Affaire C-419/04
Conseil général de la Vienne
contre
Directeur général des douanes et droits indirects
(demande de décision préjudicielle, introduite par la cour d'appel de Poitiers)
«Recouvrement a posteriori des droits à l'importation — Remise des droits à l'importation — Conditions — Article 871 du règlement d'application du code des douanes communautaire — Portée de l'obligation de saisir la Commission — Défaut de déclaration par un contribuable de bonne foi de redevances complémentaires qui auraient dû être incorporées à la valeur en douane des marchandises importées»
Conclusions de l'avocat général M. A. Tizzano, présentées le 17 novembre 2005
Arrêt de la Cour (troisième chambre) du 22 juin 2006
Sommaire de l'arrêt
Ressources propres des Communautés européennes — Recouvrement a posteriori ou remise des droits à l'importation ou à l'exportation
(Règlement du Conseil nº 2913/92, art. 220, § 2, b); règlement de la Commission nº 2454/93, art. 871)
L'article 871 du règlement nº 2454/93, fixant certaines dispositions d'application du règlement nº 2913/92 établissant le code des douanes communautaire, tel que modifié par le règlement nº 1677/98, doit être interprété en ce sens que, dans le cadre d'une procédure de recouvrement ou de remise de droits de douane non perçus, les autorités douanières nationales ne sont pas tenues de transmettre le cas à la Commission pour qu'il soit réglé par cette dernière lorsque les doutes qu'elles avaient
éprouvés quant à la portée des critères énoncés à l'article 220, paragraphe 2, sous b), du code des douanes communautaire au regard du cas concerné se sont dissipés, même après que lesdites autorités ont manifesté leur intention de saisir la Commission, ou lorsque les doutes éprouvés portent sur la prise en compte a posteriori de droits de douane non perçus résultant de l'omission par l'importateur de bonne foi de déclarer des redevances qui auraient dû être incorporées à la valeur en douane des
marchandises importées.
(cf. point 46 et disp.)
ARRÊT DE LA COUR (troisième chambre)
22 juin 2006 *
«Recouvrement a posteriori des droits à l’importation – Remise des droits à l’importation – Conditions – Article 871 du règlement d’application du code des douanes communautaire – Portée de l’obligation de saisir la Commission – Défaut de déclaration par un contribuable de bonne foi de redevances complémentaires qui auraient dû être incorporées à la valeur en douane des marchandises importées»
Dans l’affaire C-419/04,
ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 234 CE, introduite par la cour d’appel de Poitiers (France), par décision du 21 septembre 2004, parvenue à la Cour le 30 septembre 2004, dans la procédure
Conseil général de la Vienne
contre
Directeur général des douanes et droits indirects,
LA COUR (troisième chambre),
composée de M. A. Rosas, président de chambre, MM. J.-P. Puissochet, S. von Bahr, U. Lõhmus (rapporteur) et A. Ó Caoimh, juges,
avocat général: M. A. Tizzano,
greffier: M^me L. Hewlett, administrateur principal,
vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 28 septembre 2005,
considérant les observations présentées:
– pour le conseil général de la Vienne, par M^es J.-M. Salva et R. Barazza, avocats,
– pour le gouvernement français, par M. G. de Bergues et M^me A. Colomb, en qualité d’agents,
– pour le gouvernement slovaque, par M. R. Procházka, en qualité d’agent,
– pour la Commission des Communautés européennes, par M^me J. Hottiaux et M. X. Lewis, en qualité d’agents,
ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 17 novembre 2005,
rend le présent
Arrêt
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 871 du règlement (CEE) nº 2454/93 de la Commission, du 2 juillet 1993, fixant certaines dispositions d’application du règlement (CEE) nº 2913/92 du Conseil établissant le code des douanes communautaire (JO L 253, p. 1), tel que modifié par le règlement (CE) nº 1677/98 de la Commission, du 29 juillet 1998 (JO L 212, p. 18, ci-après le «règlement d’application»).
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant le conseil général de la Vienne au directeur général des douanes et droits indirects au sujet du paiement d’un montant de 221 286 euros correspondant à des droits à l’importation qui ont été considérés par ce dernier comme éludés.
Le cadre juridique
3 L’article 220, paragraphe 2, du règlement (CEE) nº 2913/92 du Conseil, du 12 octobre 1992, établissant le code des douanes communautaire (JO L 302, p. 1, ci-après le «code des douanes communautaire») est libellé comme suit:
«Hormis les cas visés à l’article 217 paragraphe 1 deuxième et troisième alinéas, il n’est pas procédé à une prise en compte a posteriori [des droits résultant d’une dette douanière], lorsque:
[…]
b) le montant des droits légalement dus n’avait pas été pris en compte par suite d’une erreur des autorités douanières elles-mêmes, qui ne pouvait raisonnablement être décelée par le redevable, ce dernier ayant pour sa part agi de bonne foi et observé toutes les dispositions prévues par la réglementation en vigueur en ce qui concerne la déclaration en douane;
[…]»
4 Aux termes de l’article 235 du code des douanes communautaire:
«On entend par:
[…]
b) remise: soit une décision de non-perception en totalité ou en partie, d’un montant de dette douanière, soit une décision d’invalidation, en tout ou en partie, de la prise en compte d’un montant de droits à l’importation ou de droits à l’exportation qui n’a pas été acquitté.»
5 L’article 236, paragraphe 1, deuxième et troisième alinéas, du code des douanes communautaire prévoit:
«Il est procédé à la remise des droits à l’importation ou des droits à l’exportation dans la mesure où il est établi qu’au moment de leur prise en compte leur montant n’était pas légalement dû ou que le montant a été pris en compte contrairement à l’article 220 paragraphe 2.
Aucun remboursement ni remise n’est accordé lorsque les faits ayant conduit au paiement ou à la prise en compte d’un montant qui n’était pas légalement dû résultent d’une manœuvre de l’intéressé.»
6 L’article 869 du règlement d’application dispose:
«Les autorités douanières décident elles-mêmes de ne pas prendre en compte a posteriori des droits non perçus:
[…]
b) dans les cas où elles estiment que toutes les conditions visées à l’article 220 paragraphe 2 point b) du code [des douanes communautaire] sont remplies et pour autant que le montant non perçu auprès d’un opérateur par suite d’une même erreur et se référant, le cas échéant, à plusieurs opérations d’importation ou d’exportation, soit inférieur à 50 000 [euros];
[…]»
7 L’article 871 du règlement d’application est libellé comme suit:
«À l’exclusion des cas prévus à l’article 869, lorsque les autorités douanières soit estiment que les conditions de l’article 220 paragraphe 2 point b) du code [des douanes communautaire] sont réunies, soit ont un doute quant à la portée des critères de cette disposition au regard du cas concerné, ces autorités transmettent le cas à la Commission pour qu’il soit réglé conformément à la procédure prévue aux articles 872 à 876. Le dossier adressé à la Commission doit comporter tous les éléments
nécessaires à un examen complet du cas présenté. Il doit en outre comprendre une déclaration, signée par la personne intéressée par le cas à présenter à la Commission, attestant du fait qu’elle a pu prendre connaissance du dossier et indiquant, soit qu’elle n’a rien à y ajouter, soit tout élément additionnel qu’il lui semble important d’y faire figurer.
La Commission accuse immédiatement réception de ce dossier à l’État membre concerné.
Lorsqu’il s’avère que les éléments d’information communiqués par l’État membre sont insuffisants pour lui permettre de statuer en toute connaissance de cause sur le cas qui lui est soumis, la Commission peut demander la communication d’éléments d’information complémentaires.»
Le litige au principal et la question préjudicielle
8 Le conseil général de la Vienne, en sa qualité de membre du conseil de surveillance de la société d’économie mixte locale qui gère le Parc du Futuroscope (ci-après le «Futuroscope»), a acquis, à plusieurs reprises, du matériel audiovisuel auprès d’un fournisseur canadien, la société IMAX Corporation (ci-après «IMAX»). Le conseil général de la Vienne demeure propriétaire de ce matériel, dont l’exploitation a été confiée au Futuroscope.
9 Au cours des mois de mars et d’avril 1993, le conseil général de la Vienne a importé, en vertu d’une convention qu’il a conclue avec IMAX, pour le compte du Futuroscope, le système de projection dénommé «Solido». Aux termes de cette convention, le prix d’achat du matériel en cause s’élevait à 3 431 650 USD. En outre, une redevance complémentaire de 1,8 FRF (0,27 euro) devait être versée à IMAX pour chaque entrée payante au Futuroscope.
10 Le conseil général de la Vienne a déclaré le montant de 3 431 650 USD comme valeur du matériel importé. Lors d’un contrôle effectué par l’administration française des douanes (ci-après l’«administration») postérieurement aux opérations de dédouanement, il a été constaté que les redevances complémentaires prélevées sur les billets d’entrée, au cours des années 1993 à 1995, n’avaient pas été déclarées comme faisant partie de la valeur en douane dudit matériel. Au mois de juillet 1997, l’enquête
a été clôturée par un procès-verbal de constatation d’infraction, qui a conclu à une fausse déclaration de la valeur en douane desdits matériels.
11 Le conseil général de la Vienne a saisi la commission de conciliation et d’expertise douanière, laquelle a conclu, en avril 1999, que la valeur en douane du matériel importé avait été minorée du montant des redevances complémentaires pour la somme de 5 517 281 FRF. Au cours du mois de septembre 1999, il a adressé à la direction générale des douanes et droits indirects, sur le fondement des articles 236 et 239 du code des douanes communautaire, une demande de remise de la dette douanière
réclamée. Cette demande a été rejetée en juin 2000.
12 Postérieurement, le conseil général de la Vienne a saisi le ministre de l’Économie, des Finances et de l’Industrie d’un recours hiérarchique. Après réexamen du dossier et sur instruction de ce ministère, le directeur général des douanes et droits indirects a, le 16 juillet 2001, informé ledit conseil de sa décision de saisir la Commission. Par note du 18 septembre 2001, l’administration a transmis à la Commission une lettre dans laquelle elle exposait les raisons qui l’avaient conduite à
incorporer le montant des redevances complémentaires dans la valeur en douane du matériel importé et demandait si la Commission partageait la même approche. Cette demande est restée sans réponse.
13 Le 19 juillet 2001, l’administration a assigné le conseil général de la Vienne devant le tribunal d’instance de Poitiers et a sollicité sa condamnation au paiement des droits à l’importation considérés comme éludés. Par jugement du 20 décembre 2002, ce tribunal a condamné ledit conseil au paiement de la somme contestée.
14 Le conseil général de la Vienne a fait appel de ce jugement devant la juridiction de renvoi. Considérant que le litige dont il est saisi nécessite une interprétation de l’article 871 du code des douanes communautaire, la cour d’appel de Poitiers a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante:
«L’article 871 du code des douanes communautaire relatif au recouvrement du montant de la dette douanière doit-il s’interpréter comme instituant une procédure indispensable et obligatoire à peine de nullité, dès lors que les autorités douanières nationales ont manifesté à un moment quelconque de la procédure de recouvrement qu’elles éprouvaient un doute, relativement à un redevable de bonne foi, quant à la portée des critères relatifs au recouvrement ou à la remise de droits résultant d’une dette
douanière éludée car non prise en compte à la date où cette dette aurait dû donner lieu à recouvrement, dette relative à l’éventuelle incorporation dans le prix d’acquisition d’un matériel audiovisuel fourni par un fournisseur canadien d’une redevance forfaitaire incluse obligatoirement dans le prix d’entrée du parc de loisirs dans lequel ce matériel est exploité, que le visiteur ayant acquitté cette redevance ait ou non bénéficié de cette exploitation?»
Sur la question préjudicielle
Sur la recevabilité
15 Le gouvernement français estime que la demande de décision préjudicielle doit être déclarée irrecevable.
16 En premier lieu, il fait valoir que le recours par les autorités douanières d’un État membre à l’article 871 du règlement d’application suppose que celles-ci estiment que les conditions prévues à l’article 220, paragraphe 2, sous b), du code des douanes communautaire soient réunies ou qu’elles aient un doute quant à la portée des critères de cette dernière disposition au regard du cas concerné.
17 Or, selon le gouvernement français, le litige au principal ne porte pas sur une demande de remise de droits de douane présentée au titre de la seconde hypothèse prévue à l’article 236, paragraphe 1, deuxième alinéa, du code des douanes communautaire, applicable lorsque le montant des droits à l’importation a été pris en compte contrairement à l’article 220, paragraphe 2, dudit code, mais concerne la contestation du bien-fondé d’une dette douanière. En effet, le conseil général de la Vienne
aurait demandé la remise des droits à l’importation au titre de la première hypothèse mentionnée audit article 236, paragraphe 1, deuxième alinéa, selon laquelle une remise de ces droits est accordée lorsque, au moment de leur prise en compte, leur montant n’était pas légalement dû. Il ajoute qu’un opérateur ne peut en même temps contester le montant d’une dette douanière et demander qu’une partie de son montant ne soit pas prise en compte a posteriori en raison d’une prétendue erreur qui aurait été
commise par l’administration.
18 En second lieu, le gouvernement français observe que la demande d’avis transmise à la Commission le 18 septembre 2001 par l’administration portait sur la valeur en douane des matériels importés en 1993 et visait à obtenir confirmation de l’analyse effectuée par cette dernière quant au montant légalement dû en l’espèce. Si, en revanche, l’administration avait eu l’intention de saisir la Commission sur le fondement de l’article 871 du règlement d’application, ce qui aurait entraîné le
dessaisissement de l’État membre concerné, elle ne l’aurait pas fait par une simple note, mais aurait dû transmettre le dossier à cette institution.
19 À cet égard, il y a lieu de rappeler que, dans le cadre d’une procédure visée à l’article 234 CE, fondée sur une nette séparation des fonctions entre les juridictions nationales et la Cour, toute appréciation des faits de la cause relève de la compétence du juge national. Il appartient de même au seul juge national, qui est saisi du litige et doit assumer la responsabilité de la décision juridictionnelle à intervenir, d’apprécier, au regard des particularités de l’affaire, tant la nécessité
d’une décision préjudicielle pour être en mesure de rendre son jugement que la pertinence des questions qu’il pose à la Cour. En conséquence, dès lors que les questions posées portent sur l’interprétation du droit communautaire, la Cour est, en principe, tenue de statuer (voir, notamment, arrêts du 25 février 2003, IKA, C‑326/00, Rec. p. I-1703, point 27, et du 12 avril 2005, Keller, C-145/03, Rec. p. I‑2529, point 33).
20 Toutefois, la Cour a également jugé que, dans des circonstances exceptionnelles, il lui appartient d’examiner les conditions dans lesquelles elle est saisie par le juge national en vue de vérifier sa propre compétence (voir, en ce sens, arrêt du 16 décembre 1981, Foglia, 244/80, Rec. p. 3045, point 21). Le refus de statuer sur une question préjudicielle posée par une juridiction nationale n’est possible que lorsqu’il apparaît de manière manifeste que l’interprétation du droit communautaire
sollicitée n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal, lorsque le problème est de nature hypothétique ou encore lorsque la Cour ne dispose pas des éléments de fait et de droit nécessaires pour répondre de façon utile aux questions qui lui sont posées (voir, notamment, arrêts du 13 mars 2001, PreussenElektra, C‑379/98, Rec. p. I-2099, point 39, et du 22 janvier 2002, Canal Satélite Digital, C-390/99, Rec. p. I-607, point 19).
21 Tel n’est pas le cas du litige au principal.
22 En l’occurrence, il est vrai que l’examen des pièces transmises à la Cour dans cette procédure, parmi lesquelles figure la note du 18 septembre 2001 que l’administration a adressée à la Commission, semble indiquer que le litige au principal porte sur une demande de remise de droits de douane à l’importation au titre de la première hypothèse prévue à l’article 236, paragraphe 1, deuxième alinéa, du code des douanes communautaire, à savoir celle dans laquelle le montant des droits de douane
n’était pas légalement dû, et non pas au titre de la seconde hypothèse prévue à cette disposition, laquelle justifie le recours à l’article 871 du règlement d’application par les autorités douanières nationales.
23 Il importe toutefois de relever que c’est au vu, notamment, de ces mêmes pièces que la cour d’appel de Poitiers a considéré, d’une part, que lesdites autorités avaient éprouvé un doute quant à la portée des conditions permettant au redevable de bénéficier de l'absence de prise en compte a posteriori des droits de douane qui, selon elles, auraient dû être déclarés par celui-ci pendant plusieurs années consécutives, mais qui ne l’ont pas été au motif que ce dernier estimait, sans que sa
mauvaise fois soit invoquée, n’être pas débiteur des droits réclamés, et, d’autre part, que le litige au principal ne pouvait pas être regardé de manière univoque comme une procédure de remise de dette douanière, car il pouvait tout aussi bien s’analyser comme une procédure de recouvrement.
24 En outre, il convient de rappeler qu’il incombe à la Cour de prendre en compte, dans le cadre de la répartition des compétences entre les juridictions communautaires et nationales, le contexte factuel et réglementaire dans lequel s’insèrent les questions préjudicielles, tel que défini par la décision de renvoi (voir, notamment, arrêts du 25 octobre 2001, Ambulanz Glöckner, C-475/99, Rec. p. I-8089, point 10, et du 2 juin 2005, Dörr et Ünal, C-136/03, Rec. p. I-4759, point 46).
25 Dès lors, il apparaît que la question posée est en rapport avec l’objet du litige au principal, tel que défini par la juridiction de renvoi, et que la réponse à la question posée est susceptible d’être utile à cette juridiction pour décider si l’administration aurait ou non dû transmettre le cas à la Commission, au titre de l’article 871 du règlement d’application, afin qu’il soit réglé par cette dernière.
26 Il s’ensuit que la demande de décision préjudicielle est recevable.
Sur le fond
27 Eu égard aux faits du litige au principal et au libellé de la question posée, l’examen de cette dernière doit porter uniquement sur l’interprétation de l’article 871 du règlement d’application et non pas sur le point de savoir si les redevances complémentaires versées à IMAX doivent être incorporées à la valeur en douane du matériel importé.
28 En effet, la juridiction de renvoi n’a pas exprimé d’incertitude à cet égard et s’est limitée à interroger la Cour sur la portée de l’obligation imposée aux autorités douanières nationales par l’article 871 du règlement d’application, lorsqu’elles ont manifesté, à un moment quelconque de la procédure de recouvrement ou de la procédure de remise d’une dette douanière, un doute concernant l’absence de prise en compte a posteriori de droits de douane non perçus dans des circonstances bien
définies.
29 Dès lors, il convient de considérer que, par sa question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 871 du règlement d’application doit être interprété en ce sens qu’il oblige les autorités douanières nationales à transmettre le cas à la Commission pour qu’il soit réglé par cette dernière lorsque, à un moment quelconque de la procédure de recouvrement ou de la procédure de remise d’une dette douanière, lesdites autorités ont manifesté des doutes quant à l'absence de prise
en compte de droits de douane non perçus résultant de l’omission par l’importateur de bonne foi de déclarer des redevances qui auraient dû être incorporées à la valeur en douane des marchandises importées, et annoncé leur intention de saisir la Commission.
30 Avant de répondre à la question ainsi reformulée, il y a lieu d’identifier la version de l’article 871 du règlement d’application qui est applicable ratione temporis aux faits du litige au principal. En effet, dans ses observations, le gouvernement français fait valoir que c’est la version dudit article 871 résultant du règlement (CE) n° 1335/2003 de la Commission, du 25 juillet 2003, modifiant le règlement n° 2454/93 (JO L 187, p. 16), qui doit faire l’objet de l’interprétation de la Cour et
non pas celle visée par la juridiction de renvoi, au motif que cette disposition énonce une règle de procédure et, partant, elle est censée s’appliquer à tous les litiges pendants à la date à laquelle elle est entrée en vigueur.
31 Le gouvernement français soutient, à cet égard, que, en vertu de l’article 2, second alinéa, du règlement nº 1335/2003, les modifications introduites par celui-ci dans le règlement d’application trouvent à s’appliquer à l’ensemble des cas qui n’avaient pas été transmis à la Commission pour décision avant le 1^er août 2003. Les conditions énoncées aux articles 869 et 871 du règlement d’application pour la saisine de la Commission ayant été modifiées et, en particulier, le seuil du montant non
perçu auprès d’un opérateur ayant été porté à 500 000 euros, il s’en suivrait que l’administration ne serait pas en droit de saisir la Commission, car le montant réclamé dans le cadre du litige au principal s’élève à 221 286 euros.
32 Une telle argumentation ne saurait être retenue.
33 S’il est vrai que, selon une jurisprudence bien établie, les règles de procédure sont généralement censées s’appliquer à tous les litiges pendants au moment où elles entrent en vigueur, à la différence des règles de fond qui sont habituellement interprétées comme ne visant pas des situations acquises antérieurement à leur entrée en vigueur [voir, notamment, arrêts du 6 juillet 1993, CT Control (Rotterdam) et JCT Benelux/Commission, C-121/91 et C-122/91, Rec. p. I-3873, point 22; du 7
septembre 1999, De Haan, C-61/98, Rec. p. I-5003, point 13, et du 14 novembre 2002, Ilumitrónica, C‑251/00, Rec. p. I-10433, point 29], il n’en demeure pas moins que, ainsi que l'a relevé M. l’avocat général aux points 33 et 34 de ses conclusions, la nouvelle loi peut trouver une application immédiate seulement par rapport à des situations qui, bien que nées sous l’empire de la loi précédente, continuent à produire leurs effets lorsque la nouvelle loi devient applicable.
34 Or, force est de constater que le 1^er août 2003, lorsque les modifications introduites dans le règlement d’application par le règlement nº 1335/2003 sont entrées en vigueur, la situation juridique pertinente en l’espèce ne produisait plus d’effet. À cet égard, il ressort des documents versés au dossier que, le 16 juillet 2001, le directeur général des douanes et droits indirects a informé le conseil général de la Vienne de sa décision de saisir la Commission, que ce dernier a été assigné
devant le tribunal d’instance de Poitiers au cours du mois de juillet 2001 et que l’administration a transmis une demande d’avis à la Commission le 18 septembre 2001.
35 Par conséquent, afin de donner à la juridiction de renvoi une réponse lui permettant de décider si, du fait d’avoir manifesté, à un moment quelconque d’une procédure de recouvrement ou d’une procédure de remise, un doute concernant l’absence de prise en compte a posteriori de droits de douane non perçus, l’administration aurait dû transmettre le cas à la Commission pour qu’il soit réglé par cette dernière en vertu de l’article 871 du règlement d’application, la Cour doit interpréter les
dispositions du règlement d’application dans la version de celui-ci résultant du règlement nº 1677/98 qui a notamment fixé, pour la saisine de la Commission, le seuil des droits non perçus à 50 000 euros.
36 L’article 220, paragraphe 2, sous b), du code des douanes communautaire énonce les conditions qui doivent être remplies pour que les autorités douanières nationales puissent ne pas prendre en compte a posteriori le montant d’une dette douanière. S’agissant de la procédure de remise de droits, l’article 236 dudit code renvoie à ces mêmes conditions dans la mesure où il prévoit, comme l’une des hypothèses permettant aux autorités douanières de décider de ne pas percevoir une dette douanière, la
circonstance que le montant de celle-ci a été pris en compte contrairement audit article 220, paragraphe 2.
37 Lesdites conditions sont au nombre de trois, à savoir une erreur des autorités douanières elles-mêmes, qui ne pouvait raisonnablement être décelée par le redevable; la bonne foi de ce dernier et le respect, par ce redevable, de toutes les dispositions prévues par la réglementation en vigueur en ce qui concerne la déclaration en douane.
38 Ces trois conditions figuraient déjà, en tant que telles, à l’article 5, paragraphe 2, du règlement (CEE) n° 1697/79 du Conseil, du 24 juillet 1979, concernant le recouvrement a posteriori des droits à l’importation ou des droits à l’exportation qui n’ont pas été exigés du redevable pour des marchandises déclarées pour un régime douanier comportant l’obligation de payer de tels droits (JO L 197, p. 1), règlement qui a été abrogé par le code des douanes communautaire. Selon une jurisprudence
constante de la Cour, ces trois conditions doivent être remplies de façon cumulative (voir, notamment, arrêts du 14 mai 1996, Faroe Seafood e.a., C-153/94 et C‑204/94, Rec. p. I‑2465, point 83; du 26 novembre 1998, Covita, C-370/96, Rec. p. I‑7711, point 24; du 19 octobre 2000, Sommer, C‑15/99, Rec. p. I‑8989, point 35, et Ilumitrónica, précité, point 37).
39 Il découle du libellé de l’article 871 du règlement d’application, lu en combinaison avec l’article 869 dudit règlement, que, dans le cadre d’une procédure de recouvrement de droits non perçus dont le montant atteint le seuil de 50 000 euros, si les autorités douanières nationales sont convaincues que lesdites conditions ne sont pas remplies, elles doivent procéder directement au recouvrement.
40 Il ressort également desdites dispositions que, lorsque ledit seuil de 50 000 euros est atteint, les autorités douanières ne peuvent pas opérer seules, mais elles ont l’obligation de saisir la Commission et d’agir de concert avec elle dans deux hypothèses, à savoir si elles estiment que, dans les circonstances de l’espèce, lesdites conditions sont remplies ou si elles éprouvent des doutes quant à la portée des critères énoncés à l’article 220, paragraphe 2, sous b), du code des douanes
communautaire au regard du cas concerné. Il en va de même s’agissant d’une procédure de remise de droits de douane entamée par l’intéressé au titre de l’article 236 dudit code en liaison avec l’article 220, paragraphe 2, sous b), de celui-ci.
41 En cas de saisine de la Commission, la procédure mise en œuvre par le règlement d’application se termine par une décision établissant si la situation examinée permet de ne pas prendre en compte a posteriori les droits en cause ou d’accorder la remise de ceux-ci. Dans le cadre de cette procédure, le droit d’être entendu des personnes qui sont concernées est effectivement garanti et, en vertu de l’article 873 du règlement d’application, la Commission statue après consultation d’un groupe
d’experts composé de représentants de tous les États membres.
42 Ainsi que l’a précisé la Cour à propos de l’article 5 du règlement n° 1697/79, l’attribution d’un pouvoir de décision à la Commission en matière de recouvrement a posteriori des droits de douane a pour but de garantir l’application uniforme du droit communautaire. Celle-ci risque d’être mise en cause dans les cas où il est donné suite à une demande de renonciation au recouvrement a posteriori, car l’appréciation sur laquelle peut se fonder un État membre pour prendre une décision favorable
risque, dans les faits, en raison de l’absence probable de tout recours contentieux, d’échapper à un contrôle qui permette d’assurer une application uniforme des conditions posées par la législation communautaire. Par contre, cela n’est pas le cas quand les autorités nationales procèdent au recouvrement, quel que soit le montant en cause. Il est alors loisible à l’intéressé de contester une telle décision devant les juridictions nationales. Par conséquent, l’uniformité du droit communautaire pourra
être assurée par la Cour de justice dans le cadre de la procédure préjudicielle (arrêts du 26 juin 1990, Deutsche Fernsprecher, C-64/89, Rec. p. I-2535, point 13; du 27 juin 1991, Mecanarte, C-348/89, Rec. p. I-3277, point 33, et Faroe Seafood, e.a, précité, point 34).
43 Il s’ensuit que, s’agissant de la seconde hypothèse, à savoir le cas où les autorités douanières éprouvent des doutes, ces dernières ne sont tenues de transmettre le cas à la Commission que lorsque les doutes concernent la portée des critères énoncés à l’article 220, paragraphe 2, sous b), du code des douanes communautaire au regard du cas concerné, et uniquement en raison de l’existence de tels doutes. En revanche, si par la suite de tels doutes venaient à se dissiper, même après avoir
manifesté leur intention de saisir la Commission, les autorités douanières nationales ne seraient plus obligées de transmettre le cas à cette dernière et devraient, en agissant seules, procéder au recouvrement ou refuser la remise.
44 En tout état de cause, lorsque les doutes des autorités douanières nationales portent sur une question autre que celle de la portée des critères énoncés à l’article 220, paragraphe 2, sous b), dudit code au regard du cas concerné, telle que la possibilité de ne pas prendre en compte a posteriori des droits de douane non perçus résultant d’une omission de déclaration par un importateur de redevances qui auraient dû être incorporées à la valeur en douane des marchandises importées, alors même
que cet importateur serait de bonne foi, l’article 871 du règlement d’application ne s’applique pas et, partant, lesdites autorités ne sont pas tenues de transmettre le cas à la Commission pour qu’il soit réglé par cette dernière.
45 En effet, la bonne foi du redevable n’étant que l’une des conditions qui doivent nécessairement être réunies pour que l'absence de prise en compte a posteriori de droits de douane puisse être envisagée, elle n’est pas susceptible, à elle seule, d’obliger les autorités douanières nationales à saisir la Commission au titre de l’article 871 du règlement d’application.
46 En conséquence, il y a lieu de répondre à la question posée que l’article 871 du règlement d’application doit être interprété en ce sens que, dans le cadre d’une procédure de recouvrement ou de remise de droits de douane non perçus, les autorités douanières nationales ne sont pas tenues de transmettre le cas à la Commission pour qu’il soit réglé par cette dernière lorsque les doutes qu’elles avaient éprouvés quant à la portée des critères énoncés à l’article 220, paragraphe 2, sous b), du
code des douanes communautaire au regard du cas concerné se sont dissipés, même après que lesdites autorités ont manifesté leur intention de saisir la Commission, ou lorsque les doutes éprouvés portent sur la prise en compte a posteriori de droits de douane non perçus résultant de l’omission par l’importateur de bonne foi de déclarer des redevances qui auraient dû être incorporées à la valeur en douane des marchandises importées.
Sur les dépens
47 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (troisième chambre) dit pour droit:
L’article 871 du règlement (CEE) nº 2454/93 de la Commission, du 2 juillet 1993, fixant certaines dispositions d’application du règlement (CEE) nº 2913/92 du Conseil établissant le code des douanes communautaire, tel que modifié par le règlement (CE) nº 1677/98 de la Commission, du 29 juillet 1998, doit être interprété en ce sens que, dans le cadre d’une procédure de recouvrement ou de remise de droits de douane non perçus, les autorités douanières nationales ne sont pas tenues de transmettre le cas
à la Commission pour qu’il soit réglé par cette dernière lorsque les doutes qu’elles avaient éprouvés quant à la portée des critères énoncés à l’article 220, paragraphe 2, sous b), du règlement (CEE) nº 2913/92 du Conseil, du 12 octobre 1992, établissant le code des douanes communautaire, au regard du cas concerné se sont dissipés, même après que lesdites autorités ont manifesté leur intention de saisir la Commission, ou lorsque les doutes éprouvés portent sur la prise en compte a posteriori de
droits de douane non perçus résultant de l’omission par l’importateur de bonne foi de déclarer des redevances qui auraient dû être incorporées à la valeur en douane des marchandises importées.
Signatures