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06/05/2003 | CJUE | N°C-182/02

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général Ruiz-Jarabo Colomer présentées le 6 mai 2003., Ligue pour la protection des oiseaux e.a. contre Premier ministre et Ministre de l'Aménagement du territoire et de l'Environnement., 06/05/2003, C-182/02


Avis juridique important

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62002C0182

Conclusions de l'avocat général Ruiz-Jarabo Colomer présentées le 6 mai 2003. - Ligue pour la protection des oiseaux e.a. contre Premier ministre et Ministre de l'Aménagement du territoire et de l'Environnement. - Demande de décision préjudicielle: Conseil d'Etat - France. - Di

rective 79/409/CEE - Conservation des oiseaux sauvages - Dates d'ouvertu...

Avis juridique important

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62002C0182

Conclusions de l'avocat général Ruiz-Jarabo Colomer présentées le 6 mai 2003. - Ligue pour la protection des oiseaux e.a. contre Premier ministre et Ministre de l'Aménagement du territoire et de l'Environnement. - Demande de décision préjudicielle: Conseil d'Etat - France. - Directive 79/409/CEE - Conservation des oiseaux sauvages - Dates d'ouverture et de clôture de la chasse - Dérogations. - Affaire C-182/02.
Recueil de jurisprudence 2003 page I-12105

Conclusions de l'avocat général

I - Introduction

1. Le présent renvoi préjudiciel, formé par le Conseil d'État (France), en sa qualité de juridiction administrative suprême, vise à lever les doutes existants sur le sens de certaines dispositions de la directive sur les oiseaux sauvages .

Il s'agit, notamment, d'examiner le rôle que la directive attribue à l'activité culturelle et récréationnelle que constitue la chasse et de savoir si elle peut avoir lieu, en vertu de son article 9, même durant des périodes au cours desquelles les oiseaux doivent bénéficier d'une protection accrue, à savoir pendant la nidification, la reproduction ou la migration de retour au sens des termes utilisés par l'article 7, paragraphe 4, de la directive.

II - Faits et procédure

2. La Ligue pour la protection des oiseaux sauvages (ci-après la «Ligue»), avec le soutien d'autres organisations de protection des oiseaux , a demandé au Conseil d'État d'annuler le décret n° 2000-754, du 1er août 2000, relatif aux dates de la chasse aux oiseaux d'eau et au gibier de passage et modifiant le code rural (ci-après le «décret») . Deux associations représentatives des chasseurs sont parties intervenantes à la procédure et concluent à la légalité du décret.

3. Le Conseil d'État a prononcé l'annulation de l'article 1er du texte attaqué, qui fixait les dates d'ouverture et de clôture de la chasse pour certaines espèces (canards, rallidés et foulques, certains limicoles, les bécassines, les bécasses des bois, les râles d'eau et les macreuses, ainsi que les turdidés) en dehors des périodes qui auraient résulté de l'application de l'article 7, paragraphe 4, de la directive, mais a jugé comme étant licites, non seulement l'autorisation de chasser les
limicoles à partir du 10 août, mais également celle de retarder jusqu'au 10 février la clôture de la chasse des colombidés.

4. Cependant, le Conseil d'État ne s'est pas prononcé sur la légalité de l'article 2 du décret qui introduit dans le code rural la disposition suivante:

«Les dérogations mentionnées au cinquième alinéa de l'article L.224-2 peuvent être accordées par les préfets pour permettre la capture, la détention ou toute autre exploitation judicieuse, en petite quantité, des oies, du pigeon ramier et des grives, jusqu'au 20 février.

Un arrêté du ministre chargé de la chasse et de la faune sauvage [...] précise les conditions dans lesquelles ces prélèvements peuvent être autorisés et les modalités des contrôles à mettre en oeuvre. Le ministre fixe également, par espèce, [...] le nombre maximal d'oiseaux susceptibles d'être ainsi prélevés par département.

Les préfets définissent [...] le nombre maximal d'oiseaux susceptibles d'être prélevés par les bénéficiaires de la dérogation.»

III - La directive 79/409

5. La directive part d'une prémisse inquiétante: la régression de la population d'un certain nombre d'oiseaux sauvages vivant naturellement sur le territoire européen des États membres. Cette situation constitue «un danger sérieux pour la conservation du milieu naturel, notamment à cause des menaces qu'elle fait peser sur les équilibres biologiques» . La protection efficace des oiseaux est considérée comme étant un «problème d'environnement typiquement transfrontalier qui implique des
responsabilités communes», particulièrement en ce qui concerne les espèces migratrices qui «constituent un patrimoine commun» . Il y est affirmé que l'objet de la conservation est «la protection à long terme et la gestion des ressources naturelles en tant que partie intégrante du patrimoine des peuples européens» ainsi que le «maintien et l'adaptation des équilibres naturels des espèces dans les limites de ce qui est raisonnement possible» .

6. La directive impose un certain nombre d'obligations générales concernant le maintien des niveaux de population des espèces protégées, ainsi que la préservation, le maintien et le rétablissement de leurs habitats (articles 2 et 3). Les autres dispositions contiennent des obligations plus spécifiques concernant la protection des espèces menacées et migratrices (article 4), ainsi que la protection des oiseaux sauvages en général, avec une interdiction de les commercialiser et des restrictions en ce
qui concerne la chasse d'espèces protégées (articles 5 à 8).

7. Les articles 5 à 7 de la directive permettent aux États membres d'autoriser la chasse de certaines espèces d'oiseaux sauvages énumérées à l'annexe II de ladite directive, dont la conservation, «[e]n raison de leur niveau de population, de leur distribution géographique et de leur taux de reproductivité dans l'ensemble de la Communauté», ne serait pas ainsi menacée (article 7, paragraphe 1); la chasse est interdite pendant la période nidicole et pendant les différents stades de reproduction et,
dans le cas des espèces migratrices, pendant leur période de reproduction et pendant leur trajet de retour vers leur lieu de nidification (article 7, paragraphe 4).

8. Conformément à l'article 9, paragraphe 1, de la directive les États membres ne peuvent déroger aux restrictions à la chasse énoncées à l'article 7 de cette directive que:

«s'il n'existe pas d'autre solution satisfaisante, [et] pour les motifs ci-après:

a) - dans l'intérêt de la santé et de la sécurité publiques,

- dans l'intérêt de la sécurité aérienne,

- pour prévenir les dommages importants aux cultures, au bétail, aux forêts, aux pêcheries et aux eaux,

- pour la protection de la flore et de la faune;

b) pour des fins de recherche et d'enseignement, de repeuplement, de réintroduction ainsi que pour l'élevage se rapportant à ces actions;

c) pour permettre, dans des conditions strictement contrôlées et de manière sélective, la capture, la détention ou toute autre exploitation judicieuse de certains oiseaux en petites quantités.»

9. Pour sa part, l'article 9, paragraphe 2, de la directive dispose:

«2. Les dérogations doivent mentionner:

- les espèces qui font l'objet des dérogations,

- les moyens, les installations ou méthodes de capture ou de mise à mort autorisés,

- les conditions de risque et les circonstances de temps et de lieu dans lesquelles ces dérogations peuvent être prises,

- l'autorité habilitée à déclarer que les conditions exigées sont réunies, à décider quels moyens, installations ou méthodes peuvent être mis en oeuvre, dans quelles limites et par quelles personnes,

- les contrôles qui seront opérés.»

10. Conformément à l'article 9, paragraphe 3, de la directive les États membres adressent un rapport sur l'application de cet article à la Commission. Celle-ci «veille constamment à ce que les conséquences de ces dérogations ne soient pas incompatibles avec la présente directive» et prend «les initiatives appropriées à cet égard» (article 9, paragraphe 4).

IV - Observations déposées devant la Cour

11. La Ligue, partie requérante au principal, ainsi que les parties qui soutiennent ses conclusions, s'oppose à ce que l'article 9, paragraphe 1, de la directive soit interprété en ce sens qu'il inclut la chasse au cours de la période bénéficiant d'une protection spécifique. Cette activité ne saurait en aucun cas constituer une «exploitation judicieuse», étant donné que d'autres solutions satisfaisantes existent. Dans le cas contraire, elle devrait être assortie de conditions très strictes, qui
feraient défaut dans la réglementation française.

12. Selon l'Union des chasseurs, l'article 9, paragraphe 1, permet, dans une large mesure, de prévoir des dérogations au régime général de protection instauré par la directive et, notamment, à ce que dispose son article 7. Cependant, ces dérogations devraient être conformes aux critères établis par la directive. Étant donné que la chasse des oiseaux sauvages et aquatiques est soumise à un contrôle plus strict que celle des autres oiseaux, seule une dérogation est susceptible de rendre possible la
chasse de ces espèces, encadrée par des limitations rigoureuses, au-delà des dates d'ouverture et de fermeture de la chasse fixées conformément à l'article 7, paragraphe 4, de la directive. La seule alternative serait, ainsi, l'interdiction de la chasse.

13. D'après le gouvernement français, étant donné que l'article 9, paragraphe 1, de la directive exige qu'il n'existe pas d'autre solution satisfaisante, il n'est applicable qu'à la chasse d'oiseaux qui sont présents sur un territoire donné au cours de la période bénéficiant d'une protection spécifique en vertu de l'article 7, paragraphe 4, de la directive. D'autre part, le respect des conditions prévues par l'article 9, paragraphe 2, de la directive doit être observé d'une façon concrète et
précise, compte tenu, outre des impératifs écologiques, culturels et scientifiques, des exigences économiques et récréationnnelles.

14. Le gouvernement hellénique considère que de simples exigences récréationnnelles ne sont pas suffisantes pour justifier une dérogation au régime de protection des oiseaux.

15. La Commission estime que l'expression «toute autre exploitation judicieuse» inclut la chasse. En ce qui concerne les conditions dans lesquelles elle peut être pratiquée, à titre dérogatoire, elle renvoie aux exigences prévues à l'article 9 de la directive.

V - Les questions préjudicielles

16. Considérant que la légalité de l'article 2 du décret n° 2000-754 dépend de l'interprétation qu'il convient de donner de l'article 9, paragraphe 1, de la directive, le Conseil d'État a décidé de surseoir à statuer et de déférer à la Cour, à titre préjudiciel, les questions suivantes:

«1) L'article 9, paragraphe 1, sous c), de la directive 79/409/CEE du Conseil, du 2 avril 1979, permet-il à un État membre de déroger aux dates d'ouverture et de clôture de la chasse qui résultent de la prise en compte des objectifs énumérés au paragraphe 4 de son article 7?

2) En cas de réponse affirmative, quels sont les critères qui permettent de déterminer les limites de cette dérogation?»

VI - Examen des questions préjudicielles

Sur la première question préjudicielle

17. Par la première question préjudicielle, le Conseil d'État cherche à savoir si le régime dérogatoire de l'article 9 de la directive est pertinent aux fins de permettre une certaine activité cynégétique. Ainsi que l'affirme à juste titre le gouvernement français, la question de savoir si l'article 9, paragraphe 1, sous c), de la directive permet d'établir des dérogations aux dates d'ouverture et de fermeture de la chasse fixées conformément aux objectifs énumérés à l'article 7, paragraphe 4, de la
directive équivaut à se demander s'il est possible d'appliquer à la chasse elle-même les dérogations au principe de protection complète.

À la lumière de l'objectif, de l'économie et de l'esprit de conservation de la directive et compte tenu des termes utilisés dans ses articles 7, paragraphe 4, et 9, paragraphes 1 et 2, je ne pense pas qu'il puisse en être ainsi.

J'obtiens ce résultat par deux voies alternatives: soit parce que la chasse n'est pas l'une des hypothèses visées à l'article 9, paragraphe 1, de la directive, soit parce que le sport cynégétique n'est pas de nature à se conformer aux exigences prévues aux paragraphes 1 et 2 de cet article.

18. L'article 7, paragraphe 4, de la directive interdit la chasse pendant les périodes de nidification, de reproduction et de dépendance, ainsi que pendant le trajet de retour des oiseaux migrateurs vers leur lieu de nidification (expression du «principe de protection complète»).

Pour sa part, l'article 9, paragraphe 1, de la directive en ce qu'il est pertinent dans la présente affaire, admet des dérogations à cette protection complète, pour autant qu'il n'existe pas d'autre solution satisfaisante, «pour permettre, dans des conditions strictement contrôlées et de manière sélective, la capture, la détention ou toute autre exploitation judicieuse de certains oiseaux en petites quantités» [sous c)].

19. Il est vrai, comme l'indique la Commission, que rien dans la législation en cause ne permet de déduire que la chasse, au sens d'une activé simplement récréative, est nécessairement exclue des cas d'application de l'article 9, paragraphe 1, sous c). Certains éléments d'interprétation tendraient même à présumer le contraire.

20. Vue sous un angle téléologique, la directive n'a pas pour objectif de proscrire la chasse d'une manière générale mais bien de modérer sa pratique. Le huitième considérant se réfère à une exploitation des ressources dans des limites de ce qui est raisonnablement possible, tandis que le onzième considérant qualifie la chasse d'«exploitation admissible, pour autant que certaines limites soient établies et respectées». Cette terminologie est proche, quant à sa signification, de la notion
«d'exploitation judicieuse» visée à l'article 9, paragraphe 1, sous c) de la directive.

21. Au demeurant, il semble que la Cour a confirmé cette analyse à plusieurs reprises.

22. Dans ses arrêts du 8 juillet 1987, Commission/Italie , du 7 mars 1996, Associazione Italiana per il WWW e.a. , et du 12 décembre 1996, LRBPO et AVES , la Cour a examiné la conformité de régimes nationaux cynégétiques avec l'article 9, paragraphe 1, sous c), de la directive d'où il ressort que la Cour a considéré que la chasse était l'un des objectifs susceptibles de justifier l'autorisation d'une dérogation.

23. Selon mon point de vue, une autre interprétation est préférable: l'article 9, paragraphe 1, sous c), de la directive permet, dans les conditions qu'il énonce, de chasser un certain nombre d'oiseaux pendant la période durant laquelle ils sont particulièrement vulnérables, mais il ne permet pas la chasse en tant qu'activité récréative.

24. Il ressort d'une simple lecture de l'article 9, paragraphe 1, de la directive que, d'une part, les dérogations qu'il prévoit, poursuivent des fins qui sont considérées comme étant d'un intérêt supérieur par rapport au principe de protection complète des espèces. Ces dérogations ont pour objet de sauvegarder la santé et la sécurité publiques, ainsi que la sécurité aérienne, de prévenir des dommages importants aux cultures, au bétail, aux forêts, aux pêcheries et aux eaux, et de sauvegarder la
flore et la faune [sous a)]. Dans ces hypothèses, le respect rigoureux des principes de conservation contenus dans les articles 5 à 8 de la directive mettrait en danger d'autres valeurs également dignes de protection. Il existe aussi une dérogation à des fins de recherche, d'enseignement, de repeuplement et de réintroduction ou d'élevage [sous b)]. La protection plus complète cède, dans ces cas, la place à des interventions visant à garantir une meilleure conservation de l'espèce à plus long terme.

25. Il ressort, d'autre part, du libellé de l'article 9, paragraphe 1, de la directive qu'il s'agit toujours d'actions ponctuelles. Le treizième considérant de la directive énonce que, «en raison de l'importance que peuvent revêtir certaines situations spécifiques, il y a lieu de prévoir une possibilité de dérogation, sous certaines conditions, assortie d'une surveillance par la Commission». L'article 9, paragraphe 1, de la directive lui-même exige, pour que l'on puisse prévoir des dérogations,
qu'il n'existe pas d'autre solution satisfaisante et, déjà dans le cadre de l'article 9, paragraphe 1, sous c), que la capture, la détention ou toute autre exploitation judicieuse se fasse dans des conditions strictement contrôlées et de manière sélective et en petites quantités. Le paragraphe 2 de cet article ajoute certaines précisions sur les modalités auxquelles sont soumises les dérogations, en les limitant au «strictement nécessaire», sous la surveillance de la Commission .

26. Or, la chasse, en tant qu'activité sportive, n'a d'autre but que l'agrément de ceux qui y participent, objectif que l'on peut difficilement considérer comme étant prépondérant par rapport à celui de protection consacré à l'article 7, paragraphe 4, de la directive. De surcroît, comme telle, elle ne possède aucune des caractéristiques inhérentes à une action ponctuelle.

Il s'avère, par conséquent, étonnant de faire relever la chasse récréative des cas d'application de l'article 9, paragraphe 1, de la directive. Cette inclusion n'est pas cohérente avec la terminologie de la directive qui la mentionne souvent, notamment aux articles 5, 7 et 8, où figure l'essentiel des dispositions de fond qui peuvent faire l'objet des dérogations au titre de l'article 9. Il semble pour le moins singulier de désigner, d'une façon vague et aux côtés d'autres situations plus aptes,
l'activité qui constitue probablement le principal facteur de danger pour la conservation des espèces comme étant une «exploitation judicieuse».

L'article 9, paragraphe 1, sous c), de la directive couvre plusieurs circonstances exceptionnelles que le législateur n'a pas voulu ou n'a pas pu prévoir d'une façon explicite. S'il avait voulu prendre en considération la chasse, en tant qu'activité récréative, il l'aurait expressément mentionnée.

Cette interprétation, fondée strictement sur les termes utilisés, s'impose, pour le surplus, eu égard à la nature dérogatoire de l'article 9 de la directive, lu à la lumière de l'objectif de cette dernière qui est la protection des oiseaux et non la régulation de l'activité cynégétique. En d'autres termes, les doutes que suscite, en cette matière, une rédaction ambivalente doivent être levés dans le sens le plus favorable à l'objectif de protection.

27. Par conséquent, j'estime que les termes et l'économie de la directive conduisent à exclure la chasse, en tant qu'activité récréative, des hypothèses d'«exploitation judicieuse» visées à l'article 9, paragraphe 1, sous c). Il ne s'agit pas, bien sûr, d'émettre le moindre jugement de valeur sur la chasse mais bien d'appliquer une interprétation littérale et systématique.

28. Restent à examiner les arguments qui peuvent être tirés des trois arrêts précités aux notes 9, 10 et 11.

À mon avis, il convient de relativiser le poids de ces arguments.

En premier lieu, la Cour, dans aucun de ces arrêts, n'entend préciser si la chasse, dans le sens d'une activité purement récréative, relève des cas d'application de l'article 9, paragraphe 1, sous c), de la directive. En outre, les éléments de fait sur lesquels ils se fondent présentent des particularités notables.

Dans l'arrêt Commission/Italie, précité, la Cour a uniquement admis que la capture et la cession d'oiseaux, en vue de leur détention pour servir d'appelants vivants ou en vue de leur utilisation à des fins de loisir dans les foires et marchés, peut correspondre à une exploitation judicieuse autorisée par l'article 9, paragraphe 1, sous c), de la directive même en dehors des périodes d'ouverture de la chasse . La nature différente ainsi que la moindre envergure de cette activité par rapport à la
chasse en tant qu'activité récréative sont évidentes.

L'arrêt Associazione Italiana per il WWF e.a., précité conformément à la question qui avait été posée à la Cour, s'est limité à préciser les conditions dans lesquelles l'article 9 de la directive permet aux États membres de déroger à l'interdiction générale de la chasse d'espèces protégées, résultant des articles 5 et 7 de cette même directive.

Enfin, dans l'arrêt LRBPO et AVES, précité, la Cour a considéré comme étant l'expression d'une exploitation judicieuse, aux fins de l'article 9, paragraphe 1, sous c), de la directive, la capture de certaines espèces afin de permettre aux amateurs d'approvisionner leurs volières en vue de prévenir les inconvénients de la consanguinité dans l'élevage d'oiseaux d'agrément. Il s'agit, à nouveau, d'une activité dont la finalité et l'étendue divergent par rapport à la chasse.

29. Dans ces trois arrêts, la Cour a plutôt souligné la nature dérogatoire des régimes qui peuvent être instaurés au titre de l'article 9 de la directive. Il est significatif, à cet égard, que la Cour n'ait considéré, dans aucun des cas, que la réglementation nationale était conforme aux exigences élevées prévues par la disposition communautaire.

30. Selon la Cour, l'article 9, paragraphe 1, de la directive, tout en autorisant une large dérogation au régime général de protection, ne vise donc qu'une application concrète et ponctuelle pour répondre à des exigences précises et à des situations spécifiques . La transposition de la directive exige, dès lors, la garantie que la capture de certaines espèces d'oiseaux soit limitée au strict minimum et que la période de capture ne coïncide pas sans nécessité avec les périodes où la directive vise à
établir une protection particulière .

31. A fortiori, même en admettant, pour les seuls besoins du raisonnement, que la chasse pratiquée dans un but récréatif puisse être considérée comme étant une «exploitation judicieuse», au sens de l'article 9, paragraphe 1, sous c), de la directive, elle ne paraît pas être susceptible, en elle-même, de répondre à l'une des conditions prévues par les régimes dérogatoires qui peuvent être instaurés au titre dudit article 9, en l'occurrence, leur existence impérative en l'absence d'une autre solution
satisfaisante.

32. À première vue, il n'est pas aisé de distinguer, même d'une manière abstraite, les circonstances dans lesquelles une activité récréative ne pourrait pas être remplacée par une autre activité qui soit suffisamment satisfaisante. L'impossibilité de chasser certaines espèces pendant la période durant laquelle elles sont particulièrement vulnérables peut être remplacée par la chasse durant le reste de l'année ou par toute autre activité ludique.

33. L'Union des chasseurs et le gouvernement français ont présenté chacun leurs explications.

D'après l'Union des chasseurs, étant donné que la chasse des oiseaux sauvages et aquatiques est soumise à un contrôle particulièrement strict, seule une dérogation est susceptible de rendre possible la chasse de ces espèces, encadrée par des limitations rigoureuses, au-delà des dates d'ouverture et de fermeture de la chasse fixées conformément à l'article 7, paragraphe 4, de la directive. La seule alternative serait, ainsi, l'interdiction de la chasse. Elle a ajouté, à l'audience, que l'autorisation
de la chasse pendant la période de protection spécifique pourrait être la seule solution satisfaisante en vue de compenser le caractère peu fiable des études scientifiques sur la base desquelles les dates d'ouverture et de fermeture de la chasse sont fixées.

De son côté, le gouvernement français soutient que l'article 9, paragraphe 1, sous c), de la directive ne pourrait s'appliquer à la chasse que dans la mesure où certaines espèces ne seraient présentes en certains lieux qu'au cours de leur période de reproduction et jamais à un autre moment de l'année. Il n'existerait, dès lors, pas d'autre solution satisfaisante que de les chasser à un tel moment.

34. Ces thèses, outre le fait qu'elles ne sont reflétées nulle part dans les textes normatifs, m'apparaissent très peu convaincantes.

Ni la rigueur des textes de loi ni les prétendues hésitations scientifiques ne sauraient avoir pour effet de rendre indispensable la chasse de certaines espèces au cours de la période de protection maximale, dans une matière où le droit privilégie la conservation des espèces. La pratique actuelle tend, au contraire, à appliquer le principe de précaution (ou de prudence et d'action préventive, au sens de la terminologie utilisée par l'article 174, paragraphe 2, CE lorsque les données scientifiques
disponibles ne permettent pas une évaluation complète du risque afin d'atteindre ainsi un niveau élevé de protection de l'environnement et de la santé humaine, animale ou végétale .

Dans le même sens, considérer que la chasse de certaines espèces lors de leur cycle de reproduction est nécessaire dans la mesure où elles ne sont présentes sur le territoire qu'à cette période équivaut à inverser les priorités de la directive.

35. La nature obscure ou artificieuse des arguments utilisés pour justifier la nécessité de la chasse pendant la période de vulnérabilité confirme ma première impression quant au fait que l'article 9, paragraphe 1, de la directive n'est pas conçu pour permettre des dérogations à l'interdiction générale fondées sur la chasse pratiquée à titre récréatif.

36. Il y a lieu, par conséquent, de répondre à la première des questions posées par le Conseil d'État en ce sens que l'article 9, paragraphe 1, sous c), de la directive ne permet pas à un État membre, pour l'exercice à titre récréatif de l'activité cynégétique, de déroger aux dates d'ouverture et de clôture de la chasse fixées conformément aux objectifs énumérés à l'article 7, paragraphe 4, de cette directive.

Sur la seconde question préjudicielle

37. Par cette seconde question, la juridiction de renvoi souhaite connaître les critères qui, en cas de réponse affirmative à la première question, permettent de déterminer les limites de ces dérogations.

38. Dans l'hypothèse où la Cour devait répondre à la première question dans un sens différent de celui que je propose, je lui soumets les observations suivantes.

39. Il ressort du libellé de l'article 9 de la directive que le régime dérogatoire qu'il prévoit ne peut s'appliquer que si trois conditions sont remplies:

a) qu'il n'existe pas d'autre solution satisfaisante;

b) que la chasse (entendue en tant qu'expression d'une «exploitation judicieuse», comme cela résulte de la réponse à la première question) de certains oiseaux en petites quantités soit pratiquée dans des conditions strictement contrôlées et de manière sélective [article 9, paragraphe 1, sous c)];

c) que soient précisés:

- les espèces qui font l'objet des dérogations, les moyens ou méthodes de capture ou de mise à mort autorisés, les conditions de risque et les circonstances de temps et lieu dans lesquelles ces dérogations peuvent être prises,

- l'autorité habilitée à déclarer que les conditions exigées sont réunies et à décider quels moyens, installations ou méthodes sont permis, dans quelles limites et par quelles personnes,

- les contrôles qui seront opérés.

40. Dans ses arrêts Commission/Belgique et Commission/Italie, précités, la Cour a précisé, en suivant un schéma similaire, que la faculté d'établir des dérogations au titre de l'article 9 de la directive est soumise à trois conditions: premièrement, l'État membre doit restreindre la dérogation au cas où il n'existe pas d'autre solution satisfaisante, deuxièmement, la dérogation doit être fondée sur au moins l'un des motifs énumérés à l'article 9, paragraphe 1, sous a), b), et c) et, troisièmement,
la dérogation doit répondre aux critères précis de forme énumérés au paragraphe 2 dudit article, qui ont pour objet de limiter les dérogations au strict nécessaire et d'en permettre la surveillance par la Commission. La Cour a souligné que ledit article, tout en autorisant une large dérogation au régime général de protection, ne vise donc qu'une application concrète et ponctuelle pour répondre à des exigences précises et à des situations spécifiques . Enfin, la Cour elle-même a jugé utile d'ajouter
que l'article 2 de la directive oblige les États membres à prendre toutes les mesures nécessaires pour maintenir ou adapter la population de toutes les espèces d'oiseaux à un niveau qui correspond, notamment, aux exigences écologiques, scientifiques et culturelles, compte tenu des exigences économiques et récréationnelles. Donc, même si cet article 2 ne constitue pas une dérogation autonome au régime général de protection, il démontre que la directive elle-même prend en considération, d'une part, la
nécessité d'une protection efficace des oiseaux et, d'autre part, les exigences de la santé et de la sécurité publiques, de l'économie, de l'écologie, de la science, de la culture et de la récréation .

41. Dans un autre ordre d'idées, la Cour a également indiqué que, lorsque le contexte juridique général garantit la pleine application de la directive d'une façon suffisamment claire et précise, la transposition en droit interne n'exige pas nécessairement une reprise formelle et textuelle des dispositions communautaires dans une disposition légale expresse et spécifique et qu'elle peut se satisfaire d'un contexte juridique général.

42. Enfin, je ne veux pas terminer cette récapitulation de la jurisprudence sans souligner que l'exactitude de la transposition en droit interne d'une directive, dans sa lettre et dans son esprit, revêt une importance particulière lorsque la protection du patrimoine commun est confiée, pour leur territoire respectif, aux États membres .

43. Une question distincte de celle posée, dans des termes très clairs, par le Conseil d'État est celle de la conformité avec la directive d'une réglementation comme celle instituée par la France.

44. Sans pour autant tenter d'élucider un problème distinct de celui posé par la juridiction de renvoi, il convient d'observer que, dans le domaine de la conservation des oiseaux sauvages, les critères sur la base desquels les États membres peuvent déroger aux interdictions prescrites par la directive doivent être repris dans des dispositions nationales précises . À cet effet, il est nécessaire d'adopter des mesures assorties d'une référence, adéquatement circonstanciée, aux éléments figurant à
l'article 9, paragraphes 1 et 2 .

Or, il suffit de constater que la réglementation française, objet de la procédure au principal, ne fait pas apparaître les motifs pour lesquels l'activité cynégétique qu'elle autorise, pendant une période de protection maximale, n'est pas substituable par une autre solution satisfaisante.

45. Il y a lieu, en cas de réponse affirmative à la première question, de répondre à cette seconde question préjudicielle en sens que le régime dérogatoire instauré par l'article 9, paragraphe 1, de la directive s'applique à la chasse lorsque:

a) il n'existe pas d'autre solution satisfaisante;

b) elle est pratiquée sur certains oiseaux en petites quantités, dans des conditions strictement contrôlées et de manière sélective;

c) sont précisés:

- les espèces qui font l'objet des dérogations, les moyens ou méthodes de capture ou de mise à mort autorisés, les conditions de risque et les circonstances de temps et lieu dans lesquelles ces dérogations peuvent être prises;

- l'autorité habilitée à déclarer que les conditions exigées sont réunies et à décider quels moyens, installations ou méthodes sont permis, dans quelles limites et par quelles personnes,

- les contrôles qui seront opérés.

VII - Conclusion

46. Eu égard à ce qui précède, je propose de répondre aux questions formulées par le Conseil d'État de la manière suivante:

«L'article 9, paragraphe 1, sous c) de la directive 79/409/CEE du Conseil, du 2 avril 1979, concernant la conservation des oiseaux sauvages, ne permet pas à un État membre, pour l'exercice à titre récréatif de l'activité cynégétique, de déroger aux dates d'ouverture et de clôture de la chasse fixées conformément aux objectifs énumérés à l'article 7, paragraphe 4, de cette directive».


Synthèse
Numéro d'arrêt : C-182/02
Date de la décision : 06/05/2003
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle: Conseil d'Etat - France.

Directive 79/409/CEE - Conservation des oiseaux sauvages - Dates d'ouverture et de clôture de la chasse - Dérogations.

Environnement


Parties
Demandeurs : Ligue pour la protection des oiseaux e.a.
Défendeurs : Premier ministre et Ministre de l'Aménagement du territoire et de l'Environnement.

Composition du Tribunal
Avocat général : Ruiz-Jarabo Colomer
Rapporteur ?: Gulmann

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2003:248

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