CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL
M. YVES BOT
présentées le 31 janvier 2012 ( 1 )
Affaire C‑130/10
Parlement européen
contre
Conseil de l’Union européenne
«Politique étrangère et de sécurité commune — Règlement (CE) no 881/2002 — Règlement (UE) no 1286/2009 — Mesures restrictives à l’encontre de personnes et d’entités liées à Oussama ben Laden, au réseau Al-Qaida et aux Taliban — Gel de fonds et de ressources économiques — Choix de la base juridique — Articles 75 TFUE et 215 TFUE — Entrée en vigueur du traité de Lisbonne — Dispositions transitoires — Positions communes et décisions PESC — Proposition conjointe du haut représentant de l’Union pour les
affaires étrangères et la politique de sécurité et de la Commission»
I – Introduction
1. Par son recours, le Parlement européen demande à la Cour d’annuler le règlement (UE) no 1286/2009 du Conseil, du 22 décembre 2009, modifiant le règlement (CE) no 881/2002 instituant certaines mesures restrictives spécifiques à l’encontre de certaines personnes et entités liées à Oussama ben Laden, au réseau Al-Qaida et aux Taliban ( 2 ), au motif principal qu’il n’a pas été adopté sur le fondement d’une base juridique appropriée.
2. Le règlement litigieux a été adopté sur le fondement de l’article 215, paragraphe 2, TFUE. Le Parlement soutient qu’il aurait dû l’être sur le fondement de l’article 75 TFUE.
3. L’article 215 TFUE figure au titre IV («Les mesures restrictives») de la cinquième partie du traité FUE, relative à l’action extérieure de l’Union européenne.
4. Cet article est ainsi rédigé:
«1. Lorsqu’une décision, adoptée conformément au chapitre 2 du titre V du traité sur l’Union européenne, prévoit l’interruption ou la réduction, en tout ou en partie, des relations économiques et financières avec un ou plusieurs pays tiers, le Conseil, statuant à la majorité qualifiée, sur proposition conjointe du haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité [ ( 3 )] et de la Commission, adopte les mesures nécessaires. Il en informe le Parlement européen.
2. Lorsqu’une décision, adoptée conformément au chapitre 2 du titre V du traité sur l’Union européenne, le prévoit, le Conseil peut adopter, selon la procédure visée au paragraphe 1, des mesures restrictives à l’encontre de personnes physiques ou morales, de groupes ou d’entités non étatiques.
3. Les actes visés au présent article contiennent les dispositions nécessaires en matière de garanties juridiques.»
5. Le chapitre 2 du titre V du traité UE auquel se réfère l’article 215 TFUE contient les «dispositions spécifiques concernant la politique étrangère et de sécurité commune».
6. L’article 75 TFUE fait, quant à lui, partie du chapitre 1 («Dispositions générales») du titre V («L’espace de liberté, de sécurité et de justice») de la troisième partie («Les politiques et actions internes de l’Union») du traité FUE. Aux termes de cet article:
«Lorsque la réalisation des objectifs visés à l’article 67 l’exige, en ce qui concerne la prévention du terrorisme et des activités connexes, ainsi que la lutte contre ces phénomènes, le Parlement européen et le Conseil, statuant par voie de règlements conformément à la procédure législative ordinaire, définissent un cadre de mesures administratives concernant les mouvements de capitaux et les paiements, telles que le gel des fonds, des avoirs financiers ou des bénéfices économiques qui
appartiennent à des personnes physiques ou morales, à des groupes ou à des entités non étatiques, sont en leur possession ou sont détenus par eux.
Le Conseil, sur proposition de la Commission, adopte des mesures afin de mettre en œuvre le cadre visé au premier alinéa.
Les actes visés au présent article contiennent les dispositions nécessaires en matière de garanties juridiques.»
7. Dans l’hypothèse où la Cour confirmerait que l’article 215, paragraphe 2, TFUE constituait la base juridique appropriée du règlement litigieux, le Parlement soutient, à titre subsidiaire, que les conditions concernant le recours à cette disposition n’ont pas été respectées.
8. Le moyen soulevé à titre principal par le Parlement offre à la Cour l’occasion de préciser la méthode et les critères permettant de distinguer, en matière de mesures restrictives, celles qui relèvent de l’espace de liberté, de sécurité et de justice ( 4 ) et celles qui doivent être adoptées dans le cadre de la politique étrangère et de sécurité commune (PESC).
9. Il convient de préciser que, bien que le traité de Lisbonne ait fait disparaître la structure en piliers qui existait précédemment, l’exercice de délimitation entre les politiques de l’Union n’en reste pas moins nécessaire. En témoigne l’article 40 TUE qui prévoit:
«La mise en œuvre de la [PESC] n’affecte pas l’application des procédures et l’étendue respective des attributions des institutions prévues par les traités pour l’exercice des compétences de l’Union visées aux articles 3 à 6 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne.
De même, la mise en œuvre des politiques visées auxdits articles n’affecte pas l’application des procédures et l’étendue respective des attributions des institutions prévues par les traités pour l’exercice des compétences de l’Union au titre du présent chapitre (relatif aux ‘dispositions spécifiques concernant la [PESC]’)» ( 5 ).
10. Avant d’examiner le présent recours, nous indiquerons brièvement les événements qui ont précédé l’adoption du règlement litigieux.
11. Le 16 janvier 2002, le Conseil de sécurité des Nations unies ( 6 ) a adopté la résolution 1390 (2002), qui fixe les mesures à imposer à l’égard d’Oussama ben Laden, des membres de l’organisation Al-Qaida ainsi que des Taliban et autres personnes, groupes, entreprises et entités associés. À ses paragraphes 1 et 2, cette résolution prévoit notamment, en substance, le maintien des mesures de gel des fonds imposées aux paragraphes 4, sous b), de la résolution 1267 (1999) et 8, sous c), de la
résolution 1333 (2000). Conformément au paragraphe 3 de la résolution 1390 (2002), ces mesures devaient être réexaminées par le Conseil de sécurité douze mois après leur adoption, délai au terme duquel il déciderait soit de les maintenir, soit de les améliorer.
12. Considérant qu’une action de la Communauté européenne était nécessaire afin de mettre en œuvre cette dernière résolution, le Conseil a adopté, le 27 mai 2002, sur la base de l’article 15 UE, la position commune 2002/402/PESC, concernant des mesures restrictives à l’encontre d’Oussama ben Laden, des membres de l’organisation Al-Qaida ainsi que des Taliban et autres personnes, groupes, entreprises et entités associés, et abrogeant les positions communes 96/746/PESC, 1999/727/PESC, 2001/154/PESC
et 2001/771/PESC ( 7 ). L’article 3 de la position commune 2002/402 prescrit, notamment, la poursuite du gel des fonds et des autres avoirs financiers ou ressources économiques des personnes, groupes, entreprises et entités visés dans la liste qui a été établie conformément aux résolutions 1267 (1999) et 1333 (2000).
13. Le même jour, a été adopté, sur la base des articles 60 CE, 301 CE et 308 CE, le règlement (CE) no 881/2002 du Conseil, instituant certaines mesures restrictives spécifiques à l’encontre de certaines personnes et entités liées à Oussama ben Laden, au réseau Al-Qaida et aux Taliban, et abrogeant le règlement (CE) no 467/2001 du Conseil interdisant l’exportation de certaines marchandises et de certains services vers l’Afghanistan, renforçant l’interdiction des vols et étendant le gel des fonds et
autres ressources financières décidées à l’encontre des Taliban d’Afghanistan ( 8 ). L’annexe I du règlement no 881/2002 contient la liste des personnes, entités et groupes visés par le gel des fonds imposé par l’article 2 de celui-ci (ci-après la «liste»).
14. Le règlement litigieux a été adopté par le Conseil le 22 décembre 2009. Ce règlement est fondé sur l’article 215, paragraphe 2, TFUE et se réfère à une proposition conjointe du haut représentant et de la Commission. Il modifie le règlement no 881/2002 à la suite de l’arrêt du 3 septembre 2008, Kadi et Al Barakaat International Foundation/Conseil et Commission ( 9 ), en instituant une procédure d’inscription sur la liste garantissant que les droits fondamentaux de la défense et, en particulier,
celui d’être entendu sont respectés. La procédure révisée prévoit que la personne, l’entité, l’organisme ou le groupe figurant sur la liste soit informé des motifs de son inscription sur celle-ci conformément aux instructions du comité du Conseil de sécurité créé par la résolution 1267 (1999) du Conseil de sécurité concernant Al-Qaida et les Taliban ( 10 ), afin de leur donner la possibilité d’exprimer leur point de vue sur ces motifs.
II – Les conclusions des parties
15. Le Parlement conclut à ce qu’il plaise à la Cour:
— annuler le règlement litigieux;
— ordonner le maintien des effets du règlement litigieux jusqu’à ce qu’il soit remplacé, et
— condamner le Conseil aux dépens.
16. Le Conseil conclut à ce qu’il plaise à la Cour:
— rejeter le recours comme non fondé, et
— condamner le Parlement aux dépens.
17. Par ordonnance du président de la Cour du 10 août 2010, la Commission, la République tchèque, le Royaume de Suède, la République française et le Royaume de Danemark ont été admis à intervenir au soutien des conclusions du Conseil.
18. Par ordonnance du président de la Cour du 2 décembre 2010, le Royaume de Danemark a été radié comme partie intervenante, celui-ci ayant demandé le retrait de son intervention.
19. Les parties ont été entendues par la Cour lors de l’audience de plaidoiries qui s’est tenue le 7 décembre 2011.
20. Nous examinerons, en premier lieu, le moyen soulevé à titre principal par le Parlement, tiré du choix prétendument erroné de la base juridique du règlement litigieux, puis, le cas échéant, en second lieu, le moyen subsidiaire, tiré du non-respect des conditions concernant le recours à l’article 215 TFUE.
III – Sur le moyen principal, tiré du choix prétendument erroné de la base juridique
A – Les arguments des parties
21. Par son premier moyen, le Parlement demande à la Cour de constater que le règlement litigieux ne pouvait pas être valablement fondé sur l’article 215 TFUE. Ce moyen est subdivisé en deux branches dont la première porte sur le but et le contenu de ce règlement et la seconde sur l’économie générale des traités.
1. Sur le but et le contenu du règlement litigieux
22. Selon le Parlement, il est de jurisprudence constante que le choix de la base juridique d’un acte de l’Union doit se fonder sur des éléments objectifs susceptibles de contrôle juridictionnel, parmi lesquels figurent, notamment, le but et le contenu de l’acte. La base juridique du règlement litigieux devrait, vu son contenu et son objet, être la même que celle du règlement no 881/2002, adopté sur le fondement des articles 60 CE, 301 CE et 308 CE. Ces articles ayant cependant été abrogés ou étant
devenus inapplicables à la suite de l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne, le 1er décembre 2009, la base juridique appropriée serait l’article 75 TFUE portant sur la prévention du terrorisme et des activités connexes.
23. Pour ce qui est de son contenu, le règlement litigieux se limiterait en grande partie à reformuler ou à clarifier des dispositions du règlement no 881/2002 ou à en faciliter l’application, sans modifier aucunement la nature du contenu de ce dernier. Les seules dispositions de fond véritablement nouvelles seraient celles concernant la procédure d’inscription sur la liste. Le règlement litigieux revêtirait le caractère de «cadre de mesures administratives» au sens de l’article 75 TFUE dans la
mesure où il modifierait ou complèterait le cadre législatif pour l’adoption et l’application de mesures administratives visant à geler les fonds des parties concernées.
24. Quant à l’objectif du règlement litigieux, il viserait, à l’instar du règlement no 881/2002, à lutter contre le terrorisme et le financement de ce dernier, ce qui correspondrait aux objectifs de l’article 75 TFUE. Cette constatation serait corroborée par le point 169 de l’arrêt Kadi et Al Barakaat International Foundation/Conseil et Commission, précité, qui énonce que le but essentiel et l’objet de ce dernier règlement sont de combattre le terrorisme international, en particulier pour le couper
de ses ressources financières en gelant les fonds et les ressources économiques des personnes ou des entités soupçonnées d’être impliquées dans des activités qui y sont liées. En outre, la Cour aurait constaté, au point 199 de cet arrêt, que la position du Tribunal de première instance des Communautés européennes, en vertu de laquelle le règlement no 881/2002 visait l’un des objectifs relevant du traité UE en matière de relations extérieures, au nombre desquels figure la PESC, se heurte au
libellé même de l’article 308 CE.
25. Étant donné que ce règlement ne viserait pas à réaliser des objectifs de la PESC, il serait difficile de comprendre comment le règlement litigieux, adopté pour assurer l’application dudit règlement, pourrait le faire. Le Parlement souligne que le Conseil ne peut recourir à l’article 215 TFUE que pour des mesures réalisant des objectifs de la PESC et, plus précisément, lorsqu’une décision visant à atteindre les objectifs de cette politique le prévoit.
26. Selon le Parlement, la position du Conseil ne correspond pas aux faits ou à la réalité des choses dans la mesure où elle repose sur une distinction entre, d’une part, le terrorisme international ou «externe» et, d’autre part, le terrorisme «interne». Pour être efficace, la lutte contre le terrorisme devrait revêtir un caractère international. La seule distinction qu’il serait possible d’opérer dans ce contexte serait celle entre, d’une part, les mesures nationales contre le terrorisme et,
d’autre part, les mesures internationales contre ce phénomène. Il ne serait pas toujours possible de déterminer avec certitude si des activités terroristes et connexes menées au sein de l’Union créeront une menace au sein ou à l’extérieur de celle-ci.
27. Le Conseil soutient que, au regard de ses objectifs et de son contenu, le règlement litigieux relève du champ d’application des dispositions des traités relatives à l’action extérieure de l’Union, et plus particulièrement du domaine de la PESC. L’article 215 TFUE constituerait la base juridique appropriée pour cette mesure.
28. Ce règlement viserait, à l’instar du règlement no 881/2002, à lutter contre le terrorisme international et son financement en vue de préserver la paix et la sécurité au niveau international. Le Conseil rappelle, à cet égard, les libellés de la résolution 1390 (2002) du Conseil de sécurité et du règlement no 881/2002 qui la met en œuvre, ainsi que l’arrêt Kadi et Al Barakaat International Foundation/Conseil et Commission, précité.
29. Le contenu du règlement litigieux correspondrait à cet objectif. Les articles 7 bis et 7 quater que celui-ci introduit au règlement no 881/2002 confirmeraient que ces règlements mettent directement en œuvre les décisions d’inscription sur la liste adoptées par le comité des sanctions et qu’ils établissent un système d’interaction entre ce comité, l’Union et les personnes et entités inscrites sur cette liste.
30. Le règlement no 881/2002 et le règlement litigieux ne relèveraient aucunement des dispositions visant la création d’un ELSJ au sein de l’Union. Ils ne régiraient pas des questions relatives aux contrôles aux frontières, ni à la sécurité intérieure, ni à la reconnaissance des décisions judiciaires ou extrajudiciaires.
31. Le Conseil ainsi que la République française font valoir que les traités, dans leur version antérieure à l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne, ne prévoyaient aucune base juridique spécifique permettant d’adopter des mesures de gel des fonds de terroristes constituant une menace pour la sécurité publique dans les États membres, à savoir des terroristes «internes». Les seules bases juridiques pour adopter de telles mesures restrictives auraient été les articles 60 CE, 301 CE et 308 CE, ne
s’appliquant qu’aux terroristes «externes» dans le cadre de l’action extérieure de l’Union.
32. Il ressortirait de la structure et de la formulation des traités, tels que modifiés par le traité de Lisbonne, que la localisation d’une menace présumée ainsi que les objectifs politiques d’une personne ou d’un groupe figurant sur la liste sont à prendre en considération pour décider de la base juridique d’une mesure restrictive. L’article 75 TFUE fournirait d’ores et déjà une base juridique pour l’adoption de mesures de gel des fonds de terroristes «internes», tels que les personnes et les
groupes dont le nom, marqué d’un astérisque, est inscrit sur la liste annexée à la position commune 2001/931/PESC du Conseil, du 27 décembre 2001, relative à l’application de mesures spécifiques en vue de lutter contre le terrorisme ( 11 ). Inversement, si la menace se rapporte principalement à un ou plusieurs États tiers ou à la communauté internationale en général, l’article 215 TFUE serait la base juridique appropriée. Il serait illicite pour l’Union d’adopter, sur la base des dispositions du
titre V de la troisième partie du traité FUE, régissant l’ELSJ, un gel des avoirs contribuant à la sécurité d’un État tiers et ne visant pas à assurer la sécurité intérieure.
33. En outre, selon le Conseil, soutenu en substance par le Royaume de Suède, la thèse du Parlement méconnaît les cas où l’Union chercherait à adopter ou à imposer, dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, des mesures restrictives autres qu’un gel des avoirs, telles qu’une interdiction de voyage, à l’encontre de personnes ou d’entités associées au terrorisme «externe».
34. Le Royaume de Suède précise que la position du Parlement aboutirait à ce que la mise en œuvre des sanctions prises dans le cadre des Nations unies à l’encontre de terroristes soit fondée sur différentes bases juridiques concernant différentes mesures de sanctions au sein d’un seul et même régime de sanctions. Cela ne saurait avoir été l’intention du législateur de l’Union, notamment en raison du fait qu’un tel régime impliquerait l’application de différentes procédures décisionnelles dans le
cadre, respectivement, du domaine de la PESC et de la politique intérieure de l’Union.
35. La Commission explique que, en proposant un acte modificatif, elle se fonde sur la ou les dispositions qui ont servi de base à l’adoption de l’acte initial. Ainsi, la proposition de règlement du Conseil, présentée par la Commission le 22 avril 2009 ( 12 ), aurait mentionné les articles 60 CE, 301 CE et 308 CE comme bases juridiques. Cette proposition ayant été en instance au Conseil le 1er décembre 2009, la Commission indique qu’elle a dû examiner les conséquences purement juridiques et
techniques de l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne à l’égard de cet acte. Elle serait arrivée à la conclusion, avalisée par le haut représentant, que l’article 215, paragraphe 2, TFUE couvre tous les aspects concernés des articles 60 CE, 301 CE et 308 CE. Cette approche serait conforme aux constatations faites par la Cour dans son arrêt Kadi et Al Barakaat International Foundation/Conseil et Commission, précité.
36. Quant à l’incidence de cet arrêt sur la question de la base juridique, la Commission conteste l’allégation du Parlement selon laquelle, au vu dudit arrêt, un acte fondé sur l’article 308 CE ne saurait poursuivre un objectif de la PESC. Selon la Commission, la Cour n’aurait pas contesté que les articles 60 CE et 301 CE constituaient les bases juridiques permettant d’adopter des mesures communautaires poursuivant un objectif de la PESC. Pour ce qui est du règlement no 881/2002, elle aurait
identifié un second objectif communautaire sous-jacent, lié au fonctionnement du marché commun, pour justifier l’inclusion de l’article 308 CE en tant que troisième base juridique. En outre, elle aurait confirmé que le traité CE requérait l’invocation de cette disposition pour imposer des mesures restrictives à l’encontre de personnes physiques ou morales en cas d’absence de lien avec le régime dirigeant d’un État tiers.
37. La Commission considère que les articles 215 TFUE et 75 TFUE ne sauraient servir conjointement de bases juridiques au règlement litigieux. Il serait impossible de fonder un acte à la fois sur ces deux articles dès lors qu’ils prévoient des conditions différentes en matière de procédure et de décision, y compris l’application du protocole (no 21) sur la position du Royaume-Uni et de l’Irlande à l’égard de l’espace de liberté, de sécurité et de justice, annexé au traité UE et au traité FUE, ainsi
que celle du protocole (no 22) sur la position du Danemark, annexé aux mêmes traités. Elle souligne que l’une des différences cruciales entre les articles 215 TFUE et 75 TFUE tient à la nécessité d’un lien avec des décisions adoptées conformément au chapitre 2 du titre V du traité UE ( 13 ) prises dans l’intérêt de la paix et de la sécurité au niveau international, quel que soit le lieu géographique précis et quelle que soit la portée de la menace terroriste en cause. Lorsque des mesures
restrictives relatives au terrorisme doivent être prises en vertu du traité FUE dans le prolongement d’une décision PESC faisant suite à une résolution du Conseil de sécurité, l’article 215 TFUE serait la seule base juridique possible.
2. Sur l’économie générale des traités
38. Selon le Parlement, l’économie générale et l’esprit des traités peuvent être pris en compte pour l’interprétation des dispositions de ceux-ci. En l’occurrence, ils justifieraient le choix de l’article 75 TFUE comme base juridique du règlement litigieux.
39. Premièrement, le règlement litigieux serait en rapport avec la protection des personnes et des groupes. Or, depuis l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne, l’Union ne pourrait adopter des mesures concernant les droits fondamentaux que dans le cadre de la procédure législative ordinaire ou avec l’approbation du Parlement. L’article 215, paragraphe 2, TFUE ne serait applicable qu’en ce qui concerne des mesures ne soulevant pas, avec la même intensité, des questions relevant des droits
fondamentaux.
40. Deuxièmement, l’article 75 TFUE autoriserait l’Union à adopter des mesures concernant les mouvements de capitaux et les paiements, reconnaissant ainsi que de telles mesures peuvent avoir une incidence sur le bon fonctionnement du marché intérieur des capitaux et la fourniture des services financiers. La Cour aurait reconnu, au point 229 de l’arrêt Kadi et Al Barakaat International Foundation/Conseil et Commission, précité, que «[les mesures restrictives de nature économique], de par leur nature,
présentent […] un lien avec le fonctionnement du marché commun». Par ailleurs, le règlement no 881/2002 lui-même ferait référence, à son quatrième considérant, à la nécessité d’éviter notamment une distorsion de concurrence.
41. Troisièmement, le règlement litigieux serait en rapport avec l’établissement d’un ELSJ. Il contribuerait à la lutte contre la criminalité, en particulier le terrorisme et son financement, ce qui constituerait l’un des objectifs de cet espace, tels qu’ils ressortent notamment de l’article 3, paragraphe 2, TUE.
42. Enfin, le Parlement invoque l’absence de relation entre le règlement litigieux et la PESC. Aux termes de l’article 24, paragraphe 1, TUE, la PESC serait soumise à des règles et à des procédures spécifiques. Le fait d’appliquer ces règles et ces procédures en dehors de leur champ d’application irait à l’encontre des objectifs énoncés à l’article 1er, second alinéa, TUE et reviendrait à priver les parlements nationaux de l’application des protocoles sur leur rôle et sur l’application des principes
de subsidiarité et de proportionnalité ainsi qu’à refuser au Parlement l’application de la procédure législative ordinaire.
43. À l’appui de sa position, le Parlement se réfère également au point 235 de l’arrêt Kadi et Al Barakaat International Foundation/Conseil et Commission, précité, dans lequel la Cour aurait constaté que l’ajout de l’article 308 CE à la base juridique du règlement no 881/2002 était justifié, car il «a permis au Parlement […] de participer au processus décisionnel relatif aux mesures en cause qui visent spécifiquement des particuliers alors que, dans le cadre des articles 60 CE et 301 CE, aucun rôle
n’est prévu pour cette institution».
44. Le Parlement conclut qu’il serait contraire au droit de l’Union que l’on puisse adopter des mesures ayant une incidence directe sur les droits fondamentaux des particuliers et des groupes, sur le marché intérieur et sur la lutte contre la criminalité, par l’intermédiaire d’une procédure excluant la participation du Parlement, alors que la procédure législative ordinaire serait applicable pour l’adoption des mesures dans ces domaines. Le traité de Lisbonne refléterait la volonté des États membres
de renforcer le caractère démocratique de l’Union. Il constituerait une réponse à un besoin urgent de prévoir un contrôle parlementaire quant aux pratiques d’inscription sur la liste. La reconnaissance de l’article 215, paragraphe 2, TFUE comme base juridique appropriée pour des mesures telles que le règlement litigieux reviendrait, dans la pratique, à priver l’article 75 TFUE d’une grande partie de son effet utile. Le Parlement fait également remarquer que ce dernier article constitue une base
juridique plus spécifique que l’article 215 TFUE.
45. Le Conseil soutient que les arguments présentés par le Parlement quant à l’économie générale des traités ne constituent pas des critères pertinents pour déterminer la base juridique appropriée du règlement litigieux.
46. Les compétences des institutions seraient fixées par les traités et varieraient selon les différents domaines d’action de l’Union. La thèse soutenue par le Parlement reviendrait à ce que ce soient les procédures qui déterminent le choix de la base juridique et non pas l’inverse. L’élément variable lié au rôle joué par le Parlement dans la procédure ne serait pertinent que dans des circonstances exceptionnelles. Il en serait ainsi s’agissant d’une mesure qui poursuit à la fois plusieurs objectifs
ou a plusieurs composantes qui sont liées de façon indissociable, sans que l’une soit accessoire par rapport à l’autre. Dans de telles circonstances, il serait possible de se fonder sur les différentes bases juridiques correspondantes pourvu que celles-ci ne soient pas incompatibles. Pour déterminer leur compatibilité, il conviendrait d’apprécier si la combinaison desdites bases juridiques serait de nature à porter atteinte aux droits du Parlement. À cet égard, le Conseil se réfère, notamment, à
l’arrêt du 6 novembre 2008, Parlement/Conseil ( 14 ).
47. Le Conseil souligne que le choix de la base juridique doit être fondé sur des éléments objectifs, notamment le but et le contenu de l’acte. Ce principe aurait été confirmé par l’arrêt Kadi et Al Barakaat International Foundation/Conseil et Commission, précité. Si la Cour avait mentionné, au point 235 de cet arrêt, que le recours à l’article 308 CE permettait au Parlement de participer au processus décisionnel, il n’en demeurerait pas moins que cette observation n’a été présentée que pour
compléter les arguments principaux de la Cour, fondés sur les objectifs du traité CE.
48. En outre, l’argument du Parlement selon lequel l’Union ne pourrait adopter des mesures concernant le respect des droits de l’homme qu’en l’y associant serait contredit par l’article 215, paragraphe 3, TFUE, qui dispose que «[l]es actes visés au présent article contiennent les dispositions nécessaires en matière de garanties juridiques». Cette disposition ferait clairement ressortir qu’un acte adopté conformément audit article est susceptible d’affecter les droits fondamentaux.
49. Le Conseil soutient également que l’article 215 TFUE a pour objet de permettre au Conseil d’adopter des mesures directement applicables aux opérateurs économiques. Cette disposition contribuerait à assurer le bon fonctionnement du marché commun.
50. Quant à la relation entre le règlement litigieux et la PESC, le Conseil invoque la menace particulière que représente Al-Qaida. Ce règlement constituerait le cadre dans lequel l’Union met en œuvre les obligations qui lui incombent en vertu de la charte des Nations unies. Il ne serait pas déraisonnable de tenir compte de l’objectif des résolutions adoptées par le Conseil de sécurité en vue d’établir la base juridique appropriée.
51. Enfin, le Conseil souligne que le traité de Lisbonne n’a pas porté atteinte à la délimitation entre la PESC et l’ELSJ. Au contraire, l’importance d’une ligne délimitant clairement les deux domaines aurait été soulignée à l’article 40, second alinéa, TUE. Par conséquent, si la Cour devait considérer que le règlement litigieux vise un objectif relevant de la PESC, l’article 215, paragraphe 2, TFUE constituerait la seule base juridique possible pour son adoption.
B – Notre appréciation
52. L’un des apports du traité de Lisbonne a été de compléter l’arsenal juridique permettant à l’Union d’adopter des mesures restrictives à l’encontre de personnes physiques ou morales, de groupes ou d’entités non étatiques. Désormais, les articles 75, premier alinéa, TFUE et 215, paragraphe 2, TFUE visent expressément ces destinataires, de sorte que le recours à ce qui constitue l’équivalent de l’article 308 CE, à savoir l’article 352 TFUE, devient inutile ( 15 ).
53. Le débat porte, à présent, sur les champs d’application respectifs des articles 75 TFUE et 215 TFUE. Les points de vue exprimés, d’une part, par le Parlement et, d’autre part, par les autres parties sont, sur ce sujet, radicalement opposés.
54. La thèse principale du Parlement consiste, si nous la résumons en une phrase, à considérer que seul l’article 75 TFUE peut être utilisé pour fonder l’adoption de mesures restrictives visant à lutter contre le terrorisme.
55. Nous disons d’emblée que cette thèse ne nous convainc pas.
56. Nous rappelons que, selon une jurisprudence constante, le choix de la base juridique d’un acte de l’Union doit se fonder sur des éléments objectifs susceptibles de contrôle juridictionnel, parmi lesquels figurent, notamment, le but et le contenu de l’acte ( 16 ).
57. L’examen du but poursuivi par le règlement litigieux ne saurait être effectué de façon isolée, mais doit tenir compte des actes auxquels ce dernier se réfère et avec lesquels il établit un lien ( 17 ), c’est-à-dire, par ordre chronologique, la résolution 1390 (2002) du Conseil de sécurité, la position commune 2002/402 ainsi que le règlement no 881/2002 que le règlement litigieux modifie sur plusieurs points.
58. Tous ces actes juridiques visent, en réalité, un but unique, à savoir la lutte contre le terrorisme international. L’un des moyens essentiels pour atteindre ce but consiste à couper les organisations terroristes de leurs ressources financières en gelant les fonds et les ressources économiques des personnes ou des entités soupçonnées d’être impliquées dans des activités qui sont liées au terrorisme.
59. Comme la Cour l’a relevé dans son arrêt Kadi et Al Barakaat International Foundation/Conseil et Commission, précité, le but essentiel et l’objet du règlement no 881/2002 sont de combattre le terrorisme international ( 18 ). À son onzième considérant, le règlement litigieux précise que «[l]’objectif du règlement […] no 881/2002 est de prévenir les actes terroristes, y compris le financement du terrorisme, afin de maintenir la paix et la sécurité au niveau international». Il s’agit là, à notre
sens, du but ultime poursuivi tant par la réglementation internationale que par la réglementation de l’Union susmentionnées.
60. S’agissant plus spécifiquement du règlement litigieux, nous estimons qu’il s’inscrit pleinement, par son objectif et son contenu, dans cette démarche en la complétant, eu égard notamment aux enseignements qui peuvent être tirés de l’arrêt Kadi et Al Barakaat International Foundation/Conseil et Commission, précité, de manière à concilier la lutte contre le terrorisme international avec le respect des droits fondamentaux. Le règlement litigieux institue ainsi, en exécution de cet arrêt, une
procédure d’inscription sur la liste ayant pour objet de garantir que les droits fondamentaux de la défense, et en particulier celui d’être entendu, soient respectés.
61. Il convient, à présent, de déterminer à quelle politique de l’Union peut être rattaché, depuis le traité de Lisbonne, l’objectif visant à combattre le terrorisme international afin de maintenir la paix et la sécurité au niveau international.
62. Selon nous, un tel objectif correspond aux finalités de l’action extérieure de l’Union telles qu’elles sont plus particulièrement énumérées à l’article 21, paragraphe 2, sous a) à c), TUE. Aux termes de cette disposition:
«L’Union définit et mène des politiques communes et des actions et œuvre pour assurer un haut degré de coopération dans tous les domaines des relations internationales afin:
a) de sauvegarder ses valeurs, ses intérêts fondamentaux, sa sécurité, son indépendance et son intégrité;
b) de consolider et de soutenir la démocratie, l’État de droit, les droits de l’homme et les principes du droit international;
c) de préserver la paix, de prévenir les conflits et de renforcer la sécurité internationale, conformément aux buts et aux principes de la charte des Nations unies, ainsi qu’aux principes de l’acte final d’Helsinki et aux objectifs de la charte de Paris, y compris ceux relatifs aux frontières extérieures».
63. Bien que les objectifs énumérés à l’article 21, paragraphe 2, TUE soient communs à l’action extérieure de l’Union, sans que certains soient réservés expressément à la PESC, nous estimons que les objectifs figurant sous a) à c) font partie de ceux qui sont traditionnellement assignés à cette politique. Nous relevons, à cet égard, que les objectifs figurant à l’article 21, paragraphe 2, sous a) à c), TUE correspondent, en substance, à ceux qui étaient assignés à la PESC en vertu de l’article 11,
paragraphe 1, UE ( 19 ). Par ailleurs, ces objectifs coïncident avec les prévisions de l’article 24, paragraphe 1, premier alinéa, TUE, aux termes duquel «[l]a compétence de l’Union en matière de [PESC] couvre tous les domaines de la politique étrangère ainsi que l’ensemble des questions relatives à la sécurité de l’Union, y compris la définition progressive d’une politique de défense commune qui peut conduire à une défense commune».
64. Compte tenu de ces éléments, nous sommes d’avis qu’une action de l’Union sur la scène internationale qui poursuit un ou plusieurs des objectifs mentionnés à l’article 21, paragraphe 2, sous a) à c), TUE, et en particulier celui visant à préserver la paix et à renforcer la sécurité internationale, doit être considérée comme relevant du domaine de la PESC, de sorte qu’une telle action devrait être conduite selon les règles et les procédures spécifiques figurant au chapitre 2 du titre V du traité
UE.
65. Nous ajoutons que, contrairement à ce que certains arguments avancés par le Parlement laissent penser, la lutte contre le terrorisme peut tout à fait être menée par l’Union dans le cadre de ses actions en matière de PESC. Si le rôle de la PESC avait déjà été affirmé dans plusieurs documents politiques adoptés au niveau de l’Union ( 20 ), il est désormais consacré au sein des traités. Outre l’article 215 TFUE qui, à notre avis, témoigne de l’affirmation du rôle de la PESC en matière de lutte
contre le terrorisme international, nous citerons l’article 43, paragraphe 1, TUE dont il ressort que toutes les missions relevant de la politique de sécurité et de défense commune ( 21 )«peuvent contribuer à la lutte contre le terrorisme, y compris par le soutien apporté à des pays tiers pour combattre le terrorisme sur leur territoire». Par ailleurs, il ressort du libellé de la clause de solidarité figurant à l’article 222 TFUE, qui a notamment vocation à être déclenchée si un État membre est
l’objet d’une attaque terroriste, que celle-ci est liée à la PESC, en particulier dans sa dimension relative à la PSDC.
66. Dans le cas qui nous occupe, la circonstance que le règlement litigieux constitue l’un des instruments par lesquels l’Union a mis en œuvre une action à vocation internationale décidée au sein du Conseil de sécurité et visant incontestablement à préserver la paix et la sécurité internationales ( 22 ) est un élément important pour considérer que ce règlement peut être rattaché au domaine de la PESC. C’est bien dans le cadre de cette politique qu’est mis en place le système permettant une
interaction entre les décisions prises au niveau des Nations unies et celles prises au niveau de l’Union afin de priver de ressources les personnes et les entités liées à des mouvements terroristes. Dans ce contexte, il convient de prendre en compte, dans le cadre du présent recours, la circonstance que les personnes et les entités visées par les mesures de gel des fonds et de ressources économiques sont désignées par le comité des sanctions et que l’Union se borne à reprendre la liste arrêtée
au sein de ce comité.
67. Une fois ce constat effectué, il est clair, à nos yeux, que l’article 215, paragraphe 2, TFUE est la seule disposition qui habilite l’Union à adopter des mesures restrictives telles que celles auxquelles se rapporte le règlement litigieux. En effet, à la différence de l’article 75 TFUE, l’article 215, paragraphe 2, TFUE ne peut être utilisé que lorsqu’une décision relevant de la PESC prévoit une action de ce type. Dès lors que l’Union prend la décision de mener une action sur la scène
internationale, telle que celle qui est au centre de la présente affaire, dans le cadre de la PESC, c’est naturellement la base juridique qui établit une passerelle avec cette politique qui doit être utilisée. Faire le choix d’une autre base juridique irait à l’encontre de l’article 40, second alinéa, TUE qui, rappelons-le, affirme le principe selon lequel la mise en œuvre des politiques visées aux articles 3 TFUE à 6 TFUE ne doit pas affecter l’application des procédures et l’étendue respective
des attributions des institutions prévues par les traités pour l’exercice des compétences de l’Union au titre de la PESC.
68. Nous relevons également que, à la différence de l’article 75 TFUE, l’article 215, paragraphe 2, TFUE prévoit l’adoption de «mesures restrictives» de manière générale, sans limiter celles-ci aux seules mesures concernant les mouvements de capitaux et les paiements. L’article 215, paragraphe 2, TFUE constitue, dès lors, la base juridique permettant à l’Union d’adopter des mesures telles que celles restreignant la circulation des personnes visées ou prohibant la vente d’armes à de telles
personnes ( 23 ). Cette disposition apparaît donc mieux adaptée à la variété des actions qui peuvent être menées par l’Union dans le cadre de la PESC afin de lutter contre le terrorisme international.
69. Nous indiquons, en outre, que, dans la mesure où les articles 75 TFUE et 215 TFUE relèvent de politiques de l’Union différentes, qui poursuivent des objectifs certes complémentaires, mais qui n’ont pas nécessairement la même dimension, et qui obéissent à des règles et à des procédures qui divergent ( 24 ), il ne nous paraît pas opportun d’envisager les rapports entre ces deux bases juridiques en attribuant à l’une la fonction de lex generalis et à l’autre celle de lex specialis. Les rapports
entre les articles 75 TFUE et 215 TFUE doivent plutôt être envisagés en termes de complémentarité. Par ailleurs, les différences de procédures par lesquelles les articles 75 TFUE et 215 TFUE peuvent être mis en œuvre, qui traduisent la divergence de nature des politiques auxquelles ils se rattachent, empêchent, à notre avis, un cumul de ces deux bases juridiques.
70. Il est vrai que, dans le cadre de l’article 215 TFUE, le Parlement ne dispose pas de pouvoirs aussi étendus que dans le cadre de l’article 75 TFUE, qui prévoit le recours à la procédure législative ordinaire. Cette circonstance ne saurait toutefois être déterminante quant au choix de la base juridique du règlement litigieux. Comme le relève à juste titre le Conseil, ce ne sont pas les procédures qui définissent la base juridique, mais l’inverse. Par ailleurs, la dimension «PESC» qui caractérise
l’article 215 TFUE explique certainement le choix opéré par les auteurs du traité FUE quant à la position du Parlement.
71. Cela étant, la position qu’occupe le Parlement dans le domaine de la PESC est loin d’être négligeable. En particulier, les obligations qui pèsent, dans ce cadre, sur le haut représentant en termes de relations avec le Parlement permettent, dans une certaine mesure, de compenser l’absence de procédure législative ordinaire. Ainsi, l’article 36, premier alinéa, TUE prévoit que ce haut représentant «consulte régulièrement le Parlement […] sur les principaux aspects et les choix fondamentaux de la
[PESC] et de la [PSDC] et l’informe de l’évolution de ces politiques. Il veille à ce que les vues du Parlement […] soient dûment prises en considération. Les représentants spéciaux peuvent être associés à l’information du Parlement». Il incombe donc au haut représentant d’associer le plus étroitement possible le Parlement aux décisions prises en matière de PESC, dans la mesure où les exigences de confidentialité et de célérité qui caractérisent cette politique de l’Union le permettent.
L’article 36, second alinéa, TUE poursuit en précisant que le Parlement «peut adresser des questions ou formuler des recommandations à l’intention du Conseil et du haut représentant. Il procède deux fois par an à un débat sur les progrès réalisés dans la mise en œuvre de la [PESC], y compris la [PSDC]».
72. Eu égard aux considérations qui précèdent, nous pouvons résumer notre propos comme suit. Nous considérons que le règlement litigieux a été, à bon droit, pris sur le fondement de l’article 215, paragraphe 2, TFUE en raison de sa dimension «PESC». Cette dimension réside, d’une part, dans le fait que, en complétant le dispositif encadrant les mesures restrictives instituées à l’égard de personnes et d’entités liées à Oussama ben Laden, au réseau Al-Qaida et aux Taliban, ce règlement a pour objectif
principal de lutter contre le terrorisme international afin de maintenir la paix et la sécurité au niveau international. D’autre part, le règlement litigieux fait partie du système mis en place par l’Union en vue de relayer une action à vocation internationale décidée au sein du Conseil de sécurité et, plus précisément, afin de mettre en œuvre des mesures de gel des fonds et de ressources économiques à l’égard de personnes et d’entités désignées par le comité des sanctions.
73. L’analyse qui nous a conduit à confirmer le choix effectué par le législateur de l’Union lorsqu’il a retenu l’article 215, paragraphe 2, TFUE comme base juridique du règlement litigieux appelle quelques remarques supplémentaires.
74. Nous souhaitons, d’abord, souligner que le cas de figure soumis à la Cour dans le cadre du présent recours n’est pas le seul dans lequel l’article 215, paragraphe 2, TFUE peut constituer une base juridique appropriée. Cette disposition pourrait, en effet, permettre à l’Union d’adopter des mesures restrictives à l’encontre de personnes et d’entités liées à des organisations terroristes en complément d’une action décidée par l’Union dans le cadre de la PESC à destination d’États tiers, afin
d’aider ces derniers à combattre le terrorisme. Dans l’esprit de ce qui est prévu à l’article 43, paragraphe 1, TUE, de telles mesures restrictives permettraient, en complément des diverses missions de nature civile et militaire qui peuvent être conduites par l’Union dans le cadre de la PSDC, de soutenir l’action d’États tiers pour combattre le terrorisme sur leur territoire. Puisque ces mesures feraient partie d’une action de l’Union dans le cadre de la PESC, elles devraient être fondées sur
l’article 215, paragraphe 2, TFUE.
75. Par ailleurs, nous refusons de souscrire à l’argumentation du Conseil selon laquelle la délimitation entre les champs d’application respectifs des articles 75 TFUE et 215, paragraphe 2, TFUE devrait reposer sur une distinction entre les terroristes dits «internes», les terroristes dits «externes» et les terroristes dits «internationaux». En effet, une telle catégorisation est contraire à la nature même du terrorisme qui, en s’attaquant à des valeurs communes et aux fondements mêmes de l’État de
droit, concerne l’ensemble de la communauté internationale, quelle que soit la portée géographique de la menace. De plus, dans la mesure où elle est génératrice d’insécurité juridique, la distinction défendue par le Conseil va à l’encontre de l’exigence d’une lutte efficace contre le terrorisme.
76. Le terrorisme ignore les frontières. Même si le cœur de cible d’une organisation terroriste peut, de prime abord, sembler se limiter à une zone géographique donnée, cette organisation aura souvent des ramifications internationales, notamment pour financer ses actions. Par ailleurs, si un groupe terroriste agissant habituellement au sein de l’Union décide à un moment donné de collaborer avec d’autres groupes terroristes poursuivant des objectifs similaires et situés hors de l’Union, les personnes
et les entités liées au premier groupe perdent-elles alors leur statut de terroristes «internes» pour devenir des terroristes «externes», ou encore des terroristes «internationaux»? Ces seuls éléments suffisent, à notre avis, à démontrer l’impossibilité pratique de mettre en œuvre une telle distinction.
77. L’importance de la lutte antiterroriste impose, en outre, de mobiliser tous les instruments juridiques que les traités offrent à l’Union. Dans cette perspective, nous insistons sur le fait que l’analyse qui nous a conduit, dans la présente affaire, à rattacher le règlement litigieux au domaine de la PESC ne signifie nullement que toute action extérieure de l’Union qui a pour objet de combattre le terrorisme devrait systématiquement être menée dans le cadre de la PESC.
78. En particulier, il convient de ne pas ignorer la dimension externe que peut revêtir l’action de l’Union dans le cadre de sa politique visant à la constitution d’un ELSJ. À titre d’illustration, nous relevons que la proposition de décision du Conseil relative à la conclusion de l’accord entre les États-Unis d’Amérique et l’Union européenne sur l’utilisation et le transfert des données des dossiers passagers (données PNR) au ministère américain de la sécurité intérieure, déposée par la Commission
le 23 novembre 2011 ( 25 ), s’appuie sur les articles 82, paragraphe 1, sous d), TFUE et 87, paragraphe 2, sous a), TFUE, qui ont trait respectivement à la coopération judiciaire en matière pénale et à la coopération policière, en liaison avec l’article 218, paragraphe 6, sous a), TFUE, qui concerne la conclusion d’accords internationaux par l’Union.
79. Enfin, nous rappelons que, à notre avis, les articles 75 TFUE et 215, paragraphe 2, TFUE doivent être analysés non pas comme s’opposant, mais comme se complétant. Dans cette optique, nous estimons que le fait de considérer que le règlement litigieux devait bien être fondé sur l’article 215, paragraphe 2, TFUE n’aboutit pas à priver l’article 75 TFUE de tout contenu. En effet, à nos yeux, ce dernier article constitue la base juridique appropriée pour l’adoption par l’Union, de manière autonome et
indépendamment de toute démarche relevant du domaine de la PESC, de mesures de gel des fonds et de ressources économiques à l’encontre de personnes et d’entités non étatiques menant des activités terroristes ou connexes, sans qu’il y ait lieu de chercher à qualifier les destinataires de telles mesures de terroristes «internes», «externes» ou «internationaux».
80. La complémentarité entre les articles 215, paragraphe 2, TFUE et 75 TFUE doit permettre de répondre au souci, fondamental en matière de lutte contre le terrorisme, selon lequel le système ne doit comporter aucune faille de nature à compromettre le but recherché, qui est de préserver les démocraties contre des actions qui visent, en réalité, à en supprimer l’existence.
81. Dans cette optique, l’article 215, paragraphe 2, TFUE devrait constituer la base juridique appropriée pour l’adoption, à l’encontre de personnes et d’entités non étatiques, des mesures restrictives suivantes:
— les mesures visant à soutenir l’action d’États tiers pour combattre le terrorisme sur leur territoire ( 26 ) ou, plus largement, à mettre fin à des violations des droits de l’homme dans ces États, de telles mesures, comme celles visées à l’article 215, paragraphe 1, TFUE, relevant par nature de la PESC;
— les mesures prises à l’encontre de personnes et d’entités expressément désignées par le Conseil de sécurité ou un comité des sanctions créé par lui, qui correspondent à celles en cause dans la présente affaire, et
— la mise en œuvre par l’Union de mesures décidées par le Conseil de sécurité et pour lesquelles la désignation des personnes et des entités concernées est laissée à l’appréciation des États membres. Dans une telle hypothèse, le choix de l’article 215, paragraphe 2, TFUE devrait, à notre avis, primer dans la mesure où une action de l’Union est requise en application d’une résolution du Conseil de sécurité, ce qui contribue à faire entrer cette action dans le domaine de la PESC.
82. En revanche, dans les domaines hors PESC dans lesquels l’Union a toute liberté, qu’il s’agisse de construire l’ELSJ, de développer la coopération policière ou judiciaire avec les États tiers, ou bien de compléter de sa propre initiative des listes établies par le comité des sanctions qu’elle estimerait être incomplètes, l’Union devrait alors agir sur la base de l’article 75 TFUE.
83. Au terme de ces développements, nous proposons à la Cour de considérer que le premier moyen soulevé par le Parlement doit être rejeté comme non fondé.
IV – Sur le moyen subsidiaire, tiré du non-respect des conditions concernant le recours à l’article 215 TFUE
A – Les arguments des parties
84. Le moyen subsidiaire, présenté par le Parlement dans l’hypothèse où la Cour devrait considérer, comme nous le lui proposons, que l’article 215, paragraphe 2, TFUE constitue la base juridique appropriée pour le règlement litigieux, est subdivisé en deux branches. La première branche porte sur le prétendu non-respect de la condition relative à une proposition conjointe du haut représentant et de la Commission et la seconde, sur la prétendue absence d’une décision PESC prise préalablement au
règlement litigieux.
1. Sur le prétendu défaut de proposition conforme aux traités
85. Selon le Parlement, lors de l’adoption du règlement litigieux, le 22 décembre 2009, il n’existait pas de Commission qui pouvait légitimement présenter une proposition conjointe avec le haut représentant, le mandat de la Commission nommée le 22 novembre 2004 ayant expiré le 31 octobre 2009 et la nouvelle Commission n’ayant pris ses fonctions que le 10 février 2010. Même s’il avait été acceptable, dans l’intérêt de la continuité du travail de cette institution, que la Commission nommée au mois de
novembre 2004 continuât à remplir certaines tâches, son autorité se serait limitée à la gestion des affaires courantes, à savoir des décisions de routine. Elle n’aurait pas été habilitée à prendre une initiative politique majeure modifiant la base juridique d’un acte impliquant la perte par celui-ci de son caractère législatif et de toute influence par le Parlement et les parlements nationaux.
86. Le Parlement considère qu’il ne saurait être soutenu que la proposition présentée par la Commission et le haut représentant constituait une simple continuation de la proposition présentée par la Commission agissant seule le 22 avril 2009. En outre, la façon de présenter la proposition n’aurait pas été en conformité avec le rôle et les responsabilités du haut représentant, tels que prévus par le traité de Lisbonne. Il ne serait pas concevable qu’une proposition conjointe requise en vertu de
l’article 215, paragraphe 2, TFUE puisse être remplacée par une simple approbation, par le haut représentant, d’une proposition de la Commission déjà existante, adoptée par cette dernière avant l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne. Par ailleurs, le haut représentant, en tant que responsable de la PESC, serait tenu de motiver de façon adéquate la proposition conjointe présentée.
87. Le Conseil soutient que, lorsque le mandat de la Commission, désignée au mois de novembre 2004, est venu à échéance, le 31 octobre 2009, celle-ci est restée en fonction en attendant la nomination d’une nouvelle Commission, afin d’assurer la nécessaire continuité du travail de l’institution, ainsi que le prévoit le premier considérant de la décision 2010/80/UE du Conseil européen, du 9 février 2010, portant nomination de la Commission européenne ( 27 ). Le Parlement aurait continué, au cours de
la période intérimaire allant du 1er novembre 2009 jusqu’au 10 février 2010, à traiter avec la Commission comme si elle continuait d’exister valablement.
88. Le Conseil souligne que le règlement litigieux a été adopté sur la base de la proposition de règlement du 22 avril 2009 approuvée par le haut représentant le 14 décembre 2009. Cette proposition serait demeurée valide après l’expiration du mandat de la Commission le 31 octobre 2009. L’entrée en vigueur du traité de Lisbonne aurait eu pour seul effet de modifier la procédure régissant l’adoption du règlement litigieux.
89. Le Conseil rappelle que la Commission a présenté au Parlement et au Conseil, le 2 décembre 2009, une communication sur les conséquences de l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne sur les procédures décisionnelles interinstitutionnelles en cours ( 28 ) comportant une liste indicative des propositions pendantes qu’elle avait présentées avant l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne et indiquant, pour chacune de ces propositions, les conséquences liées à cette entrée en vigueur. La proposition
de règlement du 22 avril 2009 aurait été reprise dans cette liste accompagnée d’une mention indiquant que sa base juridique changeait, passant des anciens articles 60 CE, 301 CE et 308 CE à l’article 215 TFUE.
90. Même en admettant que la situation dans laquelle se trouvait la Commission soit analogue à celle prévue à l’article 246, dernier alinéa, TFUE (démission volontaire de l’ensemble des membres de la Commission), la jurisprudence ne permettrait pas de conclure que la Commission aurait dépassé le cadre de la gestion des affaires courantes. Au point 96 de son arrêt du 6 mars 2003, Westdeutsche Landesbank Girozentrale et Land Nordrhein-Westfalen/Commission ( 29 ), le Tribunal aurait jugé qu’une
décision relative à des aides d’État adoptée par la Commission après la démission collective de ses membres «ne constituait pas une initiative politique nouvelle dépassant ainsi les pouvoirs d’une Commission limitée à la gestion des affaires courantes». Si cette conclusion valait pour une nouvelle décision adoptée par la Commission durant la période considérée, elle devrait, a fortiori, s’appliquer dans des circonstances où une proposition préexistante est restée pendante. En outre, la question
se poserait de savoir si la limitation à la gestion des affaires courantes prévue à l’article 201, second alinéa, CE était applicable vu que le Parlement n’avait pas adopté de motion de censure sur la gestion de la Commission.
91. Selon le Conseil, la proposition conjointe du haut représentant et de la Commission a été dûment présentée. Le haut représentant aurait approuvé, le 14 décembre 2009, la proposition de règlement du 22 avril 2009. Il n’aurait été ni nécessaire ni possible qu’il présente un exposé des motifs séparé. Il n’aurait pas non plus été possible qu’il fasse des ajouts de manière unilatérale à l’exposé des motifs figurant dans les considérants de cette proposition.
92. Les arguments avancés par la Commission rejoignent globalement ceux du Conseil. Elle précise que sa communication du 2 décembre 2009, susmentionnée, participait d’une démarche purement juridique et technique sans qu’elle exerce un quelconque pouvoir d’appréciation de nature politique. Par ailleurs, cette démarche était indispensable pour permettre au législateur de l’Union de poursuivre les procédures législatives pendantes après l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne. La Commission souligne
qu’aucune modification n’a été apportée au texte de la proposition de règlement du 22 avril 2009 et que le haut représentant a avalisé cette proposition le 14 décembre 2009, comme le prévoit l’article 215 TFUE.
2. Sur le prétendu défaut de décision PESC
93. Selon le Parlement, le règlement litigieux ne contient aucune référence à une décision PESC, alors que l’article 215 TFUE le prévoit. Le préambule dudit règlement ferait référence à la position commune 2002/402, mais celle-ci ne constituerait pas une décision au sens de cette disposition. Une position commune adoptée avant l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne ne saurait être assimilée à une telle décision.
94. Les arguments du Conseil concernant le maintien des effets juridiques de ladite position commune conformément au protocole (no 36) sur les dispositions transitoires, annexé au traité UE et au traité FUE ( 30 ), et à ce que cette institution appelle le «principe de continuité des actes» ne seraient pas pertinents. Il n’existerait aucun élément dans ce protocole, ni aucun principe du droit de l’Union prévoyant qu’une position commune pourrait prendre la place d’une décision PESC. Le Conseil
méconnaîtrait également le fait qu’une telle décision est elle-même susceptible de contrôle juridictionnel par une partie ayant la capacité d’agir en justice et que la Cour pourrait même interdire au Conseil d’adopter des mesures au titre de l’article 215 TFUE.
95. En tout état de cause, le règlement litigieux serait entaché d’une irrégularité dans la mesure où il ne serait pas motivé conformément à l’article 296, deuxième alinéa, TFUE.
96. Le Conseil souligne que le règlement no 881/2002, précédé par l’adoption de la position commune 2002/402, définit les dispositions et les procédures spécifiques requises pour assurer la mise en œuvre du gel des fonds. Même s’il avait été décidé de modifier ledit règlement à la suite de l’arrêt Kadi et Al Barakaat International Foundation/Conseil et Commission, précité, en y ajoutant des dispositions relatives aux garanties procédurales, il n’était pas nécessaire de modifier la position commune
2002/402 ni d’adopter une nouvelle décision PESC à cet effet. En effet, lorsqu’un acte relevant de la PESC exigeant l’adoption de mesures restrictives existe déjà (cet acte n’ayant pas été abrogé, annulé ou modifié), il ne saurait être exigé qu’une nouvelle décision PESC soit adoptée conformément au chapitre 2 du titre V du traité UE. Une telle approche nierait le principe de continuité des actes consacré à l’article 9 du protocole (no 36).
97. Le Conseil soutient également que ce n’est pas parce que les personnes et les entités inscrites sur la liste peuvent, à présent, former un recours en annulation contre des décisions PESC prévoyant des mesures restrictives à l’encontre d’elles-mêmes que toute modification apportée à un règlement existant doit être nécessairement précédée de l’adoption d’une nouvelle décision PESC.
B – Notre appréciation
98. Nous estimons que les conditions dans lesquelles le règlement litigieux a été adopté ne sont pas contraires à la procédure prévue à l’article 215, paragraphe 2, TFUE. Les différents éléments que le Parlement met en avant pour contester la légalité de ce règlement ne nous paraissent pas suffisants, au regard du contexte spécifique que constitue l’entrée en vigueur d’un nouveau traité, pour constater une violation de l’article 215, paragraphe 2, TFUE.
99. S’agissant, en premier lieu, du prétendu défaut de proposition conforme aux traités, nous estimons que, même si les tâches de la Commission devaient être considérées, après l’expiration du mandat de celle-ci le 31 octobre 2009, comme relevant de la gestion des affaires courantes, cela n’empêchait nullement la Commission, d’une part, de maintenir sa proposition de règlement du 22 avril 2009 et, d’autre part, de procéder à la modification formelle de celle-ci en y remplaçant la mention de
l’ancienne base juridique par la nouvelle. Nous observons, à cet égard, que, en ce qui concerne les propositions pour lesquelles il n’était pas possible, compte tenu de la nature et de la portée de ces actes, de simplement substituer l’ancienne base juridique par une nouvelle, celles-ci ont fait l’objet d’un retrait ( 31 ).
100. Pour ce qui est de la nécessité d’une proposition conjointe du haut représentant et de la Commission, force est de constater que le haut représentant s’est officiellement associé, le 14 décembre 2009, à la proposition de règlement du 22 avril 2009. L’article 215 TFUE ne requiert pas que ce haut représentant, dont nous rappelons qu’il fait partie du collège de la Commission en tant que vice-président et membre responsable des relations extérieures ( 32 ), présente un exposé des motifs séparé ou
complète celui de la proposition de la Commission.
101. Concernant, en second lieu, le prétendu défaut de décision PESC, il importe de souligner que, conformément à l’article 9 du protocole (no 36), les effets juridiques des actes des institutions, organes et organismes de l’Union adoptés sur la base du traité UE avant l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne sont préservés aussi longtemps que ces actes n’auront pas été abrogés, annulés ou modifiés en application des traités.
102. La circonstance que le traité UE ne prévoit plus de positions communes mais des décisions en matière de PESC n’a pas pour effet de rendre inexistantes les positions communes adoptées sous l’empire du traité UE, dans sa version antérieure au traité de Lisbonne, sous peine d’ôter à l’article 9 du protocole (no 36) une grande partie de son effet utile. Pour la même raison, le fait que le contexte juridique qui entoure désormais les décisions PESC ne soit pas exactement le même que celui qui
régissait auparavant les positions communes ne s’oppose pas à ce que ces deux catégories d’actes juridiques puissent être assimilées aux fins de la mise en œuvre de l’article 215 TFUE. La référence que fait cet article à une décision adoptée conformément au chapitre 2 du titre V du traité UE doit donc, si nous la lisons en liaison avec l’article 9 du protocole (no 36), nécessairement s’étendre aux positions communes adoptées avant l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne.
103. Il s’ensuit que le second moyen soulevé par le Parlement doit également être rejeté comme non fondé.
V – Conclusion
104. Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, nous proposons à la Cour de:
— rejeter le recours, et
— condamner le Parlement européen aux dépens.
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( 1 ) Langue originale: le français.
( 2 ) JO L 346, p. 42, ci-après le «règlement litigieux».
( 3 ) Ci-après le «haut représentant».
( 4 ) Ci-après l’«ELSJ».
( 5 ) Voir Dashwood, A., «Article 47 TEU and the relationship between first and second pillar competences», Law and Practice of EU External Relations, Cambridge University Press, 2008, p. 70, pour qui «Article 40 TEU […] makes clear that [Common Foreign and Security Policy] competences and the Union’s other competences are to be equally protected against each other» (p. 100).
( 6 ) Ci-après le «Conseil de sécurité».
( 7 ) JO L 139, p. 4.
( 8 ) JO L 139, p. 9.
( 9 ) C-402/05 P et C-415/05 P, Rec. p. I-6351.
( 10 ) Ci-après le «comité des sanctions».
( 11 ) JO L 344, p. 93.
( 12 ) Proposition de règlement du Conseil modifiant le règlement no 881/2002 [COM(2009) 187 final, ci-après la «proposition de règlement du 22 avril 2009»].
( 13 ) Ci-après les «décisions PESC».
( 14 ) C-155/07, Rec. p. I-8103.
( 15 ) Les auteurs du traité FUE ont d’ailleurs pris soin de préciser, à l’article 352, paragraphe 4, TFUE, que cet article «ne peut servir de fondement pour atteindre un objectif relevant de la [PESC] et tout acte adopté conformément [audit] article respecte les limites fixées par l’article 40, second alinéa, du traité sur l’Union européenne».
( 16 ) Voir, notamment, arrêt du 16 novembre 2011, Bank Melli Iran/Conseil (C-548/09 P, Rec. p. I-11381, point 66 et jurisprudence citée).
( 17 ) Dans le même ordre d’idées, la Cour a précisé, dans son arrêt du 29 juin 2010, E et F (C-550/09, Rec. p. I-6213), que «l’interprétation du [règlement (CE) no 2580/2001 du Conseil, du 27 décembre 2001, concernant l’adoption de mesures restrictives spécifiques à l’encontre de certaines personnes et entités dans le cadre de la lutte contre le terrorisme (JO L 344, p. 70)] implique […] de tenir compte des termes et de l’objet de la résolution 1373 (2001), à laquelle renvoie le troisième
considérant de ce règlement» (point 72 et jurisprudence citée).
( 18 ) Points 169 et 184.
( 19 ) Voir, sur ce point, Dashwood, A., op. cit., p. 101 et 103; Van Elsuwege, P., «EU external action after the collapse of the pillar structure: in search of a new balance between delimitation and consistency», Common Market Law Review, 2010, no 47, p. 987, spécialement p. 1006, ainsi que Becker-Alon, S., «The Communitarian Dimension of the European Union’s Common Foreign and Security Policy», Nomos, Baden-Baden, 2011, p. 250.
( 20 ) Voir, pour un recensement de ces principaux documents, Auvret-Finck, J., «Politique étrangère et de sécurité commune — Lutte contre le terrorisme», Jurisclasseur Europe, 2009, fascicule 2612. Voir, également, Terpan, F., «La PESC et le terrorisme international», La sécurité internationale entre rupture et continuité — Mélanges en l’honneur du professeur Jean-François Guilhaudis, Bruylant, Bruxelles, 2007, p. 581.
( 21 ) Ci-après la «PSDC».
( 22 ) Voir avant-dernière phrase du préambule de la résolution 1390 (2002).
( 23 ) Voir, à cet égard, articles 2, paragraphe 1, et 4 de la position commune 2002/402.
( 24 ) Voir, à cet égard, article 24, paragraphe 1, second alinéa, TUE qui précise que «[l]a [PESC] est soumise à des règles et procédures spécifiques».
( 25 ) COM(2011) 807 final.
( 26 ) Voir point 74 des présentes conclusions.
( 27 ) JO L 38, p. 7.
( 28 ) COM(2009) 665 final.
( 29 ) T-228/99 et T-233/99, Rec. p. II-435.
( 30 ) Ci-après le «protocole (no 36)».
( 31 ) Voir annexe 2 de la communication du 2 décembre 2009, susmentionnée.
( 32 ) Voir article 18, paragraphe 4, TUE.