CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL
M. YVES BOT
présentées le 3 septembre 2009 ( 1 )
Affaire C-341/08
Domnica Petersen
contre
Berufungsausschuss für Zahnärzte für den Bezirk Westfalen-Lippe
«Directive 2000/78/CE — Articles 2, paragraphe 5, et 6, paragraphe 1 — Interdiction des discriminations fondées sur l’âge — Disposition nationale fixant à 68 ans l’âge maximal pour l’exercice de la profession de dentiste conventionné — Objectif poursuivi — Notion de ‘mesure nécessaire à la protection de la santé’ — Cohérence — Caractère apte et approprié de la mesure»
1. Par le présent renvoi préjudiciel, le Sozialgericht Dortmund (Allemagne) cherche à savoir si la directive 2000/78/CE du Conseil, du 27 novembre 2000, portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail ( 2 ), doit être interprétée en ce sens qu’elle s’oppose à une réglementation nationale en vertu de laquelle l’autorisation d’exercer l’activité de dentiste conventionné expire à l’issue du trimestre au cours duquel le dentiste conventionné
atteint l’âge de 68 ans.
2. La particularité de cette affaire est que, dans ses questions, la juridiction de renvoi envisage la justification de cette réglementation uniquement au regard de l’objectif visant à protéger la santé des patients relevant du régime légal d’assurance maladie, sous l’angle du maintien d’un service médical de qualité en raison de la présomption d’une baisse des performances des dentistes conventionnés ayant atteint l’âge de 68 ans.
3. Dans les présentes conclusions, nous expliquerons pourquoi il convient, selon nous, de ne pas limiter l’examen de ladite réglementation au regard de ce seul aspect de l’objectif de protection de la santé publique. Nous démontrerons que, eu égard au contexte général de la réglementation nationale en cause au principal, la justification de celle-ci doit être prioritairement évaluée au regard des deux objectifs principaux qu’elle poursuit, à savoir, d’une part, l’objectif visant à préserver
l’équilibre financier du régime légal d’assurance maladie et, d’autre part, celui qui tend à garantir les possibilités pour les nouvelles générations d’exercer l’activité de dentiste conventionné.
4. C’est sur la base de ces deux objectifs que nous considérerons que les articles 2, paragraphes 2, sous a), et 5, ainsi que 6, paragraphe 1, de la directive 2000/78 doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à une telle réglementation nationale.
I — Le cadre juridique
A — La directive 2000/78
5. Aux termes de l’article 1er de la directive 2000/78, celle-ci «a pour objet d’établir un cadre général pour lutter contre la discrimination fondée sur la religion ou les convictions, [le] handicap, l’âge ou l’orientation sexuelle, en ce qui concerne l’emploi et le travail, en vue de mettre en œuvre, dans les États membres, le principe de l’égalité de traitement».
6. L’article 2 de cette directive énonce:
«1. Aux fins de la présente directive, on entend par ‘principe de l’égalité de traitement’ l’absence de toute discrimination directe ou indirecte, fondée sur un des motifs visés à l’article 1er.
2. Aux fins du paragraphe 1:
a) une discrimination directe se produit lorsqu’une personne est traitée de manière moins favorable qu’une autre ne l’est, ne l’a été ou ne le serait dans une situation comparable, sur la base de l’un des motifs visés à l’article 1er;
[…]
5. La présente directive ne porte pas atteinte aux mesures prévues par la législation nationale qui, dans une société démocratique, sont nécessaires à la sécurité publique, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé et à la protection des droits et libertés d’autrui.»
7. L’article 3 de ladite directive, intitulé «Champ d’application», précise à son paragraphe 1:
«Dans les limites des compétences conférées à la Communauté, la présente directive s’applique à toutes les personnes, tant pour le secteur public que pour le secteur privé, y compris les organismes publics, en ce qui concerne:
a) les conditions d’accès à l’emploi, aux activités non salariées ou au travail, y compris les critères de sélection et les conditions de recrutement, quelle que soit la branche d’activité et à tous les niveaux de la hiérarchie professionnelle, y compris en matière de promotion;
[…]
c) les conditions d’emploi et de travail, y compris les conditions de licenciement et de rémunération;
[…]»
8. L’article 4 de la directive 2000/78, intitulé «Exigences professionnelles», dispose à son paragraphe 1:
«Nonobstant l’article 2, paragraphes 1 et 2, les États membres peuvent prévoir qu’une différence de traitement fondée sur une caractéristique liée à l’un des motifs visés à l’article 1er ne constitue pas une discrimination lorsque, en raison de la nature d’une activité professionnelle ou des conditions de son exercice, la caractéristique en cause constitue une exigence professionnelle essentielle et déterminante, pour autant que l’objectif soit légitime et que l’exigence soit proportionnée.»
9. L’article 6 de cette directive, intitulé «Justification des différences de traitement fondées sur l’âge», prévoit à son paragraphe 1:
«Nonobstant l’article 2, paragraphe 2, les États membres peuvent prévoir que des différences de traitement fondées sur l’âge ne constituent pas une discrimination lorsqu’elles sont objectivement et raisonnablement justifiées, dans le cadre du droit national, par un objectif légitime, notamment par des objectifs légitimes de politique de l’emploi, du marché du travail et de la formation professionnelle, et que les moyens de réaliser cet objectif sont appropriés et nécessaires.
Ces différences de traitement peuvent notamment comprendre:
a) la mise en place de conditions spéciales d’accès à l’emploi et à la formation professionnelle, d’emploi et de travail, y compris les conditions de licenciement et de rémunération, pour les jeunes, les travailleurs âgés et ceux ayant des personnes à charge, en vue de favoriser leur insertion professionnelle ou d’assurer leur protection;
b) la fixation de conditions minimales d’âge, d’expérience professionnelle ou d’ancienneté dans l’emploi, pour l’accès à l’emploi ou à certains avantages liés à l’emploi;
c) la fixation d’un âge maximum pour le recrutement, fondée sur la formation requise pour le poste concerné ou la nécessité d’une période d’emploi raisonnable avant la retraite.»
B — Le droit national
10. La loi sur la garantie et l’amélioration des structures du régime légal d’assurance maladie (Gesetz zur Sicherung und Strukturverbesserung der gesetzlichen Krankenversicherung), du 21 décembre 1992 ( 3 ), a introduit une limite d’âge maximale applicable aux médecins conventionnés qui figure, depuis le , à l’article 95, paragraphe 7, troisième phrase, du livre V du code de la sécurité sociale (Sozialgesetzbuch) ( 4 ).
11. Cet article prévoit que, à compter du 1er janvier 1999, l’autorisation d’exercer l’activité de médecin conventionné expire à l’issue du trimestre au cours duquel le médecin conventionné atteint l’âge de 68 ans. Conformément à l’article 72, paragraphe 1, deuxième phrase, du SGB V, cette disposition s’applique par analogie aux dentistes.
12. L’exposé des motifs du GSG 1993 est libellé comme suit:
«Le développement du nombre de médecins conventionnés constitue l’une des causes essentielles des augmentations excessives des dépenses du régime légal d’assurance maladie. Compte tenu de la croissance constante du nombre de médecins conventionnés, il apparaît nécessaire de limiter le nombre de médecins conventionnés. L’excès de l’offre ne peut pas seulement être maîtrisé par des limitations d’autorisation et donc en défaveur de la jeune génération de médecins. L’introduction d’une limite d’âge
contraignante pour les médecins conventionnés est également nécessaire à cette fin.»
13. Par la suite, le législateur allemand a abrogé la disposition du SGB V qui limitait les autorisations en fonction des besoins, avec effet au 1er janvier 2007.
14. En outre, avec la loi de renforcement de la concurrence dans le domaine du régime légal d’assurance maladie (Gesetz zur Stärkung des Wettbewerbs in der gesetzlichen Krankenversicherung), du 26 mars 2007, le législateur allemand a supprimé l’ensemble des restrictions à l’autorisation pour les dentistes conventionnés au , au motif, en particulier, que le problème de la surmédicalisation ne se pose pas de la même manière dans le domaine des soins dentaires conventionnés que dans celui des soins
médicaux conventionnés. Cependant, la limite d’âge de 68 ans a été maintenue.
15. La directive 2000/78 a été transposée par la loi de transposition des directives européennes pour la mise en œuvre du principe d’égalité de traitement (Gesetz zur Umsetzung europäischer Richtlinien zur Verwirklichung des Grundsatzes der Gleichbehandlung), du 14 août 2006, entrée en vigueur le . L’article 1er de cette loi contient la loi générale sur l’égalité de traitement (Allgemeines Gleichbehandlungsgesetz) ( 5 ). Cette loi n’a pas supprimé ou modifié la limite d’âge prévue à l’article 95,
paragraphe 7, troisième phrase, du SGB V.
II — Le litige au principal et les questions préjudicielles
16. Mme Petersen, née le 24 avril 1939, a atteint l’âge de 68 ans au mois d’avril 2007. Elle était autorisée à dispenser des soins dentaires conventionnés depuis le .
17. Par décision du 25 avril 2007, la commission d’autorisation des dentistes de l’arrondissement de Westfalen-Lippe a constaté que cette autorisation expirait le .
18. Mme Petersen a introduit une réclamation contre cette décision en exposant, notamment, qu’elle était contraire à la directive 2000/78 et à la loi allemande transposant cette directive. Elle a parallèlement demandé par voie de référé l’application de mesures provisoires l’autorisant à exercer en tant que dentiste conventionné pour une période d’au moins deux années supplémentaires. Cette demande n’a toutefois été accueillie ni en première instance ni en appel.
19. Sa réclamation ayant, par ailleurs, été examinée et rejetée par le Berufungsausschuss für Zahnärzte für den Bezirk Westfalen-Lippe, Mme Petersen a introduit un recours contre cette décision de rejet devant le Sozialgericht Dortmund.
20. Cette juridiction expose que le rejet de la réclamation formulée par Mme Petersen est légal au regard du droit national, car la loi allemande transposant la directive 2000/78 n’a pas un rang supérieur à la loi imposant la limite d’âge et ne rend donc pas cette dernière invalide. La constitutionnalité de cette limite d’âge a également été examinée par le Bundesverfassungsgericht.
21. Par un arrêt du 7 août 2007, ce dernier a ainsi jugé que la limite d’âge en question n’est pas contraire à la Constitution allemande. Elle se justifie par la nécessité de protéger les assurés au regard des risques présentés par les dentistes conventionnés âgés dont les performances ne sont plus optimales. Selon le Bundesverfassungsgericht, l’expérience générale montrerait que le risque de diminution des performances augmente avec l’âge. Il a considéré que, dans le cadre de la marge
d’appréciation dont il dispose, le législateur allemand n’avait pas pour seule option de prévoir, pour les cas spécifiques, un examen individuel permettant de s’assurer des performances physiques et mentales du médecin conventionné à partir de l’âge de 68 ans révolus. Au contraire, ce législateur peut adopter une réglementation générale fondée sur des données liées à l’expérience. Le Bundesverfassungsgericht a également jugé sans pertinence l’absence de mention de la protection de la santé des
assurés dans l’exposé des motifs de la loi. En effet, selon lui, la constitutionnalité d’une disposition légale doit être examinée en tenant compte de tous les aspects, même s’ils ne se retrouvent pas dans l’exposé des motifs de la loi.
22. La juridiction de renvoi se demande toutefois si cette analyse vaut aussi au regard de la directive 2000/78. Elle estime, en effet, qu’il existe des doutes sérieux concernant la compatibilité de l’article 95, paragraphe 7, troisième phrase, du SGB V avec cette directive.
23. Après avoir démontré que, à son avis, la directive 2000/78 est applicable et que la limite d’âge de 68 ans constitue une discrimination directe liée à l’âge au sens de l’article 2, paragraphe 2, sous a), de cette directive, la juridiction de renvoi considère que ni l’article 2, paragraphe 5, ni l’article 4, paragraphe 1, de ladite directive ne permettent de justifier cette limite d’âge.
24. Selon l’article 2, paragraphe 5, de la directive 2000/78, cette dernière ne porte pas atteinte aux mesures législatives nationales nécessaires à la protection de la santé. Le législateur n’ayant pas adopté la limite d’âge dans cette optique, cette disposition ne serait pas pertinente.
25. En vertu de l’article 4, paragraphe 1, de cette directive, une différence de traitement en fonction de l’âge pourrait ne pas constituer une discrimination contraire à ladite directive si elle constituait une exigence essentielle et déterminante de l’activité professionnelle en cause. Toutefois, la limite d’âge en question souffre de quatre exceptions qui rendent impossible, selon la juridiction de renvoi, l’application de cette disposition, à savoir:
— si l’intéressé a exercé pendant une période de moins de 20 ans en tant que médecin (dentiste) conventionné alors qu’il atteint l’âge de 68 ans révolus et s’il était déjà autorisé en tant que médecin (dentiste) conventionné avant le 1er janvier 1993, la commission compétente prolonge l’autorisation, au plus jusqu’à l’expiration de cette période de 20 ans;
— si un déficit médical est apparu ou est imminent dans certaines zones de la région d’autorisation, la limite d’âge n’est pas applicable;
— en cas de maladie, de congés ou de participation à des formations, le médecin (dentiste) conventionné peut se faire remplacer par un médecin (dentiste) qui n’est plus autorisé en tant que médecin (dentiste) conventionné en raison de la limite d’âge, et
— les dentistes peuvent, en tout état de cause, continuer d’exercer leur activité au-delà de l’âge de 68 ans en dehors du régime de conventionnement.
26. La juridiction de renvoi exprime également des doutes quant au point de savoir si la limite d’âge prévue à l’article 95, paragraphe 7, troisième phrase, du SGB V est ou non couverte par l’article 6, paragraphe 1, de la directive 2000/78. Selon elle, la réponse à cette question dépend de l’interprétation de la notion d’«objectif légitime» ainsi que des termes «appropriés» et «nécessaires» figurant à cet article 6, paragraphe 1.
27. La juridiction de renvoi estime que les objectifs poursuivis par le législateur allemand avec l’introduction de l’article 95, paragraphe 7, troisième phrase, du SGB V, à savoir garantir le financement du régime légal d’assurance maladie et assurer une répartition équilibrée des charges entre les générations, constituent des «objectifs légitimes» au sens de l’article 6, paragraphe 1, de la directive 2000/78. Toutefois, en ce qui concerne les dentistes conventionnés, cette limite d’âge ne serait
pas ou plus nécessaire pour atteindre ces objectifs. La juridiction de renvoi relève, à cet égard, que la loi de renforcement de la concurrence dans le domaine du régime légal d’assurance maladie du 26 mars 2007 a supprimé l’ensemble des restrictions à l’autorisation pour les dentistes conventionnés, avec effet au , le législateur allemand ayant considéré que le problème de la surmédicalisation ne se posait pas de la même manière dans le domaine des soins dentaires conventionnés que dans celui
des soins médicaux conventionnés.
28. Par ailleurs, selon cette juridiction, la protection de la santé des assurés constitue, en principe, un «objectif légitime» au sens de l’article 6, paragraphe 1, de la directive 2000/78. Elle relève, cependant, que cet objectif n’a, en réalité, aucunement motivé le législateur allemand à introduire l’article 95, paragraphe 7, troisième phrase, du SGB V. Il serait manifeste que, en l’absence de situation financière déficitaire du régime légal d’assurance maladie et donc de nécessité de limiter
les autorisations, aucune expiration de l’autorisation liée à l’âge n’aurait été introduite. Il n’existerait aucun élément démontrant que, dans sa volonté d’organisation, le législateur allemand aurait par la suite pris en compte l’aspect relatif à la protection de la santé des assurés en liaison avec la limite d’âge en question. Dès lors, la juridiction de renvoi doute que la protection de la santé des assurés puisse constituer un objectif légitime dans la présente affaire.
29. Elle doute également que la limite d’âge instaurée par l’article 95, paragraphe 7, troisième phrase, du SGB V soit appropriée et nécessaire à la protection de la santé des assurés. Elle se demande si des moyens moins contraignants ne seraient pas envisageables, notamment en permettant, sur demande, une prolongation temporaire de l’autorisation à l’issue d’un examen individuel des performances. L’impact de la limite d’âge serait, en effet, très pénalisant pour les dentistes conventionnés
souhaitant poursuivre leur activité au-delà de cette limite, étant donné que 90% de la population est assurée par le régime légal d’assurance maladie.
30. C’est à la lumière de ces réflexions que le Sozialgericht Dortmund a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:
«1) La fixation par la loi d’un âge maximal pour l’autorisation d’exercer une profession (en l’espèce, l’activité de dentiste conventionné) au sens de l’article 6 de la directive 2000/78 peut-elle constituer une mesure objective et raisonnable de protection d’un intérêt légitime (en l’espèce, la santé des patients bénéficiant du régime légal d’assurance maladie) et un moyen approprié et nécessaire pour atteindre cet objectif lorsqu’elle est exclusivement fondée sur une supposition résultant de
l’‘expérience générale’ selon laquelle une baisse générale des performances se produit à partir d’un certain âge, sans qu’il puisse être tenu compte, dans ce cadre, des capacités individuelles réelles de l’intéressé?
2) En cas de réponse affirmative à la première question, l’existence d’un objectif légitime (de la loi) au sens de l’article 6 de la directive 2000/78 (en l’espèce, la protection de la santé des patients bénéficiant du régime légal d’assurance maladie) peut-elle également être admise lorsque cet objectif n’a présenté aucune importance pour le législateur national dans le cadre de l’exercice de sa compétence législative?
3) En cas de réponse négative à la première ou à la deuxième question, une loi adoptée avant la directive 2000/78, qui n’est pas compatible avec cette dernière, peut-elle également être ignorée, en vertu de la primauté du droit communautaire, lorsque le droit national transposant la directive (en l’espèce, la loi générale sur l’égalité de traitement) ne prévoit pas une telle conséquence juridique en cas de violation de l’interdiction de la discrimination?»
III — Analyse
A — Sur la recevabilité de la demande de décision préjudicielle
31. Le gouvernement allemand estime que la demande de décision préjudicielle est irrecevable. Dans ses observations écrites, ce gouvernement fait valoir que la disposition litigieuse devait être supprimée par l’article 1er, point 1, sous i), de la loi sur l’évolution des structures organisationnelles de l’assurance maladie légale (Gesetz zur Weiterentwicklung der Organisationsstrukturen in der gesetzlichen Krankenversicherung), avec effet rétroactif au 1er octobre 2008. Selon ledit gouvernement,
cette loi devait faire l’objet d’une promulgation prochaine donnant à Mme Petersen la possibilité d’obtenir, indépendamment de la décision de la Cour, une autorisation d’exercer. Par conséquent, l’arrêt de la Cour ne serait pas nécessaire à la résolution du litige au principal.
32. Cette argumentation ne nous paraît pas pertinente. Quelle que soit la modification ultérieure du droit national, une réponse de la Cour aux questions posées par la juridiction de renvoi est, en effet, déterminante pour l’issue du litige au principal, en particulier pour que cette juridiction soit en mesure de décider si c’est à bon droit que la réclamation de la requérante a été rejetée par le Berufungsausschuss für Zahnärzte für den Bezirk Westfalen-Lippe et que celle-ci a été privée de la
possibilité d’exercer l’activité de dentiste conventionné après le 30 juin 2007.
B — Sur les première et deuxième questions
33. Nous examinerons ensemble les première et deuxième questions. Par ces questions, la juridiction de renvoi cherche, en substance, à savoir si la directive 2000/78 doit être interprétée en ce sens qu’elle s’oppose à une réglementation nationale en vertu de laquelle l’autorisation d’exercer l’activité de dentiste conventionné expire à l’issue du trimestre au cours duquel le dentiste conventionné atteint l’âge de 68 ans. Elle s’interroge également sur la méthode permettant d’identifier l’objectif au
regard duquel doit être évaluée la justification d’une différence de traitement liée à l’âge.
34. Nous commencerons par vérifier si la réglementation nationale en cause entre bien dans le champ d’application de la directive 2000/78.
35. Il ressort tant de l’intitulé et du préambule que du contenu et de la finalité de la directive 2000/78 que celle-ci vise à établir un cadre général pour assurer à toute personne l’égalité de traitement «en matière d’emploi et de travail», en lui offrant une protection efficace contre les discriminations fondées sur l’un des motifs visés à son article 1er, au nombre desquels figure l’âge. Plus particulièrement, il découle de l’article 3, paragraphe 1, sous a) et c), de la directive 2000/78 que
celle-ci s’applique, dans le cadre des compétences dévolues à la Communauté, «à toutes les personnes, tant pour le secteur public que pour le secteur privé, y compris les organismes publics», en ce qui concerne, d’une part, «les conditions d’accès à l’emploi, aux activités non salariées ou au travail, y compris les critères de sélection et les conditions de recrutement, quelle que soit la branche d’activité et à tous les niveaux de la hiérarchie professionnelle» et, d’autre part, «les conditions
d’emploi et de travail, y compris les conditions de licenciement et de rémunération».
36. Les dentistes conventionnés fournissent des soins dans le cadre du régime légal d’assurance maladie. L’article 95, paragraphe 7, troisième phrase, du SGB V contraint ces dentistes à arrêter la fourniture de soins conventionnés dès qu’ils atteignent l’âge de 68 ans, ce qui a pour effet d’affecter l’exercice de leur activité professionnelle. De plus, l’instauration d’une telle limite d’âge peut avoir pour conséquence de mettre fin à leur activité professionnelle pour cause de manque de
rentabilité, dans la mesure où, comme l’indique la juridiction de renvoi, environ 90% de la population est assurée par le régime légal d’assurance maladie. Après l’âge de 68 ans, les dentistes n’ont ainsi plus accès à l’activité de dentiste conventionné et ils se trouvent, de manière plus générale, affectés dans l’exercice de leur activité professionnelle de dentiste. Cette réglementation nationale concerne donc, selon nous, les «conditions d’accès à l’emploi, aux activités non salariées ou au
travail» au sens de l’article 3, paragraphe 1, sous a), de la directive 2000/78, ainsi que les «conditions d’emploi et de travail» au sens de l’article 3, paragraphe 1, sous c), de cette même directive. Il y a dès lors lieu de considérer qu’une réglementation nationale de cette nature relève du champ d’application de ladite directive.
37. L’article 2, paragraphe 1, de la directive 2000/78 définit le «principe de l’égalité de traitement» qu’elle vise à mettre en œuvre comme étant l’«absence de toute discrimination directe ou indirecte, fondée sur un des motifs visés à l’article 1er [de cette directive]». L’article 2, paragraphe 2, sous a), de celle-ci précise que, pour les besoins de l’application de son paragraphe 1, une discrimination directe se produit lorsqu’une personne est traitée de manière moins favorable qu’une autre se
trouvant dans une situation comparable, sur la base de l’un des motifs visés à l’article 1er de la même directive.
38. Or, une réglementation nationale telle que celle en cause au principal réserve un traitement moins favorable aux dentistes conventionnés ayant atteint l’âge de 68 ans par rapport à ceux qui n’ont pas encore atteint cet âge. Une telle réglementation instaure donc une différence de traitement directement fondée sur l’âge qui est, en principe, prohibée par l’article 2, paragraphe 2, sous a), de la directive 2000/78.
39. Encore faut-il vérifier si une telle différence de traitement peut être justifiée. Il importe, à cet égard, de déterminer l’angle sous lequel il convient d’examiner cette justification.
40. Dans ses deux premières questions, la juridiction de renvoi met uniquement l’accent sur l’objectif visant à protéger la santé des patients relevant du régime légal d’assurance maladie, sous l’angle du maintien d’un service médical de qualité en raison de la présomption d’une baisse des performances des dentistes conventionnés ayant atteint l’âge de 68 ans. Le libellé même de ces deux questions ainsi que les explications fournies par cette juridiction dans sa décision de renvoi font toutefois
apparaître qu’elle doute de la pertinence de cet objectif en vue de justifier la limite d’âge prévue à l’article 95, paragraphe 7, troisième phrase, du SGB V ( 6 ).
41. Lors de l’audience, le gouvernement allemand a tenté de justifier cette disposition principalement au regard de deux objectifs, à savoir, d’une part, l’objectif consistant à préserver l’équilibre financier du régime légal d’assurance maladie et, d’autre part, celui tendant à garantir les possibilités pour les nouvelles générations d’exercer l’activité de dentiste conventionné. Ce gouvernement a explicitement indiqué qu’il n’examinerait qu’à la marge l’objectif de protection de la santé des
patients relevant du régime légal d’assurance maladie.
42. Cette prise de position renforce notre conviction que ce dernier objectif présente un caractère secondaire par rapport aux deux objectifs principaux poursuivis par l’article 95, paragraphe 7, troisième phrase, du SGB V.
43. L’examen du contexte général qui entoure cet article confirme cette opinion. Nous rappelons, à cet égard, que la Cour a précisé, dans ses arrêts du 16 octobre 2007, Palacios de la Villa ( 7 ), et du , Age Concern England ( 8 ), la marche à suivre pour identifier le ou les objectifs pouvant être pris en compte en vue de justifier une différence de traitement fondée sur l’âge. Il résulte de ces arrêts que, à défaut de précision de la réglementation nationale quant aux objectifs qu’elle poursuit,
il importe que d’autres éléments, tirés du contexte général de la mesure concernée, permettent l’identification de l’objectif sous-tendant cette dernière aux fins de l’exercice d’un contrôle juridictionnel quant à sa légitimité ainsi qu’en ce qui concerne le caractère approprié et nécessaire des moyens mis en œuvre pour réaliser cet objectif ( 9 ).
44. À la lumière de ces considérations, force est de constater que l’examen de l’article 95, paragraphe 7, troisième phrase, du SGB V et de la réglementation nationale dans laquelle cet article est inséré ne fait pas expressément apparaître que la limite d’âge en question a été instaurée puis maintenue en partant de la présomption selon laquelle à partir de 68 ans la qualité des soins fournis par les dentistes conventionnés diminue. Cet aspect n’est donc pas celui qui a été mis en avant pour motiver
l’instauration de la limite d’âge de 68 ans.
45. Le contexte général de cette réglementation nationale ne permet pas non plus, à notre avis, de considérer que c’est la présomption d’une baisse des performances des dentistes conventionnés ayant atteint l’âge de 68 ans qui est déterminante pour expliquer le maintien d’une telle limite d’âge. Il faut, en effet, rappeler que la loi allemande qui a initialement instauré cette limite d’âge avait pour objet la garantie et l’amélioration des structures du régime légal d’assurance maladie afin
d’assurer le financement de celui-ci, et que ladite limite figure désormais dans le code de la sécurité sociale. C’est donc l’aspect de la protection de la santé relatif à l’équilibre financier du régime légal d’assurance maladie qui ressort de l’examen du contexte général de ladite réglementation, et non celui relatif à une diminution du niveau de qualité des soins dentaires dès lors qu’ils sont fournis par des dentistes conventionnés âgés de plus de 68 ans. Par ailleurs, il ressort de manière
explicite des motifs du GSG 1993 que l’introduction d’une limite d’âge pour l’exercice de l’activité de médecin conventionné a été conçue par le législateur allemand comme un instrument destiné à maîtriser l’augmentation des dépenses de santé liée à l’excès de l’offre de soins médicaux dans le cadre du régime légal d’assurance maladie.
46. Lors de l’audience, le gouvernement allemand a bien expliqué pourquoi l’objectif visant à préserver l’équilibre financier du régime légal d’assurance maladie était toujours valable, même après la suppression, à compter du 1er avril 2007, des restrictions posées à l’octroi de l’autorisation d’exercer en tant que dentiste conventionné. Il a indiqué que, en vue de limiter les dépenses de santé dans le cadre du régime légal d’assurance maladie, le législateur allemand avait estimé nécessaire de
réduire le nombre de médecins conventionnés, en partant du postulat d’une demande induite par l’offre. Dans cette perspective, des restrictions à l’autorisation d’exercer en tant que médecin conventionné avaient été mises en place, mais il ne s’agissait pas là des seuls instruments destinés à lutter contre l’augmentation des dépenses de santé. La limite d’âge de 68 ans figurait également parmi ces instruments ( 10 ). Lorsque le législateur allemand a estimé, en 2007, que le problème de la
surmédicalisation ne se posait pas de la même manière dans le domaine d’activité des dentistes conventionnés que dans celui des médecins conventionnés, il a décidé de supprimer les restrictions à l’autorisation pour les dentistes conventionnés et d’engager une phase d’observation pouvant éventuellement aboutir à la suppression de l’ensemble des mesures de régulation préalablement mises en place à l’égard de ces derniers. Le législateur allemand n’a cependant pas souhaité abandonner simultanément
tous les leviers destinés à contenir l’augmentation des dépenses de santé. Il a voulu maintenir, à titre transitoire, l’un de ces leviers, à savoir la limite d’âge de 68 ans, en se réservant la possibilité de le supprimer par la suite en fonction de l’évolution des dépenses de santé relatives aux soins dentaires fournis dans le cadre du régime légal d’assurance maladie.
47. Ces éléments démontrent, à notre avis, que l’objectif visant à garantir l’équilibre financier du régime légal d’assurance maladie fait partie de ceux que poursuit la limite d’âge de 68 ans prévue à l’article 95, paragraphe 7, troisième phrase, du SGB V.
48. Par ailleurs, il ressort clairement des motifs du GSG 1993 que l’instauration de la limite d’âge de 68 ans constitue également une mesure d’équité entre les générations visant à éviter que la jeune génération de dentistes soit la seule à supporter les inconvénients liés à la mise en œuvre d’une politique de réduction des dépenses de santé au sein du régime légal d’assurance maladie. Ainsi, l’article 95, paragraphe 7, troisième phrase, du SGB V poursuit aussi l’objectif tendant à garantir les
possibilités pour les nouvelles générations d’exercer l’activité de dentiste conventionné.
49. Les éléments qui précèdent ne signifient pas que, à nos yeux, l’examen de la justification d’une différence de traitement liée à l’âge doit toujours être limité aux objectifs poursuivis initialement par le législateur national. Il se peut, en effet, qu’une même mesure soit maintenue alors qu’elle poursuit des objectifs nouveaux, compte tenu de l’évolution des conditions sociales, économiques, démographiques et budgétaires. Il faut toutefois que le contexte général de la mesure permette
d’identifier de tels objectifs. Tel ne nous paraît pas être le cas en ce qui concerne l’objectif qui viserait à protéger la santé des patients relevant du régime légal d’assurance maladie en raison d’une baisse des performances des dentistes conventionnés ayant atteint l’âge de 68 ans.
50. Nous précisons cependant que, si la Cour devait estimer que cet aspect de l’objectif de protection de la santé publique est bien l’un de ceux que poursuit l’article 95, paragraphe 7, troisième phrase, du SGB V, la limite d’âge prévue à cet article pourrait, à notre avis, difficilement être considérée comme étant nécessaire à cette fin, compte tenu des exceptions que le droit allemand pose à son application. Ces exceptions conduisent à s’interroger sur la cohérence intrinsèque dudit article pris
dans ce contexte. En effet, si le législateur allemand considère vraiment que, en raison de la présomption d’une baisse des performances des dentistes conventionnés qui ont atteint l’âge de 68 ans, la poursuite de l’activité de ces derniers après cet âge est susceptible de porter atteinte à la santé des patients relevant du régime légal d’assurance maladie, il est difficile de trouver des raisons solides permettant d’expliquer pourquoi ces dentistes peuvent malgré tout continuer à exercer en cas
de déficit médical dans une région, pour un remplacement, ou encore lorsqu’ils ont exercé pendant une période de moins de 20 ans en tant que dentistes conventionnés. Le gouvernement allemand a d’ailleurs admis, lors de l’audience, que, appréhendé sous cet angle, l’article 95, paragraphe 7, troisième phrase, du SGB V n’est pas exempt de certaines incohérences. La constatation de telles incohérences n’est guère surprenante dès lors que la volonté du législateur allemand, telle qu’elle ressort du
contexte général de la mesure en cause, n’était manifestement pas de protéger les patients relevant du régime légal d’assurance maladie sur la base de la présomption d’une baisse des performances des dentistes conventionnés qui ont atteint l’âge de 68 ans.
51. Pour toutes ces raisons, c’est donc uniquement au regard des deux objectifs principaux poursuivis par l’article 95, paragraphe 7, troisième phrase, du SGB V, à savoir, d’une part, l’objectif consistant à préserver l’équilibre financier du régime légal d’assurance maladie et, d’autre part, celui tendant à garantir les possibilités pour les nouvelles générations d’exercer l’activité de dentiste conventionné, que nous examinerons si la limite d’âge de 68 ans peut être considérée comme justifiée en
vertu de ce que prévoit la directive 2000/78. Nous examinerons successivement ces deux objectifs.
1. L’objectif visant à préserver l’équilibre financier du régime légal d’assurance maladie
52. Il résulte de la jurisprudence de la Cour que l’objectif consistant à prévenir un risque d’atteinte grave à l’équilibre financier du système de sécurité sociale constitue l’une des facettes de l’objectif de protection de la santé publique ( 11 ). Dans son arrêt Hartlauer, précité, la Cour a indiqué, à propos des soins ambulatoires, qu’une planification des prestations médicales vise à assurer une maîtrise des coûts et à éviter, dans la mesure du possible, tout gaspillage des ressources
financières, techniques et humaines, dès lors que le secteur des soins médicaux engendre des coûts considérables et doit répondre à des besoins croissants, tandis que les ressources financières pouvant être consacrées aux soins de santé ne sont, quel que soit le mode de financement utilisé, pas illimitées ( 12 ).
53. En tant qu’instrument faisant partie d’une politique de planification de l’offre de soins dentaires destinée à maîtriser l’augmentation des dépenses de santé du régime légal d’assurance maladie, la limite d’âge de 68 ans prévue à l’article 95, paragraphe 7, troisième phrase, du SGB V poursuit l’objectif de protection de la santé publique, sous l’angle de la préservation de l’équilibre financier du régime légal d’assurance maladie.
54. Il nous faut, à présent, déterminer quelle est la disposition de la directive 2000/78 qui est la mieux adaptée pour examiner une telle justification.
55. Nous ne sommes, à cet égard, pas convaincu que l’article 6, paragraphe 1, de cette directive, tel qu’il a été interprété par la Cour, constitue la disposition adéquate. Nous rappelons, en effet, que la Cour a clairement indiqué dans son arrêt Age Concern England, précité, qu’il ressort de cet article que les objectifs pouvant être considérés comme «légitimes» au sens dudit article et, par conséquent, aptes à justifier qu’il soit dérogé au principe d’interdiction des discriminations fondées sur
l’âge, sont des objectifs relevant de la politique sociale, tels que ceux liés à la politique de l’emploi, du marché du travail ou de la formation professionnelle ( 13 ). L’objectif de protection de la santé publique pouvant, à notre avis, difficilement être assimilé à un objectif de politique sociale, sauf à étendre très largement cette dernière notion, nous considérons qu’il doit être examiné dans le cadre de ce que prévoit l’article 2, paragraphe 5, de la directive 2000/78 qui vise, quant à
lui, expressément la protection de la santé.
56. Nous rappelons que, aux termes de cet article, la directive 2000/78 «ne porte pas atteinte aux mesures prévues par la législation nationale qui, dans une société démocratique, sont nécessaires […] à la protection de la santé». Ledit article mentionne donc la protection de la santé comme un motif pouvant justifier une différence de traitement fondée sur l’un des motifs prohibés par cette directive. Il convient dès lors de déterminer si l’article 95, paragraphe 7, troisième phrase, du SGB V
constitue une mesure qui peut être considérée comme étant nécessaire à la protection de la santé.
57. Cet examen de la nécessité de la mesure au regard de la protection de la santé doit être effectué en tenant compte du fait qu’il ressort tant de la jurisprudence de la Cour que de l’article 152, paragraphe 5, CE que le droit communautaire ne porte pas atteinte à la compétence des États membres pour aménager leurs systèmes de sécurité sociale et pour prendre, en particulier, des dispositions destinées à organiser et à fournir des services de santé et de soins médicaux ( 14 ). Toutefois, dans
l’exercice de cette compétence, les États membres doivent respecter le droit communautaire, et en particulier, pour ce qui concerne la présente affaire, les dispositions de la directive 2000/78. Dans l’appréciation du respect de cette obligation, il doit être tenu compte du fait que la santé et la vie des personnes occupent le premier rang parmi les biens et les intérêts protégés par le traité CE et qu’il appartient aux États membres de décider du niveau auquel ils entendent assurer la
protection de la santé publique et la manière dont ce niveau doit être atteint. Ledit niveau pouvant varier d’un État membre à l’autre, il convient de reconnaître aux États membres une marge d’appréciation ( 15 ).
58. Au regard de cette jurisprudence, nous considérons qu’un État membre peut, dans le cadre de son pouvoir d’organisation de la fourniture des soins dentaires et en vue d’atteindre un niveau élevé de protection de la santé publique, adopter une mesure de régulation qui consiste dans la fixation d’une limite d’âge de 68 ans pour l’exercice de l’activité de dentiste conventionné.
59. Selon nous, une telle mesure est propre à garantir l’objectif de protection de la santé publique. En particulier, si un État membre considère que la situation de l’offre de soins dentaires présente un risque pour l’équilibre financier de son régime légal d’assurance maladie, il doit pouvoir, à titre préventif, prendre les mesures de régulation qui permettent de réduire ce risque ( 16 ).
60. Il convient également d’indiquer que, selon la Cour, une législation nationale n’est propre à garantir la réalisation de l’objectif invoqué que si elle répond véritablement au souci d’atteindre celui-ci d’une manière cohérente et systématique ( 17 ). Nous estimons, à cet égard, que l’existence d’exceptions à l’application de la limite d’âge de 68 ans ne porte pas atteinte à la cohérence intrinsèque de l’article 95, paragraphe 7, troisième phrase, du SGB V au regard de l’objectif de protection de
la santé publique. Autrement dit, ces dérogations ne contredisent pas, à notre avis, le constat selon lequel la limite d’âge de 68 ans prévue à cet article est propre à atteindre l’objectif visant à préserver l’équilibre financier du régime légal d’assurance maladie.
61. Nous rappelons, à cet égard, que la limite d’âge en question souffre des quatre exceptions suivantes:
— si l’intéressé a exercé pendant une période de moins de 20 ans en tant que médecin (dentiste) conventionné alors qu’il atteint l’âge de 68 ans révolus et s’il était déjà autorisé en tant que médecin (dentiste) conventionné avant le 1er janvier 1993, la commission compétente prolonge l’autorisation, au plus jusqu’à l’expiration de cette période de 20 ans;
— si un déficit médical est apparu ou est imminent dans certaines zones de la région d’autorisation, la limite d’âge n’est pas applicable;
— en cas de maladie, de congés ou de participation à des formations, le médecin (dentiste) conventionné peut se faire remplacer par un médecin (dentiste) qui n’est plus autorisé en tant que médecin (dentiste) conventionné en raison de la limite d’âge, et
— les dentistes peuvent, en tout état de cause, continuer d’exercer leur activité au-delà de l’âge de 68 ans en dehors du régime de conventionnement.
62. Ces quatre exceptions ont pour objet de corriger les excès auxquels pourrait conduire une application trop stricte de la limite d’âge de 68 ans et résultent d’un arbitrage entre différents intérêts dignes de protection.
63. Ainsi, la première exception est motivée par la volonté du législateur allemand de ne pas porter une atteinte excessive aux conditions dans lesquelles les dentistes conventionnés exercent leur activité. Plus précisément, en leur garantissant une durée minimale d’activité de 20 ans en tant que dentiste conventionné, ce législateur a voulu garantir que ces dentistes puissent, au terme de leur carrière professionnelle, bénéficier d’une pension de retraite. Or, la Cour a, dans son arrêt Palacios de
la Villa, précité, bien mis l’accent sur l’importance que revêt la possibilité d’une telle compensation financière à l’issue de la carrière professionnelle des travailleurs touchés par une limite d’âge ( 18 ). Par ailleurs, dans la mesure où, en vertu de cette dérogation, l’autorisation d’exercer en tant que dentiste conventionné ne peut être prolongée qu’au bénéfice de ceux qui étaient déjà autorisés avant le 1er janvier 1993, une telle exception a un caractère provisoire et concerne un nombre
limité de dentistes conventionnés. Elle ne porte dès lors pas atteinte, à notre avis, à la cohérence de l’article 95, paragraphe 7, troisième phrase, du SGB V au regard de l’objectif visant à préserver l’équilibre financier du régime légal d’assurance maladie.
64. Quant aux deuxième et troisième exceptions, elles ont pour objet d’éviter que la limite d’âge de 68 ans conduise à un déficit ou à une absence de dentistes dans des circonstances ou des zones particulières. Le législateur allemand a ainsi pris en compte le fait qu’une application trop stricte de la limite d’âge pourrait, dans certains cas, avoir des conséquences négatives sur la protection de la santé publique. Dans la mesure où les deuxième et troisième exceptions contribuent à assurer la
continuité et la disponibilité des soins dentaires conventionnés, elles visent à maintenir un service médical de qualité et accessible à tous, ce qui constitue une autre facette de l’objectif de protection de la santé publique ( 19 ). La poursuite de cet aspect de l’objectif de protection de la santé publique ne contredit, à notre avis, nullement celui visant à préserver l’équilibre financier du régime légal d’assurance maladie.
65. La quatrième exception vise, quant à elle, à protéger la liberté professionnelle des dentistes. Dans la mesure où cette exception leur permet de continuer à exercer leur activité après 68 ans en dehors du système de conventionnement, elle ne met pas non plus en cause la cohérence de l’article 95, paragraphe 7, troisième phrase, du SGB V au regard de l’objectif visant à préserver l’équilibre financier du régime légal d’assurance maladie.
66. Par ailleurs, cet article ne va pas, selon nous, au-delà de ce qui est nécessaire afin de garantir un tel objectif. En effet, dans le cadre de sa compétence en matière d’organisation des services de santé et de sa marge d’appréciation, un État membre peut, à notre avis, considérer l’âge de 68 ans comme suffisamment avancé pour servir de terme à l’autorisation d’exercer en tant que dentiste conventionné. Nous estimons également que, au regard de la moyenne des âges qui sont généralement retenus
dans les États membres comme ouvrant droit à une pension de retraite, la fixation d’une limite d’âge de 68 ans pour l’exercice de l’activité de dentiste conventionné n’est pas disproportionnée.
67. Pour toutes ces raisons, nous considérons que la limite d’âge de 68 ans prévue à l’article 95, paragraphe 7, troisième phrase, du SGB V peut être considérée comme nécessaire à la protection de la santé, au sens de l’article 2, paragraphe 5, de la directive 2000/78, de sorte que celle-ci n’y porte pas atteinte.
68. Une telle limite d’âge est, selon nous, également justifiée par l’objectif visant à garantir les possibilités pour les nouvelles générations d’exercer l’activité de dentiste conventionné.
2. L’objectif visant à garantir les possibilités pour les nouvelles générations d’exercer l’activité de dentiste conventionné
69. La juridiction de renvoi estime que cet objectif ne peut plus être invoqué pour justifier la limite d’âge de 68 ans. Elle indique que cette limite d’âge a été initialement conçue par le législateur allemand comme une mesure d’accompagnement des restrictions à la délivrance des autorisations d’exercer en tant que dentiste conventionné, afin d’éviter que les jeunes dentistes soient les seuls à supporter les inconvénients liés à de telles restrictions. Ladite limite d’âge a donc été instituée afin
de répartir équitablement les charges entre les dentistes disposant déjà d’une autorisation et la jeune génération des dentistes souhaitant obtenir une autorisation. Or, puisque le législateur allemand a, par la suite, considéré que le régime restrictif d’autorisation en fonction des besoins devait être supprimé, la limite d’âge de 68 ans aurait perdu sa fonction initiale, de sorte qu’elle ne pourrait plus être justifiée par l’objectif visant à garantir les possibilités pour les nouvelles
générations d’exercer l’activité de dentiste conventionné.
70. Contrairement à ce qu’indique la juridiction de renvoi et au regard des explications fournies par le gouvernement allemand lors de l’audience, nous ne croyons pas qu’une telle justification puisse être aussi catégoriquement écartée. En effet, même après la suppression des restrictions posées à l’octroi de l’autorisation d’exercer en tant que dentiste conventionné, la limite d’âge de 68 ans a, selon nous, continué à remplir sa fonction initiale, c’est-à-dire garantir les possibilités pour les
nouvelles générations d’exercer l’activité de dentiste conventionné, en particulier dans les zones les plus attractives. La suppression de ces restrictions n’a ainsi pas modifié le souhait que pouvait avoir le législateur allemand de favoriser le renouvellement des générations de dentistes dans les régions où le volume élevé de l’offre de soins dentaires conventionnés faisait obstacle à l’installation de jeunes dentistes conventionnés.
71. Cette justification tirée de l’objectif visant à garantir les possibilités pour les nouvelles générations d’exercer l’activité de dentiste conventionné doit, selon nous, être examinée dans le cadre de l’article 6, paragraphe 1, de la directive 2000/78. Il ressort de cet article que des différences de traitement fondées sur l’âge «ne constituent pas une discrimination lorsqu’elles sont objectivement et raisonnablement justifiées, dans le cadre du droit national, par un objectif légitime,
notamment par des objectifs légitimes de politique de l’emploi, du marché du travail et de la formation professionnelle, et que les moyens de réaliser cet objectif sont appropriés et nécessaires».
72. Il convient, en outre, de rappeler que les objectifs pouvant être considérés comme «légitimes» au sens de l’article 6, paragraphe 1, de la directive 2000/78 et, par voie de conséquence, aptes à justifier qu’il soit dérogé au principe d’interdiction des discriminations fondées sur l’âge, sont des objectifs relevant de la politique sociale, tels que ceux liés à la politique de l’emploi, du marché du travail ou de la formation professionnelle ( 20 ).
73. L’objectif visant à garantir les possibilités pour les nouvelles générations d’exercer l’activité de dentiste conventionné et, plus généralement, à favoriser le renouvellement des générations de dentistes conventionnés relève, à notre avis, de cette catégorie d’objectifs légitimes. Il résulte, en effet, de la jurisprudence de la Cour que la promotion de l’embauche constitue un objectif légitime de politique sociale ou de l’emploi des États membres et que cette appréciation s’applique à des
instruments de la politique du marché du travail national visant à améliorer les chances d’insertion dans la vie active de certaines catégories de travailleurs ( 21 ).
74. Un tel objectif doit, par conséquent, être considéré comme justifiant «objectivement et raisonnablement», «dans le cadre du droit national», ainsi que le prévoit l’article 6, paragraphe 1, premier alinéa, de la directive 2000/78, une différence de traitement fondée sur l’âge telle que celle que contient l’article 95, paragraphe 7, troisième phrase, du SGB V.
75. Il convient également de vérifier, selon les termes mêmes de l’article 6, paragraphe 1, premier alinéa, de cette directive, si les moyens mis en œuvre pour réaliser cet objectif sont «appropriés et nécessaires».
76. À cet égard, les États membres disposent incontestablement d’une large marge d’appréciation dans le choix des mesures susceptibles de réaliser leurs objectifs en matière de politique sociale et de l’emploi ( 22 ).
77. Cette large marge d’appréciation doit, d’ailleurs, être d’autant plus prise en compte s’agissant d’une mesure qui relève également, comme nous l’avons vu, de la compétence dont les États membres disposent pour organiser leurs services de santé et de soins médicaux.
78. Dans ces conditions, nous estimons que la limite d’âge de 68 ans prévue à l’article 95, paragraphe 7, troisième phrase, du SGB V constitue un moyen approprié en vue de réaliser l’objectif visant à garantir les possibilités pour les nouvelles générations d’exercer l’activité de dentiste conventionné.
79. Les exceptions à l’application d’une telle limite d’âge ne remettent pas en cause cette appréciation dans la mesure où elles ne démentent pas la cohérence intrinsèque de cette disposition nationale au regard de l’objectif susmentionné. En effet, tout en renvoyant à ce que nous avons déjà indiqué à propos de ces exceptions, nous notons que la première exception concerne un nombre limité de dentistes conventionnés, que la deuxième est relative aux zones les plus défavorisées sur le plan médical
dans lesquelles aucun problème d’accès ne se pose pour les jeunes dentistes conventionnés, que la troisième concerne le remplacement temporaire de dentistes et, enfin, que la quatrième vise la sortie du système de conventionnement, de sorte qu’elle ne saurait influer négativement sur l’objectif visant à garantir les possibilités pour les nouvelles générations d’exercer l’activité de dentiste conventionné.
80. Par ailleurs, la limite d’âge de 68 ans prévue à l’article 95, paragraphe 7, troisième phrase, du SGB V ne va, à notre avis, pas au-delà de ce qui est approprié et nécessaire en vue d’atteindre l’objectif visant à garantir les possibilités pour les nouvelles générations d’exercer l’activité de dentiste conventionné. Comme nous l’avons indiqué précédemment, nous estimons, en effet, que, au regard de la moyenne des âges qui sont généralement retenus dans les États membres comme ouvrant droit à une
pension de retraite, la fixation d’une limite d’âge de 68 ans pour l’exercice de l’activité de dentiste conventionné n’est pas disproportionnée. Par ailleurs, le législateur allemand a adopté une approche équilibrée en excluant l’application d’une telle limite d’âge dans les régions en situation de déficit médical, où l’accès à l’activité de dentiste conventionné ne pose pas de difficulté.
81. Il résulte de ces éléments que, selon nous, la différence de traitement liée à l’âge qui figure à l’article 95, paragraphe 7, troisième phrase, du SGB V peut être considérée comme objectivement et raisonnablement justifiée par l’objectif visant à garantir les possibilités pour les nouvelles générations d’exercer l’activité de dentiste conventionné, et qu’elle ne va pas au-delà de ce qui est approprié et nécessaire pour atteindre cet objectif.
C — Sur la troisième question
82. Compte tenu de la réponse que nous proposons d’apporter aux première et deuxième questions, il n’y a pas lieu de proposer une réponse à la troisième question.
IV — Conclusion
83. Eu égard à l’ensemble de ces considérations, nous proposons à la Cour de dire pour droit:
«Les articles 2, paragraphes 2, sous a), et 5, ainsi que 6, paragraphe 1, de la directive 2000/78/CE du Conseil, du 27 novembre 2000, portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail, doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à une réglementation nationale, telle que celle en cause au principal, en vertu de laquelle l’autorisation d’exercer l’activité de dentiste conventionné expire à l’issue du trimestre au cours
duquel le dentiste conventionné atteint l’âge de 68 ans.»
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( 1 ) Langue originale: le français.
( 2 ) JO L 303, p. 16.
( 3 ) BGBl. I, p. 2266, ci-après le «GSG 1993».
( 4 ) Ci-après le «SGB V».
( 5 ) BGBl. I, p. 1897, ci-après l’«AGG».
( 6 ) Voir point 28 des présentes conclusions.
( 7 ) C-411/05, Rec. p. I-8531.
( 8 ) C-388/07, Rec. p. I-1569.
( 9 ) Arrêts précités Palacios de la Villa (point 57) et Age Concern England (point 45).
( 10 ) On peut également citer comme autre mesure de régulation la réforme des études médicales afin d’atteindre une baisse de 20% des étudiants en médecine [voir rapport no 1675 de l’Institut de recherche et documentation en économie de la santé (IRDES), novembre 2007, p. 49].
( 11 ) Voir, notamment, arrêt du 10 mars 2009, Hartlauer (C-169/07, Rec. p. I-1721, point 47 et jurisprudence citée).
( 12 ) Ibidem (point 49 et jurisprudence citée).
( 13 ) Point 46. Voir, également, arrêt du 18 juin 2009, Hütter (C-88/08, Rec. p. I-5325, point 41 et jurisprudence citée).
( 14 ) Voir, notamment, arrêts Hartlauer, précité (point 29), ainsi que du 19 mai 2009, Apothekerkammer des Saarlandes e.a. (C-171/07 et C-172/07, Rec. p. I-4171, point 18).
( 15 ) Voir, notamment, arrêt Apothekerkammer des Saarlandes e.a., précité (point 19).
( 16 ) Voir, par analogie, concernant un risque pour l’approvisionnement en médicaments de la population sûr et de qualité, arrêt Apothekerkammer des Saarlandes e.a., précité (point 30).
( 17 ) Voir arrêt Apothekerkammer des Saarlandes e.a., précité (point 42 et jurisprudence citée).
( 18 ) Point 73.
( 19 ) Voir arrêt Hartlauer, précité (point 47 et jurisprudence citée).
( 20 ) Voir arrêt Hütter, précité (point 41 et jurisprudence citée).
( 21 ) Arrêt Palacios de la Villa, précité (point 65 et jurisprudence citée).
( 22 ) Arrêt Hütter, précité (point 45 et jurisprudence citée).