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27/02/2007 | CJUE | N°C-330/05

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général Trstenjak présentées le 27 février 2007., Procédure pénale contre Fredrik Granberg., 27/02/2007, C-330/05


CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M^me VERICA Trstenjak

présentées le 27 février 2007 (1)

Affaire C-330/05

Fredrik Granberg

contre

Åklagaren

[demande de décision préjudicielle formée par le Hovrätten för Övre Norrland (Suède)]

«Dispositions fiscales – Harmonisation des législations – Directive 92/12/CEE – Droits d’accises – Huiles minérales – Mode de transport atypique – Acquisition et acheminement dans un autre État membre par un particulier pour ses besoins propres – Article 7, pa

ragraphe 4 de la directive – Possibilité pour l’État membre de destination d’exiger la constitution d’une sûreté garantissant le p...

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M^me VERICA Trstenjak

présentées le 27 février 2007 (1)

Affaire C-330/05

Fredrik Granberg

contre

Åklagaren

[demande de décision préjudicielle formée par le Hovrätten för Övre Norrland (Suède)]

«Dispositions fiscales – Harmonisation des législations – Directive 92/12/CEE – Droits d’accises – Huiles minérales – Mode de transport atypique – Acquisition et acheminement dans un autre État membre par un particulier pour ses besoins propres – Article 7, paragraphe 4 de la directive – Possibilité pour l’État membre de destination d’exiger la constitution d’une sûreté garantissant le paiement des droits d’accises et la détention, lors du transport, d’un document d’accompagnement simplifié –
Article 9, paragraphe 3 de la directive – Possibilité pour l’État membre de destination de prélever des droits d’accises»

I – Introduction

1. Dans la demande de décision préjudicielle, le Hovrätten för Övre Norrland (cour d’appel d’Övre Norrland) (Suède) pose à la Cour quatre questions portant sur l’interprétation des articles 7, paragraphe 4, et 9, paragraphe 3, de la directive 92/12/CEE du Conseil, du 25 février 1992, relative au régime général, à la détention, à la circulation et aux contrôles des produits soumis à accise (2), telle que modifiée par la directive 92/108/CEE du Conseil, du 14 décembre 1992 (3) (ci-après «la
directive»).

2. M. Granberg est poursuivi pour avoir introduit en Suède, dans trois récipients installés à l’arrière d’une fourgonnette, 3 000 litres de mazout en provenance de Finlande destinés à un usage personnel sans avoir tenu compte des exigences formulées par le droit suédois et visant à assurer le paiement de l’accise en Suède.

II – Le droit communautaire applicable

3. Les cinquième à septième considérants de la directive exposent:

«considérant que toute livraison, détention en vue de la livraison ou affectation aux besoins d’un opérateur accomplissant de manière indépendante une activité économique ou aux besoins d’un organisme de droit public ayant lieu dans un État membre autre que celui de la mise à la consommation donne lieu à exigibilité de l’accise dans cet autre État membre;

considérant que les produits soumis à accise qui sont acquis par les particuliers pour leurs besoins propres et transportés par eux-mêmes doivent être taxés dans l’État membre où ces produits sont acquis;

considérant que, pour établir que les produits soumis à accise ne sont pas détenus à des fins personnelles mais à des fins commerciales, les États membres doivent tenir compte d’un certain nombre de critères».

4. Aux termes de l’article 7 de la directive:

«1. Dans le cas où des produits soumis à accise ayant déjà été mis à la consommation dans un État membre sont détenus à des fins commerciales dans un autre État membre, les droits d’accises sont perçus dans l’État membre dans lequel ces produits sont détenus.

[…]

4. Les produits visés au paragraphe 1 circulent entre les territoires des différents États membres sous le couvert d’un document d’accompagnement qui mentionne les éléments principaux du document visé à l’article 18 paragraphe 1. La forme et le contenu de ce document sont définis selon la procédure prévue à l’article 24 de la présente directive.

[…]»

5. L’article 8 de la directive prévoit:

«Pour les produits acquis par les particuliers, pour leurs besoins propres et transportés par eux-mêmes, le principe régissant le marché intérieur dispose que les droits d’accises sont perçus dans l’État membre où les produits sont acquis.»

6. L’article 9, paragraphe 3, de ladite directive dispose:

«Les États membres peuvent également prévoir que l’accise devient exigible dans l’État membre de consommation lors de l’acquisition d’huiles minérales ayant déjà été mises à la consommation dans un autre État membre si ces produits sont transportés suivant des modes de transport atypiques par des particuliers ou pour leur compte propre. Est à considérer comme mode de transport atypique le transport de carburant autrement que dans le réservoir des véhicules ou dans un bidon de réserve approprié ainsi
que le transport de produits de chauffage liquides autrement que dans des camions-citernes utilisés pour le compte d’opérateurs professionnels.»

III – Les dispositions pertinentes du droit suédois

7. L’article 1^er du chapitre 4 de la loi relative à la taxation de l’énergie (ci-après la «LSE») prévoit:

«Est redevable de la taxe sur l’énergie, […]

5. toute personne […] qui introduit ou reçoit du combustible en Suède, en provenance d’un autre État membre de la Communauté européenne».

8. L’article 1^er bis figurant au chapitre 4 de la LSE prévoit une dérogation à ce paragraphe 5:

«La taxe n’est pas due conformément à l’article 1^er, paragraphe 5, […]

pour les carburants introduits en Suède à des fins privées dans le réservoir d’un véhicule, d’un navire ou d’un aéronef, ou dans des bidons de réserve d’une contenance maximale de 10 litres».

9. L’article 6 du chapitre 1 de la loi relative au contrôle, dans le cadre de la perception des droits d’accises, du transport, entre autres opérations, de produits alcooliques, de tabacs manufacturés et d’huiles minérales (ci-après la «LPK») énonce:

«Un produit soumis à accise ne peut être transporté que si les obligations relatives au document d’accompagnement, à la sûreté [pour garantir le paiement de l’impôt], à la preuve de la sûreté et à la déclaration découlant des lois visées à l’article 2 ou de dispositions visées à l’article 5 bis sont remplies».

10. En vertu de l’article 1^er du chapitre 5 de la LPK, toute personne qui introduit intentionnellement des produits soumis à accise en Suède à partir d’un État appartenant à la zone concernée par la réglementation communautaire sur les accises en violation de l’article 6 du chapitre 1 de cette loi et qui, de cette façon, risque de compliquer gravement l’exercice des contrôles fiscaux relatifs aux transports de marchandises, est condamnée, du chef de transport illégal de produits soumis à
accise, à un emprisonnement ne pouvant pas dépasser deux ans. L’auteur de l’infraction est puni d’une amende si celle-ci est considérée comme légère.

IV – Le litige au principal et les questions préjudicielles

11. M. Granberg est poursuivi par les autorités suédoises pour avoir, le 7 décembre 2003, introduit en Suède 3 000 litres de mazout en provenance de Finlande sans avoir déclaré préalablement au fisc le transport du produit en question, sans avoir constitué une sûreté pour garantir le paiement des taxes dues et sans être porteur d’un document d’accompagnement ou d’une preuve de la constitution d’une sûreté.

12. Le produit était transporté dans le compartiment de charge d’une fourgonnette, dans trois récipients d’une capacité de 1 000 litres chacun. Ce produit devait servir à chauffer la maison avec garage de M. Granberg et était donc destiné à son usage personnel.

13. M. Granberg a reconnu les faits, mais il a contesté avoir commis une infraction.

14. Par jugement du 4 mai 2004, le Haparanda tingorätt (tribunal de première instance de Haparanda) a reconnu M. Granberg coupable de transport illégal de produits soumis à accise. M. Granberg a fait appel de ce jugement devant le Hovrätten för Övre Norrland.

15. Selon cette juridiction, les dispositions de droit interne applicables étaient la LPK et la LSE. Toute infraction à la LPK est passible de poursuites pénales. La LPK renvoie à la directive.

16. Le Hovrätten för Övre Norrland a dès lors décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1) L’article 9, paragraphe 3, de la directive […] donne-t-il la possibilité aux États membres d’écarter, par une disposition générale, le mazout du champ d’application de l’article 8 de la directive, de sorte qu’un État membre pourrait prévoir qu’un particulier, ayant acquis lui-même, et pour ses besoins propres, du mazout dans un autre État membre, où ladite marchandise a été mise à la consommation, et l’ayant transporté […] lui-même vers l’État membre de destination, est tenu de verser des
droits d’accises dans ce dernier État, quelle que soit la manière dont le mazout a été transporté?

2) Si la première question appelle une réponse affirmative, l’article 9, paragraphe 3, de la directive […] est-il compatible avec le principe de la libre circulation des marchandises consacré par le traité CE, ainsi qu’avec le principe de la proportionnalité, sachant que l’article 9, paragraphe 3, de la directive semble avoir pour objectif d’amener les particuliers à s’abstenir de transporter des huiles minérales, en prévoyant une exception à la règle générale selon laquelle, pour les produits
acquis par les particuliers, pour leurs besoins propres dont ils assurent eux-mêmes le transport, les droits d’accises sont perçus dans l’État membre où les produits sont acquis? Un tel objectif est-il compatible avec le fondement juridique de la directive invoqué par le Conseil ou l’article 9, paragraphe 3, de la directive est-il illégal?

3) Si la première question appelle une réponse négative, le transport par un particulier de 3 000 litres de mazout dans trois récipients communément appelés ‘grands récipients pour vrac’ – lesquels peuvent en soi être agréés pour le transport professionnel de marchandises dangereuses, notamment sous une forme liquide –, chargés à bord d’une camionnette, constitue-t-il un mode de transport atypique au sens de l’article 9, paragraphe 3, de la directive […]?

4) Est-il conforme à l’article 7, paragraphe 4, de la directive […] qu’un État membre adopte une disposition par laquelle un particulier, ayant acquis lui-même, et pour ses besoins propres, du mazout dans un autre État membre, où ladite marchandise a été mise à la consommation, et l’ayant transporté […] lui-même vers l’État membre de destination selon un mode de transport atypique, au sens de l’article 9, paragraphe 3, de la directive, est tenu de constituer une sûreté pour garantir le paiement
des droits d’accises, ainsi que de se munir, lors du transport, d’un document d’accompagnement simplifié et de la preuve de la constitution d’une sûreté pour le paiement des droits d’accises?»

17. La juridiction de renvoi souligne par ailleurs que six autres affaires semblables sont pendantes devant elle.

V – Les observations soumises à la Cour

18. Des observations écrites ont été présentées par les gouvernements suédois, grec, italien et polonais ainsi que par le Conseil de l’Union européenne et la Commission des Communautés européennes. Lors de l’audience, M. Granberg a fait entendre sa position.

A – Sur la première question

19. La juridiction de renvoi demande si l’article 9, paragraphe 3, de la directive permet d’écarter du champ d’application de l’article 8 de cette directive, et donc de soumettre au paiement de droits d’accises dans l’État membre de consommation, tous les transports, d’un État membre à un autre, effectués par un particulier, de mazout acquis pour ses besoins propres.

20. Selon le gouvernement polonais, le Conseil et la Commission, l’article 9, paragraphe 3, de la directive ne donne pas cette possibilité de manière générale.

21. La Commission expose que ce n’est que lorsque le mode de transport est atypique que l’accise peut être perçue dans l’État membre de destination. À l’inverse, si le mode de transport peut être considéré comme normal, l’accise ne peut pas être prélevée dans l’État membre de destination. Par «modes de transport atypiques», au sens de l’article 9, paragraphe 3, de la directive, il faut entendre tous les transports, à l’exception de certains, qui sont précisés. La deuxième phrase de la
disposition précise ainsi que la dérogation qu’elle prévoit n’est pas applicable lorsque le carburant est transporté dans le réservoir du véhicule ou lorsqu’il est transporté dans des bidons de réserve appropriés. La troisième situation, qui concerne le cas d’espèce, concerne le «transport de produits de chauffage liquides autrement que dans des camions-citernes utilisés pour le compte d’opérateurs professionnels».

22. Le Conseil ajoute que l’article 9, paragraphe 3, de la directive constituant une dérogation à la règle générale établie par l’article 8 de cette directive doit être interprété de manière restrictive. Si la volonté du législateur communautaire était de permettre l’exclusion du champ d’application de l’article 8 de ladite directive tous les transports d’huiles minérales par des particuliers, il l’aurait clairement exprimé. Dans un tel cas, le libellé de l’article 9, paragraphe 3, de la
directive ne comporterait pas de deuxième phrase et se lirait comme suit:

«Les États membres peuvent également prévoir que l’accise devient exigible dans l’État membre de consommation lors de l’acquisition d’huiles minérales ayant déjà été mises à la consommation dans un autre État membre si ces produits sont transportés par des particuliers.»

23. Au contraire, les gouvernements suédois, grec et italien considèrent que les États membres peuvent exclure tout transport par des particuliers d’huiles minérales du champ d’application de l’article 8 de la directive et donc rendre l’accise sur ces produits exigible dans l’État membre de destination.

24. Selon le gouvernement suédois, il n’existe, aux termes de l’article 9, paragraphe 3, de la directive, aucune possibilité pour un particulier de transporter des huiles minérales selon un mode de transport typique, car un particulier ne peut transporter un tel produit dans des camions-citernes pour le compte d’opérateurs professionnels, ce qui implique ainsi la possibilité, pour les États membres qui le désirent, d’écarter ce produit du champ d’application de l’article 8 de ladite directive.

25. Ces trois gouvernements exposent, par ailleurs, que cette possibilité d’exclusion tient à la nature particulière des huiles minérales qui ne devraient normalement pas être transportées par des particuliers, pour des raisons de sécurité et de protection de l’environnement.

B – Sur la deuxième question

26. En cas de réponse affirmative à la première question, la juridiction de renvoi demande, d’une part, si l’article 9, paragraphe 3, de la directive est compatible avec les principes de la libre circulation des marchandises et de la proportionnalité et, d’autre part, si l’objectif de prévenir les particuliers de transporter des huiles minérales en percevant les droits d’accises, en dérogation à la règle générale fixée par l’article 8 de cette directive, dans l’État membre de consommation, est
compatible avec le fondement juridique de ladite directive.

27. S’agissant de la première partie de la deuxième question, la Commission considère, notamment, que l’article 9, paragraphe 3, de la directive est conforme au principe de la libre circulation des marchandises et cite, à cet égard, le point 32 de l’arrêt du 17 juin 2003, De Danske Bilimportører, selon lequel «[il] convient de rappeler que le champ d’application de l’article 28 CE ne comprend pas les entraves visées par d’autres dispositions spécifiques et que les entraves de nature fiscale ou
d’effet équivalant à des droits de douane visées aux articles 23 CE, 25 CE et 90 CE ne relèvent pas de l’interdiction de l’article 28 CE» (4). La Commission souligne également que l’article 9, paragraphe 3, de la directive ne remet pas en cause la libre circulation des marchandises puisque, comme cela a été exposé en réponse à la première question, il permet aux particuliers de transporter, pour leurs besoins propres, du gazole de chauffage en exonération d’accises suivant un «mode de transport non
atypique».

28. En ce qui concerne la seconde partie de cette question, le Hovrätten för Övre Norrland, dans sa demande de décision préjudicielle, expose que la directive renvoie, notamment, à l’article 93 CE (5), lequel ne semble pas permettre l’adoption de mesures visant à accroître la sécurité des transports, alors que, selon un rapport de la Commission, l’article 9, paragraphe 3, de cette directive viserait à prévenir les risques liés aux transports privés d’huiles minérales (6). La juridiction de
renvoi pose ainsi la question de la validité de cette disposition.

29. Selon les gouvernements grec et italien ainsi que le Conseil, l’article 9, paragraphe 3, de la directive est valide. À supposer que l’article 9, paragraphe 3, de cette directive tienne compte d’exigences liées à la sécurité des transports, il ne s’agirait que d’un objectif accessoire par rapport à la finalité principale de nature fiscale de ladite directive. Selon la jurisprudence, l’acte doit être fondé sur la base juridique relative à la finalité principale du texte.

30. Les gouvernements suédois et grecs expliquent par ailleurs que l’harmonisation fiscale opérée par les directives sur les accises n’est que partielle. Celles-ci se contentent, pour l’essentiel, de classer les produits en fonction de considérations objectives, de définir les conditions d’exigibilité de l’accise, d’organiser un régime de circulation des produits assujettis à l’accise, de déterminer la base d’imposition des accises et de fixer des taux minimaux.

C – Sur la troisième question

31. En cas de réponse négative à la première question, la juridiction de renvoi demande si le transport par un particulier de 3 000 litres de mazout dans trois récipients chargés à bord d’une camionnette constitue un mode de transport atypique, au sens de l’article 9, paragraphe 3, de la directive.

32. Le gouvernement polonais, le Conseil et la Commission estiment qu’un tel transport est atypique. Les gouvernements suédois et grecs ne considèrent pas utile, en raison des réponses qu’ils ont apportées aux questions précédentes, de répondre à cette question. M. Granberg ne s’est pas prononcé.

D – Sur la quatrième question

33. Par cette question, ladite juridiction demande si l’article 7, paragraphe 4, de la directive permet à un État membre d’exiger qu’un particulier, transportant d’un État membre à un autre pour ses besoins propres du mazout selon un mode de transport atypique, constitue une sûreté garantissant le paiement des droits d’accises et soit muni, lors de ce transport, d’un document d’accompagnement simplifié.

34. La Commission expose que l’article 7, paragraphe 1, de la directive, qui définit les produits concernés par l’article 7, paragraphe 4, de cette directive, vise uniquement les produits «détenus à des fins commerciales». Par conséquent, l’article 7, paragraphe 4, de ladite directive ne concerne pas les produits acquis pour des besoins propres.

35. La Commission renvoie par ailleurs, notamment, au point 23 de l’arrêt du 2 avril 1998, EMU Tabac e.a. (7), selon lequel «il résulte des troisième, cinquième, sixième et onzième considérants [que] la directive établit une distinction entre, d’une part, les marchandises qui sont détenues à des fins commerciales et dont le transport doit être accompagné de documents et, d’autre part, les marchandises détenues à des fins personnelles».

36. La Commission ajoute que, si un État membre qui a le droit de percevoir l’accise conformément à l’article 9, paragraphe 3, de la directive a aussi le droit de recourir à des instruments de contrôle pour vérifier que l’accise a bien été payée, cette faculté ne peut découler de l’article 7, paragraphe 4, de cette directive.

37. Au contraire, selon les gouvernements suédois et polonais, il ressort de l’article 9, paragraphe 3, de la directive, que tout transport atypique est effectué à des fins commerciales. Ces gouvernements considèrent que les particuliers ne devraient pas transporter du mazout et que, par conséquent, tout transport de mazout, même effectué par un particulier pour ses besoins propres, doit être considéré comme étant de nature commerciale, et donc être soumis aux obligations de l’article 7,
paragraphe 4, de cette directive.

VI – Observations préliminaires

38. Grandes ont été les difficultés d’harmonisation des droits d’accises sur les huiles minérales, tant de par l’importance même des produits en cause pour l’économie des États membres que parce que les produits en cause (essence, gasoil, fuel, kérosène, etc.) entretiennent des liens étroits et importants avec d’autres politiques sectorielles.

39. Parallèlement à la directive 92/81/CEE du Conseil du 19 octobre 1992, concernant l’harmonisation des structures des droits d’accises sur les huiles minérales (8), la directive dont il est question dans la présente affaire établit des règles propres à organiser le régime fiscal des échanges de produits soumis à accise dans un espace sans frontières intérieures.

40. L’article 8 de la directive pose le principe général selon lequel l’accise sur les produits acquis par les particuliers, pour leurs besoins propres et transportés par eux-mêmes, est perçu dans l’État membre d’acquisition.

41. L’article 9, paragraphe 3, de la directive laisse la possibilité aux États membres de déroger, sous certaines conditions, à ce principe, en prévoyant la perception d’une accise dans l’État membre de consommation.

42. Cependant, cette disposition pourrait faire l’objet, à l’initiative de la Commission, d’une suppression (9).

43. Néanmoins, en l’état actuel du droit positif, il convient d’appliquer l’article 9, paragraphe 3, de la directive de manière littérale, quand bien même cette application entraînerait un frein à la liberté de circulation des marchandises (10) qui n’existait pas avant cette directive et qui n’existerait plus après la suppression de cette disposition.

VII – Appréciation

A – Sur la première question

44. La réponse à la première question suppose une lecture attentive de chacun des termes employés à l’article 9, paragraphe 3, de la directive, à lire en relation avec l’article 8 de celle-ci, qui prévoit que, pour les produits acquis par les particuliers, pour leurs besoins propres et transportés par eux-mêmes, «les droits d’accises sont perçus dans l’État membres où les produits sont acquis».

45. L’article 9, paragraphe 3, de ladite directive prévoit une exception à l’application de cet article 8, selon laquelle «[l]es États membres peuvent également prévoir que l’accise devient exigible dans l’État membre de consommation lors de l’acquisition d’huiles minérales ayant déjà été mises à la consommation dans un autre État membre si ces produits sont transportés suivant des modes de transport atypiques par des particuliers ou pour leur compte propre (11)».

46. Or, il importe de souligner que cet article 9, paragraphe 3, donne une définition de la notion de mode de transport atypique selon laquelle «[e]st à considérer comme mode de transport atypique le transport de carburant autrement que dans le réservoir des véhicules ou dans un bidon de réserve approprié ainsi que le transport de produits de chauffage liquides autrement que dans des camions-citernes utilisés pour le compte d’opérateurs professionnels».

47. Ainsi, l’article 9, paragraphe 3, de la directive donne une définition a contrario du transport typique. Est un transport typique, d’une part, le transport de carburant dans le réservoir d’un véhicule ou dans un bidon de réserve approprié et, d’autre part, le transport de produits de chauffage liquides dans des camions-citernes utilisés pour le compte d’opérateurs professionnels.

48. Tout transport n’entrant pas dans une de ces catégories de transports typiques est un transport atypique.

49. Dès lors que le législateur a posé la condition d’un mode de transport atypique (12) pour laisser aux États membres la possibilité de déroger au principe général du lieu de l’exigibilité de l’accise, il est évident que le législateur a entendu que cette possibilité ne soit ouverte que pour les seuls transports atypiques. Cette évidence est encore renforcée par le fait que le législateur a défini ce que recouvre cette notion de transport atypique.

50. Le gouvernement suédois fait valoir qu’il n’existerait aucune possibilité pour un particulier de transporter du mazout selon un mode de transport typique, car un particulier ne pourrait transporter du mazout dans des camions-citernes pour le compte d’opérateurs professionnels, et il considère en conséquence que les États membres peuvent exclure tout transport par des particuliers d’huiles minérales du champ d’application de l’article 8 de la directive.

51. Cet argument ne devrait pas être retenu, car l’article 9, paragraphe 3, de la directive, constituant une dérogation à la règle générale fixée par l’article 8 de cette directive, doit être interprété de manière restrictive (13).

52. Ainsi, quand bien même n’existerait-il pas de possibilité pour les particuliers de transporter du mazout de manière typique (14), il conviendrait de répondre par la négative à la première question, à savoir que les États membres ne peuvent pas, par une disposition générale, écarter le mazout du champ d’application de l’article 8 de la directive, en cas de transport par un particulier de mazout acquis pour ses besoins propres, car ils ne peuvent le faire qu’en cas de transport atypique.

B – Sur la deuxième question

53. La première question appelant une réponse négative, il ne devrait pas avoir lieu de répondre à la deuxième question.

C – Sur la troisième question

54. Il ressort des termes de l’article 9, paragraphe 3, de la directive que tout transport de produits de chauffage liquides qui n’est pas effectué «dans des camions-citernes utilisés pour le compte d’opérateurs professionnels» doit être considéré comme un mode de transport atypique.

55. Par conséquent, il paraît incontestable que le transport, par un particulier, de 3 000 litres de mazout dans trois récipients chargés à bord d’une camionnette constitue un mode de transport atypique, au sens de l’article 9, paragraphe 3, de la directive.

D – Sur la quatrième question

56. Comme l’expose la Commission, l’article 7, paragraphe 1, de la directive définit les produits concernés par l’article 7, paragraphe 4, de cette directive. Il s’agit uniquement des produits «détenus à des fins commerciales».

57. Or, la Cour a déjà jugé que la directive établit, ainsi qu’il ressort notamment des cinquième et sixième considérants de celle-ci, une distinction entre, d’une part, les produits qui sont détenus à des fins commerciales et dont le transport doit être accompagné de documents et, d’autre part, les produits détenus à des fins personnelles et dont le transport ne requiert aucun document (15).

58. Par conséquent, l’article 7, paragraphe 4, de la directive ne paraît pas concerner les produits acquis pour des besoins propres et ne devrait pas pouvoir servir de base juridique à l’exigence, par un État membre, de la constitution d’une sûreté pour le paiement des droits d’accises et la détention, pendant le transport, d’une preuve de cette constitution dans le cas d’un transport de tels produits.

VIII – Conclusion

59. Au regard des considérations qui précèdent, il est proposé à la Cour de répondre de la manière suivante aux questions posées par le Hovrätten för Övre Norrland:

«1) L’article 9, paragraphe 3, de la directive 92/12/CEE du Conseil, du 25 février 1992, relative au régime général, à la détention, à la circulation et aux contrôles des produits soumis à accise, telle que modifiée par la directive 92/108/CEE du Conseil, du 14 décembre 1992, ne donne pas la possibilité aux États membres d’écarter, par une disposition générale, le mazout du champ d’application de l’article 8 de cette directive, de sorte qu’un État membre pourrait prévoir qu’un particulier,
ayant acquis lui-même, et pour ses besoins propres, du mazout dans un autre État membre, où ladite marchandise a été mise à la consommation, et l’ayant transporté lui-même vers l’État membre de destination, est tenu de verser des droits d’accises dans ce dernier État, quelle que soit la manière dont le mazout a été transporté.

2) Eu égard à la réponse négative apportée à la première question, il n’est pas nécessaire de répondre à la deuxième question.

3) Le transport, par un particulier, de 3 000 litres de mazout dans trois récipients chargés à bord d’une camionnette constitue un mode de transport atypique, au sens de l’article 9, paragraphe 3, de ladite directive.

4) L’article 7, paragraphe 4, de ladite directive ne s’applique pas dans le cas d’un transport, par un particulier, de mazout qu’il a acquis lui-même, pour ses besoins propres, dans un État membre, où ladite marchandise a été mise à la consommation, et qu’il a transporté lui-même vers l’État membre de destination selon un mode de transport atypique, au sens de l’article 9, paragraphe 3, de cette
directive.» Verica Trstenjak

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1 – Langue originale: le français.

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2 – JO L 76, p. 1.

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3 – JO L 390, p. 124.

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4 – C‑383/01, Rec. p. I‑6065.

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5 – «Aux termes de cet article, [l]e Conseil, statuant à l'unanimité sur proposition de la Commission et après consultation du Parlement européen et du Comité économique et social, arrête les dispositions touchant à l'harmonisation des législations relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires, aux droits d'accises et autres impôts indirects dans la mesure où cette harmonisation est nécessaire pour assurer l'établissement et le fonctionnement du marché intérieur dans le délai prévu à l'article 14».

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6 – La juridiction de renvoi se réfère au rapport de la Commission au Parlement européen, au Conseil et au Comité économique et social concernant l’application des articles 7 à 10 de la directive 92/12 [COM(2004) 227 final].

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7 – C-296/95, Rec. p. I‑1605.

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8^8 – JO L 316, p. 12.

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9 – Proposition de directive du Conseil modifiant la directive 92/12 [COM(2004) 227 final].Aux termes de celle-ci, «[l]'article 9, paragraphe 3 est supprimé. La Commission n'est pas convaincue de la nécessité de maintenir une disposition fiscale permettant aux États membres de déroger au principe général de libre circulation applicable aux mouvements effectués par des particuliers. Si un problème de sécurité peut exister en matière de transport d'huiles minérales, le recours à une disposition
dérogeant au principe précité n'est pas de nature à apporter une solution juridique satisfaisante audit problème. Le fait qu'une législation nationale ou communautaire soumettrait le transport d'huiles minérales au respect de règles de sécurité très strictes doit être complètement dissocié du principe de taxation à réserver à de tels mouvements. Si certaines normes de sécurité n'étaient pas respectées, une infraction devrait alors être constatée, mais la constatation de celle-ci ne pourrait en aucun
cas avoir une incidence en matière d'accise».

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10 – D’autant plus qu’un particulier qui acquitterait l’accise dans l’État membre d’acquisition, en vertu de l’article 8 de la directive, et qui se verrait exiger le paiement d’une accise dans l’État membre de consommation, parce qu’il entrerait dans l’hypothèse de l’article 9, paragraphe 3, de cette directive, ne pourrait bénéficier du système de remboursement en cas de double imposition prévu à l’article 22 de ladite directive, car ce dernier n’ouvre cette possibilité, d’ailleurs dans des
conditions très strictes, qu’«à la demande d’un opérateur dans l’exercice de sa profession».

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11 – Cette exception paraît claire. Or, selon l’adage, interpretatio cessat in claris.

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12 – L’article 9, paragraphe 3, de la directive précise bien «si ces produits sont transportés suivant des modes de transport atypiques».

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13 – Voir, notamment, arrêts du 12 décembre 1995, Oude Luttikhuis e.a. (C‑399/93, Rec. p. I‑4515, point 23); du 18 janvier 2001, Commission/Espagne (C‑83/99, Rec. p. I‑445, point 19), et du 12 décembre 2002, Belgique/Commission (C‑5/01, Rec. p. I‑11991, point 56).

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14 – Au surplus peut-il être ajouté que, par exemple, la location par un particulier d’un camion-citerne avec chauffeur pour transporter du gazole de chauffage acquis pour ses besoins propres semble entrer dans la définition d’un transport typique.

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15 – Arrêt du 23 novembre 2006, Joustra (C‑5/05, non encore publié au Recueil, point 28).


Synthèse
Numéro d'arrêt : C-330/05
Date de la décision : 27/02/2007
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle: Hovrätten för Övre Norrland - Suède.

Droits d’accise - Huiles minérales - Mode de transport atypique.

Droits d'accise

Fiscalité


Parties
Demandeurs : Procédure pénale
Défendeurs : Fredrik Granberg.

Composition du Tribunal
Avocat général : Trstenjak
Rapporteur ?: Tizzano

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2007:117

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