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21/01/2009 | CJUE | N°C-12/08

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général Mengozzi présentées le 21 janvier 2009., Mono Car Styling SA, en liquidation contre Dervis Odemis e.a., 21/01/2009, C-12/08


CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. PAOLO MENGOZZI

présentées le 21 janvier 2009 ( 1 )

Affaire C-12/08

Mono Car Styling SA, en liquidation

contre

Dervis Odemis e.a.

«Demande de décision préjudicielle — Directive 98/59/CE — Articles 2 et 6 — Procédure d’information et de consultation du personnel en cas de licenciements collectifs — Obligations de l’employeur — Droit de recours des travailleurs — Exigence d’interprétation conforme»

I — Introduction

1. La présente procÃ

©dure fournit à la Cour la possibilité de clarifier certains aspects de la législation communautaire en matière de licenciements collectifs. ...

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. PAOLO MENGOZZI

présentées le 21 janvier 2009 ( 1 )

Affaire C-12/08

Mono Car Styling SA, en liquidation

contre

Dervis Odemis e.a.

«Demande de décision préjudicielle — Directive 98/59/CE — Articles 2 et 6 — Procédure d’information et de consultation du personnel en cas de licenciements collectifs — Obligations de l’employeur — Droit de recours des travailleurs — Exigence d’interprétation conforme»

I — Introduction

1. La présente procédure fournit à la Cour la possibilité de clarifier certains aspects de la législation communautaire en matière de licenciements collectifs. En particulier, la question principale qui doit être résolue exige de déterminer si la directive 98/59/CE du Conseil, du 20 juillet 1998, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives aux licenciements collectifs ( 2 ) (ci-après la «directive»), confère directement des droits aux travailleurs et, dans l’affirmative,
si ces droits sont individuels ou collectifs. Il faudra en outre vérifier si ladite directive permet à une disposition nationale de limiter les cas de recours contre un licenciement collectif dans l’éventualité d’une violation d’une règle de la directive elle-même. Il sera également nécessaire de considérer les éventuelles limites qui, dans la matière en question, peuvent découler directement des principes généraux du droit communautaire, et en particulier du droit à une protection
juridictionnelle effective.

2. L’occasion d’apporter ces éclaircissements est fournie par la cour du travail de Liège (Belgique), qui, appelée à se prononcer sur une série de recours de certains travailleurs concernés par un licenciement collectif, a adressé à la Cour plusieurs questions préjudicielles.

II — Cadre juridique

A — Droit communautaire

3. La législation communautaire faisant l’objet de la présente procédure figure dans la directive 98/59?

4. Le premier et le deuxième considérants de la directive sont formulés comme suit:

«(1) considérant que, dans un souci de clarté et de rationalité, il convient de procéder à la codification de la directive 75/129/CEE du Conseil du 17 février 1975 concernant le rapprochement des législations des États membres relatives aux licenciements collectifs [(JO L 48, p. 29)];

(2) considérant qu’il importe de renforcer la protection des travailleurs en cas de licenciements collectifs en tenant compte de la nécessité d’un développement économique et social équilibré dans la Communauté».

5. L’article 2 de la directive énonce:

«1.   Lorsqu’un employeur envisage d’effectuer des licenciements collectifs, il est tenu de procéder, en temps utile, à des consultations avec les représentants des travailleurs en vue d’aboutir à un accord.

2.   Les consultations portent au moins sur les possibilités d’éviter ou de réduire les licenciements collectifs ainsi que sur les possibilités d’en atténuer les conséquences par le recours à des mesures sociales d’accompagnement visant notamment l’aide au reclassement ou à la reconversion des travailleurs licenciés.

Les États membres peuvent prévoir que les représentants des travailleurs pourront faire appel à des experts, conformément aux législations et/ou pratiques nationales.

3.   Afin de permettre aux représentants des travailleurs de formuler des propositions constructives, l’employeur est tenu, en temps utile au cours des consultations:

a) de leur fournir tous renseignements utiles et

b) de leur communiquer, en tout cas, par écrit:

i) les motifs du projet de licenciement;

ii) le nombre et les catégories des travailleurs à licencier;

iii) le nombre et les catégories des travailleurs habituellement employés;

iv) la période au cours de laquelle il est envisagé d’effectuer des licenciements;

v) les critères envisagés pour le choix des travailleurs à licencier dans la mesure où les législations et/ou pratiques nationales en attribuent la compétence à l’employeur;

vi) la méthode de calcul envisagée pour toute indemnité éventuelle de licenciement autre que celle découlant des législations et/ou pratiques nationales.

L’employeur est tenu de transmettre à l’autorité publique compétente au moins une copie des éléments de la communication écrite prévus au premier alinéa, points b) i) à v).

[…]»

6. Les articles 3 à 6 de la directive prévoient:

«Article 3

1.   L’employeur est tenu de notifier par écrit tout projet de licenciement collectif à l’autorité publique compétente.

[…]

2.   L’employeur est tenu de transmettre aux représentants des travailleurs copie de la notification prévue au paragraphe 1.

Les représentants des travailleurs peuvent adresser leurs observations éventuelles à l’autorité publique compétente.

Article 4

1.   Les licenciements collectifs dont le projet a été notifié à l’autorité publique compétente prennent effet au plus tôt trente jours après la notification prévue de l’article 3, paragraphe 1, sans préjudice des dispositions régissant les droits individuels en matière de délai de préavis.

Les États membres peuvent accorder à l’autorité publique compétente la faculté de réduire le délai visé au premier alinéa.

(…)

Article 5

La présente directive ne porte pas atteinte à la faculté des États membres d’appliquer ou d’introduire des dispositions législatives, réglementaires ou administratives plus favorables aux travailleurs ou de permettre ou de favoriser l’application de dispositions conventionnelles plus favorables aux travailleurs.

Article 6

Les États membres veillent à ce que les représentants des travailleurs et/ou les travailleurs disposent de procédures administratives et/ou juridictionnelles aux fins de faire respecter les obligations prévues par la présente directive.»

B — Droit national

7. Les dispositions de la directive 75/129 (et, en conséquence, de la directive 98/59) ont été transposées en Belgique par la convention collective du travail no 24, du 2 octobre 1975, rendue obligatoire par l’arrêté royal du 21 janvier 1976 (ci-après la «convention collective no 24»). L’article 6 de la convention collective no 24 dispose:

«Lorsque l’employeur envisage d’effectuer un licenciement collectif, il est tenu d’informer au préalable les représentants des travailleurs et de procéder avec ceux-ci à des consultations; ces informations se font au sein du conseil d’entreprise ou à son défaut, avec la délégation syndicale […].

Elles doivent avoir lieu avec le personnel ou ses représentants, à défaut de conseil d’entreprise et de délégation syndicale.

Les consultations portent sur les possibilités d’éviter ou de réduire le licenciement collectif ainsi que d’en atténuer les conséquences par le recours à des mesures sociales d’accompagnement visant notamment l’aide au reclassement ou à la reconversion des travailleurs licenciés.

À cet effet, l’employeur est tenu de fournir aux représentants des travailleurs, tout renseignement utile et en tout cas par une communication écrite, les motifs du projet de licenciement, les critères envisagés pour le choix des travailleurs à licencier, le nombre et la catégorie des travailleurs à licencier, le nombre et les catégories des travailleurs habituellement employés ainsi que la méthode de calcul envisagée pour toute indemnité éventuelle de licenciement qui ne découle pas de la loi ou
d’une convention collective de travail, la période pendant laquelle les licenciements doivent être effectués, pour permettre aux représentants des travailleurs de formuler leurs observations et suggestions afin qu’elles puissent être prises en considération.»

8. D’autres dispositions de protection des travailleurs en cas de licenciements collectifs sont prévues, en Belgique, par la loi du 13 février 1998 portant des dispositions en faveur de l’emploi dont les articles 66 à 69 prévoient ce qui suit:

«Article 66

§ 1er   L’employeur qui entend procéder à un licenciement collectif est tenu de respecter la procédure d’information et de consultation prévue en matière de licenciement collectif, ainsi que le prescrit une convention collective de travail conclue au sein du Conseil national du Travail.

À cet égard, l’employeur doit remplir les conditions suivantes:

1° il doit présenter au conseil d’entreprise ou, à défaut de celui-ci, à la délégation syndicale ou, à défaut de celle-ci, aux travailleurs un rapport écrit dans lequel il fait part de son intention de procéder à un licenciement collectif;

2° il doit pouvoir apporter la preuve qu’à propos de l’intention de procéder à un licenciement collectif il a réuni le conseil d’entreprise ou, à défaut de celui-ci, il s’est réuni avec la délégation syndicale ou, à défaut de celle-ci, avec les travailleurs;

3° il doit permettre aux membres représentant le personnel au sein du conseil d’entreprise ou, à défaut de celui-ci, aux membres de la délégation syndicale ou, à défaut de celle-ci, aux travailleurs de poser des questions à propos du licenciement collectif envisagé et de formuler des arguments ou de faire des contre-propositions à ce sujet;

4° il doit avoir examiné les questions, arguments et contre-propositions visés au 3° et y avoir répondu.

L’employeur doit apporter la preuve qu’il a satisfait aux conditions visées à l’alinéa précédent.

§ 2.   L’employeur doit notifier l’intention du licenciement collectif au fonctionnaire désigné par le Roi. Cette notification doit confirmer que les conditions visées au § 1, alinéa 2, ont été remplies.

Une copie de la notification est communiquée le jour de son envoi au fonctionnaire visé à l’alinéa 1er, au conseil d’entreprise ou, à défaut de celui-ci, à la délégation syndicale et est affichée dans l’entreprise. En outre, une copie est envoyée, le jour de l’affichage, par lettre recommandée à la poste, aux travailleurs qui font l’objet du licenciement collectif et dont le contrat de travail a déjà pris fin le jour de l’affichage.

Article 67

Le travailleur licencié ne peut contester le respect de la procédure d’information et de consultation que pour le motif que l’employeur n’a pas observé les conditions visées à l’article 66, § 1er, alinéa 2.

Le travailleur licencié ne peut plus contester le respect de la procédure d’information et de consultation si les représentants du personnel au sein du conseil d’entreprise ou, à défaut de celui-ci, les membres de la délégation syndicale, ou à défaut de celle-ci, les travailleurs qui devaient être informés ou consultés n’ont pas notifié d’objections à l’employeur à propos du respect d’une ou de plusieurs conditions prévues à l’article 66, § 1er, alinéa 2, dans un délai de 30 jours à compter de la
date de l’affichage visé à l’article 66, § 2, alinéa 2.

Dans un délai de 30 jours à compter de la date de son licenciement ou à partir de la date à laquelle les licenciements ont acquis le caractère de licenciements collectifs, le travailleur licencié doit informer l’employeur, par une lettre recommandée par la poste, qu’il conteste le respect de la procédure d’information et de consultation.

Article 68

§ 1er   Si, pour le travailleur licencié qui conteste le respect de la procédure d’information et de consultation, un délai de préavis est en cours ou doit encore prendre cours, ce délai de préavis est suspendu, pour autant que la contestation soit fondée, à partir du troisième jour ouvrable qui suit l’envoi de la lettre recommandée à la poste, visée à l’article 67, alinéa 3.

[…]

Article 69

§ 1er   Si le contrat de travail du travailleur licencié qui conteste le respect de la procédure d’information et de consultation a pris fin, ce travailleur doit demander en outre dans la lettre recommandée à la poste, visée à l’article 67, alinéa 3, la réintégration dans son emploi.

[…]»

III — Faits, procédure au principal et questions préjudicielles

9. Les faits à l’origine du présent litige sont exposés d’une façon extrêmement détaillée dans la longue décision de renvoi. Sans s’arrêter sur la description des détails, l’affaire peut être résumée comme suit.

10. Au cours de l’année 2004, la société Mono Car Styling (ci-après «Mono Car»), active dans le secteur de la fabrication de pièces pour automobiles, a traversé une phase particulièrement difficile, due à la forte baisse des commandes reçues. Dans ce contexte, la société a décidé de réduire ses effectifs, en procédant à un licenciement collectif.

11. La société est parvenue à cet égard à un accord avec les représentants des travailleurs: dans cet accord, le nombre des salariés à licencier a été fixé à 30 et des mesures de compensation et de soutien spécifiques ont été prévues pour le personnel qui serait licencié. Tant les représentants des travailleurs que les autorités compétentes du travail ont reconnu le respect, de la part de l’entreprise, des procédures d’information et de consultation prévues par la législation sur les licenciements
collectifs.

12. L’affaire au principal trouve son origine dans le recours introduit à titre individuel par 21 travailleurs concernés par la procédure de licenciement collectif. À la base du recours se trouve la prétendue violation, par Mono Car, de certaines obligations procédurales prévues par la législation sur les licenciements collectifs. Nous estimons que les détails des contestations avancées devant la juridiction nationale peuvent être omis dans ce cadre, dès lors qu’ils n’ont pas un intérêt direct pour
les questions sur lesquelles la Cour est appelée à se prononcer.

13. En tout cas, la juridiction de renvoi est appelée à statuer sur un recours de la société Mono Car après que, au précédent degré de juridiction, les travailleurs aient obtenu une indemnisation (pécuniaire) du préjudice subi en raison des irrégularités dans la procédure de licenciement.

14. Jugeant que la solution du litige national exige une réponse préalable à certaines interrogations relatives à l’interprétation du droit communautaire à fournir, la juridiction de renvoi a soumis à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1) L’article 6 de la directive 98/59 […]

doit-il s’interpréter en ce sens qu’il s’oppose à une disposition nationale, tel l’article 67 de la loi du 13 février 1998 […], en ce qu’elle prévoit qu’un travailleur ne peut plus contester le respect de la procédure d’information et de consultation,

que pour le motif que l’employeur n’a pas observé les conditions visées à l’article 66, [paragraphe] 1, alinéa 2, de la même loi,

et pour autant que les représentants du personnel au sein du conseil d’entreprise ou, à défaut de celui-ci, les membres de la délégation syndicale ou, à défaut de celle-ci, les travailleurs qui devraient être informés et consultés aient notifié des objections à l’employeur à propos du respect d’une ou de plusieurs conditions prévues à l’article 66, [paragraphe] 1, alinéa 2, dans un délai de trente jours à compter de la date de l’affichage visé à l’article 66, [paragraphe] 2, alinéa 2,

et que le travailleur licencié ait informé l’employeur, par une lettre recommandée à la poste, qu’il contestait le respect de la procédure d’information et de consultation et qu’il sollicitait la réintégration dans son emploi [et ce dans un délai de trente jours à compter de la date de son licenciement] ou à partir de la date à laquelle les licenciements ont acquis le caractère de licenciement collectif?

2) À supposer que l’article 6 de la directive 98/59 […] puisse s’interpréter en ce qu’il autorise un État membre à adopter une disposition nationale, tel l’article 67 de la loi du 13 février 1998 […], en ce qu’elle prévoit qu’un travailleur licencié ne peut plus contester le respect de la procédure d’information et de consultation que pour le motif que l’employeur n’a pas observé les conditions visées à l’article 66, [paragraphe] 1, alinéa 2, de la même loi, et pour autant que les représentants
du personnel au sein du conseil d’entreprise ou, à défaut de celui-ci, les membres de la délégation syndicale ou, à défaut de celle-ci, les travailleurs qui devraient être informés et consultés aient notifié des objections à l’employeur à propos du respect d’une ou de plusieurs conditions prévues à l’article 66, [paragraphe] 1, alinéa 2, dans un délai de trente jours à compter de la date de l’affichage visée à l’article 66, [paragraphe] 2, alinéa 2, et que le travailleur licencié ait informé
l’employeur, par une lettre recommandée à la poste, qu’il contestait le respect de la procédure d’information et de consultation et qu’il sollicitait la réintégration dans son emploi, et ce dans un délai de trente jours à compter de la date de son licenciement ou à partir de la date à laquelle les licenciements ont acquis un caractère de licenciement collectif,

un tel système est-il compatible avec les droits fondamentaux des individus qui font partie intégrante des principes généraux du droit dont le juge communautaire assure le respect, et plus particulièrement avec l’article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales?

3) Une juridiction nationale saisie d’un litige entre deux particuliers, en l’espèce un travailleur et son ancien employeur, peut-elle écarter une disposition de droit interne contraire aux dispositions d’une directive communautaire, tel l’article 67 de la loi du 13 février 1998 […], en vue de donner effet à d’autres dispositions de droit interne, transposant par hypothèse correctement une directive communautaire, telles les dispositions contenues dans la convention collective de travail no 24
du 2 octobre 1975 […] mais dont l’application effective est mise en échec par la disposition de droit interne contraire aux dispositions d’une directive communautaire, en l’espèce l’article 67 de la loi du 13 février 1998;

4) 1. L’article 2 de la directive 98/59 […], tout particulièrement ses paragraphes 1, 2 et 3, doit-il s’interpréter en ce qu’il s’oppose à une disposition nationale, tel l’article 66, [paragraphe] 1, de la loi du 13 février 1998 […], en ce qu’il dispose que l’employeur qui entend satisfaire aux obligations, s’imposant à lui dans le cadre d’un licenciement collectif est seulement tenu d’apporter la preuve qu’il a satisfait aux conditions suivantes, à savoir:

1° avoir présenté au conseil d’entreprise ou, à défaut de celui-ci, à la délégation syndicale ou, à défaut de celle-ci, aux travailleurs un rapport écrit dans lequel il fait part de son intention de procéder à un licenciement collectif;

2° il doit pouvoir apporter la preuve qu’à propos de l’intention de procéder à un licenciement collectif il a réuni le conseil d’entreprise ou, à défaut de celui-ci, il s’est réuni avec la délégation syndicale ou, à défaut de celle-ci, avec les travailleurs;

3° il doit avoir permis aux membres représentant le personnel au sein du conseil d’entreprise ou, à défaut de celui-ci, aux membres de la délégation syndicale ou, à défaut de celle-ci, aux travailleurs de poser des questions à propos du licenciement collectif envisagé et de formuler des arguments ou de faire des contre-propositions à ce sujet;

4° il doit avoir examiné les questions, arguments et contre-propositions visés au 3° et y avoir répondu.

2. La même disposition doit-elle s’entendre en ce qu’elle s’oppose à une disposition nationale, tel l’article 67, alinéa 2, de la loi du 13 février 1998 […], en ce qu’elle dispose que le travailleur licencié ne peut contester le respect de la procédure d’information et de consultation, que pour le motif que l’employeur n’a pas observé les conditions visées à l’article 66, [paragraphe] 1, alinéa 2, dont question au point 1 ci-avant?»

IV — Les interprétations du droit national et la recevabilité des questions préjudicielles

15. Nous estimons que, avant d’aborder l’examen des questions préjudicielles, il est nécessaire de s’arrêter sur l’interprétation du droit national et sur les problèmes liés de recevabilité de la demande de renvoi.

16. En effet, à partir de ce qui ressort de la décision de renvoi et des observations des parties, l’article 67 de la loi de 1998, qui prévoit une série de limites pour le droit du travailleur pris individuellement d’attaquer un licenciement collectif, peut s’interpréter de deux façons radicalement différentes.

17. Selon une première interprétation, les limites aux possibilités de recours individuel fixées par l’article 67 précité seraient applicables seulement à des recours formés afin d’obtenir les remèdes spécifiques offerts, en cas de licenciement collectif illégal, par la loi de 1998: en d’autres termes, ces limites s’appliqueraient aux recours visant à obtenir la réintégration du travailleur licencié ou la suspension du délai de préavis. Cela est dû au fait que ces remèdes sont spécifiques dans la
loi de 1998 ( 3 ).

18. Une seconde interprétation, au contraire, retient que les limites aux possibilités de recours individuel figurant à l’article 67 de la loi de 1998 ne s’appliquent pas seulement aux remèdes spécifiques prévus par cette loi, mais, d’une façon plus générale, à tous les recours individuels introduits par des travailleurs contre un licenciement collectif pour contester le non-respect de la procédure d’information et de consultation. En particulier, selon cette interprétation, les limites visées à
l’article 67 précité s’appliqueraient également à des actions intentées individuellement par des travailleurs pour obtenir, par exemple, une réparation du préjudice. La juridiction de renvoi, quoique sans prendre clairement position, semble pencher en faveur de cette seconde interprétation.

19. Il est clair que, suivant la première interprétation, la présente procédure préjudicielle perdrait toute pertinence. En suivant cette interprétation, en effet, les limites prévues à l’article 67 de la loi de 1998 pourraient tout au plus empêcher un travailleur d’obtenir certains remèdes spécifiques, mais ne lui interdiraient en tout état de cause jamais d’intenter une action en justice pour contester un licenciement collectif sur la base d’une législation différente de la loi de 1998 et
d’obtenir éventuellement satisfaction de façon appropriée, par exemple par le biais d’une réparation du préjudice. En conséquence, il apparaît tout à fait évident qu’il ne serait plus possible de déceler des contradictions ni avec l’article 6 de la directive 98/59, ni avec le principe du droit à une protection juridictionnelle effective, ni avec la convention européenne des droits de l’homme. En effet, ce que ces dispositions exigent, c’est que des instruments appropriés de protection soient
garantis, mais non un remède spécifique.

20. Au moins une partie de la jurisprudence belge suit la première interprétation. Ainsi, la juridiction de premier degré saisie de l’instance au principal, dont la décision a ensuite été attaquée devant la juridiction de renvoi. La cour du travail de Liège elle-même, dans une autre formation, a prononcé le 30 avril 2007 une décision en ce sens, en observant en particulier que l’interprétation selon laquelle les conditions figurant à l’article 67 de la loi de 1998 s’appliqueraient à tous les
recours, et pas seulement à ceux visant à obtenir les remèdes spécifiques additionnels introduits par cette loi, «constituerait […] un vertigineux recul des droits et actions que les travailleurs puisent dans la CCT no 24» ( 4 ).

21. Il ressort, entre autres, des pièces du dossier et il a été confirmé à l’audience que, devant la juridiction de renvoi, la question de la possible réintégration des travailleurs dans la société Mono Car ne s’est même pas posée, ce qui rendrait toutes les problématiques soulevées par la juridiction de renvoi, si l’on suivait la première interprétation, doublement dénuées de toute pertinence.

22. Étant entendu qu’il n’appartient pas à la Cour d’interpréter le droit national, nous devons avouer que nous avons du mal à comprendre comment la juridiction nationale pourrait préférer l’interprétation la plus rigide de l’article 67. Et ce, en particulier, compte tenu du fait, rappelé également à l’audience, que la loi de 1998 dans laquelle cet article est inséré a été promulguée à la suite d’un licenciement collectif traumatisant dans un établissement de Renault, afin de renforcer la protection
des travailleurs en cas de licenciements collectifs. Déjà ne serait-ce que pour cette raison, il semble difficile d’admettre qu’une loi née dans un tel contexte ait en réalité fini par réduire, en pratique, les droits reconnus aux travailleurs licenciés.

23. Nous observons, en outre, que les articles 68 et 69 de la loi de 1998 se bornent à réglementer respectivement la suspension du délai de préavis (article 68) et la demande de réintégration du travailleur (article 69). Ces deux hypothèses, dans l’économie de la loi de 1998, semblent épuiser le champ des remèdes auquel ladite loi se réfère, ce qui confirmerait le fait que la loi de 1998 possède un champ d’application limité à ces remèdes spécifiques et exceptionnels (suspension du délai de préavis
et réintégration). Il faut en effet observer que, conformément à l’article 68, la suspension du délai de préavis opère automatiquement et, si les conditions n’en sont pas réunies, l’article 69 trouve à s’appliquer, obligeant le travailleur à demander sa réintégration: «ce travailleur doit demander en outre […] la réintégration dans son emploi».

24. C’est en particulier le gouvernement belge qui, dans ses observations écrites, soutient l’irrecevabilité des questions préjudicielles, dès lors que l’article 67 de la loi de 1998 ne serait pas applicable au cas d’espèce.

25. On doit en effet admettre que la démarche logique suivie par la juridiction de renvoi pour s’adresser à la Cour n’est pas dépourvue d’imperfections. En particulier, cette juridiction, après avoir envisagé deux interprétations possibles du droit national, et sans avoir pris clairement position en faveur de l’une d’elles, a adressé à la Cour une série de questions qui n’ont de sens que si l’on choisit au préalable une des deux interprétations. En conséquence, la Cour est ici appelée à se prononcer
sur un problème qui pourrait perdre toute pertinence si le juge national, en définitive, décidait d’opter pour une autre interprétation de son propre droit interne.

26. Cela étant, toutefois, nous estimons que la présente demande de décision préjudicielle ne remplit pas les conditions, en réalité assez strictes, que la jurisprudence de la Cour a définies comme nécessaires pour refuser de répondre aux questions soulevées par la juridiction de renvoi.

27. D’un côté, en effet, la Cour a constamment enseigné qu’il incombe aux juridictions nationales d’apprécier le contexte du droit interne et l’utilité d’une décision de la Cour aux fins de la solution du litige au principal ( 5 ).

28. D’un autre côté, nous estimons que les questions que la cour du travail de Liège soumet peuvent être, en tout état de cause, interprétées comme une demande générale à la Cour de clarifier certains aspects de la directive, afin de permettre à la juridiction nationale d’interpréter son propre droit interne d’une manière qui n’entre pas en conflit avec les dispositions du droit communautaire.

29. Nous estimons donc que les exceptions d’irrecevabilité soulevées par le Royaume de Belgique ne sauraient être accueillies.

V — Sur la directive

30. Il nous semble utile, avant d’aborder l’examen des différentes questions préjudicielles, de formuler quelques considérations générales sur la directive. En particulier, une fois clarifiés certains aspects qui la caractérisent il sera plus facile de fournir une réponse aux questions.

A — Origines, objectifs et caractéristiques de la directive

31. La première norme communautaire qui traite de licenciements collectifs a été la directive 75/129 ( 6 ). En particulier, la motivation déterminante pour l’adoption de ladite directive fut l’observation que les grands groupes industriels, au moment d’effectuer des licenciements collectifs, choisissaient de licencier des travailleurs recrutés dans les États membres de la Communauté où la protection contre le licenciement était particulièrement faible.

32. Au demeurant, depuis le début la législation communautaire en matière de licenciement s’est caractérisée par une nature double. D’un côté, en effet, le législateur a tout de suite rappelé l’existence de finalités sociales à la base du système communautaire, en indiquant la nécessité de «renforcer la protection des travailleurs» en tant que motivation déterminante à l’origine de la directive 75/129 ( 7 ). D’un autre côté, toutefois, la directive elle-même a été adoptée en utilisant la base
juridique de l’actuel article 94 CE (ex-article 100 du traité CE), qui prévoit l’adoption de directives pour le rapprochement des dispositions nationales «qui ont une incidence directe sur l’établissement ou le fonctionnement du marché commun».

33. Cette double nature se constate aisément dans les considérants de la directive 75/129. Le premier d’entre eux, comme on l’a vu, affirme la nécessité de renforcer la protection des travailleurs; le second prend acte des différences qui subsistent entre les dispositions en vigueur dans les divers États membres en matière de licenciements collectifs; le troisième, enfin, observe que «ces différences peuvent avoir une incidence directe sur le fonctionnement du marché commun».

34. La directive 75/129 a été modifiée pour la première fois par la directive 92/56/CEE ( 8 ). À la suite de cette modification, la réglementation, quoique sans avoir été modifiée en profondeur, a acquis (au moins théoriquement) un caractère plus «social», comme le met en évidence, notamment, le premier considérant de la directive de 1992 qui fait référence à la charte communautaire des droits sociaux fondamentaux des travailleurs, adoptée en 1989.

35. La directive 98/59 constitue, comme le précise son premier considérant, la codification de la directive 75/129 et représente donc essentiellement le texte consolidé de celle-ci, tel que modifié par la directive 92/56.

36. Il est donc possible de considérer la directive 98/59 à part entière comme la version actuellement en vigueur de la directive 75/129. Cela permet notamment de faire référence également à la jurisprudence relative à cette dernière directive, que nous citerons donc, lorsque c’est opportun, sans répéter le fait que, formellement, elle se réfère à la directive 75/129.

37. La directive 98/59 entend principalement fixer, en cas de licenciement collectif, une série de contraintes procédurales. En d’autres termes, la directive n’entend pas limiter, au fond, les choix que l’entrepreneur peut accomplir dans la gestion de l’entreprise. En particulier, comme la jurisprudence de la Cour l’a souligné, la directive laisse intacte la liberté de l’entrepreneur de procéder à des licenciements ( 9 ) et, plus généralement, celle d’organiser son activité économique de la manière
qui lui semble la plus conforme à ses besoins ( 10 ).

38. Il est en outre clair, comme cela ressort en particulier de l’article 5 de la directive, que celle-ci se présente comme une norme d’harmonisation qui sert à l’établissement d’un standard minimal tout en laissant aux États membres la faculté d’introduire des dispositions plus favorables aux travailleurs ( 11 ). En raison de cela, l’harmonisation des normes en cas de licenciements collectifs réalisée par la directive revêt un caractère partiel et limité ( 12 ).

39. Il est du reste significatif que la jurisprudence de la Cour relative à cette disposition se soit concentrée surtout sur son champ d’application. En particulier, ont constitué l’objet d’un examen la notion d’établissement ( 13 ) et celle de licenciement ( 14 ), l’applicabilité de la directive en cas de cessation totale de l’activité de l’entreprise ( 15 ) et à l’égard d’employeurs qui ne poursuivent pas de buts lucratifs ( 16 ). Dans le même ordre d’idée, la Cour s’est occupée de la façon
d’interpréter les exceptions dans le champ d’application de la directive ( 17 ), du calcul du seuil pour l’application de celle-ci ( 18 ) et de la date à laquelle on considère que le licenciement a eu lieu ( 19 ).

B — La directive confère-t-elle des droits?

40. Un problème spécifique qui doit être préliminairement traité consiste à déterminer si la directive confère des droits et, dans l’affirmative, si ces droits ont une nature individuelle (c’est-à-dire sont reconnus aux travailleurs en tant qu’individus) ou collective (c’est-à-dire qu’ils sont reconnus aux représentants des travailleurs).

41. En particulier, les travailleurs concernés par le licenciement soutiennent, pour des raisons aisément compréhensibles, que la directive reconnaîtrait des droits à chaque travailleur concerné par un licenciement collectif. Au contraire, la Commission considère que la directive reconnaît des droits collectifs.

42. Nous estimons que la question, telle que présentée dans le cadre des observations des parties qui viennent d’être citées, est mal posée.

43. La directive, en particulier, ne crée pas en soi et ne reconnaît pas de droits, ni de nature individuelle ni collective. Elle prévoit que les États membres doivent reconnaître, en cas de licenciements collectifs, certaines garanties procédurales. Elle prévoit en outre, en particulier par le biais de son article 6, que les États membres doivent créer des instruments appropriés «aux fins de faire respecter les obligations prévues par la présente directive» (c’est nous qui soulignons).

44. Comme on le voit, dans le seul article consacré aux modalités permettant d’assurer l’efficacité concrète des dispositions de la directive, le législateur communautaire a évité d’utiliser le terme «droits», préférant au contraire parler d’«obligations». La perspective est donc plutôt celle d’une série d’obligations mises à la charge des employeurs qui décident ce licenciement que celle d’une série de droits reconnus aux personnes touchées par un licenciement collectif.

45. Si l’observation qui vient d’être faite peut certainement être indicative de l’attitude du législateur qui, du reste dans un domaine tel que celui des licenciements collectifs, par définition très délicat et caractérisé par des traditions nationales extrêmement éloignées les unes des autres, a cherché une conciliation de positions très divergentes, il demeure toutefois le fait que, en toute logique, à une obligation correspond un droit. En conséquence, quel est le sujet bénéficiaire,
c’est-à-dire le titulaire d’un droit, au sens de l’article 6 de la directive?

46. À notre avis, cette personne n’est pas indiquée dans la directive elle-même, qui en laisse la détermination au libre choix des États membres. En particulier, il faut rappeler ici la formulation de l’article 6 précité. Sur la base de celui-ci, les États membres veillent à ce que «les représentants des travailleurs et/ou les travailleurs disposent de procédures administratives et/ou juridictionnelles aux fins de faire respecter les obligations prévues par la présente directive» (c’est nous qui
soulignons).

47. Le libellé de l’article 6 est clair. En particulier, les États membres peuvent, dans le parfait respect de l’article 6, prévoir un droit d’agir, en cas de licenciements collectifs, a) aux seuls représentants des travailleurs; b) aux seuls travailleurs pris individuellement; c) tant aux représentants des travailleurs qu’aux travailleurs eux-mêmes ( 20 ).

48. Nous estimons que les observations que nous avons formulées relativement aux origines et aux caractéristiques de la directive justifient pleinement une lecture de l’article 6 de la directive elle-même qui s’en tienne au libellé. En particulier, il nous semble tout à fait injustifié, en plus de ne pas être nécessaire, d’utiliser des critères d’interprétation supplémentaires pour forcer la disposition à dire davantage que ce qu’a souhaité le législateur. Il est clair que le législateur
communautaire a entendu laisser aux États membres une large marge d’appréciation en la matière: ce qui importait au législateur était d’assurer qu’en cas de licenciements collectifs des remèdes effectifs soient garantis, indépendamment du fait qu’ils soient, en dernière analyse, le résultat de l’attribution, par les États membres, d’un droit d’action individuel, collectif ou mixte.

49. Du reste, la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne elle-même, proclamée à Nice le 7 décembre 2000 ( 21 ), prévoit à l’article 27 que «les travailleurs ou leurs représentants doivent se voir garantir, aux niveaux appropriés, une information et une consultation en temps utile, dans les cas et conditions prévus par le droit communautaire et les législations et pratiques nationales» (c’est nous qui soulignons). Même dans ce cas, donc, le législateur a confirmé, en utilisant la
conjonction «ou», la possibilité que le droit à l’information et à la consultation soit reconnu au niveau collectif plutôt qu’individuel.

50. Dans le même ordre d’idée, même la directive 2002/14/CE ( 22 ), qui a prévu un cadre général en matière d’information et de consultation des travailleurs, en laissant d’ailleurs intact, conformément à son article 9, ce qui est prévu par la directive 98/59, considère les représentants des travailleurs comme les seuls sujets effectivement impliqués dans la procédure d’information et de consultation, et au quinzième considérant, précise que «la présente directive ne porte pas atteinte aux systèmes
nationaux dans le cadre desquels l’exercice concret de ce droit implique une manifestation collective de volonté de la part des titulaires de celui-ci».

51. Il faut préciser par ailleurs, enfin, que tout le discours exposé dans les présentes conclusions concerne exclusivement les éventuelles violations de l’unique droit matériel dont on peut retenir qu’il découle de la directive, c’est-à-dire le droit à l’information et à la consultation. Tout autre droit éventuellement reconnu par les ordres juridiques nationaux, aux travailleurs et/ou à leurs représentants, ne concerne pas l’affaire en question.

52. Une fois précisés ces aspects préliminaires, nous aborderons l’examen des questions soulevées par la juridiction de renvoi.

VI — Sur les questions préjudicielles

A — Sur la première et la quatrième question

1. Sur la nature individuelle ou collective du droit (première question, première partie)

53. Par la première question, la juridiction de renvoi interroge la Cour, en substance, sur la compatibilité avec l’article 6 de la directive d’une disposition nationale qui subordonne le droit d’un travailleur à attaquer un licenciement collectif:

a) au fait que soient invoquées des violations spécifiques (non-respect des conditions prévues à l’article 66 de la loi belge de 1998);

b) surtout, au fait que les représentants des travailleurs aient formellement reproché à l’employeur les violations alléguées en question.

54. Dans la discussion de la première question, les parties se sont concentrées essentiellement sur le problème relevé au point b) du point précédent, à savoir sur la nature individuelle ou collective du droit de contester un licenciement collectif. En conséquence, nous examinerons d’abord ce premier aspect. La discussion des limites à la possibilité de recours liées à la nécessité de contester seulement certaines violations spécifiques [point a) du point précédent] sera en revanche conduite avec
celle de la quatrième question préjudicielle.

a) Les positions des parties

55. MM. Odemis e.a., c’est-à-dire les travailleurs concernés par le licenciement collectif, observent tout d’abord que l’interprétation de la législation belge en matière de licenciements collectifs utilisée par la juridiction de renvoi pour formuler la première question préjudicielle est très éloignée de celle unanimement suivie. En particulier, comme nous l’avons déjà relevé par ailleurs ci-dessus, il existe une autre interprétation, apparemment plus fidèle à l’esprit de la loi de 1998, selon
laquelle le non-respect des conditions prévues à l’article 67 de la loi elle-même interdirait aux travailleurs seulement de demander la réintégration dans le poste de travail ou la suspension du délai de préavis, mais ne ferait nullement obstacle à leur possibilité d’agir, par exemple, pour obtenir la réparation du préjudice découlant du non-respect de la procédure d’information et de consultation ( 23 ).

56. En conséquence, la solution que ces parties proposent pour la première question préjudicielle se présente, en un certain sens, presque comme formulée à titre subsidiaire, dès lors que la première ligne de défense des travailleurs, quoiqu’elle ne soit pas directement utilisable devant la Cour, semble être celle de soutenir l’interprétation de la législation belge rappelée ci-dessus. En tout cas, ces parties soutiennent que la directive prévoit un droit à l’information et à la consultation qui
concerne également les travailleurs individuellement et pas seulement leurs représentants: en conséquence, l’article 6 de la directive imposerait de reconnaître le droit de recours également aux travailleurs pris individuellement.

57. Le Royaume de Belgique, qui traite le fond des questions préjudicielles seulement à titre subsidiaire, après avoir soulevé leur irrecevabilité ( 24 ), estime que le choix des moyens visant à garantir les droits découlant de l’ordre juridique communautaire relève, en l’absence d’indications plus précises dans la directive, du pouvoir discrétionnaire reconnu à chaque État membre. En conséquence, à condition que les remèdes prévus permettent de garantir efficacement les droits, le choix des remèdes
eux-mêmes opéré par un État ne saurait faire l’objet de critique. Par conséquent, dès lors que le droit belge prévoit un ensemble de remèdes en mesure d’assurer un respect approprié des dispositions de la directive, il n’existerait pas de contradiction entre la directive elle-même et les normes du droit belge.

58. La Commission des Communautés européennes estime que la directive reconnaît des droits collectifs et non individuels: en conséquence, de l’avis de la Commission, il n’existerait pas de problème de compatibilité avec la directive en question.

59. De son côté, enfin, le gouvernement du Royaume-Uni confirme que l’on ne saurait aller à l’encontre, par la voie de l’interprétation, de l’option offerte par la conjonction «et/ou» figurant à l’article 6 de la directive, y compris parce que, dans le cas contraire, c’est le fonctionnement lui-même du système prévu par la directive qui serait fortement entravé.

b) Appréciation

60. La conséquence logique des observations que nous avons effectuées ci-dessus relativement à la nature générale de la directive ( 25 ) est la constatation que, en soi, la directive n’impose pas d’attribuer aux travailleurs, pris individuellement, un droit autonome d’attaquer un licenciement collectif en cas de violation du droit à l’information et à la consultation.

61. En particulier, cela ressort clairement du libellé de l’article 6 de la directive, qui exige que les États membres reconnaissent aux «représentants des travailleurs et/ou [aux] travailleurs» des procédures administratives et/ou juridictionnelles appropriées aux fins de faire respecter les obligations prévues par la directive.

62. La loi belge de 1998, de son côté, prévoit, si elle est interprétée comme semble vouloir le faire la juridiction de renvoi, un modèle particulier, dans lequel un droit de recours individuel du travailleur est maintenu, subordonné toutefois à une «contestation» préalable du licenciement collectif de la part des représentants des travailleurs. En pratique, le législateur belge semble prévoir ici un droit collectif, et non individuel. En effet, la circonstance que le recours soit en tout état de
cause présenté individuellement ne saurait faire ignorer le fait que, en toute hypothèse, ce sont les représentants des travailleurs qui sont les titulaires du pouvoir de prendre la décision fondamentale de contester ou non le licenciement. Cela ne s’oppose pas à la directive qui indique en effet justement les représentants des travailleurs, plutôt que les travailleurs, en tant qu’interlocuteurs de l’employeur qui entend procéder à un licenciement collectif (voir, par exemple, l’article 2 de la
directive).

63. En conséquence, cette loi ne semble pas en contradiction avec l’article 6 de la directive, qui admet la possibilité qu’un État membre prévoie le droit à l’information et à la participation, en cas de licenciements collectifs, comme un droit collectif.

64. Déjà à une autre occasion, la Cour, quoique en se référant à une question spécifique différente, a refusé une interprétation téléologique de la directive sur les licenciements collectifs et a suivi précisément une interprétation littérale de ses règles ( 26 ).

65. L’interprétation littérale de l’article 6 de la directive nous semble notamment s’accorder parfaitement avec la caractéristique que présente cette directive, à savoir qu’elle donne lieu à une réglementation de compromis, appelée à trouver un point d’équilibre tant entre les intérêts divergents des employeurs et des travailleurs que parmi les différentes traditions existantes, en matière de relations syndicales, dans les divers États membres de la Communauté.

2. Sur la compatibilité avec la directive d’une limitation des possibilités de recours à des cas de violations spécifiques (première question, seconde partie, et quatrième question)

66. Pour ce qui concerne le second aspect soulevé par la première question préjudicielle, c’est-à-dire celui relatif à la compatibilité avec l’article 6 de la directive d’une législation nationale qui limite à certaines violations spécifiques les cas dans lesquels il est possible de contester un licenciement collectif, le problème se rattache à celui soulevé par la quatrième question préjudicielle, relative à la compatibilité entre l’article 2 de la directive et les articles 66 et 67 de la loi belge
de 1998.

67. Plus spécifiquement, il s’agit de vérifier si un système qui, en cas de licenciements collectifs, limite, de fait, les obligations de l’employeur au respect de certaines conditions spécifiques qui ne recouvrent pas, toutefois, l’ensemble des obligations prévues par la directive peut être compatible avec ladite directive. De la même façon, il faut déterminer si le fait qu’un recours contre un licenciement collectif soit possible seulement en cas de non-respect des conditions susmentionnées
entraîne des problèmes de compatibilité avec la directive précitée.

68. En pratique, le problème naît du fait que, comme on l’a vu plus haut, les articles 66 et 67 de la loi belge de 1998 dessinent un système dans lequel l’employeur n’est tenu de fournir la preuve que du respect des quatre conditions énumérées à l’article 66, paragraphe 1, second alinéa: avoir présenté un rapport écrit aux représentants des travailleurs, avoir convoqué les représentants eux-mêmes, leur avoir permis de poser des questions et de formuler des propositions et avoir fourni une réponse
aux éventuelles questions et propositions. En outre, en vertu de l’article 67 de la loi précitée, seule l’allégation d’une violation de ces quatre conditions permet de contester le licenciement collectif.

69. Là encore, comme à l’égard de la première question, nous rappelons que l’interprétation du droit national que la juridiction de renvoi semble choisir apparaît franchement discutable. Si en effet, comme le rappelle à juste titre le gouvernement belge dans ses observations également au sujet de la quatrième question préjudicielle, on suivait l’interprétation jurisprudentielle selon laquelle les règles qui limitent les possibilités de recours contre les licenciements collectifs figurant dans la loi
de 1998 se réfèrent seulement aux remèdes de la réintégration dans l’emploi et de la suspension du délai de préavis, les problèmes de compatibilité du droit belge avec la directive disparaîtraient, puisque resterait intacte la possibilité d’utiliser tous les autres remèdes prévus dans le droit du travail belge, notamment la réparation du préjudice ( 27 ).

70. Il est constant que, en droit belge, l’ensemble des obligations prévues dans la directive à la charge de l’employeur a été correctement transposé par la convention collective no 24. Donc, si l’on interprétait la loi de 1998 comme un simple instrument qui a entendu renforcer la position des travailleurs, il est évident que les règles de la convention collective no 24, qui reste en vigueur, représenteraient une transposition correcte de la directive elle-même.

71. En laissant toutefois également ici à la juridiction nationale le soin d’interpréter le droit interne de l’État membre, nous devons nous placer dans l’optique d’une position interprétative, apparemment préférée par la juridiction de renvoi, selon laquelle les limitations aux possibilités de recours figurant dans la loi de 1998 seraient applicables à tous les recours des travailleurs concernés par un licenciement collectif faisant valoir une violation de la procédure d’information et de
consultation.

72. Or, si l’on devait retenir que la loi de 1998 a substantiellement réduit les obligations de l’employeur, et, partant, les possibilités de recours des travailleurs, aux seules obligations prévues à l’article 66, paragraphe 1, second alinéa, de la loi elle-même, il nous semble évident que nous serons en présence d’une incompatibilité avec le droit communautaire.

73. Il ne fait en effet pas de doute que les obligations indiquées à l’article 66, paragraphe 1, second alinéa, de la loi de 1998 ne constituent pas la totalité de celles imposées par la directive. Par exemple, comme il a été correctement observé par les travailleurs intervenus, il manque une indication explicite de la nécessité que les contacts entre l’employeur et les représentants des travailleurs aient, en général, au moins pour objectif de parvenir à un accord. C’est justement l’absence d’une
indication explicite d’un tel objectif qui a été à la base, en 1994, d’une condamnation pour manquement du Royaume-Uni ( 28 ). De plus, par exemple, l’article 66 de la loi de 1998 ne prévoit pas que la communication écrite de l’employeur contienne les détails du licenciement prévu indiqués à l’article 2, paragraphe 3, premier alinéa, sous b), de la directive.

74. Du reste, le gouvernement belge lui-même reconnaît implicitement que les conditions imposées à l’employeur par l’article 66 de la loi de 1998 ne forment pas la totalité de celles imposées par la directive. Ce gouvernement confirme toutefois que la loi de 1998 s’est bornée à prévoir un niveau supplémentaire de protection des travailleurs concernés par des licenciements collectifs, sans porter aucune atteinte au système instauré par la convention collective no 24. La Commission s’est prononcée
dans le même sens.

3. Conclusions sur la première et la quatrième questions

75. Nous estimons en conséquence que la première et la quatrième questions préjudicielles doivent être résolues en déclarant que la directive ne s’oppose pas à une disposition nationale qui, en cas de violation de la procédure d’information et de consultation, limite aux seuls représentants des travailleurs le droit de contester un licenciement collectif, ou qui conditionne à une contestation des représentants des travailleurs le droit individuel de contester le licenciement collectif. Par contre,
la même directive s’oppose à une disposition nationale qui permet de contester un licenciement collectif seulement pour certaines violations spécifiques des obligations prévues par la directive, et non pour toutes les violations des obligations elles-mêmes.

B — Sur la deuxième question

1. Introduction

76. Par la deuxième question, formulée à titre subsidiaire, la juridiction de renvoi demande en substance, au cas où les dispositions nationales rappelées dans la première question ne s’opposeraient pas à la directive, si elles ne seraient pas en contradiction avec les droits fondamentaux et, plus précisément, avec l’article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (CEDH).

77. Puisque, comme nous venons de l’exposer, nous proposons à la Cour de relever une incompatibilité avec la directive sous l’un des deux aspects mis en évidence par la juridiction nationale, c’est-à-dire celui de la limitation des motifs de recours possibles, le problème de la compatibilité avec les droits fondamentaux se pose, à notre avis, en particulier au sujet de la nécessité de la contestation préalable de la part des représentants des travailleurs en tant que condition d’admissibilité d’un
recours individuel.

78. Nous observons, par ailleurs, qu’une éventuelle illégalité de la protection des droits sous forme collective pourrait se répercuter sur la légalité elle-même de la directive, dès lors que, comme on l’a vu, son article 6 admet, en général, la possibilité que le droit d’action soit reconnu, en cas de violations de la procédure d’information et de consultation, même seulement sous une forme collective.

2. Arguments des parties

79. MM. Odemis e.a. soutiennent, à cet égard, qu’une réglementation nationale qui limite aux seuls représentants des travailleurs le droit de contester un licenciement collectif, en excluant en conséquence une possibilité de recours des travailleurs à titre individuel, à supposer qu’elle soit compatible avec la directive, violerait en tout cas le principe du droit à une protection juridictionnelle effective.

80. La Commission, en insistant sur son interprétation selon laquelle la directive reconnaît un droit collectif et non individuel, nie qu’il puisse y avoir une quelconque contradiction avec le droit à une protection juridictionnelle effective et avec la CEDH. La position du Royaume-Uni est similaire en substance.

81. Le Royaume de Belgique, de son côté, part encore de la prémisse selon laquelle la loi belge de 1998 n’a nullement limité les droits des travailleurs déjà reconnus par la convention collective no 24. En conséquence, le gouvernement belge se borne à noter dans ses observations que le fait d’interdire aux travailleurs pris individuellement la possibilité de demander le remède spécifique de leur réintégration dans le poste de travail sans une contestation préalable des représentants des travailleurs
eux-mêmes ne constitue pas une violation du droit fondamental à la protection juridictionnelle effective, dès lors que les travailleurs conservent en tout état de cause la possibilité d’utiliser de nombreux autres remèdes.

3. Appréciation

82. Même dans ce cas, naturellement, la question n’a de sens que dans l’optique d’une interprétation de la loi belge de 1998 selon laquelle ses dispositions, en dernière analyse, constitueraient une restriction des droits reconnus aux travailleurs par la législation préexistante et en particulier par la convention collective no 24.

83. La Cour, comme on le sait, a affirmé que le droit à une protection juridictionnelle effective constitue un principe fondamental du droit communautaire ( 29 ) qui découle des traditions constitutionnelles communes aux États membres et qui a été consacré tant par la CEDH, aux articles 6 et 13, que par la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.

84. Ce droit implique, en premier lieu, que les intéressés puissent faire valoir devant une juridiction nationale, selon les modalités procédurales éventuellement déterminées par les États membres, les droits qu’ils tirent du droit communautaire ( 30 ).

85. Toutefois, le droit à une protection juridictionnelle effective, entendu dans son acception la plus large, ne trouve pas application seulement en se référant aux droits reconnus par l’ordre juridique communautaire, mais il peut également s’insérer dans une perspective plus large, en visant tous les droits garantis par les ordres juridiques internes de chaque État membre. Cette acception spécifique du principe peut être examinée spécialement en se référant à la CEDH.

86. Pour ce qui concerne les dispositions spécifiques de la CEDH qui doivent être examinées ici, la juridiction de renvoi rappelle, nous estimons à juste titre, seulement l’article 6 de ce texte qui consacre le droit à un procès équitable et, partant, également le droit à l’accès à un juge, tant dans le cadre du droit civil que du droit pénal.

87. L’article 13, consacré explicitement au droit à une protection juridictionnelle effective, ne semble pas pouvoir être invoqué ici, dès lors que celui-ci présuppose que soit invoquée une violation d’un droit matériel garanti par la CEDH elle-même. Dans la présente espèce, toutefois, aucune partie ne soutient que l’on serait en présence d’une atteinte à un droit fondamental consacré par la CEDH.

88. L’article 6 de la CEDH, comme on le sait, établit que «[t]oute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle».

89. La jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme a interprété l’article 6 de la CEDH en affirmant qu’il garantit, avant tout, le «droit à un tribunal»: c’est-à-dire le droit à soumettre à un juge ses propres prétentions ( 31 ). Toutefois, la jurisprudence de Strasbourg affirme que, afin de pouvoir appliquer la disposition en question, il est nécessaire qu’il existe une contestation relative à un «droit» dont on peut raisonnablement soutenir qu’il serait reconnu par le droit interne
de l’État intéressé ( 32 ).

90. Or, comme on l’a vu, le droit belge semble reconnaître le droit d’information et de consultation non en tant que droit individuel, mais en tant que droit collectif ( 33 ). Dans le même temps, ce droit est accompagné, dans la loi de 1998, d’instruments spécifiques de protection qui, en substance, sont reconnus aux représentants des travailleurs.

91. Le fait que le droit belge reconnaisse ce droit en tant que droit collectif ne pose pas, en soi, de problème de contradiction avec la CEDH, dès lors que le droit en question n’est pas prévu par la CEDH elle-même.

92. Or, si ce droit peut légitimement, à la lumière de la CEDH et des droits fondamentaux en général, être un droit collectif, il apparaît tout à fait admissible que sa protection revête, elle aussi, une nature collective, en passant par l’éventuelle action des représentants des travailleurs. Il nous semble en effet que l’on peut considérer comme essentiel, à cet égard, un principe de symétrie entre la titularité du droit matériel et la possibilité d’agir pour en obtenir la protection. Sur la base
de ce principe, si un droit revêt une nature collective, sa protection peut, elle aussi, avoir une nature collective.

93. La référence, faite par MM. Odemis e.a. à l’arrêt que la Cour européenne des droits de l’homme a rendu dans l’affaire Philis c. Grèce, dans laquelle elle a déclaré contraire à l’article 6 de la CEDH une règle grecque qui réservait à une association professionnelle le droit d’agir en justice pour obtenir le paiement des honoraires dus à un membre d’une profession libérale ( 34 ), n’est pas pertinente à l’égard d’un droit collectif. Dans ce cas, en effet, il n’y avait pas de doute sur le fait que
le professionnel avait un droit individuel à obtenir le paiement, de sorte que l’on était en présence d’une asymétrie injustifiée entre la titularité du droit et la possibilité de le faire valoir devant une juridiction. Dans le cas présent, au contraire, à la nature collective du droit correspondrait la nature collective du remède.

94. Si néanmoins, contrairement à ce qui semble résulter de la décision de renvoi, il fallait retenir que le droit belge reconnaît un droit individuel à l’information et à la consultation, par exemple, sur la base de l’article 23 de la Constitution belge ( 35 ), la perspective changerait radicalement et l’on se retrouverait dans un cas analogue à celui de l’arrêt Philis c. Grèce de la Cour européenne des droits de l’homme qui vient d’être cité. Dans cette hypothèse, la contradiction avec l’article 6
de la CEDH serait à notre avis certaine, la reconnaissance d’une protection seulement collective à l’égard d’un droit individuel étant manifestement contraire à l’article 6 de la CEDH. Il appartient, en tout état de cause, à la juridiction nationale, qui reste la seule compétente pour interpréter le droit interne, de vérifier si le droit belge reconnaît ou non un droit individuel à l’information et à la consultation.

95. Un dernier aspect spécifique qui doit être pris en considération concerne l’éventuelle importance, en l’espèce, de l’article 30 de la charte des droits fondamentaux, aux termes duquel «tout travailleur a droit à une protection contre tout licenciement injustifié, conformément au droit de l’Union et aux législations et pratiques nationales».

96. On pourrait se demander si cette disposition peut jouer un rôle dans la présente affaire, en imposant en particulier de reconnaître en tout état de cause un droit de recours individuel en cas de violations de la procédure d’information et de consultation de la part de l’employeur. Nous estimons cependant que la réponse devrait être négative.

97. À cet égard, on ne saurait omettre le choix qui a été accompli en affirmant, dans cet article, que la protection est garantie à tout travailleur contre tout licenciement «injustifié». Cette précision met en évidence que la protection n’est pas reconnue, en tant que droit fondamental individuel, pour tout type d’irrégularité qui peut caractériser un licenciement ( 36 ). Elle indique clairement que l’on doit être en présence d’une irrégularité grave, qui peut apparaître, par exemple, à propos du
bien-fondé du choix de licencier. Les violations de la directive, par contre, ne semblent pas de nature à autoriser la référence à l’article 30 de la charte, étant donné que celles-ci, compte tenu du contenu de la directive, sont destinées à donner lieu à une illégalité de type formel/procédural.

98. En conclusion, il n’y a pas d’éléments suffisants pour retenir que la directive aurait été dans une certaine mesure dépassée par l’évolution postérieure du droit communautaire, ni qu’elle soit illégale, à la lumière des principes généraux, en ce qu’elle admet la possibilité de présenter le droit à l’information et à la consultation comme un droit collectif. En transposant les obligations de protection prévues par la directive, les États membres sont cependant tenus, en vertu du principe de la
protection juridictionnelle effective, de prévoir une protection correspondant au type de droit matériel qu’ils reconnaissent, individuel ou collectif.

99. Nous proposons en conséquence à la Cour de répondre à la deuxième question préjudicielle en déclarant que le principe du droit à une protection juridictionnelle effective ne s’oppose pas à une disposition qui, en cas de licenciements collectifs, reconnaît le droit à l’information et à la consultation en tant que droit collectif, et, partant, permet d’agir, en cas de violation de celui-ci, seulement aux représentants des travailleurs, et non aux travailleurs pris individuellement. Au cas
toutefois où le droit à l’information et à la consultation serait prévu dans le droit national en tant que droit individuel, le principe du droit à une protection juridictionnelle effective s’oppose à une réglementation qui permet de faire valoir ce droit seulement aux représentants des travailleurs ou qui subordonne un recours individuel à une contestation préalable des représentants des travailleurs.

C — Sur la troisième question

100. Par la troisième question, la juridiction de renvoi demande en substance si, dans le cadre d’un litige entre personnes privées, une juridiction nationale peut écarter une disposition interne (ici l’article 67 de la loi de 1998) contraire à une directive communautaire. Et ce, dans le cas spécifique, afin de pouvoir appliquer une autre norme nationale compatible avec la directive précitée (ici la convention collective no 24 de 1975).

101. La question, naturellement, ne peut être pertinente que si la Cour décèle un éventuel problème de compatibilité entre la réglementation belge et la directive.

102. Il nous semble toutefois que poser la question en termes d’éventuelle non-application et, de ce fait, d’éventuel effet direct horizontal d’une directive représente une complication inutile d’un problème qui peut être résolu d’une façon beaucoup plus simple.

103. Comme nous l’avons amplement indiqué précédemment, il ne fait pas de doute que le droit national peut, en l’espèce, s’interpréter de deux façons différentes. Selon une première interprétation, qui est la seule à pouvoir présenter des problèmes de compatibilité avec le droit communautaire, la loi de 1998 aurait substantiellement réduit la protection reconnue aux travailleurs en cas de licenciement collectif. À l’inverse, une seconde interprétation retient que la loi de 1998 n’aurait nullement
limité les droits déjà reconnus aux travailleurs sur la base des précédentes dispositions, et en particulier de la convention collective no 24. Cette seconde interprétation ne présente aucun problème possible de compatibilité avec le droit communautaire.

104. En conséquence, puisque les éventuels aspects d’incompatibilité avec le droit communautaire de la législation belge se rattachent à une seule des deux interprétations possibles du droit national, il est évident que l’éventuelle affirmation de cette incompatibilité de la part de la Cour pourrait, tout au plus, obliger la juridiction nationale à suivre la seconde interprétation. En d’autres termes, il s’agirait non pas d’écarter une disposition nationale, mais simplement de donner au droit
national une interprétation conforme au droit communautaire, en suivant la jurisprudence constante de la Cour dans ce sens ( 37 ).

105. En effet, nous observons que les parties dans la présente procédure, y compris les travailleurs intéressés, ont de fait suggéré à la Cour une solution conforme à celle proposée ici ( 38 ).

106. Par conséquent, dès lors que, comme nous l’avons indiqué ci-dessus, nous considérons que l’interprétation de la loi de 1998 selon laquelle elle poserait des limites et des conditions pour tous les recours individuels contre les licenciements collectifs (et pas seulement pour ceux visant à obtenir la réintégration ou la suspension du délai de préavis) s’oppose avec le droit communautaire, nous estimons que la juridiction de renvoi devrait suivre ici l’autre interprétation, en vertu de laquelle
les conditions indiquées à l’article 67 de la loi de 1998 s’appliquent seulement aux demandes visant à obtenir les remèdes spécifiques introduits par cette loi.

107. Telle qu’elle est conçue, en termes d’éventuelle non-application d’une disposition interne, la question posée par la juridiction de renvoi ne devrait donc même pas recevoir une réponse. Toutefois, en la reformulant afin de fournir malgré tout une indication utile au juge interne, nous proposons à la Cour de déclarer que, parmi deux interprétations possibles d’une disposition interne, en l’espèce la loi du 13 février 1998, portant des dispositions en faveur de l’emploi, dont l’une d’elles
s’oppose au droit communautaire, la juridiction nationale est tenue de suivre celle qui ne présente pas d’aspect d’incompatibilité avec le droit communautaire lui-même.

VII — Conclusions

108. Eu égard aux considérations qui précèdent, nous proposons à la Cour de répondre comme suit aux questions préjudicielles posées par la cour du travail de Liège.

«La directive 98/59/CE du Conseil, du 20 juillet 1998, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives aux licenciements collectifs, ne s’oppose pas à une disposition nationale qui, en cas de violation de la procédure d’information et de consultation, limite aux seuls représentants des travailleurs le droit de contester un licenciement collectif, ou qui conditionne à une contestation des représentants des travailleurs le droit individuel de contester le licenciement
collectif. Par contre, la même directive s’oppose à une disposition nationale qui permet de contester un licenciement collectif seulement pour certaines violations spécifiques des obligations prévues par la directive, et non pour toutes les violations des obligations elles-mêmes.

Le principe du droit à une protection juridictionnelle effective ne s’oppose pas à une disposition qui, dans le cas de licenciements collectifs, reconnaît le droit à l’information et à la consultation en tant que droit collectif, et, partant, permet d’agir, en cas de violation de celui-ci, seulement aux représentants des travailleurs, et non aux travailleurs pris individuellement. Au cas toutefois où le droit à l’information et à la consultation serait prévu dans le droit national en tant que
droit individuel, le principe du droit à une protection juridictionnelle effective s’oppose à une réglementation qui permet de faire valoir ce droit seulement aux représentants des travailleurs ou qui subordonne un recours individuel à une contestation préalable des représentants des travailleurs.

Parmi deux interprétations possibles d’une disposition interne, en l’espèce la loi du 13 février 1998, portant des dispositions en faveur de l’emploi, dont l’une d’elles s’oppose au droit communautaire, la juridiction nationale est tenue de suivre celle qui ne présente pas d’aspect d’incompatibilité avec le droit communautaire lui-même.»

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( 1 ) Langue originale: l’italien.

( 2 ) JO L 225, p. 16

( 3 ) Nous relevons, par ailleurs, que même la suspension du préavis et la réintégration, qui constituent apparemment des mesures très drastiques, ont en réalité seulement pour but de faire durer (ou de rétablir) le rapport d’emploi aussi longtemps que toutes les procédures correctes de licenciement collectif n’ont pas été suivies. Voir la décision de renvoi, p. 22.

( 4 ) Cour du travail de Liège, arrêt du 30 avril 2007, R.G. 32.872/04, p. 34.

( 5 ) Voir, par exemple, arrêt du 17 juillet 2008, Corporación Dermoestética (C-500/06, Rec. p. I-5785, point 23 et jurisprudence citée).

( 6 ) Note sans objet pour la version française des conclusions.

( 7 ) Premier considérant de la directive 75/129.

( 8 ) Directive du Conseil, du 24 juin 1992 (JO L 245, p. 3).

( 9 ) Arrêts du 12 février 1985, Nielsen & Søn (284/83, Rec. p. 553, point 10), et du 7 septembre 2006, Agorastoudis e.a. (C-187/05 à C-190/05, Rec. p. I-7775, point 35)

( 10 ) Arrêt du 7 décembre 1995, Rockfon (C-449/93, Rec. p. I-4291, point 21).

( 11 ) Voir, également, arrêt du 8 juin 1982, Commission/Italie (91/81, Rec. p. 2133, point 11).

( 12 ) Voir arrêt du 8 juin 1994, Commission/Royaume-Uni (C-383/92, Rec. p. I-2479, point 25).

( 13 ) Arrêts Rockfon, précité à la note 10, et du 15 février 2007, Athinaïki Chartopoïïa (C-270/05, Rec. p. I-1499).

( 14 ) Arrêts Nielsen & Søn, précité à la note 9, et du 12 octobre 2004, Commission/Portugal (C-55/02, Rec. p. I-9387).

( 15 ) Arrêts du 28 mars 1985, Commission/Belgique (215/83, Rec. p. 1039), et Agorastoudis e.a., précité à la note 9.

( 16 ) Arrêt du 16 octobre 2003, Commission/Italie (C-32/02, Rec. p. I-12063).

( 17 ) Arrêts du 17 décembre 1998, Lauge e.a. (C-250/97, Rec. p. I-8737), et Agorastoudis e.a., précité à la note 9 (point 29).

( 18 ) Arrêt du 18 janvier 2007, Confédération générale du travail e.a. (C-385/05, Rec. p. I-611).

( 19 ) Arrêt du 27 janvier 2005, Junk (C-188/03, Rec. p. I-885).

( 20 ) À cet égard, une comparaison entre les diverses versions linguistiques ne laisse pas transparaître de divergences entre elles. En particulier, en ce qui concerne la première partie de la phrase, la plus importante dans le présent contexte, voir par exemple les versions italienne «i rappresentanti dei lavoratori e/o i lavoratori»; anglaise «the workers’ representatives and/or workers»; allemande «Arbeitnehmervertreter und/oder […] Arbeitnehmer» et néerlandaise «de vertegenwoordigers van de
werknemers en/of de werknemers». Seule fait exception la version espagnole, qui utilise seulement la conjonction «ou» et prévoit la reconnaissance du droit à «los representantes de los trabajadores o los trabajadores». Nous estimons par conséquent que, même seulement sur la base de la version espagnole, une reconnaissance du droit d’action tant aux travailleurs pris individuellement qu’à leurs représentants ne devrait poser aucun problème: voir arrêt du 12 juillet 2005, Commission/France (C-304/02,
Rec. p. I-6263, point 83).

( 21 ) JO C 364, p. 1.

( 22 ) Directive du Parlement européen et du Conseil, du 11 mars 2002, établissant un cadre général relatif à l’information et la consultation des travailleurs dans la Communauté européenne (JO L 80, p. 29).

( 23 ) Voir ci-dessus, point 17.

( 24 ) Voir ci-dessus, point 24.

( 25 ) Voir ci-dessus, points 30 et suiv.

( 26 ) Arrêt Nielsen & Søn, précité à la note 9, points 8 à 10.

( 27 ) Voir ci-dessus, points 19 et suiv.

( 28 ) Arrêt Commission/Royaume-Uni, précité à la note 12, points 34 et suiv.

( 29 ) Voir, par exemple, arrêts du 15 mai 1986, Johnston (222/84, Rec. p. 1651, point 18); du 13 mars 2007, Unibet (C-432/05, Rec. p. I-2271, point 37), et du 15 avril 2008, Impact (C-268/06, Rec. p. I-2483, point 43).

( 30 ) Arrêt Unibet, précité à la note 29, points 38 à 40.

( 31 ) Voir Cour eur. D. H., arrêt Golder c. Royaume-Uni du 21 février 1975, série A no 18 (§ 35).

( 32 ) Voir, par exemple, Cour eur. D. H., arrêt Zander c. Suède du 25 novembre 1993, série A no 279 B (§ 22 et jurisprudence citée).

( 33 ) Voir ci-dessus, point 62.

( 34 ) Voir Cour eur. D. H., arrêt du 27 août 1991, série A no 209.

( 35 ) Rappelé dans ce sens dans l’arrêt de la juridiction de renvoi précité à la note 4, p. 19. L’article 23 en question indique, parmi les droits fondamentaux reconnus à chacun, le «droit d’information, de consultation et de négociation collective».

( 36 ) Les diverses versions linguistiques de la charte confirment cette interprétation. Voir, par exemple, les versions italienne, «licenziamento ingiustificato»; anglaise, «unjustified dismissal»; allemande, «ungerechtfertigte Entlassung»; espagnole, «despido injustificado»; néerlandaise, «kennelijk onredelijk ontslag», et portugaise, «despedimentos sem justa causa».

( 37 ) Voir, par exemple, arrêt du 11 janvier 2007, ITC (C-208/05, Rec. p. I-181, point 68 et jurisprudence citée).

( 38 ) De son côté, le Royaume de Belgique, conformément à sa position selon laquelle l’interprétation du droit belge dans le sens le plus favorable aux travailleurs est la seule possible, juge inutile de résoudre la question, en l’absence de tout aspect de contradiction entre le droit national et le droit communautaire.


Synthèse
Numéro d'arrêt : C-12/08
Date de la décision : 21/01/2009
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle: Cour du travail de Liège - Belgique.

Demande de décision préjudicielle - Directive 98/59/CE - Articles 2 et 6 - Procédure d'information et de consultation du personnel en cas de licenciements collectifs - Obligations de l'employeur - Droit de recours des travailleurs - Exigence d’interprétation conforme.

Politique sociale

Rapprochement des législations


Parties
Demandeurs : Mono Car Styling SA, en liquidation
Défendeurs : Dervis Odemis e.a.

Composition du Tribunal
Avocat général : Mengozzi
Rapporteur ?: Silva de Lapuerta

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2009:24

Source

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