Affaire C-356/05
Elaine Farrell
contre
Alan Whitty e.a.
(demande de décision préjudicielle, introduite par la High Court (Irlande))
«Assurance obligatoire de la responsabilité civile automobile — Directives 72/166/CEE, 84/5/CEE et 90/232/CEE — Dommages causés aux passagers d’un véhicule — Partie d’un véhicule non aménagée pour le transport assis de passagers»
Conclusions de l'avocat général Mme C. Stix-Hackl, présentées le 5 octobre 2006
Arrêt de la Cour (première chambre) du 19 avril 2007
Sommaire de l'arrêt
1. Rapprochement des législations — Assurance responsabilité civile automobile — Directive 90/232
(Directive du Conseil 90/232, art. 1er)
2. Rapprochement des législations — Assurance responsabilité civile automobile — Directives 72/166, 84/5 et 90/232
(Directives du Conseil 72/166, 84/5 et 90/232, art. 1er)
3. Actes des institutions — Directives — Effet direct
(Art. 249, al. 3, CE; directive du Conseil 90/232, art. 1er)
1. L'article 1er de la troisième directive 90/232, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives à l'assurance de la responsabilité civile résultant de la circulation des véhicules automoteurs, doit être interprété en ce sens qu'il s'oppose à une réglementation nationale selon laquelle l'assurance obligatoire de la responsabilité civile automobile ne couvre pas la responsabilité des dommages corporels causés aux personnes voyageant dans une partie d'un véhicule
automoteur qui n'a été ni conçue ni construite avec des sièges pour passagers.
En effet, étant donné que, d'une part, la faculté de dérogation à l'obligation de protéger les victimes d'accidents est définie et circonscrite par le droit communautaire et que, d'autre part, la réalisation des objectifs de la réglementation communautaire nécessite une approche uniforme de la couverture d'assurance des passagers au niveau communautaire, les États membres ne sont pas en mesure d'introduire des limitations additionnelles à l'assurance obligatoire au regard des passagers.
(cf. points 29, 36, disp. 1)
2. Les directives 72/166, 84/5 et 90/232, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives à l'assurance de la responsabilité civile résultant de la circulation des véhicules automoteurs, ne visent pas à harmoniser les régimes de responsabilité civile des États membres et, en l'état actuel du droit communautaire, ces derniers restent libres de déterminer le régime de responsabilité civile applicable aux sinistres résultant de la circulation des véhicules. Toutefois, les
États membres sont obligés de garantir que la responsabilité civile applicable selon leur droit national soit couverte par une assurance conforme aux dispositions des trois directives susmentionnées.
Les États membres doivent, en outre, exercer leurs compétences en ce domaine dans le respect du droit communautaire, et en particulier de l'article 1er de la troisième directive, et les dispositions nationales qui régissent l'indemnisation des sinistres résultant de la circulation des véhicules ne peuvent pas priver cet article de son effet utile.
Par conséquent, une réglementation nationale, définie en fonction de critères généraux et abstraits, ne saurait refuser ou limiter de façon disproportionnée l'indemnisation d'un passager sur le seul fondement de sa contribution à la réalisation du dommage. En fait, ce n'est que dans des circonstances exceptionnelles que, sur la base d'une appréciation individuelle et en respectant le droit communautaire, l'étendue d'une telle indemnisation peut être réduite.
(cf. points 33-35)
3. L'article 1er de la troisième directive 90/232, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives à l'assurance de la responsabilité civile résultant de la circulation des véhicules automoteurs, remplit toutes les conditions requises pour produire un effet direct et confère, par conséquent, des droits que les particuliers peuvent invoquer directement devant les juridictions nationales. Toutefois, il incombe au juge national de vérifier si cette disposition peut être
invoquée à l'encontre d'un organisme tel que le Motor Insurers Bureau of Ireland.
En effet, une directive ne peut être invoquée à l'encontre de particuliers, alors qu'elle peut l'être à l'encontre de l'État, quelle que soit la qualité en laquelle agit ce dernier, employeur ou autorité publique. Figure au nombre des entités qui peuvent se voir opposer les dispositions d'une directive susceptibles d'avoir des effets directs un organisme qui, quelle que soit sa forme juridique, a été chargé en vertu d'un acte de l'autorité publique d'accomplir, sous le contrôle de cette dernière, un
service d'intérêt public et qui dispose, à cet effet, de pouvoirs exorbitants par rapport aux règles applicables dans les relations entre particuliers.
(cf. points 40, 44, disp. 2)
ARRÊT DE LA COUR (première chambre)
19 avril 2007 (*)
«Assurance obligatoire de la responsabilité civile automobile – Directives 72/166/CEE, 84/5/CEE et 90/232/CEE – Dommages causés aux passagers d’un véhicule – Partie d’un véhicule non aménagée pour le transport assis de passagers»
Dans l’affaire C-356/05,
ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 234 CE, introduite par la High Court (Irlande), par décision du 30 juillet 2004, parvenue à la Cour le 23 septembre 2005, dans la procédure
Elaine Farrell
contre
Alan Whitty,
Minister for the Environment,
Ireland,
Attorney General
et
Motor Insurers Bureau of Ireland (MIBI),
LA COUR (première chambre),
composée de M. P. Jann, président de chambre, MM. E. Juhász (rapporteur), J. N. Cunha Rodrigues, K. Schiemann et E. Levits, juges,
avocat général: M^me C. Stix-Hackl,
greffier: M. J. Swedenborg, administrateur,
vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 7 septembre 2006,
considérant les observations présentées:
– pour Elaine Farrell, par MM. E. McCullough, SC, C. McCarthy, BL, et C. Murphy, barrister, mandatés par M. M. O’Shea, solicitor,
– pour le Minister for the Environment, Ireland et l’Attorney General, par MM. E. Fitzsimons, K. McMeel, D. Maloney et D. O’Hagan, en qualité d’agents,
– pour le Motor Insurers Bureau of Ireland (MIBI), par M. E. Gleeson, SC, mandaté par M^me P. Boyd, solicitor,
– pour la Commission des Communautés européennes, par M^me N. Yerrell, en qualité d’agent,
ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 5 octobre 2006,
rend le présent
Arrêt
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 1^er de la troisième directive 90/232/CEE du Conseil, du 14 mai 1990, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives à l’assurance de la responsabilité civile résultant de la circulation des véhicules automoteurs (JO L 129, p. 33, ci-après la «troisième directive»).
2 Cette demande a été présentée dans le cadre du litige opposant M^me Farrell à M. Whitty et au Minister for the Environment, à Ireland et à l’Attorney General (ci‑après «Ireland»), ainsi qu’au Motor Insurers Bureau of Ireland (MIBI) (ci‑après le «MIBI»).
Le cadre juridique
La réglementation communautaire
3 Aux termes de l’article 1^er de la directive 72/166/CEE du Conseil, du 24 avril 1972, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives à l’assurance de la responsabilité civile résultant de la circulation de véhicules automoteurs, et au contrôle de l’obligation d’assurer cette responsabilité (JO L 103, p. 1), telle que modifiée par la troisième directive (ci-après la «première directive»), il faut entendre par «véhicule: tout véhicule automoteur destiné à circuler sur
le sol et qui peut être actionné par une force mécanique, sans être lié à une voie ferrée, ainsi que les remorques, même non attelées».
4 L’article 3, paragraphe 1, de la première directive prévoit:
«Chaque État membre prend toutes les mesures utiles […] pour que la responsabilité civile relative à la circulation des véhicules ayant leur stationnement habituel sur son territoire soit couverte par une assurance. Les dommages couverts ainsi que les modalités de cette assurance sont déterminés dans le cadre de ces mesures.»
5 L’article 1^er, paragraphe 4, premier et troisième alinéas, de la deuxième directive 84/5/CEE du Conseil, du 30 décembre 1983, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives à l’assurance de la responsabilité civile résultant de la circulation des véhicules automoteurs (JO 1984, L 8, p. 17), telle que modifiée par la troisième directive (ci-après la «deuxième directive»), dispose:
«Chaque État membre crée ou agrée un organisme ayant pour mission de réparer, au moins dans les limites de l’obligation d’assurance, les dommages matériels ou corporels causés par un véhicule non identifié ou pour lequel il n’a pas été satisfait à l’obligation d’assurance visée au paragraphe 1. Cette disposition ne porte pas atteinte au droit des États membres de donner ou non à l’intervention de cet organisme un caractère subsidiaire, ainsi qu’à celui de réglementer les recours entre cet organisme
et le ou les responsables du sinistre et d’autres assureurs ou organismes de sécurité sociale tenus d’indemniser la victime pour le même sinistre. Toutefois, les États membres n’autorisent pas l’organisme à subordonner le paiement de l’indemnisation à la condition que la victime établisse d’une manière quelconque que la personne responsable n’est pas en mesure ou refuse de payer.
[…]
Toutefois, les États membres peuvent exclure de l’intervention de cet organisme les personnes ayant de leur plein gré pris place dans le véhicule qui a causé le dommage, lorsque l’organisme peut prouver qu’elles savaient que le véhicule n’était pas assuré.»
6 Selon l’article 2, paragraphe 1, de la deuxième directive:
«Chaque État membre prend les mesures utiles pour que toute disposition légale ou clause contractuelle qui est contenue dans une police d’assurance délivrée conformément à l’article 3 paragraphe 1 de la [première directive], qui exclut de l’assurance l’utilisation ou la conduite de véhicules par:
– des personnes n’y étant ni expressément ni implicitement autorisées,
ou
– des personnes non titulaires d’un permis leur permettant de conduire le véhicule concerné,
ou
– des personnes qui ne se sont pas conformées aux obligations légales d’ordre technique concernant l’état et la sécurité du véhicule concerné,
soit, pour l’application de l’article 3 paragraphe 1 de la [première directive], réputée sans effet en ce qui concerne le recours des tiers victimes d’un sinistre.
Toutefois, la disposition ou la clause visée au premier tiret peut être opposée aux personnes ayant de leur plein gré pris place dans le véhicule qui a causé le dommage, lorsque l’assureur peut prouver qu’elles savaient que le véhicule était volé.
Les États membres ont la faculté – pour les sinistres survenus sur leur territoire – de ne pas appliquer la disposition du premier alinéa si et dans la mesure où la victime peut obtenir l’indemnisation de son préjudice d’un organisme de sécurité sociale.»
7 Aux termes des deuxième à cinquième considérants de la troisième directive:
«considérant que la [première directive], dans son article 3, impose à chaque État membre de prendre toutes mesures utiles pour que la responsabilité civile relative à la circulation des véhicules ayant leur stationnement habituel sur son territoire soit couverte par une assurance; que les dommages couverts ainsi que les modalités de cette assurance devraient être déterminés dans le cadre de ces mesures;
considérant que la [deuxième directive] a réduit considérablement les divergences entre les États membres en ce qui concerne le niveau et le contenu de l’assurance obligatoire de la responsabilité civile; que des divergences significatives subsistent cependant dans la couverture de cette assurance;
considérant qu’il y a lieu de garantir aux victimes d’accidents de la circulation automobile un traitement comparable quels que soient les endroits de la Communauté où les accidents se sont produits;
considérant qu’il existe en particulier des lacunes dans la couverture d’assurance obligatoire des passagers des véhicules automobiles dans certains États membres; que, pour protéger cette catégorie particulièrement vulnérable de victimes potentielles, il convient de combler ces lacunes».
8 Selon l’article 1^er de la troisième directive:
«Sans préjudice du deuxième alinéa de l’article 2 paragraphe 1 de la [deuxième directive], l’assurance visée à l’article 3 paragraphe 1 de la [première directive] couvre la responsabilité des dommages corporels de tous les passagers autres que le conducteur résultant de la circulation d’un véhicule.
Aux fins de la présente directive, on entend par ‘véhicule’ un véhicule tel que défini à l’article 1^er de la [première directive]».
9 Aux termes de l’article 6, paragraphe 2, de la troisième directive, l’Irlande dispose d’un délai allant jusqu’au 31 décembre 1998 pour se conformer à l’article 1^er de cette directive en ce qui concerne les passagers arrière des motocyclettes et d’un délai allant jusqu’au 31 décembre 1995 pour se conformer audit article 1^er en ce qui concerne les autres véhicules.
La réglementation nationale
10 Il ressort de la décision de renvoi que la réglementation pertinente est essentiellement composée des sections 5, 56 et 65 (1) (a) de la loi de 1961 sur la circulation routière (Road Traffic Act 1961), dans sa version en vigueur à l’époque des faits au principal (ci-après le «1961 Act»), ainsi que de l’article 6 du règlement ministériel de 1962 relatif à l’assurance obligatoire en matière de circulation routière (Road Traffic) (Compulsory Insurance) Regulations 1962, tel que modifié.
11 La juridiction de renvoi précise qu’il résulte de cette réglementation qu’une personne circulant avec un véhicule doit avoir souscrit une police d’assurance approuvée aux fins de couvrir toute responsabilité concernant les dommages corporels causés aux personnes voyageant dans le véhicule, autres que les personnes exceptées. Les personnes exceptées sont celles qui demandent la réparation du dommage subi, alors qu’elles se trouvaient dans un véhicule d’un type différent de ceux désignés par
règlement ministériel. En ce qui concerne ces véhicules désignés par le ministre compétent, il existe une obligation de souscrire une assurance obligatoire de responsabilité civile pour les dommages causés aux personnes voyageant dans ces véhicules. Toutefois, ce ministre n’a pas le pouvoir d’étendre cette obligation d’assurance pour les dommages causés aux personnes voyageant dans une partie de véhicule qui n’est ni conçue ni construite avec des sièges pour passagers.
Les faits au principal et les questions préjudicielles
12 M^me Farrell a été victime d’un accident de la route le 26 janvier 1996. Elle voyageait dans une camionnette qui n’était ni conçue ni construite pour transporter des passagers à l’arrière. M. Whitty, propriétaire et conducteur de cette camionnette, a perdu le contrôle de son véhicule, qui s’est écrasé contre un mur. Le véhicule n’étant pas équipé de sièges à l’arrière, M^me Farrell était assise sur le sol de la camionnette au moment de l’accident.
13 Comme il s’est avéré que M. Whitty n’était pas assuré, M^me Farrell a cherché à obtenir une indemnisation auprès du MIBI, conformément à une convention conclue entre cet organisme et le Minister for the Environment en 1988 (ci-après la «convention»). Par cette convention, le MIBI s’engageait à indemniser les victimes d’accidents de la route impliquant des conducteurs n’ayant pas souscrit l’assurance obligatoire exigée par le 1961 Act.
14 Le MIBI a cependant refusé d’indemniser M^me Farrell au motif que celle-ci voyageait dans une partie du véhicule qui n’était ni conçue ni équipée de sièges pour transporter des passagers. Il a estimé que la responsabilité des dommages corporels subis par la demanderesse n’était donc pas une responsabilité pour laquelle l’assurance était obligatoire en vertu du 1961 Act. Par conséquent, la convention ne s’appliquait pas et le MIBI n’était tenu ni d’indemniser la demanderesse ni de se conformer
à un jugement rendu contre M. Whitty.
15 En septembre 1997, M^me Farrell a engagé une procédure à l’encontre des défendeurs au principal. Elle a obtenu, au mois de juillet 2001, une décision condamnant M. Whitty. En ce qui concerne l’évaluation des dommages subis, celle-ci a été reportée au moment de la décision sur le fond. En fait, tandis que M^me Farrell cherchait à obtenir un jugement déclaratoire indiquant que les mesures nationales de transposition en vigueur au moment de l’accident ne mettaient pas correctement en œuvre les
dispositions pertinentes des première et troisième directives, en particulier l’article 1^er de cette dernière, le MIBI et Ireland ont contesté que ces mesures ne transposaient pas correctement ledit article, cet État membre faisant valoir que la troisième directive permettait de ne pas étendre l’obligation d’assurance de la responsabilité civile aux personnes se trouvant dans une partie d’un véhicule à propulsion mécanique qui n’avait été ni conçue ni équipée de sièges pour transporter des
passagers.
16 Dans ces conditions, la High Court a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:
«1) En vertu de l’article 1^er de la troisième directive [...], l’Irlande est-elle obligée, depuis le 31 décembre 1995 – date limite à laquelle l’Irlande était tenue de transposer les dispositions de ladite troisième directive relatives aux passagers des véhicules autres que les motocycles – de rendre obligatoire l’assurance de la responsabilité civile pour les dommages causés aux personnes voyageant dans une partie d’un véhicule automoteur qui n’a été ni conçue ni construite avec des sièges
pour passagers?
2) En cas de réponse positive à la première question, l’article 1^er de la troisième directive confère-t-il des droits que les individus peuvent invoquer directement devant les juridictions nationales?»
Sur les questions préjudicielles
Sur la première question
17 Par sa première question, la juridiction de renvoi cherche en substance à savoir si l’article 1^er de la troisième directive doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation nationale selon laquelle l’assurance obligatoire de la responsabilité civile automobile ne couvre pas la responsabilité des dommages corporels causés aux personnes voyageant dans une partie d’un véhicule automoteur qui n’a été ni conçue ni construite avec des sièges pour passagers.
18 M^me Farrell et la Commission des Communautés européennes estiment, en substance, que l’article 1^er de la troisième directive exige que l’assurance obligatoire couvre, dans tous les États membres, les dommages causés aux personnes voyageant dans une partie d’un véhicule qui n’a été ni conçue pour le transport de passagers ni équipée de sièges à cette fin.
19 Ireland soutenue par le MIBI est d’avis contraire. Cet État membre fait valoir que, d’une part, la notion de «passager» n’étant pas définie dans la troisième directive, il appartient aux États membres de définir quelles personnes voyageant dans des véhicules sont considérées comme des passagers aux fins de cette directive et que, d’autre part, cette dernière n’oblige pas les États membres à garantir la souscription d’une assurance obligatoire pour les dommages corporels subis par les
personnes voyageant dans toute partie d’un véhicule non conçue avec des places assises.
20 Ledit État ajoute que son approche restrictive est justifiée par un souci de cohérence avec la réglementation relative à la sécurité routière, étant donné que l’inclusion de telles personnes dans le champ de la garantie d’assurance obligatoire reviendrait à faire prendre en charge par l’assurance un comportement délibérément dangereux. En outre, selon cet État, cette approche serait conforme à la déclaration conjointe du Conseil et de la Commission inscrite au procès‑verbal du Conseil au
moment de l’adoption de sa position commune relative au projet de la troisième directive. Selon ce procès‑verbal, le Conseil et la Commission auraient déclaré que l’article 1^er de la troisième directive ne préjugerait pas des dispositions des législations des États membres quant à l’indemnisation du passager dont la responsabilité serait engagée dans l’accident, du passager en surnombre ou du passager transporté dans un véhicule non conçu pour le transport de personnes autres que le conducteur.
21 L’argumentation de Ireland ne saurait être accueillie.
22 Il y a lieu de constater que, aux termes de l’article 1^er de la troisième directive, l’assurance obligatoire couvre la responsabilité des dommages corporels causés à tous les passagers autres que le conducteur résultant de la circulation d’un véhicule.
23 Cet article octroyant incontestablement une couverture d’assurance à tous les passagers, la thèse de Ireland ne pourrait être retenue que dans la mesure où les personnes transportées dans un véhicule non conçu pour leur transport ne pourraient être qualifiées de «passagers».
24 Or, il serait contraire aux objectifs de la réglementation communautaire d’exclure de la notion de «passager», et ainsi de la couverture d’assurance, les personnes lésées ayant pris place dans un véhicule qui n’était ni destiné à leur transport ni équipé à cette fin. En effet, aux termes des quatrième et cinquième considérants de la troisième directive, cette réglementation a comme objectif, notamment, de combler les lacunes dans la couverture d’assurance obligatoire des passagers des
véhicules automobiles dans certains États membres et de protéger cette catégorie particulièrement vulnérable de victimes potentielles, ainsi que de garantir aux victimes d’accidents de la circulation automobile un traitement comparable quels que soient les endroits de la Communauté où les accidents se sont produits.
25 Cette interprétation est, par ailleurs, corroborée par la jurisprudence de la Cour. En effet, la Cour a déjà constaté que les première et deuxième directives n’ont pas imposé avant le 31 décembre 1995, à savoir avant l’expiration du délai de transposition fixé pour l’Irlande par la troisième directive, de prévoir que l’assurance obligatoire couvre les dommages corporels causés aux passagers transportés dans une partie d’un véhicule non aménagée pour le transport assis de passagers. La Cour a
cependant relevé que l’article 1^er de la troisième directive a étendu, à partir de cette date, la couverture obligatoire imposée à l’article 3, paragraphe 1, de la première directive, tel que précisé et complété par la deuxième directive, aux dommages corporels causés aux passagers autres que le conducteur (ordonnance du 14 octobre 2002, Withers, C‑158/01, Rec. p. I-8301, points 20 et 21).
26 En outre, ainsi qu’il découle de cette jurisprudence, lorsque la Cour s’est exprimée sur les dommages corporels causés aux personnes transportées dans une partie d’un véhicule non aménagée pour le transport assis de passagers, elle a considéré lesdites personnes comme des «passagers», indépendamment de la partie du véhicule dans laquelle elles ont été transportées (voir, en ce sens, ordonnance Withers, précitée, point 21).
27 De plus, la réglementation communautaire prévoit explicitement des exceptions à l’obligation de protéger les victimes d’accidents. Ces exceptions sont visées aux articles 1^er, paragraphe 4, troisième alinéa, et 2, paragraphe 1, de la deuxième directive.
28 Toutefois, le législateur communautaire n’a pas prévu de dérogation relative à une catégorie distincte de personnes susceptibles d’être victimes d’un sinistre de véhicules, qui ont pris place dans une partie de véhicule n’étant ni conçue pour leur transport ni équipée à cette fin. Dans ces conditions, ces personnes ne sauraient être exclues de la notion de «passager» et, partant, de la couverture d’assurance garantie par la réglementation communautaire.
29 Étant donné que, d’une part, la faculté de dérogation à l’obligation de protéger les victimes d’accidents est définie et circonscrite par le droit communautaire et que, d’autre part, la réalisation des objectifs susmentionnés nécessite une approche uniforme de la couverture d’assurance des passagers au niveau communautaire, les États membres ne sont pas en mesure d’introduire des limitations additionnelles à l’assurance obligatoire au regard des passagers.
30 Par conséquent, une réglementation nationale ne saurait réduire la notion de «passager» et priver ainsi de la couverture d’assurance des personnes ayant droit, conformément aux première, deuxième et troisième directives, à la réparation du dommage causé par des véhicules automoteurs.
31 Il y a lieu d’ajouter que l’approche restrictive du législateur national ne saurait non plus être justifiée par la déclaration conjointe du Conseil et de la Commission, rappelée au point 20 du présent arrêt. En effet, il ressort d’une jurisprudence constante que, lorsqu’une déclaration inscrite à un procès-verbal du Conseil ne trouve aucune expression dans le texte d’une disposition de droit dérivé, elle ne saurait être retenue pour son interprétation (arrêts du 26 février 1991, Antonissen,
C‑292/89, Rec. p. I-745, point 18; du 8 juin 2000, Epson Europe, C‑375/98, Rec. p. I-4243, point 26, et du 10 janvier 2006, Skov et Bilka, C-402/03, Rec. p. I-199, point 42).
32 Il convient de rappeler, également, que l’obligation de couverture d’assurance des passagers est distincte de l’étendue de l’indemnisation de ces derniers s’ils deviennent victimes d’un sinistre causé par des véhicules. En effet, alors que la première est garantie et définie par la réglementation communautaire, la seconde est régie, essentiellement, par le droit national.
33 À cet égard, la Cour a déjà jugé que les première, deuxième et troisième directives ne visent pas à harmoniser les régimes de responsabilité civile des États membres et que, en l’état actuel du droit communautaire, ces derniers restent libres de déterminer le régime de responsabilité civile applicable aux sinistres résultant de la circulation des véhicules. Toutefois, les États membres sont obligés de garantir que la responsabilité civile applicable selon leur droit national soit couverte par
une assurance conforme aux dispositions des trois directives susmentionnées (arrêts du 14 septembre 2000, Mendes Ferreira et Delgado Correia Ferreira, C‑348/98, Rec. p. I-6711, points 23 et 29, ainsi que du 30 juin 2005, Candolin e.a., C-537/03, Rec. p. I-5745, point 24).
34 En outre, il ressort de cette jurisprudence que les États membres doivent exercer leurs compétences en ce domaine dans le respect du droit communautaire, et en particulier de l’article 1^er de la troisième directive, et que les dispositions nationales qui régissent l’indemnisation des sinistres résultant de la circulation des véhicules ne peuvent pas priver cet article de son effet utile (voir, en ce sens, arrêts du 28 mars 1996, Ruiz Bernáldez, C‑129/94, Rec. p. I-1829, point 19, ainsi que
Candolin e.a., précité, points 27 et 28).
35 Par conséquent, une réglementation nationale, définie en fonction des critères généraux et abstraits, ne saurait refuser ou limiter de façon disproportionnée l’indemnisation d’un passager sur le seul fondement de sa contribution à la réalisation du dommage. En fait, ce n’est que dans des circonstances exceptionnelles que, sur la base d’une appréciation individuelle et en respectant le droit communautaire, l’étendue d’une telle indemnisation peut être réduite (voir, en ce sens, arrêt Candolin
e.a., précité, points 29, 30 et 35).
36 Eu égard à ces considérations, il convient de répondre à la première question que l’article 1^er de la troisième directive doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation nationale selon laquelle l’assurance obligatoire de la responsabilité civile automobile ne couvre pas la responsabilité des dommages corporels causés aux personnes voyageant dans une partie d’un véhicule automoteur qui n’a été ni conçue ni construite avec des sièges pour passagers.
Sur la seconde question
37 En ce qui concerne la seconde question, relative à la possibilité pour les particuliers d’invoquer directement l’article 1^er de la troisième directive devant les juridictions nationales, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, une disposition d’une directive a un effet direct si elle apparaît, du point de vue de son contenu, inconditionnelle et suffisamment précise (arrêts du 19 janvier 1982, Becker, 8/81, Rec. p. 53; du 4 décembre 1997, Kampelmann e.a., C‑253/96 à
C-258/96, Rec. p. I-6907, point 37, et du 9 septembre 2004, Meiland Azewijn, C-292/02, Rec. p. I-7905, point 57).
38 En l’espèce, il y a lieu de constater que ces critères, ainsi que le relève la Commission, sont remplis par l’article 1^er de la troisième directive. En effet, cet article permet d’identifier tant l’obligation de l’État membre que les bénéficiaires, et le contenu de ces dispositions est inconditionnel et précis. Par conséquent, l’article 1^er de la troisième directive peut être invoqué afin d’écarter les dispositions de droit national excluant du bénéfice de la garantie d’assurance
obligatoire les personnes voyageant dans toute partie d’un véhicule qui n’est ni conçue ni construite avec des sièges pour passagers.
39 Demeure la question de savoir si cette disposition peut être invoquée à l’encontre d’un organisme tel que le MIBI.
40 À cet égard, il y a lieu de préciser qu’une directive ne peut être invoquée à l’encontre de particuliers, alors qu’elle peut l’être à l’encontre de l’État, quelle que soit la qualité en laquelle agit ce dernier, employeur ou autorité publique. Figure au nombre des entités qui peuvent se voir opposer les dispositions d’une directive susceptibles d’avoir des effets directs un organisme qui, quelle que soit sa forme juridique, a été chargé en vertu d’un acte de l’autorité publique d’accomplir,
sous le contrôle de cette dernière, un service d’intérêt public et qui dispose, à cet effet, de pouvoirs exorbitants par rapport aux règles applicables dans les relations entre particuliers (arrêts du 12 juillet 1990, Foster e.a., C-188/89, Rec. p. I-3313, point 20; du 14 septembre 2000, Collino et Chiappero, C-343/98, Rec. p. I-6659, point 23, ainsi que du 5 février 2004, Rieser Internationale Transporte, C-157/02, Rec. p. I-1477, point 24).
41 Étant donné que la juridiction de renvoi n’a pas fourni suffisamment d’informations au sujet du MIBI pour pouvoir décider si ce dernier pouvait être assimilé à une telle entité, il incombe au juge national d’apprécier, en tenant compte, sur la base des considérations qui précèdent, du statut du MIBI et de ses relations avec l’État irlandais, si la directive peut être invoquée à l’encontre de celui-ci.
42 Au cas où le juge national décide que la directive ne peut être invoquée à l’encontre du MIBI, il est tenu, en appliquant le droit interne et, notamment, les dispositions d’une réglementation spécifiquement adoptée aux fins de mettre en œuvre les exigences d’une directive, d’interpréter le droit national dans toute la mesure du possible à la lumière du texte et de la finalité de la directive en cause pour atteindre le résultat visé par celle-ci (arrêts 23 octobre 2003, Adidas-Salomon et
Adidas Benelux, C‑408/01, Rec. p. I‑12537, point 21, et du 5 octobre 2004, Pfeiffer e.a., C‑397/01 à C‑403/01, Rec. p. I‑8835, point 113).
43 En tout état de cause, la responsabilité de l’État membre pour réparer les dommages causés par l’absence de transposition correcte d’une directive, au sens de l’arrêt du 19 novembre 1991, Francovich e.a. (C‑6/90 et C‑9/90, Rec. p. I‑5357), pourrait se poser.
44 Il convient dès lors de répondre à la seconde question que l’article 1^er de la troisième directive remplit toutes les conditions requises pour produire un effet direct et confère, par conséquent, des droits que les particuliers peuvent invoquer directement devant les juridictions nationales. Toutefois, il incombe au juge national de vérifier si cette disposition peut être invoquée à l’encontre d’un organisme tel que le MIBI.
Sur les dépens
45 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (première chambre) dit pour droit:
1) L’article 1^er de la troisième directive 90/232/CEE du Conseil, du 14 mai 1990, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives à l’assurance de la responsabilité civile résultant de la circulation des véhicules automoteurs, doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation nationale selon laquelle l’assurance obligatoire de la responsabilité civile automobile ne couvre pas la responsabilité des dommages corporels causés aux personnes voyageant dans
une partie d’un véhicule automoteur qui n’a été ni conçue ni construite avec des sièges pour passagers.
2) L’article 1^er de la troisième directive 90/232 remplit toutes les conditions requises pour produire un effet direct et confère, par conséquent, des droits que les particuliers peuvent invoquer directement devant les juridictions nationales. Toutefois, il incombe au juge national de vérifier si cette disposition peut être invoquée à l’encontre d’un organisme tel que le Motor Insurers Bureau of Ireland (MIBI).
Signatures
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
* Langue de procédure: l’anglais.