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26/06/2012 | CJUE | N°C-336/09

CJUE | CJUE, Arrêt de la Cour, République de Pologne contre Commission européenne., 26/06/2012, C-336/09


ARRÊT DE LA COUR (grande chambre)

26 juin 2012 ( *1 )

«Pourvoi — Organisation commune des marchés — Mesures transitoires à adopter par suite de l’adhésion de nouveaux États membres — Règlement (CE) no 60/2004 établissant des mesures dans le secteur du sucre — Recours en annulation — Délai — Point de départ — Tardiveté — Irrecevabilité — Moyens — Violation des principes constitutifs d’une communauté de droit et du principe de protection juridictionnelle effective»

Dans l’affaire C-336/09 P,

ayant pour objet un p

ourvoi au titre de l’article 56 du statut de la Cour de justice, introduit le 24 août 2009,

République de Polog...

ARRÊT DE LA COUR (grande chambre)

26 juin 2012 ( *1 )

«Pourvoi — Organisation commune des marchés — Mesures transitoires à adopter par suite de l’adhésion de nouveaux États membres — Règlement (CE) no 60/2004 établissant des mesures dans le secteur du sucre — Recours en annulation — Délai — Point de départ — Tardiveté — Irrecevabilité — Moyens — Violation des principes constitutifs d’une communauté de droit et du principe de protection juridictionnelle effective»

Dans l’affaire C-336/09 P,

ayant pour objet un pourvoi au titre de l’article 56 du statut de la Cour de justice, introduit le 24 août 2009,

République de Pologne, représentée initialement par M. M. Dowgielewicz, puis par M. M. Szpunar, en qualité d’agents,

partie requérante,

l’autre partie à la procédure étant:

Commission européenne, représentée par Mmes H. Tserepa-Lacombe, A. Stobiecka-Kuik et A. Szmytkowska, ainsi que par M. T. van Rijn, en qualité d’agents,

partie défenderesse en première instance,

LA COUR (grande chambre),

composée de M. V. Skouris, président, MM. A. Tizzano, J. N. Cunha Rodrigues, K. Lenaerts, J.-C. Bonichot, M. Safjan, présidents de chambre, MM. G. Arestis, A. Borg Barthet, M. Ilešič, Mme C. Toader et M. J.-J. Kasel (rapporteur), juges,

avocat général: M. P. Cruz Villalón,

greffier: M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 21 décembre 2011,

rend le présent

Arrêt

1 Par son pourvoi, la République de Pologne demande l’annulation de l’ordonnance du Tribunal de première instance des Communautés européennes du 10 juin 2009, Pologne/Commission (T-258/04, ci-après l’«ordonnance attaquée»), par laquelle celui-ci a rejeté son recours tendant à l’annulation des articles 5, 6, paragraphes 1 à 3, 7, paragraphe 1, et 8, paragraphe 2, sous a), du règlement (CE) no 60/2004 de la Commission, du 14 janvier 2004, établissant des mesures transitoires dans le secteur du sucre
en raison de l’adhésion de la République tchèque, de l’Estonie, de Chypre, de la Lettonie, de la Lituanie, de la Hongrie, de Malte, de la Pologne, de la Slovénie et de la Slovaquie à l’Union européenne (JO L 9, p. 8).

Le cadre juridique

Le traité d’adhésion et l’acte d’adhésion de 2003

2 L’article 2, paragraphe 3, du traité entre le Royaume de Belgique, le Royaume de Danemark, la République fédérale d’Allemagne, la République hellénique, le Royaume d’Espagne, la République française, l’Irlande, la République italienne, le Grand-Duché de Luxembourg, le Royaume des Pays-Bas, la République d’Autriche, la République portugaise, la République de Finlande, le Royaume de Suède, le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord (États membres de l’Union européenne) et la République
tchèque, la République d’Estonie, la République de Chypre, la République de Lettonie, la République de Lituanie, la République de Hongrie, la République de Malte, la République de Pologne, la République de Slovénie, la République slovaque relatif à l’adhésion de la République tchèque, de la République d’Estonie, de la République de Chypre, de la République de Lettonie, de la République de Lituanie, de la République de Hongrie, de la République de Malte, de la République de Pologne, de la
République de Slovénie et de la République slovaque à l’Union européenne (JO 2003, L 236, p. 17, ci-après le «traité d’adhésion»), signé à Athènes le 16 avril 2003 et ratifié par la République de Pologne le 23 juillet 2003, prévoit:

«Par dérogation au paragraphe 2, les institutions de l’Union peuvent arrêter avant l’adhésion les mesures visées [à l’article 41 de l’acte relatif aux conditions d’adhésion à l’Union européenne de la République tchèque, de la République d’Estonie, de la République de Chypre, de la République de Lettonie, de la République de Lituanie, de la République de Hongrie, de la République de Malte, de la République de Pologne, de la République de Slovénie et de la République slovaque, et aux adaptations des
traités sur lesquels est fondée l’Union européenne (JO 2003, L 236, p. 33, ci-après l’«acte d’adhésion de 2003»), annexé au traité d’adhésion]. Ces mesures n’entrent en vigueur que sous réserve et à la date de l’entrée en vigueur du [traité d’adhésion].»

3 L’article 41 de l’acte d’adhésion de 2003 dispose:

«Si des mesures transitoires sont nécessaires pour faciliter la transition du régime en vigueur dans les nouveaux États membres au régime résultant de l’application de la politique agricole commune dans les conditions indiquées dans [l’acte d’adhésion de 2003], ces mesures sont adoptées par la Commission selon la procédure visée à l’article 42, paragraphe 2, du règlement (CE) no 1260/2001 du Conseil [du 19 juin 2001] portant organisation commune des marchés dans le secteur du sucre [(JO L 178,
p. 1)], ou, le cas échéant, aux articles correspondants des autres règlements portant organisation des marchés agricoles, ou selon la procédure de comitologie prévue par la législation applicable. Les mesures transitoires visées par le présent article peuvent être prises durant une période de trois ans à compter de la date de l’adhésion et ne doivent pas s’appliquer au-delà de cette période. Le Conseil, statuant à l’unanimité sur proposition de la Commission et après consultation du Parlement
européen, peut prolonger cette période.

[...]»

4 Le chapitre 4 de l’annexe IV de l’acte d’adhésion afférente à la liste visée à l’article 22 de ce dernier, intitulé «Agriculture», dispose à ses points 1 et 2:

«1.   Les stocks publics détenus à la date d’adhésion par les nouveaux États membres et provenant de leurs politiques de soutien du marché sont repris par la Communauté au prix résultant de l’application de l’article 8 du règlement (CEE) no 1883/78 du Conseil [du 2 août 1978] relatif aux règles générales sur le financement des interventions par le Fonds européen d’orientation et de garantie agricole, section ‘garantie’ [(JO L 216, p. 1)]. Ces stocks ne sont repris qu’à la condition que
l’intervention publique pour les produits en question soit prévue par les règles communautaires et que les stocks concernés répondent aux conditions d’intervention communautaires.

2.   Tout stock de produits, qu’il soit privé ou public, en libre pratique sur le territoire des nouveaux États membres à la date d’adhésion et dépassant la quantité qui pourrait être considérée comme constituant un report normal de stocks doit être éliminé aux frais des nouveaux États membres.»

5 Le chapitre 5 de ladite annexe, intitulé «Union douanière», prévoit:

«[...]

Les règlements (CEE) no 2913/92 [du Conseil, du 12 octobre 1992, établissant le code des douanes communautaire (JO L 302, p. 1),] et (CEE) no 2454/93 [de la Commission, du 2 juillet 1993, fixant certaines dispositions d’application du règlement no 2913/92 (JO L 253, p. 1)] s’appliquent aux nouveaux États membres sous réserve des dispositions spécifiques suivantes:

1. Nonobstant l’article 20 du règlement (CEE) no 2913/92, les marchandises qui, à la date d’adhésion sont en dépôt provisoire ou relèvent de l’un des traitements ou procédures douaniers visés à l’article 4, paragraphe 15, point b), et paragraphe 16, points b) à g), de ce règlement dans la Communauté élargie, ou qui sont en cours de transport dans la Communauté élargie après avoir fait l’objet des formalités d’exportation, sont mises en libre pratique en franchise de droits de douane et d’autres
mesures douanières, à condition que l’une des preuves suivantes soit produite:

[...]»

Le règlement no 60/2004

6 Le 14 janvier 2004, la Commission a adopté le règlement no 60/2004, qui instaure notamment, en substance et pour ce qui concerne le présent litige dans le secteur du sucre, un système de taxation par dérogation transitoire aux règles communautaires autrement applicables.

7 Ainsi, l’article 5 dudit règlement prévoit:

«Régime suspensif

1.   Par dérogation au chapitre 5 de l’annexe IV de l’acte d’adhésion [de 2003] et aux articles 20 et 214 du règlement (CEE) no 2913/92, les produits relevant des codes NC 1701, 1702, 1704, 1904, 1905, 2006, 2007, 2009, 2101 12 92, 2101 20 92, 2105 et 2202 à l’exception de ceux énumérés à l’article 4, paragraphe 5, du règlement (CE) no 1972/2003 [de la Commission, du 10 novembre 2003, relatif aux mesures transitoires à adopter en ce qui concerne les échanges de produits agricoles du fait de
l’adhésion de la République tchèque, de l’Estonie, de Chypre, de la Lettonie, de la Lituanie, de la Hongrie, de Malte, de la Pologne, de la Slovénie et de la Slovaquie (JO L 293, p. 3)] sont assujettis au droit à l’importation erga omnes, y compris tout droit supplémentaire applicable le jour de la mise en libre pratique, à condition que:

a) avant le 1er mai 2004, ils aient été en libre pratique dans la Communauté dans sa composition au 30 avril 2004 ou dans un nouvel État membre, et que

b) le 1er mai 2004, ils soient:

i) en dépôt temporaire;

ii) sous une des destinations douanières ou des régimes douaniers visés à l’article 4, paragraphe 15, point b), et à l’article 4, paragraphe 16, points b) à g), du règlement (CEE) no 2913/92 dans la Communauté, ou

iii) transportés à l’intérieur de la Communauté élargie après avoir satisfait aux formalités d’exportation.

À l’exclusion du sucre C de betterave raffiné, du sirop d’isoglucose C et du sirop d’inuline C, relevant respectivement des codes NC 1701 99 10, 1701 99 90, 1702 30 10, 1702 40 10, 1702 60 10, 1702 90 30, 1702 60 80 et 1702 90 80, ce premier alinéa ne s’applique pas aux produits exportés de la Communauté à quinze, si l’importateur fournit la preuve qu’aucune restitution à l’exportation n’a été demandée pour les produits du pays d’exportation. À la demande de l’importateur, l’exportateur veille à
ce que l’autorité compétente appose une annotation sur la déclaration d’exportation qui certifie qu’aucune restitution à l’exportation n’a été demandée pour les produits du pays d’exportation.

2.   Par dérogation au chapitre 5 de l’annexe IV de l’acte d’adhésion [de 2003] et aux articles 20 et 214 du règlement (CEE) no 2913/92, les produits relevant des codes NC 1701, 1702, 1704, 1904, 1905, 2006, 2007, 2009, 2101 12 92, 2101 20 92, 2105 et 2202, à l’exception de ceux énumérés à l’article 4, paragraphe 5, du règlement (CE) no 1972/2003 de la Commission, en provenance de pays tiers, sont assujettis au droit à l’importation erga omnes, y compris tout autre droit applicable le jour de la
mise en libre pratique, à condition:

a) qu’ils soient placés sous le régime du perfectionnement actif visé à l’article 4, paragraphe 16, point d), ou sous celui de l’admission temporaire visé à l’article 4, paragraphe 16, point f), du règlement (CEE) no 2913/92 dans un nouvel État membre au 1er mai 2004;

b) qu’ils soient mis en libre pratique le 1er mai 2004 ou après cette date.»

8 L’article 6 du règlement no 60/2004 dispose:

«Stocks anormaux

1.   La Commission détermine au plus tard le 31 octobre 2004, pour chaque nouvel État membre, conformément à la procédure visée à l’article 42, paragraphe 2, du règlement (CE) no 1260/2001, la quantité de sucre en l’état ou de sucre sous forme de produits transformés, isoglucose et fructose dépassant la quantité considérée comme un stock de report normal au 1er mai 2004 et qui doit être éliminée du marché aux frais des nouveaux États membres.

Afin de déterminer cette quantité excédentaire, il est particulièrement tenu compte de l’évolution observée au cours de l’année précédant l’adhésion par rapport aux années précédentes quant:

a) aux quantités importées et exportées de sucre en l’état ou de sucre sous forme de produits transformés, tels que l’isoglucose et le fructose;

b) à la production, à la consommation et aux stocks de sucre et d’isoglucose;

c) aux circonstances dans lesquelles les stocks se sont constitués.

2.   Le nouvel État membre concerné assure l’élimination du marché d’une quantité de sucre ou d’isoglucose, sans intervention communautaire, égale à la quantité excédentaire visée au paragraphe 1, au plus tard le 30 avril 2005:

a) en l’exportant sans restitution de la part de la Communauté;

b) en l’utilisant dans le secteur des combustibles;

c) en procédant à sa dénaturation sans recevoir d’aide pour l’alimentation animale [...].

3.   Pour l’application du paragraphe 2, les autorités compétentes du nouvel État membre doivent disposer le 1er mai 2004 d’un système d’identification des quantités excédentaires, échangées ou transformées, de sucre en l’état ou de produits transformés, isoglucose et fructose, auprès des principaux opérateurs concernés. [...]

Le nouvel État membre utilise ce système pour contraindre les opérateurs concernés à éliminer du marché à leurs propres frais une quantité équivalente de sucre ou d’isoglucose de leur quantité excédentaire individuelle. Les opérateurs concernés fournissent la preuve, à la satisfaction du nouvel État membre, que les produits ont été éliminés du marché au plus tard le 30 avril 2005.

Si cette preuve n’est pas apportée, le nouvel État membre facturera un montant égal à la quantité en question multipliée par les taxes à l’importation les plus élevées applicables au produit concerné au cours de la période comprise entre le 1er mai 2004 et le 30 avril 2005, augmenté de 1,21 euro/100 kg en équivalent de sucre blanc ou de matière sèche.

Le montant visé au troisième alinéa est imputé au budget national du nouvel État membre.

[...]»

9 Aux termes de l’article 9 du règlement no 60/2004:

«Le présent règlement entre en vigueur le 1er mai 2004, sous réserve de l’entrée en vigueur du traité d’adhésion [...].»

Le recours devant le Tribunal et l’ordonnance attaquée

10 Par requête déposée au greffe du Tribunal le 28 juin 2004, la République de Pologne a introduit, en vertu de l’article 230 CE, un recours tendant à l’annulation des articles 5, 6, paragraphes 1 à 3, 7, paragraphe 1, et 8, paragraphe 2, sous a), du règlement no 60/2004.

11 Dans son mémoire en défense, la Commission a fait valoir que ce recours avait été introduit hors délai.

12 Par l’ordonnance attaquée, le Tribunal, statuant en chambre élargie, a déclaré ledit recours irrecevable.

13 Après avoir retenu que le délai de recours de deux mois, énoncé à l’article 230, cinquième alinéa, CE, devait être calculé à partir de la date de publication du règlement no 60/2004 au Journal officiel de l’Union européenne, à savoir le 15 janvier 2004, le Tribunal a jugé, en tenant compte des différents délais de procédure, que le délai total imparti pour l’introduction d’un recours en annulation contre le règlement no 60/2004 avait expiré le 8 avril 2004 à minuit.

14 Étant donné que le recours de la République de Pologne avait été déposé le 28 juin 2004, le Tribunal a déclaré celui-ci tardif.

15 Par conséquent, ce recours a été rejeté.

Les conclusions des parties

16 Par son pourvoi, la République de Pologne demande à la Cour d’annuler l’ordonnance attaquée.

17 La Commission européenne demande à la Cour de rejeter le pourvoi et de condamner la République de Pologne aux dépens.

Sur le pourvoi

18 La République de Pologne invoque cinq moyens à l’appui de son pourvoi dirigé contre l’ordonnance attaquée. Ces moyens sont tirés, premièrement, d’une publication incomplète du règlement no 60/2004, deuxièmement, d’une interprétation erronée de l’article 230, quatrième alinéa, CE, troisièmement, d’une violation des principes constitutifs d’une communauté de droit et du principe de protection juridictionnelle effective, quatrièmement, d’une violation des principes de solidarité et de bonne foi
ainsi que des règles de procédure et, cinquièmement, d’un défaut de motivation.

19 Il convient d’examiner d’emblée le troisième moyen, tiré de la violation des principes constitutifs d’une communauté de droit et du principe de protection juridictionnelle effective.

Sur le troisième moyen

Argumentation des parties

20 La République de Pologne fait valoir que le Tribunal, en déclarant irrecevable son recours en annulation, a privé les nouveaux États membres de leur droit de soumettre au contrôle juridictionnel, sur la base de l’article 230, deuxième alinéa, CE, les dispositions du règlement no 60/2004, en dépit du fait que ce règlement leur était adressé en leur qualité d’États membres.

21 Tout en rappelant que l’application stricte des réglementations communautaires relatives aux délais de procédure répond à l’exigence de sécurité juridique et à la nécessité d’éviter toute discrimination ou tout traitement arbitraire dans l’administration de la justice, la République de Pologne estime qu’une telle application ne saurait toutefois justifier une inégalité en matière de protection juridictionnelle, qui résulterait du fait que les nouveaux États membres ne pourraient contester la
légalité du règlement no 60/2004 en leur qualité d’États membres, alors même qu’ils sont particulièrement affectés par ce règlement.

22 Afin d’étayer son moyen, la République de Pologne, d’une part, s’appuie sur l’arrêt du 23 avril 1986, Les Verts/Parlement (294/83, Rec. p. 1339, point 23), duquel il ressortirait que la Communauté économique européenne est une communauté de droit en ce que ni ses États membres ni ses institutions n’échappent au contrôle de la conformité de leurs actes à la charte constitutionnelle de base qu’est le traité CE. D’autre part, la République de Pologne se réfère aux conclusions présentées par
M. l’avocat général Poiares Maduro dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 23 octobre 2007, Pologne/Conseil (C-273/04, Rec. p. I-8925, point 50), pour conclure que le Tribunal a violé de manière flagrante les principes constitutifs d’une communauté de droit et le principe de protection juridictionnelle effective.

23 La Commission fait valoir que le Tribunal, en rejetant comme irrecevable un recours introduit tardivement, n’a violé ni le principe de protection juridictionnelle effective ni les principes constitutifs d’une communauté de droit. En outre, contrairement aux allégations de la République de Pologne, le fait que cette dernière soit passée du statut de requérante à celui de requérante privilégiée en raison de l’entrée en vigueur du traité d’adhésion ainsi que de l’acte d’adhésion de 2003 ne
permettrait pas de déroger au principe selon lequel les délais de procédure doivent faire l’objet d’une application stricte.

Appréciation de la Cour

24 Par ce moyen, la République de Pologne fait grief au Tribunal d’avoir écarté son argument selon lequel le règlement no 60/2004 a été adressé à tous les États membres, y compris la République de Pologne, de sorte que cette dernière devait pouvoir l’attaquer également en qualité de requérante au titre de l’article 230, deuxième alinéa, CE.

25 À cet égard, le Tribunal a, tout d’abord, relevé, au point 54 de l’ordonnance attaquée, que si l’acte d’adhésion de 2003 prévoit spécifiquement la possibilité pour les institutions communautaires d’adopter certaines mesures entre la date de signature de cet acte et la date d’adhésion des nouveaux États membres, ledit acte ne prévoit cependant aucune dérogation au système de contrôle de la légalité des actes communautaires.

26 Ensuite, au point 55 de cette ordonnance, le Tribunal a rappelé, en se référant à l’arrêt du 15 janvier 1987, Misset/Conseil (152/85, Rec. p. 223, point 11), que les réglementations communautaires concernant les délais de procédure sont d’application stricte.

27 Enfin, le Tribunal a considéré, au point 56 de ladite ordonnance, que, «s’il y avait lieu de comprendre l’argument de la République de Pologne en ce sens qu’elle estimait devoir attendre d’acquérir la qualité d’État membre pour pouvoir introduire son recours, il conviendrait de souligner que le délai de recours prévu par l’article 230 CE est d’application générale» et qu’«[i]l ne nécessitait pas, en ce qui concerne la République de Pologne, la qualité d’État membre». Le Tribunal a ajouté que
«[c]e délai de recours s’appliqu[ait] en tout état de cause à elle en qualité de personne morale».

28 Afin de trancher la question de savoir si la République de Pologne pouvait valablement attaquer le règlement no 60/2004 en qualité de requérante au titre de l’article 230, deuxième alinéa, CE, il convient de rappeler que l’article 2, paragraphe 3, du traité d’adhésion prévoit expressément la possibilité pour les institutions de l’Union d’arrêter certaines mesures avant l’adhésion.

29 Parmi ces mesures figure, notamment, l’article 41 de l’acte d’adhésion de 2003, en vertu duquel la Commission est habilitée à adopter toutes les dispositions transitoires qui sont nécessaires pour faciliter la transition du régime en vigueur dans les nouveaux États membres au régime résultant de l’application de la politique agricole commune.

30 Le règlement no 60/2004 a été arrêté sur le fondement de cet article et il fait partie, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé au point 27 de ses conclusions, des actes dont l’adoption est conditionnée par l’adhésion.

31 Ayant été adopté entre la date de signature du traité d’adhésion ainsi que de l’acte d’adhésion de 2003 et la date d’entrée en vigueur de ceux-ci, le règlement no 60/2004 se distingue donc des autres dispositions relevant de l’acquis communautaire qui étaient déjà en vigueur lors de la signature desdits traité d’adhésion et acte d’adhésion.

32 En outre, en dépit du fait que le règlement no 60/2004 a été publié au Journal officiel de l’Union européenne avant l’adhésion des nouveaux États membres, il est constant que les mesures établies par ce règlement étaient appelées à s’appliquer prioritairement à ces nouveaux États membres à partir de leur adhésion à l’Union. Ainsi, conformément à son article 9, ledit règlement n’a pris effet qu’à la date d’entrée en vigueur et sous réserve de l’entrée en vigueur du traité d’adhésion.

33 Il découle de ce qui précède, ainsi que M. l’avocat général l’a également relevé aux points 39 et 40 de ses conclusions, que ce n’est qu’au moment de leur adhésion que les nouveaux États membres ont été affectés par les dispositions du règlement no 60/2004 en leur qualité d’États membres et que c’est en cette qualité que ceux-ci devaient pouvoir attaquer ces dispositions.

34 En l’occurrence, il s’avère que, en raison de la date de publication du règlement no 60/2004 au Journal officiel de l’Union européenne, le 15 janvier 2004, le délai de recours de deux mois, prévu à l’article 230 CE, était déjà écoulé avant que la République de Pologne acquière, le jour de son adhésion à l’Union, soit le 1er mai 2004, la qualité d’État membre.

35 Les nouveaux États membres étaient donc dans l’impossibilité d’introduire dans le délai imparti, en qualité de requérants au titre de l’article 230, deuxième alinéa, CE, des recours contre les actes arrêtés sur le fondement de l’article 2, paragraphe 3, du traité d’adhésion.

36 Or, il y a lieu de rappeler que l’Union est une union de droit dans laquelle ses institutions sont soumises au contrôle de la conformité de leurs actes, notamment, avec le traité et les principes généraux du droit (voir arrêts du 3 septembre 2008, Kadi et Al Barakaat International Foundation/Conseil et Commission, C-402/05 P et C-415/05 P, Rec. p. I-6351, point 281, et du 29 juin 2010, E et F, C-550/09, Rec. p. I-6213, point 44).

37 Ces principes constituent le fondement même de cette union et leur respect implique, ainsi que le prévoit désormais expressément l’article 4, paragraphe 2, TUE, que les nouveaux États membres soient traités à égalité avec les anciens États membres.

38 Partant, les nouveaux États membres doivent disposer, à l’encontre de tous les actes qui, à l’instar de celui qui est contesté en l’espèce, sont arrêtés sur le fondement de l’article 2, paragraphe 3, du traité d’adhésion et qui les affectent en leur qualité d’États membres, d’un droit de recours en qualité de requérants au titre de l’article 230, deuxième alinéa, CE.

39 Étant donné que cette qualité n’a été acquise par les nouveaux États membres que le jour de l’entrée en vigueur du traité d’adhésion ainsi que de l’acte d’adhésion de 2003, il convient de retenir que, à l’égard de ces États, le délai de recours énoncé à l’article 230, cinquième alinéa, CE n’a couru, s’agissant des actes du type de celui qui est en cause en l’espèce, qu’à partir de cette date, soit, en l’occurrence, le 1er mai 2004.

40 C’est donc à tort que le Tribunal a jugé, en dépit du contexte particulier de la présente espèce, que l’introduction du recours prévu à l’article 230 CE ne nécessitait pas, en ce qui concerne la République de Pologne, la qualité d’État membre et qu’il en a déduit que le recours introduit par cet État membre le 28 juin 2004 contre le règlement no 60/2004 était tardif et, partant, irrecevable.

41 Il résulte de ce qui précède que le troisième moyen doit être considéré comme fondé.

42 Partant, l’ordonnance attaquée doit être annulée, sans qu’il soit nécessaire de se prononcer sur les quatre autres moyens soulevés par la République de Pologne.

43 Étant donné que la Cour, à ce stade de la procédure, n’est pas en mesure de statuer sur le fond du recours introduit par la République de Pologne, il y a lieu de renvoyer l’affaire devant le Tribunal en application de l’article 61 du statut de la Cour et de réserver les dépens.

  Par ces motifs, la Cour (grande chambre) dit pour droit:

  1) L’ordonnance du Tribunal de première instance des Communautés européennes du 10 juin 2009, Pologne/Commission (T-258/04), est annulée.

  2) L’affaire est renvoyée devant le Tribunal de l’Union européenne pour qu’il statue sur les conclusions de la République de Pologne tendant à l’annulation des articles 5, 6, paragraphes 1 à 3, 7, paragraphe 1, et 8, paragraphe 2, sous a), du règlement (CE) no 60/2004 de la Commission, du 14 janvier 2004, établissant des mesures transitoires dans le secteur du sucre en raison de l’adhésion de la République tchèque, de l’Estonie, de Chypre, de la Lettonie, de la Lituanie, de la Hongrie, de Malte,
de la Pologne, de la Slovénie et de la Slovaquie à l’Union européenne.

  3) Les dépens sont réservés.

  Signatures

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( *1 ) Langue de procédure: le polonais.


Synthèse
Formation : Grande chambre
Numéro d'arrêt : C-336/09
Date de la décision : 26/06/2012
Type d'affaire : Pourvoi - fondé
Type de recours : Recours en annulation - fondé

Analyses

Pourvoi — Organisation commune des marchés — Mesures transitoires à adopter par suite de l’adhésion de nouveaux États membres — Règlement (CE) no 60/2004 établissant des mesures dans le secteur du sucre — Recours en annulation — Délai — Point de départ — Tardiveté — Irrecevabilité — Moyens — Violation des principes constitutifs d’une communauté de droit et du principe de protection juridictionnelle effective.

Adhésion

Agriculture et Pêche

Sucre


Parties
Demandeurs : République de Pologne
Défendeurs : Commission européenne.

Composition du Tribunal
Avocat général : Cruz Villalón
Rapporteur ?: Kasel

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2012:386

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