CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL
M. L. A. GEELHOED
présentées le 25 mars 2004(1)
Affaire C-280/02
Commission des Communautés européennes
contre
République française
«Manquement d'État – Directive 91/271/CEE – Article 5 – Traitement des eaux urbaines résiduaires»
I – Introduction
1. En engageant le présent recours en manquement, la Commission des Communautés européennes entendait obtenir de la Cour qu’elle constate que la République française a manqué à un certain nombre d’obligations qui lui incombaient en vertu de la directive 91/271/CEE du Conseil, du 21 mai 1991, relative au traitement des eaux urbaines résiduaires (2) (ci‑après la «directive»). La gardienne des traités fait grief à la République française de n’avoir pas identifié certaines zones des bassins de
Seine‑Normandie, de Loire‑Bretagne, d’Artois‑Picardie et de Rhône‑Méditerranée‑Corse comme étant sensibles au phénomène d’eutrophisation. Elle lui reproche en second lieu de n’avoir pas soumis à un traitement plus rigoureux les rejets d’eaux urbaines résiduaires des agglomérations ayant un équivalent habitant de plus de 10 000 dans des zones sensibles ou qui auraient dû être identifiées comme telles.
II – Dispositions applicables
2. Aux termes de son article 1^er, la directive concerne la collecte, le traitement et le rejet des eaux urbaines résiduaires ainsi que le traitement et le rejet des eaux usées provenant de certains secteurs industriels. Elle a pour objet de protéger l’environnement contre une détérioration due aux rejets des eaux résiduaires.
3. L’article 2 de la directive contient notamment les définitions suivantes:
«1)
‘eaux urbaines résiduaires’: les eaux ménagères usées ou le mélange des eaux ménagères usées avec des eaux industrielles usées et/ou des eaux de ruissellement;
2)
‘eaux ménagères usées’: les eaux usées provenant des établissements et services résidentiels et produites essentiellement par le métabolisme humain et les activités ménagères;
3)
‘eaux industrielles usées’: toutes les eaux usées provenant de locaux utilisés à des fins commerciales ou industrielles, autres que les eaux ménagères usées et les eaux de ruissellement;
4)
‘agglomération’: une zone dans laquelle la population et/ou les activités économiques sont suffisamment concentrées pour qu'il soit possible de collecter les eaux urbaines résiduaires pour les acheminer vers une station d'épuration ou un point de rejet final;
5)
‘système de collecte’: un système de canalisations qui recueille et achemine les eaux urbaines résiduaires;
6)
‘un équivalent habitant (EH)’: la charge organique biodégradable ayant une demande biochimique d'oxygène en cinq jours (DB05) de 60 grammes d'oxygène par jour;
[…]
8)
‘traitement secondaire’: le traitement des eaux urbaines résiduaires par un procédé comprenant généralement un traitement biologique avec décantation secondaire ou par un autre procédé permettant de respecter les conditions du tableau 1 de l'annexe I;
[…]
11)
‘eutrophisation’: l'enrichissement de l'eau en éléments nutritifs, notamment des composés de l'azote et/ou du phosphore, provoquant un développement accéléré des algues et des végétaux d'espèces supérieures qui entraîne une perturbation indésirable de l'équilibre des organismes présents dans l'eau et une dégradation de la qualité de l'eau en question;
[…]»
4. Le texte de l’article 5, paragraphes 1, 2 et 5, premier alinéa, de la directive est le suivant:
«1. Aux fins du paragraphe 2, les États membres identifient, pour le 31 décembre 1993, les zones sensibles sur la base des critères définis à l'annexe II.
2. Les États membres veillent à ce que les eaux urbaines résiduaires qui entrent dans les systèmes de collecte fassent l'objet, avant d'être rejetées dans des zones sensibles, d'un traitement plus rigoureux que celui qui est décrit à l'article 4, et ce au plus tard le 31 décembre 1998 pour tous les rejets provenant d'agglomérations ayant un EH de plus de 10 000.
[…]
5. Pour les rejets des stations d'épuration d'eaux urbaines qui sont situées dans les bassins versants pertinents des zones sensibles et qui contribuent à la pollution de ces zones, les paragraphes 2, 3 et 4 sont applicables.»
5. La définition des «zones sensibles» au sens de la directive figure au point A. de l’annexe II de la directive. Cette annexe II, qui est intitulée «Critères d’identification des zones sensibles et moins sensibles», dispose ce qui suit:
«Une masse d'eau doit être identifiée comme zone sensible si elle appartient à l'un des groupes ci-après:
a)
Lacs naturels d'eau douce, autres masses d'eau douce, estuaires et eaux côtières, dont il est établi qu'ils sont eutrophes ou pourraient devenir eutrophes à brève échéance si des mesures de protection ne sont pas prises.
Il pourrait être tenu compte des aspects ci-après lors de l'examen des éléments nutritifs à réduire par un traitement complémentaire:
i)
lacs et cours d'eau débouchant dans des lacs/bassins de retenue/baies fermées où il est établi que l'échange d'eau est faible, ce qui peut engendrer un phénomène d'accumulation. Il convient de prévoir une élimination du phosphore dans ces zones, à moins qu'il ne puisse être démontré que cette élimination sera sans effet sur le niveau d'eutrophisation. Il peut également être envisagé d'éliminer l'azote en cas de rejets provenant de grandes agglomérations;
ii)
estuaires, baies et autres eaux côtières où il est établi que l'échange d'eau est faible, ou qui reçoivent de grandes quantités d'éléments nutritifs. Les rejets provenant des petites agglomérations sont généralement de peu d'importance dans ces zones, mais, en ce qui concerne les grandes agglomérations, l'élimination du phosphore et/ou de l'azote doit être prévue, à moins qu'il ne soit démontré que cette élimination sera sans effet sur le niveau d'eutrophisation.
b)
Eaux douces de surface destinées au captage d'eau potable et qui pourraient contenir une concentration de nitrates supérieure à celle prévue par les dispositions pertinentes de la directive 75/440/CEE du Conseil, du 16 juin 1975, concernant la qualité requise des eaux superficielles destinées à la production d'eau alimentaire dans les États membres ^[ (3) ^], si des mesures ne sont pas prises.
c)
Zones pour lesquelles un traitement complémentaire au traitement prévu à l'article 4 de la présente directive est nécessaire pour satisfaire aux directives du Conseil.»
III – La procédure précontentieuse
6. Après avoir échangé une correspondance abondante avec les autorités françaises à propos de la mise en œuvre de la directive, la Commission a adressé au gouvernement français, le 22 octobre 1999, une lettre de mise en demeure dans laquelle elle attirait son attention sur un certain nombre de manquements. Mécontente des réponses, jugées insuffisantes, que la République française lui a fournies, la Commission lui a adressé, le 10 avril 2001, un avis motivé, auquel, selon la Commission, cet
État membre n’a pas réagi comme il aurait dû. La gardienne des traités a dès lors engagé le présent recours en manquement le 30 juillet 2002.
7. Elle a conclu à ce qu’il plaise à la Cour constater:
–
qu’à n’avoir pas identifié certaines zones des bassins de Seine‑Normandie, de Loire‑Bretagne, d’Artois‑Picardie et de Rhône‑Méditerranée‑Corse comme étant des zones sensibles au phénomène d’eutrophisation et
–
qu’à n’avoir pas soumis à un traitement plus rigoureux les rejets d’eaux urbaines résiduaires des agglomérations ayant un équivalent habitant de plus de 10 000 dans des zones sensibles ou qui auraient dû être identifiées comme telles,
la République française a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 5, paragraphes 1 et 2, de la directive.
8. La République française a conclu au rejet du premier moyen sauf en ce qui concerne la désignation de la rivière Vistre. Quant au second moyen, elle a également conclu à son rejet, sauf en ce qui concerne certaines agglomérations situées dans des zones sensibles où certains rejets d’eaux urbaines résiduaires n’ont pas encore été soumis à un traitement plus rigoureux.
IV – L’objet du litige
9. Le présent recours est fondé sur deux moyens, dont le premier se divise en deux branches. La première porte sur l’interprétation de la notion d’«eutrophisation» et la seconde sur la désignation insuffisante des zones sensibles. Le second moyen est déduit du défaut de la République française de soumettre à un traitement plus rigoureux les rejets d’eaux urbaines résiduaires des agglomérations comptant plus de 10 000 habitants.
V – Le premier moyen: la notion d’eutrophisation et la désignation des zones sensibles
A – Notion d’eutrophisation
Observations des parties
10. La définition qui figure à l’article 2, point 11, de la directive comporte quatre éléments qui, réunis, constituent la notion d’eutrophisation. Ces éléments sont les suivants:
1)
un enrichissement de l’eau en éléments nutritifs, notamment des composés de l’azote et du phosphore;
2)
cet enrichissement provoque un développement accéléré des algues et des végétaux d’espèces supérieures;
3)
ce développement accéléré entraîne une perturbation indésirable de l’équilibre des organismes présents dans l’eau et
4)
une dégradation de la qualité de l’eau en question.
11. Les parties s’entendent à reconnaître que la directive établit un lien causal entre le premier et le deuxième critère ainsi qu’entre le deuxième et les troisième et quatrième.
12. Le gouvernement français souligne à ce propos que ces éléments sont cumulatifs. La seule présence d’un ou deux de ceux‑ci ne suffit pas à démontrer qu’une masse d’eau est frappée d’eutrophisation: il faut encore prouver que les autres éléments de la notion d’eutrophisation, étroitement liés les uns aux autres, sont également réunis.
13. La Commission et le gouvernement français sont divisés sur l’interprétation qu’il convient de donner au troisième élément, à savoir «une perturbation indésirable de l’équilibre des organismes présents dans l’eau». La Commission reproche à la République française d’adopter une approche trop restrictive de cette notion, car elle estime qu’il y a perturbation de l’équilibre non seulement lorsque certaines espèces végétales disparaissent ou régressent, mais également lorsqu’une seule espèce
prolifère sans influencer la stabilité des autres.
14. La République française lui rétorque qu’aussi longtemps que l’équilibre entre les autres organismes présents dans l’eau n’est pas perturbé, la prolifération d’une seule espèce végétale est insuffisante pour conclure à une perturbation non souhaitable de l’équilibre entre les différents organismes. Elle lui fait grief également de n’avoir pas dûment expliqué pourquoi certains phénomènes doivent être jugés indésirables.
15. Dans sa réplique, la Commission se réfère à divers ouvrages qui décrivent les effets indésirables d’un enrichissement de l’eau en éléments nutritifs, enrichissement entraînant le développement accéléré des algues et des végétaux d’espèces supérieures. Ces effets non souhaitables peuvent prendre la forme d’une rupture des chaînes alimentaires dans un écosystème, la perturbation de l’équilibre entre les différentes espèces et une diminution de la quantité d’oxygène dans l’eau. La
prolifération de certaines algues dans l’eau a pour effet de troubler celle‑ci et de la rendre opaque, de sorte que la lumière ne pénètre plus jusqu’au fond, ce qui entraîne la disparition de certaines plantes aquatiques. De même, certaines algues vireuses peuvent apparaître et provoquer l’empoisonnement des coquillages, ce qui entraîne une mortalité accrue des poissons et représente un danger pour la santé humaine.
Appréciation
16. Il convient tout d’abord d’observer qu’ainsi qu’il ressort du troisième et du huitième considérant de l’exposé des motifs et de l’article 1^er, la directive vise à protéger l’environnement contre les suites néfastes des rejets d’eaux résiduaires d’origine urbaine (et industrielle).
17. Dans le quatrième considérant de l’exposé des motifs de la directive, le législateur communautaire a déclaré qu’il est nécessaire d’imposer un traitement plus rigoureux dans les zones sensibles. Il résulte de l’article 5, paragraphes 1 et 2, de la directive que les États membres devaient se soumettre aux obligations suivantes:
–
ils devaient, avant le 31 décembre 1993, identifier les zones sensibles sur la base des critères définis à l’annexe II et
–
veiller à ce que les eaux urbaines résiduaires qui entrent dans les systèmes de collecte fassent l’objet, avant d’être rejetées dans des zones sensibles, d’un traitement plus rigoureux qu’un simple traitement secondaire ou équivalent.
18. L’annexe II, point A, de la directive définit les masses d’eaux qui doivent être désignées comme zones sensibles, à savoir:
–
les masses d’eau dont il est établi qu’elles sont eutrophes ou pourraient devenir eutrophes à brève échéance si des mesures de protection ne sont pas prises;
–
les eaux douces de surface destinées au captage d’eau potable et qui pourraient contenir une concentration de nitrates supérieure à celle prévue par la directive 75/440;
–
les zones pour lesquelles un traitement plus rigoureux qu’un simple traitement secondaire ou équivalent est nécessaire pour satisfaire aux directives du Conseil.
19. Les parties sont divisées sur la portée de la notion d’eutrophisation. La Commission prône une interprétation large alors que le gouvernement français adopte un point de vue plus restrictif. Cette différence d’approche s’exprime de deux manières dans les observations déposées par les parties. Le gouvernement français souligne le lien causal, nécessaire, selon lui, entre les différents éléments de la notion d’eutrophisation, alors que la Commission estime que la simple présence de ces quatre
éléments suffit pour déclarer qu’une eau est eutrophe. Les parties ne s’entendent pas davantage sur l’interprétation qu’il convient de donner au troisième élément de la définition. La Commission est encline à admettre plus rapidement que le gouvernement français que l’équilibre entre les différents organismes présents dans l’eau est perturbé.
20. La notion d’eutrophisation est déterminante pour le champ d’application de la directive. Comme je l’ai indiqué aux points 17 et 18 plus haut, les États membres ont l’obligation de désigner comme zones sensibles les masses d’eau dont il est établi qu’elles sont eutrophes ou pourraient le devenir à brève échéance si des mesures de protection ne sont pas prises. De surcroît, les eaux urbaines résiduaires qui s’écoulent dans des zones sensibles doivent être traitées de manière à filtrer une
grande partie des éléments nutritifs contenus dans ces eaux. Une telle épuration a pour but de rendre les masses d’eau moins sensibles à l’eutrophisation. Une interprétation large de la notion d’eutrophisation entraîne donc une augmentation du nombre des masses d’eau qui doivent être désignées comme zones sensibles.
21. L’interprétation correcte de la notion d’eutrophisation et le lien de causalité entre celle‑ci et la perturbation de l’équilibre de la vie aquatique doivent être déterminés non seulement sur la base des termes mêmes de l’article 2, point 11, de la directive, mais également en fonction de l’objectif et de l’organisation de celle‑ci.
22. Il résulte du texte, du système et de la portée de la directive que celle‑ci vise à combattre l’eutrophisation des eaux de surface par l’élimination des éléments nutritifs provenant des eaux résiduaires ménagères et urbaines afin d’empêcher toute dégradation de l’environnement. Un tel objectif impose d’interpréter la notion d’eutrophisation d’une manière qui permette d’empêcher que l’eau devienne impropre à l’usage en raison de la diminution de sa qualité ou, du moins, qu’elle le soit dans
une mesure moindre.
23. Il découle également de la portée de la directive que la notion d’eutrophisation ne doit pas être interprétée d’une manière trop restrictive. C’est ainsi qu’il résulte de l’annexe II, point A, de la directive que, si les masses d’eau eutrophes doivent être désignées comme zones sensibles, celles qui menacent de le devenir doivent l’être également.
24. La définition de la notion d’eutrophisation qui figure à l’article 2, point 11, de la directive comporte quatre éléments qui se rattachent les uns aux autres. Le premier élément est l’enrichissement de l’eau en éléments nutritifs, notamment des composés de l’azote ou du phosphore. Cet enrichissement provoque un développement accéléré des algues et des végétaux d’espèces supérieures. C’est le deuxième élément. Le troisième et le quatrième élément ont trait à la situation délétère qui résulte
des deux premiers, à savoir une perturbation indésirable de l’équilibre des organismes présents dans l’eau et une dégradation de la qualité de l’eau en question.
25. Cette définition suppose nécessairement un lien causal entre l’introduction d’éléments nutritifs dans le milieu aquatique et la dégradation de la qualité de l’eau. Les rejets d’eaux résiduaires ménagères apportent un excédent d’azote et de phosphore dans l’eau et créent ainsi un biotope plus riche en éléments nutritifs qui a un effet nuisible pour la vie aquatique. L’enrichissement de l’eau en éléments nutritifs entraîne une prolifération des plantes aquatiques, notamment des algues et
d’autres plantes microscopiques, ce qui peut provoquer un appauvrissement en oxygène et une augmentation de l’activité de certaines bactéries anaérobiques. De surcroît, la présence accrue d’algues dans l’eau peut rendre celle‑ci trouble et opaque, empêchant ainsi la lumière de pénétrer plus profondément dans l’eau, ce qui peut empêcher certaines espèces de poissons et d’autres organismes de vivre en pareil milieu. Le cumul de ces phénomènes entraîne un appauvrissement de la biodiversité d’une masse
d’eau déterminée.
26. Fort de tous ces éléments, je suis enclin à penser que le lien de causalité ne doit pas être démontré séparément. De la définition de la notion d’eutrophisation qui figure à l’article 2, point 11, de la directive, il résulte que ce lien est considéré comme établi.
27. Il faut alors se demander si l’on peut parler de perturbation indésirable de l’équilibre des organismes présents dans l’eau lorsque seule une variété prolifère tandis que l’effectif des autres demeure stable. Selon moi, il faut répondre affirmativement à cette question. J’ai déjà indiqué plus haut que la notion d’eutrophisation ne doit pas être interprétée de manière restrictive afin de ne pas compromettre l’objectif poursuivi par la directive. C’est pourquoi je considère qu’il n’est pas
important de savoir si la prolifération délétère concerne une seule ou plusieurs espèces. Ce qui est déterminant, c’est de savoir si la qualité de l’eau s’est détériorée par l’effet de facteurs exogènes, ce qui peut également être le cas lorsqu’une seule espèce connaît un développement excessif.
28. Que l’exemple suivant illustre mon propos. De l’eau envahie par des algues libérant des substances vireuses doit être considérée comme une eau de moindre qualité. En effet, le poison peut parvenir jusqu’à l’homme à travers la chaîne alimentaire, par exemple, s’il mange des moules qui l’aurait accumulé dans leur organisme. La composition biologique de l’eau s’est modifiée et sa qualité s’est détériorée bien que seule la variété d’algue vireuse se soit mise à proliférer. Les quatre éléments
de la notion d’eutrophisation sont donc réunis et une telle masse d’eau doit dès lors être déclarée eutrophe.
B – Désignation des zones sensibles
29. Comme elles ne parviennent pas à s’entendre sur l’interprétation qu’il convient de donner à la notion d’eutrophisation, les parties ne peuvent évidemment pas s’accorder sur la désignation des zones sensibles. La Commission fait grief au gouvernement français de les avoir désignées de manière incomplète.
30. La Commission estime que la République française a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 5, paragraphe 1, et de l’annexe II de la directive parce qu’elle a omis d’identifier les zones sensibles suivantes:
–
en Seine‑Normandie: la baie de Seine, la Seine et ses affluents en aval de sa confluence avec l’Andelle;
–
en Loire‑Bretagne: la rade de Lorient, l’estuaire de l’Elorn, les baies de Douarnenez et de Concarneau, le golfe du Morbihan et la baie de la Vilaine;
–
en Artois‑Picardie: les eaux littorales et, en ce qui concerne les eaux continentales, l’ensemble du réseau hydrographique compris entre, d’une part, l’Aa canalisée/Escaut et, d’autre part, la frontière belge, la Scarpe en aval d’Arras, le canal de Lens en aval de Lens et la Somme dans sa totalité;
–
en Rhône‑Méditerranée‑Corse: la rivière Vistre et l’étang de Thau.
31. La Commission considère qu’il est établi que ces masses d’eau sont eutrophes ou le seront à brève échéance.
En Seine‑Normandie: la baie de Seine
Observations des parties
32. La Commission considère qu’en ne désignant pas les eaux de la baie de Seine comme étant des eaux eutrophes au sens de la directive, la République française a enfreint l’article 5, paragraphe 1, et l’annexe II de la directive. Elle y signale notamment la présence excessive de l’algue dinophysis, qui est vireuse, et de l’algue phaeocystis, prolifération rendue possible par des apports d’éléments nutritifs dans la baie.
33. La Commission confirme dans la requête qu’une baisse significative de la teneur en oxygène n’a pas été enregistrée en baie de Seine grâce, principalement, aux forts courants de marée qui empêchent la baisse du taux d’oxygène dissous dans les fonds. La Commission souligne cependant que l’équilibre des organismes présents dans l’eau peut être perturbé et la qualité de l’eau dégradée même lorsque la teneur en oxygène de la masse d’eau n’est pas trop basse. De telles conséquences négatives
peuvent aussi être le fait de l’empoisonnement des moules par l’apparition de l’algue vireuse dinophysis ou le fait de l’écume provoquée par le mouvement des vagues lorsque l’eau contient l’algue phaeocystis.
34. Le gouvernement français estime, quant à lui, que l’eau de la baie de Seine n’est pas eutrophe au sens de la directive. S’il reconnaît que l’apparition de l’algue dinophysis a été constatée dans certaines zones, il rétorque cependant qu’il ne s’agit que de quantités négligeables. Il objecte également que la Commission n’a en aucune manière démontré que la présence de cette algue aurait entraîné une perturbation de l’équilibre des organismes présents dans l’eau et une dégradation de la
qualité de l’eau. En effet, aucune anoxie résultant d’un excédent d’algues n’a jamais été détectée en baie de Seine. Le gouvernement français conteste également l’existence d’un lien causal entre l’enrichissement de l’eau en éléments nutritifs et la prolifération des algues.
Appréciation
35. On constatera tout d’abord que, dans les mémoires qu’il a déposés devant la Cour, le gouvernement français a reconnu que les eaux de la baie de Seine connaissaient un enrichissement en éléments nutritifs et un développement accéléré des algues et des végétaux d’espèces supérieures. Il conteste cependant le lien causal entre ces deux éléments.
36. Comme je l’ai expliqué au point 24, la notion d’eutrophisation ne doit pas être interprétée de manière restrictive. Si des rejets d’eaux urbaines résiduaires provoquent une dégradation significative de la qualité de l’eau ou menacent de le faire, c’est que la zone dont il s’agit est une zone sensible qui doit être désignée en tant que telle. De l’eau dans laquelle prolifèrent des algues libérant des substances vireuses doit être considérée comme de l’eau dont la qualité est entamée. Comme
les autorités françaises ont reconnu la présence de l’algue dinophysis dans la baie de Seine et n’ont pas pu démontrer qu’il s’agit uniquement de quantités négligeables, il y a lieu de conclure que la République française a manqué à son obligation de désigner la baie de Seine comme étant une zone sensible.
En Seine‑Normandie: la Seine et ses affluents en aval de sa confluence avec l’Andelle
Observations des parties
37. La Commission fait grief au gouvernement français de ne pas avoir désigné comme zone sensible la Seine et ses affluents en aval de sa confluence avec l’Andelle. Elle se réfère en cela notamment à deux études de l’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer (Ifremer) dans lesquelles sont décrits les problèmes que présentent les eaux en question. Suivant les auteurs, la Seine et ses affluents présentent un degré d’anoxie élevé dû au développement excessif des algues, ce qui
entraîne une dégradation significative de la qualité de l’eau avec toutes les conséquences que cela entraîne pour les organismes qui y vivent.
38. Le gouvernement français estime que les eaux de la Seine et de ses affluents en aval de sa confluence avec l’Andelle ne sont pas eutrophes au sens de la directive. Depuis les années 70, l’industrie s’efforce de résorber la pollution, notamment en réduisant les rejets de phosphate, qui ont diminué de 96 %. Le gouvernement français explique que cela n’a cependant pratiquement pas eu d’influence sur la teneur moyenne en oxygène dans la section de Poses‑Honfleur, où elle n’a augmenté que d’1 %
par an.
39. Dans la réplique, la Commission souligne que le traitement des rejets d’eaux urbaines résiduaires n’a pas seulement pour objet de réduire la teneur en phosphate, mais également de diminuer le taux de nitrate.
Appréciation
40. Le gouvernement français n’a pas contesté que les eaux de la Seine et de ses affluents en aval de sa confluence avec l’Andelle connaissent un développement accéléré des algues et que cette prolifération a pour effet indésirable que des sections importantes de ces eaux ont une trop faible teneur en oxygène. Il ne conteste donc pas qu’elles sont eutrophes, mais indique simplement que la réduction draconienne des flux de phosphate n’a pratiquement pas eu d’influence sur le taux d’oxygénation.
41. Le simple fait que la réduction des rejets d’un élément nutritif déterminé n’a pas eu d’influence réelle sur le taux d’oxygène n’exonère cependant pas le gouvernement français de son obligation de désigner les eaux eutrophes comme étant des zones sensibles. S’il est vrai que cet élément peut fournir un argument à ceux qui souhaiteraient faire l’économie de l’élimination du phosphore lors du traitement des eaux résiduaires, risque d’ailleurs reconnu par le législateur à l’annexe II, point A,
sous a), i), de la directive, il ne peut cependant pas servir de prétexte à ne pas s’acquitter des autres obligations imposées par la directive. La République française a donc omis d’identifier les eaux de la Seine et de ses affluents en aval de sa confluence avec l’Andelle comme étant eutrophes et, par conséquent, de les désigner comme zones sensibles.
En Loire‑Bretagne: la rade de Lorient, l’estuaire de l’Elorn, les baies de Douarnenez et de Concarneau, le golfe du Morbihan et la baie de la Vilaine
Observations des parties
42. La Commission considère que les eaux de la rade de Lorient, de l’estuaire de l’Elorn, de la baie de Douarnenez, de la baie de Concarneau, du golfe du Morbihan et de la baie de la Vilaine auraient dû être déclarées eutrophes ou du moins susceptibles de le devenir à brève échéance si des mesures de protection n’étaient pas prises. Elle estime en effet que les rejets d’eaux urbaines résiduaires dans ces eaux contribuent de manière significative à l’eutrophisation de la masse d’eau.
43. Selon elle, les autorités nationales ont l’obligation de désigner une masse d’eau comme étant une zone sensible lorsque les rejets d’eaux urbaines résiduaires non seulement polluent les eaux par des apports de nitrates d’origine agricole, mais aussi «contribuent de manière significative» à leur eutrophisation. La Commission déduit cette conclusion – mutatis mutandis – de l’arrêt Standley e.a. (4) dans lequel la Cour a dit pour droit que la directive nitrates (5) s’applique lorsque les
rejets de composés de nitrate d’origine agricole contribuent d’une manière significative à la pollution (6) .
44. Dans la rade de Lorient, la part des rejets d’eaux urbaines résiduaires atteint 10 % environ et contribue ainsi, selon la Commission, de manière significative à la pollution. Elle juge donc qu’outre les mesures qui ont déjà été prises en vue de protéger les eaux contre la pollution par les nitrates d’origine agricole, il faut adopter également des mesures visant à réduire les rejets d’eaux usées.
45. Il apparaît d’un rapport de l’Ifremer intitulé «L’eutrophisation des eaux marines et saumâtres en Europe, en particulier en France» (7) que la rade de Lorient est infestée de macroalgues. La Commission considère que les effets indésirables de celles‑ci sont manifestes.
46. Dans l’estuaire de l’Elorn, dans la baie de Douarnenez, dans celle de Concarneau et dans le golfe du Morbihan, la part des rejets d’eaux urbaines résiduaires atteint respectivement 21 %, 21 %, 31 % et 33 %. La Commission considère que ces rejets contribuent, eux aussi, dans une mesure significative à la pollution de ces eaux. La baie de la Vilaine est également eutrophe et la Commission y signale la prolifération de l’algue vireuse dinophysis et la présence excessive de phytoplancton.
47. Le gouvernement français ne comprend pas pourquoi, dans le cas de la rade de Lorient, la Commission estime que les rejets d’eaux urbaines résiduaires contribuent d’une manière significative à la pollution alors que, dans le cas de la baie de Saint‑Brieuc, elle n’avait pas adopté la même conclusion bien que, dans les deux cas, la part des rejets d’eaux usées atteigne pratiquement le même pourcentage, à savoir 9,8 % dans la rade de Lorient et 8,9 % dans la baie de Saint‑Brieuc. Le
gouvernement français estime que, dans les deux cas, les rejets d’eaux usées ne contribuent pas de manière significative à la pollution et qu’éliminer les éléments nutritifs des eaux ainsi rejetées n’aurait donc aucun effet sur l’état d’eutrophisation de la zone concernée.
48. Le gouvernement français ajoute que le centre de recherche REPHY (8) n’a plus signalé de grandes proliférations de phytoplancton dans la rade de Lorient depuis 1996. Il estime dès lors que le critère qui figure dans la définition de la notion d’eutrophisation, à savoir un développement accéléré des algues et des végétaux d’espèces supérieures, n’est pas rempli.
49. Le gouvernement français reconnaît qu’il existe effectivement une prolifération d’algues dans la baie de Douarnenez et dans la baie de Concarneau, qui connaissent l’une et l’autre des phénomènes de marées vertes et la présence excessive de phytoplancton. Il soutient, en revanche, que la pollution de ces baies est due principalement à des flux d’éléments nutritifs d’origine agricole, ce qui serait confirmé par diverses études.
50. En ce qui concerne le golfe du Morbihan, le gouvernement français observe que, suivant des études récentes, menées notamment par l’Ifremer, il n’y a pratiquement plus d’eaux troubles ou de marées vertes dans cette zone.
51. Selon le gouvernement français, la baie de la Vilaine ne doit pas davantage être désignée comme zone sensible parce qu’aucun rejet d’eaux urbaines résiduaires en provenance d’agglomérations comptant plus de 10 000 habitants n’y est effectué.
Appréciation
52. La question qui divise le gouvernement français et la Commission porte en substance sur le point de savoir dans quels cas il y a contribution significative à la pollution d’une masse d’eau lorsque ce ne sont pas seulement les rejets d’eaux urbaines résiduaires qui sont à l’origine de cette pollution, mais également lorsque des nitrates d’origine agricole y contribuent.
53. La législation communautaire comporte deux instruments permettant de combattre le problème spécifique de la pollution par les phosphates et les nitrates ainsi que l’eutrophisation qui en résulte. Le premier instrument est la directive 91/271 relative au traitement des eaux usées et le second est la directive nitrates, concernant la protection des eaux contre la pollution par les nitrates d’origine agricole (9) . Ces deux instruments ont pour but d’organiser la lutte contre l’eutrophisation
des eaux soit par l’élimination des éléments nutritifs présents dans les eaux urbaines résiduaires, soit par la diminution des flux de nitrates d’origine agricole.
54. Or, si l’on a pu établir que certaines eaux sont eutrophes ou sont susceptibles de le devenir dans un avenir proche et que cette eutrophisation a été provoquée aussi bien par un excès de nitrates d’origine agricole que par des rejets d’eaux urbaines résiduaires, il ne me paraît pas important de définir quel pourcentage de cette pollution est imputable à l’un ou à l’autre phénomène dès lors qu’ils contribuent cumulativement à l’eutrophisation de l’eau. La directive 91/271 et la directive
nitrates sont complémentaires. Cela signifie qu’elles imposent toutes les deux des obligations qui ne s’excluent pas mutuellement. Lorsque des rejets d’eaux urbaines résiduaires entraînent, en combinaison avec les flux de nitrates d’origine agricole, une eutrophisation de l’eau, les autorités nationales doivent donc désigner la masse d’eau en cause comme étant une zone sensible conformément à la directive 91/271.
55. Il en résulte qu’en ce qui concerne, tout d’abord, la rade de Lorient, cette zone devait être déclarée zone sensible. Il apparaît de l’étude fournie par la Commission que cette masse d’eau est infestée de macroalgues, phénomène que le gouvernement français n’a pas réfuté à suffisance de droit puisqu’il s’est contenté de nier l’existence d’un excès de phytoplancton. Dans ces circonstances, il y a lieu de constater que le gouvernement français n’a pas démontré que les eaux de la rade de
Lorient n’étaient pas eutrophes.
56. En deuxième lieu, il y a lieu de constater que le gouvernement français a reconnu dans ses mémoires que la baie de Douarnenez et la baie de Concarneau étaient victimes d’une prolifération d’algues. Il n’a pas davantage contesté l’eutrophisation des eaux de la baie de la Vilaine. Il en résulte que ces zones auraient dû, elles aussi, être déclarées zones sensibles.
57. En ce qui concerne l’estuaire de l’Elorn et le golfe du Morbihan, les parties n’ont pas fourni de données suffisantes permettant de se former un jugement sur la situation de ces zones. Le grief de la Commission est dès lors non fondé.
En Artois‑Picardie: les eaux littorales et les eaux continentales
Observations des parties
58. La Commission fait grief au gouvernement français de n’avoir pas désigné les eaux littorales et les eaux continentales d’Artois‑Picardie (10) comme étant des zones sensibles et d’avoir ainsi manqué à ses obligations légales.
59. La Commission prétend qu’il résulte de l’étude de l’Ifremer que j’ai citée au point 45 (11) que les eaux de la baie de Somme, de Boulogne‑sur‑Mer et de Dunkerque sont trop riches en éléments nutritifs, de sorte que, pratiquement chaque année, les eaux littorales d’Artois‑Picardie sont infestées d’algues phaeocystis. Dans la requête, la gardienne des traités souligne que l’apparition même de cette algue dénote que l’équilibre entre les organismes marins est perturbé. Dans la baie de Somme,
la croissance de cette algue a également entraîné une désoxygénation de l’eau à certains endroits.
60. Le gouvernement français considère que l’existence d’un cycle saisonnier des nutriments en rapport avec le cycle de développement du phytoplancton ne suffit pas à établir le lien de cause à effet. Il renvoie également à une autre étude de l’Ifremer, dont il n’a cependant pas fourni le texte, étude dont il apparaîtrait qu’aucune mortalité de coquillages ou de poissons n’est associée au phénomène spectaculaire d’inflorescence de phaeocystis qui se développe chaque année sur la côte à la même
période. Il ajoute qu’à lui seul le développement accéléré de l’algue phaeocystis n’est pas susceptible d’entraîner une perturbation indésirable de l’équilibre entre les différents organismes vivant dans l’eau, cette algue n’étant, au demeurant, pas toxique.
61. Dans la réplique, la Commission renvoie à l’étude de l’Ifremer qu’elle avait déjà citée auparavant (12) . Les auteurs de ce rapport affirment qu’il existe un lien étroit entre le cycle saisonnier des nutriments et le cycle de développement des principales espèces phytoplanctoniques.
62. Le gouvernement français a annexé à sa réplique une autre étude de l’Ifremer (13) dont il résulterait que les eaux littorales de Boulogne‑sur‑Mer et de Dunkerque contiennent moins d’algues que les eaux de la baie de Somme.
63. S’il reconnaît que les eaux continentales d’Artois‑Picardie connaissent une prolifération excessive de certaines espèces végétales, le gouvernement français exclut cependant que ces phénomènes entraînent une perturbation de l’équilibre entre les différents organismes présents dans l’eau puisque la population des poissons n’a subi aucun dommage et qu’aucune algue toxique n’a été signalée.
Appréciation
64. Il y a lieu de constater que le gouvernement français a reconnu que les eaux littorales et continentales d’Artois‑Picardie sont infestées par une prolifération excessive d’algues et qu’elles contiennent de grandes quantités d’éléments nutritifs. Il résulte en outre des études produites par les parties que la baisse de qualité consiste ici dans une dégradation de la couleur, de l’aspect et de l’odeur de l’eau ainsi que dans l’apparition d’écume à la surface.
65. Le gouvernement français conteste le lien de causalité entre ces différents phénomènes. J’ai cependant déjà constaté au point 25 que, lorsque les quatre éléments de la notion d’eutrophisation sont réunis, le lien de causalité entre eux doit être présumé, à charge pour l’État membre en cause de démontrer le contraire s’il échet. Le gouvernement français n’ayant pas précisé davantage pourquoi il estime qu’un tel lien de causalité n’existe pas, j’estime que le grief de la Commission est fondé.
66. Le gouvernement français aurait donc dû désigner les eaux littorales et continentales d’Artois‑Picardie comme étant des zones sensibles.
En Rhône‑Méditerranée‑Corse: la rivière Vistre et l’étang de Thau
Observations des parties
67. La Commission fait enfin grief au gouvernement français de n’avoir pas désigné comme zones sensibles la rivière Vistre et l’étang de Thau, qui sont situés dans la région de Rhône‑Méditerranée‑Corse, et d’avoir ainsi manqué à ses obligations légales.
68. En ce qui concerne la rivière Vistre et l’étang de Thau, la discussion ne porte pas tant sur le point de savoir si ces eaux sont eutrophes ou non, mais bien plutôt sur celui de savoir si un traitement plus rigoureux qu’un traitement secondaire serait réellement plus efficace. Le gouvernement français reconnaît que les eaux usées qui sont rejetées dans la Vistre doivent être soumises à un traitement plus poussé qu’un simple traitement secondaire. Il ne juge cependant pas nécessaire
d’appliquer un même traitement plus rigoureux aux eaux usées rejetées dans l’étang de Thau parce que le phénomène d’eutrophisation y est en recul depuis les années 70.
Appréciation
69. Le gouvernement français a beau prétendre qu’un traitement plus rigoureux n’est pas nécessaire, les arguments qu’il articule à l’appui de ses dires ne pèsent pas lourd vis‑à‑vis du fait que la directive impose aux États membres l’obligation de déclarer zones sensibles les eaux qui sont eutrophes ou pourraient le devenir à brève échéance en l’absence de mesures de protection. Une discussion sur la nécessité et l’efficacité d’un traitement déterminé de l’eau n’a pas sa place ici.
70. En ce qui concerne la rivière Vistre, le gouvernement français a reconnu l’état d’eutrophisation et ce simple constat lui impose donc de la déclarer zone sensible conformément à la directive.
71. L’étang de Thau devait lui aussi être déclaré zone sensible. Il apparaît des pièces fournies par les deux parties que cet étang a été reconnu sensible au phénomène d’eutrophisation dès les années 70. Le gouvernement français ne me convainc pas lorsqu’il prétend que le traitement secondaire des eaux usées qui y sont rejetées est suffisant pour améliorer l’état d’eutrophisation de l’étang. La directive impose une protection plus ample des masses d’eau qui sont eutrophes ou pourraient le
devenir à brève échéance. Le gouvernement français aurait donc dû déclarer zone sensible l’étang de Thau également.
72. Eu égard aux observations qui précèdent, il y a lieu de conclure qu’à n’avoir pas déclaré zones sensibles, comme l’article 5, paragraphes 1 et 2, et l’annexe II de la directive lui imposaient de le faire, certaines zones sujettes à l’eutrophisation dans les bassins de Seine‑Normandie, de Loire‑Bretagne, à l’exception de l’estuaire de l’Elorn et du golfe de Morbihan, ainsi que certaines zones d’Artois‑Picardie et de Rhône‑Méditerranée‑Corse, la République française a manqué aux obligations
qui lui incombaient en vertu de la directive.
VI – Le deuxième moyen: traitement plus rigoureux des eaux urbaines résiduaires déversées dans les zones sensibles
Observations des parties
73. Par son second moyen, la Commission fait grief au gouvernement français de n’avoir pas imposé un traitement plus rigoureux des déversements d’eaux urbaines résiduaires en provenance d’agglomérations comptant plus de 10 000 habitants. Les autorités françaises avaient reconnu qu’à la date butoir du 31 décembre 1998, les installations d’épuration des eaux de 130 agglomérations urbaines n’étaient pas conformes aux critères de la directive.
74. Dans l’avis motivé, la Commission avait invité le gouvernement français à remédier, avant le 10 juin 2001, aux manquements qui avaient été constatés. Dans leur réponse du 19 septembre 2001, les autorités françaises ont précisé qu’à cette date les eaux usées de certaines des 130 agglomérations susvisées faisaient effectivement l’objet d’un tel traitement plus rigoureux, mais, en réalité, la Commission a constaté que seules les agglomérations de Vichy, d’Aix‑en‑Provence et de Mâcon pouvaient
effectivement être rayées de la liste des 130 agglomérations.
75. Réagissant à l’affirmation de la Commission que seules les stations d’épuration d’eaux usées de trois agglomérations étaient effectivement conformes aux exigences de la directive à cette date, les autorités françaises lui ont fourni les noms de 7 agglomérations dont les installations étaient déjà opérationnelles avant le 11 juin 2001. Elles ont également fourni les noms de 22 agglomérations qui satisfaisaient également aux critères de la directive depuis le mois de juin 2001. Selon elles,
seules 98 agglomérations demeuraient encore en délicatesse avec les règles de la directive.
Appréciation
76. En ce qui concerne le grief fait au gouvernement français de ne pas faire subir un traitement plus rigoureux aux eaux urbaines résiduaires en provenance d’agglomérations comptant plus de 10 000 habitants qui sont déversées dans des zones sensibles et d’avoir ainsi enfreint l’article 5, paragraphe 2, de la directive, je me contenterai d’être bref.
77. Les parties s’entendent à dire qu’à la date butoir du 31 décembre 1998, les stations d’épuration des eaux urbaines résiduaires de 130 agglomérations n’étaient pas conformes aux exigences de la directive et que le gouvernement français a donc manqué aux obligations qui lui incombaient en vertu de l’article 5, paragraphe 2, de la directive.
78. Il apparaît en outre des observations des parties que les stations d’épuration de 10 agglomérations sur les 130 visées plus haut avaient été mises en conformité pour la date du 10 juin 2001.
79. Il en résulte donc qu’après le mois de juin 2001, le gouvernement français était toujours en défaut en ce qui concerne 120 agglomérations. J’estime dès lors que le grief de la Commission est fondé dans la mesure où, à la date du 10 juin 2001, les stations d’épuration des eaux usées de 120 agglomérations n’étaient pas conformes aux exigences de la directive.
VII – Conclusion
80. Eu égard aux observations qui précèdent, je propose à la Cour:
1)
de constater qu’à n’avoir pas déclaré zones sensibles certaines zones sujettes à l’eutrophisation dans les bassins de Seine‑Normandie, de Loire‑Bretagne, à l’exception de l’estuaire de l’Elorn et du golfe de Morbihan, ainsi que dans les bassins d’Artois‑Picardie et de Rhône‑Méditerranée‑Corse, et qu’à n’avoir pas soumis à un traitement plus rigoureux les rejets d’eaux urbaines résiduaires d’agglomérations ayant un équivalent habitant de plus de 10 000 dans des zones sensibles ou qui auraient
dû être identifiées comme telles, la République française a manqué aux obligations qui lui incombaient en vertu de l’article 5, paragraphes 1 et 2, et de l’annexe II de la directive 91/271/CEE du Conseil, du 21 mai 1991, relative au traitement des eaux urbaines résiduaires, et
2)
de condamner la République française aux dépens.
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1 –
Langue originale: le néerlandais.
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2 –
JO L 135, p. 40.
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3 –
. JO L 194, p. 26.
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4 –
Arrêt du 29 avril 1999 (C‑293/97, Rec. p. I‑2603).
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5 –
Il s’agit de la directive 91/676/CEE du Conseil, du 12 décembre 1991, concernant la protection des eaux contre la pollution par les nitrates à partir de sources agricoles (JO L 375, p. 1, ci‑après la «directive nitrates»).
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6 –
La Cour aurait en outre reconnu que le législateur communautaire avait donné aux États membres un large pouvoir d’appréciation dans la définition des eaux atteintes par la pollution et déclaré que le droit communautaire ne contient aucun critère précis permettant de vérifier dans chaque cas concret si les rejets de composés de nitrate d’origine agricole contribuent d’une manière significative à la pollution.
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7 –
Note sans objet dans la version française.
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8 –
Le réseau de surveillance du phytoplancton et des phycotoxines (REPHY) a été mis en place par l’Ifremer en 1984 à la suite de nombreux cas d’empoisonnement dus à la consommation de coquillages en Bretagne.
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9 –
Footnote superflue.
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10 –
Voir troisième tiret du point 30 plus haut.
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11 –
Voir p. 7 et 8 de ce rapport.
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12 –
Voir p. 7 et 8 de ce rapport.
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13 –
Pas‑de‑Calais/Picardie (p. 7 et 8).