supplémentaire de 10 % à celle de 25 % déjà octroyée. Ainsi, il y a lieu d’appliquer une réduction de 35 % au montant de l’amende après l’application de la règle du plafond des 10 % du chiffre d’affaires, soit 4 842 000 euros, ce qui conduit à
fixer le montant final de l’amende infligée à 3 147 300 euros.»

112 À cet égard, d’une part, il importe de constater que, contrairement à ce que prétend la Commission, le Tribunal n’a nullement considéré que l’absence de contestation des faits donne lieu automatiquement à une réduction de 10 % du montant de l’amende.

113 En effet, le Tribunal a relevé que, eu égard à l’erreur manifeste d’appréciation constatée, il lui appartenait d’exercer son pouvoir de pleine juridiction aux fins de fixer un taux de réduction approprié. Dans l’exercice de ce pouvoir, le Tribunal a apprécié la valeur de la coopération de Cetarsa et a accordé à celle-ci une réduction supplémentaire de l’amende qui lui avait été infligée.

114 D’autre part, s’il est vrai que la motivation de l’arrêt attaqué sur ce point est particulièrement succincte, il n’en demeure pas moins qu’elle s’inscrit dans le contexte, notamment, des points 265 à 268 dudit arrêt, qui concernent la coopération de Cetarsa avec la Commission et sa valeur pour celle-ci. Il en ressort notamment que cette coopération a certes été utile à la Commission, mais que cette utilité n’a pas été aussi importante que celle de Taes, raison pour laquelle cette dernière a
obtenu une réduction de 40 % de l’amende qui lui a été infligée.

115 Or, dans ce contexte, le raisonnement du Tribunal, tel que résumé notamment au point 111 du présent arrêt, est de nature à permettre tant à la Commission de connaître les raisons pour lesquelles une réduction supplémentaire de l’amende a été octroyée par le Tribunal à Cetarsa qu’à la Cour de disposer des éléments suffisants pour exercer son contrôle juridictionnel.

116 Par conséquent, eu égard à la jurisprudence rappelée au point 71 du présent arrêt, il ressort de ce qui précède que l’arrêt attaqué est suffisamment motivé en ce qui concerne ladite réduction.

117 Dans ces conditions, le second moyen invoqué par la Commission au soutien de son pourvoi incident ne saurait être accueilli et, partant, celui-ci doit être rejeté.

Sur les dépens

118 Aux termes de l’article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 118 du même règlement, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.

119 S’agissant du pourvoi principal, la Commission ayant conclu à la condamnation de Cetarsa et cette dernière ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens.

120 Pour ce qui est du pourvoi incident, Cetarsa ayant conclu à la condamnation de la Commission et cette dernière ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens.

Par ces motifs, la Cour (sixième chambre) déclare et arrête:

1) Les pourvois principal et incident sont rejetés.

2) La Compañía española de tabaco en rama SA (Cetarsa) est condamnée aux dépens afférents au pourvoi principal.

3) La Commission européenne est condamnée aux dépens afférents au pourvoi incident.

Signatures

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* Langue de procédure: l’espagnol.


Synthèse
Formation : Sixième chambre
Numéro d'arrêt : C‑181/11
Date de la décision : 12/07/2012
Type d'affaire : Pourvoi - non fondé, Pourvoi - irrecevable
Type de recours : Recours en annulation, Recours contre une sanction

Analyses

Pourvoi – Concurrence – Ententes – Marché espagnol de l’achat et de la première transformation de tabac brut – Décision constatant une infraction à l’article 81 CE – Fixation des prix et répartition du marché – Amendes – Égalité de traitement – Limite maximale de 10 % du chiffre d’affaires – Coopération – Dénaturation d’éléments de preuve – Erreur manifeste d’appréciation – Défaut de motivation.

Concurrence

Ententes


Parties
Demandeurs : Compañía Española de Tabaco en Rama, SA (Cetarsa)
Défendeurs : Commission européenne.

Composition du Tribunal
Avocat général : Kokott
Rapporteur ?: Arabadjiev

Origine de la décision
Date de l'import : 30/06/2023
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2012:455

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