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21/05/2008 | CJUE | N°T-495/04

CJUE | CJUE, Arrêt du Tribunal de première instance, Belfass SPRL contre Conseil de l’Union européenne., 21/05/2008, T-495/04


ARRÊT DU TRIBUNAL (cinquième chambre)

21 mai 2008 ( *1 )

«Marchés publics de services — Procédure d’appel d’offres communautaire — Erreur matérielle manifeste — Attribution à l’offre économiquement la plus avantageuse — Offre anormalement basse — Article 139, paragraphe 1, du règlement (CE, Euratom) no 2342/2002 — Exception d’illégalité — Cahier des charges — Recevabilité»

Dans l’affaire T‑495/04,

Belfass SPRL, établie à Forest (Belgique), représentée par Me L. Vogel, avocat,

partie requérante,>
contre

Conseil de l’Union européenne, représenté par MM. B. Driessen et A. Vitro, en qualité d’agents,

partie défen...

ARRÊT DU TRIBUNAL (cinquième chambre)

21 mai 2008 ( *1 )

«Marchés publics de services — Procédure d’appel d’offres communautaire — Erreur matérielle manifeste — Attribution à l’offre économiquement la plus avantageuse — Offre anormalement basse — Article 139, paragraphe 1, du règlement (CE, Euratom) no 2342/2002 — Exception d’illégalité — Cahier des charges — Recevabilité»

Dans l’affaire T‑495/04,

Belfass SPRL, établie à Forest (Belgique), représentée par Me L. Vogel, avocat,

partie requérante,

contre

Conseil de l’Union européenne, représenté par MM. B. Driessen et A. Vitro, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet, d’une part, une demande d’annulation de la décision du Conseil de l’Union européenne du 13 octobre 2004 de rejeter les deux offres soumises par la requérante dans le cadre de la procédure d’appel d’offres UCA‑033/04 et, d’autre part, une demande de réparation du préjudice prétendument subi par la requérante du fait du comportement du Conseil,

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (cinquième chambre),

composé de M. M. Vilaras, président, Mmes M. E. Martins Ribeiro et K. Jürimäe (rapporteur), juges,

greffier : M. J. Plingers, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 21 juin 2007,

rend le présent

Arrêt

Cadre juridique

1 La passation des marchés de services du Conseil de l’Union européenne est assujettie aux dispositions du titre V de la première partie du règlement (CE, Euratom) no 1605/2002 du Conseil, du 25 juin 2002, portant règlement financier applicable au budget général des Communautés européennes (JO L 248, p. 1, ci‑après le « règlement financier »), ainsi qu’aux dispositions du règlement (CE, Euratom) no 2342/2002 de la Commission, du 23 décembre 2002, établissant les modalités d’exécution du règlement
financier (JO L 357, p. 1, ci-après les « modalités d’exécution »). Ces dispositions s’inspirent des directives communautaires en la matière, notamment, de la directive 92/50/CEE du Conseil, du 18 juin 1992, portant coordination des procédures de passation des marchés publics de services (JO L 209, p. 1), de la directive 93/36/CEE du Conseil, du 14 juin 1993, portant coordination des procédures de passation des marchés publics de fournitures (JO L 199, p. 1), et de la directive 93/37/CEE du
Conseil, du 14 juin 1993, portant coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux (JO L 199, p. 54), telles que modifiées.

2 L’article 97 du règlement financier dispose :

« 1.   Les critères de sélection permettant d’évaluer les capacités des candidats ou des soumissionnaires et les critères d’attribution permettant d’évaluer le contenu des offres sont préalablement définis et précisés dans les documents d’appel à la concurrence.

2.   Le marché peut être attribué par adjudication ou par attribution à l’offre économiquement la plus avantageuse. »

3 L’article 99 du règlement financier prévoit :

« Pendant le déroulement d’une procédure de passation de marchés, les contacts entre le pouvoir adjudicateur et les candidats ou les soumissionnaires ne peuvent avoir lieu que dans des conditions qui garantissent la transparence et l’égalité de traitement. Ils ne peuvent conduire ni à la modification des conditions du marché, ni à celle des termes de l’offre initiale. »

4 L’article 100, paragraphe 2, du règlement financier dispose :

« 2.   Le pouvoir adjudicateur communique à tout candidat ou soumissionnaire écarté les motifs du rejet de sa candidature ou de son offre et, à tout soumissionnaire ayant fait une offre recevable et qui en fait la demande par écrit, les caractéristiques et les avantages relatifs de l’offre retenue ainsi que le nom de l’attributaire.

Toutefois la communication de certains éléments peut être omise dans les cas où elle ferait obstacle à l’application des lois, serait contraire à l’intérêt public, porterait préjudice aux intérêts commerciaux légitimes d’entreprises publiques ou privées ou pourrait nuire à une concurrence loyale entre celles-ci. »

5 L’article 101, paragraphe 1, du règlement financier énonce :

« 1.   Le pouvoir adjudicateur peut, jusqu’à la signature du contrat, soit renoncer au marché, soit annuler la procédure de passation du marché, sans que les candidats ou les soumissionnaires puissent prétendre à une quelconque indemnisation. »

6 L’article 122, paragraphe 2, deuxième alinéa, des modalités d’exécution, tel qu’applicable au moment des faits, prévoyait que le marché sur appel à la concurrence :

« […] est restreint lorsque tous les opérateurs économiques peuvent demander à participer et que seuls les candidats satisfaisant les critères de sélection visés à l’article 135 et qui y sont invités simultanément et par écrit par les pouvoirs adjudicateurs peuvent présenter une offre. »

7 L’article 128, paragraphes 1 et 3, des modalités d’exécution, qui a pour objet la procédure restreinte après appel à manifestation d’intérêt, prévoit notamment :

« 1.   L’appel à manifestation d’intérêt constitue un mode de présélection des candidats qui seront invités à soumissionner lors de futures procédures d’appels d’offres restreints […] ;

3.   À l’occasion d’un marché spécifique, le pouvoir adjudicateur invite soit tous les candidats inscrits sur la liste, soit certains d’entre eux, sur la base de critères de sélection objectifs et non discriminatoires propres au marché, à déposer une offre. »

8 L’article 130, paragraphe 1, des modalités d’exécution, tel qu’applicable au moment des faits, prévoyait :

« 1.   Les documents d’appel à la concurrence comportent au moins :

a) l’invitation à soumissionner ou à négocier ;

b) le cahier des charges qui lui est joint et auquel est annexé le cahier des conditions générales applicables aux marchés ;

c) le modèle du contrat.

[…] »

9 L’article 130, paragraphe 3, sous a) et b), des modalités d’exécution, tel qu’applicable au moment des faits, énonçait :

« 3.   Le cahier des charges précise au moins :

a) les critères d’exclusion et de sélection applicables au marché, sauf en procédure restreinte et dans les procédures négociées avec publication préalable d’un avis visées à l’article 127 ; dans ces cas, ces critères figurent seulement dans l’avis de marché ou d’appel à manifestation d’intérêt ;

b) les critères d’attribution du marché et leur pondération relative si elle ne figure pas dans l’avis de marché ;

c) les spécifications techniques visées à l’article 131 ;

[…] »

10 L’article 138 des modalités d’exécution, tel qu’applicable au moment des faits, disposait :

« 1.   Deux modalités d’attribution d’un marché sont possibles :

a) par adjudication, auquel cas le marché est attribué à l’offre présentant le prix le plus bas parmi les offres régulières et conformes ;

b) par attribution à l’offre économiquement la plus avantageuse.

2.   L’offre économiquement la plus avantageuse est celle qui présente le meilleur rapport entre la qualité et le prix, compte tenu de critères justifiés par l’objet du marché tels que le prix proposé, la valeur technique, le caractère esthétique et fonctionnel, les caractéristiques environnementales, le coût d’utilisation, la rentabilité, le délai d’exécution ou de livraison, le service après-vente et l’assistance technique.

3.   Le pouvoir adjudicateur précise la pondération relative qu’il confère à chacun des critères choisis pour déterminer l’offre économiquement la plus avantageuse dans l’avis de marché ou dans le cahier des charges.

La pondération relative du critère prix par rapport aux autres critères ne doit pas conduire à neutraliser le critère prix dans le choix de l’attributaire du marché.

Si, dans des cas exceptionnels, la pondération n’est techniquement pas possible, notamment en raison de l’objet du marché, le pouvoir adjudicateur y précise seulement l’ordre décroissant d’importance d’application des critères. »

11 L’article 139, paragraphe 1, des modalités d’exécution, tel qu’applicable au moment des faits, prévoyait :

« 1.   Si, pour un marché donné, des offres apparaissent anormalement basses, le pouvoir adjudicateur, avant de rejeter ces offres pour ce seul motif, demande, par écrit, les précisions qu’il juge opportunes sur la composition de l’offre et vérifie de manière contradictoire cette composition en tenant compte des justifications fournies.

Le pouvoir adjudicateur peut notamment prendre en considération des justifications tenant :

a) à l’économie du procédé de fabrication, de la prestation de services ou du procédé de construction ;

b) aux solutions techniques adoptées ou aux conditions exceptionnellement favorables dont dispose le soumissionnaire ;

c) à l’originalité de l’offre du soumissionnaire. »

12 L’article 148, paragraphes 1 et 3, des modalités d’exécution prévoit :

« 1.   Les contacts entre le pouvoir adjudicateur et les soumissionnaires sont autorisés à titre exceptionnel pendant le déroulement d’une procédure de passation de marché dans les conditions prévues aux paragraphes 2 et 3.

3.   Après l’ouverture des offres, dans le cas où une offre donnerait lieu à des demandes d’éclaircissement ou s’il s’agit de corriger des erreurs matérielles manifestes dans la rédaction de l’offre, le pouvoir adjudicateur peut prendre l’initiative d’un contact avec le soumissionnaire, ce contact ne pouvant conduire à une modification des termes de l’offre. »

Faits à l’origine du litige

13 Le 4 mars 2004, agissant en vertu du règlement financier et des modalités d’exécution, le Conseil a publié au Supplément au Journal officiel de l’Union européenne (JO 2004, S 45), un appel d’offres portant la référence UCA‑033/04, selon la procédure restreinte, pour la prestation de services de nettoyage et d’entretien de deux bâtiments occupés par le secrétariat général du Conseil à Bruxelles. Le marché était composé de deux lots, correspondant chacun à un lieu spécifique d’exécution des
prestations, à savoir le bâtiment « Woluwé Heights » (lot no 1) et le bâtiment « Frère Orban » (lot no 2).

14 Le cahier des charges prévoyait que le critère d’attribution retenu était celui de l’offre économiquement la plus avantageuse. L’évaluation finale des offres pour chaque lot devait se faire en attribuant à chaque offre un nombre de points calculé comme suit : « Nombre de points ‘qualité’ x 100/index de prix ». L’offre considérée comme économiquement la plus avantageuse devait être celle ayant obtenu, au terme de cette évaluation finale, le nombre le plus élevé de points, tout en respectant le
nombre minimal de points imposé sous la rubrique « Qualité ».

15 Selon le même cahier des charges, la qualité de chaque offre devait être appréciée sur un maximum de 100 points et sur la base de huit critères. Le huitième critère, crédité d’un maximum de 50 points, visait les « Prestations en heures selon données des totaux A, B, C et D du bordereau de l’annexe 3 ».

16 Les 50 points attribués au titre de ce dernier critère l’étaient sur une base proportionnelle quant à l’écart entre, d’une part, le nombre total des heures proposées par an dans l’offre évaluée (Ho) et, d’autre part, la moyenne du total des heures proposées, pour chaque exercice annuel, dans chacune des offres déclarées recevables (Hm). La moyenne Hm devait être qualifiée de satisfaisante et dotée de 40 points (soit 80 % du plafond de 50 points). En vertu du cahier des charges, un dépassement de
ce seuil Hm, à concurrence de 12,5 %, était honoré par l’attribution de points supplémentaires, et ce dans le respect du plafond des 50 points. En revanche, une diminution par rapport à ce même seuil Hm, supérieure à 12,5 %, était pénalisée par la suppression de points jusqu’à un minimum éliminatoire de 30 points.

17 En outre, le cahier des charges prévoyait que le taux horaire moyen de chaque offre ne pouvait, sous peine d’élimination, être inférieur au taux horaire moyen fixé par l’Union générale belge de nettoyage (ci-après l’« UGBN ») quant à la catégorie 1A en prix de revient et en vigueur à la date de remise de l’offre. À la date du 1er juillet 2004, ce taux horaire moyen était fixé à 19,6962 euros.

18 Le 23 juin 2004, le cahier des charges concernant l’appel d’offres en cause a été adressé aux candidats.

19 Le 23 juillet 2004, Belfass SPRL, la requérante, a présenté deux offres concernant respectivement chacun des deux lots à attribuer dans le cadre de l’appel d’offres UCA‑033/04. Le montant total du prix annuel inscrit dans l’offre de la requérante, portant sur le lot no 1, était de 234059,67 euros.

20 Par lettre du 13 octobre 2004, le Conseil a informé la requérante du rejet de ses deux offres pour les motifs suivants : « […] En ce qui concerne le lot [no] 1, le calcul du taux horaire moyen contenu dans votre offre donne un résultat inférieur au minimum de l’UGBN fixé à 19,6962 euros au [1er juillet 2004]. En ce qui concerne le lot [no] 2, votre offre n’a pas obtenu le minimum exigé des points qualité à attribuer par le comité d’évaluation, selon les critères mentionnés dans le cahier des
charges […] »

21 Le 15 octobre 2004, la requérante a demandé au Conseil de lui adresser des informations complémentaires et détaillées quant aux conditions du rejet de son offre visant le lot no 2.

22 Le 22 octobre 2004, le Conseil a répondu à cette demande en relevant, en particulier, ce qui suit :

« […] votre offre, portant sur un nombre d’heures inférieur de 20 % au nombre d’heures moyen de toutes les offres, a donc été éliminée à ce stade, conformément à la formule reprise en page 2. »

Procédure et conclusions des parties

23 Par requête enregistrée au greffe du Tribunal le 23 décembre 2004, la requérante a introduit le présent recours.

24 Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (cinquième chambre) a décidé d’ouvrir la procédure orale.

25 Le 13 décembre 2006, en réponse à une demande de production de documents du Tribunal du 28 novembre 2006, au titre des mesures d’organisation de la procédure, le Conseil a communiqué au Tribunal l’avis de marché et le cahier des charges relatifs à l’appel d’offres UCA‑033/04, ainsi que le rapport d’évaluation originaire (version non confidentielle) concernant cet appel d’offres.

26 Lors de l’audience du 21 juin 2007, les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions posées par le Tribunal.

27 La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

— déclarer la requête recevable et fondée ;

— annuler la décision du Conseil du 13 octobre 2004, de ne pas donner une suite favorable à ses deux offres soumises à la suite de l’appel d’offres UCA‑033/04 ;

— condamner le Conseil à une indemnité au titre de son préjudice évalué à 1481317,65 euros, augmentée des intérêts calculés au taux de 7 % l’an ;

— condamner le Conseil aux entiers dépens.

28 Le Conseil conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

— rejeter le recours comme étant irrecevable en ce qui concerne le lot no 2 ;

— déclarer le recours en annulation comme étant non fondé ;

— déclarer la demande en dommages-intérêts comme étant non fondée ;

— condamner la requérante aux dépens.

Sur la recevabilité du recours contre la décision du 13 octobre 2004, en ce qu’elle porte sur le lot no 2

Arguments des parties

29 Le Conseil, sans soulever formellement une exception d’irrecevabilité, soutient que le recours contre la décision du 13 octobre 2004, en ce qu’elle porte sur le lot no 2, est irrecevable. Il affirme que la requérante ne conteste pas la décision de l’exclure du marché en tant que telle, mais la légalité de la décision du Conseil d’inclure, dans le cahier des charges, le critère ayant mené à son exclusion, à savoir, la moyenne du nombre total des heures proposées par les soumissionnaires.

30 Lors de l’audience, le Conseil a précisé qu’il ressortait de la jurisprudence de la Cour qu’une personne qui estime que les spécifications d’un appel d’offres, telles que fixées par décision du pouvoir adjudicateur, sont discriminatoires à son détriment ne saurait attendre la notification de la décision d’attribution du marché en cause pour attaquer celle-ci, en arguant précisément du caractère discriminatoire desdites spécifications, sans porter atteinte aux objectifs de rapidité et d’efficacité
de la directive 89/665/CEE du Conseil, du 21 décembre 1989, portant coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives relatives à l’application des procédures de recours en matière de passation des marchés publics de fournitures et de travaux (JO L 395, p. 33), telle que modifiée par la directive 92/50 (arrêt de la Cour du 12 février 2004, Grossmann Air Service, C‑230/02, Rec. p. I‑1829, point 37).

31 Or, il estime que le cahier des charges ayant été adressé de manière individuelle aux candidats, et donc à la requérante, le 23 juin 2004, le délai imparti de deux mois pour contester la légalité de la décision d’y inclure ledit critère avait expiré à la date de l’introduction du présent recours.

32 La requérante soutient, à titre principal, qu’un cahier des charges n’est pas un acte attaquable, au sens de l’article 230 CE. En effet, il s’agirait d’un acte préparatoire de portée générale et, selon une jurisprudence constante, un tel acte, quel que soit le moment où il intervient, ne pourrait jamais faire l’objet d’un recours en annulation.

33 Elle fait également valoir qu’un cahier des charges s’adresse à toutes les entreprises qui, appartenant à une catégorie définie en des termes généraux et abstraits, souhaitent postuler pour l’obtention d’un marché public. En l’espèce, le cahier des charges ne serait ni une décision dont elle était le destinataire, ni une décision qui la concernait directement et individuellement. Elle en conclut que seul un recours contre la décision d’attribution du marché était à même de lui permettre de
contester la légalité du critère inscrit dans le cahier des charges qui porte sur le nombre total des heures proposées par les soumissionnaires.

34 À titre subsidiaire, la requérante invoque, concernant le cahier des charges, le bénéfice de l’exception d’illégalité au sens de l’article 241 CE.

Appréciation du Tribunal

35 À titre liminaire, le Tribunal constate que la position du Conseil consiste à contester la recevabilité du présent recours en ce que, selon cette institution, il viserait, en réalité, uniquement le cahier des charges, lequel serait un acte attaquable dont la légalité n’aurait pas été contestée dans les délais.

36 Il convient, cependant, de constater que l’annulation visée dans le présent recours est celle de la décision du Conseil du 13 octobre 2004 de ne pas donner une suite favorable aux offres de la requérante soumises à la suite de l’appel d’offres et que c’est pour les besoins de cette demande en annulation, donc à titre incident, que la requérante conteste la légalité du cahier des charges.

37 Ainsi, la question qui se pose n’est pas celle de la recevabilité du recours en annulation en ce qu’il viserait prétendument le cahier des charges, mais celle de la recevabilité de l’exception d’illégalité de ce document invoquée dans le cadre de ce recours en annulation.

38 Afin de se prononcer sur cette dernière question, il convient de déterminer si un document d’appel à la concurrence, tel que le cahier des charges en cause, est un acte susceptible, comme le soutient le Conseil, de faire l’objet d’un recours direct au titre de l’article 230, quatrième alinéa, CE et, partant, si la requérante aurait dû agir, sur le fondement de cette disposition et dans le délai de deux mois fixé par son cinquième alinéa, contre le cahier des charges.

39 En vertu des dispositions de l’article 230, quatrième alinéa, CE, toute personne physique ou morale peut former un recours contre les décisions dont elle est le destinataire et contre les décisions qui, bien que prises sous l’apparence d’un règlement ou d’une décision adressée à une autre personne, la concernent directement et individuellement.

40 Selon une jurisprudence constante, une personne physique ou morale autre que le destinataire d’un acte ne saurait prétendre être concernée individuellement, au sens de l’article 230, quatrième alinéa, CE, que si elle est atteinte, par l’acte en cause, en raison de certaines qualités qui lui sont particulières ou d’une situation de fait qui la caractérise par rapport à toute autre personne et, de ce fait, l’individualise d’une manière analogue à celle dont le serait le destinataire de l’acte
(arrêts de la Cour du 15 juillet 1963, Plaumann/Commission, 25/62, Rec. p. 197, 223 ; du 25 juillet 2002, Unión de Pequeños Agricultores/Conseil, C‑50/00 P, Rec. p. I‑6677, point 36, et du 1er avril 2004, Commission/Jégo-Quéré, C‑263/02 P, Rec. p. I‑3425, point 45).

41 En l’espèce, le Tribunal estime que l’on ne saurait considérer que le cahier des charges en cause concerne la requérante de manière individuelle.

42 D’une part, le Tribunal considère que, contrairement à ce que soutient le Conseil, le fait que le cahier des charges a été adressé de manière individuelle, le 23 juin 2004, aux candidats présélectionnés et donc à la requérante, dans le cadre de la procédure restreinte, ne saurait individualiser cette dernière au sens de l’article 230, quatrième alinéa, CE. En effet, le cahier des charges, à l’instar de l’ensemble des documents d’appel à la concurrence émis en l’espèce par le Conseil et dont il
fait partie, s’applique à des situations déterminées objectivement et comporte des effets juridiques à l’égard de catégories de personnes envisagées de manière générale et abstraite. Dès lors, il présente un caractère général et on ne saurait considérer que sa communication individuelle aux entreprises présélectionnées par le pouvoir adjudicateur permet d’individualiser, au sens de l’article 230, quatrième alinéa, CE, chacune de ces entreprises par rapport à toute autre personne.

43 D’autre part, c’est à tort que le Conseil se fonde sur l’arrêt Grossmann Air Service, point 30 supra, pour démontrer que la requérante était recevable à attaquer le cahier des charges en cause. En effet, il convient de rappeler que cet arrêt de la Cour a été rendu à la suite d’une question préjudicielle relative à l’interprétation de l’article 1er, paragraphe 3, et de l’article 2, paragraphe 1, sous b), de la directive 89/665. Or, sans que cela soit contesté par le Conseil, les dispositions de la
directive 89/665, telle que modifiée, ne lient donc que les États membres et non les institutions communautaires. En outre, ainsi que le Conseil l’a reconnu lors de l’audience, force est de constater que la législation communautaire en matière de passation de marchés de services par des institutions communautaires, telle qu’applicable au cas d’espèce, ne contient aucune disposition comparable à celles figurant dans la directive 89/665. Enfin, le Tribunal relève que, contrairement aux faits à
l’origine du litige au principal dans l’arrêt Grossmann Air Service, point 30 supra, dans le cas d’espèce, le critère figurant dans le cahier des charges et contesté par la requérante ne l’a pas empêchée de participer utilement à la procédure de passation du marché en cause. Tout au contraire, il ressort des éléments du dossier que la requérante, au même titre que les autres candidats retenus sur la liste établie après la phase de présélection, a été en mesure de présenter une offre concernant le
lot no 2. Partant, il ne saurait être fait usage, au terme d’un raisonnement par analogie, et aux fins d’apprécier la recevabilité du présent recours, en ce qu’il porte sur le lot no 2, de l’interprétation donnée par la Cour dans l’arrêt Grossmann Air Service, point 30 supra, des dispositions de la directive 89/665, telle que modifiée.

44 Il résulte des considérations qui précèdent que le cahier des charges en cause ne concernant pas individuellement la requérante, elle ne disposait pas du droit d’introduire un recours en annulation, au titre de l’article 230, quatrième alinéa, CE, à l’encontre de ce cahier des charges. Partant, c’est à tort que le Conseil excipe du caractère prétendument attaquable de ce cahier des charges par la requérante pour s’opposer à la contestation, par cette dernière, dans le cadre du présent recours, à
titre incident, de la légalité de ce document.

Sur le fond

Sur le recours contre la décision du 13 octobre 2004, en ce qu’elle porte sur le lot no 1

Arguments des parties

45 Au soutien de son recours en annulation contre la décision du 13 octobre 2004, en ce qu’elle porte sur le lot no 1, la requérante avance un moyen unique tiré d’une erreur manifeste d’appréciation.

46 En substance, la requérante soutient que le Conseil a commis une erreur manifeste d’appréciation en ce qu’il a manqué à son obligation d’examen vigilant de son offre au titre du lot no 1.

47 En effet, contrairement à ce qu’en a conclu le Conseil, elle soutient que le taux horaire moyen de son offre s’élevait à 22,123 euros et était donc supérieur au taux horaire moyen minimal de 19,6962 euros, fixé par l’UGBN.

48 Certes, la requérante reconnaît que cette erreur commise par le Conseil est liée à une erreur d’addition qui s’était introduite dans son offre au niveau du total des catégories A, B, C et D (234059,67 euros au lieu de 271811,67 euros).

49 Toutefois, elle considère que, en vertu du principe de bonne administration, lors de l’examen de son offre, le Conseil aurait dû s’assurer que l’offre soumise à son examen ne comportait pas une telle erreur matérielle manifeste, qu’il aurait pu corriger de sa propre initiative.

50 Elle fait observer qu’une simple vérification de calcul aurait permis au Conseil de constater que le taux horaire correct de son offre était d’un montant minimal de 20,92 euros, ainsi que cela ressort de manière claire et précise en page 40 de l’offre.

51 À tout le moins, la requérante estime que, dans la mesure où ladite erreur était manifeste et que sa correction n’aurait modifié ni les conditions du marché ni l’offre initiale, le Conseil aurait pu, dans le respect de l’article 99 du règlement financier, et ainsi que le prévoyait l’article 10 du cahier des charges de l’appel d’offres en cause, user de son droit de prendre contact avec elle.

52 La requérante considère que, contrairement à ce qu’affirme le Conseil, les conclusions tirées par le Tribunal dans l’arrêt du 8 mai 1996, Adia interim/Commission (T‑19/95, Rec. p. II‑321, point 47), ne sauraient être reprises dans le cas d’espèce. En effet, elle relève qu’il s’agissait, dans cet arrêt, d’une erreur systématique de calcul qui était difficilement détectable par le pouvoir adjudicateur. Or, dans le cas d’espèce, la requérante considère que l’erreur en cause est une simple erreur
d’addition des catégories A, B, C et D, erreur que le Conseil aurait pu aisément détecter et corriger.

53 De même, la requérante affirme que le Conseil ne peut pas prétendre n’avoir pas relevé cette erreur, alors que le prix total correct, et donc corrigé, figure dans les évaluations comparatives « ordinaire » et « théorique » de son offre jointes en annexe à son mémoire en défense.

54 En outre, elle soutient que le principe général dégagé par la Cour dans l’arrêt du 13 juillet 1972, Bernardi/Parlement (90/71, Rec. p. 603, point 10), en vertu duquel une partie ne saurait invoquer devant la Cour les irrégularités qui peuvent avoir été la conséquence de son propre comportement, n’est pas non plus applicable dans son cas d’espèce. En effet, elle observe que son comportement n’était ni dolosif, ni à l’origine de l’erreur commise par le Conseil. Elle ajoute qu’elle n’avait aucun
intérêt à ce que son erreur, en l’occurrence une simple erreur de calcul involontaire, ne soit pas corrigée.

55 Au surplus, en réponse à l’argumentation du Conseil, la requérante soutient que, si la communication prévue à l’article 100 du règlement financier confère au soumissionnaire écarté un droit d’attirer l’attention du pouvoir adjudicateur sur d’éventuelles erreurs d’appréciation qui auraient pu vicier l’évaluation de son offre, alors les principes de bonne administration et de transparence imposent au pouvoir adjudicateur d’informer expressément le destinataire, dans cette communication, de
l’existence de ce droit. Or, elle estime que le Conseil, dans sa lettre du 13 octobre 2004, ne l’a jamais informée de l’existence d’un tel droit. Il en résulterait une violation du principe d’égalité de traitement.

56 Elle en conclut que l’erreur commise par le Conseil, quant au calcul du taux horaire moyen de son offre au titre du lot no 1, résulte d’une absence d’examen vigilant de ladite offre par ce dernier et que, en conséquence, la décision finale de rejet de cette offre est entachée d’une erreur manifeste d’appréciation particulièrement grave.

57 Le Conseil oppose que le taux horaire moyen, ainsi que cela ressort des termes du cahier des charges de l’appel d’offres, est égal au prix total de l’offre considérée, divisé par le nombre total d’heures inscrit dans ladite offre. C’est la raison pour laquelle il indique s’être contenté d’effectuer le calcul, à partir de ce prix total de référence de 234059,67 euros, tel qu’indiqué par la requérante dans son offre.

58 Le Conseil est d’avis qu’il ne lui incombait pas de procéder à une vérification de la somme des catégories A, B, C et D figurant dans l’offre de la requérante et de découvrir, à cette occasion, que le prix total correct était de 271811,67 euros, et non de 234059,67 euros. De même, le Conseil estime que les données figurant dans les évaluations comparatives « ordinaire » et « théorique » de l’offre en cause, jointes en annexe à son mémoire en défense, ne sauraient être retenues aux fins de
démontrer qu’il avait relevé cette erreur au stade de l’examen de ladite offre. En effet, c’est au stade de la préparation de son mémoire en défense, dans la présente affaire, que ces évaluations auraient été réalisées.

59 Il ajoute que le pouvoir adjudicateur ne peut prendre l’initiative de contacter le soumissionnaire que pour faire corriger des erreurs matérielles manifestes. Or, il est d’avis que, dans le cas d’espèce, l’erreur était si peu manifeste qu’il n’a pas pu la détecter.

60 En outre, le Conseil excipe du principe général de droit, reconnu par la Cour dans l’arrêt Bernardi/Parlement, point 54 supra, en vertu duquel une partie ne saurait invoquer devant la Cour les irrégularités qui peuvent avoir été la conséquence de son propre comportement.

61 De même, il considère que, même s’il avait dû détecter l’erreur en cause, il lui aurait été impossible, sans risquer de violer les dispositions de l’article 99 du règlement financier et de l’article 148, paragraphe 3, des modalités d’exécution, de prendre contact avec le soumissionnaire pour corriger ladite erreur. À l’appui de cette considération, il se fonde, en particulier, sur l’arrêt Adia interim/Commission, point 52 supra.

62 Enfin, le Conseil estime que l’un des objectifs de la communication prévue à l’article 100 du règlement financier, qui suit l’attribution du marché et précède la signature du contrat, est de permettre au soumissionnaire écarté d’attirer l’attention du pouvoir adjudicateur sur d’éventuelles erreurs d’appréciation qui auraient vicié l’évaluation de l’offre. Or, il relève que la requérante n’a aucunement réagi, une fois reçue la lettre du 13 octobre 2004 l’informant des motifs du rejet de son offre
quant au lot no 1.

Appréciation du Tribunal

63 Selon une jurisprudence constante, le Conseil dispose d’un important pouvoir d’appréciation quant aux éléments à prendre en considération en vue de la prise de décision de passer un marché sur appel d’offres et le contrôle du Tribunal doit se limiter à vérifier l’absence d’erreur grave et manifeste (arrêt de la Cour du 23 novembre 1978, Agence européenne d’intérims/Commission, 56/77, Rec. p. 2215, point 20 ; arrêts du Tribunal Adia interim/Commission, point 52 supra, point 49, et du 6 juillet
2000, AICS/Parlement, T‑139/99, Rec. p. II‑2849, point 39).

64 En outre, en vertu des dispositions de l’article 148 des modalités d’exécution, après l’ouverture des offres, dans le cas où une offre donnerait lieu à des demandes d’éclaircissement ou s’il s’agit de corriger des erreurs matérielles manifestes dans la rédaction de l’offre, le pouvoir adjudicateur peut exceptionnellement prendre l’initiative d’un contact avec le soumissionnaire.

65 Dans le cas d’espèce, il convient de vérifier si l’erreur matérielle commise par la requérante, à savoir une erreur d’addition qui s’était introduite dans son offre au niveau du total des catégories A, B, C et D (234059,67 euros au lieu de 271811,67 euros), était une erreur matérielle manifeste que le Conseil aurait dû relever.

66 À cet égard, le Tribunal constate, premièrement, que le mode de calcul du taux horaire de l’offre des soumissionnaires ne nécessitait pas que le Conseil procède de nouveau au calcul de la somme des catégories A, B, C et D. En effet, il n’est pas contesté que ce calcul du taux horaire moyen devait être effectué à partir du prix total de l’offre ainsi que du nombre total des heures de prestation proposées, tels qu’inscrits par la requérante dans son offre.

67 Deuxièmement, il est exclu de considérer, à l’instar de la requérante, que le taux horaire correct de son offre était d’un montant minimal de 20,92 euros, montant qui figurait de manière claire et précise en page 40 de l’offre et que, à ce titre, le Conseil aurait dû s’interroger sur l’existence d’une probable erreur de calcul du taux horaire moyen de l’offre de la requérante. En effet, le Tribunal constate que ledit montant, inscrit en page 40 de l’offre de la requérante, figurait sous la
catégorie E, qui se rapportait de manière expresse au taux horaire des travaux complémentaires, réalisés, à la demande, par le personnel de nettoyage « les jours ouvrables (du lundi au vendredi) entre 6 h 00 et 22 h 00 ». Le montant du taux horaire ainsi mentionné, de 20,92 euros, concernait donc un type de prestations spécifiques, à savoir des travaux complémentaires, et, par conséquent, distinctes des prestations visées aux catégories A, B, C et D.

68 Troisièmement, contrairement à ce qu’allègue la requérante, il ne saurait être considéré que les tableaux d’évaluation « ordinaire » et « théorique », produits par le Conseil en annexe à son mémoire en défense dans la présente affaire, démontrent que ce dernier avait connaissance de l’erreur commise par la requérante. En effet, il ressort clairement des écritures du Conseil que ce dernier a élaboré lesdits tableaux pour les besoins de la présente procédure contentieuse. En outre, le Tribunal
relève que la requérante n’a pas démontré le contraire.

69 Au surplus, contrairement à ce qu’allègue la requérante, le Tribunal considère qu’il ne saurait être reproché au Conseil de ne pas l’avoir informée, au stade de la communication prévue à l’article 100 du règlement financier, de son droit d’attirer l’attention du pouvoir adjudicateur sur d’éventuelles erreurs d’appréciation qui auraient pu vicier l’évaluation de son offre. En effet, selon la jurisprudence, en l’absence de disposition expresse de droit communautaire, il ne saurait être reconnu, à
charge des autorités administratives ou juridictionnelles de la Communauté, une obligation générale d’informer les justiciables des voies de recours disponibles, ainsi que des conditions dans lesquelles ils peuvent les exercer (ordonnance de la Cour du 5 mars 1999, Guérin automobiles/Commission, C‑153/98 P, Rec. p. I‑1441, point 15, et arrêt du Tribunal du 24 février 2000, ADT Projekt/Commission, T‑145/98, Rec. p. II‑387, point 210). Or, dans le cas d’espèce, le Tribunal constate que l’article
100 du règlement financier ne prévoit pas, de manière expresse, une telle obligation.

70 En tout état de cause, force est de constater que, lorsque la requérante a reçu la lettre du Conseil du 13 octobre 2004, alors qu’elle avait pris l’initiative de formuler une demande d’éclaircissement quant aux conditions de rejet de son offre en ce qui concernait le lot no 2, elle n’a formulé aucune remarque quant à l’existence d’une erreur manifeste de calcul dans son offre concernant le lot no 1.

71 Il résulte des observations qui précèdent que l’erreur matérielle commise par la requérante n’était pas manifeste, au sens de l’article 148, paragraphe 3, des modalités d’exécution. Dès lors, il ne saurait être reproché au Conseil de n’avoir pas relevé cette erreur et, par la suite, de ne pas l’avoir corrigée ou, à tout le moins, de n’avoir pas pris contact avec la requérante afin de lui permettre de rectifier cette erreur.

72 Par conséquent, le moyen unique, tiré d’une erreur manifeste d’appréciation commise par le Conseil dans la décision du 13 octobre 2004, en ce qu’elle porte sur le lot no 1, est non fondé. Partant, le recours en annulation introduit contre la décision du 13 octobre 2004, en ce qu’elle porte sur le lot no 1, doit être rejeté.

Sur le recours contre la décision du 13 octobre 2004, en ce qu’elle porte sur le lot no 2

Arguments des parties

73 Au soutien de son recours contre la décision du 13 octobre 2004, en ce qu’elle porte sur le lot no 2, la requérante soulève trois moyens pris respectivement d’une violation du principe général de bonne administration, d’une erreur manifeste d’appréciation et d’une violation du principe de non‑discrimination. En outre, au stade de la réplique, la requérante fait valoir un quatrième moyen, tiré de ce que, faute d’avoir pris contact avec elle avant d’exclure son offre, le Conseil a violé les
dispositions de l’article 139, paragraphe 1, des modalités d’exécution.

74 La requérante soutient, en substance, que les trois premiers moyens, tirés respectivement de la violation du principe général de bonne administration, du principe de non‑discrimination et d’une erreur manifeste d’appréciation, sont fondés en ce que son offre concernant le lot no 2 a été rejetée de manière automatique, sans autre examen, au seul motif que le nombre total des heures de travail inscrit dans ladite offre était inférieur de plus de 12,5 % à la moyenne du nombre total des heures
proposées dans les offres recueillies.

75 En premier lieu, la requérante est d’avis que, pour des motifs similaires, le critère de sélection, figurant dans le cahier des charges, relatif à la moyenne du nombre total des heures proposées, sur lequel s’est fondé le Conseil pour rejeter son offre, sans autre examen, viole le principe de bonne administration et est entaché d’une erreur manifeste d’appréciation. En effet, il conduirait à privilégier des offres qui prévoient un volume de prestations en heures supérieur à ce qui est réellement
nécessaire et qui, par voie de conséquence, sont plus coûteuses.

76 À cet égard, premièrement, la requérante affirme que ledit critère retenu par le Conseil ne permet pas d’évaluer de manière objective ce qui est nécessaire pour effectuer les prestations requises. D’une part, elle rappelle que, depuis le 1er janvier 1998, elle assurait, à l’entière satisfaction du Conseil, le nettoyage et l’entretien du bâtiment visé dans le cadre du lot no 2, et ce sur la base d’un volume total d’heures équivalant à celui inscrit dans son offre. Or, tout en reconnaissant que le
Conseil ne pouvait pas prendre en considération cette expérience, elle estime que cette dernière permet simplement de démontrer, de manière objective, que le nombre total d’heures nécessaire pour effectuer les prestations requises, dans des conditions à tout le moins équivalentes, était inférieur à celui de l’offre finalement retenue et, par conséquent, que le critère appliqué par le Conseil encourageait une surestimation de ce volume d’heures.

77 D’autre part, elle estime que l’évaluation de l’importance des prestations requises ne peut raisonnablement dépendre des offres des soumissionnaires eux‑mêmes, ces derniers pouvant avoir un intérêt, après s’être concertés, à gonfler artificiellement le volume des prestations offertes. Enfin, le volume d’heures de travail ne saurait constituer le principal critère permettant d’apprécier la qualité du travail à effectuer. Sur ce dernier point, la requérante fait observer que, si elle avait
artificiellement gonflé le nombre d’heures proposées dans son offre, celle‑ci n’aurait pas été éliminée d’office.

78 Deuxièmement, la requérante fait valoir que le Conseil ne saurait tirer argument du fait que, alors que l’offre de l’attributaire était 3,7 % plus chère que la sienne, elle proposait un nombre d’heures supérieur de 25,2 % par rapport à son offre. En effet, d’une part, elle réitère son constat selon lequel ce nombre total d’heures proposées par l’attributaire était supérieur au nombre d’heures effectivement nécessaire pour effectuer, dans les conditions de qualité requises, le travail prévu par le
cahier des charges. Dès lors, de par cette surestimation des prestations offertes par l’attributaire, il serait porté préjudice au Conseil et à la collectivité qui le finance. D’autre part, elle ajoute que, en réalité, le soumissionnaire sélectionné ne fournit pas la totalité du nombre d’heures figurant dans son offre, ce qui, selon elle, confirme que le nombre d’heures qu’elle avait proposé correspondait à ce qui était nécessaire pour réaliser le nettoyage des locaux concernés par le lot no 2.

79 En deuxième lieu, la requérante soutient que le critère de sélection retenu est discriminatoire en ce qu’il aboutit à écarter d’office, sans autre examen, des offres objectivement avantageuses pour le Conseil sur un plan budgétaire, et parfaitement satisfaisantes sur un plan qualitatif.

80 En troisième lieu, la requérante soutient que le Conseil a violé les dispositions de l’article 139, paragraphe 1, des modalités d’exécution. En effet, elle considère que, avant d’écarter son offre, en raison du caractère anormalement bas du nombre total d’heures de prestations proposées, le Conseil aurait dû procéder à une vérification contradictoire de cette offre, dans les conditions posées par l’article 139, paragraphe 1, des modalités d’exécution. En outre, il ressortirait de la jurisprudence
que l’élimination d’office d’offres anormalement basses, lorsque celle-ci repose sur l’application d’un critère mathématique, serait interdite (arrêt de la Cour du 22 juin 1989, Fratelli Costanzo, 103/88, Rec. p. 1839).

81 Le Conseil rappelle que, selon la jurisprudence, l’attribution d’un marché au soumissionnaire ayant présenté l’offre économiquement la plus avantageuse n’implique pas que l’offre retenue soit nécessairement la moins chère.

82 Il ajoute que la mise en concurrence régulière a en particulier pour objectif de démontrer qu’il est possible de faire mieux ou de faire plus. Dans un marché compétitif, la moyenne du nombre total des heures proposées par l’ensemble des soumissionnaires correspondrait vraisemblablement à une estimation solide et fiable des moyens requis pour assurer la bonne exécution du service, d’un point de vue qualitatif. En effet, le Conseil est d’avis que, avec un nombre plus élevé d’heures consacrées au
nettoyage, on obtient un plus haut degré de qualité. Or, en l’espèce, le Conseil constate que, si l’attributaire avait soumis une offre 3,7 % plus chère que celle de la requérante, en revanche, il proposait 25,2 % d’heures de travail de plus que la requérante. De surcroît, il fait observer que, alors que le critère du prix pesait à concurrence de 50 % dans l’évaluation des offres, celui contesté relatif au nombre total des heures proposées ne comptait que pour 25 % du nombre total de points à
attribuer. Dès lors, l’offre de l’attributaire serait économiquement plus avantageuse et les services de la requérante seraient, quant à eux, beaucoup plus chers. Au demeurant, le Conseil affirme que les cartes de pointage du personnel de l’attributaire démontrent que les prestations fournies correspondent aux obligations découlant des termes du marché.

83 S’agissant des allégations de la requérante quant à un risque de concertation entre les soumissionnaires, s’entendant pour gonfler artificiellement le volume des prestations, le Conseil invite celle‑ci, pour autant qu’elle dispose de preuves à cet égard, à contacter les autorités en charge de la concurrence.

84 S’agissant du troisième moyen tiré de la violation du principe de non‑discrimination, le Conseil oppose que ce principe lui interdisait de tenir compte de la qualité des services antérieurement fournis par la requérante, dans son choix d’attribution.

85 Enfin, le Conseil soutient que, le quatrième moyen, tiré de la violation de l’article 139, paragraphe 1, des modalités d’exécution, ayant été soulevé par la requérante au stade de la réplique, il serait nouveau et, par conséquent, irrecevable. En tout état de cause, le Conseil estime que l’offre de la requérante n’était pas anormalement basse. En effet, il affirme, en substance, que le respect de la procédure contradictoire, en présence d’une offre anormalement basse, telle que prévue à l’article
139, paragraphe 1, des modalités d’exécution, s’impose uniquement lorsque le prix de cette offre est concerné. Or, il fait observer que, alors que la requérante proposait, dans son offre, un nombre total d’heures inférieur de 25,2 % à l’offre de l’attributaire, son prix était inférieur de seulement 3,7 % à celui proposé par ce dernier. Partant, il estime que les services de la requérante étaient beaucoup plus chers que ceux de l’attributaire.

Appréciation du Tribunal

86 Avant d’examiner le bien‑fondé du recours en annulation contre la décision du 13 octobre 2004, en ce qu’elle porte sur le lot no 2, il convient, dans un premier temps, de se prononcer sur la recevabilité du quatrième moyen, tiré de la violation des dispositions de l’article 139, paragraphe 1, des modalités d’exécution.

— Sur la recevabilité du quatrième moyen, tiré de la violation des dispositions de l’article 139, paragraphe 1, des modalités d’exécution

87 Selon une jurisprudence constante, il ressort des dispositions combinées de l’article 44, paragraphe 1, sous c), et de l’article 48, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal, que la requête introductive d’instance doit contenir l’objet du litige et l’exposé sommaire des moyens invoqués, et que la production de moyens nouveaux en cours d’instance est interdite, à moins que ces moyens ne se fondent sur des éléments de droit et de fait qui se sont révélés pendant la procédure. Cependant,
un moyen qui constitue l’ampliation d’un moyen énoncé antérieurement, directement ou implicitement, dans la requête introductive d’instance, et qui présente un lien étroit avec celui-ci, doit être déclaré recevable (arrêts de la Cour du 30 septembre 1982, Amylum/Conseil, 108/81, Rec. p. 3107, point 25, et du 19 mai 1983, Verros/Parlement, 306/81, Rec. p. 1755, point 9 ; arrêt du Tribunal du 17 décembre 1997, Moles García Ortúzar/Commission, T‑216/95, RecFP p. I‑A‑403 et II‑1083, point 87).

88 En outre, selon la jurisprudence, il ressort de l’article 139, paragraphe 1, des modalités d’exécution que le pouvoir adjudicateur a l’obligation de permettre au soumissionnaire d’expliciter, voire de justifier les caractéristiques de son offre, avant de la rejeter, s’il estime qu’une offre est anormalement basse (arrêt du Tribunal du 6 juillet 2005, TQ3 Travel Solutions Belgium/Commission, T‑148/04, Rec. p. II‑2627, point 49)

89 En l’espèce, le Tribunal constate que, au point 17 de sa requête, la requérante fait en particulier valoir, à l’appui de son recours contre la décision du 13 octobre 2004, en ce qu’elle porte sur le lot no 2, une violation du principe général de bonne administration, du principe de non‑discrimination et une erreur manifeste d’appréciation, en ce que son offre a été rejetée, sans autre examen, au seul motif que le nombre total des heures de travail inscrit dans ladite offre était inférieur de plus
de 12,5 % à la moyenne du nombre total des heures proposées. De même, au point 26 de sa requête, elle soutient que la mise en œuvre de ce critère est discriminatoire en ce qu’elle aboutit à écarter d’office, sans autre examen, des offres objectivement plus avantageuses. Il en résulte que la requérante a, au stade de la requête, expressément reproché au Conseil d’avoir écarté son offre sans autre examen, et ce en raison de son caractère anormalement bas.

90 Il découle de ce qui précède que le quatrième moyen, tiré de la violation de l’article 139, paragraphe 1, des modalités d’exécution, bien qu’il n’ait été soulevé de manière expresse par la requérante qu’au stade de la réplique, constitue une ampliation des trois moyens énoncés dans la requête introductive d’instance, et présente un lien étroit avec ceux‑ci. Il convient donc de déclarer ce moyen recevable.

— Sur le bien-fondé du recours contre la décision du 13 octobre 2004, en ce qu’elle porte sur le lot no 2

91 Ainsi que relevé au point 89 ci-dessus, les trois moyens soulevés au stade de la requête et respectivement tirés de la violation du principe de bonne administration, d’une erreur manifeste d’appréciation et d’une violation du principe de non‑discrimination tendent, en substance, à démontrer que c’est à tort que le Conseil n’a pas invité la requérante, préalablement à l’élimination automatique de son offre, en raison du caractère anormalement bas du nombre d’heures qu’elle proposait, et
conformément au principe de vérification contradictoire prévu à l’article 139, paragraphe 1, des modalités d’exécution, à lui fournir une justification permettant de rapporter la preuve du caractère sérieux de son offre. Partant, il y a lieu d’examiner d’emblée le quatrième moyen, tiré de la violation de l’article 139, paragraphe 1, des modalités d’exécution.

92 À ce titre, il convient, en premier lieu, de déterminer si la notion d’offre anormalement basse ne vise, ainsi que le soutient le Conseil, que le critère du prix de l’offre examinée par le pouvoir adjudicateur ou si, comme le prétend, en substance, la requérante, cette notion vise également d’autres critères d’évaluation des offres.

93 Selon la jurisprudence, dès lors que les exigences prévues à l’article 29, paragraphe 5, de la directive 71/305/CEE du Conseil, du 26 juillet 1971, portant coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux (JO L 185, p. 5), à l’article 37, paragraphe 1, de la directive 92/50, et à l’article 30, paragraphe 4, de la directive 93/37 sont, en substance, identiques à celles imposées par l’article 139, paragraphe 1, des modalités d’exécution, les considérations qui suivent valent
également s’agissant de l’interprétation de cette dernière disposition (voir, par analogie, arrêt de la Cour du 27 novembre 2001, Lombardini et Mantovani, C‑285/99 et C‑286/99, Rec. p. I‑9233, point 50).

94 Il convient en outre de relever que, au point 67 de l’arrêt Lombardini et Mantovani, point 93 supra, la Cour a constaté qu’il était constant que l’article 30, paragraphe 4, de la directive 93/37/CEE ne définissait pas la notion d’offre anormalement basse et, a fortiori, ne déterminait pas un mode de calcul d’un seuil d’anomalie. Dans cette même affaire, l’avocat général a considéré que le concept d’offre anormalement basse n’était pas un concept abstrait, mais une notion très précise, qui devait
être déterminée, pour chaque marché, en fonction de l’objet spécifique que constituait sa prestation (conclusions de l’avocat général M. Ruiz-Jarabo Colomer sous l’arrêt Lombardini et Mantovani, Rec. p. I-9235, point 93 supra, points 32 et 35).

95 En l’espèce, d’une part, le Tribunal constate qu’aucune définition du seuil d’anomalie et de la notion d’offre anormalement basse, au sens de l’article 139, paragraphe 1, des modalités d’exécution, ne figure dans le règlement financier et dans les modalités d’exécution. D’autre part, il ne ressort pas de manière expresse des dispositions de ce même article que la notion d’offre anormalement basse ne pourrait pas être appliquée à d’autres critères que celui du prix.

96 Par conséquent, afin de définir le champ d’application ratione materiae de la notion d’offre anormalement basse, au sens de l’article 139, paragraphe 1, des modalités d’exécution, il convient, tout d’abord, de se fonder sur l’objectif poursuivi par cette disposition.

97 Ainsi que rappelé au point 88 ci‑dessus, en vertu des dispositions de l’article 139, paragraphe 1, des modalités d’exécution, le pouvoir adjudicateur a l’obligation, s’il estime qu’une offre est anormalement basse, de permettre au soumissionnaire d’expliciter, voire de justifier les caractéristiques de son offre, avant de la rejeter. Plus précisément, il ressort de la jurisprudence qu’il est essentiel que chaque soumissionnaire soupçonné d’avoir présenté une offre anormalement basse dispose de la
faculté de faire valoir utilement son point de vue à cet égard, en lui donnant la possibilité de fournir toutes justifications sur les différents éléments de son offre à un moment où il a connaissance non seulement du seuil d’anomalie applicable au marché en cause ainsi que du fait que son offre est apparue anormalement basse, mais également des points précis qui ont suscité des interrogations de la part du pouvoir adjudicateur (arrêt Lombardini et Mantovani, point 93 supra, point 53). La Cour a,
par la même occasion, déclaré que l’existence d’un tel débat contradictoire effectif constituait une exigence fondamentale en vue d’éviter l’arbitraire de l’autorité adjudicatrice et de garantir une saine concurrence entre les entreprises (arrêt Lombardini et Mantovani, point 93 supra, point 57).

98 Il découle de ce qui précède que l’article 139, paragraphe 1, des modalités d’exécution consacre une exigence fondamentale en matière de passation de marchés publics, qui impose au pouvoir adjudicateur de vérifier, de manière contradictoire, avant de la rejeter, toute offre présentant un caractère anormalement bas, et ce au regard des éléments qui la composent.

99 Ensuite, le Tribunal rappelle que, en vertu de l’article 97, paragraphe 2, du règlement financier, le marché peut être attribué par adjudication ou par attribution à l’offre économiquement la plus avantageuse et que, en ce qui concerne ce second mode d’attribution, l’article 138, paragraphe 2, des modalités d’exécution prévoit que l’offre retenue est celle qui présente le meilleur rapport entre la qualité et le prix, compte tenu de critères justifiés par l’objet du marché tels que le prix
proposé, la valeur technique, le caractère esthétique et fonctionnel, les caractéristiques environnementales, le coût d’utilisation, la rentabilité, le délai d’exécution ou de livraison, le service après-vente et l’assistance technique.

100 Dès lors, le Tribunal considère que, lorsque le marché est attribué à l’offre économiquement la plus avantageuse, l’exigence fondamentale visée au point 98 ci-dessus s’applique non seulement au critère du prix de l’offre examinée, mais également aux autres critères visés à l’article 138, paragraphe 2, des modalités d’exécution, dans la mesure où ils permettent de déterminer un seuil d’anomalie en dessous duquel une offre soumise dans le cadre du marché en cause est soupçonnée d’être anormalement
basse, au sens de l’article 139, paragraphe 1, des modalités d’exécution.

101 En second lieu, il convient d’apprécier si, en l’espèce, au regard des considérations qui précèdent, le Conseil était tenu, ainsi que le soutient la requérante, de respecter la procédure de vérification contradictoire, telle que prévue à l’article 139, paragraphe 1, des modalités d’exécution.

102 À cet égard, le Tribunal relève que le mode d’attribution du marché en cause était celui de l’offre économiquement la plus avantageuse. En outre, il est constant que, parmi les critères retenus, celui relatif à la moyenne du nombre total des heures proposées portait sur l’aspect qualitatif de l’offre de la requérante et constituait un des différents éléments de l’offre au sens de la jurisprudence rappelée au point 97 ci-dessus. Enfin, conformément aux dispositions du cahier des charges rappelées
au point 16 ci-dessus, ledit critère permettait de déterminer un seuil d’anomalie en dessous duquel l’offre en cause était éliminée de manière automatique.

103 Or, ainsi que cela ressort des termes de la lettre du Conseil du 22 octobre 2004, et ainsi que le Conseil l’a expressément confirmé lors de l’audience, en réponse à une question du Tribunal, c’est sur le fondement de ce dernier critère que l’offre de la requérante a été rejetée, au seul motif du caractère excessivement bas du nombre total d’heures inscrit dans cette offre. En outre, force est de constater que le Conseil n’a procédé à aucune vérification contradictoire, au sens des dispositions
de l’article 139, paragraphe 1, des modalités d’exécution, de l’offre de la requérante, préalablement à son élimination automatique.

104 Dans ces circonstances, le Conseil a violé les dispositions de l’article 139, paragraphe 1, des modalités d’exécution.

105 Cette conclusion ne saurait être remise en cause par le fait que, ainsi que le fait valoir le Conseil dans son mémoire en duplique, alors que le volume total des heures de la requérante était 25,2 % moins élevé que celui de l’attributaire, son prix total était, en revanche, inférieur de 3,7 % à celui de ce même attributaire. En effet, il suffit de nouveau de constater que, ainsi que cela ressort de la lettre du Conseil du 22 octobre 2004, l’exclusion de l’offre de la requérante est intervenue au
seul motif du caractère excessivement bas du nombre total d’heures inscrit dans cette offre.

106 Il résulte des développements qui précèdent que le quatrième moyen, tiré de la violation des dispositions de l’article 139, paragraphe 1, des modalités d’exécution, est fondé.

107 En conséquence, sans qu’il soit besoin de se prononcer sur le bien-fondé des trois premiers moyens soulevés à l’appui du recours en annulation, il y a lieu d’annuler la décision du 13 octobre 2004, en ce qu’elle porte sur le lot no 2.

Sur les conclusions en indemnité

Arguments des parties

108 La requérante estime que le rejet injuste de ses deux offres par le Conseil lui a causé un préjudice et demande réparation dudit préjudice qu’elle évalue, en multipliant le prix annuel de son offre par la durée du contrat (3 ans), à 1481317,65 euros, augmentés des intérêts calculés au taux de 7 % l’an.

109 En ce qui concerne l’existence d’une faute, elle soutient que le Conseil a incontestablement commis une faute grave et manifeste, d’une part, concernant le lot no 1, en ne vérifiant pas l’exactitude de son offre et, d’autre part, concernant le lot no 2, en violant les dispositions du règlement financier et des modalités d’exécution.

110 En ce qui concerne la réalité du dommage, la requérante fait valoir que le rejet irrégulier de ses deux offres constitue un manque à gagner considérable qui met en péril sa propre survie.

111 D’une part, à titre subsidiaire, la requérante invite le Tribunal, s’il n’était pas convaincu, en l’état, de ses prétentions au titre de la réparation du dommage qu’elle a subi consécutivement au rejet de ses deux offres, à lui allouer, de manière immédiate, une indemnité provisionnelle de 500000 euros. D’autre part, elle propose au Tribunal, avant de statuer de manière définitive sur le montant du dommage, de désigner un expert-comptable chargé de calculer le bénéfice direct et indirect que lui
aurait procuré l’attribution des deux marchés.

112 En ce qui concerne l’existence d’un lien de causalité entre la faute et le dommage supporté, la requérante est d’avis que, en vertu du principe de l’équivalence des conditions, le Tribunal doit examiner si elle aurait subi un dommage identique en l’absence de toute faute commise par le Conseil. À cet égard, elle fait valoir que, le Conseil ayant exclu d’office ses deux offres, il n’est pas possible, en l’état, de procéder à un tel examen du dommage.

113 Selon la requérante, le Conseil n’ayant pas joint à son mémoire le rapport d’évaluation originaire, le Tribunal est dans l’impossibilité de contrôler le raisonnement du Conseil et de vérifier sur quelle base ses offres auraient pu, même sans faute commise par le Conseil, être écartées du marché litigieux.

114 Le Conseil estime, concernant le lot no 1, qu’il n’a commis aucune erreur manifeste d’appréciation. Il ajoute que, à supposer qu’il soit tenu pour responsable d’une telle erreur, la requérante ne démontre ni le caractère grave et manifeste d’une telle erreur, ni la réalité du dommage, ni l’existence d’un lien de causalité entre eux.

115 En ce qui concerne le lot no 2, le Conseil est d’avis qu’il n’a pas violé les principes de bonne administration et de non‑discrimination, ni commis d’erreur manifeste d’appréciation. Il ajoute que, à supposer qu’il soit tenu pour responsable d’une telle violation, la requérante ne démontre ni le caractère grave et manifeste d’une telle erreur, ni la réalité du dommage, ni l’existence d’un lien de causalité entre eux.

116 Il soutient que, contrairement à ce qu’allègue la requérante, les critères d’attribution des points, quant au lot no 2, lui ont incontestablement permis de procéder à l’évaluation de l’offre de cette dernière. En effet, le Conseil rappelle que 75 % de ces points étaient attribués sur la base de calculs fondés sur les données soumises par les soumissionnaires, alors que les 25 % restants l’étaient par attribution de points d’évaluation.

117 Enfin, s’appuyant sur une évaluation « ordinaire » (décrite par le Conseil comme étant « basée sur le dossier effectivement introduit par la requérante en supposant que celle‑ci ne soit pas exclue du marché ») et une évaluation « théorique » (décrite par le Conseil comme étant « basée sur l’attribution à la requérante [du nombre de points maximal attribué] au meilleur soumissionnaire classé dans chaque critère, hormis le cas où le critère est basé sur des données mathématiques contenues dans
l’offre »), le Conseil prétend démontrer, en ce qui concerne tant le lot no 1 que le lot no 2, que les offres de la requérante ne seraient pas arrivées en première place et que, en conséquence, la condition de la réalité du dommage n’est pas remplie dans le cas d’espèce.

118 En tout état de cause, tant en ce qui concerne le lot no 1 que le lot no 2, à supposer que par impossible le Tribunal accueille les conclusions en indemnité de la requérante, le Conseil est d’avis que l’indemnité demandée par cette dernière doit être recalculée et limitée au bénéfice net annuel qu’elle est en mesure d’établir par rapport au marché concerné.

Appréciation du Tribunal

119 Il résulte d’une jurisprudence constante que l’engagement de la responsabilité non contractuelle de la Communauté pour comportement illicite de ses organes, au sens de l’article 288, deuxième alinéa, CE, est subordonné à la réunion d’un ensemble de conditions, à savoir l’illégalité du comportement reproché aux institutions, la réalité du dommage et l’existence d’un lien de causalité entre le comportement allégué et le préjudice invoqué (arrêt de la Cour du 29 septembre 1982, Oleifici
Mediterranei/CEE, 26/81, Rec. p. 3057, point 16 ; arrêts du Tribunal du 11 juillet 1996, International Procurement Services/Commission, T‑175/94, Rec. p. II‑729, point 44 ; du 16 octobre 1996, Efisol/Commission, T‑336/94, Rec. p. II‑1343, point 30, et du 11 juillet 1997, Oleifici Italiani/Commission, T‑267/94, Rec. p. II‑1239, point 20).

120 Dès lors que l’une de ces conditions n’est pas remplie, le recours doit être rejeté dans son ensemble sans qu’il soit nécessaire d’examiner les autres conditions (arrêt de la Cour du 15 septembre 1994, KYDEP/Conseil et Commission, C‑146/91, Rec. p. I‑4199, points 19 et 81, et arrêt du Tribunal du 20 février 2002, Förde-Reederei/Conseil et Commission, T‑170/00, Rec. p. II‑515, point 37).

121 Bien que la requérante se prévale d’un droit à obtenir une indemnisation au titre du préjudice qu’elle prétend avoir subi en raison du rejet de ses deux offres prises ensemble, il convient d’examiner ses conclusions en indemnité en distinguant la décision du 13 octobre 2004 selon qu’elle porte, d’une part, sur le lot no 1 et, d’autre part, sur le lot no 2.

Sur les conclusions en indemnité en ce qui concerne le lot no 1

122 Selon une jurisprudence constante, les conclusions tendant à la réparation d’un préjudice doivent être rejetées dans la mesure où elles présentent un lien étroit avec les conclusions en annulation qui ont elles-mêmes été rejetées (voir arrêt du Tribunal du 4 juillet 2002, Arne Mathisen/Conseil, T‑340/99, Rec. p. II‑2905, point 134, et la jurisprudence citée).

123 Les conclusions en annulation ayant, en l’absence de l’illégalité alléguée par la requérante, été rejetées s’agissant du lot no 1, et la demande en indemnité présentant un lien étroit avec ces conclusions, il convient de rejeter cette demande en indemnité en ce qui concerne le lot no 1.

Sur les conclusions en indemnité en ce qui concerne le lot no 2

124 Le Tribunal relève que la requérante demande une indemnisation à hauteur des montants qu’elle aurait facturés au Conseil si le marché, et donc notamment le lot no 2, lui avait été attribué. Une telle demande doit être interprétée comme reposant non sur la perte d’une chance de conclure le marché, mais sur la perte du marché lui-même.

125 Cependant, la requérante ne rapporte nullement la preuve que, en l’absence de l’illégalité constatée s’agissant du lot no 2, elle aurait certainement obtenu le marché, s’agissant de ce lot. Tout au plus, soutient-elle que le Conseil n’ayant pas joint son rapport d’évaluation originaire à ses conclusions, il ne serait pas possible de vérifier sur quelle base ses offres auraient pu, même sans faute commise par le Conseil, être écartées du marché litigieux.

126 Or, sur ce dernier point, le Conseil ayant, en réponse à une question écrite du Tribunal, produit le rapport d’évaluation originaire, lequel a été communiqué à la requérante, le Tribunal ne peut que constater que cette dernière n’aurait, en l’absence de l’illégalité constatée au point 106 ci-dessus, de toute manière pas obtenu l’attribution du marché, s’agissant du lot no 2. En effet, l’offre de la requérante est classée, dans le rapport d’évaluation originaire produit par le Conseil, en
huitième et dernière position.

127 Il résulte des considérations qui précèdent que le préjudice allégué par la requérante en ce qui concerne le lot no 2, à savoir la perte du marché lui-même, n’est pas réel et certain, mais hypothétique, de sorte qu’il ne peut pas faire l’objet d’une indemnisation, ce qui, en soi, suffit pour rejeter la demande en indemnité. En outre, à titre surabondant, aucun indice ne suggère, et la requérante n’en avance aucun, qu’elle aurait, du fait de l’illégalité constatée, perdu ne serait-ce qu’une
chance d’obtenir le marché.

128 Par voie de conséquence, il convient de rejeter les conclusions en indemnité de la requérante en ce qui concerne le lot no 2.

129 Il résulte de l’ensemble des considérations qui précèdent que les conclusions en indemnité doivent être rejetées dans leur intégralité.

Sur les dépens

130 Aux termes de l’article 87, paragraphe 3, du règlement de procédure, le Tribunal peut répartir les dépens ou décider que chaque partie supporte ses propres dépens si les parties succombent respectivement sur un ou plusieurs chefs. Dans les circonstances de l’espèce, il y a lieu de décider que chaque partie supportera ses propres dépens.

  Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (cinquième chambre)

déclare et arrête :

  1) La décision du Conseil de l’Union européenne du 13 octobre 2004 de rejeter les offres de Belfass SPRL dans le cadre de la procédure d’appel d’offres UCA‑033/04 est annulée dans la mesure où elle rejette l’offre de Belfass en ce qui concerne le lot no 2.

  2) Pour le surplus, le recours est rejeté.

  3) Chaque partie supportera ses propres dépens.

Vilaras

Martins Ribeiro

Jürimäe

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 21 mai 2008.
 
Le greffier

E. Coulon

Le président

M. Vilaras

Table des matières

  Cadre juridique
  Faits à l’origine du litige
  Procédure et conclusions des parties
  Sur la recevabilité du recours contre la décision du 13 octobre 2004, en ce qu’elle porte sur le lot no 2
  Arguments des parties
  Appréciation du Tribunal
  Sur le fond
  Sur le recours contre la décision du 13 octobre 2004, en ce qu’elle porte sur le lot no 1
  Arguments des parties
  Appréciation du Tribunal
  Sur le recours contre la décision du 13 octobre 2004, en ce qu’elle porte sur le lot no 2
  Arguments des parties
  Appréciation du Tribunal
  — Sur la recevabilité du quatrième moyen, tiré de la violation des dispositions de l’article 139, paragraphe 1, des modalités d’exécution
  — Sur le bien-fondé du recours contre la décision du 13 octobre 2004, en ce qu’elle porte sur le lot no 2
  Sur les conclusions en indemnité
  Arguments des parties
  Appréciation du Tribunal
  Sur les conclusions en indemnité en ce qui concerne le lot no 1
  Sur les conclusions en indemnité en ce qui concerne le lot no 2
  Sur les dépens

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( *1 ) Langue de procédure : le français.


Synthèse
Formation : Cinquième chambre
Numéro d'arrêt : T-495/04
Date de la décision : 21/05/2008
Type de recours : Recours en annulation - non fondé, Recours en annulation - fondé, Recours en responsabilité - non fondé

Analyses

Marchés publics de services - Procédure d’appel d’offres communautaire - Erreur matérielle manifeste - Attribution à l’offre économiquement la plus avantageuse - Offre anormalement basse - Article 139, paragraphe 1, du règlement (CE, Euratom) nº 2342/2002 - Exception d’illégalité - Cahier des charges - Recevabilité.

Marchés publics de l'Union européenne


Parties
Demandeurs : Belfass SPRL
Défendeurs : Conseil de l’Union européenne.

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Jürimäe

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:T:2008:160

Source

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