CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL
M. JÁN MAZÁK
présentées le 26 juin 2012 ( 1 )
Affaire C‑137/11
Partena ASBL
contre
Les Tartes de Chaumont-Gistoux SA
[demande de décision préjudicielleformée par la cour du travail de Bruxelles (Belgique)]
«Sécurité sociale — Règlement (CEE) no 1408/71 — Articles 13 et 14 quater — État membre dans lequel une activité est exercée — Non-discrimination — Libre circulation des personnes — Droit d’établissement»
I – Introduction
1. La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des articles 13 et 14 quater du règlement (CEE) no 1408/71 du Conseil, du 14 juin 1971, relatif à l’application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non salariés et aux membres de leur famille qui se déplacent à l’intérieur de la Communauté, dans sa version modifiée et mise à jour par le règlement (CE) no 118/97 du Conseil, du 2 décembre 1996 ( 2 ), tel que modifié par le règlement (CE)
no 1606/98 du Conseil, du 29 juin 1998 ( 3 ), ainsi que de l’article 21 TFUE.
2. Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Partena ASBL (ci-après «Partena»), caisse d’assurances sociales pour travailleurs indépendants, à Les Tartes de Chaumont-Gistoux SA (ci-après la «société») au sujet de sommes réclamées à celle-ci par Partena au titre de cotisations sociales dues par M. Rombouts pour la période allant du premier trimestre de l’année 1999 au quatrième trimestre de l’année 2007.
3. La cour du travail de Bruxelles (Belgique) s’interroge sur la question de savoir si la gestion depuis l’étranger d’une société assujettie à l’impôt dans un État membre peut également être considérée comme l’exercice d’une activité dans cet État membre aux fins des cotisations de sécurité sociale. La juridiction de renvoi demande également si l’article 21 TFUE s’oppose à la présomption irréfragable selon laquelle un mandataire de société qui gère de l’étranger une société assujettie à l’impôt dans
un État membre est assujetti au statut social des travailleurs indépendants de cet État membre.
II – Le cadre juridique
A – Le droit de l’Union
4. Nous considérons que les articles 45 TFUE et 49 TFUE sont applicables à la présente affaire. Les articles 13 et 14 du règlement no 1408/71 figurant sous le titre II de ce règlement, intitulé «Détermination de la législation applicable», sont également applicables.
B – Le droit belge
5. En droit belge, l’assujettissement au statut social des travailleurs indépendants est régi par l’arrêté royal no 38, du 27 juillet 1967, organisant le statut social des travailleurs indépendants ( 4 ), modifié, notamment, par l’arrêté royal du 18 novembre 1996 portant des dispositions financières et diverses concernant le statut social des travailleurs indépendants, en application du titre VI de la loi du 26 juillet 1996 portant modernisation de la sécurité sociale et assurant la viabilité des
régimes légaux des pensions et de l’article 3 de la loi du 26 juillet 1996 visant à réaliser les conditions budgétaires de la participation de la Belgique à l’Union économique et monétaire européenne ( 5 ).
6. L’article 3, paragraphe 1, de l’arrêté royal no 38, organisant le statut social des travailleurs indépendants expose que «le présent arrêté entend par travailleur indépendant toute personne physique, qui exerce en Belgique une activité professionnelle en raison de laquelle elle n’est pas engagée dans les liens d’un contrat de louage de travail ou d’un statut».
7. Ledit arrêté royal du 18 novembre 1996 a ajouté à l’article 3, paragraphe 1, de l’arrêté royal no 38 un quatrième alinéa rédigé comme suit:
«Les personnes désignées comme mandataires dans une société ou association assujettie à l’impôt belge des sociétés ou à l’impôt belge des non-résidents sont présumées, de manière irréfragable, exercer en Belgique, une activité professionnelle en tant que travailleur indépendant.»
8. Par son arrêt no 176/2004, du 3 novembre 2004, la Cour constitutionnelle ( 6 ) a déclaré inconstitutionnel l’article 3, paragraphe 1, quatrième alinéa, de l’arrêté royal no 38 en ce qui concerne les mandataires de sociétés assujetties à l’impôt belge des sociétés ou à l’impôt belge des non-résidents qui ne gèrent pas de l’étranger une société visée par la disposition en cause. Elle a jugé que, s’agissant de ces mandataires, la présomption était disproportionnée puisqu’elle empêchait les
mandataires qui auraient cessé leur activité d’établir cette cessation autrement qu’en démissionnant et de mettre fin aux obligations découlant de leur assujettissement au statut social des travailleurs indépendants. En revanche, la Cour constitutionnelle n’a pas considéré cette disposition comme étant inconstitutionnelle pour les mandataires qui gèrent de l’étranger des sociétés ayant leur siège en Belgique. Elle a estimé que le caractère irréfragable de la présomption instituée avait pu être
jugé nécessaire pour garantir l’assujettissement de ces mandataires au statut social des indépendants, au motif que l’autorité nationale ne dispose pas, vis-à-vis de ces personnes, des renseignements et des pouvoirs dont elle dispose vis-à-vis de celles qui gèrent de telles sociétés en Belgique.
9. En application de l’article 15, paragraphe 1, troisième alinéa, du même arrêté royal, une société est tenue, solidairement avec ses mandataires, au paiement des cotisations dont ces derniers sont redevables.
III – Le litige au principal et les questions préjudicielles
10. La société a été constituée le 17 avril 1993. Ayant son siège en Belgique, cette société commerciale est soumise à l’impôt belge. À la date de l’assemblée générale du 12 octobre 1995, MM. Rombouts et Van Acker détenaient chacun la moitié du capital de la société. Administrateurs, ils ont été reconduits dans leurs mandats par les assemblées générales des 7 juin 2000 et 7 juin 2006.
11. M. Rombouts réside au Portugal depuis la fin de l’année 1999. Il y a exercé une activité salariée et/ou y a bénéficié d’allocations de chômage du 1er janvier 2001 au mois de juillet 2005. La juridiction de renvoi indique que M. Rombouts y a exercé une activité non salariée à partir du mois de novembre 2007, mais précise que la société soutient que cette activité a commencé au mois de novembre 2005.
12. Le 28 mai 2008, Partena a fait signifier à M. Rombouts et à la société une contrainte avec commandement de payer un montant de 125696,50 euros, correspondant à des cotisations, majorations trimestrielles et annuelles qui auraient été dues par M. Rombouts pour la période allant du premier trimestre de l’année 1999 au quatrième trimestre de l’année 2007.
13. Par citation du 5 août 2008, la société a fait opposition à cette contrainte devant le tribunal du travail de Nivelles. Par un arrêt du 14 décembre 2009, ladite juridiction a notamment déclaré fondée cette action.
14. Le 29 janvier 2010, Partena a interjeté appel de ce jugement devant la cour du travail de Bruxelles. En cours de procédure, Partena a admis que, compte tenu du statut de salarié de M. Rombouts au Portugal à partir du 1er janvier 2001, il ne pouvait plus être assujetti au statut social belge des travailleurs indépendants qu’à titre complémentaire, de sorte que le montant réclamé devait être ramené à la somme de 68137,61 euros en principal, à majorer d’intérêts, au lieu de la somme de
125696,50 euros.
15. La société considère, quant à elle, que le jugement du tribunal du travail de Nivelles doit être maintenu et que Partena doit être condamnée aux dépens. Elle conteste la prétention selon laquelle M. Rombouts est assujetti au statut social des travailleurs indépendants en Belgique. Dans l’hypothèse inverse, elle demande que la Cour soit interrogée à titre préjudiciel, notamment, sur la question de savoir si l’article 3, paragraphe 1, quatrième alinéa, de l’arrêté royal no 38 est conforme à
l’article 18 CE, devenu article 21 TFUE.
16. Dans ces circonstances, la cour du travail de Bruxelles a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:
«1) Pour l’application des articles 13 et suivants du règlement no 1408/71 et, plus particulièrement, pour l’application de l’article 14 quater, un État membre peut-il, dans le cadre de la compétence qui lui est reconnue pour définir les conditions d’assujettissement au régime de sécurité sociale qu’il met en place pour les travailleurs indépendants, assimiler la ‘gestion de l’étranger d’une société soumise à l’impôt de cet État’ à l’exercice d’une activité sur son territoire?
2) L’article 3, paragraphe 1, quatrième alinéa, de [l’arrêté royal no 38] est-il compatible avec le droit de l’Union européenne et notamment avec la liberté de circulation et de séjour garantie par l’article 21 [TFUE], dès lors qu’il ne permet pas à la personne qui réside dans un autre État membre et gère de l’étranger une société soumise à l’impôt belge, de renverser la présomption d’assujettissement au statut social des travailleurs indépendants, alors que le mandataire qui réside en Belgique
et ne gère pas une telle société de l’étranger a la faculté de renverser cette présomption et d’apporter la preuve qu’il n’exerce pas une activité indépendante au sens de l’article 3, paragraphe 1, premier alinéa, de l’arrêté royal no 38?»
IV – La procédure devant la Cour
17. Des observations écrites ont été déposées par la société, le gouvernement belge et la Commission européenne. Ils ont également présenté des observations orales lors de l’audience de plaidoiries le 22 mars 2012.
V – Analyse
A – Sur la recevabilité
18. Le gouvernement belge soulève deux exceptions d’irrecevabilité.
19. En premier lieu, il considère que les deux questions posées sont irrecevables dans la mesure où la présomption irréfragable en cause n’est pas applicable à M. Rombouts. Cette présomption s’applique uniquement aux mandataires de sociétés situées en Belgique, gérées de l’étranger, pour lesquels aucun revenu de dirigeant d’entreprise n’est déclaré en Belgique, et qui invoquent la gratuité de l’exercice du mandat. Selon le gouvernement belge, cela est fait pour éviter le paiement des cotisations
sociales dans la mesure où, pour être considéré comme un travailleur indépendant en Belgique, un travailleur doit exercer, notamment, une activité professionnelle, condition impliquant que l’activité soit exercée en contrepartie d’une rémunération.
20. Le gouvernement belge soutient que, pour la période concernée par le litige au principal, M. Rombouts était assujetti à l’impôt belge des non-résidents, en raison de son activité de mandataire de la société, en tant qu’administrateur de cette société en application des articles 2, paragraphe 1, premier alinéa, sous a), 227, paragraphe 1, et 228, paragraphe 1, du code des impôts sur les revenus de 1992 ainsi que de l’article 16 de la convention entre la Belgique et le Portugal en vue d’éviter les
doubles impositions ( 7 ).
21. De plus, selon le gouvernement belge, M. Rombouts n’a pas contesté le fait qu’il était soumis à l’impôt sur les revenus belge. Ses cotisations de sécurité sociale étaient calculées sur la base des revenus perçus en tant qu’administrateur pris en compte par l’administration fiscale et communiqués à l’Institut national d’assurances sociales pour travailleurs indépendants (Inasti). Dès lors, ni M. Rombouts ni la société ne peuvent invoquer l’exercice gratuit du mandat de ce dernier en se fondant
sur le non-respect de la condition de l’exercice d’une activité professionnelle.
22. En second lieu, selon le gouvernement belge, les questions posées sont irrecevables dans la mesure où elles visent à apprécier la compatibilité de la législation nationale avec le droit de l’Union.
23. Nous considérons qu’il n’existe pas de raisons d’accueillir la première exception d’irrecevabilité soulevée par le gouvernement belge. Quand bien même l’interprétation de la législation fiscale nationale et internationale proposée par le gouvernement belge serait correcte, nous considérons qu’il résulte clairement de la décision de renvoi que le litige au principal pose la question de l’applicabilité de la législation belge en matière de sécurité sociale à M. Rombouts. Une telle appréciation est
nécessairement fondée sur les dispositions figurant sous le titre II du règlement no 1408/71 qui concerne la détermination de la législation applicable. De plus, la juridiction de renvoi s’interroge sur l’interprétation des règles de la libre circulation définies par le traité FUE ( 8 ). Dans ces circonstances, les questions posées à titre préjudiciel sont recevables.
24. S’agissant de la seconde exception d’irrecevabilité fondée sur le fait que les questions posées visent à apprécier la compatibilité de la législation nationale avec le droit de l’Union, il suffit d’affirmer qu’il ressort du libellé de ces questions qu’elles tendent à obtenir une interprétation du droit de l’Union et, en l’espèce, de différentes dispositions du règlement no 1408/71 et des règles de libre circulation.
B – Sur le bien-fondé
1. Sur la première question
25. Par sa première question, la juridiction de renvoi demande en substance si, conformément aux articles 13 et 14 quater du règlement no 1408/71, un État membre peut exiger que le mandataire d’une société assujetti à l’impôt dans cet État ( 9 ) y exerce une activité même si ledit mandataire gère la société de l’étranger. Dès lors, la première question vise à savoir où s’exerce une activité en tant qu’indépendant ou en tant que salarié conformément auxdites dispositions.
26. Les articles 13 et 14 quater du règlement no 1408/71 relèvent du titre II de ce règlement, intitulé «Détermination de la législation applicable». Il est de jurisprudence constante que les dispositions du règlement no 1408/71 déterminant la législation applicable forment un système de règles de conflits dont le caractère complet a pour effet de soustraire aux législateurs nationaux le pouvoir de détermination de l’étendue et des conditions d’application de leur législation nationale, quant aux
personnes qui y sont soumises et aux territoires à l’intérieur desquels les dispositions nationales produisent leurs effets ( 10 ).
27. Les dispositions du titre II du règlement no 1408/71 ont pour but non seulement d’empêcher que les personnes qui entrent dans le champ d’application de ce règlement soient privées de protection en matière de sécurité sociale, faute de législation qui leur serait applicable, mais également d’éviter l’application simultanée de plusieurs législations nationales et les complications qui peuvent en résulter ( 11 ).
28. Les règles de conflits prévues par le règlement no 1408/71 s’imposent de manière impérative aux États membres et l’application de ces règles ne dépend que de la situation objective dans laquelle se trouve le travailleur intéressé ( 12 ).
29. Compte tenu du caractère impératif desdites règles et, notamment, de l’objectif précis du titre II du règlement no 1408/71, nous considérons qu’un État membre ne peut s’arroger unilatéralement le pouvoir de déterminer si un travailleur est assujetti à sa législation en prévoyant que ce travailleur a exercé une activité dans cet État membre lorsqu’une telle détermination ne correspond pas à la situation objective du travailleur concerné ni aux règles impératives de détermination de la législation
applicable.
30. Ainsi que la Cour l’a jugé dans l’arrêt Aldewereld ( 13 ), la législation applicable résulte objectivement des dispositions du titre II du règlement no 1408/71, compte tenu des éléments de rattachement que présente la situation concernée avec la législation des États membres. Selon nous, s’il en était décidé autrement, il y aurait le risque que le titre II du règlement no 1408/71 relatif aux règles de détermination de la législation applicable soit privé de tout objectif réel et d’effet,
notamment si une telle approche devait être adoptée par plusieurs États membres.
31. Dans le présent cas d’espèce, il ressort des pièces soumises à la Cour que M. Rombouts a non seulement agi en tant que mandataire pour la société, mais a également exercé une activité non salariée au Portugal à partir du mois de novembre 2007 (bien que la société maintienne que cette période d’activité non salariée a commencé au mois de novembre 2005) et a été employé au Portugal du 1er janvier 2001 au mois de juillet 2005.
32. Bien que la date précise à partir de laquelle M. Rombouts a exercé une activité non salariée au Portugal soit contestée, il est clair que, en devenant indépendant au Portugal, il n’était pas assujetti à la sécurité sociale belge pour ce qui concerne l’exercice de cette activité de mandataire de la société ( 14 ). Par conséquent, le litige dont est saisie la juridiction de renvoi porte en substance sur les périodes au cours desquelles M. Rombouts exerçait une activité salariée au Portugal ou y a
bénéficié d’allocations de chômage. À cet égard, nous considérons que la juridiction de renvoi s’interroge sur l’application des articles 14 quater, sous b) ( 15 ), et 13, paragraphe 2, sous b) ( 16 ), du règlement no 1408/71 aux activités de mandataire de M. Rombouts alors qu’il était résident au Portugal.
33. Il ressort des pièces soumises à la Cour et sous réserve d’une vérification par la juridiction de renvoi que, au regard de la situation objective de M. Rombouts, il a effectivement ou concrètement exercé son mandat en tant qu’administrateur de la société «sur le territoire du» ( 17 ) Portugal. Si l’exercice de ce mandat peut avoir des effets en Belgique comme le prétend le gouvernement belge ( 18 ), ses effets ne peuvent cependant modifier la situation objective de M. Rombouts. Sa situation
objective est une question de fait qui doit être établie sur une base individuelle par la juridiction de renvoi conformément au titre II du règlement no 1408/71 et non sur la base d’une présomption irréfragable établie d’avance et de manière abstraite par la législation nationale.
34. C’est la raison pour laquelle nous considérons, à la lumière à la fois de l’objectif et du libellé clair des articles 13, paragraphe 2, sous b), et 14 quater, sous b), du règlement no 1408/71 qui constituent des règles impératives en matière de détermination de la législation applicable énoncées sous le titre II de ce règlement, que ces dispositions doivent être interprétées en ce sens qu’elles empêchent un État membre de traiter la «gestion de l’étranger d’une société assujettie à l’impôt dans
cet État» de la même manière que l’exercice d’une activité sur son territoire dès lors qu’un tel traitement ne correspond pas à la situation objective du travailleur concerné et que cette activité est effectivement exercée sur le territoire d’un autre État membre.
2. Sur la seconde question
35. Par sa seconde question, la juridiction de renvoi aimerait savoir si l’article 21 TFUE s’oppose à une législation nationale qui prévoit une présomption irréfragable telle que celle en cause dans l’affaire au principal.
36. Nous considérons que sont applicables aux faits de l’affaire au principal, tels qu’exposés par la juridiction de renvoi dans sa décision, à la fois l’article 45 TFUE en matière de libre circulation des travailleurs et l’article 49 TFUE relatif à la liberté d’établissement, mais non l’article 21 TFUE ( 19 ). Cette dernière disposition, qui énonce de manière générale le droit de tout citoyen de l’Union de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres, trouve une expression
spécifique aux articles 45 TFUE et 49 TFUE ( 20 ).
37. Il est de jurisprudence constante que l’ensemble des dispositions du traité relatives à la libre circulation des personnes visent à faciliter, pour les ressortissants de l’Union, l’exercice d’activités professionnelles de toute nature sur le territoire de l’Union et s’opposent aux mesures qui pourraient défavoriser ces ressortissants lorsqu’ils souhaitent exercer une activité économique sur le territoire d’un autre État membre. En conséquence, les articles 45 TFUE et 49 TFUE s’opposent à toute
mesure nationale qui, même applicable sans discrimination tenant à la nationalité, est susceptible de gêner ou de rendre moins attrayant l’exercice, par les ressortissants de l’Union, des libertés fondamentales garanties par le traité ( 21 ).
38. Dans l’affaire au principal, il semble, sous réserve de vérification par la juridiction de renvoi, que la présomption applicable en vertu de l’article 3, paragraphe 1, quatrième alinéa, de l’arrêté royal no 38 ne fait pas de distinction fondée sur la nationalité des mandataires concernés. Toutefois, il semble que cette disposition de droit national a pour effet de placer les mandataires de sociétés dans la situation de M. Rombouts en raison du fait qu’ils ont fait usage de leur droit à la libre
circulation à l’intérieur de l’Union à des conditions moins favorables par rapport à des mandataires n’ayant pas exercé un tel droit.
39. En premier lieu, si un mandataire qui a exercé son droit de libre circulation et qui gère une société de l’étranger est soumis à une présomption irréfragable qu’il exerce une activité professionnelle en Belgique et qu’il est donc tenu de payer des cotisations de sécurité sociale dans ce pays en ce qui concerne cette activité, un mandataire n’ayant pas exercé ce droit de libre circulation peut réfuter la présomption en vertu de l’arrêt no 176/2004 de la Cour constitutionnelle et fournir la preuve
qu’il n’exerce pas une activité non salariée aux fins de l’article 3, paragraphe 1, premier alinéa, de l’arrêté royal no 38.
40. En second lieu, et plus fondamentalement, l’effet de la présomption irréfragable en cause expose les mandataires de sociétés assujettis à l’impôt belge et qui exercent effectivement leur mandat depuis un autre État membre au risque de devoir payer des cotisations de sécurité sociale pour la même activité dans deux États membres.
41. C’est précisément ce risque que les dispositions du titre II du règlement no 1408/71 visent à éviter.
42. Le gouvernement belge affirme que l’objectif de la législation nationale en cause et en particulier la présomption irréfragable est d’empêcher les fraudes à la sécurité sociale en Belgique au moyen d’une délocalisation. Du fait des moyens modernes de télécommunication, les mandataires de sociétés sont en mesure de gérer de l’étranger leur mandat dans des sociétés commerciales. Selon ce gouvernement, en ne déclarant pas leurs revenus de mandataires à l’administration fiscale belge et en affirmant
que l’exercice de leur mandat est gratuit, les mandataires évitent de payer les cotisations sociales obligatoires en Belgique en tant que travailleurs non salariés.
43. Si, effectivement, l’objectif de prévention de la fraude à la sécurité sociale est très honorable et doit être encouragé, notamment par la coordination et l’harmonisation des mesures adoptées en vertu du droit de l’Union, nous considérons néanmoins que la présomption irréfragable en cause qui vise à prévenir la fraude à la sécurité sociale en Belgique est totalement inappropriée à cet effet dans cet État membre lorsque des mandataires de sociétés, compte tenu de leur situation objective et des
effets des règles impératives contenues au titre II du règlement no 1408/71, sont soumis au régime de sécurité sociale d’un autre État membre.
44. Par conséquent, sous réserve de vérification par la juridiction de renvoi des faits et des circonstances de l’affaire au principal et plus particulièrement de la situation objective de M. Rombouts, il semble qu’il ne soit pas question de fraude à la sécurité sociale en Belgique en ce qui concerne ses activités exercées en tant que mandataire de la société qui semblent avoir été exercées sur le territoire de la République portugaise.
45. Par conséquent, nous considérons que les articles 45 TFUE et 49 TFUE doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à l’adoption par un État membre d’une disposition telle que l’article 3, paragraphe 1, quatrième alinéa, de l’arrêté royal no 38 dès lors qu’elle ne permet pas à la personne qui réside dans un autre État membre et gère de cet autre État membre une société soumise à l’impôt dans le premier État membre d’apporter la preuve qu’elle exerce effectivement cette activité sur le
territoire de cet autre État membre et de renverser dès lors la présomption d’assujettissement au statut social des travailleurs indépendants dans le premier État membre.
VI – Conclusion
46. Eu égard aux considérations qui précèdent, nous proposons à la Cour de répondre comme suit aux questions posées par la cour du travail de Bruxelles:
1) Les articles 13, paragraphe 2, sous b), et 14 quater, sous b), du règlement (CEE) no 1408/71 du Conseil, du 14 juin 1971, relatif à l’application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non salariés et aux membres de leur famille qui se déplacent à l’intérieur de la Communauté, dans sa version modifiée et mise à jour par le règlement (CE) no 118/97 du Conseil, du 2 décembre 1996, tel que modifié par le règlement (CE) no 1606/98 du Conseil, du 29 juin 1998,
qui constituent des règles impératives en matière de détermination de la législation applicable énoncées sous le titre II dudit règlement, doivent être interprétés en ce sens qu’ils empêchent un État membre de traiter la «gestion de l’étranger d’une société assujettie à l’impôt dans cet État» de la même manière que l’exercice d’une activité sur son territoire dès lors qu’un tel traitement ne correspond pas à la situation objective du travailleur concerné et que cette activité est
effectivement exercée sur le territoire d’un autre État membre.
2) Les articles 45 TFUE et 49 TFUE doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à l’adoption par un État membre d’une disposition telle que l’article 3, paragraphe 1, quatrième alinéa, de l’arrêté royal no 38, du 27 juillet 1967, organisant le statut social des travailleurs indépendants, modifié, notamment, par l’arrêté royal du 18 novembre 1996 portant des dispositions financières et diverses concernant le statut social des travailleurs indépendants, en application du titre VI de la
loi du 26 juillet 1996 portant modernisation de la sécurité sociale et assurant la viabilité des régimes légaux des pensions et de l’article 3 de la loi du 26 juillet 1996 visant à réaliser les conditions budgétaires de la participation de la Belgique à l’Union économique et monétaire européenne, dès lors qu’elle ne permet pas à la personne qui réside dans un autre État membre et gère de cet autre État membre une société soumise à l’impôt dans le premier État membre d’apporter la preuve
qu’elle exerce effectivement cette activité sur le territoire de cet autre État membre et de renverser dès lors la présomption d’assujettissement au statut social des travailleurs indépendants dans le premier État membre.
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( 1 ) Langue originale: l’anglais
( 2 ) JO 1997, L 28, p. 1.
( 3 ) JO L 209, p. 1, ci-après le «règlement no 1408/71».
( 4 ) Moniteur belge du 29 juillet 1967, p. 8071.
( 5 ) Moniteur belge du 12 décembre 1996, p. 31018 (ci-après l’«arrêté royal no 38»).
( 6 ) Dénommée «Cour d’arbitrage» à l’époque pertinente.
( 7 ) Moniteur belge du 2 mars 1971, p. 2613, et du 5 avril 2001, p. 11473.
( 8 ) Voir point 36 des présentes conclusions.
( 9 ) Voir point 10 des présentes conclusions.
( 10 ) Voir notamment, à cet égard, arrêts du 12 juin 1986, Ten Holder (302/84, Rec. p. 1821, point 21), et du 10 juillet 1986, Luijten (60/85, Rec. p. 2365, point 14).
( 11 ) Voir, par analogie, arrêt du 7 juillet 2005, van Pommeren-Bourgondiën (C-227/03, Rec. p. I-6101, point 34).
( 12 ) Arrêt du 14 octobre 2010, van Delft e.a. (C-345/09, Rec. p. I-9879, point 52).
( 13 ) Arrêt du 29 juin 1994 (C-60/93, Rec. p. I-2991, point 20). Ainsi que la Commission l’a souligné dans ses observations, si un État membre est libre de définir les termes «employé» et «indépendant», auxquels il est fait référence dans le règlement no 1408/71, il ne peut décider si ces personnes ont exercé leurs activités sur son territoire.
( 14 ) Dès lors, même dans l’hypothèse où son activité de mandataire de la société devrait être considérée comme une activité non salariée en Belgique, en devenant indépendant au Portugal et conformément à l’article 14 bis, paragraphe 2, du règlement no 1408/71, M. Rombouts est soumis à la législation portugaise en matière de sécurité sociale. Voir arrêt du 30 janvier 1997, de Jaeck (C-340/94, Rec. p. I-461, point 11).
( 15 ) Selon l’article 14 quater, sous b), du règlement no 1408/71, dans les cas visés à l’annexe VII de ce règlement, la personne qui exerce à la fois une activité salariée dans un État membre et une activité non salariée dans un autre État membre est soumise simultanément à la législation de chacun de ces États. Cette personne est dès lors tenue d’acquitter les cotisations qui lui sont, le cas échéant, imposées par l’une et l’autre de ces législations. Arrêt du 9 mars 2006, Piatkowski (C-493/04,
Rec. p. I-2369, point 22).
( 16 ) Conformément à l’article 13, paragraphe 2, sous b), du règlement no 1408/71, la personne qui exerce une activité non salariée sur le territoire d’un État membre est soumise à la législation de cet État même si elle réside sur le territoire d’un autre État membre. Arrêt du 19 novembre 2009, Filipiak (C-314/08, Rec. p. I-11049, point 64).
( 17 ) Voir libellé des articles 13, paragraphe 2, sous b), 14 quater, sous b), ainsi que, également, 14 bis, paragraphe 2, du règlement no 1408/71 qui reprend cette formule.
( 18 ) Le gouvernement belge a souligné le fait que les actes posés par les mandataires de la société ont des effets juridiques en Belgique. Par conséquent, selon ce même gouvernement, l’activité professionnelle en question est exercée en application de l’article 14 quater, sous b), du règlement no 1408/71 en Belgique même si les actes sont posés à partir d’un autre État membre (en l’espèce la République portugaise) utilisant des techniques modernes de télécommunications. Le gouvernement belge
souligne en outre que les actes de M. Rombouts sont ceux de la société elle-même.
( 19 ) Il ressort clairement de la décision de renvoi que M. Rombouts a quitté la Belgique en vue de résider au Portugal, qu’il y a exercé une activité salariée, puis est devenu sans emploi et y a exercé une activité non salariée.
( 20 ) Voir, par analogie, arrêt du 1er octobre 2009, Leyman (C-3/08, Rec. p. I-9085, point 20 et jurisprudence citée).
( 21 ) Arrêt du 1er avril 2008, Gouvernement de la Communauté française et gouvernement wallon (C-212/06, Rec. p. I-1683, points 44 et 45 et jurisprudence citée).