CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL
M. L. A. Geelhoed
présentées le 15 septembre 2005 (1)
Affaire C-122/04
Commission des Communautés européennes
contre
Parlement européen
et
Conseil de l’Union européenne
«Annulation de l’article 17, paragraphe 2, du règlement (CE) n° 2152/2003 du Parlement européen et du Conseil, du 17 novembre 2003, concernant la surveillance des forêts et des interactions environnementales dans la Communauté (Forest Focus), en ce qu’il soumet l’adoption des règles de mise en œuvre du plan Forest Focus à la procédure de réglementation de l’article 5 de la décision 1999/468/CE du Conseil, du 28 juin 1999, fixant les modalités de l’exercice des compétences d’exécution conférées à la
Commission – Limitation du choix du Conseil entre les procédures prévues par la décision 1999/468/CE»
I – Introduction
1. La Commission des Communautés européennes sollicite, en vertu de l’article 230, deuxième alinéa, CE, l’annulation de l’article 17, paragraphe 2, du règlement (CE) n° 2152/2003 du Parlement européen et du Conseil, du 17 novembre 2003, concernant la surveillance des forêts et des interactions environnementales dans la Communauté (Forest Focus) (2) (ci-après le «règlement Forest Focus»). La Commission conteste la disposition en cause en ce qu’elle soumet l’adoption des règles de mise en œuvre du
plan Forest Focus à la procédure de réglementation de l’article 5 de la décision 1999/468/CE du Conseil, du 28 juin 1999, fixant les modalités de l’exercice des compétences d’exécution conférées à la Commission (3) (ci-après la «seconde décision comitologie»).
2. La Commission soutient en substance que c’est la procédure de gestion de l’article 4 de la seconde décision comitologie qui aurait dû être choisie pour ces règles. Le Conseil et le Parlement ne l’ayant pas fait, ces institutions auraient dû à tout le moins dûment motiver leur choix. La Commission invoque l’arrêt LIFE (4) à l’appui de sa position.
II – Cadre juridique
A – Le traité CE
3. L’article 202 CE vise les missions du Conseil et dispose:
«En vue d’assurer la réalisation des objets fixés par le présent traité et dans les conditions prévues par celui-ci, le Conseil:
[…]
– confère à la Commission, dans les actes qu’il adopte, les compétences d’exécution des règles qu’il établit. Le Conseil peut soumettre l’exercice de ces compétences à certaines modalités. Il peut également se réserver, dans des cas spécifiques, d’exercer directement des compétences d’exécution. Les modalités visées ci-dessus doivent répondre aux principes et règles que le Conseil, statuant à l’unanimité sur proposition de la Commission et après avis du Parlement européen, aura préalablement
établis.»
B – La seconde décision comitologie
4. La seconde décision comitologie a été adoptée sur le fondement de l’article 202, troisième tiret, CE et remplace la décision 87/373/CEE du Conseil, du 13 juillet 1987, fixant les modalités de l’exercice des compétences d’exécution conférées à la Commission (5) (ci-après la «première décision comitologie»).
5. Selon les cinquième, neuvième, dixième et onzième considérants de la seconde décision comitologie, celle-ci vise, en premier lieu, dans le souci d’une plus grande cohérence et prévisibilité dans le choix du type de comité, à définir les critères applicables au choix de la procédure de comité, étant entendu que ces critères ne revêtent pas un caractère contraignant; en deuxième lieu, à simplifier les modalités d’exercice des compétences d’exécution conférées à la Commission ainsi qu’à assurer
une plus grande participation du Parlement dans les cas où l’acte de base conférant des compétences d’exécution à la Commission a été adopté selon la procédure prévue à l’article 251 CE; en troisième lieu, à assurer une meilleure information du Parlement et, en quatrième lieu, à assurer une meilleure information du public sur les procédures de comité.
6. Aux termes de l’article 2 de la seconde décision comitologie:
«Le choix des modalités procédurales pour l’adoption des mesures d’exécution s’inspire des critères suivants:
a) les mesures de gestion telles que celles relatives à l’application de la politique agricole commune et de la politique commune de la pêche ou celles relatives à la mise en œuvre de programmes ayant des incidences budgétaires notables devraient être arrêtées selon la procédure de gestion.
b) Les mesures de portée générale visant à mettre en application les éléments essentiels d’un acte de base, y compris les mesures concernant la protection de la santé ou de la sécurité des personnes, des animaux ou des plantes, devraient être arrêtées selon la procédure de réglementation.
Lorsqu’un acte de base prévoit que certains éléments non essentiels de cet acte peuvent être adaptés ou mis à jour par la voie de procédures d’exécution, ces mesures sont arrêtées selon la procédure de réglementation.
c) Sans préjudice des points a) et b), la procédure consultative est appliquée chaque fois qu’elle est considérée comme la plus appropriée.»
7. Les articles 3 à 6 de la seconde décision comitologie définissent quatre procédures intitulées respectivement «procédure consultative» (article 3), «procédure de gestion» (article 4), «procédure de réglementation» (article 5) et «procédure de sauvegarde» (article 6). Ce sont en particulier les procédures des articles 4 et 5 qui importent ici:
«Article 4
Procédure de gestion
1. La Commission est assistée par un comité de gestion composé des représentants des États membres et présidé par le représentant de la Commission.
2. Le représentant de la Commission soumet au comité un projet des mesures à prendre. Le comité émet son avis sur ce projet dans un délai que le président peut fixer en fonction de l’urgence de la question en cause. L’avis est émis à la majorité prévue à l’article 205, paragraphe 2, du traité pour l’adoption des décisions que le Conseil est appelé à prendre sur proposition de la Commission. Lors des votes au sein du comité, les voix des représentants des États membres sont affectées de la
pondération définie à l’article précité. Le président ne prend pas part au vote.
3. La Commission arrête, sans préjudice de l’article 8, des mesures qui sont immédiatement applicables. Toutefois, si elles ne sont pas conformes à l’avis émis par le comité, ces mesures sont aussitôt communiquées par la Commission au Conseil. Dans ce cas, la Commission peut différer l’application des mesures décidées par elle pour une période à préciser dans chaque acte de base, mais qui ne dépasse en aucun cas trois mois à compter de la date de cette communication.
4. Le Conseil, statuant à la majorité qualifiée, peut prendre une décision différente pendant la période prévue au paragraphe 3.
Article 5
Procédure de réglementation
1. La Commission est assistée par un comité de réglementation composé des représentants des États membres et présidé par le représentant de la Commission.
2. Le représentant de la Commission soumet au comité un projet des mesures à prendre. Le comité émet son avis sur ce projet dans un délai que le président peut fixer en fonction de l’urgence de la question en cause. L’avis est émis à la majorité prévue à l’article 205, paragraphe 2, du traité pour l’adoption des décisions que le Conseil est appelé à prendre sur proposition de la Commission. Lors des votes au sein du comité, les voix des représentants des États membres sont affectées de la
pondération définie à l’article précité. Le président ne prend pas part au vote.
3. La Commission arrête, sans préjudice de l’article 8, les mesures envisagées lorsqu’elles sont conformes à l’avis du comité.
4. Lorsque les mesures envisagées ne sont pas conformes à l’avis du comité, ou en l’absence d’avis, la Commission soumet sans tarder au Conseil une proposition relative aux mesures à prendre et en informe le Parlement européen.
5. Si le Parlement européen considère qu’une proposition présentée par la Commission en vertu d’un acte de base adopté selon la procédure prévue à l’article 251 du traité excède les compétences d’exécution prévues dans cet acte de base, il informe le Conseil de sa position.
6. Le Conseil peut, le cas échéant à la lumière de cette position éventuelle, statuer à la majorité qualifiée sur la proposition, dans un délai qui sera fixé dans chaque acte de base, mais qui ne saurait en aucun cas dépasser trois mois à compter de la saisine du Conseil.
Si, dans ce délai, le Conseil a indiqué, à la majorité qualifiée, qu’il s’oppose à la proposition, la Commission réexamine celle-ci. Elle peut soumettre au Conseil une proposition modifiée, soumettre à nouveau sa proposition ou présenter une proposition législative sur la base du traité.
Si, à l’expiration de ce délai, le Conseil n’a pas adopté les mesures d’application proposées ou s’il n’a pas indiqué qu’il s’opposait à la proposition de mesures d’application, les mesures d’application proposées sont arrêtées par la Commission.»
C – Le règlement Forest Focus
8. Le règlement Forest Focus a été arrêté sur le fondement de l’article 175, paragraphe 1, CE.
9. Aux termes de son article 1^er, le règlement Forest Focus «[…] établit une action communautaire permettant une surveillance étendue, harmonisée, globale et à long terme de l’état des forêts (ci-après dénommée “action”) en vue:
a) de poursuivre et développer:
– la surveillance de la pollution atmosphérique et des effets de la pollution atmosphérique et d’autres agents et facteurs qui ont un impact sur les forêts, tels que les facteurs biotiques et abiotiques et les facteurs d’origine anthropique,
– la surveillance des incendies de forêt et de leurs causes et effets,
– la prévention des incendies de forêt;
b) d’apprécier les besoins en matière de surveillance des sols, du piégeage du carbone, des incidences des changements climatiques, de la biodiversité et des fonctions de protection des forêts et de développer cette surveillance;
c) d’évaluer en permanence l’efficacité des activités de surveillance en ce qui concerne l’appréciation de l’état des forêts et le développement des activités de surveillance.
L’action fournira des informations et des données fiables et comparables sur l’état des forêts ainsi que sur les facteurs qui ont des conséquences néfastes sur les forêts au niveau communautaire. Elle permettra également d’évaluer les mesures actuelles visant à promouvoir la conservation et la protection des forêts dans l’intérêt du développement durable, et plus particulièrement les mesures prises pour atténuer les effets néfastes que subissent les forêts. Cette action tiendra compte des mécanismes
de surveillance existants ou envisagés aux niveaux national, européen et mondial, en s’articulant le cas échéant sur ces mécanismes, et sera conforme aux accords internationaux pertinents.»
10. L’article 2, paragraphe 1, du règlement dispose:
«L’action prévoit la mise en place de mesures destinées à:
a) promouvoir la collecte, le traitement et la validation harmonisés de données;
b) améliorer l’évaluation des données et promouvoir l’évaluation intégrée des données au niveau communautaire;
c) améliorer la qualité des données et informations recueillies dans le cadre de l’action;
d) continuer à développer les activités de surveillance établies dans le cadre de l’action;
e) améliorer la compréhension des forêts et, notamment, des incidences des contraintes naturelles et anthropiques qu’elles subissent;
f) étudier la dynamique des incendies de forêt ainsi que leurs causes et leur impact sur les forêts;
g) développer des indicateurs ainsi que des méthodologies pour l’évaluation des risques concernant les multiples contraintes que subissent les forêts dans le temps et l’espace.»
11. Le vingt-quatrième considérant se lit comme suit:
«Il y a lieu d’arrêter les mesures de portée générale nécessaires à la mise en œuvre du présent règlement en conformité avec la [deuxième décision comitologie].»
12. L’article 17, paragraphe 2, dont la Commission sollicite l’annulation dispose:
«Dans le cas où il est fait référence au présent paragraphe, les articles 5 et 7 de la décision 1999/468/CE du Conseil s’appliquent, dans le respect des dispositions de l’article 8 de celle-ci.
La période prévue à l’article 5, paragraphe 6, de la décision 1999/468/CE est fixée à deux mois.»
13. Les dispositions du règlement Forest Focus auxquelles renvoie l’article 17, paragraphe 2, comportent les actions suivantes:
– la poursuite et le développement des activités d’observation déjà établies dans le règlement (CEE) n° 3528/86 du Conseil, du 17 novembre 1986, relatif à la protection des forêts dans la Communauté contre la pollution atmosphérique (6), et le règlement (CEE) n° 2158/92 du Conseil, du 23 juillet 1992, relatif à la protection des forêts dans la Communauté contre les incendies (7) (articles 4 et 5);
– la réalisation d’études, d’expériences, de projets de démonstration, d’essais sur la base de projets pilotes afin de poursuivre, en coopération avec les États membres, le développement de l’action (articles 6 et 7);
– l’adoption de modalités d’approbation par la Commission de programmes nationaux qui mettent les activités en œuvre et la fixation des contributions financières aux dépenses des programmes susceptibles de bénéficier d’une subvention (article 8);
– la mise en place par la Commission d’un groupe scientifique consultatif qui assiste le comité permanent forestier dans la préparation de ses travaux, notamment en ce qui concerne le développement de l’action visé à l’article 6 (article 9);
– l’amélioration, pour garantir la comparabilité des données, des manuels actuels dans lesquels sont précisés les paramètres obligatoires et facultatifs, les méthodes de surveillance ainsi que les formats à utiliser pour la transmission des données (articles 10 et 15);
– l’approbation par la Commission des organes désignés par les États membres et qui sont compétents pour gérer les activités prévues dans les programmes nationaux approuvés et le contrôle de la gestion du financement communautaire (article 14);
– la définition de lignes directrices concernant l’établissement et la périodicité des rapports que chaque État membre doit établir sur la situation nationale (article 16);
14. Aux termes de l’article 12, l’action est mise en place pour une durée de quatre ans, du 1^er janvier 2003 au 31 décembre 2006.
15. L’article 13 établit l’enveloppe financière pour l’exécution de l’action pour la période 2003-2006 à 61 millions d’euros, dont 9 millions d’euros peuvent être utilisés au titre des mesures de prévention des incendies. Les règles relatives aux aspects financiers ne prévoient pas de procédure spécifique pour l’adoption de mesures de mise en œuvre.
16. La Commission a fait la déclaration suivante lors de l’adoption du règlement Forest Focus (8):
«La Commission prend acte de l’accord auquel sont parvenus le Parlement européen et le Conseil en deuxième lecture sur la proposition de règlement concernant la surveillance des forêts et des interactions environnementales dans la Communauté (Forest Focus).
La Commission se doit néanmoins de rappeler la déclaration qu’elle a faite lors de l’adoption de la position commune dans les termes ci-après:
La Commission prend acte de ce que le règlement du Parlement européen et du Conseil prévoit une procédure de réglementation pour la mise en œuvre des mesures décrites dans la proposition, et non la procédure de gestion proposée par la Commission.
Compte tenu de l’arrêt de la Cour de justice du 21 janvier 2003 portant sur le règlement (CE) nº 1655/2000 [du Parlement européen et du Conseil, du 17 juillet 2000,] concernant un instrument financier pour l’environnement (LIFE) (9), la Commission tient à rappeler qu’il est essentiel de respecter les critères de l’article 2 de la décision 1999/468/CE du Conseil, du 28 juin 1999, fixant les modalités de l’exercice des compétences d’exécution conférées à la Commission.
Étant donné que les mesures exposées dans la proposition portent sur la mise en œuvre de programmes ayant des implications budgétaires importantes, la Commission est d’avis qu’elles doivent être adoptées par le biais de la procédure de gestion. Les mesures étant véritablement propres au programme, elles n’ont pas une portée générale et elles ne visent pas à mettre en application, à adapter ou à mettre à jour des éléments de l’instrument considéré. La Commission estime, pour ces différentes raisons,
que le recours à la procédure de réglementation n’est pas approprié.
Conformément à l’arrêt de la Cour de justice mentionné ci-dessus, le choix d’une procédure, lorsqu’il ne respecte pas les critères dont il devrait s’inspirer en vertu de l’article 2 de la décision du Conseil relative à l’exercice des compétences d’exécution conférées à la Commission, doit être clairement motivé.
La Commission estime que, dans le cas présent, le libellé du considérant qui précise la procédure de comitologie à suivre ne suffit pas à justifier que l’on s’écarte des critères figurant dans la décision du Conseil.
La Commission se réserve par conséquent le droit de recourir aux moyens juridiques dont elle dispose.»
III – Procédure
17. Le recours a été enregistré au greffe de la Cour le 5 mars 2004.
18. La Commission conclut à ce qu’il plaise à la Cour:
– annuler l’article 17, paragraphe 2, du règlement Forest Focus, en tant qu’il soumet l’adoption des mesures de mise en œuvre du programme Forest Focus à la procédure de réglementation, prévue à l’article 5 de la seconde décision comitologie;
– maintenir les effets du règlement susmentionné jusqu’à sa modification, à intervenir dans les plus brefs délais à la suite de l’arrêt de la Cour;
– condamner les parties défenderesses aux dépens.
19. Le Conseil conclut au non-fondement du recours et à la condamnation de la Commission aux dépens.
20. Le Parlement conclut au rejet du recours et à la condamnation de la Commission aux dépens.
21. Par ordonnance du 15 juillet 2004, le président de la Cour a autorisé le Royaume d’Espagne et la République de Finlande à intervenir au soutien des conclusions du Parlement et du Conseil. Une audience de plaidoiries s’est tenue le 30 juin 2005.
IV – Appréciation
A – Observation préalable
22. Il ressort de ce que nous avons déjà indiqué dans nos observations introductives que le recours de la Commission devra s’apprécier au vu des réponses à deux ou trois questions.
23. Pour commencer, il faudra répondre à la question de la délimitation réciproque des champs d’application de la procédure de gestion et de la procédure de réglementation. On devra ensuite examiner si les règles de mise en œuvre de l’action Forest Focus mise en place dans le règlement Forest Focus revêtent un caractère de gestion ou de réglementation. Dans ce dernier cas, le Parlement et le Conseil ont choisi la bonne procédure et la Commission échoue dès lors pour cette raison dans son recours.
S’il devait apparaître en revanche que les règles de mise en œuvre de l’action revêtent par leur nature et leur finalité un caractère de gestion, on devra alors répondre en définitive à la question de savoir si le Parlement et le Conseil ont dûment motivé leur choix de la procédure de réglementation en dépit du caractère de gestion de l’action.
B – Procédure de gestion ou procédure de réglementation: les critères du choix
24. Il est frappant de voir que ni dans leurs mémoires écrits ni dans leurs plaidoiries les parties n’ont abordé en termes généraux la délimitation réciproque des champs d’application de la procédure de gestion et de la procédure de réglementation, alors que la réponse à cette question a une incidence essentielle sur la réponse à la suite des questions. Dans un certain sens, elles ont pris position en suivant leur conception du choix qu’elles estimaient être indiqué pour les mesures de mise en
œuvre en cause.
25. Il se trouve que le texte de l’article 2 de la seconde décision comitologie fournit de précieuses indications sur la délimitation nécessaire, même si l’on n’y trouve pas de définitions exhaustives.
26. Là où l’article 2, sous a), de la seconde décision comitologie évoque des «mesures de gestion» telles que celles relatives à l’application de la politique agricole commune ou celles relatives à la mise en œuvre de programmes ayant des incidences budgétaires notables, on peut déduire de ces termes que les mesures en question conviennent surtout à des actions de gestion ou à des programmes dont la mise en œuvre a un caractère graduel tendant vers un ou plusieurs objectifs de fond dont la
réalisation est financée par des moyens inscrits la plupart du temps dans le budget communautaire. Les règles de mise en œuvre peuvent avoir une portée générale, mais elles sont subordonnées à l’action ou au programme pour la réalisation desquels elles sont conçues. Elles deviennent caduques à l’issue de l’action ou du programme. Dans ce type de règles, on peut songer aux dispositions qui s’adressent à des États membres et à des particuliers qui veulent participer à une telle action ou à un tel
programme ou à des clefs de répartition des moyens liés à un programme.
27. Là où l’article 2, sous b), de la seconde décision comitologie évoque des «mesures de portée générale visant à mettre en application les éléments essentiels d’un acte de base, y compris les mesures concernant la protection de la santé ou de la sécurité des personnes, des animaux ou des plantes», on doit déduire des termes choisis que l’acte de base même est déjà réputé avoir un contenu normatif ou une portée normative et que les actes d’exécution peuvent lier des personnes physiques et
morales. L’absence de termes susceptibles de renvoyer à une certaine dynamique dans l’exécution montre qu’il s’agit de mesures ayant un caractère réglementaire.
C – L’action Forest Focus: la nature des règles de mise en œuvre
28. La Commission, d’une part, le Conseil et le Parlement ainsi que les gouvernements espagnol et finlandais, d’autre part, adoptent des positions opposées dans leur réponse à la question de la nature des règles de mise en œuvre de l’action Forest Focus.
29. La Commission affirme que les dispositions ont la nature de mesures de gestion mettant en œuvre un programme d’action. Pour étayer son propos, elle renvoie à différentes dispositions du règlement Forest Focus, telles que les articles 4 à 8 et les articles 10, 15 et 16. Elle déduit de ces dispositions que les mesures d’exécution qu’elle doit prendre sont des mesures de mise en œuvre du programme d’action Forest Focus et des mesures qui y sont étroitement liées. Il ressort en plus du fait que le
règlement prévoit un cofinancement par la Communauté des programmes prévus dans l’acte de base pouvant avoir des incidences budgétaires notables que c’est la procédure de gestion qui aurait dû être choisie pour les règles de mise en œuvre.
30. Les parties défenderesses ainsi que les gouvernements espagnol et finlandais estiment que les règles de mise en œuvre de l’action Forest Focus sont de nature réglementaire. À l’appui de cette allégation, elles invoquent le vingt-quatrième considérant, qui indique que les mesures nécessaires à la mise en œuvre du règlement ont une portée générale (10). Le Conseil ajoute que les mesures couvrent des situations objectivement définies sans limitation dans le temps et ont des conséquences
juridiques pour des catégories de personnes désignées de manière générale et abstraite. De plus, l’objectif du règlement Forest Focus – la protection des forêts – correspond à la lettre et à l’esprit de l’article 2, sous b), de la seconde décision comitologie, à savoir la protection des plantes.
31. Dans leurs observations, les parties renvoient à des dispositions particulières du règlement Forest Focus qui montreraient que les règles de mise en œuvre ont un caractère de gestion ou de réglementation. Toutefois, pour résoudre la question d’interprétation qui se pose ici, il ne convient pas tant de s’attacher à la teneur de dispositions particulières de mise en œuvre, mais à l’économie et à l’objectif du règlement.
32. Le règlement Forest Focus établit une action communautaire permettant une surveillance étendue, harmonisée, globale et à long terme de l’état des forêts. L’action consiste en un certain nombre d’activités visant à favoriser l’échange d’informations sur l’état des forêts dans la Communauté et sur les facteurs de dégradation et à permettre d’évaluer les mesures en cours de conservation et de protection des forêts dans une perspective de développement durable en prêtant une attention particulière
aux initiatives limitant la dégradation des forêts.
33. Le règlement précise les activités que comporte l’action et établit des règles détaillées pour sa mise en œuvre. La Commission est chargée de la coordination, de la surveillance et du développement de l’action.
34. L’action consiste, d’une part, en activités concrètes dans le droit fil de deux actions qui ont déjà été accomplies, l’action de protection des forêts dans la Communauté contre la pollution atmosphérique et l’action de protection des forêts dans la Communauté contre les incendies (articles 4 et 5). D’autre part, l’action consiste en activités qui doivent être développées et exécutées par la Commission, en coopération avec les États membres, pour réaliser les objectifs visés à l’article 1^er
(articles 6 et 7).
35. Le caractère programmatique, graduel et de gestion des activités régies aux articles 5 à 7 ressort, sinon de la finalité et de la teneur de ces activités, du moins de la terminologie utilisée à leur endroit:
– c’est ainsi que les articles 4, sous a) et b), et 5, paragraphe 1, évoquent des réseaux et un système d’information qui doivent être développés plus avant;
– l’article 6, paragraphe 1, vise le développement de l’action par des études, des expériences et des projets de démonstration pour améliorer la connaissance de l’état des forêts;
– l’article 7 évoque la coopération entre la Commission et les États membres en vue de promouvoir et d’améliorer la collecte et l’évaluation de données.
36. D’après l’article 8, les activités de surveillance et la collecte de données ainsi que les études, les expériences et les projets de démonstration sont accomplis par les États membres dans le cadre de programmes nationaux biennaux. Il appartient à la Commission d’approuver ces programmes nationaux et d’en faire rapport au comité permanent forestier. Le règlement comporte en plus d’autres prescriptions précisant les suites de la mise en œuvre des activités, l’envoi, la diffusion et le
traitement des données, la gestion de la contribution communautaire et le compte-rendu à faire des différentes activités d’évaluation. Là aussi le caractère graduel et de gestion des activités de la Commission ressort incontestablement du texte du règlement.
37. Le règlement arrête les moyens financiers pour toute la durée du programme – quatre ans, du 1^er janvier 2003 au 31 décembre 2006 inclus. Les bénéficiaires éventuels du soutien financier sont désignés à l’article 12, qui fixe le taux de financement maximal par activité. D’autres critères de gestion et de contrôle de la contribution communautaire sont ensuite arrêtés.
38. L’article 14 revêt encore une signification particulière quand on le rapproche des dispositions financières et de fond des articles 12 et 13 qui confèrent, par excellence, à l’objet du règlement la qualité de programme ayant des incidences budgétaires. Les dispositions de cet article définissent les obligations procédurales des États membres concourant à une gestion conforme et efficace des contributions communautaires. Les autres règles régissant l’exécution de ces obligations, prévues à
l’article 14, paragraphe 5, ne peuvent pas avoir d’autre portée qu’une portée de gestion au vu de la teneur et des termes explicites des paragraphes précédents de cet article. Le fait qu’elles encadrent uniformément l’intervention des États membres dans l’engagement des moyens communautaires n’enlève rien à la portée programmatique et de gestion.
39. Il découle de ce qui précède que les règles de mise en œuvre de l’action Forest Focus mise en place dans le règlement Forest Focus ont un caractère de gestion. L’action comporte un certain nombre d’activités qui sont exécutées pour réaliser les objectifs décrits à l’article 1^er du règlement. Ces activités consistent en la surveillance des forêts, la collecte des données qui en ressort et l’évaluation de ces données. Le règlement donne des indications claires, spécifiques et orientées sur
l’action pour mettre cette action en œuvre.
40. L’action a un caractère graduel. Cette action poursuit deux actions accomplies. L’action actuelle a une durée de quatre ans et, après évaluation de l’action, une décision est prise sur la poursuite de ces activités après 2006 (article 18). L’évaluation permet d’améliorer encore le système de surveillance de l’état des forêts et la poursuite de l’action garantit la continuité des activités de surveillance.
41. On doit constater au vu de ce qui précède que les mesures que la Commission peut arrêter en vertu des compétences d’exécution qui lui sont conférées par le règlement Forest Focus, sont des mesures de gestion au sens de l’article 2, sous a), de la seconde décision comitologie.
D – Respect de l’obligation de motiver
42. La Commission affirme que le règlement Forest Focus n’est pas dûment motivé quant au choix de la procédure de comité et que le vingt-quatrième considérant, qui indique que les règles ultérieures de mise en œuvre sont des mesures de portée générale (11), ne suffit pas à conclure que le règlement est motivé à suffisance sur ce point.
43. Le Conseil et le Parlement, ainsi que le gouvernement espagnol et finlandais, exposent que le législateur communautaire a suffisamment motivé son choix pour un comité de réglementation dans le vingt-quatrième considérant.
44. Le vingt-quatrième considérant indique qu’il y a lieu d’arrêter les mesures de portée générale nécessaires à la mise en œuvre du règlement Forest Focus en conformité avec la seconde décision comitologie.
45. Nous relevons ceci à cet égard. La réponse à la deuxième question (voir le point 23) étant que les critères de la seconde décision comitologie désignent la procédure de gestion pour les mesures de mise en œuvre du règlement Forest Focus, le choix de la procédure de réglementation doit être explicitement motivé dans les considérants du règlement. Cela découle des points 52 à 62 de l’arrêt LIFE (12).
46. Considéré sous cet angle, le vingt-quatrième considérant est insuffisant. Pour autant que l’on puisse y lire une motivation – dans les autres versions linguistiques que la version en langue néerlandaise –, cette motivation est fondée sur l’idée que les mesures sont qualifiées de mesures de portée générale alors que, ainsi que nous l’avons déjà exposé plus haut, le fait que les mesures de mise en œuvre sont de portée générale ne suffit pas, en tant que tel, à conclure de recourir «en
conséquence» à la procédure de réglementation.
47. De surcroît, les mesures de mise en œuvre devant être avant tout qualifiées, au vu de leur contexte, de leur objet et de leurs termes, de mesures de gestion, le considérant se fonde sur une qualification manifestement erronée et est insuffisant pour justifier à lui seul la procédure de réglementation. La défense du Parlement et du Conseil ne résiste dès lors pas à l’examen.
48. À toutes fins utiles, nous relevons encore que le Parlement et le Conseil adoptent un point de vue entaché de contradiction interne sur la question de savoir si l’obligation de motiver a été respectée en l’espèce. Leur argument repose sur l’idée que, d’après la seconde décision comitologie, les mesures de mise en œuvre doivent être arrêtées selon la procédure de réglementation puisqu’elles ont une portée générale. La «motivation» reprise au vingt-quatrième considérant serait conforme à cette
idée. Toutefois, dès lors qu’il est établi que ce n’est pas la procédure de réglementation, mais la procédure de gestion qui est indiquée pour ces mesures de mise en œuvre, cette motivation perd son fondement, ce qui rend aussi la position du Parlement et du Conseil logiquement intenable.
49. Il découle de ce qui précède que l’article 17, paragraphe 2, doit être annulé en ce que le choix fait dans cette disposition pour la procédure de réglementation pour arrêter les mesures de mise en œuvre prévues dans ce règlement n’est pas dûment motivé.
E – La limitation des effets de l’annulation
50. À l’instar de ce qu’elle avait demandé dans son recours en annulation du règlement n° 1655/2000, qui a donné lieu à l’arrêt LIFE (13), la Commission demande aussi dans le présent recours de maintenir les effets du règlement Forest Focus jusqu’à la modification du règlement, qui devra intervenir aussi rapidement que possible après le prononcé du présent arrêt.
51. Pour des raisons de sécurité juridique, nous estimons qu’il y a lieu pour la Cour d’exercer la compétence que lui confère l’article 231, second alinéa, CE en indiquant les effets du règlement annulé qui doivent être considérés comme définitifs.
52. Par analogie avec le raisonnement que la Cour a suivi au point 76 de l’arrêt LIFE, cité à plusieurs reprises (14), nous suggérons à la Cour de déterminer que les mesures de mise en œuvre du règlement Forest Focus déjà arrêtées au jour du prononcé de l’arrêt ne seront pas affectées par l’arrêt et que les effets de l’article 17, paragraphe 2, du règlement Forest Focus seront intégralement maintenus jusqu’à ce que le Parlement et le Conseil aient arrêté de nouvelles dispositions relatives à la
procédure de comité à suivre pour adopter les mesures de mise en œuvre dudit règlement.
V – Dépens
53. Aux termes de l’article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La Commission ayant conclu à la condamnation du Parlement et du Conseil et ces derniers ayant succombé en leurs moyens, il y a lieu de les condamner aux dépens. Conformément à l’article 69, paragraphe 4, du même règlement, les États membres qui sont intervenus au soutien des conclusions du Parlement et du Conseil supportent leurs propres dépens.
VI – Conclusion
54. Par ces motifs, nous suggérons à la Cour:
– d’annuler l’article 17, paragraphe 2, du règlement (CE) n° 2152/2003 du Parlement européen et du Conseil, du 17 novembre 2003, concernant la surveillance des forêts et des interactions environnementales dans la Communauté (Forest Focus), en tant qu’il soumet l’adoption des mesures de mise en œuvre du programme Forest Focus à la procédure de réglementation prévue à l’article 5 de la décision 1999/468/CE du Conseil, du 28 juin 1999, fixant les modalités de l’exercice des compétences
d’exécution conférées à la Commission;
– de maintenir les effets du règlement partiellement annulé jusqu’à ce qu’une nouvelle règle soit adoptée sur ce point;
– de condamner le Parlement européen et le Conseil de l’Union européenne aux dépens;
– de condamner le Royaume d’Espagne et la République de Finlande à supporter leurs propres dépens.
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1 – Langue originale: le néerlandais.
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2 – JO L 324, p. 1.
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3 – JO L 184, p. 23.
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4 – Arrêt du 21 janvier 2003, Commission/Parlement et Conseil (C-378/00, Rec. p. I‑937).
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5 – JO L 197, p. 33.
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6 – JO L 326, p. 2 Règlement modifié en dernier lieu par le règlement (CE) n° 804/2002 du Parlement européen et du Conseil, du 15 avril 2002 (JO L 132, p. 1).
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7 – JO L 217, p. 3 Règlement modifié en dernier lieu par le règlement (CE) n° 805/2002 du Parlement européen et du Conseil, du 15 avril 2002 (JO L 132, p. 3).
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8 – Document n° 14402/03 ADD1.
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9 – Voir note 4 (JO L 192, p. 1).
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10 – Les mots «portée générale» ne figurent pas dans la version en langue néerlandaise du règlement Forest Focus.
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11 – Voir note 10.
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12 – Précité à la note 4.
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13 – Précité note 4.
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14 – Voir notes 4, 12 et 13.