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21/03/2012 | CJUE | N°C-19/11

CJUE | CJUE, Arrêt de la Cour, Markus Geltl contre Daimler AG., 21/03/2012, C-19/11


CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. PAOLO MENGOZZI

présentées le 21 mars 2012 ( 1 )

Affaire C-19/11

Markus Geltl

contre

Daimler AG

[demande de décision préjudicielle formée par le Bundesgerichtshof (Allemagne)]

«Libre prestation de services — Services financiers — Opérations d’initiés et informations privilégiées — Démission du président-directeur général d’une société anonyme — Prise en compte éventuelle, aux fins de l’appréciation du caractère précis d’une telle informatio

n, de différentes consultations et démarches précédant l’événement en question — Directive 2003/6/CE, dite ‘abus de marché’ — Directive 2...

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. PAOLO MENGOZZI

présentées le 21 mars 2012 ( 1 )

Affaire C-19/11

Markus Geltl

contre

Daimler AG

[demande de décision préjudicielle formée par le Bundesgerichtshof (Allemagne)]

«Libre prestation de services — Services financiers — Opérations d’initiés et informations privilégiées — Démission du président-directeur général d’une société anonyme — Prise en compte éventuelle, aux fins de l’appréciation du caractère précis d’une telle information, de différentes consultations et démarches précédant l’événement en question — Directive 2003/6/CE, dite ‘abus de marché’ — Directive 2003/124/CE d’application de la directive 2003/6»

I – Introduction

1. Dans la présente procédure, le Bundesgerichtshof (Allemagne) a saisi la Cour d’une demande de décision à titre préjudiciel portant sur l’interprétation de la directive 2003/6/CE du Parlement européen et du Conseil, du 28 janvier 2003, sur les opérations d’initiés et les manipulations de marché (abus de marché) ( 2 ), et de la directive 2003/124/CE de la Commission, du 22 décembre 2003, portant modalités d’application de la directive 2003/6 en ce qui concerne la définition et la publication des
informations privilégiées et la définition des manipulations de marché ( 3 ).

II – Contexte législatif

A – La législation communautaire

2. L’article 1er, premier alinéa, point 1, de la directive 2003/6, dispose:

«Aux fins de la présente directive, on entend par:

1) ‘information privilégiée’: une information à caractère précis qui n’a pas été rendue publique, qui concerne, directement ou indirectement, un ou plusieurs émetteurs d’instruments financiers, ou un ou plusieurs instruments financiers, et qui, si elle était rendue publique, serait susceptible d’influencer de façon sensible le cours des instruments financiers concernés ou le cours d’instruments financiers dérivés qui leur sont liés.

[…]»

3. L’article 6 de la directive 2003/6, dispose:

«1.   Les États membres veillent à ce que les émetteurs d’instruments financiers rendent publiques, dès que possible, les informations privilégiées qui concernent directement lesdits émetteurs.

Sans préjudice des mesures prises pour respecter les dispositions du premier alinéa, les États membres veillent à ce que les émetteurs fassent figurer sur leur site Internet, pendant une période appropriée, toute information privilégiée qu’ils sont tenus de rendre publique.

2.   Un émetteur peut, sous sa propre responsabilité, différer la publication d’une information privilégiée, au sens du paragraphe 1, afin de ne pas porter atteinte à ses intérêts légitimes, sous réserve que cette omission ne risque pas d’induire le public en erreur et que l’émetteur soit en mesure d’assurer la confidentialité de ladite information. Les États membres peuvent exiger qu’un émetteur informe sans délai l’autorité compétente de la décision de différer la publication d’une information
privilégiée.

[…]»

4. L’article 1er de la directive 2003/124 dispose:

«1.   Aux fins de l’application de l’article 1er, point 1, de la directive 2003/6/CE, une information est réputée ‘à caractère précis’ si elle fait mention d’un ensemble de circonstances qui existe ou dont on peut raisonnablement penser qu’il existera ou d’un événement qui s’est produit ou dont on peut raisonnablement penser qu’il se produira, et si elle est suffisamment précise pour que l’on puisse en tirer une conclusion quant à l’effet possible de cet ensemble de circonstances ou de cet
événement sur les cours des instruments financiers concernés ou d’instruments financiers dérivés qui leur sont liés.

2.   Aux fins de l’application de l’article 1er, point 1, de la directive 2003/6/CE, on entend par ‘information qui, si elle était rendue publique, serait susceptible d’influencer de façon sensible le cours des instruments financiers concernés ou le cours d’instruments financiers dérivés qui leur sont liés’, une information qu’un investisseur raisonnable serait susceptible d’utiliser en tant que faisant partie des fondements de ses décisions d’investissement.»

5. L’article 2, paragraphe 3, de la directive 2003/124 dispose:

«Tout changement significatif concernant des informations privilégiées déjà rendues publiques doit être divulgué au public rapidement après qu’il s’est produit, par le même canal que celui qui a été utilisé pour rendre publiques les informations initiales.»

6. L’article 3 de la directive 2003/124 dispose:

«1.   Aux fins de l’application de l’article 6, paragraphe 2, de la directive 2003/6/CE, les intérêts légitimes peuvent en particulier avoir trait aux situations suivantes, qui ne constituent pas une liste exhaustive:

a) négociations en cours, ou éléments connexes, lorsque le fait de les rendre publics risquerait d’affecter l’issue ou le cours normal de ces négociations. En particulier, en cas de danger grave et imminent menaçant la viabilité financière de l’émetteur, mais n’entrant pas dans le champ des dispositions applicables en matière de droit des faillites, la divulgation d’informations au public peut être différée durant une période limitée si elle risque de nuire gravement aux intérêts des actionnaires
existants et potentiels en compromettant la conclusion de négociations particulières visant à assurer le redressement financier à long terme de l’émetteur;

b) décisions prises ou contrats passés par l’organe de direction d’un émetteur, qui nécessitent l’approbation d’un autre organe de l’émetteur pour devenir effectifs, lorsque la structure dudit émetteur requiert une séparation entre les deux organes, à la condition que la publication de ces informations avant leur approbation, combinée à l’annonce simultanée que cette approbation doit encore être donnée, fausserait leur correcte appréciation par le public.

[…]»

B – La législation nationale

7. L’article 13, paragraphe 1, de la loi sur le commerce des valeurs mobilières (Wertpapierhandelsgesetz — WpHG), transposant l’article 1er, point 1, de la directive 2003/6 et l’article 1er, paragraphe 1, de la directive 2003/124, dispose que l’information privilégiée est une «information concrète sur des circonstances inconnues du public, qui se rapportent à un ou plusieurs émetteurs de titres d’initiés [ ( 4 )] ou aux titres d’initiés eux-mêmes et qui seraient susceptibles, si elles étaient
connues du public, d’influencer sensiblement la valeur boursière ou marchande de ces titres. Est réputée susceptible d’avoir une telle influence l’information dont un investisseur raisonnable tiendrait compte lors de sa décision d’investissement. Les circonstances dont on peut présumer avec suffisamment de probabilité qu’elles se produiront dans le futur […]».

8. L’article 15, paragraphe 1, du WpHG dispose qu’«un émetteur national d’instruments financiers doit publier sans délai les informations privilégiées qui le concernent directement […]».

III – Faits et questions préjudicielles

9. Après l’assemblée générale de Daimler AG, qui s’est tenue le 6 avril 2005, M. Schrempp, président du directoire, a envisagé l’éventualité de mettre fin à son mandat avant l’échéance naturelle fixée en 2008, et a communiqué cela, en premier lieu, à son épouse, laquelle s’occupait de son bureau en qualité de cadre.

10. Le 17 mai 2005, M. Schrempp a fait part de son intention au président du conseil de surveillance de Daimler AG.

11. Le projet de M. Schrempp a été dévoilé le 1er juin 2005 à deux autres membres du conseil de surveillance et, au plus tard le 15 juin 2005, à M. Zetsche, destiné à succéder à M. Schrempp.

12. Le 6 juillet 2005, la secrétaire en chef a également été informée.

13. À compter du 10 juillet 2005, le directeur de la communication, Mme Schrempp et la secrétaire en chef ont préparé un communiqué de presse, une déclaration externe et une lettre aux collaborateurs de la société.

14. Le 18 juillet 2005, M. Schrempp et le président du conseil de surveillance se sont mis d’accord pour proposer, lors de la réunion du conseil de surveillance qui avait déjà été prévue précédemment pour le 28 juillet 2005, et sans faire mention du problème en question dans la convocation, la cessation des fonctions de M. Schrempp et la nomination de M. Zetsche pour lui succéder.

15. En outre, il avait déjà été prévu pour le 27 juillet 2005, à 17 heures, une réunion de la commission présidentielle du conseil de surveillance dont la convocation ne contenait pas non plus de référence à la cessation des fonctions de M. Schrempp.

16. Le 25 juillet 2005, M. Schrempp a examiné la question avec un membre du conseil de surveillance, également président du comité d’entreprise central et du groupe.

17. Le 27 juillet 2005, le membre du conseil de surveillance susmentionné, après avoir parlé de la question avec les autres représentants du personnel et avec M. Zetsche, a annoncé à M. Schrempp que les représentants du personnel auraient voté en faveur du changement de la personne du président du directoire.

18. Également le 27 juillet 2005, les deux autres membres de la commission présidentielle ont été informés, avant le début de la réunion, de ces événements.

19. La commission présidentielle a décidé, le 27 juillet 2005, de proposer le lendemain au conseil de surveillance d’approuver la cessation anticipée des fonctions de M. Schrempp pour la fin de l’année 2005, et son remplacement par M. Zetsche.

20. Le 27 juillet 2005, à 18 h 30, M. Schrempp a informé du changement projeté l’un des trois membres du directoire, et à 19 heures les deux autres membres.

21. Le 27 juillet 2005, à 19 h 30, a eu lieu un dîner des membres du conseil de surveillance représentant les actionnaires, au cours duquel les discussions ont porté sur la proposition de la commission présidentielle.

22. Le 28 juillet 2005, le conseil de surveillance a décidé, vers 9 h 50, que M. Schrempp quitterait ses fonctions à la fin de l’année et que M. Zetsche prendrait sa place.

23. Le 28 juillet 2005, à 10 h 02, Daimler AG a envoyé un communiqué ad hoc concernant ces événements à la direction des Bourses et de la Bundesanstalt für Finanzdienstleistungsaufsicht (Office fédéral de contrôle des services financiers, également appelé la «BaFin»).

24. Le communiqué en question a ensuite été publié, à 10 h 32, dans la banque de données de la Deutsche Gesellschaft für Ad-hoc-Publizität (société allemande de publication ad hoc).

25. Le cours de l’action de Daimler AG, qui avait atteint 36,50 euros au moment de l’ouverture de la Bourse le 28 juillet 2005, est alors monté d’abord jusqu’à 40,40 euros, puis jusqu’à 42,95 euros.

26. De nombreux investisseurs qui avaient vendu leurs actions avant la remontée du cours à la suite de la communication de la nouvelle du départ de M. Schrempp à la fin de l’année 2005, ont agi en justice pour obtenir réparation du préjudice subi, en faisant valoir que la communication en question avait été effectuée tardivement.

27. Par décision pilote du 15 février 2007, l’Oberlandesgericht Stuttgart a jugé que, en l’espèce, une information privilégiée n’avait vu le jour qu’au moment de la décision du conseil de surveillance du 28 juillet 2005, vers 9 heures 50, et que celle-ci avait été rendue publique sans tarder.

28. Par ordonnance du 25 février 2008, le Bundesgerichtshof a annulé cette dernière décision et a renvoyé l’affaire devant l’Oberlandesgericht Stuttgart.

29. Par décision du 22 avril 2009, l’Oberlandesgericht a de nouveau rejeté la demande de réparation du préjudice en affirmant que, entre le 17 mai 2005 et la décision du conseil de surveillance du 28 juillet 2005, il n’avait pas existé d’information privilégiée selon laquelle M. Schrempp aurait déclaré au président du conseil de surveillance qu’il avait l’intention de quitter unilatéralement ses fonctions.

30. En particulier, pour ce qui importe ici, en rendant sa décision, l’Oberlandesgericht Stuttgart n’a pas considéré comme des informations privilégiées les différentes étapes intermédiaires qui avaient conduit, au final, au départ concordé de M. Schrempp et à son remplacement par M. Zetsche, dans la mesure où la réalisation de l’intention de se retirer, manifestée par M. Schrempp, bien qu’étant susceptible d’influencer le cours des actions, ne pouvait pas être considérée comme suffisamment probable
aux yeux d’un investisseur raisonnable.

31. Le Bundesgerichtshof, de nouveau saisi d’un pourvoi contre la dernière décision de l’Oberlandesgericht, estimant que l’on était en présence d’un problème d’interprétation des directives 2003/6 et 2003/124, a soumis à la Cour les deux questions préjudicielles suivantes:

«1) S’agissant d’un processus étalé dans le temps visant à réaliser une certaine circonstance ou à provoquer un certain événement en plusieurs étapes, faut-il, pour appliquer l’article 1er, premier alinéa, de la directive 2003/6 et l’article 1er, paragraphe 1, de la directive 2003/124, se fonder uniquement sur le point de savoir si cette circonstance future ou l’événement futur doit être considéré comme une information à caractère précis au sens de ces dispositions des directives et s’il
convient par conséquent d’examiner si l’on peut raisonnablement penser que cette circonstance future ou l’événement futur se produira, ou bien, s’agissant d’un tel processus étalé dans le temps, des étapes intermédiaires qui existent déjà ou se sont déjà produites et qui sont liées à la réalisation de la circonstance future ou de l’événement futur peuvent-elles également constituer des informations à caractère précis au sens desdites dispositions des directives?

2) L’expression ‘peut raisonnablement penser’ au sens de l’article 1er, paragraphe 1, de la directive 2003/124 requiert-elle que la probabilité soit jugée prépondérante ou élevée, ou bien convient-il d’entendre par des circonstances dont on peut raisonnablement penser qu’elles existeront ou des événements dont on peut raisonnablement penser qu’ils se produiront que le degré de probabilité dépend de l’étendue des conséquences pour l’émetteur et que, si l’aptitude à influer sur le cours de
l’action est forte, il suffit que l’intervention de la circonstance future ou de l’événement futur soit incertaine, mais ne soit pas improbable?»

IV – Procédure devant la Cour

32. Ont déposé des observations écrites le requérant dans l’affaire au principal, Daimler AG, un tiers intervenant, les gouvernements portugais, tchèque, estonien, belge, du Royaume-Uni et italien, ainsi que la Commission européenne.

33. À l’audience du 2 février 2012, sont intervenus le requérant dans l’affaire au principal, Daimler AG, le tiers intervenant, ainsi que les gouvernements portugais, estonien et du Royaume-Uni, et la Commission.

V – Sur la première question préjudicielle

34. Par la première question préjudicielle, le Bundesgerichtshof a demandé, en substance, à la Cour de clarifier si, parmi les informations qui doivent faire l’objet d’une communication au public de la part des émetteurs de produits financiers en ce qu’elles relèvent de la notion d’information privilégiée au sens de l’article 1er, point 1, de la directive 2003/6 et de l’article 1er, paragraphe 1, de la directive 2003/124, il convient de compter les informations concernant les événements spécifiques
qui conduisent à la réalisation d’une certaine circonstance par un processus progressif, et qui, dès lors, précèdent, dans la relation de causalité, la réalisation de la circonstance ou de l’événement futurs visés par lesdites directives, lorsqu’ils sont susceptibles d’influencer de façon sensible les prix de ces instruments financiers ou les prix d’instruments financiers dérivés.

35. Il ressort de l’examen de la législation en question que l’on peut qualifier de privilégiées, lorsque sont aussi remplies les autres conditions mentionnées par les directives 2003/6 et 2003/124, également les informations relatives aux phases intermédiaires du processus qui conduit à la réalisation de circonstances et d’événements futurs susceptibles d’influencer de façon sensible les prix des instruments financiers ou les prix d’instruments financiers dérivés visés par les directives
susmentionnées, et pas seulement les circonstances et les événements futurs qui se réaliseront hypothétiquement.

36. En premier lieu, l’article 1er, point 1, de la directive 2003/6 définit, conformément au seizième considérant de cette même directive, la notion d’information privilégiée en soulignant, tout d’abord, qu’une information, pour être définie comme telle, doit pouvoir être considérée comme précise ( 5 ) et, en plus de ne pas avoir été rendue publique, doit être susceptible d’influencer de manière sensible, si elle était divulguée, les prix d’instruments financiers ou les prix d’instruments financiers
dérivés.

37. Il s’ensuit qu’il n’est pas exigé que le fait à rendre public soit celui définitif, ou, en tout état de cause, qu’il n’est pas exclu a priori la pertinence d’événements qui se sont produits au cours d’un processus qui se déroule en plusieurs phases dans le temps, mais simplement il est imposé de communiquer au public toute information qui, visiblement même en cas de faits qui se produisent de manière progressive, présente la caractéristique d’être précise et propre à influencer sensiblement, si
elle était divulguée, les prix d’instruments financiers ou les prix d’instruments financiers dérivés.

38. Ce n’est pas la position chronologique de l’information dans le déroulement du processus de formation d’un événement qui importe aux fins de la diffusion qui doit en être faite, mais sa précision, ainsi que, outre l’absence de publicité, le fait qu’elle soit susceptible d’influencer sensiblement les cotations sur le marché.

39. En effet, il faut considérer que la valeur des instruments financiers émis par un opérateur n’est pas nécessairement influencée par un seul facteur, mais peut dépendre d’une série de faits, souvent placés dans une séquence chronologique.

40. L’article 1er, paragraphe 1, de la directive 2003/124, quant à lui, s’agissant de prendre en considération une information qui ait un caractère précis, fait mention, outre des événements particuliers qui se sont produits, également d’un «ensemble de circonstances qui existe ou dont on peut raisonnablement penser qu’il existera», ainsi que d’une information qui soit «suffisamment précise pour que l’on puisse en tirer une conclusion quant à l’effet possible de cet ensemble de circonstances».

41. Ainsi, cette disposition souligne la pertinence, aux fins de la naissance des obligations de communication, également de chaque phase conduisant à la réalisation d’événements se produisant de manière progressive, étant donné qu’elle place sur un même plan tant les événements particuliers et l’ensemble des circonstances qui peuvent les précéder, que les circonstances déjà existantes et celles futures, et elle attribue la même valeur aux uns et aux autres.

42. C’est ce qui ressort également de l’article 2, paragraphe 3, de la directive 2003/124, selon lequel tout changement significatif concernant des informations privilégiées déjà rendues publiques doit être divulgué au public rapidement après qu’il s’est produit, par le même canal que celui qui a été utilisé pour rendre publiques les informations initiales.

43. Ces conclusions sont en outre renforcées par l’article 3 de la directive 2003/124 qui, conformément au cinquième considérant de la même directive et en mettant en application l’article 6, paragraphe 2, de la directive 2003/6, indique, parmi les intérêts légitimes justifiant l’omission de communiquer au public des informations privilégiées, une série de circonstances qui ont clairement trait, pour la plupart, à des étapes particulières d’une procédure se déroulant de manière progressive, comme
les négociations en cours ou bien les décisions prises ou contrats passés par l’organe de direction d’un émetteur, qui nécessitent l’approbation d’un autre organe du même émetteur pour devenir effectifs, lorsque la structure de celui-ci requiert une séparation entre les deux organes.

44. Le fait que la directive 2003/124 autorise les émetteurs à ne pas rendre publiques des circonstances qui constituent des étapes intermédiaires d’un processus qui, en théorie, ne pourra aboutir que dans le futur (dans les cas susmentionnés, exclusivement lorsque la négociation aura une issue positive, ou bien après l’approbation, par l’autre organe compétent, des décisions prises et les contrats passés par l’organe directeur de l’émetteur) montre que normalement les informations de ce genre
doivent être révélées en présence des autres conditions indiquées par les directives en cause.

45. Une interprétation de la notion d’information privilégiée qui, en présence également des autres conditions mentionnées par les directives 2003/ 6 et 2003/124, ne permet pas de qualifier comme telle une information relative à des circonstances qui représentent des étapes intermédiaires d’un processus qui, en théorie, ne pourra aboutir que dans le futur ne trouve dès lors aucune justification formelle dans la lettre des directives précitées.

46. La considération de l’objectif des directives 2003/6 et 2003/124 et des instruments qu’elles prévoient pour le mettre en œuvre ne saurait fonder une opinion différente.

47. Ledit objectif découle, en premier lieu, des deuxième et douzième considérants de la directive 2003/6, lesquels précisent que la législation contre les abus de marché, dont relèvent les opérations d’initiés et les manipulations de marché, tend à assurer l’intégrité des marchés financiers communautaires et à renforcer la confiance des investisseurs en ces marchés, en tant que préalables indispensables à la croissance économique et à la prospérité.

48. Comme il apparaît clairement au vingt-quatrième considérant de la directive 2003/6, la communication rapide et équitable des informations au public renforce l’intégrité du marché, alors qu’une communication sélective par les émetteurs est indiquée comme une cause possible d’une perte de confiance des investisseurs dans l’intégrité des marchés financiers.

49. La Cour a confirmé les arguments exposés aux points 47 et 48 notamment dans l’arrêt Spector Photo Group et Van Raemdonck ( 6 ), dans lequel elle a affirmé que la finalité de la directive 2003/6 consiste à protéger l’intégrité des marchés financiers et à renforcer la confiance des investisseurs, en précisant que cette dernière repose, notamment, sur l’assurance qu’ils seront placés sur un pied d’égalité et protégés contre l’utilisation indue d’informations privilégiées.

50. À cet égard, la Cour a également précisé que l’interdiction des opérations d’initiés tend à éviter que l’un d’eux, qui détient une information privilégiée, en tire profit au détriment de ceux qui l’ignorent ( 7 ) sans courir les mêmes risques, en vertu d’une inégalité, en sa faveur, dans la détention d’informations.

51. Par conséquent, il ne serait pas conforme à l’objectif de la directive 2003/6 ni cohérent avec les instruments introduits par celle-ci pour l’atteindre, tels qu’indiqués aux points 47 et 48 des présentes conclusions et comme ils ressortent de l’arrêt Spector Photo Group et Van Raemdonck, d’adopter, au regard de la présente espèce, une interprétation de la notion d’information privilégiée qui permettrait aux détenteurs d’informations réservées liées à la réalisation de circonstances futures
propres à influencer la valeur des actions de ne pas révéler ces informations.

52. En effet, il serait fait échec, de cette façon, à la divulgation rapide et équitable au public d’informations susceptibles d’influencer les marchés financiers, de sorte que l’on ne protégerait ni l’intégrité de ces derniers ni la confiance des investisseurs, étant donné que, normalement, l’utilisation d’informations qui prévoient que se produisent des événements futurs propres à influencer le cours des actions est caractéristique, précisément, des abus d’informations privilégiées interdits par
la législation en question.

53. Du moment que les directives 2003/6 et 2003/124 ont pour but la protection de l’intégrité du marché et de la confiance des investisseurs, il doit être permis à ces derniers de prendre leurs décisions, et en d’assumer la responsabilité, après avoir reçu et apprécié chaque information pertinente susceptible d’influencer les valeurs de la Bourse.

54. Il est partant à exclure une interprétation de la notion d’information privilégiée qui, à la lumière du lien étroit existant entre cette dernière notion et l’interdiction des opérations d’initiés, aurait pour effet d’étendre le domaine des informations à ne pas divulguer et de réduire le nombre de conduites abusives interdites par les directives 2003/6 et 2003/124.

55. Le Comité européen des régulateurs de marchés de valeurs mobilières (CESR) ( 8 ) a d’ailleurs lui-même affirmé, dans ses lignes directrices de juillet 2007 ( 9 ) sur l’application de la directive 2003/6, au point 1.6, que, si l’information concerne un processus qui se déroule en plusieurs étapes, chacun de ces moments, à l’instar du processus tout entier, peut être qualifié d’information à caractère précis («if the information concerns a process which occurs in stages, each stage of the process
as well as the overall process could be information of a precise nature»), et, au point 1.7, que, en outre, il n’est pas nécessaire qu’un élément d’une information soit complet pour être considéré comme précis («In addition, it is not necessary for a piece of information to be comprehensive to be considered precise»).

56. Partant, pour conclure quant à la première question préjudicielle, je propose à la Cour d’y répondre en déclarant que l’article 1er, point 1, de la directive 2003/6, et l’article 1er, paragraphe 1, de la directive 2003/124 doivent être interprétés dans le sens que, en présence d’un processus étalé dans le temps et qui tend à donner lieu à une circonstance déterminée ou à provoquer la réalisation d’un certain événement (ce que l’on appelle une situation à formation progressive), on peut
considérer comme des informations précises, et, partant, privilégiées, en présence de toutes les autres conditions indiquées par les directives, également les informations quant à des faits, concernant les phases intermédiaires, qui existent déjà ou se sont produits, et qui sont liés à la réalisation de la circonstance ou de l’événement futurs.

VI – Sur la seconde question préjudicielle

57. Par la seconde question préjudicielle, le Bundesgerichtshof a posé, en substance, à la Cour deux questions étroitement liées entre elles, en demandant:

a) tout d’abord de préciser si l’expression peut «raisonnablement penser», au sens de l’article 1er, paragraphe 1, de la directive 2003/124 requiert que la probabilité soit jugée prépondérante ou élevée;

b) en second lieu, s’il convient d’entendre par «des circonstances dont on peut raisonnablement penser qu’elles existeront ou des événements dont on peut raisonnablement penser qu’ils se produiront» que le degré de probabilité dépend de l’étendue des conséquences pour l’émetteur et que, si l’aptitude à influer sur le cours de l’action est forte, il suffit que l’intervention de la circonstance future ou de l’événement futur ne soit pas improbable, bien qu’elle soit incertaine?

58. La première des deux questions indiquées au point 57 est pertinente aux fins de la solution du litige pendant devant le juge national, dans la mesure où elle tend à établir quand, en présence d’une situation à formation progressive comme celle en cause, il peut être considéré, aux fins de l’application de l’article 1er, paragraphe 1, de la directive 2003/124, que l’événement dont la réalisation est annoncée par l’information gardée confidentielle pourra concrètement se produire.

59. En effet, si l’on exige une probabilité forte ou élevée que l’événement se produise (thèses essentiellement suivie par l’Oberlandesgericht Stuttgart), la circonstance de la démission envisagée par M. Schrempp aurait dû être rendue publique seulement après que ladite démission eut été acceptée par le conseil de surveillance, lequel avait rendu une décision en ce sens le 28 juillet 2005, ou, en tout état de cause, qu’elle eut été approuvée par la commission présidentielle du 27 juillet 2005, qui
avait proposé au conseil de surveillance du 28 juillet 2005 de voter en faveur de la demande de M. Schrempp.

60. Ce n’est qu’à la suite de ces décisions qu’il aurait été légitime de considérer comme précise l’information du remplacement de M. Schrempp, de sorte que Daimler AG n’aurait pas été tenue de rendre publique auparavant la procédure interne en cours.

61. La situation serait différente si l’on considérait que, pour qu’une information privilégiée voie le jour, il suffit d’être en présence de faits rendant un événement futur non improbable, bien qu’incertain.

62. Dans ce cas, selon les affirmations du juge de renvoi, une information privilégiée aurait pu naître, notamment à la lumière des variations significatives des cotations des titres à la suite de l’annonce du remplacement de M. Schrempp, dès le moment où ce dernier avait communiqué, le 17 mai 2005, au président du conseil de surveillance, son intention de quitter ses fonctions pour la fin de l’année; par conséquent, les actionnaires comme M. Geltl auraient dû être informés à cette date de ce qui
était en train de se produire et auraient dès lors raisonnablement vendu leurs actions à un prix supérieur à celui auquel ils les ont vendues concrètement ou les auraient peut-être gardées.

63. Je me dois de souligner, avant toute chose, que les doutes du juge national pourraient tirer leur origine de la lettre de l’article 1er, paragraphe 1, de la directive 2003/124, dans la version en langue allemande, lequel, pour ce qui concerne la réalisation des circonstances ou événements futurs, fait référence au critère de la «probabilité suffisante» («[…] man mit hinreichender Wahrscheinlichkeit davon ausgehen kann […]»), s’écartant en cela de la plupart des autres versions linguistiques
dudit article ( 10 ) qui utilisent, quant à elles, essentiellement le critère du «raisonnablement penser».

64. Par ailleurs, j’estime que, contrairement à ce que fait le juge national ainsi que bien des parties qui ont déposé des observations dans le cadre de la présente procédure, l’interprétation de l’article 1er, paragraphe 1, de la directive 2003/124 ne doit pas se focaliser exclusivement sur le critère de la «probabilité».

65. En effet, comme le gouvernement estonien l’a souligné également, à juste titre, au cours de l’audience, selon une jurisprudence constante, la formulation utilisée dans une des versions linguistiques d’une disposition du droit de l’Union ne saurait servir de base unique à l’interprétation de cette disposition ou se voir attribuer, à cet égard, un caractère prioritaire par rapport aux autres versions linguistiques. Une telle approche serait en effet incompatible avec l’exigence d’uniformité
d’application du droit de l’Union ( 11 ).

66. Pour répondre à la première des questions examinées ici, il convient de considérer que l’expression qui doit être interprétée dans le cadre du présent litige est contenue dans des directives qui régissent le traitement des informations privilégiées et leur communication au public.

67. Il s’ensuit que le terme «raisonnablement» doit être entendu dans sa corrélation avec tous les autres éléments qui permettent de considérer une information comme privilégiée.

68. En premier lieu, il faut tenir compte de ce que, en vertu de l’article 1er, paragraphe 1, de la directive 2003/124, l’expression en cause est comprise dans un contexte établissant qu’une information est précise dès lors que sont satisfaites, concomitamment, les deux conditions suivantes:

a) si elle fait mention d’un ensemble de circonstances qui existe ou dont on peut raisonnablement penser qu’il existera ou d’un événement qui s’est produit ou dont on peut raisonnablement penser qu’il se produira;

b) si elle est suffisamment précise pour que l’on puisse en tirer une conclusion quant à l’effet possible de cet ensemble de circonstances ou de cet événement sur les cours des instruments financiers concernés ou d’instruments financiers dérivés qui leur sont liés.

69. Ainsi, l’expression «raisonnablement penser», bien qu’elle soit utilisée dans le cadre de la première condition visée à l’article 1er, paragraphe 1, de la directive 2003/124 [point 68, sous a), des présentes conclusions], doit s’apprécier, tout en demeurant logiquement distincte, conjointement, et non séparément de l’autre condition indiquée à l’article 1er, paragraphe 1, de la directive 2003/124, c’est-à-dire la possibilité, en raison du caractère suffisamment spécifique de l’information, de
tirer des conséquences quant à l’effet de l’ensemble des circonstances et de l’événement sur l’évolution des instruments financiers en question ou de ceux dérivés qui leur sont liés [point 68, sous b), des présentes conclusions].

70. Chacune de ces deux conditions peut revêtir concrètement une importance supérieure à celle de l’autre, même dans le cadre d’une éventuelle mise en balance de celles-ci, à condition qu’aucune d’entre elles ne soit totalement exclue, de sorte que, pour ce qui concerne l’expression «raisonnablement penser», il soit au moins vraisemblable que la circonstance ou l’événement en question se produiront, et que l’information maintienne un minimum de caractère spécifique pour permettre de considérer
ladite information comme précise.

71. En outre, la définition de la notion de caractère raisonnable à appliquer dans un cas comme la présente espèce ( 12 ) doit se baser sur la figure de ce que l’on appelle l’«investisseur raisonnable» (expressément mentionnée à l’article 1er, paragraphe 2, de la directive 2003/124), c’est-à-dire de l’investisseur qui apprécie les informations concernant la réalisation de circonstances ou d’événements futurs selon un critère objectif de ce qui est raisonnable, et non en poursuivant des finalités
purement spéculatives.

72. À la lumière des considérations exposées ci-dessus quant au lien étroit ( 13 ) existant entre la première et la seconde conditions visées à l’article 1er, paragraphe 1, de la directive 2003/124 ( 14 ) et à l’acception dans laquelle cette dernière utilise la notion d’investisseur raisonnable, il convient de conclure que l’on est en présence d’une information précise, et que le critère du caractère raisonnable en question est donc rempli, dès lors que cette information aurait été en mesure
d’influencer le processus décisionnel de l’investisseur si elle lui avait été communiquée, et qu’elle aurait été considérée par celui-ci comme étant indicative de la réalisation, vraisemblablement, d’un événement ou d’un ensemble de circonstances ( 15 ) et comme étant suffisamment concrète pour en tirer des conséquences quant à l’effet possible sur l’évolution des instruments financiers en cause ou de ceux dérivés qui leur sont liés.

73. La directive 2003/124 pose simplement des conditions minimales en l’absence desquelles une information ne peut être qualifiée de précise et n’exige, aux fins de l’interprétation de l’expression «raisonnablement penser», ni un niveau élevé de probabilité que la circonstance en question se réalise ni que l’information soit précise au point d’en tirer des conséquences certaines ou presque certaines sur l’effet possible sur l’évolution des instruments financiers en cause ou de ceux dérivés qui leur
sont liés ( 16 ).

74. Les investisseurs en question, comme il ressort de la disposition du premier considérant de la directive 2003/124, fonderont leurs décisions d’investissement sur les informations dont ils disposent déjà («informations disponibles ex ante») et tiendront compte de l’impact anticipé de l’information en question compte tenu de l’ensemble de l’activité de l’émetteur concerné, de la fiabilité de la source d’information et, d’une façon plus générale, de toutes autres variables de marché susceptibles
d’exercer en l’occurrence une influence sur l’instrument financier concerné ou tout instrument financier dérivé qui lui est lié ( 17 ).

75. Le deuxième considérant de la directive 2003/124 précise, ensuite, que les informations disponibles ex post peuvent seulement servir à vérifier l’hypothèse de sensibilité des cours à l’information disponible ex ante.

76. L’évaluation ex ante de l’information joue un rôle important tant en faveur des investisseurs, en les plaçant dans une position d’égalité formelle, que des opérateurs initiés, car de cette façon ils acquièrent la possibilité d’orienter leurs comportements et d’opérer au mieux et de façon licite sur le marché, étant donné qu’ils peuvent connaître préalablement le contenu des comportements interdits et éviter les sanctions correspondantes ( 18 ), tandis que l’évaluation ex post joue un rôle
différent, dans la mesure où elle sert seulement à confirmer ou non l’évaluation ex ante.

77. La constatation en question par les opérateurs doit s’effectuer au cas par cas (par exemple, le gouvernement estonien a souligné, durant l’audience, que même les dimensions du marché de référence pourraient avoir de l’importance) et, inévitablement, il devient impossible de déterminer une figure d’investisseur raisonnable et une notion de caractère raisonnable valables pour toutes les situations possibles.

78. En cas de litige, le juge devra décider quant à l’existence d’obligations de publicité dans le chef de détenteurs d’informations en appliquant les critères susmentionnés.

79. Il devra se demander, donc, si un investisseur raisonnable, sur la base des informations disponibles ex ante ( 19 ), aurait apprécié l’information comme étant indicative de la réalisation, à tout le moins vraisemblable, d’un événement ou d’un ensemble de circonstances et comme étant suffisamment concrète pour en tirer des conséquences quant à l’effet possible sur l’évolution des instruments financiers en cause ou de ceux dérivés qui leur sont liés.

80. Le législateur de l’Union a sciemment fait référence à la notion de ce qui est raisonnable, plutôt qu’à celle de probabilité ou de possibilité, précisément pour confirmer que, pour déterminer les informations qui sont privilégiées et les distinguer de celles qui ne le sont pas, il convient de prêter une attention particulière à toutes les circonstances de chaque cas concret.

81. En particulier, contrairement à ce qu’ont affirmé certaines parties (comme la Commission), il n’est d’aucune utilité, aux fins de la décision dans des affaires comme celle qui nous occupe, de fixer abstraitement un plancher en pourcentage en dessous duquel un événement ne peut plus être considéré comme raisonnablement vérifiable ( 20 ).

82. En effet, les directives exigent seulement que l’information privilégiée soit précise et font référence au critère, que l’on a voulu générique, du caractère raisonnable, lequel devra être appliqué non pas en calculant simplement des pourcentages de réalisation statistique d’un événement, mais moyennant une évaluation bien plus détaillée et complexe ( 21 ).

83. Cette évaluation se basera sur les expériences similaires précédentes et tendra à constater si la réalisation de l’événement en question pouvait être, d’une façon plus générale, raisonnablement attendue et, partant, si l’éventualité qu’il se produise aurait été prise en considération par un investisseur raisonnable, à la lumière de l’impact anticipé de l’information compte tenu de l’ensemble de l’activité de l’émetteur concerné, de la fiabilité de la source d’information et de toutes autres
variables de marché susceptibles d’exercer en l’occurrence une influence sur l’instrument financier dérivé qui y était lié.

84. Cette conclusion n’est pas démentie par les considérations exposées par Daimler AG dans ses observations.

85. En particulier, cette dernière conteste ( 22 ) l’interprétation de l’arrêt Spector Photo Group et Van Raemdonck ( 23 ) avancée par la juridiction de renvoi, selon laquelle «un initié s’expose moins aux aléas du marché qu’un investisseur qui ne sait encore rien de l’intention de provoquer certaines circonstances ou certains événements et de ce qu’un processus est en marche» ( 24 ).

86. Daimler AG affirme que le juge de renvoi, en jugeant qu’une probabilité élevée de réalisation de l’événement en cause n’est pas nécessaire, n’aurait pas donné une application correcte aux principes découlant de l’arrêt précité, dans la mesure où celui-ci avait basé son raisonnement non pas sur le comportement adopté, dans l’abstrait, par un investisseur raisonnable, mais sur celui d’un investisseur qui agissait à des fins spéculatives, alors que, de l’avis même de Daimler AG, la directive 2003/6
protégeait l’investisseur raisonnable, sans se préoccuper de prévenir des comportements spéculatifs ( 25 ).

87. À cet égard, Daimler AG affirme que les détenteurs d’informations privilégiées tendent à adopter des comportements différents de ceux d’un simple investisseur raisonnable, notamment parce qu’ils seraient poussés à agir par des motivations et selon des modalités différentes, les premiers, notamment, tenant compte plus facilement que le second également d’événements improbables, pour des finalités purement spéculatives.

88. Ces considérations ne sauraient être partagées, parce qu’elles se fondent sur une interprétation de la jurisprudence de la Cour et de la législation en question qui ne correspond pas à l’objectif poursuivi par les directives en cause.

89. Comme je le soulignais déjà au point 49 des présentes conclusions, l’arrêt Spector Photo Group et Van Raemdonck ( 26 ) a précisé que le but de la directive 2003/6 est de protéger l’intégrité des marchés financiers et de renforcer la confiance des investisseurs, laquelle repose sur l’assurance que ces derniers seront placés sur un pied d’égalité et protégés contre l’utilisation indue d’informations privilégiées de la part de ceux qui les détiennent au détriment de ceux qui les ignorent.

90. Ce que l’on veut éviter de manière absolue, c’est donc que le détenteur d’une information privilégiée, qui se trouve dans une situation favorable par rapport aux autres opérateurs du marché qui l’ignorent, obtienne un profit d’opérations économiques réalisées en exploitant l’information en question et sans courir les mêmes risques que les autres investisseurs potentiels ( 27 ).

91. Il s’ensuit que, contrairement aux affirmations de Daimler AG, les hypothétiques différences psychologiques et comportementales existant entre les détenteurs d’informations privilégiées, qui pourraient préférer des investissements purement spéculatifs, et les investisseurs raisonnables sont sans importance, dans la mesure où ces personnes doivent toutes être placées, en tout état de cause et indépendamment de toute distinction existant entre elles, dans une situation d’égalité absolue, afin de
garantir la protection de l’intégrité des marchés financiers et le renforcement de la confiance des investisseurs.

92. Les directives en question interdisent donc d’abuser des informations privilégiées afin de protéger l’intégrité des marchés financiers et de renforcer la confiance des investisseurs; or, pour atteindre cet objectif, on ne saurait admettre une interprétation de la notion de caractère raisonnable dans le sens d’une probabilité élevée qui, concrètement, permettrait de ne pas divulguer des informations qui, souvent, annoncent la mise en place d’événements futurs propres à influencer le cours des
actions, favorisant ainsi des opérations d’initiés hautement spéculatives.

93. De la même manière, on ne saurait prendre en considération le risque évoqué d’une surcharge d’informations («information overload») ( 28 ) qui se présenterait si le marché de capitaux était inondé, à la suite de l’adoption d’une interprétation trop large de la notion d’information privilégiée, par une telle quantité d’informations peu sûres que les opérateurs du marché seraient induits en erreur.

94. En effet, le système créé par les directives 2003/6 et 2003/124 tend précisément à permettre à tous les investisseurs de prendre leurs décisions en assumant les responsabilités qui en découlent et, éventuellement, même en commettant des erreurs, après avoir reçu et apprécié toute information pertinente et susceptible d’influencer les valeurs de la Bourse, avec la conséquence que, dans les cas douteux, il convient de préférer une interprétation des directives en question qui accroisse, plutôt
qu’elle ne réduise, la quantité des informations à rendre publiques.

95. Partant, pour ce qui concerne la première interrogation contenue dans la seconde question préjudicielle, je propose à la Cour d’y répondre en affirmant que:

— l’expression «raisonnablement penser» au sens de l’article 1er, paragraphe 1, de la directive 2003/124 ne requiert pas que la probabilité qu’un événement ou que les circonstances en question se réalisent soit jugée prépondérante ou élevée;

— le système introduit par les directives 2003/6 et 2003/124 exige seulement que, dès lors qu’aucun des deux éléments mentionnés à l’article 1er, paragraphe 1, de la directive 2003/124 ne fait défaut de manière absolue, on soit en présence d’une information précise, sur la base d’une évaluation ex ante opérée sur la base des critères de l’impact anticipé de l’information en question compte tenu de l’ensemble de l’activité de l’émetteur concerné, de la fiabilité de la source d’information ainsi
que des autres variables de marché susceptibles d’exercer en l’occurrence une influence sur l’instrument financier concerné ou tout instrument financier dérivé qui lui est lié.

96. Le juge de renvoi a également demandé, plus spécifiquement, par la seconde interrogation de la seconde question préjudicielle, s’il convient d’entendre par «des circonstances dont on peut raisonnablement penser qu’elles existeront ou des événements dont on peut raisonnablement penser qu’ils se produiront» que le degré de probabilité dépend de l’étendue des conséquences pour l’émetteur et que, si l’aptitude à influer sur le cours de l’action est forte, il suffit que l’intervention de la
circonstance future ou de l’événement futur ne soit pas improbable, bien qu’elle soit incertaine.

97. Pour répondre à cette question, il faut tenir compte de ce que l’article 1er, point 1, de la directive 2003/6 dispose que l’information devient privilégiée si, en plus de concerner un ou plusieurs émetteurs d’instruments financiers, elle remplit trois conditions:

a) qu’elle soit précise;

b) qu’elle ne soit pas publique;

c) qu’elle soit susceptible d’influencer de manière sensible les prix des instruments financiers concernés.

98. En faisant abstraction du fait qu’elle ne soit pas publique, car cela n’est pas l’objet de la présente procédure, la précision et la possibilité d’influencer de manière sensible les prix des instruments financiers concernés sont les deux éléments fondamentaux sur lesquels se base la notion d’information privilégiée ( 29 ), le premier [point 97, sous a), des présentes conclusions] visant la nature intrinsèque de l’information qui, justement, doit être précise, et étant défini à l’article 1er,
paragraphe 1, de la directive 2003/124 ( 30 ), et le second [point 97, sous b), des présentes conclusions] visant les effets extérieurs de l’information, à savoir sa force potentielle et étant défini à l’article 1er, paragraphe 2, de la directive 2003/124.

99. La présence des deux éléments susmentionnés et la relation qui existe entre eux doivent être examinées en fonction du caractère privilégié de l’information ( 31 ).

100. Le juge saisi de la question, en effet, ne doit pas se pencher chaque fois sur une seule de ces conditions, à savoir, selon les cas, la précision de l’information ou sa force potentielle, en faisant totalement abstraction du constat de l’existence de l’autre, mais établir si l’information est privilégiée sur la base d’une appréciation exhaustive de tous les éléments dont il dispose.

101. Lesdits éléments, tout en restant logiquement distincts entre eux au moment de leur détermination, doivent être considérés globalement, de sorte qu’une des deux conditions peut tout à fait avoir, concrètement, un poids spécifique supérieur à celui de l’autre ( 32 ), du moment que la seconde n’est pas totalement absente et que l’information atteint, partant, un niveau lui permettant d’être considérée comme privilégiée à la suite d’une mise en balance adéquate de la précision de l’information et
de sa force potentielle.

102. En effet, les directives 2003/6 et 2003/124 n’exigent pas, pour ce qui concerne la présente procédure, ni, comme cela a été dit, une probabilité élevée que la circonstance en question se réalise ni une influence effective sur le cours des titres.

103. En particulier, selon l’arrêt Spector Photo Group et Van Raemdonck ( 33 ), eu égard à la finalité de la directive 2003/6, cette aptitude à influer de manière sensible sur les cours doit s’apprécier, a priori, à la lumière du contenu de l’information en question et du contexte dans lequel elle s’inscrit, de sorte qu’il n’est pas besoin, afin de déterminer si une information est privilégiée, d’examiner si sa divulgation a effectivement influé de façon sensible sur le cours des instruments
financiers.

104. La législation en cause se borne donc à poser des conditions minimales en l’absence desquelles une information ne peut pas être qualifiée de privilégiée.

105. Au regard de la présente espèce, cela pourra être le cas si l’on parvient à constater que la réalisation d’un événement est à considérer impossible ou improbable selon un critère de rationalité, au point de rendre l’information dénuée de la précision nécessaire (la première condition n’étant donc pas satisfaite), ou qu’il y a lieu d’exclure son aptitude potentielle à influencer le cours des prix (la seconde condition faisant alors défaut).

106. Il s’ensuit que, dans l’éventualité où l’information aurait une forte capacité d’influencer les cours des titres, il est suffisant que la réalisation de la circonstance ou de l’événement futurs ne soit pas impossible ou improbable, même si elle reste incertaine.

107. Dans l’appréciation en question, l’étendue des conséquences pour l’émetteur a une incidence ( 34 ) dans la mesure où cela relève des informations disponibles ex ante, étant donné que l’investisseur raisonnable fonde ses décisions sur l’impact anticipé de l’information compte tenu de l’ensemble de l’activité de l’émetteur concerné, de la fiabilité de la source d’information et de toutes autres variables de marché susceptibles d’exercer en l’occurrence une influence sur l’instrument financier
concerné ou tout instrument financier dérivé qui lui est lié.

108. En tout état de cause, les informations disponibles ex post pourront également servir à vérifier l’hypothèse de sensibilité des cours à l’information disponible ex ante ( 35 ).

109. Partant, pour ce qui concerne la seconde interrogation contenue dans la seconde question préjudicielle, je propose à la Cour d’y répondre en déclarant que:

— dans l’éventualité où l’information aurait une forte capacité d’influencer les cours des titres, il est suffisant que la réalisation de la circonstance ou de l’événement futurs ne soit pas impossible ou improbable, même si elle reste incertaine;

— les conséquences pour l’émetteur deviennent pertinentes dès lors qu’elles relèvent des informations disponibles ex ante, tandis que les informations disponibles ex post pourront servir à vérifier l’hypothèse de sensibilité des cours aux informations disponibles ex ante.

VII – Conclusions

110. Sur la base des considérations exposées ci-dessus, je propose, partant, à la Cour de répondre de la façon suivante aux questions posées par le Bundesgerichtshof:

«1) L’article 1er, point 1, de la directive 2003/6/CE du Parlement européen et du Conseil, du 28 janvier 2003, sur les opérations d’initiés et les manipulations de marché (abus de marché), et l’article 1er, paragraphe 1, de la directive 2003/124/CE de la Commission, du 22 décembre 2003, portant modalités d’application de la directive 2003/6 en ce qui concerne la définition et la publication des informations privilégiées et la définition des manipulations de marché, doivent être interprétés dans
le sens que, en présence d’un processus étalé dans le temps et qui tend à donner lieu à une circonstance déterminée ou à provoquer la réalisation d’un certain événement (ce que l’on appelle une situation à formation progressive), on peut considérer comme des informations précises, et, partant, privilégiées, en présence de toutes les autres conditions indiquées par les directives, également les informations quant à des faits, concernant les phases intermédiaires, qui existent déjà ou se sont
produits, et qui sont liés à la réalisation de la circonstance ou de l’événement futurs.

2) a) L’expression ‘raisonnablement penser’ au sens de l’article 1er, paragraphe 1, de la directive 2003/124 ne requiert pas que la probabilité qu’un événement ou que les circonstances en question se réalisent soit jugée prépondérante ou élevée.

b) Le système introduit par les directives 2003/6 et 2003/124 exige seulement que, dès lors qu’aucun des deux éléments mentionnés à l’article 1er, paragraphe 1, de la directive 2003/124 ne fait défaut de manière absolue, on soit en présence d’une information précise, sur la base d’une évaluation ex ante opérée sur la base des critères de l’impact anticipé de l’information en question compte tenu de l’ensemble de l’activité de l’émetteur concerné, de la fiabilité de la source d’information
ainsi que des autres variables de marché susceptibles d’exercer en l’occurrence une influence sur l’instrument financier concerné ou tout instrument financier dérivé qui lui est lié.

c) Dans l’éventualité où l’information aurait une forte capacité d’influencer les cours des titres, il est suffisant que la réalisation de la circonstance ou de l’événement futurs ne soit pas impossible ou improbable, même si elle reste incertaine.

d) Les conséquences pour l’émetteur deviennent pertinentes dès lors qu’elles relèvent des informations disponibles ex ante, tandis que les informations disponibles ex post pourront servir à vérifier l’hypothèse de sensibilité des cours aux informations disponibles ex ante.»

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( 1 ) Langue originale: l’italien.

( 2 ) JO L 96, p. 16.

( 3 ) JO L 339, p. 70.

( 4 ) Titres que les détenteurs d’informations privilégiées n’ont pas le droit de vendre ou d’acheter.

( 5 ) La définition de cette notion fera l’objet d’une analyse spécifique dans le cadre de l’appréciation de la seconde question préjudicielle.

( 6 ) Arrêt du 23 décembre 2009 (C-45/08, Rec. p. I-12073, points 37, 47, 61 et 62), dans lequel la Cour a renvoyé aux considérations déjà exposées dans les arrêts du 22 novembre 2005, Grøngaard et Bang (C-384/02, Rec. p. I-9939, points 22 et 33), et du 10 mai 2007, Georgakis (C-391/04, Rec. p. I-3741, point 38).

( 7 ) Arrêt Spector Photo Group et Van Raemdonck, précité, points 47 et 48.

( 8 ) Remplacé, à compter du 1er janvier 2011, par l’Autorité européenne des marchés financiers.

( 9 ) Il s’agit de la deuxième série de lignes directrices et d’informations relatives à l’application commune de la directive («second set of CESR guidance and information on the common operation of the Directive to the market»).

( 10 ) Voir, notamment, versions française («on peut raisonnablement penser»), anglaise («may reasonably be expected»), italienne («si possa ragionevolmente ritenere»), espagnole («pueden darse razonablemente»), néerlandaise («waarvan redelijkerwijze mag worden aangenomen»), maltaise («b’mod raġjonevoli jiġi»), roumaine («există motive raționale de a crede»), estonienne («mõistliku eelduse kohaselt»), finnoise («kohtuudella olettaa toteutuvan»), lettone («ir pamats uzskatīt»), suédoise
(«rimligtvis»), polonaise («uzasadniony przewidywać»), slovaque («odôvodnene predpokladať») et portugaise («razoavelmente previsíveis»).

( 11 ) Voir, en ce sens, arrêts du 25 mars 2010, Helmut Müller (C-451/08, Rec. p. I-2673, point 38), et du 3 mars 2011, Commission/Pays-Bas (C-41/09, Rec. p. I-831, point 44).

( 12 ) Avec les conséquences que cela entraîne, pour les motifs exposés aux points 68 à 70 des présentes conclusions, pour qu’une information soit qualifiée de précise.

( 13 ) Ce lien reflète le fait que, inévitablement, l’investisseur raisonnable accorde la plus grande considération, parmi les éléments dont il faut tenir compte afin de prendre ses décisions d’investissement, précisément à la possibilité de tirer des conclusions sur l’incidence de ces circonstances et événements sur l’évolution des instruments financiers.

( 14 ) Voir point 68 des présentes conclusions.

( 15 ) Il est ainsi adopté un critère fort semblable à celui dit du «total mix», élaboré par la doctrine et par la jurisprudence des États-Unis d’Amérique, à la seule différence de fond que l’information en question peut aussi ne constituer qu’un seul des éléments propres à influencer l’investisseur.

Selon la jurisprudence de la Cour suprême des États-Unis (qui s’est penchée sur ce problème en 1976 dans l’affaire TSC Industries, Inc. v. Northway, Inc. 426 US 438, 1976), une information doit être considérée comme privilégiée, et donc «material», c’est-à-dire conférant un avantage, lorsqu’il est vraisemblable, en substance, que, si elle avait été connue, elle aurait été considérée par l’investisseur raisonnable comme un élément qui a altéré de manière significative l’ensemble total («total mix»)
des informations à disposition («there must be a substantial likelihood that the disclosure of the omitted fact would have been viewed by the reasonable investor as having significantly altered the total mix of information made available»).

( 16 ) Une information ne sera donc pas précise dès lors qu’un événement doit être jugé impossible ou improbable selon un critère de rationalité, le caractère raisonnable en cause faisant défaut, parce qu’il serait resté, par exemple, au niveau de la simple rumeur ou serait tellement peu spécifique qu’il ne serait pas possible d’en tirer des conséquences quant à l’évolution des instruments financiers en cause ou de ceux dérivés qui leur sont liés.

( 17 ) Par exemple, le gouvernement estonien a mentionné, à l’audience, le contexte juridique, les pratiques commerciales et le comportement des investisseurs locaux (par référence, dans la présente espèce, au marché allemand).

( 18 ) Quant aux considérations exposées par Daimler AG à l’audience en ce qui concerne les risques qu’entraînerait, au niveau pénal, l’admission d’une notion trop large d’information privilégiée, il est à souligner, pour ce qui nous importe ici, que c’est précisément le système de l’évaluation ex ante de l’information qui fournit la garantie d’une définition adéquate des concepts visés par les présentes directives et, par là même, des dispositions nationales punitives qui y renverraient. Il faut
également souligner que, en tout état de cause, en vertu de l’article 14 de la directive 2003/6, les États membres ont la faculté, et non l’obligation, de prévoir des sanctions pénales et sont simplement tenus de garantir la possibilité que soient adoptées, conformément à leur ordre juridique interne, des mesures ou des sanctions administratives appropriées appliquées à l’encontre des personnes responsables d’une violation des dispositions arrêtées en application de ladite directive. Cette dernière
a, en effet, un objet essentiellement civil, de sorte que les questions concernant les modalités de rédaction d’éventuelles dispositions pénales en la matière sont du ressort des États membres et doivent être résolues conformément à leur ordre juridique interne.

( 19 ) Comme indiqué de façon plus détaillée au point 74 des présentes conclusions.

( 20 ) Comme l’a souligné à l’audience le gouvernement estonien, on ne laisserait pas, de cette façon, la marge d’appréciation nécessaire pour prendre en considération les circonstances du cas concret.

( 21 ) À l’audience, le gouvernement estonien a souligné que, en rédigeant les directives en question, il a été sciemment décidé d’opter pour un texte flexible, sans imposer, en substance, des pourcentages et des critères d’appréciation stricts.

( 22 ) Point 153 du mémoire de Daimler AG.

( 23 ) Précité à la note 6.

( 24 ) Voir point 20 de l’ordonnance de renvoi.

( 25 ) Mémoire de Daimler AG, point 154.

( 26 ) Précité à la note 6 (point 47).

( 27 ) Point 50 des présentes conclusions.

( 28 ) Voir point 168 du mémoire de Daimler AG.

( 29 ) Comme il ressort du troisième considérant de la directive 2003/124, en vertu duquel la sécurité juridique devrait être renforcée pour les participants au marché grâce à une définition plus fine de deux des éléments essentiels de la définition de l’information privilégiée, à savoir le caractère précis de cette information et l’ampleur de son impact potentiel sur les cours des instruments financiers ou des instruments financiers dérivés qui leur sont liés.

( 30 ) En vertu de l’article 1er, paragraphe 1, de la directive 2003/124, l’information est précise:

a) si elle concerne un ensemble de circonstances qui existe (ou un événement qui s’est produit) ou dont on peut raisonnablement penser qu’il existera (ou se produira);

b) si elle est suffisamment précise pour qu’il soit possible d’en tirer des conséquences quant au possible effet de l’ensemble des circonstances et de l’événement en question sur l’évolution des instruments financiers en cause ou de ceux dérivés qui leur sont liés.

( 31 ) Comme il a été souligné au point 98 des présentes conclusions.

( 32 ) Il convient de souligner que, au cours de l’audience, on a discuté de l’influence sur la réglementation communautaire de la jurisprudence américaine (en particulier la Cour suprême des États-Unis d’Amérique dans l’arrêt Basic Inc. v. Levinson, in 485 US, 224, 1988), laquelle apprécie le comportement de l’investisseur raisonnable selon le critère dit de «probability/magnitude» (probabilité/magnitude), selon lequel l’importance de l’information est calculée en mettant en balance la probabilité
(«probability») qu’un événement se réalise et la portée («magnitude») anticipée dudit événement à la lumière de la totalité de l’activité de la société («will depend at any given time upon a balancing of both the indicated probability that the event will occur and the anticipated magnitude of the event in light of the totality of the company activity»).

Cette jurisprudence pourrait avoir eu une influence sur l’admission de la notion d’investisseur raisonnable et sur la rédaction du premier considérant de la directive 2003/124, en vertu duquel les investisseurs raisonnables fondent leurs décisions d’investissement sur les informations dont ils disposent déjà («informations disponibles ex ante»), notamment «compte tenu de l’ensemble de l’activité de l’émetteur concerné», cette dernière référence renvoyant expressément au raisonnement susmentionné
suivi par les juridictions américaines («in light of the totality of the company activity»).

( 33 ) Précité à la note 6 (point 69).

( 34 ) Le premier considérant de la directive 2003/124 fait expressément référence à l’impact anticipé de l’information en question compte tenu de l’ensemble de l’activité de l’émetteur concerné.

( 35 ) Comme il ressort du deuxième considérant de la directive 2003/124.


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : C-19/11
Date de la décision : 21/03/2012
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle: Bundesgerichtshof - Allemagne.

Directives 2003/6/CE et 2003/124/CE - Information privilégiée - Notion d’‘information à caractère précis’ - Étapes intermédiaires d’un processus étalé dans le temps - Mention d’un ensemble de circonstances ou d’un événement dont on peut raisonnablement penser qu’il existera ou se produira - Interprétation des termes ‘peut raisonnablement penser’ - Publication d’informations relatives au changement d’un dirigeant d’une société.

Rapprochement des législations


Parties
Demandeurs : Markus Geltl
Défendeurs : Daimler AG.

Composition du Tribunal
Avocat général : Mengozzi

Origine de la décision
Date de l'import : 30/06/2023
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2012:153

Source

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