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20/11/2008 | CJUE | N°C-45/07

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général Bot présentées le 20 novembre 2008., Commission des Communautés européennes contre République hellénique., 20/11/2008, C-45/07


CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. YVES BOT

présentées le 20 novembre 2008 ( 1 )

Affaire C-45/07

Commission des Communautés européennes

contre

République hellénique

«Manquement d’État — Articles 10 CE, 71 CE et 80, paragraphe 2, CE — Sécurité maritime — Contrôle des navires et des installations portuaires — Accords internationaux — Compétences respectives de la Communauté et des États membres»

1.  Par le présent recours, la Commission des Communautés européennes demande à la Cou

r de constater que, en soumettant à l’Organisation maritime internationale (OMI) une proposition relative au contrôle de la conformi...

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. YVES BOT

présentées le 20 novembre 2008 ( 1 )

Affaire C-45/07

Commission des Communautés européennes

contre

République hellénique

«Manquement d’État — Articles 10 CE, 71 CE et 80, paragraphe 2, CE — Sécurité maritime — Contrôle des navires et des installations portuaires — Accords internationaux — Compétences respectives de la Communauté et des États membres»

1.  Par le présent recours, la Commission des Communautés européennes demande à la Cour de constater que, en soumettant à l’Organisation maritime internationale (OMI) une proposition relative au contrôle de la conformité des navires et des installations portuaires aux exigences du chapitre XI-2 de la convention internationale de 1974 relative à la sauvegarde de la vie en mer (ci-après la «convention SOLAS») et du code international relatif à la sûreté des navires et des installations portuaires
(ci-après le «code ISPS») ( 2 ), la République hellénique a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 10 CE, 71 CE et 80, paragraphe 2, CE.

2.  Par sa proposition, la République hellénique a soumis au comité de sécurité maritime de l’OMI des listes de vérifications («check lists») et d’autres outils qui lui semblaient appropriés pour assister les États contractants de la convention SOLAS dans leurs opérations de contrôle de la conformité des navires et des installations portuaires aux exigences contenues dans cette convention ainsi que dans le code ISPS.

3.  La Commission estime que, en agissant individuellement dans un domaine relevant de la compétence externe exclusive de la Communauté européenne, mettant ainsi en cause le principe d’unité de la représentation extérieure de cette dernière, la République hellénique a violé le droit communautaire.

4.  Dans les présentes conclusions, nous exposerons les raisons pour lesquelles nous estimons que le présent recours en manquement est fondé.

I — Le cadre juridique

5. Aux termes de l’article 1er du règlement (CE) no 725/2004 du Parlement européen et du Conseil, du 31 mars 2004, relatif à l’amélioration de la sûreté des navires et des installations portuaires ( 3 ), intitulé «Objectifs»:

«1.   Le principal objectif du présent règlement est d’instaurer et de mettre en œuvre des mesures communautaires visant à améliorer la sûreté des navires utilisés dans le commerce international et le trafic national et des installations portuaires associées, face à des menaces d’actions illicites intentionnelles.

2.   Le règlement vise en outre à fournir une base pour l’interprétation et la mise en œuvre harmonisées, ainsi que le contrôle communautaire des mesures spéciales pour renforcer la sûreté maritime adoptées par la Conférence Diplomatique de l’OMI le 12 décembre 2002, modifiant la [convention SOLAS] et instaurant le [code ISPS].»

6. L’article 9 du règlement no 725/2004, intitulé «Mise en œuvre et contrôle de conformité», est ainsi rédigé:

«1.   Les États membres s’acquittent des tâches d’administration et de contrôle requises par les dispositions des mesures spéciales pour renforcer la sûreté maritime de la convention SOLAS et du code ISPS. Ils s’assurent que tous les moyens nécessaires sont alloués et effectivement fournis pour la mise en œuvre des dispositions du présent règlement.

[…]»

7. À l’annexe I du règlement no 725/2004 figure le texte des amendements insérant le nouveau chapitre XI-2 dans l’annexe de la convention SOLAS, dans sa version actualisée. À l’annexe II de ce règlement figure le texte du code ISPS, dans sa version actualisée.

II — La procédure précontentieuse

8. Estimant que la proposition nationale déposée le 18 mars 2005 par la République hellénique auprès du comité de sécurité maritime de l’OMI empiétait sur un domaine relevant de la compétence externe exclusive de la Communauté, la Commission a adressé à cet État membre, le 10 mai 2005, une lettre de mise en demeure, à laquelle celui-ci a répondu le 7 juillet 2005.

9. N’étant pas satisfaite par cette réponse, la Commission a émis un avis motivé le 19 décembre 2005, auquel la République hellénique a répondu le 21 février 2006.

10. N’étant toujours pas convaincue par les arguments invoqués par la République hellénique, la Commission a décidé d’introduire le présent recours.

III — Le recours

11. Par son recours, la Commission conclut à ce qu’il plaise à la Cour:

— constater que, en soumettant à l’OMI une proposition relative au contrôle de la conformité des navires et des installations portuaires aux exigences du chapitre XI-2 de la convention SOLAS et du code ISPS, la République hellénique a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 10 CE, 71 CE et 80, paragraphe 2, CE, ainsi que

— condamner la République hellénique aux dépens.

12. La République hellénique conclut à ce qu’il plaise à la Cour:

— rejeter le recours, et

— condamner la Commission aux dépens.

13. Par ordonnance du président de la Cour du 2 août 2007, le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord a été admis à intervenir au soutien des conclusions de la République hellénique.

IV — Les arguments principaux des parties

14. En s’appuyant sur la jurisprudence issue de l’arrêt du 31 mars 1971, Commission/Conseil, dit «AETR» ( 4 ), la Commission fait valoir que, depuis l’adoption du règlement no 725/2004, qui intègre dans le droit communautaire le chapitre XI-2 de l’annexe de la convention SOLAS ainsi que le code ISPS, la Communauté dispose d’une compétence exclusive pour assumer des obligations internationales dans le domaine couvert par ce règlement. Il s’ensuit, selon elle, que la Communauté est exclusivement
compétente pour assurer la bonne application au niveau communautaire et pour discuter, avec d’autres membres de l’OMI, de la mise en œuvre correcte ou du développement ultérieur des normes contenues dans la convention SOLAS et dans le code ISPS. Les États membres ne seraient dès lors plus compétents pour présenter des positions nationales à l’OMI pour les matières relevant de la compétence exclusive de la Communauté, à moins d’y avoir été expressément habilités par cette dernière.

15. La République hellénique se défend en invoquant les arguments suivants.

16. Premièrement, elle estime s’être conformée à l’obligation de collaboration loyale qui lui incombe en vertu de l’article 10 CE en présentant, le 1er mars 2005, la proposition litigieuse au comité Marsec, qui est prévu à l’article 11 du règlement no 725/2004, afin que celle-ci puisse être discutée lors de la réunion du 14 mars 2005 de ce comité et qu’une position communautaire puisse se dégager. La République hellénique relève que la Commission, agissant par l’intermédiaire de son représentant qui
préside le comité Marsec, n’a cependant pas inscrit cette proposition à l’ordre du jour de la réunion susmentionnée. Elle en déduit que la Commission a manqué à l’obligation de collaboration loyale qui lui incombe en vertu de l’article 10 CE.

17. Deuxièmement, la République hellénique fait remarquer que la présentation de sa proposition à l’OMI est un acte accompli dans le cadre de sa participation à l’organisation internationale en question. Or, la participation active à une organisation internationale en qualité de membre ne revient pas, selon elle, à contracter des engagements internationaux, seule cette dernière hypothèse étant couverte par la jurisprudence issue de l’arrêt AETR, précité. La présentation de la proposition grecque ne
porterait donc pas atteinte à la compétence exclusive de la Communauté.

18. Troisièmement, la question de l’élaboration et de la présentation des propositions à l’OMI serait réglée par un gentlemen’s agreement adopté par le Conseil de l’Union européenne en 1993. Ce gentlemen’s agreement permettrait aux États membres de présenter des propositions à l’OMI non seulement collectivement, mais aussi individuellement, lorsqu’il n’existe pas de position communautaire sur la question concernée.

19. Quatrièmement, la République hellénique considère que, dans le cas où, comme en l’espèce, une position communautaire n’a pas été obtenue, la protection de l’intérêt communautaire est assurée par la participation active des États membres au sein de l’OMI, et non par une obligation de s’abstenir. Toute obligation de participation passive, qui se concrétiserait par l’abstention lors des procédures d’élaboration des règles de l’OMI, aboutirait à la restriction, à la dévaluation et, finalement, à la
perte de la qualité statutaire de membre de cette organisation. Par ailleurs, dans le cas où, comme en l’espèce, la Communauté n’a pas la qualité de membre de l’OMI, une obligation de s’abstenir n’assurerait pas, à plus forte raison, la protection de l’intérêt communautaire, précisément parce que l’abstention des États membres lors de procédures d’élaboration législative ne permettrait pas de défendre cet intérêt, ce qui profiterait aux États tiers.

20. Cinquièmement, la République hellénique relève que le règlement no 725/2004, à son article 9, paragraphe 1, met lui-même à la charge des États membres la responsabilité exclusive de mettre en œuvre, avec leurs propres conditions, les exigences de sécurité prescrites par ce règlement et fondées sur les modifications de la convention SOLAS ainsi que du code ISPS. Or, tant la lettre que le contenu de la proposition litigieuse seraient conformes à l’esprit de la législation communautaire, qui laisse
aux États membres un large pouvoir d’appréciation pour développer les meilleures pratiques sur des questions techniques.

21. Sixièmement, il ressort de l’audience que, selon la République hellénique, l’article 307 CE confirmerait le bien-fondé de son argumentation.

22. Le Royaume-Uni soulève, quant à lui, trois arguments précis. Il fait valoir que la compétence exclusive de la Communauté en matière de sûreté maritime est limitée aux domaines relevant des champs d’application du règlement no 725/2004 et de la directive 2005/65/CE du Parlement européen et du Conseil, du 26 octobre 2005, relative à l’amélioration de la sûreté des ports ( 5 ). Le Royaume-Uni relève également que le devoir de coopération prévu à l’article 10 CE n’inclut pas l’obligation pour les
États membres de faciliter l’adhésion de la Communauté aux organisations internationales, en particulier lorsque, comme en ce qui concerne l’OMI, une organisation internationale n’est pas autorisée, en vertu de son acte constitutif, à admettre, en tant que parties, des entités telles que la Communauté. Le Royaume-Uni estime, enfin, que la Commission aurait dû tenter de présenter la proposition grecque au comité Marsec et de permettre un débat à ce sujet, afin de s’acquitter de son devoir de
coopération loyale, conformément à l’article 10 CE.

V — Appréciation

23. Il convient d’abord de rappeler les principes dégagés par la Cour dans son arrêt AETR, précité, ainsi que les apports de la jurisprudence subséquente, en ce qui concerne, d’une part, l’existence d’une compétence externe implicite et, d’autre part, le caractère exclusif d’une telle compétence.

24. Aux points 16 à 18 et 22 de son arrêt AETR, précité, la Cour a jugé que la compétence de la Communauté pour conclure des accords internationaux résulte non seulement d’une attribution explicite par le traité CE, mais peut découler également d’autres dispositions du traité et d’actes pris, dans le cadre de ces dispositions, par les institutions de la Communauté. En particulier, chaque fois que, pour la mise en œuvre d’une politique commune prévue par le traité, la Communauté a pris des
dispositions instaurant, sous quelque forme que ce soit, des règles communes, les États membres ne sont plus en droit, qu’ils agissent individuellement ou même collectivement, de contracter avec les États tiers des obligations affectant ces règles. En effet, au fur et à mesure de l’instauration de ces règles communes, la Communauté seule est en mesure d’assumer et d’exécuter, avec effet pour l’ensemble du domaine d’application de l’ordre juridique communautaire, les engagements contractés à
l’égard des États tiers. En outre, dans la mesure où des règles communautaires sont arrêtées pour réaliser les buts du traité, les États membres ne peuvent, hors du cadre des institutions communes, prendre des engagements susceptibles d’affecter lesdites règles ou d’en altérer la portée ( 6 ).

25. À cet égard, la Cour a précisé que, si les États membres restaient libres de conclure des engagements internationaux affectant des règles communes, la réalisation de l’objectif poursuivi par ces règles de même que celle de la mission de la Communauté et des buts du traité seraient compromises ( 7 ).

26. Les conditions dans lesquelles la portée des règles communes peut être affectée ou altérée par des engagements internationaux pris par les États membres et, partant, les conditions dans lesquelles la Communauté acquiert une compétence externe exclusive du fait de l’exercice de sa compétence interne ont été synthétisées par la Cour dans ses arrêts dits «Ciel ouvert» ( 8 ), puis rappelées par elle dans ses arrêts précités du 2 juin 2005, Commission/Luxembourg ainsi que du 14 juillet 2005,
Commission/Allemagne.

27. Tel est le cas lorsque ces engagements internationaux relèvent du domaine d’application des règles communes ou, en tout cas, d’un domaine déjà couvert en grande partie par de telles règles, et ce même s’il n’existe aucune contradiction entre celles-ci et lesdits engagements ( 9 ).

28. C’est ainsi que, lorsque la Communauté a inclus dans ses actes législatifs internes des clauses relatives au traitement à réserver aux ressortissants d’États tiers ou qu’elle a conféré expressément à ses institutions une compétence pour négocier avec les États tiers, elle acquiert une compétence externe exclusive dans la mesure couverte par ces actes ( 10 ).

29. Selon la Cour, il en va également ainsi, même en l’absence de clause expresse habilitant ses institutions à négocier avec des États tiers, lorsque la Communauté a réalisé une harmonisation complète dans un domaine déterminé, car les règles communes ainsi adoptées pourraient être affectées au sens de l’arrêt AETR, précité, si les États membres conservaient une liberté de négociation avec les États tiers ( 11 ).

30. Nous estimons que ces éléments tirés de la jurisprudence de la Cour devraient conduire celle-ci à déclarer fondé le présent recours en manquement.

31. En effet, nous sommes d’avis que, en soumettant au comité de sécurité maritime de l’OMI des listes de vérifications («check lists») et d’autres outils qui lui semblaient appropriés pour assister les États contractants de la convention SOLAS dans leurs opérations de contrôle de la conformité des navires et des installations portuaires aux exigences contenues dans cette convention ainsi que dans le code ISPS, la République hellénique est intervenue dans un domaine relevant de la compétence externe
exclusive de la Communauté. Ce domaine concerne l’amélioration de la sûreté des navires et des installations portuaires et il est précisément circonscrit par le règlement no 725/2004.

32. En adoptant, sur le fondement de l’article 80, paragraphe 2, CE, ce règlement, le législateur communautaire a souhaité que l’objectif visant à «assurer à tout moment la sûreté du transport maritime de la Communauté […], celle des citoyens qui l’utilisent et celle de l’environnement, face à des menaces d’actions illicites intentionnelles, tels les actes de terrorisme, les actes de piraterie ou autres du même type» ( 12 ) fasse l’objet de règles communes au niveau communautaire, et ce dans le
cadre du volet relatif à la navigation maritime s’inscrivant dans la politique commune des transports.

33. Ainsi qu’il est indiqué au cinquième considérant du règlement no 725/2004, cet objectif de sûreté «passe par l’adoption de mesures utiles dans le domaine de la politique du transport maritime en établissant des normes communes pour l’interprétation, la mise en œuvre et le contrôle[ ( 13 )] au sein de la Communauté des dispositions adoptées par la Conférence Diplomatique de l’[OMI] le 12 décembre 2002», c’est-à-dire les mesures spéciales pour renforcer la sûreté maritime de la convention SOLAS
ainsi que le code ISPS. L’article 1er, paragraphe 2, de ce règlement dispose, dans cette perspective, que celui-ci vise à «fournir une base pour l’interprétation et la mise en œuvre harmonisées, ainsi que le contrôle communautaire[ ( 14 )] [de ces] mesures spéciales».

34. Du fait de l’exercice par la Communauté de sa compétence interne dans le domaine de la navigation maritime, et plus précisément en raison de l’adoption de règles communes en ce qui concerne l’amélioration de la sûreté des navires et des installations portuaires, cette dernière a acquis, dans cette mesure, une compétence externe qui revêt un caractère exclusif.

35. Force est, en effet, de constater que, la Communauté ayant harmonisé les conditions d’interprétation, de mise en œuvre et de contrôle des mesures spéciales adoptées sous l’égide de l’OMI et intégrées dans le règlement no 725/2004, les règles communes prévues par ce règlement pourraient être affectées si un État membre conservait la possibilité de proposer, à titre individuel, à l’OMI d’adopter de nouvelles règles relatives à la mise en œuvre et au contrôle des exigences contenues dans le
chapitre XI-2 de la convention SOLAS ainsi que dans le code ISPS.

36. Plus précisément, le fait de soumettre à l’OMI une proposition telle que celle en cause dans la présente affaire déclenche un processus pouvant conduire à l’adoption par cette organisation internationale de nouvelles règles en matière de mise en œuvre et de contrôle des normes contenues dans le chapitre XI-2 de la convention SOLAS ainsi que dans le code ISPS. Ces nouvelles règles pourraient, par ricochet, avoir un impact sur le règlement no 725/2004, précisément parce que celui-ci incorpore le
chapitre XI-2 de la convention SOLAS ainsi que le code ISPS dans le droit communautaire et qu’il harmonise, au niveau communautaire, la mise en œuvre et le contrôle de ces mesures.

37. Il s’ensuit que, dans le domaine couvert par le règlement no 725/2004, les États membres se trouvent dessaisis de leur compétence d’agir à titre individuel au niveau international, que ce soit en contractant de nouvelles obligations ou bien en proposant des modifications ou des ajouts aux règles existantes. Ayant fait le choix, lors de l’adoption de ce règlement, de définir des règles communes au niveau communautaire, les États membres ne sauraient, en effet, se voir reconnaître la possibilité
d’en modifier, même indirectement, la portée, sauf à ce qu’une telle démarche soit le fruit d’une volonté communautaire.

38. Un comportement étatique tel que celui qui est mis en cause par la Commission dans la présente procédure nous paraît, de surcroît, constituer une violation de l’article 10 CE. Nous rappelons, à cet égard, que cet article impose aux États membres de faciliter à la Communauté l’accomplissement de sa mission et de s’abstenir de toutes mesures susceptibles de mettre en péril la réalisation des buts du traité ( 15 ). Nous indiquons également que, selon la Cour, ce devoir de coopération loyale est
d’application générale et ne dépend ni du caractère exclusif ou non de la compétence communautaire concernée ni du droit éventuel, pour les États membres, de contracter des obligations envers des États tiers ( 16 ).

39. Dans des circonstances telles que celles de la présente affaire, nous estimons qu’un État membre est tenu à un devoir d’abstention, lequel ne pourrait être levé qu’en cas d’action concertée décidée au niveau communautaire.

40. La République hellénique conteste avoir manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 10 CE, 71 CE et 80, paragraphe 2, CE. Nous ne sommes toutefois pas convaincu par les arguments que cet État membre a invoqués en défense.

41. S’agissant, en premier lieu, du reproche qui est fait à la Commission d’avoir elle-même manqué à son devoir de coopération loyale en n’inscrivant pas à l’ordre du jour de la réunion du comité Marsec du 14 mars 2005 la proposition grecque, nous avons le sentiment, au regard des pièces du dossier, que la République hellénique cherchait davantage à informer les autres États membres de sa proposition nationale à l’OMI qu’à dégager une position communautaire à ce sujet. La présidence de ce comité a
dès lors pu estimer qu’il n’était pas opportun d’inscrire ladite proposition à l’ordre du jour de la réunion du 14 mars 2005, sans qu’un tel refus constitue une violation de l’article 10 CE.

42. Par ailleurs, il ressort également des observations soumises à la Cour qu’une coordination communautaire, ayant notamment pour objet l’application du chapitre XI-2 de la convention SOLAS ainsi que du code ISPS, a été menée par la Commission dans le but de présenter une position communautaire lors de la 80e session du comité de sécurité maritime de l’OMI. Ainsi, la Commission a soumis au Conseil, le 27 avril 2005, un document de travail intitulé «IMO — European Community position to be adopted by
the Council on maritime issues for the 80th session of the Maritime Safety Committee (MSC 80) meeting in London from 11 to 20 May 2005» ( 17 ). Ce document a été examiné par un groupe d’experts convoqué par la présidence le 29 avril 2005 et a été confirmé par le groupe de travail des affaires maritimes au sein du Conseil, le 3 mai 2005 ( 18 ). Parallèlement, il ressort du dossier que la République hellénique a été, à plusieurs reprises, invitée par la Commission à retirer sa proposition
nationale déposée le 18 mars 2005 auprès de l’OMI, mais sans succès. L’absence de référence à cette proposition dans le document exprimant la position communautaire peut être perçue comme étant le résultat de cette attitude de la République hellénique.

43. Dans ce contexte, nous estimons qu’il ne peut être reproché à la Commission d’avoir manqué à son devoir de favoriser une coordination communautaire.

44. En outre, nous partageons l’opinion de la Commission selon laquelle, dans la mesure où l’ordre juridique communautaire n’est pas fondé sur le principe de réciprocité, une violation éventuelle par cette institution du devoir de coopération loyale que lui impose l’article 10 CE ne saurait, en tout état de cause, permettre à un État membre de justifier ses propres infractions au droit communautaire, en l’occurrence une violation de la compétence externe exclusive de la Communauté.

45. En deuxième lieu, nous ne croyons pas, à la différence de la République hellénique, que la jurisprudence issue de l’arrêt AETR, précité, puisse être limitée au cas dans lequel un État membre a violé la compétence externe exclusive de la Communauté en contractant un engagement international. Le raisonnement développé par la Cour au fil des affaires qui lui ont été soumises consiste à éviter que les États membres empiètent de manière individuelle ou collective sur un domaine relevant de la
compétence externe exclusive de la Communauté. Tel est le cas lorsqu’une intervention étatique est susceptible d’affecter des règles communes ou d’en altérer la portée. Or, comme nous l’avons indiqué précédemment, une démarche telle que celle de la République hellénique devant l’OMI déclenche un processus pouvant conduire à l’adoption par cette organisation internationale de nouvelles règles, ces dernières étant, elles-mêmes, susceptibles de se répercuter sur la réglementation communautaire
existante.

46. En troisième lieu, concernant l’argument tiré de ce qu’un gentlemen’s agreement adopté par le Conseil en 1993 permettrait aux États membres de présenter des propositions à l’OMI non seulement collectivement, mais aussi individuellement, lorsqu’il n’existe pas de position commune, il est difficile d’accorder à cet acte la portée juridique que veut lui conférer la République hellénique. Il ressort, en effet, des observations soumises à la Cour par la Commission que ce «gentlemen’s agreement» est
une déclaration faite par cette institution et consignée dans le compte rendu établi par le Conseil lors de la réunion du groupe de travail sur les transports du 14 décembre 1993. Il s’agit donc d’un acte non contraignant qui, au surplus, ne saurait être assimilé à un accord interinstitutionnel. En outre, le contenu de cette déclaration de même que les autres extraits de comptes rendus cités dans les pièces soumises à la Cour confirment plutôt la thèse de la Commission, à laquelle nous nous
rallions, et qui peut être ainsi résumée: la compétence exclusive de la Communauté n’empêche pas la participation active des États membres à l’OMI, dès lors que les positions prises par ces derniers dans l’enceinte de cette organisation internationale ont, au préalable, fait l’objet d’une coordination communautaire.

47. En quatrième lieu, la circonstance que la Communauté n’a pas la qualité de membre de l’OMI ne saurait, selon nous, permettre aux États membres de soumettre à cette organisation internationale des propositions nationales dans un domaine relevant de la compétence externe exclusive de la Communauté. Nous partageons, à cet égard, l’opinion de la Commission selon laquelle, si une organisation internationale ne lui permet pas d’agir en tant que représentante régulière de la Communauté dans un domaine
de compétence communautaire exclusive, une telle compétence peut être exercée par l’intermédiaire des États membres agissant solidairement dans l’intérêt de la Communauté et sur autorisation de cette dernière ( 19 ). Une position communautaire, telle que celle que nous avons mentionnée dans nos développements précédents, peut alors être exprimée devant une organisation internationale dont la Communauté n’est pas membre. La nécessité d’une telle position est d’ailleurs rappelée par le législateur
communautaire à l’article 10, paragraphe 4, du règlement no 725/2004 qui prévoit que, «[a]ux fins du présent règlement et pour réduire les risques de conflits entre la législation maritime de la Communauté et les instruments internationaux, les États membres et la Commission coopèrent, au moyen de réunions de coordination et/ou d’autres moyens appropriés, pour arrêter, le cas échéant, une position ou une approche communes au sein des enceintes internationales compétentes».

48. En cinquième lieu, nous n’adhérons pas à l’argument consistant à déduire de l’article 9, paragraphe 1, du règlement no 725/2004 la conséquence selon laquelle la compétence exclusive de la Communauté ne s’étendrait pas à la mise en œuvre par les États membres des exigences contenues dans le chapitre XI-2 de la convention SOLAS ainsi que dans le code ISPS, telles qu’elles ont été intégrées dans ce règlement.

49. Il convient, en effet, de rappeler que l’harmonisation des conditions de mise en œuvre et de contrôle des mesures spéciales pour renforcer la sûreté maritime adoptées par la Conférence diplomatique de l’OMI le 12 décembre 2002 constitue, précisément, aux termes de l’article 1er, paragraphe 2, du règlement no 725/2004, l’un des objets principaux de ce règlement. En outre, l’article 9, paragraphe 1, dudit règlement constitue une disposition classique dans ce type de réglementation qui nécessite,
pour son application, l’utilisation de l’appareil administratif des États membres. L’application décentralisée du droit communautaire ne saurait, à notre avis, avoir pour conséquence de conférer aux États membres, dans un domaine relevant de la compétence exclusive de la Communauté, une compétence pour développer au niveau international une harmonisation des règles de contrôle, celle-ci devant, en vertu du règlement no 725/2004, d’abord passer par le canal communautaire.

50. En sixième et dernier lieu, nous estimons que l’argument tiré de l’article 307 CE est dépourvu de pertinence. Il n’est, en effet, pas question ici de mettre en cause les droits et obligations résultant d’une convention conclue antérieurement à la date d’adhésion de la République hellénique à la Communauté européenne. En particulier, le présent recours n’a pas pour objet d’empêcher cet État membre de participer aux travaux de l’OMI en tant que membre actif de cette organisation. Il s’agit
seulement d’indiquer à la République hellénique que, dans un domaine relevant de la compétence externe exclusive de la Communauté, sa participation à l’OMI ne peut s’affranchir des contraintes qui résultent de l’adoption, au niveau communautaire, de règles communes aux États membres.

VI — Conclusion

51. Au vu des considérations qui précèdent, nous proposons à la Cour de:

— constater que, en soumettant à l’Organisation maritime internationale une proposition relative au contrôle de la conformité des navires et des installations portuaires aux exigences du chapitre XI-2 de la convention internationale de 1974 relative à la sauvegarde de la vie en mer et du code international relatif à la sûreté des navires et des installations portuaires, la République hellénique a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 10 CE, 71 CE et 80, paragraphe 2, CE,
ainsi que du règlement (CE) no 725/2004 du Parlement européen et du Conseil, du 31 mars 2004, relatif à l’amélioration de la sûreté des navires et des installations portuaires;

— condamner la République hellénique aux dépens, le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord supportant ses propres dépens.

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( 1 ) Langue originale: le français.

( 2 ) Proposition du 18 mars 2005 (MSC 80/5/11).

( 3 ) JO L 129, p. 6.

( 4 ) 22/70, Rec. p. 263.

( 5 ) JO L 310, p. 28.

( 6 ) Voir, également, arrêts du 2 juin 2005, Commission/Luxembourg (C-266/03, Rec. p. I-4805, point 40), ainsi que du 14 juillet 2005, Commission/Allemagne (C-433/03, Rec. p. I-6985, point 42).

( 7 ) Arrêts précités Commission/Luxembourg (point 41) et Commission/Allemagne (point 43).

( 8 ) Arrêts du 5 novembre 2002, Commission/Royaume-Uni (C-466/98, Rec. p. I-9427); Commission/Danemark (C-467/98, Rec. p. I-9519); Commission/Suède (C-468/98, Rec. p. I-9575); Commission/Finlande (C-469/98, Rec. p. I-9627); Commission/Belgique (C-471/98, Rec. p. I-9681); Commission/Luxembourg (C-472/98, Rec. p. I-9741); Commission/Autriche (C-475/98, Rec. p. I-9797), et Commission/Allemagne (C-476/98, Rec. p. I-9855).

( 9 ) Voir, notamment, arrêt du 14 juillet 2005, Commission/Allemagne, précité (point 45).

( 10 ) Ibidem (point 46).

( 11 ) Ibidem (point 47).

( 12 ) Deuxième considérant du règlement no 725/2004.

( 13 ) Souligné par nous.

( 14 ) Idem.

( 15 ) Voir, notamment, arrêts du 14 juillet 2005, Commission/Allemagne, précité (point 63), ainsi que du 24 avril 2007, Commission/Pays-Bas (C-523/04, Rec. p. I-3267, point 74).

( 16 ) Arrêt du 14 juillet 2005, Commission/Allemagne, précité (point 64 et jurisprudence citée).

( 17 ) SEC(2005) 586.

( 18 ) Voir annexes 2 et 3 du mémoire en réplique de la Commission.

( 19 ) Voir, en ce sens, avis 2/91, du 19 mars 1993 (Rec. p. I-1061, point 5).


Synthèse
Numéro d'arrêt : C-45/07
Date de la décision : 20/11/2008
Type de recours : Recours en constatation de manquement - fondé

Analyses

Manquement d'État - Articles 10 CE, 71 CE et 80, paragraphe 2, CE - Sécurité maritime - Contrôle des navires et des installations portuaires - Accords internationaux - Compétences respectives de la Communauté et des États membres.

Principes, objectifs et mission des traités

Transports


Parties
Demandeurs : Commission des Communautés européennes
Défendeurs : République hellénique.

Composition du Tribunal
Avocat général : Bot
Rapporteur ?: Timmermans

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2008:642

Source

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