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15/05/2003 | CJUE | N°C-160/01

CJUE | CJUE, Arrêt de la Cour, Karen Mau contre Bundesanstalt für Arbeit., 15/05/2003, C-160/01


Avis juridique important

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62001J0160

Arrêt de la Cour (cinquième chambre) du 15 mai 2003. - Karen Mau contre Bundesanstalt für Arbeit. - Demande de décision préjudicielle: Sozialgericht Leipzig - Allemagne. - Directive 80/987/CEE du Conseil - Législation nationale fixant la date finale pour la période de garantie

comme étant celle de la décision d'ouverture de la procédure de désintér...

Avis juridique important

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62001J0160

Arrêt de la Cour (cinquième chambre) du 15 mai 2003. - Karen Mau contre Bundesanstalt für Arbeit. - Demande de décision préjudicielle: Sozialgericht Leipzig - Allemagne. - Directive 80/987/CEE du Conseil - Législation nationale fixant la date finale pour la période de garantie comme étant celle de la décision d'ouverture de la procédure de désintéressement collectif lorsque la relation de travail existe encore à cette date - Article 141 CE - Discrimination indirecte des travailleurs féminins en
congé parental - Responsabilité d'un État membre en cas de violation du droit communautaire. - Affaire C-160/01.
Recueil de jurisprudence 2003 page I-04791

Parties
Motifs de l'arrêt
Décisions sur les dépenses
Dispositif

Parties

Dans l'affaire C-160/01,

ayant pour objet une demande adressée à la Cour, en application de l'article 234 CE, par le Sozialgericht Leipzig (Allemagne) et tendant à obtenir, dans le litige pendant devant cette juridiction entre

Karen Mau

et

Bundesanstalt für Arbeit,

une décision à titre préjudiciel sur l'interprétation des articles 3 et 4 de la directive 80/987/CEE du Conseil, du 20 octobre 1980, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives à la protection des travailleurs salariés en cas d'insolvabilité de l'employeur (JO L 283, p. 23), ainsi que de l'article 141 CE,

LA COUR

(cinquième chambre),

composée de M. M. Wathelet, président de chambre, MM. C. W. A. Timmermans, D. A. O. Edward (rapporteur), P. Jann et S. von Bahr, juges,

avocat général: M. J. Mischo,

greffier: M. H. A. Rühl, administrateur principal,

considérant les observations écrites présentées:

- pour le gouvernement allemand, par M. W.-D. Plessing et Mme B. Muttelsee-Schön, en qualité d'agents,

- pour la Commission des Communautés européennes, par MM. J. Sack et H. Kreppel, en qualité d'agents,

vu le rapport d'audience,

ayant entendu les observations orales de Mme Mau, représentée par Me K. Schurig, Rechtsanwalt, du gouvernement allemand, représenté par M. W.-D. Plessing, et de la Commission, représentée par M. J. Sack, à l'audience du 2 mai 2002,

ayant entendu l'avocat général en ses conclusions à l'audience du 2 juillet 2002,

rend le présent

Arrêt

Motifs de l'arrêt

1 Par ordonnance du 30 mars 2001, parvenue à la Cour le 12 avril suivant, le Sozialgericht Leipzig a posé, en application de l'article 234 CE, six questions préjudicielles sur l'interprétation des articles 3 et 4 de la directive 80/987/CEE du Conseil, du 20 octobre 1980, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives à la protection des travailleurs salariés en cas d'insolvabilité de l'employeur (JO L 283, p. 23), ainsi que de l'article 141 CE.

2 Ces questions ont été soulevées dans le cadre d'un litige opposant Mme Mau à la Bundesanstalt für Arbeit (Office fédéral du travail) au sujet du paiement d'une indemnité d'insolvabilité («Insolvenzgeld»).

Le cadre juridique

La réglementation communautaire

3 La directive 80/987 vise à assurer aux travailleurs salariés un minimum communautaire de protection en cas d'insolvabilité de l'employeur, sans préjudice des dispositions plus favorables existant dans les législations des États membres. À cet effet, elle prévoit notamment des garanties spécifiques pour le paiement des rémunérations non perçues par ces travailleurs.

4 L'article 2 de la directive 80/987 énonce:

«1. Au sens de la présente directive, un employeur est considéré comme se trouvant en état d'insolvabilité:

a) lorsqu'a été demandée l'ouverture d'une procédure prévue par les dispositions législatives, réglementaires et administratives de l'État membre concerné qui porte sur le patrimoine de l'employeur et vise à désintéresser collectivement ses créanciers et qui permet la prise en considération des créances visées à l'article 1er paragraphe 1,

et

b) que l'autorité qui est compétente en vertu desdites dispositions législatives, réglementaires et administratives a:

- soit décidé l'ouverture de la procédure,

- soit constaté la fermeture définitive de l'entreprise ou de l'établissement de l'employeur, ainsi que l'insuffisance de l'actif disponible pour justifier l'ouverture de la procédure.

2. La présente directive ne porte pas atteinte au droit national en ce qui concerne la définition des termes `travailleur salarié', `employeur', `rémunération', `droit acquis' et `droit en cours d'acquisition'.»

5 L'article 3 de la directive 80/987 dispose:

«1. Les États membres prennent les mesures nécessaires afin que des institutions de garantie assurent, sous réserve de l'article 4, le paiement des créances impayées des travailleurs salariés résultant de contrats de travail ou de relations de travail et portant sur la rémunération afférente à la période qui se situe avant une date déterminée.

2. La date visée au paragraphe 1 est, au choix des États membres:

- soit celle de la survenance de l'insolvabilité de l'employeur,

- soit celle du préavis de licenciement du travailleur salarié concerné, donné en raison de l'insolvabilité de l'employeur,

- soit celle de la survenance de l'insolvabilité de l'employeur ou celle de la cessation du contrat de travail ou de la relation de travail du travailleur salarié concerné, intervenue en raison de l'insolvabilité de l'employeur.»

6 L'article 4 de la directive 80/987 prévoit:

«1. Les États membres ont la faculté de limiter l'obligation de paiement des institutions de garantie, visée à l'article 3.

2. Lorsque les États membres font usage de la faculté visée au paragraphe 1, ils doivent:

- dans le cas visé à l'article 3 paragraphe 2 premier tiret, assurer le paiement des créances impayées concernant la rémunération afférente aux trois derniers mois du contrat de travail ou de la relation de travail qui se situent à l'intérieur d'une période de six mois précédant la date de la survenance de l'insolvabilité de l'employeur,

- dans le cas visé à l'article 3 paragraphe 2 deuxième tiret, assurer le paiement des créances impayées concernant la rémunération afférente aux trois derniers mois du contrat de travail ou de la relation de travail qui précèdent la date du préavis de licenciement du travailleur salarié, donné en raison de l'insolvabilité de l'employeur,

- dans le cas visé à l'article 3 paragraphe 2 troisième tiret, assurer le paiement des créances impayées concernant la rémunération afférente aux dix-huit derniers mois du contrat de travail ou de la relation de travail qui précèdent la date de la survenance de l'insolvabilité de l'employeur ou la date de la cessation du contrat de travail ou de la relation de travail du travailleur salarié, intervenue en raison de l'insolvabilité de l'employeur. Dans ces cas, les États membres peuvent limiter
l'obligation de paiement à la rémunération afférente à une période de huit semaines ou à plusieurs périodes partielles, ayant au total la même durée.

3. Toutefois, les États membres peuvent, afin d'éviter le versement de sommes allant au-delà de la finalité sociale de la présente directive, fixer un plafond pour la garantie de paiement des créances impayées des travailleurs salariés.

Lorsque les États membres font usage de cette faculté, ils communiquent à la Commission les méthodes selon lesquelles ils fixent le plafond.»

La réglementation nationale

7 En Allemagne, les dispositions de l'article 183 du Sozialgesetzbuch III (code social allemand, IIIe partie), du 24 mars 1997 (BGBl. 1997 I, p. 594, ci-après le «SGB III»), visent à transposer la directive 80/987. Cet article, dans sa version résultant de la 1re loi de modification du SGB III, du 16 décembre 1997 (BGBl. 1997 I, p. 2970), intitulé «Droit des travailleurs salariés», dispose, à ses paragraphes 1 et 2:

«1. Les travailleurs ont droit à une indemnité pour insolvabilité si

1) au moment de l'ouverture de la procédure d'insolvabilité visant le patrimoine de l'employeur,

2) au moment du rejet de la demande d'ouverture de la procédure d'insolvabilité pour défaut d'actifs, ou

3) en cas de cessation complète de l'activité de l'entreprise sur le territoire national lorsqu'aucune demande d'ouverture de procédure d'insolvabilité n'a été introduite et qu'une telle procédure n'est manifestement pas envisageable en raison du défaut d'actifs,

(survenance de l'insolvabilité) ils possèdent encore des créances de salaires portant sur les trois mois de la relation de travail qui précèdent cette date. Les créances de salaires comprennent tout droit à rémunération fondé sur la relation de travail.

2. Si un travailleur, n'ayant pas eu connaissance de la survenance de l'insolvabilité, continue à travailler ou commence le travail, son droit porte sur les créances de salaires en raison de la relation de travail des trois mois précédant le jour où il a pris connaissance de l'insolvabilité.»

Le litige au principal et les questions préjudicielles

8 Le litige au principal concerne le paiement d'une indemnité d'insolvabilité («Insolvenzgeld»).

9 Le 1er novembre 1997, Mme Mau a commencé à travailler pour la société Planungsbüro Franz-Josef Holschbach GmbH, sise à Böhlitz-Ehrenberg (Allemagne), en qualité d'ingénieur paysagiste diplômée, pour un salaire mensuel brut de 3 200 DEM. À partir du 1er janvier 1999, Mme Mau a cessé de percevoir une rémunération de son employeur.

10 Entre le 16 septembre et le 29 décembre 1999, Mme Mau a été soumise à une interdiction de travail en vertu des articles 3, paragraphe 2, et 6, paragraphe 1, première phrase, du Mutterschutzgesetz (loi sur la protection de la maternité). Pendant cette période, elle a perçu de la caisse de maladie dont elle relevait des allocations de maternité d'un montant de 25 DEM par jour calendaire, soit 1 575 DEM au total. Elle a accouché le 3 novembre 1999.

11 Il ressort de l'ordonnance de renvoi que, pendant cette période, Mme Mau continuait à avoir droit, en droit allemand, au paiement de son salaire par son employeur, le montant du salaire étant toutefois diminué des allocations de maternité susmentionnées.

12 À partir du 30 décembre 1999, Mme Mau se trouvait en congé parental et percevait une allocation à ce titre, conformément au Bundeserziehungsgeld-Gesetz (loi fédérale sur l'allocation de congé parental). Elle avait l'intention de prendre un congé parental de trois ans au total. En vertu du droit allemand, son emploi était maintenu pendant cette période bien que les obligations principales découlant de cet emploi (obligation de travail et de rémunération) aient été suspendues.

13 Le 14 décembre 1999, Mme Mau a introduit devant l'Arbeitsgericht Leipzig (Allemagne) une action visant à obtenir le paiement des arriérés de salaires pour la période du 1er janvier au 29 décembre 1999, soit un montant total brut de 22 669,73 DEM. Par jugement rendu par défaut le 7 janvier 2000 et rectifié le 24 février 2000, l'Arbeitsgericht Leipzig a fait droit à la demande.

14 Par lettre du 16 décembre 1999, reçue le 27 décembre 1999 par l'Amtsgericht Leipzig (Allemagne), la Deutsche Angestelltenkrankenkasse (caisse de maladie pour employés) a demandé, en tant qu'organisme percevant l'ensemble des cotisations sociales, l'ouverture de la procédure d'insolvabilité sur le patrimoine de l'employeur de Mme Mau, en raison d'arriérés de cotisations sociales. Par ordonnance du 23 juin 2000, ladite juridiction a rejeté cette demande pour défaut d'actifs.

15 Il ressort du dossier que Mme Mau a demandé, tout d'abord à titre conservatoire, à la Bundesanstalt für Arbeit, plus concrètement à l'Arbeitsamt Leipzig (Office du travail de Leipzig), le versement d'une indemnité d'insolvabilité sans savoir si une procédure d'insolvabilité avait ou non été engagée. Ce n'est qu'après plusieurs demandes de renseignements que l'Amtsgericht Leipzig a porté à la connaissance de Mme Mau son ordonnance du 23 juin 2000. Sur demande, cette dernière a précisé le 21 août
2000 qu'elle sollicitait une indemnité d'insolvabilité pour la période allant du 1er octobre au 31 décembre 1999.

16 Cette demande ayant été rejetée par décision du 28 août 2000, Mme Mau a introduit une réclamation contre cette décision qui a également été rejetée par la suite. Mme Mau a alors saisi le Sozialgericht Leipzig.

17 Éprouvant des doutes sur la conformité du droit national avec le droit communautaire applicable en la matière, notamment avec la directive 80/987, le Sozialgericht Leipzig a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1) L'article 183, paragraphe 1, du SGB III fixe-t-il une date au sens de l'article 3 de la directive 80/987/CEE du Conseil, du 20 octobre 1980, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives à la protection des travailleurs salariés en cas d'insolvabilité de l'employeur?

2) La République fédérale d'Allemagne a-t-elle limité de manière effective, en vertu de l'article 4 de ladite directive, l'obligation de paiement de la Bundesanstalt für Arbeit?

3) La République fédérale d'Allemagne est-elle tenue de verser des dommages et intérêts à la demanderesse au principal en raison de la transposition incorrecte de la directive?

4) La Cour de justice maintient-elle son opinion selon laquelle il convient de partir de la date de la demande d'ouverture de la procédure d'insolvabilité pour déterminer la période de référence?

5) Le calcul de la période de référence de l'indemnité d'insolvabilité prévu à l'article 183, paragraphe 1, du SGB III est-il compatible avec l'article 141 CE?

6) Dans le cas des demandeurs en congé parental, le jour de l'exercice du droit à ce congé constitue-t-il la date déterminante au sens de l'article 3, paragraphe 2, de la directive 80/987/CEE?»

Sur les questions préjudicielles

18 Les questions soumises à la Cour portent en partie sur l'interprétation du droit national et l'appréciation de sa conformité au droit communautaire. En vertu d'une jurisprudence constante (voir, notamment, arrêts du 16 janvier 1997, USSL n_ 47 di Biella, C-134/95, Rec. p. I-195, point 17, et du 3 février 2000, Dounias, C-228/98, Rec. p. I-577, point 36), la Cour n'est pas compétente pour répondre à de telles questions et, partant, il convient, au préalable, de préciser l'objet de la présente
demande de décision préjudicielle.

19 Il ressort du dossier que la juridiction de renvoi se trouve essentiellement devant deux problèmes. Le premier concerne les modalités de calcul de la période pendant laquelle les États membres doivent assurer le paiement des créances impayées des travailleurs salariés (ci-après la «période de garantie»). Le second a trait aux conséquences juridiques qui résulteraient du fait que les modalités de calcul de ladite période prévues par le droit national ne correspondent pas à celles exigées par le
droit communautaire.

20 Il convient d'examiner ces deux problèmes avant de répondre spécifiquement aux questions posées.

Sur les modalités du calcul de la période de garantie

21 Conformément à l'article 3, paragraphe 1, de la directive 80/987, la période de garantie se situe avant une date butoir que les États membres peuvent choisir parmi trois dates énumérées au second paragraphe dudit article. Il ressort de la législation allemande, ainsi que l'a confirmé le gouvernement allemand dans ses observations écrites, que la République fédérale d'Allemagne a décidé, lors de la transposition en droit national de la directive 80/987, d'opter pour la première date butoir
proposée, à savoir celle de la survenance de l'insolvabilité de l'employeur.

22 S'agissant de la question de savoir à quelle date survient l'insolvabilité de l'employeur, il ressort de la jurisprudence de la Cour que c'est à la date du dépôt de la demande d'ouverture de la procédure de désintéressement collectif des créanciers (arrêts du 10 juillet 1997, Bonifaci e.a. et Berto e.a., C-94/95 et C-95/95, Rec. p. I-3969, points 42 et 44, ainsi que Maso e.a., C-373/95, Rec. p. I-4051, points 52 et 54).

23 Or, l'article 4 de la directive 80/987 permet aux États membres de restreindre la période de garantie et, partant, l'obligation de paiement des institutions de garantie y afférente, à condition toutefois que soit toujours assurée une garantie minimale dont les modalités dépendent de la date choisie dans le cadre de l'article 3, paragraphe 2, de ladite directive.

24 Ainsi, l'article 4, paragraphe 2, premier tiret, de la directive 80/987 exige que les États membres qui ont choisi la date de la survenance de l'insolvabilité de l'employeur comme date butoir avant laquelle se situe la période de garantie assurent le paiement des créances impayées concernant la rémunération afférente aux trois derniers mois du contrat de travail ou de la relation de travail qui se situent à l'intérieur d'une période de six mois précédant la date susmentionnée.

25 Dans une situation telle que celle dans laquelle se trouvait Mme Mau, la directive 80/987 requiert en conséquence que la République fédérale d'Allemagne assure, même si la période de garantie a été valablement limitée en droit allemand en application de l'article 4 de la directive 80/987, au moins le paiement des créances impayées de l'intéressée relatives aux trois derniers mois compris dans les six mois de sa relation de travail qui précèdent le 27 décembre 1999, qui est la date du dépôt de la
demande d'ouverture de la procédure de désintéressement collectif des créanciers et donc celle de la survenance de l'insolvabilité de l'employeur de Mme Mau au sens de l'article 3, paragraphe 2, de la directive 80/987.

26 Le gouvernement allemand fait cependant valoir que la date de la survenance de l'insolvabilité de l'employeur au sens de l'article 3, paragraphe 2, de la directive 80/987 devrait être déterminée conformément à la définition de cette notion qui figure à l'article 2, paragraphe 1, de la directive 80/987. Ainsi, l'insolvabilité de l'employeur surviendrait non pas à la date de la demande d'ouverture de la procédure de désintéressement collectif des créanciers, mais à celle de la décision qui se
prononce sur cette demande.

27 En effet, selon ledit gouvernement, la directive 80/987 partirait du principe qu'il existe une notion unique de «survenance de l'insolvabilité», qui serait définie à l'article 2 de cette directive et serait donc également applicable dans le cadre de l'article 3 de celle-ci.

28 À cet égard, il convient de rappeler que la Cour a explicité, aux points 42 de l'arrêt Bonifaci e.a. et Berto e.a., précité, ainsi que 52 de l'arrêt Maso e.a., précité, les raisons pour lesquelles la notion de «survenance de l'insolvabilité de l'employeur», visée aux articles 3, paragraphe 2, et 4, paragraphe 2, de la directive 80/987, ne doit pas être interprétée en se référant à la notion d'insolvabilité telle qu'elle figure à l'article 2 de ladite directive.

29 Le gouvernement allemand estime toutefois que lesdits arrêts auraient été rendus dans le contexte des procédures collectives en droit italien. Or, partant du fait que celui-ci exige que la période de garantie s'inscrive dans une limite de douze mois avant la date de référence, alors que la législation allemande n'a pas prévu une telle limite, le gouvernement allemand en conclut qu'il est question de contextes et d'ordres juridiques distincts qui ne pourraient être soumis à la même interprétation
de la directive 80/987.

30 Sur ce point, il y a lieu de constater que, dans la directive 80/987, il n'existe aucun indice permettant de considérer que la date de la survenance de l'insolvabilité de l'employeur dépendrait de tel ou tel contexte juridique national. Au contraire, il s'agit d'une notion de droit communautaire qui appelle une interprétation uniforme dans tous les États membres. Le fait que la Cour a fait référence aux circonstances de l'espèce dans les arrêts précités Bonifaci e.a. et Berto e.a. ainsi que Maso
e.a. n'implique pas que l'interprétation du droit communautaire à laquelle la Cour est parvenue dans ces arrêts ne serait pas transposable à des situations similaires dans d'autres États membres.

31 Enfin, le gouvernement allemand soutient que l'interprétation selon laquelle la date de la «survenance de l'insolvabilité» serait celle de la demande d'ouverture de la procédure aurait des conséquences négatives en Allemagne tant pour les partenaires sociaux que, de manière plus globale, pour la situation économique générale. En effet, leurs droits n'étant garantis que jusqu'à la date du dépôt de la demande d'ouverture de la procédure d'insolvabilité, les travailleurs ne seraient plus disposés à
travailler après l'introduction d'une telle demande. Par ailleurs, les administrateurs judiciaires verraient leur marge de manoeuvre fortement réduite et le redressement de l'entreprise en difficulté deviendrait quasi impossible, alors qu'il constitue l'un des objectifs de la législation allemande relative à l'insolvabilité.

32 À cet égard, il suffit de constater que la directive 80/987, ainsi que l'énonce son article 9, ne porte pas atteinte à la faculté des États membres d'appliquer ou d'introduire des dispositions législatives, réglementaires ou administratives plus favorables aux travailleurs salariés. Il appartient à la République fédérale d'Allemagne, si elle l'estime opportun, d'accroître la période de garantie d'une manière appropriée.

Sur les conséquences juridiques résultant du fait que les modalités de calcul de la période de garantie prévues par le droit national ne correspondent pas à celles exigées par le droit communautaire

33 Selon l'ordonnance de renvoi, la juridiction nationale considère que les modalités de calcul de la période de garantie prévues par le droit allemand sont différentes de celles exigées par le droit communautaire et, pour cette raison, incompatibles avec celui-ci, la date de la survenance de l'insolvabilité de l'employeur ayant été fixée de manière non conforme à la directive 80/987. En effet, en vertu de l'article 183 du SGB III, disposition selon laquelle la date de la survenance de
l'insolvabilité de l'employeur serait celle de la décision qui se prononce sur la demande d'ouverture de la procédure de désintéressement collectif des créanciers, la période de garantie dans l'affaire au principal s'étendrait du 23 mars au 22 juin 2000 , tandis qu'en vertu de la directive 80/987, qui prend la date du dépôt de cette demande comme point de départ de ladite période, celle-ci irait du 27 septembre au 26 décembre 1999.

34 Dans une telle situation, il appartient à la juridiction nationale d'assurer, dans le cadre de ses compétences, la pleine efficacité du droit communautaire lorsqu'elle tranche le litige dont elle est saisie.

35 En effet, conformément à une jurisprudence constante, l'obligation des États membres, découlant d'une directive, d'atteindre le résultat prévu par celle-ci, ainsi que leur devoir en vertu de l'article 10 CE de prendre toutes mesures générales ou particulières propres à assurer l'exécution de cette obligation, s'impose à toutes les autorités des États membres, y compris, dans le cadre de leurs compétences, les autorités juridictionnelles (arrêts du 10 avril 1984, Von Colson et Kamann, 14/83, Rec.
p. 1891, point 26, et du 25 février 1999, Carbonari e.a., C-131/97, Rec. p. I-1103, point 48).

36 Lorsqu'une juridiction nationale est appelée à interpréter le droit national, qu'il s'agisse de dispositions antérieures ou postérieures à la directive concernée, elle est tenue de le faire, dans toute la mesure du possible, à la lumière du texte et de la finalité de ladite directive pour atteindre le résultat visé par celle-ci et se conformer ainsi à l'article 249, troisième alinéa, CE (voir, notamment, arrêts du 13 novembre 1990, Marleasing, C-106/89, Rec. p. I-4135, point 8; du 16 décembre
1993, Wagner Miret, C-334/92, Rec. p. I-6911, point 20, et du 10 février 2000, Deutsche Post, C-270/97 et C-271/97, Rec. p. I-929, point 62).

37 En l'espèce, il ressort de l'ordonnance de renvoi que la juridiction nationale considère qu'il n'est pas possible d'effectuer une interprétation de l'article 183 du SGB III, au regard de la date de la survenance de l'insolvabilité de l'employeur, qui soit conforme à la directive 80/987. Elle considère cependant que, si la notion de «relation de travail» au sens de la directive 80/987 devait être interprétée en ce sens qu'elle exclut des périodes pendant lesquelles la relation de travail était
suspendue en raison d'un congé parental, la période de garantie couvrirait les trois mois précédant le 30 décembre 1999, date à partir de laquelle Mme Mau a bénéficié d'un tel congé. De cette manière, elle pourrait faire droit à la demande de cette dernière sans qu'il soit nécessaire d'examiner la question d'une éventuelle application directe de la directive 80/987 ni celle de la responsabilité de l'État.

38 Dans ces conditions, il y a lieu de procéder à l'interprétation de la notion de «relation de travail» au sens des articles 3 et 4 de la directive 80/987.

Sur la notion de «relation de travail» au sens des articles 3 et 4 de la directive 80/987

39 À cet égard, il convient de constater qu'il s'agit d'une notion de droit communautaire qui appelle une interprétation uniforme dans tous les États membres.

40 En effet, cette notion ne figure pas à l'article 2, paragraphe 2, de la directive 80/987, qui énumère certains termes dont la définition en droit national n'est pas affectée par la directive.

41 En outre, il ressort de la jurisprudence de la Cour que les termes portant sur la détermination même de la garantie communautaire minimale doivent être interprétés de façon uniforme afin de ne pas priver d'effet l'harmonisation, même partielle, recherchée sur le plan communautaire (voir arrêt du 14 juillet 1998, Regeling, C-125/97, Rec. p. I4493, point 19). La notion de relation de travail étant un élément nécessaire pour déterminer la période de garantie, elle requiert une interprétation
communautaire uniforme.

42 L'interprétation de la notion de relation de travail doit notamment tenir compte de la finalité sociale de la directive 80/987, qui est d'assurer un minimum de protection à tous les travailleurs (voir arrêt Regeling, précité, point 20). Partant, il est exclu d'interpréter ladite notion d'une manière telle qu'elle permettrait de réduire à néant les garanties minimales prévues à l'article 4, paragraphe 2, de cette directive.

43 Or, ainsi que l'a relevé M. l'avocat général au point 76 de ses conclusions, ce serait précisément le cas d'une réglementation nationale qui permettrait de faire coïncider «les trois derniers mois du contrat de travail ou de la relation de travail», au sens de l'article 4, paragraphe 2, premier tiret, de la directive 80/987, avec une période pendant laquelle la relation de travail est suspendue et aucun salaire n'est dû.

44 Il convient donc d'interpréter la notion de «relation de travail», au sens des articles 3 et 4 de la directive 80/987, comme excluant des périodes qui, par leur nature même, ne peuvent pas donner lieu à des créances de salaire impayées. Sont donc exclues les périodes pendant lesquelles la relation de travail est suspendue pour cause de congé parental en raison du fait qu'aucune rémunération n'est due pendant ces périodes.

45 C'est sur le fondement des considérations qui précèdent qu'il convient de répondre aux questions posées.

Sur les première et quatrième questions

46 Par ces questions, qu'il convient d'examiner conjointement, la juridiction de renvoi demande en substance si les articles 3, paragraphe 2, et 4, paragraphe 2, de la directive 80/987 doivent être interprétés en ce sens qu'ils s'opposent à une disposition de droit national, telle que l'article 183, paragraphe 1, du SGB III, qui définit la date de la survenance de l'insolvabilité de l'employeur comme étant celle de la décision qui se prononce sur la demande d'ouverture de la procédure
d'insolvabilité et non pas celle du dépôt de cette demande.

47 Il ressort du point 22 du présent arrêt que la date de la «survenance de l'insolvabilité de l'employeur», visée aux articles 3, paragraphe 2, et 4, paragraphe 2, de la directive 80/987, doit être interprétée comme désignant la date du dépôt de la demande d'ouverture de la procédure de désintéressement collectif des créanciers.

48 Par conséquent, les articles 3, paragraphe 2, et 4, paragraphe 2, de la directive 80/987 doivent être interprétés en ce sens qu'ils s'opposent à une disposition de droit national, telle que l'article 183, paragraphe 1, du SGB III, qui définit la date de la survenance de l'insolvabilité de l'employeur comme étant celle de la décision qui se prononce sur la demande d'ouverture de la procédure d'insolvabilité et non pas celle du dépôt de cette demande.

Sur la deuxième question

49 Par sa deuxième question, la juridiction de renvoi demande si la République fédérale d'Allemagne a valablement limité, en vertu de l'article 4 de la directive 80/987, l'obligation de paiement de la Bundesanstalt für Arbeit.

50 À cet égard, il convient de rappeler que, même si un État membre a valablement limité ladite obligation de paiement, il n'en demeure pas moins qu'il doit assurer la garantie du paiement des créances impayées concernant la rémunération afférente à une période de garantie minimale. Dans le cadre de l'option prévue à l'article 4, paragraphe 2, premier tiret, de la directive 80/987, option choisie par la République fédérale d'Allemagne, il s'agit des trois derniers mois du contrat de travail ou de la
relation de travail qui se situent à l'intérieur d'une période de six mois précédant le jour du dépôt de la demande d'ouverture de la procédure de désintéressement collectif des créanciers.

51 Dès lors que Mme Mau ne sollicite le paiement d'une indemnité d'insolvabilité qu'au titre de la période allant du 1er octobre au 31 décembre 1999, à savoir pour une période qui ne commence pas avant le début de la période de garantie minimale exigée par la directive 80/987, la question de savoir si la République fédérale d'Allemagne a valablement limité l'obligation de paiement ne se pose pas en l'espèce et, partant, il n'y a pas lieu de répondre à la deuxième question.

Sur la sixième question

52 Par sa sixième question, la juridiction de renvoi demande en substance s'il convient d'interpréter la notion de «relation de travail», au sens des articles 3 et 4 de la directive 80/987, comme excluant des périodes qui, par leur nature même, ne peuvent pas donner lieu à des créances de salaire impayées, telle une période durant laquelle la relation de travail est suspendue pour cause de congé parental et qui, pour cette raison, n'ouvre droit à aucune rémunération.

53 Il ressort des points 39 à 44 du présent arrêt que cette question appelle une réponse affirmative.

Sur les troisième et cinquième questions

54 Eu égard aux réponses apportées aux première, quatrième et sixième questions, il n'y a pas lieu de répondre aux troisième et cinquième questions. En particulier, comme cela l'a été évoqué au point 37 du présent arrêt, il ressort de l'ordonnance de renvoi que l'interprétation de la notion de «relation de travail», telle que donnée au point 53 de cet arrêt, permet à la juridiction de renvoi de résoudre le litige dont elle est saisie.

Décisions sur les dépenses

Sur les dépens

55 Les frais exposés par le gouvernement allemand et par la Commission, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Dispositif

Par ces motifs,

LA COUR

(cinquième chambre),

statuant sur les questions à elle soumises par le Sozialgericht Leipzig, par ordonnance du 30 mars 2001, dit pour droit:

1) Les articles 3, paragraphe 2, et 4, paragraphe 2, de la directive 80/987/CEE du Conseil, du 20 octobre 1980, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives à la protection des travailleurs salariés en cas d'insolvabilité de l'employeur, doivent être interprétés en ce sens qu'ils s'opposent à une disposition de droit national, telle que l'article 183, paragraphe 1, du Sozialgesetzbuch III (code social allemand, IIIe partie), qui définit la date de la survenance de
l'insolvabilité de l'employeur comme étant celle de la décision qui se prononce sur la demande d'ouverture de la procédure d'insolvabilité et non pas celle du dépôt de cette demande.

2) La notion de «relation de travail», au sens des articles 3 et 4 de la directive 80/987, doit être interprétée comme excluant des périodes qui, par leur nature même, ne peuvent pas donner lieu à des créances de salaire impayées. Est donc exclue une période pendant laquelle la relation de travail est suspendue pour cause de congé parental et qui, pour cette raison, n'ouvre droit à aucune rémunération.


Synthèse
Formation : Cinquième chambre
Numéro d'arrêt : C-160/01
Date de la décision : 15/05/2003
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle: Sozialgericht Leipzig - Allemagne.

Directive 80/987/CEE du Conseil - Législation nationale fixant la date finale pour la période de garantie comme étant celle de la décision d'ouverture de la procédure de désintéressement collectif lorsque la relation de travail existe encore à cette date - Article 141 CE - Discrimination indirecte des travailleurs féminins en congé parental - Responsabilité d'un État membre en cas de violation du droit communautaire.

Politique sociale


Parties
Demandeurs : Karen Mau
Défendeurs : Bundesanstalt für Arbeit.

Composition du Tribunal
Avocat général : Mischo
Rapporteur ?: Edward

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2003:280

Source

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