CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL
M. DÁMASO Ruiz-Jarabo Colomer
présentées le 17 janvier 2006 (1)
Affaire C-145/05
Levi Strauss & Co.
contre
Casucci SpA
[demande de décision préjudicielle formée par la Cour de cassation (Belgique)]
«Marque – Signe utilisé pour des produits identiques ou similaires – Risque de confusion – Appréciation»
I – Introduction
1. La différence la plus importante entre la protection donnée par le droit de marque et celle octroyée par les autres titres de propriété intellectuelle et industrielle consiste, selon toute probabilité, en la durée, la première étant accordée pour un temps indéfini, à l’unique condition de son usage sérieux et du paiement des taxes de renouvellement de l’enregistrement. Toutefois, cette caractéristique ne protège pas des vicissitudes du marché, la forte concurrence et d’autres circonstances
pouvant priver le droit de marque de sa raison d’être, de sa capacité à distinguer les produits ou les services de l’entreprise propriétaire, par exemple du fait de l’évolution de sa perception par le public concerné.
2. Les éléments de fait de la présente affaire constituent un exemple de ces transformations et des problèmes qui en découlent. La Cour de cassation (Belgique) souhaite savoir à quel moment elle doit apprécier cette perception des consommateurs, afin de déterminer s’il existe un risque de confusion entre une marque enregistrée et un symbole introduit sur le même marché par une autre entreprise qui, de ce fait, porterait atteinte à la première. La question n’est pas sans importance, car, s’il y a
dilution du droit sur ce bien immatériel, la réponse donne des résultats opposés selon le moment considéré opportun pour que le juge apprécie ledit risque.
3. Il suffit de voir dans la rue le nombre de personnes qui portent tous les jours des jeans pour avoir une idée de l’importance économique de ces vêtements dans le commerce (2), et donc de l’arrière-fond du litige débattu devant les juridictions belges. D’origine controversée (3), je doute qu’il existe une tenue aussi représentative du mode de vie américain ayant eu une telle expansion mondiale (4).
II – Les faits du litige au principal et les questions préjudicielles
4. En 1980, Levi Strauss & Co. (ci‑après «Levi Strauss»), entreprise domiciliée dans l’État de Delaware (États-Unis), a obtenu, auprès du Bureau Benelux des marques, l’inscription de la marque figurative appelée «mouette» (5), constituée du dessin d’une double piqûre incurvée en son milieu, située au centre d’une poche pentagonale, correspondant à la classe 25 de l’arrangement de Nice, dessin reproduit ci-après:
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5. La société Casucci SpA (ci‑après «Casucci»), dont le siège se trouve à Sant’Eligio Alla Vibrata (Termano, Italie), a commencé en 1997 la commercialisation de jeans également pourvus d’une double piqûre légèrement courbée vers le haut au centre des poches arrières, dont l’aspect est le suivant:
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6. Estimant que ce dessin portait atteinte aux droits découlant de son signe, la requérante dans la procédure au principal a assigné l’entreprise italienne devant le tribunal de commerce de Bruxelles, demandant que cette dernière cesse d’utiliser le signe figurant sur les pantalons de Casucci et soit condamnée au versement d’une indemnité à titre de dommages et intérêts.
7. Ladite juridiction n’ayant pas fait droit à ses demandes, Levi Strauss a saisi la cour d’appel de la même ville, qui, dans un arrêt du 7 juin 2002, a confirmé la décision de première instance, niant la violation de la marque «mouette» par l’entreprise italienne. Elle a en outre constaté la faible similitude entre les signes en conflit et la perte du caractère de marque «forte» de la marque Levi Strauss, au vu de l’usage constant et généralisé de ses éléments les plus caractéristiques. Selon
elle, la double piqûre indique actuellement l’appartenance des vêtements à la catégorie des pantalons faits en toile denim (6), «jeans» en anglais (7).
8. La cour d’appel a également considéré que les dessins des poches respectives avaient une signification différente, car, selon le point 23 de l’arrêt SABEL (8), l’appréciation du risque de confusion doit être fondée sur l’impression d’ensemble produite par les marques, et que la couture de Levi Strauss évoquerait une mouette déployant ses ailes, alors que celle de Casucci rappellerait plutôt la forme d’un volcan. En se fondant sur cet arrêt (9) ainsi que sur le point 29 de l’arrêt Canon (10),
la cour d’appel de Bruxelles a indiqué que le manque de coïncidence conceptuelle empêchait que le public attribue la même origine commerciale aux jeans fabriqués par chacune des entreprises en conflit en l’espèce.
9. N’étant pas satisfaite de la décision, Levi Strauss a saisi la Cour de cassation, où l’affaire est toujours pendante, en attente de la réponse à la présente question préjudicielle.
10. En substance, Levi Strauss considère que la juridiction d’appel a enfreint l’article 5, paragraphe 1, sous b), de la directive 89/104/CEE (11) en déclarant que sa marque «mouette» n’avait plus sa force d’antan. Son titre de propriété industrielle était toujours en vigueur en 1997, lorsque la société italienne a mis en vente les pantalons au Benelux, moment sur lequel ladite juridiction d’appel aurait dû se baser lorsqu’elle a procédé à l’appréciation du risque de confusion, conformément à la
jurisprudence de la Cour de justice du Benelux dans l’arrêt Quick (12).
11. Enfin, l’entreprise américaine affirme que la juridiction d’appel manquait de fondement légal pour déclarer la faiblesse de la marque «mouette» du fait de la perte de son pouvoir distinctif à la suite de la généralisation de ses éléments les plus représentatifs, car elle n’a pas apprécié si une telle circonstance était imputable à Levy Strauss, au moins en partie, du fait de la passivité montrée face à l’essor de la concurrence.
12. Dans ces conditions, la Cour de cassation a sursis à statuer et a posé à la Cour les questions préjudicielles suivantes:
«1) Pour déterminer l’étendue de la protection d’une marque régulièrement acquise en fonction de son pouvoir distinctif, prévue à l’article 5, paragraphe 1, de la première directive 89/104 […], le juge doit-il avoir égard à la conception du public concerné au moment où a commencé l’emploi de la marque ou du signe ressemblant, incriminé comme atteinte à la marque?
2) Dans la négative, le juge peut-il avoir égard à la conception du public concerné à n’importe quel moment de la période qui suit le moment où a commencé l’emploi incriminé? Peut-il notamment avoir égard à la conception du public concerné au moment où il statue?
3) Lorsque, par application du critère visé sub 1), le juge constate l’atteinte à la marque, est-il justifié, en règle, qu’il ordonne la cessation de l’emploi du signe constitutif d’atteinte?
4) Peut-il en être autrement si la marque du demandeur a perdu son pouvoir distinctif en tout ou en partie après le moment où a commencé l’emploi constitutif d’atteinte, mais uniquement dans les cas où cette perte est due en tout ou en partie au fait ou à la carence du titulaire de cette marque?»
III – La procédure devant la Cour
13. La décision de renvoi a été enregistrée au greffe de la Cour le 31 mars 2005.
14. Levi Strauss et la Commission des Communautés européennes ont déposé des observations écrites dans le délai fixé à l’article 20 du statut de la Cour de justice. En revanche, Casucci a expressément renoncé à exercer un tel droit par lettre de son représentant légal du 1^er juin 2005.
15. Lors de l’audience qui s’est tenue le 17 novembre 2005, la partie requérante dans la procédure au principal et la Commission ont comparu pour présenter oralement leurs allégations.
IV – Le cadre juridique
16. La solution du litige dépend fondamentalement de l’exégèse de la directive 89/104, qui vise «le rapprochement des législations des États membres sur les marques, en vue de supprimer les disparités susceptibles d’entraver la libre circulation des produits et la libre prestation des services ou de fausser les conditions de concurrence dans le marché commun. L’harmonisation qu’elle vise n’est toutefois que partielle, de sorte que l’intervention du législateur communautaire est limitée à des
aspects déterminés relatifs aux marques acquises par l’enregistrement» (13). Notamment, elle ne contient pas de règles de caractère procédural.
17. L’article 5, paragraphes 1 et 3, de la directive dispose:
«1. La marque enregistrée confère à son titulaire un droit exclusif. Le titulaire est habilité à interdire à tout tiers, en l’absence de son consentement, de faire usage, dans la vie des affaires:
a) d’un signe identique à la marque pour des produits ou des services identiques à ceux pour lesquels celle-ci est enregistrée;
b) d’un signe pour lequel, en raison de son identité ou de sa similitude avec la marque et en raison de l’identité ou de la similitude des produits ou des services couverts par [le titre de propriété industrielle et le logotype], il existe, dans l’esprit du public, un risque de confusion qui comprend le risque d’association entre le signe et la marque;
[…]
3. Si les conditions énoncées aux paragraphes 1 et 2 sont remplies, il peut notamment être interdit:
a) d’apposer le signe sur les produits ou sur leur conditionnement;
b) d’offrir les produits, de les mettre dans le commerce ou de les détenir à ces fins, ou d’offrir ou de fournir des services sous le signe;
c) d’importer ou d’exporter les produits sous le signe;
d) d’utiliser le signe dans les papiers d’affaires et la publicité.»
18. Selon l’article 12, paragraphe 2, de la même directive:
«2. Le titulaire d’une marque peut également être déchu de ses droits lorsque, après la date de son enregistrement, la marque:
a) est devenue, par le fait de l’activité ou de l’inactivité de son titulaire, la désignation usuelle dans le commerce d’un produit ou d’un service pour lequel elle est enregistrée;
[…]»
V – L’examen des questions préjudicielles
19. Avant d’examiner les questions soumises à la Cour par la Cour de cassation, il convient de rappeler l’intérêt de fond du litige au principal. La détermination du moment auquel le juge national doit constater le risque de confusion est importante dans le cas d’espèce, car, apparemment, le fait que la marque «mouette» ait perdu son caractère distinctif dans la période précédant l’introduction du recours en Belgique n’est pas contesté. Par conséquent, le résultat peut être complètement différent
selon le moment où ce risque est apprécié, influant sur le calcul du temps à prendre en considération pour évaluer l’éventuelle indemnisation.
A – Les première et deuxième questions préjudicielles
20. Par ces questions, la juridiction de renvoi désire savoir, pour déterminer l’étendue de la protection d’une marque régulièrement acquise en fonction de son caractère distinctif, au sens de l’article 5, paragraphe 1, de la directive 89/104, quand doit être appréciée la perception des marques par le public concerné, et prend en considération trois hypothèses, à savoir: le moment où le signe portant atteinte à la marque a commencé à être utilisé; tout autre moment; ou lorsqu’il est statué sur
l’affaire.
21. Il n’est pas inutile de rappeler que la fonction essentielle de la marque consiste, selon une jurisprudence constante, à garantir au consommateur ou à l’utilisateur final l’origine des produits ou des services désignés par la marque, en lui permettant de les identifier sans confusion possible (14). Par conséquent, on ne peut affirmer qu’une marque est apte à remplir cette fonction que lorsqu’elle est dotée de caractère distinctif, car, sinon, elle ne pourrait être enregistrée, comme il ressort
de l’article 3, paragraphe 1, sous b), de la directive 89/104 (15).
22. Après son enregistrement auprès de l’Office correspondant et sa publication dans le bulletin pertinent, la marque donne à son titulaire les droits énoncés à l’article 5 de la directive 89/104. Bien qu’il n’existe aucune disposition à cet égard, la logique juridique veut que l’exercice de tels droits soit possible tant que le propriétaire est titulaire de la marque.
23. Comme l’indique à juste titre la Commission, selon l’arrêt SABEL (16), la perception des marques qu’a le consommateur moyen du type de produit ou service en cause joue un rôle déterminant dans l’appréciation du risque de confusion, s’érigeant en critère particulièrement important pour apprécier le caractère distinctif. Toutefois, la manière qu’a le public de capter ces signes varie avec le temps, notamment en fonction de l’attitude des autres fournisseurs de produits ou de services sur le même
marché, affectant leur pouvoir de distinction.
24. Par conséquent, les droits découlant de l’article 5 ne déploient entièrement leur effet utile que s’ils protègent ipso facto leur titulaire, c’est-à-dire s’ils peuvent être mis en œuvre dès lors qu’ils sont enfreints. Dans les biens pourvus d’un symbole qui porte atteinte à un droit de marque en raison de la confusion dans laquelle il plonge le public auquel les biens sont destinés, l’infraction au titre de propriété industrielle surgit dès l’instant où les objets sont commercialisés et se
poursuit jusqu’à ce qu’il soit remédié à la situation.
25. Le juge national ne doit donc pas prendre, comme référence temporelle pour apprécier le risque de confusion, un moment ultérieur au début de cet acte illicite, sous peine de réduire la protection donnée au titulaire légitime de la marque. Il ne doit toutefois pas non plus étendre cette protection au-delà de la date à laquelle le titulaire cesse de bénéficier de ces droits. Par conséquent, il n’y a pas lieu, en l’espèce, de se baser sur le jour où il est statué sur le recours, car cela ne
permettrait ni d’évaluer l’impact du risque de confusion sur le caractère distinctif de la marque ni d’adopter les mesures ou les sanctions pertinentes.
26. S’il s’avère, comme en l’espèce, où une indemnisation est réclamée, que, lorsque la juridiction examine le recours, aucun droit n’est plus violé, la capacité de différenciation de la marque à laquelle il a au début été porté atteinte ayant disparu, pour quelque raison que ce soit, il convient de déterminer également quand les effets juridiques du signe protégé ont pris fin, afin de calculer la période pour laquelle ce dédommagement pourra être réclamé.
27. Par conséquent, lorsqu’un signe analogue à une marque porte atteinte à cette dernière en faisant naître un risque de confusion entre les deux, le juge national doit, pour déterminer l’étendue de la protection de cette marque régulièrement acquise en fonction de son pouvoir distinctif, prévue à l’article 5, paragraphe 1, de la directive 89/104, apprécier la perception du public concerné au moment où le signe a commencé à être utilisé.
B – La troisième question
28. L’essence de cette question incombe à une mesure précise, l’ordre de cesser d’utiliser le signe préjudiciable, en tant que prévention appropriée dans les circonstances indiquées dans les deux questions précédentes: lorsque le juge a constaté que l’utilisation de ce signe constitue une infraction.
29. J’ai déjà indiqué que la directive 89/104 ne procède pas à un rapprochement des législations nationales dans le domaine procédural, où règne le principe d’autonomie, en vertu duquel les États membres jouissent de liberté pour choisir les voies opportunes afin de se conformer aux règles de fond émanant du législateur communautaire.
30. Toutefois, lors de la transposition des directives en droit national, l’action étatique reste soumise au principe de coopération loyale, consacré à l’article 10 CE. Outre ce principe, il convient de respecter, comme l’indique la Commission, la jurisprudence constante de la présente Cour (17), qui oblige les juges et les juridictions nationales à interpréter et à appliquer la loi de transposition d’une directive conformément aux exigences du droit européen, de sorte que les décisions prises
garantissent la protection juridictionnelle des droits découlant de tels actes normatifs.
31. En ce qui concerne l’harmonisation de la réglementation des marques, bien que la directive 89/104 n’a pas abordé expressément les aspects procéduraux (18), elle a tout de même une incidence indirecte à certains égards.
32. En définissant le ius prohibendi du titulaire d’un droit de marque, l’article 5, paragraphe 3, de la directive 89/104 suggère les choix les plus appropriés pour atteindre les résultats décrits. Au vu des points a) et d) de ce paragraphe, l’ordre de cesser d’utiliser un signe préjudiciable serait une mesure efficace; en outre, les systèmes nationaux disposent probablement d’instruments comparables.
33. Il appartient toutefois au juge national de décider si une mesure de ce type est appropriée, eu égard à l’ensemble des circonstances existant au moment où il statue, pour garantir la protection des droits donnés par la directive 89/104.
C – La quatrième question préjudicielle
34. Par cette question, la Cour de cassation s’interroge sur la pertinence d’ordonner la cessation de l’usage du signe portant atteinte à une marque lorsque cette dernière a perdu, en tout ou en partie, son caractère distinctif en raison d’actes ou d’omissions imputables à son titulaire. Il s’agit en fait d’une variante de la question précédente.
35. Levi Strauss propose d’y répondre par l’affirmative, car il serait ainsi procédé à une juste balance des intérêts du titulaire du droit de propriété industrielle et de ceux de ses concurrents.
36. Pour la Commission, la détermination du caractère distinctif se basant sur des critères objectifs, la perte d’un tel caractère ne peut être la conséquence de l’attitude du bénéficiaire de la protection donnée par l’article 5, car le comportement de ce dernier a une incidence dans le cadre des articles qui le prévoient expressément, à savoir les articles 9 (forclusion par tolérance) et 12 (déchéance). En outre, le sens de l’article 5 serait détourné si une entreprise ayant distribué des
produits ou des services portant atteinte aux droits conférés pour un bien immatériel juridiquement protégé, patrimoine d’un autre opérateur économique, obtenait certains avantages grâce à l’acte illicite commis.
37. Il convient de rappeler que la nature du titre de propriété formellement octroyé par un acte d’enregistrement que revêt la marque, dont la force juridique découle de l’inscription, de durée indéfinie, conditionnée à son utilisation dans le commerce et au paiement des taxes, implique que l’enregistrement ne peut être annulé qu’à travers une déclaration émanant d’un organe juridiquement compétent. Dans le même ordre d’idées, la directive 89/104 permet aux concurrents qui utilisent des signes
analogues de demander, dans certains cas, une telle déclaration d’annulation ou de déchéance. Les variations dans la perception des objets de la propriété industrielle sont la condition préalable à l’exercice de telles actions. Elles ne suffisent toutefois pas en tant que telles pour mettre fin à la protection découlant de l’enregistrement.
38. C’est à juste titre que la Commission attire l’attention sur les droits des concurrents servant de limite et de contrepoint aux droits du titulaire d’une marque. Toutefois, il conviendrait de nuancer ses observations, en soulignant deux situations dans la perte du caractère distinctif pouvant être due tant à des facteurs liés à l’usage de la marque par le titulaire qu’à son plagiat massif par des entreprises tiers, voire même à l’attitude des consommateurs.
39. L’exemple le plus courant de la première situation consiste en la diffusion accentuée de la marque parmi les utilisateurs, qui l’utilisent pour d’autres produits ou services (19), provoquant sa vulgarisation. Certaines omissions de son titulaire, lorsqu’il n’intente pas les actions en nullité contre les contrevenants, ont toutefois aussi des conséquences néfastes (20). Enfin, le public, en désignant indistinctement tous les objets similaires par la même marque, la transforme en marque
générique, la privant de son caractère distinctif.
40. Lorsque la disparition du pouvoir de différenciation est due à l’action de tiers concurrents sur le marché, refuser au juge national la possibilité d’ordonner la cessation de l’usage de signes susceptibles de perturber celui du titulaire d’une marque reviendrait à inciter les entreprises contrevenantes à procéder à une action concertée pour inonder le marché de signes analogues et dénoncer ensuite la dilution du logotype imité. Dans ces conditions, je partage l’avis de la Commission, selon
lequel un avantage obtenu grâce à des faits illicites dont elles seraient responsables leur serait ainsi reconnu.
41. En revanche, si, en raison de l’abus de son propre symbole par le titulaire ou de l’appréciation sans appel du consommateur, la fonction de garantie de l’origine disparaissait, la marque perdant son caractère distinctif, les rivaux de l’entreprise titulaire de cette marque disposeraient de la voie de l’article 12 pour exercer l’action en déchéance ou de celle de l’article 3, paragraphe 1, sous b), pour demander la nullité. La déclaration formelle dans de tels cas provoquerait la disparition du
droit et il n’y aurait donc pas lieu d’interdire l’utilisation de signes similaires.
42. En résumé, l’abstention du juge d’ordonner la cessation d’une utilisation portant atteinte à une marque ne serait justifiée que si les autres entreprises pouvaient invoquer la généralisation de la marque pour des motifs étrangers à l’usage de leurs propres marques, à condition que la radiation de la marque soit demandée par la voie appropriée. En dehors de cette hypothèse, une telle non-intervention judiciaire serait contraire à l’esprit de la protection du droit du titulaire aux termes des
articles 4 et 5 de la directive 89/104.
VI – Conclusion
43. Eu égard aux considérations qui précèdent, je propose à la Cour de répondre aux questions préjudicielles de la Cour de cassation comme suit:
«1) Lorsqu’un signe analogue à une marque porte atteinte à cette dernière en faisant naître un risque de confusion, le juge national doit, pour déterminer l’étendue de la protection de cette marque régulièrement acquise en fonction de son pouvoir distinctif, prévue à l’article 5, paragraphe 1, de la première directive 89/104/CEE du Conseil, du 21 décembre 1988, rapprochant les législations des États membres sur les marques, apprécier la perception du public concerné au moment où le signe a
commencé à être utilisé.
2) S’il constate l’infraction à une marque enregistrée, il lui incombe également d’apprécier si l’ordre judiciaire de mettre fin à l’usage du signe préjudiciable constitue une mesure appropriée, eu égard à l’ensemble des circonstances existant au moment où il statue, pour garantir la protection des droits donnés au titulaire d’une marque par la directive mentionnée.
3) Toutefois, le juge national peut s’abstenir de prendre une telle mesure, lorsque la marque a perdu son caractère distinctif en raison de l’action ou de l’omission de son titulaire, à condition qu’une telle responsabilité ait été constatée expressément par décision d’un organe compétent.»
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1 – Langue originale: l’espagnol.
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2 – En plus de 150 ans, Levi Strauss a vendu près de 3 500 millions de pantalons. Adrián, J., Levi’s abandona sus raíces, http://winred.com.
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3 – En général, il était utilisé pour travailler et, à partir des années 50, il a commencé à s’imposer parmi les jeunes. Son histoire semble toutefois moins connue. Il est né à Gênes, lorsque la ville italienne était encore une République indépendante et une puissance navale. Son armée, ayant besoin de vêtements résistants pour les marins, a eu recours à ce type de textile pouvant être utilisé même mouillé (http://es.wikipedia.org).
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4 – Parmi les multiples références à ce vêtement dans la littérature récente, je souhaite souligner Hosseini, K., écrivain né en Afghanistan et vivant en Californie, qui, dans son livre Cometas en el cielo, 2^e édition, traduction de Isabell Murillo Fort, éd. Salamandra, Madrid, 2003, revêt le personnage central d’un «manteau de fourrure noire, écharpe rouge et jeans décolorés» (p. 78), le jour d’hiver 1975 qui a marqué sa vie, lorsqu’il a gagné le concours de cerfs-volants de Kaboul, au temps du
président Daoud Kan, qui, après avoir fait un coup d’État en 1973, avait renversé son cousin le shah Zahir, mettant un terme à la monarchie dans le pays. Peu après, Hosseini ajoute que «son regard se posa avec admiration sur mon manteau de fourrure et mon pantalon en jean […] que nous appelons pantalons de cow-boy. En Afghanistan, être propriétaire de quelque chose provenant d’Amérique du Nord, surtout si ce n’était pas d’occasion, était signe de richesse» (p. 81).
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5 – Connue aux États-Unis sous le terme «arcuate».
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6 – Ce mot viendrait de l’origine du textile, attribuée à la ville française de Nîmes (serge de Nîmes, denim). Il est constitué de coton, bien qu’il puisse également être mélangé avec du nylon, sa couleur habituelle étant bleue. Il était traditionnellement utilisé pour les vêtements de travail dans les ranchs et les fermes. Encyclopedia Britannica, 15^e édition, éd. Helen Hemingway Benton, Chicago, 1974, volume III, p. 466.
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7 – L’étymologie de ce mot remonte à l’ancienne République de Gênes, venant probablement de la prononciation anglaise de cette ville, Gênes, jeans (http://es.wikipedia.org).
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8 – Arrêt du 11 novembre 1997 (C‑251/95, Rec. p. I-6191).
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9 – Concrètement sur les points 16 à 18.
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10 – Arrêt du 29 septembre 1998 (C‑39/97, Rec. p. I-5507).
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11 – Première directive du Conseil, du 21 décembre 1988, rapprochant les législations des États membres sur les marques (JO 1989, L 40, p. 1).
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12 – Arrêt du 13 décembre 1994 (A 93/3).
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13 – Point 3 des conclusions que j’ai présentées le 6 novembre 2001 dans l’affaire qui a donné lieu à l’arrêt du 12 décembre 2002, Sieckmann (C-273/00, Rec. p. I-11737). Également troisième et neuvième considérants de la directive 89/104.
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14 – Arrêts du 23 mai 1978, Hoffmann-La Roche (102/77, Rec. p. 1139, point 7); du 18 juin 2002, Philips (C‑299/99, Rec. p. I-5475, point 30), et du 15 septembre 2005, BioID/OHMI (C‑37/03 P, Rec. p. I‑7975, point 27). Également dixième considérant de la directive 89/104.
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15 – En relation avec l’article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement (CE) n° 40/94 du Conseil, du 20 décembre 1993, sur la marque communautaire (JO 1994, L 11, p. 1), alter ego de la disposition de la directive 89/104, arrêts du 16 septembre 2004, SAT.1/OHMI (C‑329/02 P, Rec. p. I-8317, point 23), et BioID/OHMI, précité, point 27.
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16 – Arrêt précité, point 23.
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17 – Arrêts du 10 avril 1984, Von Colson et Kamann (14/83, Rec. p. 1891, points 23, 26 et 28), et du 20 mars 1997, Phytheron International (C‑352/95, Rec. p. I-1729, point 18).
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18 – Entre‑temps, des avancées ont eu lieu vers l’unification procédurale en droit de la propriété intellectuelle et industrielle, notamment avec la directive 2004/48/CE du Parlement et du Conseil, du 29 avril 2004, relative au respect des droits de propriété intellectuelle (JO L 157, p. 45), applicable aux marques en vertu de son article 1^er.
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19 – Fernández-Nóvoa, C., Tratado sobre Derecho de marcas, Marcial Pons, Madrid, 2004, p. 662, indique également que les marques renommées sont plus exposées à ce risque.
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20 – Ibidem.