ARRÊT DE LA COUR (troisième chambre)
7 mai 2009 (*)
«Manquement d’État – Directive 1999/13/CE – Réduction des émissions de composés organiques volatils – Non-transposition des notions de ‘petite installation’ et de ‘modification substantielle’»
Dans l’affaire C‑443/08,
ayant pour objet un recours en manquement au titre de l’article 226 CE, introduit le 7 octobre 2008,
Commission des Communautés européennes, représentée par M^me A. Alcover San Pedro et M. J.‑B. Laignelot, en qualité d’agents, ayant élu domicile à Luxembourg,
partie requérante,
contre
République française, représentée par M. G. de Bergues et M. A. Adam, en qualité d’agents,
partie défenderesse,
LA COUR (troisième chambre),
composée de M. A. Rosas (rapporteur), président de chambre, MM. A. Ó Caoimh, J. N. Cunha Rodrigues, U. Lõhmus et A. Arabadjiev, juges,
avocat général: M. D. Ruiz-Jarabo Colomer,
greffier: M. R. Grass,
vu la procédure écrite,
vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,
rend le présent
Arrêt
1 Par sa requête, la Commission des Communautés européennes demande à la Cour de constater que, en ne prenant pas toutes les dispositions législatives et réglementaires nécessaires pour transposer de manière correcte les articles 2, points 3 et 4, ainsi que 4, point 4, de la directive 1999/13/CE du Conseil, du 11 mars 1999, relative à la réduction des émissions de composés organiques volatils dues à l’utilisation de solvants organiques dans certaines activités et installations (JO L 85, p. 1,
et rectificatif L 188, p. 54, ci-après la «directive»), la République française a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de cette directive.
Le cadre juridique
La réglementation communautaire
2 Ainsi qu’il ressort de l’article 1^er de la directive, celle-ci a pour objet de prévenir ou de réduire les effets directs et indirects des émissions de composés organiques volatils dans l’environnement, principalement dans l’air, ainsi que les risques potentiels pour la santé publique, par des mesures et des procédures à mettre en œuvre dans les activités industrielles définies à l’annexe I de cette directive dans la mesure où elles se situent en dessous des seuils indiqués à l’annexe II A
de celle-ci.
3 L’article 2 de la directive dispose:
«Aux fins de la présente directive, on entend par:
[…]
3) ‘petite installation’: une installation dont les activités relèvent des seuils les plus bas des rubriques 1, 3, 4, 5, 8, 10, 13, 16 ou 17 de l’annexe II A ou des autres activités de l’annexe II A dont la consommation de solvants est inférieure à 10 tonnes par an;
4) ‘modification substantielle’:
– pour une installation entrant dans le champ d’application de la directive 96/61/CE, la définition retenue dans ladite directive,
– pour une petite installation, une modification de la capacité nominale donnant lieu à une augmentation de plus de 25 % des émissions de composés organiques volatils. Toute modification qui, de l’avis de l’autorité compétente, peut avoir des incidences néfastes significatives sur la santé humaine ou sur l’environnement est également considérée comme une modification substantielle,
– pour toutes les autres installations, une modification de la capacité nominale donnant lieu à une augmentation supérieure à 10 % des émissions de composés organiques volatils. Toute modification qui, de l’avis de l’autorité compétente, peut avoir des incidences néfastes significatives sur la santé humaine ou sur l’environnement est également considérée comme une modification substantielle;
[…]»
4 L’article 4 de la directive prévoit:
«Sans préjudice de la directive 96/61/CE, les États membres prennent les mesures nécessaires pour assurer que:
[…]
4) dans les cas où une installation:
– subit une modification substantielle
ou
– entre pour la première fois dans le champ d’application de la présente directive à la suite d’une modification substantielle,
la partie de l’installation qui subit cette modification substantielle est traitée soit comme une nouvelle installation, soit comme une installation existante si le total des émissions de l’ensemble de l’installation ne dépasse pas le niveau qui aurait été atteint si la partie qui a subi une modification substantielle avait été traitée comme une nouvelle installation.»
5 Selon l’article 15, paragraphe 1, premier alinéa, de la directive, les États membres devaient mettre en vigueur les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour se conformer à celle-ci au plus tard le 1^er avril 2001 et en informer immédiatement la Commission.
La réglementation nationale
6 La directive a été transposée en droit français par l’intermédiaire de très nombreux textes traitant des «installations classées pour la protection de l’environnement», la plupart de ceux-ci ayant été codifiés récemment dans le code de l’environnement.
7 L’article 20 du décret n° 77-1133, du 21 septembre 1977, pris pour l’application de la loi n° 76-663 du 19 juillet 1976 relative aux installations classées pour la protection de l’environnement (JORF du 8 octobre 1977, p. 4897), dans sa version applicable au présent litige (ci-après le «décret n° 77-1133»), était libellé comme suit:
«Toute modification apportée par le demandeur à l’installation, à son mode d’utilisation ou à son voisinage, et de nature à entraîner un changement notable des éléments du dossier de demande d’autorisation doit être portée avant sa réalisation à la connaissance du préfet avec tous les éléments d’appréciation.
Le préfet fixe, s’il y a lieu, des prescriptions complémentaires dans les formes prévues à l’article 18.
S’il estime, après avis de l’inspection des installations classées, que les modifications sont de nature à entraîner des dangers ou inconvénients, mentionnés aux articles L. 511‑1 et L. 211‑1 du code de l’environnement, le préfet invite l’exploitant à déposer une nouvelle demande d’autorisation.
Tout transfert d’une installation soumise à autorisation sur un autre emplacement nécessite une nouvelle demande d’autorisation.
Les demandes visées aux deux alinéas précédents sont soumises aux mêmes formalités que les demandes d’autorisation primitives.»
8 L’article 31 du décret n° 77-1133 disposait:
«Toute modification apportée par le déclarant à l’installation, à son mode d’exploitation ou à son voisinage, entraînant un changement notable des éléments du dossier de déclaration initiale doit être portée avant sa réalisation à la connaissance du préfet, qui peut exiger une nouvelle déclaration.
Tout transfert d’une installation soumise à déclaration sur un autre emplacement nécessite une nouvelle déclaration.
Les déclarations prévues aux alinéas précédents sont soumises aux mêmes formalités que les déclarations primitives.»
9 Les articles 20 et 31 du décret n° 77-1133 ont été abrogés avec effet au 16 octobre 2007 par le décret n° 2007-1467, du 12 octobre 2007, relatif au livre V de la partie réglementaire du code de l’environnement et modifiant certaines autres dispositions de ce code (JORF du 16 octobre 2007, p. 38283), et codifiés dans des termes identiques aux articles R. 512-33 et R. 512-54 du code de l’environnement.
La procédure précontentieuse
10 Estimant que la réglementation française n’assurait pas une transposition correcte de la directive, la Commission a décidé d’engager la procédure prévue à l’article 226 CE. Par lettre du 19 décembre 2005, la Commission a mis en demeure la République française de présenter ses observations à cet égard.
11 Le 21 février 2006, la République française a communiqué sa réponse, dans laquelle elle annonçait la modification prochaine de trois arrêtés permettant une transposition complète de plusieurs articles de la directive visés par la lettre de mise en demeure. Elle considérait cependant que les notions de «petite installation» et de «modification substantielle», ainsi que les obligations applicables aux installations existantes, étaient d’ores et déjà prises en compte par les articles 20 et 31
du décret n° 77-1133. En outre, les autorités françaises ont indiqué qu’elles envisageaient de préciser, par une circulaire adressée aux préfets et aux services de l’Inspection des installations classées, les modalités d’interprétation desdits articles en ce qui concerne les installations visées par la directive.
12 N’étant pas convaincue par la réponse de la République française, la Commission a, le 15 décembre 2006, émis un avis motivé reprenant les griefs soulevés dans la lettre de mise en demeure et invitant cet État membre à prendre les mesures nécessaires pour s’y conformer dans un délai de deux mois à compter de sa réception.
13 Par lettre du 14 février 2007, les autorités françaises ont répondu audit avis motivé, en indiquant qu’avaient été adoptés trois arrêtés en date du 24 novembre 2006 ainsi qu’une circulaire en date du 13 février 2007 précisant les modalités d’interprétation des articles 20 et 31 du décret n° 77-1133 en ce qui concerne les installations visées par la directive.
14 La Commission a néanmoins considéré que la directive n’avait pas été intégralement transposée dans l’ordre juridique français à l’issue du délai de deux mois fixé dans l’avis motivé. En effet, demeureraient en litige les griefs portant sur la transposition de la directive en ce qu’elle définit les notions de «petite installation» ainsi que de «modification substantielle» et prévoit des obligations applicables aux installations existantes. La Commission a, en conséquence, décidé d’introduire
le présent recours.
Sur le recours
Argumentation des parties
15 La Commission reproche à la République française de ne pas avoir transposé la notion de «petite installation», définie à l’article 2, point 3, de la directive, et d’avoir transposé de manière incomplète la notion de «modification substantielle» figurant au point 4 du même article.
16 Ainsi, alors que la notion de «petite installation» est définie de manière précise et que celle de «modification substantielle» fait notamment référence à des seuils d’augmentation des émissions de composés organiques volatils, les articles 20 et 31 du décret nº 77‑1133 ne donneraient aucune définition de ces deux notions, mais disposeraient seulement que «toute modification […] de nature à entraîner un changement notable des éléments du dossier […] doit être portée avant sa réalisation à la
connaissance du préfet […]».
17 Selon la Commission, la qualification de «changement notable» serait laissée à la libre appréciation des autorités préfectorales, sous le contrôle du juge, et cette notion, qui n’est pas définie de manière plus circonstanciée, serait particulièrement générale. Les dispositions de la directive ne seraient donc pas mises en œuvre avec la précision et la clarté requises pour satisfaire pleinement à l’exigence de sécurité juridique.
18 La Commission reproche également à la République française une transposition incorrecte de l’article 4, point 4, de la directive, relatif aux obligations applicables aux installations existantes. En effet, l’application correcte de cette disposition ne serait pas possible, notamment en raison du fait que les définitions précises de l’article 2, points 3 et 4, de la même directive ne seraient pas transposées dans le droit français. Cela entraînerait le risque que cette directive soit
contournée par des industriels qui tireraient profit du régime souple applicable à la modification substantielle d’installations existantes. Le résultat pour l’environnement serait négatif et cela nuirait au bon fonctionnement du marché intérieur.
19 Dans son mémoire en défense, la République française reconnaît qu’elle n’a pas adopté, dans le délai prescrit, l’ensemble des dispositions nécessaires pour se conformer à ses obligations résultant de la directive, mais elle fait valoir que le processus de transposition est engagé.
20 Ledit État membre ne conteste pas que la circulaire du 13 février 2007, précisant les modalités d’interprétation des articles 20 et 31 du décret n° 77-1133 en ce qui concerne les installations visées par la directive, ne constitue pas un instrument de transposition approprié. Il fait néanmoins valoir que les autorités françaises ont élaboré un projet d’arrêté modifiant les arrêtés établissant les prescriptions applicables aux installations classées émettant des composés organiques volatils,
les dispositions concernant les «petites installations» et les «modifications substantielles» ainsi que les obligations applicables aux installations existantes. Avec l’adoption de cet arrêté, qui comporterait, en ce qui concerne la notion de «modification substantielle», des exigences plus strictes que celles de la directive, la transposition de celle-ci dans l’ordre juridique français serait achevée.
Appréciation de la Cour
21 Il n’est pas contesté par la République française que, à l’expiration du délai imparti dans l’avis motivé, elle n’avait pas encore adopté toutes les mesures nécessaires à la transposition complète de la directive dans l’ordre juridique français. En effet, cet État membre se borne à présenter un projet d’arrêté élaboré afin de modifier les arrêtés établissant les prescriptions générales applicables aux installations classées émettant des composés organiques volatils, les dispositions
concernant les «petites installations» et les «modifications substantielles» ainsi que les obligations applicables aux installations existantes.
22 À cet égard, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante de la Cour, l’existence d’un manquement doit être appréciée en fonction de la situation de l’État membre telle qu’elle se présentait au terme du délai fixé dans l’avis motivé et que les changements intervenus par la suite ne sauraient être pris en compte par la Cour (voir, notamment, arrêts du 16 janvier 2003, Commission/Royaume-Uni, C‑63/02, Rec. p. I‑821, point 11; du 14 septembre 2004, Commission/Espagne,
C‑168/03, Rec. p. I‑8227, point 24, et du 17 janvier 2008, Commission/Allemagne, C-152/05, Rec. p. I-39, point 15).
23 En l’espèce, il est constant que, à l’expiration du délai imparti dans l’avis motivé, toutes les mesures destinées à assurer la transposition de la directive dans l’ordre juridique français n’avaient pas été adoptées. En effet, ainsi que le fait valoir la Commission, l’absence de transposition des définitions précises des notions de «petite installation» et de «modification substantielle» ne permet pas une application correcte de la directive.
24 Il s’ensuit que le recours introduit par la Commission est fondé.
25 Par conséquent, il convient de constater que, en ne prenant pas, dans le délai prescrit, toutes les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour transposer de manière correcte les articles 2, points 3 et 4, ainsi que 4, point 4, de la directive, la République française a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de cette directive.
Sur les dépens
26 En vertu de l’article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La Commission ayant conclu à la condamnation de la République française et cette dernière ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens.
Par ces motifs, la Cour (troisième chambre) déclare et arrête:
1) En ne prenant pas, dans le délai prescrit, toutes les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour transposer de manière correcte les articles 2, points 3 et 4, ainsi que 4, point 4, de la directive 1999/13/CE du Conseil, du 11 mars 1999, relative à la réduction des émissions de composés organiques volatils dues à l’utilisation de solvants organiques dans certaines activités et installations, la République française a manqué aux obligations qui lui incombent
en vertu de cette directive.
2) La République française est condamnée aux dépens.
Signatures
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* Langue de procédure: le français.