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25/10/2007 | CJUE | N°C-250/06

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général Poiares Maduro présentées le 25 octobre 2007., United Pan-Europe Communications Belgium SA et autres contre État belge., 25/10/2007, C-250/06


CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. M. Poiares Maduro

présentées le 25 octobre 2007 (1)

Affaire C‑250/06

United Pan-Europe Communications Belgium SA,

Coditel Brabant SPRL,

Société Intercommunale pour la Diffusion de la Télévision (Brutélé)

Wolu TV ASBL

contre

État belge

[demande de décision préjudicielle formée par le Conseil d’État (Belgique)]

1. Le Conseil d’État (Belgique) demande à la Cour de se prononcer sur l’interprétation de la réglementation com

munautaire pour lui permettre d’examiner la compatibilité des mesures internes imposant aux câblodistributeurs opérant dans la région de Bruxe...

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. M. Poiares Maduro

présentées le 25 octobre 2007 (1)

Affaire C‑250/06

United Pan-Europe Communications Belgium SA,

Coditel Brabant SPRL,

Société Intercommunale pour la Diffusion de la Télévision (Brutélé)

Wolu TV ASBL

contre

État belge

[demande de décision préjudicielle formée par le Conseil d’État (Belgique)]

1. Le Conseil d’État (Belgique) demande à la Cour de se prononcer sur l’interprétation de la réglementation communautaire pour lui permettre d’examiner la compatibilité des mesures internes imposant aux câblodistributeurs opérant dans la région de Bruxelles-Capitale une obligation de transmettre certains programmes de télévision (obligation appelée aussi «must carry»). Bien que le renvoi préjudiciel vise les règles de concurrence et la libre prestation de services, c’est essentiellement au
regard de l’article 49 CE que nous examinerons, pour les raisons exposées ci-après, les questions posées par la juridiction de renvoi.

I – Les faits, la réglementation interne et le renvoi préjudiciel

2. Les requérants au principal sont des câblodistributeurs. Ils retransmettent des émissions télévisées au travers de leurs réseaux dans la région bilingue de Bruxelles-Capitale. Le 2 avril 2001, lesdits requérants ont saisi la juridiction de renvoi d’un recours en annulation de deux arrêtés du ministre des Affaires économiques et de la Recherche scientifique, des 17 janvier 2001 et 24 janvier 2002. Ces deux arrêtés sont fondés sur la loi du 30 mars 1995 concernant les réseaux de distribution
d’émissions de radiodiffusion et l’exercice d’activités de radiodiffusion dans la région bilingue de Bruxelles‑Capitale (ci-après la «loi sur la câblodistribution»).

3. L’article 13 de la loi sur la câblodistribution impose aux câblodistributeurs opérant dans la région de Bruxelles-Capitale une obligation de transmettre certains programmes. Il dispose:

«Le distributeur qui est autorisé à exploiter un réseau de télédistribution dans la région bilingue de Bruxelles-Capitale, doit transmettre au moment de leur diffusion et dans leur intégralité les programmes suivants:

– les programmes de télévision diffusés par des organismes de radiodiffusion de service public relevant de la Communauté française et ceux relevant de la Communauté flamande;

– les programmes de télévision diffusés par tout autre organisme de radiodiffusion relevant des Communautés française ou flamande, que le ministre compétent désigne.»

4. L’arrêté ministériel du 17 janvier 2001 expose les raisons de cette obligation de retransmettre certains programmes et confère à huit organismes de radiodiffusion le bénéfice de cette obligation. Il est rédigé comme suit:

«[…]

Considérant que le régime du must carry s’inscrit dans une politique audiovisuelle visant à permettre aux téléspectateurs d’accéder tant aux organismes de radiodiffusion de service public mais également aux organismes de radiodiffusion privés qui assument des obligations de service public;

Considérant que le régime de must carry a pour but de sauvegarder le caractère pluraliste et culturel de l’offre des programmes sur les réseaux de télédistribution et garantir l’accès de tous les téléspectateurs à ce pluralisme;

Considérant que ce régime est incontestablement justifié par des raisons d’intérêt général;

Considérant que le choix des chaînes privées bénéficiant d’un must carry est effectué dans un souci d’harmonisation du paysage audiovisuel en Belgique;

Considérant la consultation effectuée auprès de la Communauté française et de la Communauté flamande;

Considérant que le bénéfice du must carry doit être concédé aux organismes de radiodiffusion désignés en contrepartie d’importantes obligations que ceux-ci ont accepté de souscrire;

Considérant que certains de ces organismes de radiodiffusion désignés sont investis d’une mission de service public;

Considérant qu’en ce qui concerne l’asbl Télé Bruxelles et la vzw TV Brussel, le bénéfice du must carry doit leur être consenti dans le but de favoriser le développement d’une télévision de proximité, diffusant des informations locales, destinées à un public local;

Considérant que la suppression du bénéfice du must carry aurait pour conséquence de compromettre l’existence même de ces organismes de radiodiffusion télévisuelle qui ne pourraient supporter les coûts élevés de distribution,

Arrête:

Article 1^er. Le distributeur qui est autorisé à exploiter un réseau de télédistribution dans la région bilingue de Bruxelles-Capitale doit transmettre au moment de leur diffusion et dans leur intégralité les programmes de télévision des organismes de radiodiffusion suivants:

1. Vlaamse Media Maatschappij n.v.

2. TV Brussel v.z.w.

3. Belgian business television n.v.

4. Media ad infinitum n.v.

5. TVi s.a.

6. A.s.b.l. Télé Bruxelles

7. Canal+ Belgique s.a.

8. Satellimages s.a.

[…]»

5. L’arrêté du 24 janvier 2002 modifie l’arrêté du 17 janvier 2001 et désigne deux nouveaux organismes de radiodiffusion, à savoir Event TV Vlaanderen n.v. et YTV s.a., comme bénéficiaires du «must carry». Nous appellerons globalement «mesures attaquées» les arrêtés des 17 janvier 2001 et 24 janvier 2002.

6. Devant le Conseil d’État, les requérants au principal ont soutenu que le bénéfice du «must carry», octroyé à certains organismes de radiodiffusion, revient à conférer des droits spéciaux au sens de l’article 86 CE, ce qui est susceptible de fausser la concurrence au mépris des articles 3, paragraphe 1, sous c) et g), CE, 10 CE, 82 CE et 86 CE. De surcroît, lesdits requérants ont soutenu que les mesures attaquées restreignent la libre prestation de services en réduisant le nombre de canaux
disponibles et en affranchissant les organismes de radiodiffusion bénéficiant du «must carry» de toute négociation avec les câblodistributeurs. Les requérants estiment que cela enfreint l’article 49 CE.

7. Par arrêt du 17 mai 2006, le Conseil d’État a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

1) L’obligation imposée à une entreprise de distribution par câble de programmes de télédistribution de distribuer certains programmes déterminés doit-elle être interprétée comme conférant aux auteurs de ces programmes un ‘droit spécial’ au sens de l’article 86 [CE]?

2) Si la réponse à la première question est affirmative, les règles visées in fine de l’article 86, paragraphe 1, CE (à savoir ‘les règles du présent traité, notamment [...] celles prévues aux articles 12 [CE] et 81 [CE] à 89 [CE] inclus’) doivent-elles être interprétées en ce sens qu’il n’est pas permis aux États membres d’imposer à des entreprises de distribution par câble de programmes de télédistribution de distribuer certains programmes de télévision émis par des organismes de
radiodiffusion privés, mais ‘relevant’ (au sens de la loi [sur la câblodistribution]) de pouvoirs publics déterminés de cet État, avec cette conséquence que le nombre de programmes en provenance d’autres États membres ou non membres de l’Union européenne, et d’organismes qui ne relèvent pas de ces pouvoirs publics, est diminué à concurrence du nombre de programmes imposés?

3) L’article 49 [CE] doit-il être interprété en ce sens qu’il y a entrave interdite à la libre prestation des services dès le moment où une mesure prise par un État membre, en l’espèce l’obligation de retransmettre des programmes télévisuels sur les réseaux de câblodistribution, est susceptible d’entraver directement ou indirectement, actuellement ou potentiellement, la prestation de services à partir d’un autre État membre pour des destinataires de ces services se trouvant dans le premier
État membre, ce qui sera le cas si, en raison de cette mesure, le fournisseur de services se trouve dans une position défavorable de négociation pour l’accès à ces mêmes réseaux?

4) L’article 49 [CE] doit-il être interprété en ce sens qu’il y a entrave interdite parce qu’une mesure prise par l’État membre, en l’espèce l’obligation de transmettre des programmes télévisuels sur des réseaux de câblodistribution, n’est accordée dans la majorité des cas, en raison du lieu d’établissement des bénéficiaires ou d’autres liens de ceux-ci avec cet État membre, qu’à des entreprises établies dans cet État membre et alors qu’il n’existe pas de justification à une telle entrave
tirée de raisons impérieuses d’intérêt général dans le respect du principe de proportionnalité?

II – Appréciation

A – Les troisième et quatrième questions

8. Nous commencerons par les troisième et quatrième questions de la décision de renvoi. La juridiction de renvoi demande essentiellement si des mesures nationales, telles que celles en cause au principal, imposant à des câblodistributeurs de retransmettre les programmes de certains organismes de radiodiffusion, restreignent la libre prestation de services et, le cas échéant, si ces mesures sont néanmoins compatibles avec la réglementation communautaire.

9. Les services en cause au principal, à savoir la retransmission de signaux de télévision par le câble, relèvent manifestement de la notion de «services» au sens de l’article 49 CE (2). Les organismes de radiodiffusion et les câblodistributeurs sont amenés à travailler ensemble pour fournir leurs services. Dans ce contexte, ils peuvent invoquer l’article 49 CE pour contester des mesures nationales soumettant la prestation de services purement interne à un régime plus favorable que la prestation
de services entre États membres (3). Les mesures de cette nature ne peuvent être maintenues que si elles sont nécessaires et aptes à réaliser un objectif d’un intérêt public légitime et si la disparité de leurs incidences, d’une part, sur la prestation interne de services et, d’autre part, sur la prestation intracommunautaire de services est proportionnée par rapport aux différences objectives existant entre ces services (4).

Y a-t-il restriction?

10. Un régime de «must carry» tel que celui en cause dans l’affaire au principal facilite la diffusion des émissions des organismes de radiodiffusion qui en bénéficient, mais opère également au détriment des organismes de radiodiffusion qui ne peuvent pas s’en prévaloir. Chacun sait que les réseaux de câblodistribution en cause au principal ont une largeur de bande limitée. Le nombre de canaux réservés aux organismes de radiodiffusion au titre du «must carry» réduit d’autant le nombre de canaux
disponibles sur les réseaux. Il ressort des observations présentées à la Cour, que les réseaux analogiques de câblodistribution en cause au principal ont une capacité d’environ quarante canaux dont une vingtaine doit être réservée aux programmes des bénéficiaires du «must carry». Les câblodistributeurs peuvent donc ne pas être en mesure de retransmettre certains programmes qu’ils auraient retransmis en l’absence du régime de «must carry». À titre d’exemple, les requérants au principal ont indiqué
que les obligations liées au «must carry» ont conduit Coditel Brabant SPRL à supprimer de son réseau analogique la retransmission des programmes des chaînes de télévision Arte, Rai Uno et La Cinquième. De plus, les bénéficiaires du «must carry» ont un avantage substantiel sur leurs concurrents dès lors qu’ils sont affranchis de toute négociation avec les câbloopérateurs et qu’ils ne doivent livrer aucune concurrence aux autres organismes de radiodiffusion pour parvenir à voir leurs programmes
retransmis par les réseaux de câblodistribution.

11. La décision de renvoi ne montre pas clairement si l’article 13 de la loi sur la câblodistribution requiert que les organismes de radiodiffusion soient établis en Belgique pour bénéficier du «must carry». Bien que le gouvernement belge ait soutenu que le bénéfice du «must carry» ne soit pas nécessairement limité aux organismes de radiodiffusion établis en Belgique, il se trouve que les bénéficiaires visés dans les mesures attaquées sont tous des organismes nationaux. De surcroît, à l’audience,
le gouvernement belge a indiqué que le transfert récent du siège d’un des organismes de radiodiffusion à Luxembourg serait pris en compte dans l’évaluation prochaine du «must carry» dont il bénéficie, même si les programmes dudit organisme n’ont pas changé. En tout état de cause, bien que le régime de «must carry» vise, pour reprendre les termes du gouvernement belge, à garantir aux citoyens belges qu’ils ne seront pas privés de l’accès à l’information locale et nationale ni à leur culture, les
organismes étrangers sont moins susceptibles d’en bénéficier que les organismes nationaux. Il s’ensuit en pratique que le régime de «must carry» tel que celui en cause au principal, rend l’accès aux réseaux de câblodistribution plus difficile aux organismes de radiodiffusion établis dans d’autres États membres qu’aux organismes nationaux. Même si elles ne requièrent pas expressément d’être établi dans l’État membre imposant une telle obligation, ces règles soumettent effectivement la prestation
interne de services de radiodiffusion à un régime plus favorable que la prestation transfrontalière de services de radiodiffusion. Elles constituent donc une restriction à la libre prestation de services.

La restriction est-elle justifiée?

12. Le gouvernement belge a souligné que le but du régime de «must carry» est de préserver le caractère pluraliste et culturel de l’offre des programmes sur les réseaux de câblodistribution dans la région de Bruxelles-Capitale et de garantir l’accès de tous les téléspectateurs au pluralisme et à la diversité des programmes. La Cour a déjà indiqué qu’une politique audiovisuelle visant à établir des programmes de télévision pluralistes afin de sauvegarder la liberté d’expression et les différentes
composantes d’une population, notamment sociales, culturelles, religieuses, philosophiques ou linguistiques, peut certes justifier une restriction à la libre prestation de services (5). Toutefois, pour être admises au titre de l’article 49 CE, les mesures nationales en cause au principal doivent d’abord et avant tout être un moyen approprié de garantir le pluralisme qu’elles visent à sauvegarder (6).

13. Il nous semble que le régime de «must carry», en cause au principal, doit se comprendre, au sens large, dans le contexte spécifique du bilinguisme de la région de Bruxelles-Capitale. Dans cette région, chaque câbloopérateur couvre une zone de plusieurs communes dans laquelle il a le monopole de la retransmission par câble analogique. Le régime de «must carry» peut être appliqué pour garantir aux téléspectateurs l’accès dans chaque commune à des programmes ayant un lien culturel et linguistique
avec la Communauté française ainsi qu’à des programmes ayant un lien culturel et linguistique avec la Communauté flamande. Dans un tel contexte, le régime de «must carry» constitue un moyen apte à garantir l’accès des téléspectateurs d’une région déterminée à des informations locales et nationales dans leur propre langue ainsi qu’à des programmes représentatifs de leur propre culture.

14. Un régime de «must carry», adopté à cette fin, favorise inévitablement les organismes de radiodiffusion dont les programmes s’inscrivent spécialement dans le contexte culturel des téléspectateurs de la région concernée. Toutefois, alors que le traité CE n’interdit pas d’adopter des mesures de protection et de promotion du patrimoine linguistique et culturel national d’un État membre, ces mesures ne doivent en aucun cas être disproportionnées par rapport au but poursuivi et les modalités de
leur application ne doivent pas comporter de discriminations arbitraires au détriment de prestataires de services établis dans d’autres États membres. En d’autres termes, un régime promouvant le patrimoine linguistique et culturel national ne permet pas à un État membre d’adopter à sa guise des mesures conférant aux opérateurs économiques nationaux un avantage concurrentiel sur d’autres opérateurs (7).

15. Dans le cadre du renvoi préjudiciel, l’évaluation finale de la proportionnalité est souvent laissée à la juridiction de renvoi (8). Néanmoins, il est important que la Cour attire l’attention de la juridiction de renvoi sur les critères à appliquer lors de son contrôle de proportionnalité. En l’espèce, il appartient à notre sens à la juridiction de renvoi de vérifier plus particulièrement trois aspects.

16. Premièrement, la juridiction de renvoi devrait s’assurer que, dans la mesure où le bénéfice du régime de «must carry» est accordé selon des conditions que les organismes de radiodiffusion établis dans d’autres États membres sont moins susceptibles de remplir que des organismes nationaux, ces conditions s’avèrent nécessaires aux fins de sauvegarder le pluralisme et l’accès aux informations locales et nationales (9). La juridiction de renvoi doit surtout avoir à l’esprit, ainsi que l’illustre
l’arrêt du 5 juin 1997 VT4, qu’un organisme de radiodiffusion peut parfaitement proposer des programmes de télévision, y compris des informations régionales, dont la teneur est adaptée au goût du public d’un État membre, tout en étant établi dans un autre État membre (10). Il lui appartient dès lors de s’assurer que, en pratique, le fait qu’un organisme de radiodiffusion est établi en Belgique ne joue pas en tant que tel pour bénéficier du régime de «must carry».

17. Deuxièmement, la juridiction de renvoi devrait vérifier, au regard du nombre total de canaux disponibles, que le nombre de canaux à réserver aux organismes de radiodiffusion bénéficiant du «must carry» n’excède manifestement pas le nombre de canaux nécessaires pour réaliser l’objectif de sauvegarde du pluralisme et d’accès aux informations tant locales que nationales. Dans ce contexte, il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier que le bénéfice du «must carry» ne soit pas
inconsidérément accordé pour tous les programmes d’un organisme de radiodiffusion, mais qu’il soit limité à ceux qui contribuent réellement à cet objectif.

18. Troisièmement, la juridiction de renvoi devrait établir qu’il existe des procédures élémentaires de sauvegarde des droits des différents organismes de radiodiffusion pour éviter que le bénéfice du «must carry» soit accordé sur la base d’une discrimination arbitraire. Lorsqu’un État membre accorde le bénéfice du «must carry» à un certain nombre d’organismes de radiodiffusion, il doit le faire selon des procédures transparentes et non discriminatoires en se servant de critères clairement définis
qui peuvent être connus au préalable.

19. Ces trois aspects se reflètent également dans la directive 2002/22/CE (11) que les États membres avaient l’obligation de transposer avant le 25 juillet 2003. L’article 31, paragraphe 1, de cette directive, qui exprime essentiellement des principes découlant du traité, dispose que «les États membres peuvent imposer des obligations raisonnables de diffuser (‘must carry’)». Il poursuit en précisant que ces obligations «ne peuvent être imposées que lorsqu’elles sont nécessaires pour atteindre des
objectifs d’intérêt général clairement définis et doivent être proportionnées et transparentes» et que «ces obligations sont soumises à un réexamen périodique».

20. L’article 49 CE n’interdit donc pas des mesures nationales imposant une obligation de «must carry» à des câbloopérateurs dans une région particulière en vue de garantir l’accès des téléspectateurs de cette région à des informations locales et nationales et à des programmes qui promeuvent leur propre culture, à condition que ces mesures soient proportionnées par rapport au but poursuivi et que les modalités de leur application ne comportent pas de discriminations arbitraires au détriment de
prestataires de services établis dans d’autres États membres.

B – Les première et deuxième questions

21. Nous ne proposons pas de réponse aux première et deuxième questions à défaut d’éléments suffisants pour y parvenir. Par ces questions, la juridiction de renvoi demande en effet si le bénéfice du «must carry» doit être assimilé à un «droit spécial» au sens de l’article 86 CE et, le cas échéant, si cette disposition, lue conjointement avec d’autres dispositions du traité, interdit de conférer le bénéfice du «must carry». Les requérants au principal ont soutenu que le régime de «must carry»
affecte la concurrence entre les câbloopérateurs et les opérateurs d’autres types de réseaux de retransmission. Ils ont également soutenu que, en conférant le bénéfice du «must carry» à certaines entreprises belges, l’État belge place effectivement ces entreprises dans une position dominante dont elles sont susceptibles d’abuser.

22. La décision de renvoi ne comporte toutefois aucune indication nous éclairant, en particulier, sur la définition du marché pertinent, sur le calcul des parts de marché détenues par les différentes entreprises opérant sur ce marché et sur l’abus présumé de la position dominante. Dans ces circonstances, les questions de la juridiction de renvoi concernant les règles de concurrence du traité doivent être tenues pour irrecevables (12).

III – Conclusion

23. Au vu des considérations qui précèdent, nous proposons à la Cour de répondre comme suit aux questions posées par le Conseil d’État:

«L’article 49 CE n’interdit pas des mesures nationales imposant une obligation dite de ‘must carry’ à des câbloopérateurs dans une région particulière en vue de garantir l’accès des téléspectateurs de cette région à des informations locales et nationales ainsi qu’à des programmes qui animent leur propre culture, à condition que ces mesures soient proportionnées par rapport au but poursuivi et que les modalités de leur application ne comportent pas de discriminations arbitraires au détriment de
prestataires de services établis dans d’autres États membres.

Il appartient à la juridiction de renvoi d’établir si les mesures en question sont conformes au principe de proportionnalité. Il lui incombe en particulier de vérifier que:

– dans la mesure où le bénéfice du régime de ‘must carry’ est tributaire de conditions que les organismes de radiodiffusion établis dans d’autres États membres sont moins susceptibles de remplir que des organismes nationaux, ces conditions sont nécessaires à la réalisation du but susmentionné;

– le nombre de canaux à réserver aux organismes de radiodiffusion bénéficiant du ‘must carry’ n’excède manifestement pas le nombre de canaux nécessaires pour réaliser ce but;

– le bénéfice du ‘must carry’ soit accordé selon des procédures transparentes et non discriminatoires en se servant de critères clairement définis qui peuvent être connus au préalable.»

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1 – Langue originale: l’anglais.

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2 – Voir, notamment, arrêts du 30 avril 1974, Sacchi (155/73, Rec. p. 409, point 6); du 18 mars 1980, Debauve e.a. (52/79, Rec. p. 833, point 8); du 16 décembre 1992, Commission/Belgique (C‑211/91, Rec. p. I-6757, point 5), et du 5 octobre 1994, TV10 (C-23/93, Rec. p. I‑4795, points 13 et 16).

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3 – Voir, en ce sens, arrêts du 20 février 2001, Analir e.a. (C-205/99, Rec. p. I-1271, point 21); du 8 septembre 2005, Mobistar et Belgacom Mobile (C-544/03 et C‑545/03, Rec. p. I-7723, points 31 à 33), et du 15 juin 2006, Commission/France (C-255/04, Rec. p. I-5251, point 37).

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4 – Voir, en ce sens, arrêt du 11 décembre 2003, Deutscher Apothekerverband (C‑322/01, Rec. p. I‑14887), ainsi que les conclusions que nous avons présentées dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 28 septembre 2006, Ahokainen et Leppik (C‑434/04, Rec. p. I-9171).

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5 – Arrêts du 25 juillet 1991, Collectieve Antennevoorziening Gouda (C-288/89, Rec. p. I‑4007, points 22 et 23); du 25 juillet 1991, Commission/Pays-Bas (C-353/89, Rec. p. I‑4069, points 3, 29 et 30), et du 3 février 1993, Veronica Omroep Organisatie (C-148/91, Rec. p. I-487, point 9).

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6 – Arrêt Collectieve Antennevoorziening Gouda, précité (point 24).

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7 – Arrêts du 28 novembre 1989, Groener (C-379/87, Rec. p. 3967, point 19), et du 26 février 1991, Commission/Italie (C-180/89, Rec. p. I-709, point 20).

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8 – Voir, notamment, arrêts du 26 mai 2005, Burmanjer e.a. (C-20/03, Rec. p. I-4133), ainsi que du 23 février 2006, A-Punkt Schmuckhandel (C-441/04, Rec. p. I-2093).

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9 – Voir, notamment, arrêt Collectieve Antennevoorziening Gouda, précité (point 24).

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10 – C-56/96, Rec. p. I-3143 (points 8 et 22).

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11 – Directive du Parlement européen et du Conseil, du 7 mars 2002, concernant le service universel et les droits des utilisateurs au regard des réseaux et services de communications électroniques (directive «service universel») (JO L 108, p. 51).

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12 – Voir, notamment, arrêt du 17 février 2005, Viacom Outdoor (C-134/03, Rec. p. I‑1167, points 25 à 29).


Synthèse
Numéro d'arrêt : C-250/06
Date de la décision : 25/10/2007
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle: Conseil d’État - Belgique.

Article 49 CE - Libre prestation des services - Législation nationale prévoyant l’obligation pour les câblodistributeurs de diffuser les programmes émis par certains organismes privés de radiodiffusion (‘must carry’) - Restriction - Raison impérieuse d’intérêt général - Maintien du pluralisme dans une région bilingue.

Liberté d'établissement


Parties
Demandeurs : United Pan-Europe Communications Belgium SA et autres
Défendeurs : État belge.

Composition du Tribunal
Avocat général : Poiares Maduro
Rapporteur ?: Ó Caoimh

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2007:637

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