ORDONNANCE DE LA COUR (sixième chambre)
9 juin 2011 (*)
«Pourvoi – Aides d’État – Article 86, paragraphe 2, CE – Service public de radiodiffusion – Décision de ne pas soulever d’objections – Preuve – Efficacité économique de l’entreprise»
Dans l’affaire C‑451/10 P,
ayant pour objet un pourvoi au titre de l’article 56 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, introduit le 13 septembre 2010,
Télévision française 1 SA (TF1), établie à Boulogne-Billancourt (France), représentée par M^e J.-P. Hordies, avocat,
partie requérante,
les autres parties à la procédure étant:
Commission européenne, représentée par MM. T. Maxian Rusche et B. Stromsky, en qualité d’agents, ayant élu domicile à Luxembourg,
partie défenderesse en première instance,
Métropole télévision (M6), établie à Neuilly-sur-Seine (France),
partie demanderesse en première instance,
Canal +, établie à Issy-les-Moulineaux (France), représentée par M^e E. Guillaume, avocat,
République française, représentée par MM. G. de Bergues et J. Gstalter, en qualité d’agents,
France Télévisions, établie à Paris (France), représentée par M^es J.‑P. Gunther et A. Giraud, avocats,
parties intervenantes en première instance,
LA COUR (sixième chambre),
composée de M. A. Arabadjiev, président de chambre, M. U. Lõhmus et M^me P. Lindh (rapporteur), juges,
avocat général: M. J. Mazák,
greffier: M. A. Calot Escobar,
l’avocat général entendu,
rend la présente
Ordonnance
1 Par son pourvoi, Télévision Française 1 SA (TF1) demande l’annulation de l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 1^er juillet 2010, M6 et TF1/Commission (T‑568/08 et T‑573/08, non encore publié au Recueil, ci-après l’«arrêt attaqué»), par lequel celui-ci a rejeté son recours tendant à l’annulation de la décision C(2008) 3506 final de la Commission, du 16 juillet 2008 (ci-après la «décision litigieuse»), relative au projet d’octroi par la République française d’une dotation en capital
de 150 millions d’euros à France Télévisions SA (ci-après «France Télévisions»).
Les antécédents du litige
2 France Télévisions est propriétaire des chaînes de service public France 2, France 3, France 4, France 5, France Ô ainsi que de RFO (Réseau France Outre-mer) qui regroupe les télévisions et les radios publiques émettant dans les départements et territoires d’outre-mer. Son capital social appartient en totalité à l’État français.
3 Entre l’année 2003 et l’année 2007, les recettes publicitaires représentaient entre 28 % et 30 % du chiffre d’affaires de France Télévisions.
4 Le 8 janvier 2008, le président de la République française a annoncé la suppression à terme de la publicité télévisée sur les chaînes de télévision publiques.
5 Le 11 juin 2008, la République française a notifié à la Commission des Communautés européennes, en conformité avec l’article 88, paragraphe 3, CE, un projet visant à procéder à une dotation en capital au bénéfice de France Télévisions (ci-après la «dotation»). La dotation était d’un montant de 150 millions d’euros sous forme d’une augmentation du capital qui serait souscrite intégralement par l’État français. Elle devait être versée en une seule fois et visait à compenser la perte de
recettes publicitaires suscitée par l’annonce de la disparition, à terme, de cette source de financement. La dotation devait permettre d’engager les investissements nécessaires à l’accomplissement des missions de service public dont la bonne exécution était rendue délicate par la perte de recettes publicitaires.
6 En effet, à la suite de l’annonce faite par le président de la République française le 8 janvier 2008, les concurrents de France Télévisions auraient adapté leur offre commerciale pour capter les annonceurs en proposant des espaces et des tarifs privilégiés pour l’année 2009, à condition qu’une part du volume d’affaires capté par France Télévisions leur soit confiée dès l’année 2008.
7 Au mois de juin 2008, une baisse des recettes publicitaires de France Télévisions aurait été constatée et la trésorerie serait devenue négative.
8 Dans la notification du projet de dotation, les autorités françaises exposaient que, celle-ci se faisant en capital, les nouvelles ressources viendraient abonder la trésorerie sans être formellement affectées. Toutefois, elle devait permettre à France Télévisions de programmer des investissements nécessaires à la modernisation des modes de diffusion et à l’élaboration de programmes innovants.
9 L’article 53-III de la loi n° 86-1067, du 30 septembre 1986, relative à la liberté de communication (JORF du 1^er octobre 1986, p. 11755), telle que modifiée, prévoit que les «ressources publiques allouées aux organismes du secteur audiovisuel public en compensation des obligations de service public mises à leur charge n’excèdent pas le montant du coût d’exécution desdites obligations». De même, l’article 2 du décret n° 2007-958, du 15 mai 2007, relatif aux relations financières entre
l’État et les organismes du secteur public de la communication audiovisuelle (JORF du 16 mai 2007, p. 9360), affirme le principe selon lequel les ressources publiques allouées aux chaînes publiques de télévision en contrepartie des obligations de service public mises à leur charge n’excèdent pas le montant nécessaire à la compensation du coût d’exécution de ces mêmes obligations en tenant compte des recettes directes ou indirectes tirées par chaque chaîne de ses activités de service public.
La décision litigieuse
10 Par la décision litigieuse, la Commission a considéré que l’aide sous forme de dotation d’un montant de 150 millions d’euros satisfaisait aux conditions de compatibilité avec le marché commun énoncées à l’article 86, paragraphe 2, CE, suivant les règles de mise en œuvre énoncées dans la communication de la Commission concernant l’application aux services publics de radiodiffusion des règles relatives aux aides d’État (JO 2001, C 320, p. 5, ci-après la «communication sur la radiodiffusion»).
11 Au point 3 des motifs de la décision litigieuse, la Commission a d’abord relevé que la dotation se situait dans le contexte général du financement public de France Télévisions, déjà examiné dans ses décisions 2004/838/CE, du 10 décembre 2003, relative aux aides d’État mises à exécution par la France en faveur de France 2 et de France 3 (JO 2004, L 361, p. 21), et C(2005) 1166 final, du 20 avril 2005, relative à l’aide accordée à France Télévisions [aide E 10/2005 (ex C 60/1999) – France,
Redevance radiodiffusion] (JO C 240, p. 20), mais qu’elle constituait une mesure distincte de celles faisant l’objet de ces décisions.
12 Dans le cadre desdites décisions, la République française avait pris un certain nombre d’engagements quant à l’affectation des ressources publiques allouées aux chaînes publiques de télévision, engagements qui ont été traduits dans les dispositions de la loi n° 86-1067.
13 Au point 32 des motifs de la décision litigieuse, la Commission a conclu que la dotation constituait une aide d’État au sens de l’article 87, paragraphe 1, CE. À cet égard, elle a relevé que la deuxième et la quatrième des conditions posées par la Cour dans l’arrêt du 24 juillet 2003, Altmark Trans et Regierungspräsidium Magdeburg (C-280/00, Rec. p. I-7747), n’étaient pas remplies. Elle a ensuite examiné la compatibilité de l’aide en cause avec le marché commun, à la lumière de l’article 86,
paragraphe 2, CE. Pour ce faire, elle a apprécié cette aide au regard des critères de définition, de mandat, de contrôle et de proportionnalité énoncés dans la communication sur la radiodiffusion.
14 La Commission a vérifié que les missions de service public de France Télévisions étaient clairement définies dans des actes officiels émanant de la République française ou souscrits par celle-ci, selon des modalités qui prévoient un contrôle de leur accomplissement, indépendant de France Télévisions.
15 S’agissant du contrôle du critère de proportionnalité dans le financement de France Télévisions, la Commission a constaté que ce financement comprend des ressources d’État et des recettes provenant d’activités commerciales. La communication sur la radiodiffusion précise que le financement par l’État est généralement nécessaire dans le but d’accomplir les missions de service public, pour autant que les aides d’État n’excèdent pas les coûts nets induits par la mission de service public, compte
tenu des autres recettes directes ou indirectes tirées de cette mission.
16 La Commission a pris en compte la diminution des recettes publicitaires et la nécessité de programmation supplémentaire résultant de la disparition des annonces publicitaires. Cette diminution augmente le coût net de l’activité de service public. La Commission a estimé que la dotation de 150 millions d’euros en ressources publiques supplémentaires n’était pas susceptible d’excéder les variations induites dans le coût net du service public et ne devait donc pas entraîner de surcompensation
des coûts induits par l’accomplissement des missions de service public.
17 Enfin, la Commission a précisé que l’attribution de nouvelles ressources publiques à France Télévisions restait sujette au respect des engagements souscrits par la République française. La Commission a pris acte de ce que les autorités de cet État membre se sont engagées à vérifier le respect de ces engagements et à en lui faire rapport trois mois au plus tard après la clôture des comptes de l’exercice 2008.
La procédure devant le Tribunal et l’arrêt attaqué
18 Par requêtes déposées au greffe du Tribunal le 17 décembre 2008, TF1 et Métropole télévision (M6) ont introduit chacune un recours tendant à l’annulation de la décision litigieuse.
19 TF1 et M6 ont fait valoir deux moyens d’annulation dont le premier était tiré de la violation de l’obligation d’ouvrir la procédure formelle d’examen.
20 À l’appui de ce moyen, TF1 et M6 soutenaient que la décision litigieuse recélait un certain nombre d’inexactitudes et d’imprécisions qui révélaient que la Commission ne s’était pas suffisamment informée et n’avait pas suffisamment examiné les circonstances concrètes, tant économiques que juridiques, à l’origine de la perte des recettes publicitaires de France Télévisions. En conséquence, la Commission ne se serait pas mise en position de constater l’existence de difficultés sérieuses qui
auraient requis l’ouverture de la procédure formelle d’examen.
21 En effet, notamment, la perte des recettes publicitaires serait due non pas à l’annonce faite par le président de la République française le 8 janvier 2008, mais aux nouvelles conditions générales de vente des espaces publicitaires ainsi qu’aux conditions du marché de la vente desdits espaces existant dès avant cette annonce.
22 Par l’arrêt attaqué, le Tribunal a rejeté ledit recours.
23 En premier lieu, le Tribunal a relevé, aux points 66, 69 et 87 de l’arrêt attaqué, que le montant de la dotation, à savoir 150 millions d’euros, était très inférieur au montant total estimé des coûts nets supplémentaires qui s’élevait à 300 millions d’euros et, au point 67 de cet arrêt, que ce dernier montant n’était pas contesté par les parties. En outre, le Tribunal a constaté, aux points 82 à 86 dudit arrêt, que TF1 et M6 avaient connaissance, par d’autres moyens, du fait que les recettes
publicitaires de France Télévisions avaient chuté pendant le premier semestre de l’année 2008.
24 En second lieu, au point 95 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a estimé que la Commission était fondée à considérer qu’aucune baisse des charges commerciales en 2008 n’était envisageable alors que la baisse des recettes publicitaires était certaine, ce qui entraînait une baisse du bénéfice net. Le Tribunal en a déduit, au point 96 de cet arrêt, que la Commission avait donc pu justement en conclure que le déficit des recettes publicitaires pour l’année 2008 augmentait mécaniquement le coût net
du service public.
25 Le Tribunal a conclu que la Commission ne pouvait nourrir de doute quant au respect du critère de proportionnalité de l’aide en cause énoncé dans la communication sur la radiodiffusion.
26 Par ailleurs, le Tribunal a examiné les autres arguments de TF1 et de M6. Il a relevé, au point 102 de l’arrêt attaqué, que, quelle que soit la cause de la baisse des recettes publicitaires, celle-ci était réelle et que les besoins de programmation supplémentaire étaient également réels. Il a constaté, au point 107 de cet arrêt, que la dotation servait à financer la part des coûts de service public qui n’étaient plus financés par les recettes publicitaires et les coûts supplémentaires de
programmation.
27 Enfin, le Tribunal a envisagé, au point 110 de l’arrêt attaqué, l’hypothèse dans laquelle la preuve aurait été rapportée que des doutes sérieux existaient quant à la destination de la dotation et s’il avait fallu craindre qu’elle soit détournée de son objet et serve à subventionner l’activité commerciale de France Télévisions. Dans un tel cas, la Commission aurait dû ouvrir la procédure formelle d’examen.
28 Le Tribunal a cependant constaté, au point 113 de l’arrêt attaqué, que la Commission n’avait pas à nourrir de doutes sur l’affectation de la dotation. Le Tribunal a relevé, au point 114 de cet arrêt, qu’il ressortait clairement de la décision litigieuse que la dotation était destinée à être utilisée à des fins de service public, quelles que soient les modalités concrètes de son affectation dans les comptes de France Télévisions, et il a estimé, au point 116 dudit arrêt, que la Commission
avait pris toutes les précautions pour vérifier l’utilisation de la dotation.
Les conclusions des parties
29 Par son pourvoi, TF1, soutenue par Canal +, demande à la Cour:
– de déclarer le pourvoi recevable et fondé;
– d’annuler l’arrêt attaqué, et
– de condamner la Commission aux entiers dépens.
30 La Commission ainsi que la République française et France Télévisions concluent au rejet du pourvoi et à la condamnation de TF1 aux dépens.
Sur le pourvoi
31 En vertu de l’article 119 de son règlement de procédure, lorsque le pourvoi est, en tout ou en partie, manifestement irrecevable ou manifestement non fondé, la Cour peut, à tout moment, sur rapport du juge rapporteur, l’avocat général entendu, le rejeter par voie d’ordonnance motivée.
32 À l’appui de son pourvoi, TF1 soulève deux moyens. Le premier moyen est tiré de ce que le Tribunal aurait commis une erreur de droit dans l’application des règles relatives à la charge et à l’administration de la preuve. Le second moyen est tiré de ce que le Tribunal aurait commis une erreur de droit dans l’application de l’article 86, paragraphe 2, CE.
Sur le premier moyen
33 Selon TF1, soutenue par Canal +, lors de l’examen d’une aide, l’existence d’indices de difficultés sérieuses oblige la Commission à ouvrir la procédure formelle d’examen prévue à l’article 88, paragraphe 2, CE. Or, si la charge de la preuve de l’existence de difficultés sérieuses repose sur le requérant, la jurisprudence n’exigerait pas de lui la démonstration d’une erreur manifeste d’appréciation. Il pourrait rapporter cette preuve à partir d’un faisceau d’indices objectifs et concordants
(voir arrêt du Tribunal du 15 mars 2001, Prayon-Rupel/Commission, T-73/98, Rec. p. II-867). Le caractère insuffisant ou incomplet de l’examen effectué par la Commission lors de la première phase constituerait un indice de l’existence de difficultés sérieuses.
34 TF1 avait critiqué devant le Tribunal la motivation de la décision litigieuse sur l’absence de risque de subvention croisée au profit des activités commerciales de France Télévisions.
35 Le Tribunal a rejeté les arguments de TF1. En exigeant la preuve que des doutes sérieux existaient quant à la destination effective de la dotation et en ne se satisfaisant pas de la preuve que la dotation n’était pas formellement affectée, le Tribunal aurait donc demandé une preuve dépassant l’existence d’indices concordants. Par ailleurs, en exigeant la preuve de la destination effective de la dotation, le Tribunal aurait demandé une preuve que TF1 n’était pas en mesure de rapporter, car
cela supposait l’examen détaillé de la comptabilité de France Télévisions.
36 La Commission considère, à titre principal, que ce moyen est inopérant.
37 La Commission invoque le fait que le Tribunal a rejeté la critique de TF1 selon laquelle la Commission aurait dû se livrer à une analyse précise des produits et des charges de France Télévisions et aurait dû se donner les moyens de connaître la destination finale de la dotation. En effet, le Tribunal aurait considéré que la Commission avait appliqué le critère du paragraphe 57 de la communication sur la radiodiffusion en relevant que le montant de la dotation, à savoir 150 millions d’euros,
était très inférieur au montant des pertes de recettes publicitaires pour l’année 2008 et des besoins de programmation supplémentaire, estimés à 300 millions d’euros, que le critère de proportionnalité n’était pas mis en cause et qu’il n’était pas nécessaire de se livrer à une analyse minutieuse des produits et des charges. La Commission en déduit que la motivation critiquée par le premier moyen est surabondante.
38 Au surplus, la Commission considère que ce moyen n’est pas fondé.
39 La Commission rappelle que, s’agissant de l’argument relatif à l’exigence d’une preuve dépassant l’existence d’indices concordants, il résulte d’une jurisprudence constante que la charge de la preuve pour démontrer qu’elle aurait dû avoir des doutes quant à la compatibilité de l’aide avec le marché commun incomberait à la requérante qui doit apporter, au moins, un faisceau d’indices.
40 La Commission relève que, au point 110 de l’arrêt attaqué, le Tribunal n’a pas exigé que TF1 rapporte une quelconque preuve, mais s’est borné à envisager une situation hypothétique et a constaté que TF1 n’avait apporté aucun indice concret.
41 L’argument relatif à l’exigence d’une preuve que TF1 n’était pas en mesure de rapporter reposerait donc sur une dénaturation des termes de l’arrêt attaqué. Le Tribunal n’aurait nullement exigé de TF1 une analyse détaillée de la comptabilité de France Télévisions. En l’absence d’affectation formelle de la dotation, le Tribunal aurait considéré que la Commission disposait d’autres mécanismes pour vérifier l’absence de surcompensation des coûts de service public. TF1 n’ayant relevé que le fait
que la dotation n’était pas formellement affectée, cet élément ne permettait pas, à lui seul, de conclure à l’existence d’une surcompensation ou d’un subventionnement croisé des activités commerciales de France Télévisions.
42 La République française conclut également au rejet du premier moyen.
43 En premier lieu, elle considère que la jurisprudence relative à l’application de l’article 81 CE citée par TF1 n’est pas pertinente pour définir la notion de «faisceau d’indices concordants» employée par le Tribunal dans l’arrêt Prayon-Rupel/Commission, précité.
44 En deuxième lieu, cet État membre fait remarquer que la requérante n’a pas établi l’existence d’un faisceau d’indices, mais n’a invoqué l’existence que d’un seul indice, à savoir l’absence d’affectation formelle de la dotation.
45 En troisième lieu, le Tribunal aurait relevé que, eu égard aux précautions prises, la Commission n’avait aucune raison de craindre que la dotation soit utilisée à d’autres fins que le financement du service public. Le Tribunal aurait donc considéré que la Commission avait démontré l’absence de difficultés sérieuses. Il n’aurait donc pas écarté l’existence de telles difficultés en raison de l’absence de preuves.
46 France Télévisions conclut au rejet du premier moyen sur la base d’une argumentation analogue, en substance, à celle de la République française.
47 Il convient de rappeler que l’article 4 du règlement (CE) nº 659/1999 du Conseil, du 22 mars 1999, portant modalités d’application de l’article [88] du traité CE (JO L 83, p. 1), instaure une phase préliminaire d’examen des mesures d’aide notifiées qui a pour objet de permettre à la Commission de se former une première opinion sur la compatibilité avec le marché commun de la mesure en cause. À l’issue de cette phase, la Commission constate que cette mesure soit ne constitue pas une aide,
soit entre dans le champ d’application de l’article 87, paragraphe 1, CE. Dans cette dernière hypothèse, ladite mesure peut ne pas susciter de doutes quant à sa compatibilité avec le marché commun ou, au contraire, en susciter (arrêt du 24 mai 2011, Commission/Kronoply et Kronotex, C-83/09 P, non encore publié au Recueil, point 43).
48 Si la Commission constate, après l’examen préliminaire, que la mesure notifiée, pour autant qu’elle entre dans le champ d’application de l’article 87, paragraphe 1, CE, ne suscite pas de doutes quant à sa compatibilité avec le marché commun, elle adopte une décision de ne pas soulever d’objections au titre de l’article 4, paragraphe 3, du règlement n° 659/1999 (arrêt Commission/Kronoply et Kronotex, précité, point 44).
49 Lorsque la Commission adopte une décision de ne pas soulever d’objections, elle déclare non seulement la mesure compatible avec le marché commun, mais elle refuse également implicitement d’ouvrir la procédure formelle d’examen prévue à l’article 88, paragraphe 2, CE et à l’article 6, paragraphe 1, du règlement n° 659/1999 (arrêt Commission/Kronoply et Kronotex, précité, point 45).
50 Si la Commission constate, après l’examen préliminaire, que la mesure notifiée suscite des doutes quant à sa compatibilité avec le marché commun, elle est tenue d’adopter, sur le fondement de l’article 4, paragraphe 4, du règlement n° 659/1999, une décision d’ouverture de la procédure formelle d’examen prévue à l’article 88, paragraphe 2, CE et à l’article 6, paragraphe 1, dudit règlement (arrêt Commission/Kronoply et Kronotex, précité, point 46).
51 En l’espèce, la décision litigieuse est une décision de ne pas soulever d’objections fondée sur l’article 4, paragraphe 3, du règlement n° 659/1999. La légalité de cette décision dépend donc du point de savoir s’il existe des doutes quant à la compatibilité de l’aide en cause avec le marché commun.
52 Or, lorsqu’un requérant demande l’annulation d’une décision de ne pas soulever d’objections, il doit apporter la preuve de l’existence de doutes sur cette compatibilité (arrêt Commission/Kronoply et Kronotex, précité, point 59). Cette preuve peut être rapportée à partir d’un faisceau d’indices concordants, l’existence d’un doute devant être recherchée tant dans les circonstances d’adoption de la décision de ne pas soulever d’objections que dans son contenu, d’une manière objective, en
mettant en rapport les motifs de ladite décision avec les éléments dont la Commission disposait lorsqu’elle s’est prononcée sur la compatibilité de l’aide en cause avec le marché commun (voir, en ce sens, arrêts du 19 mai 1993, Cook/Commission, C‑198/91, Rec. p. I‑2487, points 30 et 31, ainsi que du 2 avril 2009, Bouygues et Bouygues Télécom/Commission, C‑431/07 P, Rec. p. I‑2665, point 63).
53 En l’espèce, par son premier moyen, TF1 reproche au Tribunal d’avoir méconnu ces principes en matière de preuve. Elle soutient que le Tribunal, en exigeant, au point 110 de l’arrêt attaqué, la preuve de doutes sérieux quant à la destination effective de la dotation, aurait exigé plus qu’un faisceau d’indices concordants afin d’établir l’existence de doutes justifiant l’ouverture de la procédure formelle d’examen.
54 Certes, le point 110 de l’arrêt attaqué, selon lequel toute autre aurait été la situation si TF1 et M6 avaient rapporté la preuve que des doutes sérieux existaient quant à la destination de la dotation, est formulé dans des termes pouvant être compris comme imposant un niveau de preuve allant au-delà du faisceau d’indices concordants quant à l’existence d’un doute sur la compatibilité de l’aide en cause.
55 Néanmoins, il ressort d’une lecture d’ensemble des motifs de l’arrêt attaqué que le Tribunal n’a pas considéré que TF1 a omis de rapporter à suffisance de droit la preuve de circonstances justifiant l’ouverture de la procédure formelle d’examen. Le Tribunal s’est, au contraire, attaché à démontrer que la compatibilité de l’aide en cause ne suscitait aucun doute de nature à justifier l’ouverture d’une telle procédure. Ainsi, le Tribunal a exposé, aux points 66 à 99 de l’arrêt attaqué, que le
montant de la dotation constituant l’aide en cause est très inférieur au montant total estimé des coûts nets supplémentaires de service public découlant de la diminution des recettes publicitaires, de telle sorte que la Commission ne pouvait nourrir aucun doute quant à la proportionnalité de la mesure en cause.
56 En outre, le Tribunal a rejeté l’argumentation de TF1 selon laquelle la dotation aurait dissimulé une aide au fonctionnement visant à libérer France Télévisions des coûts qu’elle aurait normalement dû supporter dans le cadre de la gestion courante ou de ses activités normales. Le Tribunal a, en effet, considéré, aux points 103 à 109 et 114 à 116 de l’arrêt attaqué, que la dotation n’était nullement destinée au financement de l’activité commerciale de vente d’espaces publicitaires, mais
était, au contraire, explicitement et exclusivement destinée à couvrir les coûts du service public de la radiodiffusion et que la Commission s’était donné les moyens de contrôler l’utilisation de la dotation.
57 Il ressort donc des motifs de l’arrêt attaqué que le Tribunal n’a pas méconnu les règles relatives à la charge et à l’étendue de la preuve qui viennent d’être rappelées. Le premier moyen repose donc sur une lecture manifestement erronée de cet arrêt.
58 Il s’ensuit qu’il convient de rejeter le premier moyen comme manifestement non fondé.
Sur le second moyen
59 Par son second moyen, TF1, soutenue par Canal +, fait valoir que le Tribunal a commis une erreur de droit dans l’application de l’article 86, paragraphe 2, CE en jugeant que les baisses de recettes publicitaires de France Télévisions, même causées par des erreurs de gestion, pouvaient être compensées par des aides d’État lorsqu’il a précisé, au point 141 de l’arrêt attaqué, que l’efficacité économique est dépourvue de pertinence pour l’appréciation de la compatibilité de la dotation avec le
marché commun, en vertu de ladite disposition.
60 À cet égard, il convient de relever que le Tribunal, au point 118 de l’arrêt attaqué, est parvenu à la conclusion selon laquelle c’est à tort que TF1 et M6, motif pris d’une prétendue inefficacité économique de France Télévisions dans l’exercice d’une activité commerciale ne relevant pas du service public, s’opposent à la dotation, alors même qu’aucune raison ne justifiait de craindre un subventionnement croisé de cette activité commerciale par celle-ci. Le Tribunal a ensuite examiné, à
titre subsidiaire, plusieurs arguments développés par TF1 et M6.
61 Ainsi, au point 132 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a répondu à l’argument soulevé par M6 lors de l’audience devant cette juridiction selon lequel l’article 86, paragraphe 2, CE comporterait une condition d’efficacité économique dans la fourniture du service public. Le Tribunal a jugé, premièrement, que cette prétention était dépourvue d’objet et, deuxièmement, qu’elle était, en tout état de cause inexacte.
62 TF1 conteste uniquement cette dernière appréciation. Or, celle-ci revêt un caractère surabondant par rapport aux motifs exposés aux points 133 à 135 de l’arrêt attaqué par lesquels le Tribunal a constaté que l’efficacité économique de France Télévisions dans la fourniture du service d’intérêt économique général de la radiodiffusion n’a pas été mise en cause ni même évoquée dans le cadre des recours dont il était saisi, ceux-ci visant exclusivement l’efficacité économique de France
Télévisions dans l’exercice de son activité commerciale de vente d’espaces publicitaires.
63 Le second moyen étant dirigé contre un motif surabondant de l’arrêt attaqué, il doit être rejeté comme inopérant.
64 Il résulte de l’ensemble des considérations qui précèdent que le pourvoi doit être rejeté dans son intégralité comme étant manifestement non fondé.
Sur les dépens
65 Aux termes de l’article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 118 du même règlement, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.
66 La Commission et France Télévisions ayant conclu à la condamnation de TF1 et cette dernière ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens.
67 Canal + ayant succombé en ses moyens, elle supporte ses propres dépens.
68 En vertu de l’article 69, paragraphe 4, du règlement de procédure, également applicable en vertu de l’article 118 de celui-ci, les États membres qui sont intervenus au litige supportent leurs propres dépens. Dès lors, il y a lieu de décider que la République française supporte ses propres dépens.
Par ces motifs, la Cour (sixième chambre) ordonne:
1) Le pourvoi est rejeté.
2) Télévision française 1 SA (TF1) est condamnée aux dépens.
3) Canal + et la République française supportent leurs propres dépens.
Signatures
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* Langue de procédure: le français.