La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

16/05/2006 | CJUE | N°T-73/05

CJUE | CJUE, Arrêt du Tribunal de première instance, Alejandro Martin Magone contre Commission des Communautés européennes., 16/05/2006, T-73/05


ARRÊT DU TRIBUNAL (cinquième chambre)
16 mai 2006

Affaire T-73/05

Alejandro Martin Magone

contre

Commission des Communautés européennes

« Fonctionnaires – Rapport d’évolution de carrière – Recours en annulation – Recours en indemnité – Erreur manifeste d’appréciation – Obligation de motivation – Détournement de pouvoir – Harcèlement moral »

Texte complet en langue française ……II-A-2 - 0000

Objet : Recours ayant pour objet, d’une part, une demande d’annulation du rapport d’évolu

tion de carrière du requérant pour l’exercice d’évaluation 2003 et, d’autre part, une demande d’indemnisation du préjudice matériel et...

ARRÊT DU TRIBUNAL (cinquième chambre)
16 mai 2006

Affaire T-73/05

Alejandro Martin Magone

contre

Commission des Communautés européennes

« Fonctionnaires – Rapport d’évolution de carrière – Recours en annulation – Recours en indemnité – Erreur manifeste d’appréciation – Obligation de motivation – Détournement de pouvoir – Harcèlement moral »

Texte complet en langue française ……II-A-2 - 0000

Objet : Recours ayant pour objet, d’une part, une demande d’annulation du rapport d’évolution de carrière du requérant pour l’exercice d’évaluation 2003 et, d’autre part, une demande d’indemnisation du préjudice matériel et moral évalué ex aequo et bono à 39 169,67 euros.

Décision : Le recours est rejeté. Chacune des parties supportera ses propres dépens.

Sommaire

1. Fonctionnaires – Notation – Rapport d’évolution de carrière

(Statut des fonctionnaires, art. 43)

2. Fonctionnaires – Harcèlement moral – Notion

3. Fonctionnaires – Notation – Rapport d’évolution de carrière

(Statut des fonctionnaires, art. 43)

4. Fonctionnaires – Notation – Rapport d’évolution de carrière

1. Les notateurs jouissent d’un large pouvoir d’appréciation dans les jugements portés sur le travail des personnes qu’ils ont la charge de noter, le rapport de notation ou d’évolution de carrière exprimant leur opinion personnelle librement formulée. Il n’appartient pas au Tribunal d’intervenir dans cette appréciation sauf en cas d’erreur ou d’excès manifeste.

(voir points 25 et 28)

Référence à : Cour 1^er juin 1983, Seton/Commission, 36/81, 37/81 et 218/81, Rec. p. 1789, point 23 ; Tribunal 10 décembre 1992, Williams/Cour des comptes, T‑33/91, Rec. p. II‑2499, point 43 ; Tribunal 6 novembre 1997, Liao/Conseil, T‑15/96, RecFP p. I‑A‑329 et II‑897, point 56 ; Tribunal 4 mai 2005, Schmit/Commission, T‑144/03, non encore publié au Recueil, point 70

2. Le fonctionnaire qui se prétend victime de harcèlement moral doit, indépendamment de la perception subjective qu’il a pu avoir des faits qu’il allègue, avancer un ensemble d’éléments permettant d’établir qu’il a subi un comportement qui a visé, objectivement, à le discréditer ou à dégrader délibérément ses conditions de travail.

Ne saurait être en lui‑même considéré comme un indice d’un tel comportement le fait que le rapport d’évolution de carrière du fonctionnaire contient des notes et des appréciations défavorables, lorsque celles‑ci apparaissent comme pleinement adéquates au vu des éléments de preuve identifiables sur lesquelles elles se fondent.

(voir points 29, 79 et 80)

Référence à : Tribunal 23 février 2001, De Nicola/BEI, T‑7/98, T‑208/98 et T‑109/99, RecFP p. I‑A‑49 et II‑185, point 286 ; Tribunal 8 juillet 2004, Schochaert/Conseil, T‑136/03, RecFP p. I‑A‑215 et II‑957, point 41 ; Schmit/Commission, précité, point 64

3. L’administration a l’obligation de motiver le rapport d’évolution de carrière de façon suffisante et circonstanciée et de mettre l’intéressé en mesure de formuler des observations sur cette motivation, le respect de ces exigences étant d’autant plus important lorsque la notation connaît une régression par rapport à la notation antérieure. Sont suffisamment précises et argumentées pour satisfaire à l’obligation de motivation des appréciations indiquant que cette régression découle directement
de la dégradation du comportement du fonctionnaire ayant eu lieu pendant la période de référence, laquelle s’est manifestée par la création, imputable à l’intéressé, de situations de conflit et des attitudes vis‑à‑vis d’autres fonctionnaires relevant de l’injure, de la diffamation et du dénigrement.

(voir points 48, 52 et 53)

Référence à : Cour 6 février 1986, Castille/Commission, 173/82, 157/83 et 186/84, Rec. p. 497, points 27 et 28 ; Tribunal 16 juillet 1992, Della Pietra/Commission, T‑1/91, Rec. p. II‑2145, points 30 et 32 ; Tribunal 9 mars 1999, Hubert/Commission, T‑212/97, RecFP p. I‑A‑41 et II‑185, point 79 ; Tribunal 12 juin 2002, Mellone/Commission, T‑187/01, RecFP p. I‑A‑81 et II‑389, point 27 ; Tribunal 7 mai 2003, den Hamer/Commission, T‑278/01, RecFP p. I‑A‑139 et II‑665, point 71

4. Dès lors que le rapport d’évolution de carrière comporte une motivation suffisante, il ne saurait être exigé de l’évaluateur d’appel qu’il fournisse des explications complémentaires sur les raisons qui le conduisent à ne pas suivre les recommandations du comité paritaire d’évaluation que si l’avis de cet organe consultatif fait état de circonstances spéciales propres à jeter le doute sur la validité ou le bien‑fondé de l’appréciation initiale et appelle de ce fait une appréciation spécifique
de l’évaluateur d’appel quant aux conséquences éventuelles à tirer de ces circonstances.

(voir point 54)

Référence à : Mellone/Commission, précité, point 33

ARRÊT DU TRIBUNAL (cinquième chambre)

16 mai 2006 (*)

« Fonctionnaires – Rapport d’évolution de carrière – Recours en annulation – Recours en indemnité – Erreur manifeste d’appréciation – Obligation de motivation – Détournement de pouvoir – Harcèlement moral »

Dans l’affaire T‑73/05,

Alejandro Martin Magone, fonctionnaire de la Commission des Communautés européennes, demeurant à Bruxelles (Belgique), représenté par M^e É. Boigelot, avocat,

partie requérante,

contre

Commission des Communautés européennes, représentée par M^mes L. Lozano Palacios et K. Herrmann, en qualité d’agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie défenderesse,

ayant pour objet, d’une part, une demande d’annulation du rapport d’évolution de carrière du requérant pour l’exercice d’évaluation 2003 et, d’autre part, une demande d’indemnisation du préjudice matériel et moral évalué ex aequo et bono à 39 169,67 euros,

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE
DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (cinquième chambre),

composé de M. M. Vilaras, président, M^mes M. E. Martins Ribeiro et K. Jürimäe, juges,

greffier : M^me K. Pochéc, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 17 novembre 2005,

rend le présent

Arrêt

Cadre juridique

1 L’article 43 du statut des fonctionnaires des Communautés européennes (ci-après le « statut ») prévoit :

« La compétence, le rendement et la conduite dans le service de chaque fonctionnaire font l’objet d’un rapport périodique établi au moins tous les deux ans, dans les conditions fixées par chaque institution conformément à l’article 110.

[…]

Ce rapport est communiqué au fonctionnaire. Celui-ci a la faculté d’y joindre toutes observations qu’il juge utiles. »

2 L’article 1^er, paragraphe 1, des dispositions générales d’exécution de l’article 43 du statut, adoptées par la Commission le 3 mars 2004 (ci-après les « DGE »), dispose :

« Conformément à l’article 43 du statut […], un rapport annuel, appelé rapport d’évolution de carrière, est établi pour chaque fonctionnaire […] »

3 L’article 1^er, paragraphe 2, des DGE prévoit notamment :

« L’exercice d’évaluation a notamment pour objet d’évaluer le rendement, les compétences et la conduite dans le service du titulaire de poste. »

4 Selon l’article 2, paragraphes 2 à 4, des DGE :

« 2. L’évaluateur est chargé de réaliser l’évaluation. Après le dialogue […], il rédige un projet de rapport […]

3. Le validateur est chargé de veiller pour l’ensemble des rapports d’évolution de carrière qui relèvent de sa compétence à l’application cohérente des normes d’évaluation […] Avant de contresigner les rapports d’évolution de carrière relevant de sa compétence, il procède à la comparaison des mérites et l’harmonisation des notes de mérite proposées par les évaluateurs. En cas de désaccord avec l’évaluateur, la responsabilité finale du rapport revient au validateur.

4. L’évaluateur d’appel décide du suivi à donner à l’avis émis par le comité paritaire d’évaluation visé à l’article 9. »

5 L’article 9, paragraphe 7, des DGE dispose notamment :

« Lorsque l’évaluateur d’appel s’écarte des recommandations figurant dans un avis du [comité paritaire d’évaluation], il motive sa décision. »

Faits à l’origine du litige

6 Pendant la période allant du 1^er janvier 2003 au 31 décembre 2003 (ci-après la « période de référence »), le requérant était affecté à la direction générale (DG) « Aide humanitaire » de la Commission.

7 Le 12 février 2004, le requérant a eu un entretien avec son évaluateur, M. G., concernant le rapport d’évolution de carrière (ci-après le « REC ») pour l’exercice d’évaluation 2003. Le 19 avril 2004, l’évaluateur a signé le REC. Le 20 avril 2004, le validateur, M^me A., a contresigné le REC. Le 23 avril 2004, le requérant a demandé la révision de son évaluation. Le 6 mai 2004, le validateur a eu un entretien avec le requérant en présence de son évaluateur. Le 18 mai 2004, le validateur a
confirmé le REC. Le 2 juin 2004, le requérant a saisi le comité paritaire d’évaluation (ci-après le « CPE »). Le 22 juin 2004, le CPE a rendu son avis. Le 24 juin 2004, le REC a été rendu définitif par le secrétaire général de la Commission, en tant qu’évaluateur d’appel. Ce REC a abouti à une note totale de 10 sur 20, à savoir 5,5 points sur 10 pour la rubrique « Rendement », 4 points sur 6 pour la rubrique « Aptitudes » et 0,5 points sur 4 pour la rubrique « Conduite dans le service ».

8 Le 26 juillet 2004, le requérant a introduit une réclamation au titre de l’article 90, paragraphe 2, du statut, enregistrée le même jour, par laquelle il demandait l’annulation du REC litigieux, l’établissement d’un nouveau REC, la reconnaissance de sa qualité de victime de harcèlement moral et professionnel, ainsi qu’un dédommagement du préjudice matériel et moral subi. Par décision du 26 octobre 2004, dont le requérant a accusé réception le 12 novembre 2004, l’autorité investie du pouvoir
de nomination (ci-après l’« AIPN ») a rejeté cette réclamation.

Procédure et conclusions des parties

9 Par requête déposée au greffe du Tribunal le 14 février 2005, le requérant a introduit le présent recours.

10 Le 6 juin 2005, le Tribunal a décidé, en vertu de l’article 47, paragraphe 1, de son règlement de procédure, qu’un deuxième échange de mémoires n’était pas nécessaire, le contenu du dossier étant suffisamment complet pour permettre aux parties de développer leurs moyens et arguments au cours de la procédure orale. Aucune demande en sens contraire n’a été présentée par le requérant.

11 Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions orales du Tribunal lors de l’audience publique du 17 novembre 2005.

12 Le requérant conclut à ce qui plaise au Tribunal :

– annuler le REC le concernant pour l’exercice d’évaluation 2003 ainsi que les procédures d’appel et les autres décisions s’y rapportant ;

– annuler la décision de l’AIPN du 26 octobre 2004 portant rejet de sa réclamation ;

– dire pour droit qu’il est victime de harcèlement moral et professionnel ;

– lui octroyer une indemnité en réparation du préjudice matériel et moral évalué ex aequo et bono à 39 169,67 euros, sous réserve d’augmentation en cours de procédure ;

– condamner la partie défenderesse aux dépens.

13 La Commission conclut à ce qui plaise au Tribunal :

– rejeter le recours ;

– statuer sur les dépens comme de droit.

En droit

Sur la recevabilité du chef de conclusions tendant à dire pour droit que le requérant est victime de harcèlement moral

14 Par son troisième chef de conclusions, le requérant demande au Tribunal de dire pour droit qu’il est victime de harcèlement moral et professionnel.

15 Il y a lieu de rappeler à cet égard que, selon la jurisprudence constante, des conclusions qui visent en réalité à faire reconnaître par le Tribunal le bien-fondé de certains des moyens invoqués à l’appui des conclusions en annulation sont irrecevables pour la raison qu’il n’appartient pas au Tribunal, dans le cadre de son contrôle de légalité fondé sur l’article 91 du statut, de faire des déclarations en droit (arrêt de la Cour du 13 juillet 1989, Jaenicke Cendoya/Commission, 108/88, Rec.
p. 2711, points 8 et 9 ; arrêts du Tribunal du 3 mars 1993, Peroulakis/Commission, T‑69/91, Rec. p. II‑185, point 14, et du 30 novembre 1993, Vienne/Parlement, T‑15/93, Rec. p. II‑1327, point 13).

16 Dès lors, la demande du requérant tendant à ce que le Tribunal dise pour droit qu’il est victime de harcèlement moral et professionnel est irrecevable.

Sur les conclusions en annulation

17 Les critiques du requérant à l’encontre du REC le concernant portent essentiellement sur la rubrique 6.3 « Conduite dans le service » dudit REC, pour laquelle l’AIPN lui a octroyé une note de 0,5 points sur 4 (correspondant au niveau « insuffisant »). Les arguments invoqués par le requérant à l’appui de ses conclusions en annulation peuvent être regroupés, en substance, en cinq moyens. Le premier moyen est tiré d’une erreur manifeste d’appréciation. Le deuxième moyen est pris d’un vice de
procédure lors de l’établissement du REC du requérant pour l’exercice d’évaluation 2003. Le troisième moyen est pris de la violation de l’obligation de motivation énoncée à l’article 25, deuxième alinéa, du statut. Le quatrième moyen vise le détournement de pouvoir. Le cinquième moyen est tiré de la violation du devoir de sollicitude et du principe de bonne administration.

Sur le premier moyen, tiré d’une erreur manifeste d’appréciation

– Arguments des parties

18 Le requérant soutient que le REC le concernant pour l’exercice d’évaluation 2003 est entaché d’une erreur manifeste d’appréciation du fait que l’AIPN, lors de son établissement, se serait fondée sur deux événements ayant eu lieu en dehors de la période de référence.

19 Selon le requérant, le premier incident a eu lieu le 10 juillet 2002 dans les locaux de la DG « Aide humanitaire ». M^me S., son chef d’unité à l’époque, aurait entamé avec lui un dialogue tendu, ce que le requérant a dénoncé par une note datée du 11 juillet 2002, adressée à M^me S. avec une copie à M^me A., directeur de la DG « Aide humanitaire ». M^me S., qui se serait sentie affectée par certains propos, contenus dans cette note, aurait toutefois considéré cet incident comme insignifiant,
de sorte que le REC pour l’exercice d’évaluation 2001/2002, établi par M^me S., en tant qu’évaluateur, ne le mentionne aucunement.

20 Selon le requérant, le second incident s’est déroulé le 13 janvier 2004 lors d’une réunion avec M. G., son chef d’unité à l’époque. Une phrase désagréable, prononcée par M. G. aurait valu le départ hâtif du requérant, qui aurait alors été suivi dans le couloir par M. G., dans un état de colère, voulant l’empêcher de partir.

21 Ces événements auraient été à l’origine des commentaires négatifs de l’évaluateur dans la rubrique 6.3 du REC et auraient conduit l’AIPN à octroyer au requérant une note de 0,5 points sur 4 pour la rubrique susvisée.

22 Par ailleurs, le requérant soutient que les commentaires visés au point précédent sont subjectifs, faux et non étayés par des preuves.

23 La Commission fait observer, à titre liminaire, qu’il est de jurisprudence constante qu’il n’appartient pas au Tribunal de contrôler le bien-fondé de l’appréciation portée par l’administration, dans le cadre d’un rapport de notation (ou d’un REC), sur les aptitudes professionnelles d’un fonctionnaire, cette appréciation comportant des jugements complexes de valeur qui, par leur nature même, ne sont pas susceptibles d’une vérification objective. En effet, le rapport de notation (ou le REC)
exprime l’opinion librement formulée des notateurs.

24 Selon la Commission, les commentaires de l’évaluateur ne mentionnent aucun événement ayant eu lieu en dehors de la période de référence et se réfèrent uniquement au comportement « inapproprié » du requérant pendant l’année 2003. La défenderesse fait remarquer que le requérant avoue lui-même, dans son auto-évaluation, les tensions ayant existé dans ses relations avec ses supérieurs pendant la période de référence. En outre, la Commission fait observer que la demande introduite par le requérant
le 9 avril 2003 aux fins de la révision du REC le concernant pour la période 2001/2002 ainsi que sa note du 15 décembre 2003 à l’intention du directeur de la DG « Aide humanitaire » contiennent certains propos insultants et diffamatoires que le requérant a tenus à l’égard de ses supérieurs.

Appréciation du Tribunal

25 Selon une jurisprudence constante, les notateurs jouissent d’un large pouvoir d’appréciation dans les jugements portés sur le travail des personnes qu’ils ont la charge de noter et il n’appartient pas au Tribunal d’intervenir dans cette appréciation sauf en cas d’erreur ou d’excès manifeste (arrêt de la Cour du 1^er juin 1983, Seton/Commission, 36/81, 37/81 et 218/81, Rec. p. 1789, point 23 ; arrêt du Tribunal du 4 mai 2005, Schmit/Commission, T‑144/03, non encore publié au Recueil, point
70 ; voir également, en ce sens, arrêt du Tribunal du 10 décembre 1992, Williams/Cour des comptes, T‑33/91, Rec. p. II‑2499, point 43)

26 Force est, tout d’abord, de constater qu’aucun des commentaires figurant sous la rubrique 6.3 du REC litigieux ne se réfère directement à des événements ayant eu lieu en dehors de la période de référence. En outre, aucun de ces commentaires ne peut être interprété comme se référant à de tels événements. En revanche, dans lesdits commentaires, il est fait une référence explicite à des « incidents répétitifs qui se sont produits durant l’année 2003 » dont l’évaluateur aurait tenu compte lors de
l’attribution de la note. En l’absence d’éléments de nature à démontrer que l’AIPN a effectivement pris en considération des événements, ayant eu lieu en dehors de la période de référence, cette seule allégation du requérant ne saurait donc permettre d’établir que l’AIPN a commis une erreur manifeste d’appréciation à cet égard.

27 Ensuite, pour ce qui est du grief tiré du caractère erroné et non étayé des commentaires du REC, le Tribunal constate qu’il ressort des pièces versées au dossier que le requérant a effectivement eu des rapports tendus avec sa hiérarchie et que son comportement vis-à-vis d’autres fonctionnaires du service n’a pas toujours été exempt de tout reproche. En particulier, il ressort indéniablement de plusieurs écrits du requérant lui-même qu’il a tenu des propos « inappropriés » en 2003, à l’égard
de M^me S. et de M. B. En outre, lesdits écrits datent respectivement du 9 avril et du 15 décembre 2003, ce qui permet de déduire qu’il ne s’agissait pas d’incidents isolés, mais que le comportement « inapproprié » du requérant s’inscrivait dans la durée. On ne saurait reprocher à l’administration d’avoir fait état de tels incidents, relatifs à la dégradation de la conduite du requérant pendant l’année 2003, dans la rubrique du REC expressément prévue à cet effet.

28 Il y a lieu par ailleurs de relever, comme l’a fait à juste titre la Commission, que selon la jurisprudence le rapport de notation (ou le REC) exprime l’opinion librement formulée des notateurs (arrêt du Tribunal du 6 novembre 1997, Liao/Conseil, T‑15/96, RecFP p. I‑A‑329 et II‑897, point 56). Il s’ensuit que le requérant ne saurait reprocher aux commentaires leur subjectivité, qui est inhérente à toute opinion personnelle.

29 Il ressort de ce qui précède que les commentaires litigieux, qui correspondent à des jugements complexes de valeur non objectivement vérifiables, se fondent en l’espèce sur des éléments de preuve identifiables, au vu desquels la note « insuffisant » pour la rubrique « Conduite dans le service » du REC ainsi que les commentaires s’y rapportant apparaissent comme pleinement adéquats. La Commission n’a dès lors pas commis d’erreur manifeste d’appréciation dans l’établissement du REC du
requérant.

30 Le premier moyen tiré d’une erreur manifeste d’appréciation doit, par conséquent, être rejeté comme non fondé.

Sur le deuxième moyen, tiré d’un vice de procédure

– Arguments des parties

31 Le requérant soutient que le REC le concernant pour l’exercice d’évaluation 2003 est également entaché d’un vice de procédure. Au soutien de ce grief, le requérant invoque les mêmes arguments que ceux exposés au titre du premier moyen.

32 La Commission soutient, à titre principal, que le requérant n’a pas apporté le moindre indice de l’existence d’un vice de procédure lors de l’établissement du REC le concernant et conclut à l’irrecevabilité de ce moyen. La Commission rappelle que, en vertu de l’article 21, premier alinéa, du statut de la Cour de justice, applicable à la procédure devant le Tribunal conformément à l’article 53, premier alinéa, du même statut, et de l’article 44, paragraphe 1, sous c) et d), du règlement de
procédure, la requête doit, notamment, indiquer l’objet du litige et contenir les conclusions et un exposé sommaire des moyens invoqués. Ces éléments devraient être suffisamment clairs et précis pour permettre à la partie défenderesse de préparer sa défense et au Tribunal de statuer sur le recours, le cas échéant sans avoir à solliciter d’autres informations. Afin de garantir la sécurité juridique et une bonne administration de la justice, il faudrait, pour qu’un recours soit recevable, que les
éléments essentiels de fait et de droit, sur lesquels celui-ci se fonde, ressortent, à tout le moins sommairement, mais d’une façon cohérente et compréhensible, du texte de la requête elle-même. Dès lors, la seule énonciation abstraite d’un moyen ne répondrait pas à ces exigences.

33 À titre subsidiaire, la Commission soutient qu’elle n’a pas commis de vice de procédure lors de l’établissement du REC litigieux, comme cela ressortirait d’ailleurs également de l’avis du CPE du 22 juin 2004.

– Appréciation du Tribunal

34 En l’espèce, force est de constater que le requérant n’a pas apporté le moindre indice de l’existence d’un vice de procédure lors de l’établissement du REC litigieux. En effet, le requérant met en avant les mêmes arguments que ceux exposés dans le cadre du premier moyen, sans toutefois apporter à leur soutien des éléments supplémentaires ou spécifiques, relatifs à un vice de procédure.

35 Dès lors que le Tribunal n’est pas en mesure d’examiner ce grief du requérant, il y a lieu de l’écarter comme irrecevable, en vertu de l’article 21, premier alinéa, du statut de la Cour, et de l’article 44, paragraphe 1, sous c), du règlement de procédure, qui exigent que la requête doit contenir un exposé sommaire des moyens invoqués. Elle doit, de ce fait, expliciter en quoi consiste le moyen sur lequel le recours est fondé, de sorte que sa seule énonciation abstraite ne répond pas aux
exigences du statut de la Cour et du règlement de procédure du Tribunal (arrêts du Tribunal du 16 mars 1993, Blackman/Parlement, T‑33/89 et T‑74/89, Rec. p. II‑249, point 64 ; du 12 janvier 1995, Viho/Commission, T‑102/92, Rec. p. II‑17, point 68, et du 11 mars 1999, Herold/Commission, T‑257/97, RecFP p. I‑A‑49 et II‑251, point 68).

36 Le deuxième moyen tiré d’un vice procédure doit, par conséquent, être rejeté comme irrecevable.

Sur le troisième moyen, tiré d’une violation de l’obligation de motivation

– Arguments des parties

37 Le requérant soutient, en premier lieu, que la Commission a violé l’obligation de motivation, découlant de l’article 25, deuxième alinéa, du statut, en ce que l’évaluateur et le validateur n’auraient pas suffisamment motivé le REC le concernant pour l’exercice d’évaluation 2003, au vu notamment du fait que celui-ci présentait une régression par rapport au REC précédent. En effet, le REC précédent avait abouti à une note totale de 12 sur 20, dont 3 points pour la rubrique « Conduite dans le
service », ce qui correspondait au niveau « bien ».

38 Il s’appuie à cet égard sur une jurisprudence constante qui oblige l’administration à motiver les rapports de notation de façon suffisante et circonstanciée et à mettre les intéressés en mesure de formuler des observations sur cette motivation, le respect de ces exigences étant d’autant plus important lorsque la notation connaît une régression par rapport à la notation antérieure. À cet effet, il importerait, selon la jurisprudence, que les appréciations moins favorables que celles qui
avaient été portées dans le rapport de notation précédent soient justifiées par les notateurs et qu’existe une cohérence entre ces appréciations et les commentaires destinés à les justifier.

39 Le requérant soutient, en deuxième lieu, que la Commission a violé son obligation de motivation en ce que l’évaluateur d’appel n’aurait pas suffisamment motivé sa décision de confirmer la note initiale de la rubrique 6.3 du REC, eu égard notamment aux recommandations du CPE l’invitant à « examiner les faits établis soigneusement et [à] décider s’ils justifiaient le niveau ‘insuffisant’ et [...] l’utilisation de l’expression ‘propos racistes et sexistes’ ».

40 Il s’appuie à cet égard sur la jurisprudence selon laquelle le CPE a pour mission de vérifier, en toute indépendance, les appréciations portées par le premier évaluateur. Par conséquent, il serait certes loisible à l’évaluateur d’appel, s’il l’estimait indiqué, de confirmer l’appréciation du premier évaluateur. Toutefois, selon le requérant, il résulte de la jurisprudence qu’il est exigé de l’évaluateur d’appel qu’il justifie les raisons pour lesquelles il ne suit pas les recommandations du
CPE si l’avis de cet organe consultatif fait état de circonstances spéciales propres à jeter le doute sur la validité ou le bien-fondé de l’appréciation initiale et appelle de ce fait une appréciation spécifique de l’évaluateur d’appel, ce qui aurait été le cas en l’espèce.

41 Le requérant soutient, en troisième lieu, que la Commission a violé son obligation de motivation en ce que l’évaluateur et le validateur n’auraient pas suffisamment motivé la note pour la rubrique 6.3 du REC. Selon le requérant, puisque pendant la période couverte par le REC litigieux, ses supérieurs hiérarchiques n’ont pas manifesté leur mécontentement à l’égard de son comportement et, puisqu’il estime n’avoir injurié, diffamé ou dénigré aucun collègue, les appréciations négatives sous la
rubrique susvisée ne sont pas suffisamment étayées par des exemples et des preuves et sont, dès lors, arbitraires.

42 La Commission reconnaît l’obligation de motiver de façon suffisante et circonstanciée les REC. Elle soutient que le REC litigieux comporte une motivation suffisante, notamment dans ses rubriques 6 et 8.2, intitulées respectivement « Évaluation de la période » et « Révision du validateur et visa ». Sous ces rubriques seraient en effet explicitées les considérations relatives au rendement, à la compétence et à la conduite dans le service du requérant. La grille d’analyse figurant au point 6 du
REC litigieux compléterait ces appréciations.

43 Une telle motivation doit, selon la Commission, être considérée comme suffisante à la lumière des considérations du Tribunal, exprimées dans son arrêt du 7 mai 2003, den Hamer/Commission (T‑278/01, RecFP p. I‑A‑139 et II‑665, point 71), et applicables à la présente affaire, selon lesquelles :

« Contrairement à la thèse défendue par le requérant, il n’est pas nécessaire que le rapport contienne des explications plus détaillées afin de permettre au noté l’ouverture d’un véritable dialogue écrit sur la valeur des différents travaux qu’il a accomplis durant la période de référence. Un tel débat dépasserait manifestement le cadre de la procédure de notation. D’ailleurs, le rapport a permis au requérant de défendre ses intérêts devant le Tribunal. »

44 Concernant l’argument du requérant tiré de la régression révélée par le REC litigieux, la Commission soutient que la note obtenue par le requérant dans la rubrique 6.3, certes plus faible que celle figurant dans le REC précédent, est le résultat de l’appréciation de l’évaluateur, confirmée par le validateur et par l’évaluateur d’appel, qui est elle-même la conséquence de la dégradation dans le comportement du requérant pendant la période de référence. La Commission estime également qu’une
différence de deux points ne peut être considérée comme étant constitutive d’une régression importante, permettant de conclure à une incohérence grave dans le rythme de progression de la carrière du requérant, caractérisé par une progression déjà lente, correspondant à ses mérites.

45 Pour ce qui est de la prétendue absence d’une motivation spécifique de l’évaluateur d’appel, la Commission rappelle, tout d’abord, la jurisprudence qui exige que, « dès lors que le rapport de notation comporte une motivation suffisante », ce qui serait le cas en l’espèce, « il ne saurait être exigé du notateur d’appel qu’il fournisse des explications complémentaires sur les raisons qui le conduisent à ne pas suivre les recommandations du [CPE] que si l’avis de cet organe consultatif fait état
de circonstances spéciales propres à jeter le doute sur la validité ou le bien-fondé de l’appréciation initiale et appelle de ce fait une appréciation spécifique du notateur d’appel quant aux conséquences éventuelles à tirer de ces circonstances » (arrêt du Tribunal du 12 juin 2002, Mellone/Commission, T‑187/01, RecFP p. I‑A‑81 et II‑389, points 33 et suivants). La Commission soutient que, dans le cas d’espèce, l’évaluateur d’appel n’était pas tenu de motiver plus amplement ses appréciations,
puisqu’il a entièrement suivi l’avis du CPE, en procédant effectivement au réexamen proposé par ce comité et en supprimant l’expression « propos racistes et sexistes ».

46 En réponse à l’argument du requérant tiré de l’insuffisance de la motivation des critiques exposées sous la rubrique 6.3 du REC, la Commission oppose plusieurs documents écrits par le requérant ou connus de lui, qui témoigneraient d’un malaise dans les rapports entre le requérant et sa hiérarchie.

– Appréciation du Tribunal

47 Selon la jurisprudence constante, l’obligation de motivation a pour but, d’une part, de fournir à l’intéressé une indication suffisante pour apprécier le bien-fondé de l’acte lui faisant grief et l’opportunité d’introduire un recours devant le Tribunal et, d’autre part, de permettre à ce dernier d’exercer son contrôle sur la légalité de l’acte (arrêt de la Cour du 26 novembre 1981, Michel/Parlement, 195/80, Rec. p. 2861, point 22). Il s’ensuit que l’obligation de motivation constitue un
principe essentiel du droit communautaire auquel il ne saurait être dérogé qu’en raison de considérations impérieuses (arrêts du Tribunal du 20 mars 1991, Pérez-Minguez Casariego/Commission, T‑1/90, Rec. p. II‑143, point 73 ; du 20 juillet 2001, Brumter/Commission, T‑351/99, RecFP p. I‑A‑165 et II‑757, point 28, et du 6 juillet 2004, Huygens/Commission, T‑281/01, RecFP p. I‑A‑203 et II‑903, point 105).

48 Il ressort également de la jurisprudence que l’administration a l’obligation de motiver le rapport de notation (ou le REC) de façon suffisante et circonstanciée et de mettre l’intéressé en mesure de formuler des observations sur cette motivation, le respect de ces exigences étant d’autant plus important lorsque la notation connaît une régression par rapport à la notation antérieure (arrêt Mellone/Commission, précité, point 27 ; voir également, en ce sens, arrêt de la Cour du 6 février 1986,
Castille/Commission, 173/82, 157/83 et 186/84, Rec. p. 497, points 27 et 28 ; arrêts du Tribunal du 16 juillet 1992, Della Pietra/Commission, T‑1/91, Rec. p. II‑2145, points 30 et 32, du 9 mars 1999, Hubert/Commission, T‑212/97, RecFP p. I‑A‑41 et II‑185, point 79, et den Hamer/Commission, précité, point 69).

49 En l’espèce, une telle motivation circonstanciée figure dans les rubriques 6 et 8.2 du REC, intitulées respectivement « Évaluation de la période » et « Révision du validateur et visa », dans lesquelles sont explicitées en trois points, relatifs, respectivement, au rendement, à la compétence et à la conduite dans le service, et commentées les appréciations portées dans la grille analytique (voir, en ce sens, arrêts du Tribunal du 21 octobre 1992, Maurissen/Cour des comptes, T‑23/91, Rec.
p. II‑2377, point 41, et den Hamer/Commission, précité, point 70).

50 À cet égard et concernant plus particulièrement la régression de l’évaluation, le Tribunal relève que, dans le cas d’espèce, la note sous la rubrique « Conduite dans le service » a connu une régression importante par rapport à celle de l’évaluation antérieure, puisqu’elle est passée de 3 points sur 4 (correspondant au niveau « bien ») dans le REC pour l’exercice d’évaluation 2001/2002 à 0,5 points sur 4 (correspondant au niveau « insuffisant ») dans le REC contesté.

51 Le Tribunal constate également que le REC précédent contient sous la rubrique « Conduite dans le service » uniquement le commentaire suivant :

« M. Martin Magone entretient généralement de bonnes relations de travail avec ses collègues. »

52 En revanche, la rubrique « Conduite dans le service » dans le REC litigieux contient 17 lignes de commentaires, pour la plupart très critiques à l’encontre du requérant. En effet, il ressort clairement, à la lecture de ces commentaires, que l’octroi de la note « insuffisant » par l’évaluateur était motivé par les situations de conflit que le requérant avait provoquées, ainsi que par les attitudes du requérant vis-à-vis d’autres fonctionnaires de son service qui relevaient de l’injure, de la
diffamation et du dénigrement.

53 Le Tribunal considère, dès lors, que les commentaires de l’administration dans le REC litigieux sont suffisamment précis et argumentés pour satisfaire à l’obligation de motivation, telle qu’explicitée aux points 47 et 48 ci-dessus. En effet, le REC litigieux comporte une motivation suffisante et spécifique de la note attribuée et de la régression de la note de la rubrique 6.3 du REC par rapport à la notation antérieure, les commentaires indiquant clairement que cette régression découlait
directement de la dégradation du comportement du requérant ayant eu lieu pendant la période de référence.

54 Concernant l’argument du requérant tiré de l’absence d’une motivation spécifique de l’évaluateur d’appel, il convient de rappeler que, en vertu de la jurisprudence, lorsque le rapport comporte une motivation suffisante, ce qui est le cas en l’espèce, ainsi qu’il a été constaté aux points 49 à 53 ci-dessus, il ne saurait être exigé du notateur d’appel qu’il fournisse des explications complémentaires sur les raisons qui le conduisent à ne pas suivre les recommandations du CPE que si l’avis de
cet organe consultatif fait état de circonstances spéciales propres à jeter le doute sur la validité ou le bien-fondé de l’appréciation initiale et appelle de ce fait une appréciation spécifique du notateur d’appel quant aux conséquences éventuelles à tirer de ces circonstances (arrêt Mellone/Commission, précité, point 33).

55 En l’espèce, le CPE a invité l’évaluateur d’appel à examiner les faits établis et à décider, notamment, s’ils justifiaient la note « insuffisant » et l’utilisation de l’expression « propos racistes et sexistes ». Le requérant n’a pas apporté d’éléments permettant d’établir que l’évaluateur d’appel n’aurait pas suivi toutes ces recommandations. Au contraire, il ressort très clairement des commentaires de l’évaluateur d’appel sous la rubrique 9.3 du REC qu’il a tenu pleinement compte de chacune
de ces recommandations. En effet, il est indiqué dans cette rubrique : « J’ai examiné soigneusement cette affaire et notamment le point 6.3 où l’évaluateur avait décidé d’accorder le niveau insuffisant pour la conduite dans le service […] J’ai décidé de maintenir la note ‘insuffisant’ […] J’ai décidé de supprimer l’expression ‘ou encore de propos racistes et sexistes’ […] » Dans ces circonstances, il y a lieu de considérer que, au regard de la jurisprudence, rappelée au point 54 ci-dessus,
l’évaluateur d’appel n’était pas tenu de fournir une explication supplémentaire. Le fait que l’intervention de l’évaluateur d’appel n’ait pas abouti à une révision du niveau d’appréciation ne permet pas de remettre en cause cette appréciation.

56 Il résulte de ce qui précède que le troisième moyen tiré de la violation de l’obligation de motivation doit être rejeté comme non fondé.

Sur le quatrième moyen, tiré d’un détournement de pouvoir

– Arguments des parties

57 Le requérant soutient que le REC le concernant pour l’exercice d’évaluation 2003 est entaché d’un détournement de pouvoir en invoquant les mêmes arguments que ceux exposés au titre du premier moyen.

58 Il soutient également qu’il a été depuis deux ans victime de harcèlement moral de la part de ses supérieurs hiérarchiques. Il fait notamment valoir que la plupart des remarques de l’évaluateur sous la rubrique « Conduite dans le service » du REC litigieux sont injustifiées et ne sont pas étayées par des éléments de preuve. Il dénonce également l’attitude de la Commission qui, tout en réservant au requérant la note « insuffisant », a failli dans la mise en place des mesures d’accompagnement
correspondantes, visées à la page 8 du REC, dont notamment le lancement d’un plan spécial de perfectionnement pouvant inclure la formation et/ou la mobilité. Le requérant allègue en outre des agressions verbales de la part de ses divers supérieurs hiérarchiques. Le requérant dénonce ensuite les modifications répétées de ses tâches et objectifs, décidées par sa hiérarchie sans le consulter au préalable. Le requérant fait encore valoir le refus systématique de ses demandes de formation par son chef
d’unité (huit refus sur neuf demandes). Enfin, le requérant déplore le fait que sa hiérarchie l’a affecté dans une unité dont le chef, M. B., est d’origine indienne, et cela malgré son opposition. Le requérant soutient que son opposition à cette affectation était motivée par la souffrance psychologique que cela lui causerait, liée au réveil d’anciens traumatismes remontant à son enfance et attestée par une note de son psychothérapeute.

59 Lors de l’audience, le requérant a précisé vouloir soutenir que le détournement de pouvoir résidait dans le fait que l’aspect relationnel, entaché de harcèlement, entre le requérant et ses supérieurs, a produit des conséquences sur le REC. En effet, le REC litigieux, et notamment la rubrique « Conduite dans le service » de celui-ci, aurait été utilisé par ses supérieurs hiérarchiques dans un but de harcèlement moral, et détourné ainsi de son objectif principal d’apprécier la compétence, le
rendement et la conduite dans le service du requérant.

60 La Commission soutient, à titre principal, que, puisque le requérant n’a pas démontré en quoi aurait consisté le prétendu détournement de pouvoir commis lors de l’établissement du REC litigieux, ce grief du présent moyen devrait être déclaré irrecevable en vertu de l’article 44 du règlement de procédure et de la jurisprudence qui y est afférente, citée au point 35 ci-dessus.

61 À titre subsidiaire, la Commission relève que la notion de détournement de pouvoir consiste, pour une autorité administrative, à faire usage de ses pouvoirs dans un but autre que celui en vue duquel ils lui ont été conférés. Une décision ne serait entachée de détournement de pouvoir que si elle apparaissait, sur la base d’indices objectifs, pertinents et concordants, avoir été prise pour atteindre des fins autres que celles excipées. Selon la Commission, le requérant n’a pas fait état, en
l’espèce, d’indices laissant penser que les notateurs du requérant auraient établi le REC contesté dans un but autre que celui défini par l’article 43 du statut, à savoir celui d’apprécier la compétence, le rendement et la conduite dans le service du requérant. Eu égard à ce qui précède, la Commission considère que ce grief du présent moyen doit être rejeté.

62 Concernant le prétendu harcèlement moral, la Commission décrit, à titre liminaire, deux procédures alternatives de recours (l’une formelle et l’autre informelle) qui sont ouvertes à toute personne travaillant pour la Commission qui s’estime victime de harcèlement moral et relève que le requérant n’a eu recours à aucune d’entre elles.

63 La Commission rappelle également qu’il ressort de la jurisprudence (arrêts du Tribunal du 5 décembre 2000, Campogrande/Commission, T‑136/98, RecFP p. I‑A‑267 et II‑1225, point 42, et du 8 juillet 2004, Schochaert/Conseil, T‑136/03, RecFP p. I‑A‑215 et II‑957, points 48 et 49) ce qui suit :

« Il incombe aux institutions communautaires de protéger ses agents contre le harcèlement ou un traitement dégradant quel qu’il soit de la part de leurs supérieurs hiérarchiques. Une telle obligation ressort de l’article 24 du statut [...] À cet égard, il résulte d’une jurisprudence constante que, en vertu de l’obligation d’assistance, l’administration doit, en présence d’un incident incompatible avec l’ordre et la sérénité du service, intervenir avec toute l’énergie nécessaire et répondre avec la
rapidité et la sollicitude requises par les circonstances de l’espèce en vue d’établir les faits et d’en tirer, en connaissance de cause, les conséquences appropriées. À cette fin, il suffit que le fonctionnaire qui réclame la protection de son institution apporte un commencement de preuve de la réalité des attaques dont il affirme être l’objet. En présence de tels éléments, il appartient à l’institution en cause de prendre les mesures appropriées, notamment en faisant procéder à une enquête, afin
d’établir les faits à l’origine de la plainte, en collaboration avec l’auteur de celle-ci. »

64 La Commission considère que le grief tiré du harcèlement est non fondé et conteste successivement chacun des indices de harcèlement relevés par le requérant.

65 Elle rappelle à cet égard que, selon la jurisprudence concernant la notion de harcèlement moral, le requérant doit, indépendamment de la perception subjective qu’il a pu avoir des faits qu’il allègue, avancer un ensemble d’éléments permettant d’établir qu’il a subi un comportement qui a visé, objectivement, à le discréditer ou à dégrader délibérément ses conditions de travail.

66 En premier lieu, en ce qui concerne la note « insuffisant » et les appréciations de l’évaluateur dans la rubrique « Conduite dans le service » du REC litigieux, la Commission soutient que ces éléments ne sont pas susceptibles d’être qualifiés d’actes de harcèlement, puisque, en vertu de la définition de l’article 12 bis du statut, le harcèlement moral est défini comme une conduite abusive se manifestant de façon durable, répétitive ou systématique, tandis que le REC est établi une fois par
an, et que les appréciations y figurant ont en outre été confirmées en l’espèce par trois personnes différentes.

67 La Commission fait valoir, à titre surabondant, la jurisprudence constante selon laquelle les notes attribuées à un fonctionnaire par ses supérieurs hiérarchiques constituent des appréciations qui relèvent du seul jugement personnel des évaluateurs, lesquels jouissent du plus large pouvoir d’appréciation dans les jugements portés sur le travail des personnes qu’ils ont la charge de noter, de sorte qu’il n’appartient pas au juge d’intervenir dans cette appréciation, sauf en cas d’erreur ou
d’excès manifeste.

68 La Commission déplore également que le requérant n’ait pas identifié de manière concrète ni le prétendu harceleur ni les prétendus actes de harcèlement, mais se serait borné à multiplier les affirmations quant à l’existence d’une situation de harcèlement sans en apporter la moindre preuve. De surcroît, les écrits du requérant contrediraient certaines de ses affirmations ou soulèveraient de sérieux doutes quant à la position de victime du requérant.

69 En deuxième lieu, en ce qui concerne l’absence de mesures d’accompagnement, la Commission reconnaît l’existence d’un tel devoir, en vertu de l’article 1^er de la décision de la Commission C (2004) 1597, du 28 avril 2004, relative au maintien du niveau des prestations lorsqu’une situation d’inadéquation professionnelle est identifiée dans un REC. Elle admet également que de telles mesures n’ont pas été prises en l’espèce. Elle fait néanmoins valoir que cela s’explique par la mutation interne
du requérant dans une autre direction générale, intervenue environ deux mois et demi après que le REC litigieux est devenu définitif. Eu égard aux circonstances de l’espèce, concevoir et mettre en oeuvre un plan d’amélioration aurait été matériellement impossible et de surcroît inutile.

70 En troisième lieu, en ce qui concerne les agressions verbales à l’égard du requérant, la Commission déplore que les allégations du requérant qui y sont relatives manquent de précisions. Aux exemples, cités par le requérant dans sa requête, la Commission rétorque, d’une part, qu’ils ne suffisent pas à caractériser un climat de harcèlement et, d’autre part, qu’ils se situent en dehors de la période de référence. En outre, la Commission soutient que certains propos du requérant lui-même peuvent
être qualifiés d’agressions verbales et cite un exemple à cet égard.

71 En quatrième lieu, en ce qui concerne les modifications répétées des tâches et objectifs du requérant, la Commission fait valoir qu’en vertu de la jurisprudence constante les institutions disposent d’un large pouvoir d’appréciation dans le cadre de l’organisation de leurs services en fonction des missions qui leurs sont confiées et dans l’affectation, en vue de celles-ci, du personnel qui se trouve à leur disposition, à la condition, cependant, que cette affectation se fasse dans l’intérêt du
service et dans le respect de l’équivalence des emplois.

72 Selon la Commission, l’argument du requérant manque d’ailleurs en fait et en droit dans la mesure où, pendant la période de référence, la description du poste du requérant n’a été modifiée qu’une fois, et ce à la demande de celui-ci. Quant aux objectifs pour l’année 2003, ils ont été validés après une discussion préalable entre le requérant et son chef d’unité.

73 En cinquième lieu, en ce qui concerne les demandes du requérant de participer à des formations, la Commission relève que cinq des neuf demandes introduites ont été acceptées par son service et trois autres demandes sont restées en attente, les cours étant soit complets soit non encore planifiés. Par ailleurs, seulement deux demandes auraient correspondu aux besoins d’approfondir des connaissances liées à l’exercice de ses fonctions. En outre, le refus aurait porté sur une formation destinée
aux fonctionnaires occupant des postes de gestion, ce qui ne correspondait pas au niveau du requérant.

74 En sixième lieu, en ce qui concerne le changement d’affectation du requérant, la Commission fait valoir que cette affectation a eu lieu dans l’intérêt du service, qui prévaut sur l’intérêt du fonctionnaire. Quant à l’avis du psychothérapeute du requérant, la DG « Aide humanitaire » aurait dûment et immédiatement réagi, par la note de son directeur général du 18 décembre 2003, d’une part, en expliquant largement les raisons de service qui avaient conduit à ce changement et, d’autre part, en
proposant d’installer le requérant dans un autre bureau, pour éviter qu’il se trouve à proximité physique de son chef d’unité.

– Appréciation du Tribunal

75 Il y a lieu de rappeler que, conformément à une jurisprudence constante, la notion de détournement de pouvoir se réfère à l’usage, par une autorité administrative, de ses pouvoirs dans un but autre que celui en vue duquel ils lui ont été conférés. Une décision n’est entachée de détournement de pouvoir que si elle apparaît, sur la base d’indices objectifs, pertinents et concordants, avoir été prise pour atteindre des fins autres que celles excipées (arrêts du Tribunal du 23 octobre 1990,
Pitrone/Commission, T‑46/89, Rec. p. II‑577, points 70 et 71 ; du 5 juillet 2000, Samper/Parlement, T‑111/99, RecFP p. I‑A‑135 et II‑611, point 64, et du 23 mars 2004, Theodorakis/Conseil, T‑310/02, RecFP p. I‑A‑95 et II‑427, point 66 ; voir également, en ce sens, arrêt de la Cour du 29 septembre 1976, Giuffrida/Conseil, 105/75, Rec. p. 1395, point 11).

76 En l’espèce, il ressort de la requête et de l’argumentation développée par le requérant à l’audience, qu’il estime avoir été la victime d’un harcèlement moral de la part de sa hiérarchie et que l’aspect relationnel, entaché de harcèlement, entre le requérant et ses supérieurs, a produit des conséquences sur le REC litigieux, de sorte que celui-ci aurait ainsi été détourné de son objectif principal et utilisé à son tour aux fins de harcèlement.

77 Le Tribunal estime qu’il convient dans ces conditions d’examiner les allégations de harcèlement du requérant et de vérifier si les indices de harcèlement que le requérant avance peuvent constituer des indices objectifs, pertinents et concordants que le REC était utilisé dans un but autre que ceux excipés.

78 En l’espèce, la période à prendre en considération étant l’année 2003, les allégations de harcèlement du requérant concernent M^me S., qui était son chef d’unité pendant le période allant du 1^er janvier 2003 au 31 mars 2003, M. G., qui l’était entre le 1^er avril 2003 et le 31 décembre 2003 et qui a rédigé et signé le REC du requérant en tant qu’évaluateur, ainsi que M^me A., qui a contresigné le REC en tant que validateur.

79 Pour ce qui est de la notion de harcèlement moral, il y a lieu de rappeler que le requérant doit, indépendamment de la perception subjective qu’il a pu avoir des faits qu’il allègue, avancer un ensemble d’éléments permettant d’établir qu’il a subi un comportement qui a visé, objectivement, à le discréditer ou à dégrader délibérément ses conditions de travail (arrêts du Tribunal du 23 février 2001, De Nicola/BEI, T‑7/98, T‑208/98 et T‑109/99, RecFP p. I‑A‑49 et II‑185, point 286 ;
Schochaert/Conseil, précité, point 41, et Schmit/Commission, précité, point 64).

80 En premier lieu, en ce qui concerne la note « insuffisant » ainsi que les appréciations de l’évaluateur dans la rubrique « Conduite dans le service » du REC, le Tribunal constate que ce reproche se confond, en substance, avec les arguments avancés dans le cadre du premier moyen. Au vu de ce qui a été constaté au point 29 ci-dessus, les notes et appréciations contenus dans le REC ne sauraient en tant que telles être considérées comme des indices de ce que le REC aurait été établi dans un but
de harcèlement.

81 En deuxième lieu, l’absence de mesures d’accompagnement pour améliorer la conduite du requérant ne constitue pas non plus un indice d’un détournement de pouvoir. En tout état de cause, l’obligation, dans le chef de l’évaluateur, de proposer de telles mesures s’impose, conformément à l’article 2, premier alinéa, de la décision C (2004) 1597, du 28 avril 2004, uniquement « lorsqu’un [REC] définitif fait apparaître une note globale comprise entre 7,5 et 9,5 sur 20 ». Or, la note globale du
requérant dans le REC litigieux s’élevait à 10 sur 20.

82 En troisième lieu, en ce qui concerne les agressions verbales ainsi que la prétendue attitude provocatrice de M. G., le chef d’unité du requérant de l’époque, le Tribunal considère, à l’instar de la Commission, que les affirmations du requérant manquent de précisions. Par ailleurs, les deux événements que le requérant cite à cet égard ont eu lieu en dehors de la période de référence. Il s’agit respectivement de l’épisode, décrit au point 20 ci-dessus, ainsi que d’un épisode s’étant produit,
selon la Commission, en mai 2004, lorsque M^me A., validateur du REC du requérant, l’aurait traité d’« imboscato » (embusqué). En outre, bien que de tels propos puissent être perçus comme blessants par le requérant, ils ne suffisent pas à caractériser un climat de harcèlement. Il y a également lieu de relever que les propos, contenus dans la rubrique 5 « Auto-évaluation » du REC, selon lesquels M. G. aurait « conduit l’unité avec intelligence » et aurait « aidé, conseillé et guidé » le requérant
dans la réalisation de ses objectifs, contredisent au moins partiellement les affirmations du requérant sur l’attitude prétendument provocatrice de son supérieur.

83 En quatrième lieu, en ce qui concerne les modifications répétées des tâches et objectifs du requérant, il y a lieu de relever comme le fait la Commission à juste titre, qu’en vertu d’une jurisprudence constante les institutions disposent d’un large pouvoir d’appréciation dans le cadre de l’organisation de leurs services en fonction des missions qui leur sont confiées et dans l’affectation, en vue de celles-ci, du personnel qui se trouve à leur disposition, à la condition, cependant, que cette
affectation se fasse dans l’intérêt du service et dans le respect de l’équivalence des emplois (arrêt de la Cour du 23 mars 1988, Hecq/Commission, 19/87, Rec. p. 1681, point 6).

84 Il ressort des pièces du dossier que, pendant la période de référence, la description du poste du requérant n’a été modifiée qu’une fois, et ce à la demande du requérant. Quant aux objectifs pour l’année 2003, ils ont été validés après une discussion préalable entre le requérant et son chef d’unité. Le Tribunal relève également que le requérant n’avance aucun élément de preuve de nature à démontrer l’existence d’un objectif malveillant de la part de la Commission à cet égard.

85 En cinquième lieu, pour ce qui est de l’allégation du requérant relative aux refus de ses demandes de formation, le Tribunal considère que de tes éléments, à supposer même qu’ils soient exacts, ce que la Commission conteste, ne peuvent être considérées, dans les circonstances de l’espèce, comme une manifestation de harcèlement à l’égard du requérant.

86 En sixième lieu, en ce qui concerne le changement d’affectation du requérant, il y a lieu de rappeler le large pouvoir d’appréciation dont les institutions disposent à cet égard (voir point 83 ci-dessus). Le requérant reste d’ailleurs en défaut de prouver que son affectation dans une unité ayant un chef d’origine indienne était motivée par la volonté de dégrader ses conditions de travail. En effet, le requérant n’avait expliqué son opposition à ce changement que postérieurement à la prise de
cette décision. En outre, loin d’avoir été ignorée, cette motivation a été dûment prise en compte par le directeur général de la DG « Aide humanitaire », qui a adopté des mesures concrètes pour éviter dans toute la mesure du possible la souffrance psychologique que cette nouvelle affectation aurait pu causer au requérant.

87 Au vu de ce qui précède, le Tribunal conclut que, indépendamment de la perception subjective que le requérant a pu avoir des faits allégués, ceux-ci, soit pris isolément soit dans leur ensemble, ne permettent pas d’établir l’existence d’un comportement de harcèlement visant à le discréditer et à dégrader délibérément ses conditions de travail.

88 De surcroît, la plupart des circonstances mises en avant par le requérant ne présentent aucun lien avec l’établissement du REC litigieux. En outre, il ne ressort du dossier aucune situation de conflit entre le requérant et les prétendus harceleurs durant l’année 2003. En l’absence d’autres éléments pertinents, lesdites circonstances ne permettent donc pas d’établir que le REC en question, et plus particulièrement la note « insuffisant » sous la rubrique « Conduite dans le service » de
celui-ci, aurait été établi dans un but de harcèlement moral et détourné ainsi de son but principal. Au contraire, il résulte clairement des considérations qui précèdent que la note « insuffisant » était la conséquence directe du comportement « inapproprié » du requérant pendant la période de référence, et non d’un harcèlement moral.

89 Le quatrième moyen tiré d’un détournement de pouvoir doit, par conséquent, également être rejeté comme non fondé.

Sur le cinquième moyen, tiré du non-respect du devoir de sollicitude et du principe de bonne administration

– Arguments des parties

90 Le requérant se réfère à la jurisprudence selon laquelle le devoir de sollicitude reflète l’équilibre des droits et obligations réciproques que le statut a créé dans les relations entre l’autorité publique et les agents du service public, ce qui implique notamment que, lorsqu’elle statue à propos de la situation d’un fonctionnaire, l’autorité prenne en considération l’ensemble des éléments qui sont susceptibles de déterminer sa décision et que, ce faisant, elle tienne compte non seulement de
l’intérêt du service, mais aussi de celui du fonctionnaire concerné.

91 Le requérant soutient notamment que la Commission n’a pas pris en considération sa fragilité et sa souffrance psychologique lors de son changement d’affectation, ce qui constitue une matérialisation du harcèlement moral et un manquement par la Commission à son devoir de sollicitude et une méconnaissance du principe de bonne administration.

92 La Commission soutient, à titre principal, que ce moyen est irrecevable en vertu de la jurisprudence du Tribunal selon laquelle les conclusions présentées devant le juge communautaire doivent avoir le même objet que celles exposées dans la réclamation administrative préalable, ce qui n’est pas le cas en l’espèce.

93 La Commission soutient, à titre subsidiaire, que le présent moyen est non fondé, puisque le requérant est forclos à contester son changement d’affectation en tant que tel, de sorte que cet argument ne peut être examiné que comme un prétendu indice de harcèlement moral.

– Appréciation du Tribunal

94 Il convient de rappeler que la règle de la concordance entre la réclamation administrative au sens de l’article 90, paragraphe 2, du statut et le recours subséquent exige, sous peine d’irrecevabilité, qu’un moyen soulevé devant le juge communautaire l’ait déjà été dans le cadre de la procédure précontentieuse, afin que l’AIPN ait été en mesure de connaître d’une manière suffisamment précise les critiques que l’intéressé formule à l’encontre de la décision attaquée (arrêts de la Cour du 1^er
juillet 1976, Sergy/Commission, 58/75, Rec. p. 1139, point 32, et du 14 mars 1989, Del Amo Martinez/Parlement, 133/88, Rec. p. 689, point 9 ; arrêts du Tribunal du 28 mai 1998, W/Commission, T‑78/96 et T‑170/96, RecFP p. I‑A‑239 et II‑745, point 61, du 14 octobre 2003, Wieme/Commission, T‑174/02, RecFP p. I‑A‑241 et II‑1165, point 18, et du 25 octobre 2005, Cwik/Commission, T‑96/04, non encore publié au Recueil, point 32).

95 Ce moyen n’ayant pas été avancé dans la réclamation, il doit par conséquent être écarté comme irrecevable.

96 En conséquence, les conclusions en annulation du requérant doivent être rejetées dans leur intégralité comme partiellement irrecevables et comme non fondées pour le surplus.

Sur les conclusions en indemnité

Arguments des parties

97 Le requérant sollicite des dommages-intérêts pour le préjudice matériel et moral que le REC litigieux, ainsi que les fausses allégations et les comportements vexatoires de sa hiérarchie lui auraient causés, en terme d’atteinte à la réputation et à la carrière, et qu’il évalue ex aequo et bono à 4 169,67 euros pour le préjudice matériel et à 35 000 euros pour le préjudice moral, sous réserve d’augmentation ou de diminution en cours d’instance.

98 La Commission rappelle la jurisprudence constante selon laquelle la responsabilité non contractuelle de la Communauté suppose la réunion d’un ensemble de conditions tenant à l’illégalité du comportement reproché aux institutions, à la réalité du dommage et à l’existence d’un lien de causalité entre le comportement allégué et le préjudice invoqué. Ainsi, devrait être rejetée la demande introduite par un fonctionnaire visant à obtenir réparation du préjudice moral qui lui aurait été causé par
l’illégalité du comportement de l’organe communautaire, dès lors que cette illégalité n’est pas établie.

99 La Commission soutient, à titre principal, que les conclusions en indemnité doivent être rejetées à défaut pour le requérant d’avoir établi l’illégalité de l’acte attaqué. La Commission s’appuie sur la jurisprudence constante selon laquelle les conclusions tendant à la réparation du préjudice matériel ou moral doivent être rejetées lorsqu’elles présentent un lien étroit avec les conclusions en annulation et lorsque celles-ci sont, elles-mêmes, non fondées.

100 À titre subsidiaire, concernant le prétendu préjudice matériel, la Commission déplore le manque de preuves quant aux frais médicaux invoqués, ainsi que le défaut de lien entre ces frais et le prétendu comportement illégal. Elle soutient également que, en vertu de la jurisprudence, pour la période antérieure à la date d’introduction du recours, le requérant ne peut prétendre qu’au remboursement des dépens exposés pour les besoins de la rédaction de la requête, ceux exposés dans le cadre de la
phase précontentieuse ne constituant pas des dépens récupérables.

101 Concernant le prétendu préjudice moral, la Commission déplore également le manque de preuves de son existence, ainsi que le manque d’éléments permettant d’identifier son caractère et son étendue. La Commission indique par ailleurs que, en vertu de la jurisprudence, l’annulation de la décision attaquée peut en elle-même constituer une réparation adéquate et suffisante du préjudice moral susceptible d’avoir été causé par ladite décision.

Appréciation du Tribunal

102 Il résulte d’une jurisprudence constante dans le domaine de la fonction publique que l’engagement de la responsabilité de la Communauté est subordonné à la réunion d’un ensemble de conditions, à savoir l’illégalité du comportement reproché à l’institution, la réalité du dommage et l’existence d’un lien de causalité entre le comportement allégué et le préjudice invoqué (arrêt de la Cour du 16 décembre 1987, Delauche/Commission, 111/86, Rec. p. 5345, point 30 ; arrêts du Tribunal du 16 septembre
1998, Rasmussen/Commission, T‑234/97, RecFP p. I‑A‑507 et II‑1533, point 71, et Huygens/Commission, précité, point 51).

103 Il y a lieu également de rappeler que, selon une jurisprudence constante en matière de fonction publique, les conclusions tendant à la réparation d’un préjudice doivent être rejetées dans la mesure où elles présentent un lien étroit avec les conclusions en annulation qui ont elles-mêmes été rejetées soit comme irrecevables soit comme non fondées (arrêts du Tribunal Della Pietra/Commission, précité, point 34 ; du 15 mai 1997, N/Commission, T‑273/94, RecFP p. I‑A‑97 et II‑289, point 159, et du
10 juin 2004, Liakoura/Conseil, T‑330/03, RecFP p. I‑A‑191 et II‑859, point 69).

104 En l’espèce, il existe un lien étroit entre les conclusions en indemnité et les conclusions en annulation. Les cinq moyens invoqués au soutien de la demande en annulation ayant été rejetés, il en résulte que la Commission n’a commis aucune illégalité susceptible d’engager sa responsabilité à l’égard du requérant.

105 En conséquence, l’illégalité du comportement faisant défaut, il y a lieu de rejeter la demande en indemnité du requérant (voir, en ce sens, arrêt Rasmussen/Commission, précité, points 72 et 73).

106 Il résulte de l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours doit être rejeté dans son intégralité comme partiellement irrecevable et comme non fondé pour le surplus.

Sur les dépens

107 Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens s’il est conclu en ce sens.

108 Aux termes de l’article 88 du même règlement, dans les litiges entre les Communautés et leurs agents, les frais exposés par les institutions restent à la charge de celles-ci. En l’espèce, chaque partie supportera donc ses propres dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (cinquième chambre)

déclare et arrête :

1) Le recours est rejeté.

2) Chacune des parties supportera ses propres dépens.

Vilaras Martins Ribeiro Jürimäe

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 16 mai 2006.

Le greffier Le président

E. Coulon M. Vilaras

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

* Langue de procédure : le français.


Synthèse
Formation : Cinquième chambre
Numéro d'arrêt : T-73/05
Date de la décision : 16/05/2006
Type de recours : Recours en responsabilité - non fondé, Recours de fonctionnaires - irrecevable, Recours de fonctionnaires - non fondé

Analyses

Fonctionnaires - Rapport d'évolution de carrière - Recours en annulation - Recours en indemnité - Erreur manifeste d'appréciation - Obligation de motivation - Détournement de pouvoir - Harcèlement moral.

Statut des fonctionnaires et régime des autres agents


Parties
Demandeurs : Alejandro Martin Magone
Défendeurs : Commission des Communautés européennes.

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Jürimäe

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:T:2006:127

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award