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30/01/2003 | CJUE | N°C-300/01

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général Léger présentées le 30 janvier 2003., Doris Salzmann., 30/01/2003, C-300/01


CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL

M. PHILIPPE LÉGER

présentées le 30 janvier 2003 ( 1 )

1.  En droit autrichien, les Länder peuvent soumettre les acquisitions de biens fonciers à un régime de contrôle administratif. Dans les arrêts du 1er juin 1999, Konle ( 2 ), et du 5 mars 2002, Reisch e.a. ( 3 ), la Cour a été confrontée aux régimes d'acquisition de biens fonciers adoptés, respectivement, par le Land du Tyrol (Autriche) et le Land de Salzbourg (Autriche).



2.  Dans la prése...

CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL

M. PHILIPPE LÉGER

présentées le 30 janvier 2003 ( 1 )

1.  En droit autrichien, les Länder peuvent soumettre les acquisitions de biens fonciers à un régime de contrôle administratif. Dans les arrêts du 1er juin 1999, Konle ( 2 ), et du 5 mars 2002, Reisch e.a. ( 3 ), la Cour a été confrontée aux régimes d'acquisition de biens fonciers adoptés, respectivement, par le Land du Tyrol (Autriche) et le Land de Salzbourg (Autriche).

2.  Dans la présente affaire, la Cour est saisie par le Landesgericht Feldkirch (Autriche) qui s'interroge sur la compatibilité avec la libre circulation des capitaux du régime d'acquisition de biens fonciers arrêté par le Land du Vorarlberg (Autriche). Cette juridiction demande également quels peuvent être les effets sur un tel régime d'une clause de «standstill» figurant dans l'accord sur l'Espace économique européen, du 2 mai 1992 ( 4 ).

I — Le cadre juridique

A — Le droit communautaire

3. L'article 73 B du traité CE (devenu article 56 CE) dispose:

«1. Dans le cadre des dispositions du présent chapitre, toutes les restrictions aux mouvements de capitaux entre les États membres et entre les États membres et les pays tiers sont interdites.

2. Dans le cadre des dispositions du présent chapitre, toutes les restrictions aux paiements entre les États membres et entre les États membres et les pays tiers sont interdites.»

4. Selon l'article 73 D, paragraphe 1, du traité CE (devenu article 58, paragraphe 1, CE), l'article 73 B du traité ne porte pas atteinte au droit qu'ont les États membres, notamment, de prendre toutes les mesures indispensables pour faire échec aux infractions à leurs lois et règlements ou qui sont justifiées par des motifs liés à l'ordre public ou à la sécurité publique. Toutefois, il est précisé à l'article 73 D, paragraphe 3, du traité que ces mesures ne doivent constituer ni un moyen de
discrimination arbitraire ni une restriction déguisée à la libre circulation des capitaux.

5. L'annexe XII, point 1, sous e), de l'accord EEE énonce:

«[p]endant les périodes de transition, les États de l'AELE [Association européenne de libre-échange] n'accordent pas aux investissements existants et à des investissements nouveaux effectués par des sociétés ou des ressortissants d'États membres ou d'autres États de l'AELE un traitement moins favorable que celui prévu par la législation existante au moment de la signature de l'accord, sans préjudice du droit des États de l'AELE d'introduire une législation conforme aux dispositions de l'accord,
et en particulier à celles qui concernent l'achat de résidences secondaires, qui ont un effet correspondant à celui de la législation maintenue dans la Communauté en application de l'article 6 paragraphe 4 de la directive [88/361/CEE du Conseil, du 24 juin 1988, pour la mise en œuvre de l'article 67 du traité ( 5 )]».

6. L'acte relatif aux conditions d'adhésion de la république d'Autriche, de la république de Finlande et du royaume de Suède et aux adaptations des traités sur lesquels est fondée l'Union européenne ( 6 ) dispose, à son article 70:

«Nonobstant les obligations prévues par les traités, la république d'Autriche peut maintenir sa législation existante concernant les résidences secondaires pendant une période de cinq ans à partir de la date d'adhésion.»

B — Le droit national

7. Le Vorarlberger Grundverkehrsgesetz (loi sur la propriété foncière applicable dans le Land du Vorarlberg), du 23 septembre 1993, tel que modifié ( 7 ), prévoit que tout achat d'un terrain est, en principe, soumis à l'autorisation de l'autorité compétente en matière foncière ( 8 ). En cas de refus de cette autorisation, il ne peut pas être procédé à l'inscription de l'acquisition sur le livre foncier, qui fait naître le droit de propriété. L'acquisition est donc nulle de plein droit ( 9 ).

8. Le VG VG fait une distinction entre les terrains à bâtir et les terrains bâtis.

9. En ce qui concerne les terrains à bâtir, l'article 8 du VGVG dispose:

«3. Il y a lieu d'autoriser les acquisitions de terrains non bâtis, à l'exception de celles effectuées en vue d'y établir une résidence de vacances lorsque [...]

[...]

b) l'acquéreur a démontré de manière plausible que le terrain recevra dans un délai raisonnable une affectation conforme au plan d'utilisation des sols ou à des fins d'intérêt public, général ou culturel. Il y a lieu, à cet égard, de prendre également en considération les besoins de l'acquéreur.»

10. L'article 8, paragraphe 3, sous b), du VGVG procède d'une modification intervenue en 1997 et entrée en vigueur le 1er janvier 1998. Cette modification fait suite à l'annulation, par le Verfassungsgerichtshof (Autriche) en 1996, de la disposition précédemment applicable ( 10 ).

11. En ce qui concerne les terrains bâtis, l'article 7 du VGVG prévoit qu'il peut être dérogé à la condition de l'autorisation de l'autorité compétente en matière foncière si l'acquéreur fournit une déclaration écrite indiquant que le terrain est bâti, que son acquisition n'a pas lieu en vue d'y établir une résidence de vacances et qu'il est citoyen autrichien ou qu'il remplit l'une des conditions de l'article 3 du VGVG.

12. Selon ledit article 3, les acquéreurs qui n'ont pas la nationalité autrichienne, mais qui sont ressortissants d'un autre État membre, bénéficient d'une égalité de traitement avec les acquéreurs autrichiens lorsqu'ils invoquent une liberté fondamentale de l'Union européenne ( 11 ).

II — Les faits et la procédure

13. Mme Doris Salzmann, ressortissante autrichienne, domiciliée dans la commune de Fußach (Autriche), a acheté à M. Walter Schneider, de même nationalité et également domicilié à Fußach, un terrain à bâtir situé dans ladite commune. Elle n'a pas demandé l'autorisation prévue à l'article 8 du VGVG.

14. Le 9 novembre 1998, la requérante a demandé au Bezirksgericht Bregenz (Autriche) l'inscription de son droit de propriété relatif à ce terrain sur le livre foncier. Elle a produit une déclaration, analogue à celle qui aurait été requise si l'acquisition avait porté sur un terrain bâti, par laquelle elle s'engageait à ne pas utiliser le terrain acquis pour y implanter une résidence de vacances. Elle a fait valoir que la procédure d'autorisation contrevenait aux obligations communautaires de la
république d'Autriche et qu'une déclaration devait suffire pour pouvoir effectuer l'inscription sollicitée.

15. Par décision du 16 novembre 1998, le Bezirksgericht Bregenz a refusé de faire droit à sa demande, au motif que l'autorisation de transfert faisait défaut.

16. Le 18 novembre 1998, la requérante a introduit un recours contre cette décision auprès du Landesgericht Feldkirch ( 12 ).

17. Par ordonnance du 29 décembre 1998, le Bezirksgericht Bregenz a saisi la Cour de questions préjudicielles dans l'affaire Salzmann (C-178/99) ( 13 ). Dans l'arrêt rendu dans cette affaire, la Cour s'est déclarée incompétente pour répondre à ces questions au motif que le Bezirksgericht Bregenz exerçait en l'espèce une fonction de nature administrative. À la suite de cet arrêt, le Bezirksgericht Bregenz a transmis le recours au Landesgericht Feldkirch.

III — Les questions préjudicielles

18. Le Landesgericht Feldkirch a décidé de surseoir à statuer et de soumettre à la Cour trois questions préjudicielles quasi identiques à celles de l'affaire C-178/99, précitée. Il a posé les questions suivantes:

«1) Les ressortissants d'un État membre de l'Union européenne peuvent-ils invoquer la libre circulation des capitaux à l'occasion d'une transaction interne lorsque le droit de cet État membre interdit les discriminations au détriment de ses ressortissants, mais ne garantit pas expressément aux citoyens de l'Union la libre circulation des capitaux?

2) Le fait que l'autorisation de l'autorité compétente en matière foncière est nécessaire pour que prenne effet une transaction portant sur l'achat d'un terrain à bâtir non bâti est-il compatible avec la libre circulation des capitaux?

3) Quelles conséquences la clause de standstill figurant à l'annexe XII, point 1, sous e), de l'accord sur l'[EEE] a-telle sur les dispositions prévoyant une autorisation d'inscription [sur le] livre foncier — lesquelles sont nouvelles, de par leur nature — adoptées après la signature de l'accord sur l'[EEE]?»

IV — Appréciation

A — Sur la recevabilité

19. À titre liminaire, il convient de préciser que la compétence de la Cour pour statuer sur les questions posées par le Landesgericht Feldkirch ne paraît pas contestable. Elle n'est d'ailleurs pas mise en cause par les parties intervenantes. Ainsi, contrairement au Bezirksgericht Bregenz dans l'affaire C-178/99, précitée, le Landesgericht Feldkirch est saisi d'un litige et doit statuer sur celui-ci, en tant que juridiction nationale de dernier ressort, dans le cadre d'une procédure destinée à
aboutir à une décision de caractère juridictionnel ( 14 ).

20. La question de la recevabilité du présent renvoi préjudiciel se pose néanmoins à un autre titre. Dans leurs observations écrites sur la première question préjudicielle, la Commission des Communautés européennes ( 15 ) et le gouvernement autrichien ( 16 ) soutiennent que le litige au principal ne relève pas du droit communautaire, de sorte que l'interprétation de celui-ci est inutile. Ils soulignent que tous les éléments dudit litige se trouvent cantonnés dans le même État membre et font valoir
que, dans une telle hypothèse, l'article 73 B du traité n'est pas applicable. Ils invoquent à l'appui de leur analyse le libellé de cet article et la jurisprudence de la Cour selon laquelle les dispositions du traité relatives aux libertés fondamentales ne s'appliquent pas aux faits purement nationaux.

21. L'Autorité de surveillance AELE, bien qu'elle considère que le présent renvoi préjudiciel est recevable en application de la position prise par la Cour dans les arrêts du 6 juin 2000, Angonese ( 17 ), et du 5 décembre 2000, Guimont ( 18 ), partage l'analyse de la Commission et du gouvernement autrichien selon laquelle le litige au principal ne relève pas de l'article 73 B du traité ( 19 ).

22. Nous estimons que la recevabilité du présent renvoi préjudiciel peut être déduite de l'arrêt Reisch e.a., précité, rendu antérieurement à l'audience dans la présente procédure et dont les circonstances juridiques et factuelles sont très proches de celles de l'affaire au principal.

23. Comme nous l'avons indiqué au point 1 des présentes conclusions, l'arrêt Reisch e.a., précité, porte sur la compatibilité avec la libre circulation des capitaux du régime d'acquisition de biens fonciers du Land de Salzbourg. Selon ce régime, la cession de la propriété d'un terrain à bâtir était soumise à la présentation d'une attestation délivrée au vu d'une déclaration et, dans certains cas, d'une autorisation de transfert. Une des parties intervenantes a contesté la recevabilité du renvoi
préjudiciel au motif que le litige au principal avait un caractère purement interne en ce qu'il concernait l'acquisition par une société autrichienne d'un terrain situé en Autriche.

24. Dans son appréciation, la Cour a constaté, tout d'abord, que tous les éléments du litige au principal se trouvaient cantonnés à l'intérieur d'un seul État membre ( 20 ). Elle a indiqué, en outre, qu'une réglementation comme celle du Land de Salzbourg, qui est indistinctement applicable aux ressortissants autrichiens et à ceux des autres États membres de la Communauté, n'est, en règle générale, susceptible de relever des dispositions relatives aux libertés fondamentales établies par le traité que
dans la mesure où elle s'applique à des situations ayant un lien avec les échanges intracommunataires ( 21 ).

25. La Cour a exposé, ensuite, que ces constatations ne la dispensaient pas de répondre aux questions posées par la juridiction de renvoi. Elle a rappelé que, selon une jurisprudence constante, il appartient aux seules juridictions nationales, qui sont saisies du litige et qui doivent assumer la responsabilité de la décision judiciaire à intervenir, d'apprécier, au regard des particularités de chaque affaire, tant la nécessité d'une décision préjudicielle pour être en mesure de rendre leur jugement
que la pertinence des questions qu'elles posent à la Cour. Le rejet par cette dernière d'une demande formée par une juridiction nationale n'est possible que s'il apparaît de manière manifeste que l'interprétation sollicitée du droit communautaire n'a aucun rapport avec la réalité ou l'objet du litige au principal ( 22 ).

26. La Cour a conclu que l'interprétation du droit communautaire sollicitée par la juridiction de renvoi pouvait être utile à cette dernière pour la solution du litige au principal dans l'hypothèse où le droit national imposerait de faire bénéficier un ressortissant autrichien des mêmes droits que ceux qu'un ressortissant d'un autre État membre tirerait du droit communautaire dans une situation analogue ( 23 ).

27. Ce faisant, la Cour a adopté la même position que celle qu'elle avait retenue dans l'arrêt Guimont, précité, dans le cadre de la libre circulation des marchandises et d'un litige au principal dont tous les éléments se trouvaient également cantonnés à l'intérieur d'un seul État membre ( 24 ).

28. Les arrêts précités Reisch e.a. et Guimont s'inscrivent dans la ligne de la jurisprudence Dzodzi ( 25 ), en vertu de laquelle la Cour se déclare compétente pour statuer sur des demandes préjudicielles portant sur des dispositions du droit communautaire dans des situations où les faits au principal se situent en dehors du champ d'application de celui-ci, mais dans lesquelles lesdites dispositions de ce droit ont été rendues applicables par le droit national. En effet, dans ces deux cas de figure,
la compétence de la Cour dépend uniquement du droit national.

29. Comme nous l'avions indiqué dans nos conclusions dans l'affaire Berliner Kindl Brauerei ( 26 ), cette jurisprudence a suscité un débat important. Dans l'arrêt du 7 janvier 2003, BIAO ( 27 ), la Cour, dans sa formation plénière, a confirmé la jurisprudence Dzodzi, précitée, bien que l'avocat général Jacobs ait proposé un revirement ou, à défaut, une modification substantielle de celle-ci ( 28 ).

30. Au vu de ces éléments, il ne nous paraît pas opportun de rouvrir le débat sur cette jurisprudence.

31. Nous relevons donc simplement que, dans la présente affaire, la juridiction de renvoi a indiqué, dans les motifs de l'ordonnance de renvoi ( 29 ) et dans le libellé de la première question préjudicielle, que son droit national interdit les discriminations au détriment des ressortissants autrichiens. Dans une telle hypothèse, les ressortissants autrichiens pouvant se prévaloir des mêmes droits que ceux qu'un ressortissant d'un autre État membre tirerait de l'article 73 B du traité,
l'interprétation demandée par la juridiction de renvoi peut être utile pour la solution du litige au principal.

32. Les questions préjudicielles posées par la juridiction de renvoi relatives à l'interprétation de cette disposition doivent donc être déclarées recevables.

B — Sur les première et deuxième questions préjudicielles

33. Par ces deux questions, qu'il convient d'examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l'article 73 B du traité doit être interprété en ce sens qu'il s'oppose à une procédure d'autorisation préalable telle que celle prévue par le régime d'acquisition de biens fonciers institué par le VGVG.

34. À titre liminaire, il convient de préciser que, si le régime de la propriété relève de la compétence de chaque État membre en vertu de l'article 222 du traité CE (devenu article 295 CE), cette disposition n'a pas pour effet de faire échapper un tel régime aux dispositions du traité relatives aux libertés fondamentales ( 30 ).

35. S'agissant de mesures qui, comme en l'espèce, réglementent l'acquisition de la propriété foncière, elles sont soumises au respect de la libre circulation des travailleurs, de la liberté d'établissement et de la libre prestation des services ( 31 ).

36. De telles mesures doivent également se conformer aux dispositions du traité relatives à la liberté des mouvements de capitaux ( 32 ).

37. Il n'est pas contestable que des dispositions qui, comme l'article 8 du VGVG, instituent une procédure d'autorisation préalable à l'acquisition de biens fonciers restreignent, par leur objet même, la libre circulation des capitaux ( 33 ). En effet, ces dispositions ont pour objet de permettre aux autorités compétentes de l'État membre concerné de s'opposer à de telles acquisitions. Elles sont donc susceptibles d'empêcher ou de dissuader les investisseurs d'autres États membres de placer ainsi
leurs capitaux.

38. Nous savons que la libre circulation des capitaux, en tant que principe fondamental du traité, ne peut être limitée par une réglementation nationale que si celle-ci remplit certaines conditions. Ainsi, cette réglementation doit être fondée sur des motifs visés à l'article 73 D, paragraphe 1, du traité ou sur des raisons impérieuses d'intérêt général. En outre, elle doit être propre à garantir la réalisation de l'objectif qu'elle poursuit et ne pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour que
cet objectif soit atteint, en vue de répondre au critère de proportionnalité ( 34 ).

39. Nous examinerons donc tout d'abord si le régime litigieux poursuit un objectif légitime au regard du droit communautaire qui est de nature à justifier une restriction à une liberté fondamentale du traité. Dans l'affirmative, dans la mesure où l'aptitude du régime litigieux à garantir la réalisation de l'objectif qu'il poursuit n'est pas contestée, nous examinerons ensuite si la restriction apportée à la libre circulation des capitaux est proportionnée à l'objectif poursuivi.

1. Sur l'objectif poursuivi

40. Cette condition ne nous paraît pas poser de réelles difficultés en l'espèce au regard des explications fournies par le gouvernement autrichien et de la jurisprudence de la Cour.

41. Il ressort des explications du gouvernement autrichien que l'article 8 du VGVG poursuit principalement un objectif d'aménagement du territoire. Il s'agit d'obtenir que les terrains à bâtir reçoivent, dans un délai raisonnable, une construction conforme à l'intérêt public et correspondant au plan d'occupation des sols. Le régime litigieux a donc pour but d'empêcher que des terrains non bâtis soient achetés par des personnes qui n'ont pas l'intention de construire ou de construire dans un délai
raisonnable, afin de favoriser l'utilisation la plus judicieuse de l'espace foncier constructible ( 35 ). Il s'agit également de répondre à une insuffisance de terrains à bâtir dans le Land du Vorarlberg en raison du relief montagneux de cette région et de la croissance démographique ( 36 ).

42. Conformément à la jurisprudence de la Cour, de tels motifs sont de nature à justifier des restrictions à la libre circulation des capitaux. En effet, depuis que la Cour a admis que des entraves à l'exercice des libertés fondamentales pouvaient être justifiées par des raisons non prévues par le traité, mais poursuivant un «objectif d'intérêt général» ( 37 ) ou qualifiées de «raisons impérieuses liées à l'intérêt général» ( 38 ) ou encore de «raisons impérieuses d'intérêt général» ( 39 ), elle n'a
cessé d'étendre la liste des motifs légitimes susceptibles d'être invoqués par les États membres au soutien de telles entraves ( 40 ). Notamment, elle a jugé que le maintien dans une zone géographique déterminée d'un État membre d'une population permanente et d'une activité économique autonome par rapport au secteur touristique peut être considéré comme un objectif d'intérêt général de nature à justifier des restrictions à la libre circulation des capitaux ( 41 ).

43. Au vu de ces éléments, nous estimons que l'article 8 du VGVG poursuit un objectif légitime au regard du droit communautaire de nature à justifier une restriction à la libre circulation des capitaux.

2. Sur la proportionnalité

44. Cette condition constitue la principale difficulté de la présente affaire.

a) Arguments des parties

45. Le gouvernement autrichien fait valoir que l'article 8, paragraphe 3, du VGVG est proportionné à l'objectif qui lui est assigné et le moins contraignant possible. Selon lui, des procédures telles qu'une déclaration préalable, jugées suffisantes pour les terrains bâtis, seraient manifestement inadéquates pour les terrains à bâtir. En effet, ces procédures ne garantiraient pas une utilisation optimale de l'espace foncier. Il faudrait, en effet, attendre l'expiration du délai accordé à l'acquéreur
pour construire, soit quinze ans, avant de pouvoir intervenir contre l'auteur d'une fausse déclaration. À l'inverse, la condition d'autorisation préalable, qui permet d'exiger de l'acquéreur certaines actions concrètes, serait de nature à éviter une telle situation. Cela serait d'autant plus nécessaire qu'il existe une forte pression démographique dans le Land du Vorarlberg en faveur d'une utilisation conforme des terrains à bâtir. En outre, un régime d'autorisation préalable serait également
plus favorable à l'acquéreur, qui pourrait jouir paisiblement de son bien, qu'un système de sanctions a posteriori.

46. Le gouvernement autrichien souligne également que l'article 8 du VGVG est indistinctement applicable et qu'il doit être interprété à la lumière du principe de légalité énoncé dans la Constitution fédérale autrichienne. L'administration compétente ne disposerait donc pas d'un pouvoir discrétionnaire et serait tenue d'accorder l'autorisation demandée dès lors que les conditions auxquelles elle est assujettie sont remplies. Cela résulterait également des notes explicatives relatives à l'article 8
du VGVG.

47. À l'inverse, Mme Salzmann, la Commission et l'Autorité de surveillance AELE considèrent que la réglementation litigieuse est disproportionnée par rapport à son objectif et que celui-ci aurait pu être atteint par un système moins contraignant de notification préalable ou de déclaration. Mme Salzmann et la Commission estiment, en outre, que, en imposant à l'acquéreur de rapporter la preuve de l'usage futur du bien, l'article 8, paragraphe 3, du VGVG laisse à l'administration compétente une marge
d'appréciation risquant d'être appliquée de manière discriminatoire.

b) Analyse

48. Comme Mme Salzmann, la Commission et l'Autorité de surveillance AELE, nous estimons que la réglementation litigieuse doit être considérée comme contraire aux dispositions de l'article 73 B du traité.

49. Nous fondons cette appréciation sur deux considérations. Premièrement, il n'est pas démontré, selon nous, que le système d'autorisation préalable instauré par l'article 8 du VGVG est strictement indispensable pour réaliser les objectifs qu'il poursuit. Deuxièmement, cet article nous paraît conférer à l'administration compétente un pouvoir d'appréciation discrétionnaire que la réalisation des objectifs poursuivis ne justifie pas.

i) La nécessité d'un régime d'autorisation préalable

50. Il convient, à titre liminaire, de rappeler brièvement l'état actuel de la jurisprudence en ce qui concerne les restrictions apportées à la libre circulation des capitaux par un régime d'autorisation préalable en matière d'acquisition foncière.

51. Dans les arrêts du 23 février 1995, Bordessa e.a. ( 42 ), et du 14 décembre 1995, Sanz de Lera e.a. ( 43 ), la Cour a jugé que les restrictions à la libre circulation des capitaux résultant d'un régime soumettant les exportations de devises à l'autorisation préalable de l'administration pouvaient être éliminées grâce à un système de déclaration adéquate, sans nuire pour autant à l'efficacité des buts que cette réglementation poursuit.

52. La Cour a fait application de cette jurisprudence en matière d'acquisition foncière dans les arrêts précités Konle et Reisch e.a.

53. Dans l'arrêt Konle, précité, la Cour a été confrontée à un régime soumettant à une autorisation préalable de l'administration les acquisitions de biens fonciers afin d'éviter que ces biens servent à l'installation de résidences secondaires. Elle a indiqué que le raisonnement développé dans les arrêts précités Bordessa e.a. et Sanz de Lera e.a. n'était pas directement transposable. Elle a indiqué que, en matière d'acquisition de la propriété, l'exigence d'une autorisation préalable ne répond pas
seulement à un besoin d'information, comme en matière de transfert de devises, mais peut se solder par un refus d'autorisation, sans être nécessairement contraire au droit communautaire ( 44 ).

54. La Cour a déduit de cette analyse qu'une procédure de simple déclaration ne permettait pas, à elle seule, de garantir un usage du terrain conforme à la réglementation nationale. Elle a relevé que, pour autant, une procédure d'autorisation préalable n'était pas toujours nécessaire. Elle a estimé que l'État disposait d'autres possibilités pour faire assurer le respect des orientations qu'il avait retenues pour l'aménagement de son territoire, telles que des amendes, une décision imposant à
l'acquéreur de mettre fin immédiatement à l'utilisation illicite du bien sous peine de mise en vente forcée de celui-ci et la constatation de la nullité de la vente ( 45 ).

55. La Cour a adopté la même analyse dans l'arrêt Reisch e.a., précité. La réglementation en cause prévoyait que certaines transactions portant sur des terrains à bâtir, tels la cession d'un droit de propriété ou l'octroi d'un droit de construction, étaient subordonnées à la condition que l'acquéreur déclare, notamment, qu'il affecterait le terrain à sa résidence principale ou à des fins économiques. Si cette déclaration n'était pas jugée satisfaisante, l'acquéreur devait obtenir une autorisation de
transfert auprès d'une autre autorité qui vérifiait que les conditions de fond liées à l'interdiction de l'affectation à une résidence secondaire étaient remplies ( 46 ).

56. La Cour a jugé que la procédure de déclaration préalable pouvait être considérée comme compatible avec le droit communautaire. En revanche, elle a estimé que la procédure d'autorisation préalable ne pouvait pas être analysée comme une mesure strictement indispensable, compte tenu de la possibilité de contrôle que le régime de déclaration préalable ouvre à l'autorité publique, de l'existence de sanctions pénales et d'une action spécifique en nullité pouvant être exercée devant le juge national
dans l'hypothèse où le projet réalisé ne serait pas conforme à la déclaration initiale ( 47 ).

57. Nous pensons que la position retenue par la Cour dans les arrêts précités Konle et Reisch e.a. peut être transposée dans les circonstances de l'espèce.

58. Certes, contrairement aux régimes en cause dans ces deux arrêts, l'article 8 du VGVG ne se limite pas à exiger de l'acquéreur qu'il affecte le terrain à bâtir à l'installation d'une résidence principale. Cet article vise également à obtenir que le terrain acheté reçoive une construction dans un délai raisonnable et que celle-ci soit conforme à un plan d'utilisation des sols. Les objectifs poursuivis par le régime litigieux, et, par conséquent, les obligations mises à la charge de l'acquéreur,
sont donc plus importants, puisqu'ils comportent la réalisation dans un délai raisonnable d'une construction et la conformité de celle-ci avec certaines exigences.

59. Pour autant, il n'est pas démontré, selon nous, que la réalisation de ces objectifs ne peut être garantie que par un régime d'autorisation préalable tel que celui instauré par le Land du Vorarlberg, c'est-à-dire un régime en vertu duquel chaque cession de terrain non bâti doit être soumise à l'approbation de l'administration, sollicitée par demande spéciale et suspensive de la validité de l'opération.

60. En effet, les arguments avancés par le gouvernement autrichien, aux fins de démontrer qu'un régime de déclaration préalable accompagné de sanctions aurait été insuffisant, ne nous semblent pas convaincants. Il convient de les reprendre successivement.

— Un régime de déclaration préalable serait manifestement inadéquat pour garantir une utilisation optimale de terrains à bâtir

61. À cet argument, il peut être répliqué que les régimes en cause dans les arrêts précités Konle ( 48 ) et Reisch e.a. ( 49 ) portaient également sur l'acquisition de terrains à bâtir. La Cour a considéré dans ces arrêts qu'un régime de déclaration préalable permettait à l'administration d'effectuer un contrôle de la conformité de l'achat avec certaines exigences, en particulier de l'engagement de l'acquéreur d'affecter le terrain acquis à l'installation de sa résidence principale.

62. Un tel système permettrait également, selon nous, de contrôler l'engagement de l'acquéreur de faire réaliser sur le terrain acquis une construction conforme au plan d'occupation des sols. Il suffirait que l'acquéreur soit invité à préciser, dans sa déclaration écrite, le type de construction qu'il envisage de réaliser. Il serait donc possible à l'administration de vérifier que ce type de construction est conforme à l'un de ceux prévus par la législation et de s'y opposer, sous réserve de le
faire dans un délai bref et prédéterminé à compter de la réception de la déclaration, en cas de non-conformité.

63. Ensuite, il n'existe pas de danger ou de risque particulier à prévoir que ce contrôle de l'administration s'exerce dans le cadre d'un système déclaratif, en vertu duquel la vente conclue par les parties serait valable, en principe, sauf opposition de l'administration ( 50 ). La situation en l'espèce est différente de celles dans lesquelles est en cause l'accès à une profession réglementé pour des raisons de déontologie, de compétence et de responsabilité ( 51 ), ou l'exercice d'une activité
soumise à des obligations de service public ( 52 ), ou encore la reconnaissance d'un diplôme obtenu dans un autre État membre ( 53 ). Dans ces cas de figure, l'intérêt général commande que l'autorisation de l'administration soit suspensive de l'exercice de la liberté revendiquée. Il y aurait un risque pour l'intérêt collectif à ce que cette liberté soit exercée, même pendant le temps de l'examen d'une déclaration préalable. Tel n'est pas le cas en l'espèce.

64. À cet égard, il convient de souligner que, dans l'arrêt Reisch e.a., précité, la Cour a indiqué que l'examen préalable effectué au vu de la déclaration de l'acquéreur pouvait être à même de prévenir certains dommages difficilement réparables, occasionnés par la réalisation rapide de projets de construction ( 54 ).

65. Enfin, le respect de l'engagement de construction pris par l'acquéreur pourrait être garanti, comme celui d'affecter le terrain acquis à l'installation de sa résidence principale, par un régime de sanctions pénales et civiles, pouvant aller d'une mise en demeure à une action en résiliation de la vente.

— Ce système de sanction ne garantirait pas une utilisation optimale de l'espace foncier parce qu'il faudrait attendre quinze ans pour le mettre en œuvre

66. Il convient de rappeler que le délai imparti à l'acquéreur pour faire réaliser la construction prévue par le plan d'occupation des sols relève de la compétence souveraine des autorités autrichiennes ou du Land du Vorarlberg. La durée de ce délai ne saurait donc constituer un argument valable pour écarter un système déclaratif au profit d'un régime d'autorisation préalable. En outre, même un système d'autorisation préalable n'est pas de nature à garantir que tous les acheteurs de terrains à bâtir
exécuteront leurs engagements.

— Une demande d'autorisation préalable serait plus favorable à l'acquéreur

67. Cette affirmation nous semble devoir être nuancée. Un acquéreur dont le projet de construction exposé dans sa déclaration n'a pas fait l'objet d'un refus de la part de l'administration et dont le titre de propriété a été inscrit sur le livre foncier sera en mesure de savoir quels sont ses droits et ses obligations. Il ne devrait donc pas être troublé dans la jouissance de son bien s'il réalise la construction prévue dans sa déclaration et s'il l'utilise comme résidence principale.

68. Cette analyse a également été exposée par la Cour dans l'arrêt Reisch e.a., précité, dans lequel elle a indiqué qu'une exigence minimale de déclaration préalable présente l'avantage d'offrir une certaine sécurité juridique à l'acquéreur, à la différence de modalités de contrôle qui ne seraient exercées qu'a posteriori ( 55 ).

69. Au vu de ces considérations, une politique d'aménagement du territoire comme celle qui est poursuivie en l'espèce ne justifie pas, selon nous, de soumettre les acquisitions de terrains à bâtir à un système d'autorisation préalable, suspensive de la validité de l'acquisition. Cette appréciation est corroborée par le pouvoir d'appréciation que l'article 8 du VGVG confère à l'administration compétente.

ii) Le pouvoir discrétionnaire de l'administration

70. Il convient de rappeler que l'article 8 du VGVG subordonne l'autorisation de l'acquisition d'un terrain non bâti à deux conditions. L'acquéreur doit démontrer de manière plausible, premièrement, que l'achat du terrain n'est pas effectué en vue d'y établir une résidence de vacances et, deuxièmement, que ce terrain recevra dans un délai raisonnable une affectation conforme au plan d'utilisation des sols ou à des fins d'intérêt public, général ou culturel ( 56 ).

71. S'agissant de la première condition, ainsi que la Cour l'a indiqué très clairement dans l'arrêt Konle, précité, la preuve d'un tel usage futur du bien à acquérir est impossible à apporter d'une manière incontestable. Il sensuit que l'administration dispose, pour se prononcer sur la valeur probante des informations reçues de la part de l'acquéreur, d'une large marge d'appréciation qui s'apparente à un pouvoir discrétionnaire ( 57 ).

72. S'agissant de la seconde condition, il convient de relever que plusieurs destinations possibles de la construction à réaliser sont énumérées sans autre précision sur la manière avec laquelle l'administration compétente peut faire prévaloir l'une d'entre elles pour un terrain déterminé. En effet, il est simplement indiqué que la construction doit être conforme au plan d'utilisation des sols ou à des fins d'intérêt public, général ou encore culturel. En outre, l'acquéreur doit démontrer «de
manière plausible» que le terrain recevra dans un délai raisonnable une affectation conforme à ces destinations sans que les éléments susceptibles de rapporter cette preuve soient indiqués.

73. En l'absence de précision, de la part du gouvernement autrichien, sur les critères retenus par l'administration pour apprécier si cette seconde condition est remplie, force est de constater qu'une telle imprécision est, là encore, de nature à conférer à ladite administration un très large pouvoir d'appréciation qui s'apparente à un pouvoir discrétionnaire.

74. Or, il est de jurisprudence établie qu'un régime d'autorisation préalable comme celui en l'espèce doit être fondé sur des critères objectifs, non discriminatoires et connus à l'avance des personnes concernées, de manière à encadrer le pouvoir d'appréciation des autorités compétentes afin que celui-ci ne soit pas exercé de manière arbitraire ( 58 ).

75. Lorsque, comme en l'espèce, les circonstances objectives et spécifiques dans lesquelles une autorisation préalable sera accordée ou refusée ne peuvent pas être déterminées, la Cour a jugé qu'une telle indétermination ne permet pas aux particuliers de connaître l'étendue de leurs droits et de leurs obligations découlant de l'article 73 B du traité, de sorte qu'un tel régime doit être considéré comme étant contraire au principe de sécurité juridique ( 59 ).

76. Au vu de l'ensemble de ces considérations, nous estimons que le régime d'autorisation préalable prévu à l'article 8 du VGVG est contraire à l'article 73 B du traité.

77. À titre subsidiaire, le gouvernement autrichien a fait valoir que, si la Cour jugeait que le régime litigieux est contraire à l'article 73 B du traité, il faudrait considérer que ce régime est couvert par l'article 70 de l'acte d'adhésion, selon lequel la république d'Autriche peut maintenir sa législation existante concernant les résidences secondaires pendant une période de cinq ans à partir de la date d'adhésion.

78. Nous avons vu que l'article 8, paragraphe 3, du VGVG, dont les dispositions ont été opposées en l'espèce à Mme Salzmann, est entré en vigueur le 1er janvier 1998. Il ne s'agit donc pas, a priori, d'une législation existante à la date de l'adhésion de la république d'Autriche à l'Union européenne. Toutefois, dans l'arrêt Konle, précité, la Cour a jugé que toute disposition adoptée postérieurement à cette date n'est pas, de ce seul fait, automatiquement exclue du régime dérogatoire instauré par
l'article 70 de l'acte d'adhésion. La Cour a précisé que la dérogation prévue par cet article peut trouver à s'appliquer si la disposition adoptée postérieurement est, dans sa substance, identique à la législation antérieure ou si elle se borne à réduire ou à supprimer un obstacle à l'exercice des droits et des libertés communautaires figurant dans la législation antérieure ( 60 ).

79. Elle a indiqué également que c'est au juge national qu'il revient de déterminer le contenu de la législation existante concernant les résidences secondaires à la date de l'adhésion de la république d'Autriche ( 61 ).

80. Il appartiendra donc à la juridiction de renvoi d'apprécier si l'article 8, paragraphe 3, du VGVG remplit les conditions dégagées par la Cour dans l'arrêt Konle, précité, pour bénéficier de la dérogation prévue à l'article 70 de l'acte d'adhésion.

81. Pour aider le juge national dans cette appréciation, la Cour, dans l'arrêt Konle, précité, a procédé à la comparaison de la législation qui se trouvait en vigueur lors de l'adhésion de la république d'Autriche avec le régime adopté postérieurement et a indiqué pourquoi ce dernier ne pouvait pas être considéré comme une législation existante au sens de l'article 70 de l'acte d'adhésion ( 62 ).

82. Une telle démarche ne nous semble pas opportune en l'espèce dans la mesure où le juge national a pris le soin d'indiquer dans l'ordonnance de renvoi que la législation qui était en vigueur au moment de l'adhésion de la république d'Autriche était moins restrictive que celle adoptée en 1997 et dont il a été fait application dans le litige au principal ( 63 ). En outre, le juge national, qui, rappelons-le, n'a pas posé de question préjudicielle sur l'interprétation de l'article 70 de l'acte
d'adhésion, n'a pas cité littéralement la disposition qui était en vigueur en 1995.

83. Au vu de l'ensemble de ces éléments, nous proposerons à la Cour de répondre à la juridiction de renvoi que l'article 73 B du traité doit être interprété en ce sens qu'il s'oppose à une procédure d'autorisation préalable telle que celle prévue par le régime d'acquisition des biens fonciers institué par le VGVG.

C — Sur la troisième question préjudicielle

84. Par cette question, la juridiction de renvoi cherche à savoir si la clause de «standstill» figurant à l'annexe XII, point 1, sous e), de l'accord EEE s'opposait à l'adoption en 1993 d'une réglementation soumettant à un régime d'autorisation préalable les acquisitions de terrains à bâtir.

85. La juridiction de renvoi demande donc à la Cour de statuer sur les effets d'une disposition de l'accord EEE dans l'ordre juridique autrichien pour une période antérieure à l'adhésion de la république d'Autriche à l'Union européenne.

86. Au vu de la jurisprudence de la Cour, celle-ci n'est pas compétente pour répondre à une telle question.

87. En effet, dans l'arrêt du 15 juin 1999, Andersson et Wåkerås-Andersson ( 64 ), la Cour était également invitée à se prononcer sur les effets d'une disposition de l'accord EEE dans l'ordre juridique d'un État membre pour une période antérieure à l'adhésion de cet État. En substance, une juridiction suédoise demandait si l'article 6 de l'accord EEE devait être interprété en ce sens que la responsabilité du royaume de Suède pouvait être engagée pour des dommage causés aux particuliers par la
transposition incorrecte d'une directive avant l'adhésion de cet État à l'Union européenne.

88. La Cour a jugé que, si, en principe, elle est compétente pour statuer à titre préjudiciel sur l'interprétation de l'accord EEE lorsqu'une telle question est soulevée devant une juridiction de l'un des États membres, cette compétence au titre de l'article 177 du traité CE (devenu article 234 CE) est valable uniquement en ce qui concerne la Communauté. Elle n'est donc pas compétente pour se prononcer sur l'interprétation dudit accord pour ce qui relève de son application dans les États de l'AELE
et une telle compétence ne lui a pas non plus été attribuée dans le cadre de l'accord EEE ( 65 ).

89. La Cour a précisé que la circonstance selon laquelle l'État de l'AELE concerné a adhéré à l'Union européenne, de sorte que la question préjudicielle émane d'une juridiction d'un État membre, ne saurait avoir pour effet de lui attribuer une compétence d'interprétation de l'accord EEE pour ce qui est de son application à des situations qui ne relèvent pas de l'ordre juridique communautaire ( 66 ).

90. Dans un autre arrêt du 15 juin 1999, Rechberger e.a. ( 67 ), la Cour a repris cette analyse en affirmant qu'elle n'est compétente ni en vertu de l'article 177 du traité ni en vertu de l'accord EEE pour se prononcer sur l'interprétation dudit accord pour ce qui concerne son application par un État de l'AELE pendant la période antérieure à son adhésion à l'Union européenne.

91. Compte tenu de ces éléments, nous proposerons donc à la Cour de dire qu'elle n'est pas compétente pour répondre à la troisième question préjudicielle.

V — Conclusion

92. Au vu des considérations qui précèdent, nous proposons à la Cour de répondre de la manière suivante aux questions posées par le Landesgericht Feldkirch:

«1) L'article 73 B du traité CE (devenu article 56 CE) doit être interprété en ce sens qu'il s'oppose à une procédure d'autorisation préalable comme celle prévue par le régime d'acquisition de biens fonciers institué par le Vorarlberger Grundverkehrsgesetz (loi sur la propriété foncière applicable dans le Land du Vorarlberg), du 23 septembre 1993, tel que modifié en 1997.

2) La Cour de justice des Communautés européennes n'est pas compétente pour répondre à la troisième question préjudicielle.»

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( 1 ) Langue originale: le français.

( 2 ) C-302/97, Rec. p. I-3099.

( 3 ) C-515/99, C-519/99 à C-524/99 et C-526/99 à C-540/99 Rec. p. I-2157.

( 4 ) JO 1994, L 1, p. 3 (ci-après l'«accord EEE»).

( 5 ) JO L 178, p. 5.

( 6 ) JO 1994, C 241, p. 21, et JO 1995, L 1, p. 1 (ci-après l'«acte d'adhésion»).

( 7 ) LGBl. 1993/61, modifié aux LGBl. 1995/11, 1996/9 et 1997/85 (ci-après le «VGVG»).

( 8 ) Ordonnance de renvoi (point 4).

( 9 ) Ibidem (point 5).

( 10 ) Ibidem (point 7).

( 11 ) Ibidem (point 6).

( 12 ) Ordonnance de renvoi (point 4).

( 13 ) Arrêt du 14 juin 2001 (C-178/99, Rec. p. I-4421).

( 14 ) Ordonnance de renvoi (point 2).

( 15 ) Points 11 à 17.

( 16 ) Pages 2 à 5.

( 17 ) C-281/98, Rec. p. I-4139.

( 18 ) C-448/98, Rec. p. I-10663.

( 19 ) Voir ses observations écrites (points 17 à 23).

( 20 ) Arrêt Reisch e.a., précité (point 24).

( 21 ) Idem.

( 22 ) Arrêts du 16 juin 1981, Salonia (126/80, Rec. p. 1563, point 6), et Angonese, précité (point 18).

( 23 ) Arrêt Reisch e.a., précité (point 26).

( 24 ) Il s'agissait de poursuites pénales engagées par une administration française à l'encontre du directeur d'une société établie en France pour avoir produit et vendu sur le territoire de cet État des fromages sans croûte sous la dénomination «emmenthal», en contravention avec la réglementation nationale.

( 25 ) Arrêt du 18 octobre 1990 (C-297/88 et C-197/89, Rec. p. I-3763). Cette jurisprudence a pris naissance dans l'arrêt du 26 septembre 1985, Thomasdünger (166/84, Rec. p. 3001}, et a été suivie par la Cour dans de nombreux arrêts, parmi lesquels ceux du 17 juillet 1997, Leur-Bloem (C-28/95, Rec. p. I-4161), et Giloy (C-130/95, Rec. p. I-4291).

( 26 ) Arrêt du 23 mars 2000 (C-208/98, Rec. p. I-1741, point 24).

( 27 ) C-306/99, Rec. p. I-1 (points 86 à 92).

( 28 ) Points 47 à 70.

( 29 ) Point 10.

( 30 ) Arrêts du 6 novembre 1984, Fearon (182/83, Rec. p. 3677, point 7), et Konle, précité (point 38).

( 31 ) Voir, en ce sens, arrêt du 30 mai 1989, Commission/Grèce (305/87, Rec. p. 1461, points 18 à 27).

( 32 ) Arrêts précités Konle (point 22) et Reisch e.a. (point 28).

( 33 ) Arrêts précités Konle (point 39) et Reisch e.a. (point 32).

( 34 ) Arrêts du 4 juin 2002, Commission/Portugal (C-367/98, Rec. p. I-4731, point 49); Commission/France (C-483/99, Rec. p. I-4781, point 45), et Commission/Belgique (C-503/99, Rec. p. I-4809, point 45).

( 35 ) Voir observations écrites du gouvernement autrichien (p. 16 et 17).

( 36 ) Voir observations orales du gouvernement autrichien.

( 37 ) Voir, notamment, arrêt du 28 janvier 1992, Bachmann (C-204/90, Rec. p. I-249, point 29).

( 38 ) Voir, notamment, arrêt du 26 février 1991, Commission/ France (C-154/89, Rec. p. I-659, point 15).

( 39 ) Voir, notamment, arrêt du 25 juillet 1991, Collectieve Antennevoorziening Gouda (C-288/89, Rec. p. I-4007, point 14).

( 40 ) Voir, à cet égard, les exemples de raisons impérieuses d'intérêt général déjà admises par la Cour citées dans l'arrêt Collectieve Antennevoorziening Gouda, précité (point 14).

( 41 ) Arrêts précités Konle (point 40) et Reisch e.a. (point 34).

( 42 ) C-358/93 et C-416/93, Rec. p. I-361 (points 24 à 27).

( 43 ) C-163/94, C-165/94 et C-250/94, Rec. p. I-4821 (points 26 et 27).

( 44 ) Arrêt Konle, précité (point 45).

( 45 ) Ibidem (point 47).

( 46 ) Points 6 et 7.

( 47 ) Ibidem (points 36 à 38).

( 48 ) Point 4.

( 49 ) Point 6.

( 50 ) Voir, en ce sens, arrêt du 22 janvier 2002, Canal Satélite Digital (C-390/99, Rec. p. I-607, point 40).

( 51 ) Voir, en ce qui concerne l'exercice de la profession d'«avvocato», arrêt du 30 novembre 1995, Gebhard (C-55/94, Rec. p. I-4165, point 35).

( 52 ) Voir, en ce qui concerne les prestations de services réguliers de cabotage maritime, arrêt du 20 février 2001, Analir e.a. (C-205/99, Rec. p. I-1271, point 36).

( 53 ) Arrêt du 31 mars 1993, Kraus (C-19/92, Rec. p. I-1663, point 35).

( 54 ) Point 36.

( 55 ) Point 36.

( 56 ) Voir observations du gouvernement autrichien (p. 8 et 9).

( 57 ) Point 41.

( 58 ) Arrêts précités Analir e.a. (point 38), Commission/Portugal (point 50), et Canal Satélite Digital (point 35).

( 59 ) Arrêts du 14 mars 2000, Église de Scientologie (C-54/99, Rec. p. I-1335, points 21 et 22), et du 4 juin 2002, Commission/France, précité (point 50).

( 60 ) Arrêt Konle, précité (point 52).

( 61 ) ibidem (points 27 et 51).

( 62 ) Points 51 à 54.

( 63 ) Ordonnance de renvoi, point 7.

( 64 ) C-321/97, Rec. p. I-3551.

( 65 ) Arrêt Andersson et Wåkerås-Andersson, précité (points 27 à 31).

( 66 ) Ibidem (point 30).

( 67 ) C-140/97, Rec. p. I-3499 (point 38).


Synthèse
Numéro d'arrêt : C-300/01
Date de la décision : 30/01/2003
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle: Landesgericht Feldkirch - Autriche.

Liberté des mouvements de capitaux - Article 73 B du traité CE (devenu article 56 CE) - Procédure d'autorisation préalable des acquisitions de terrains à bâtir - Situation purement interne - Article 70 de l'acte d'adhésion de la république d'Autriche - Notion de 'législation existante' - Annexe XII, point 1, sous e), de l'accord EEE.

Adhésion

Libre circulation des capitaux


Parties
Demandeurs : Doris Salzmann.

Composition du Tribunal
Avocat général : Léger
Rapporteur ?: Puissochet

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2003:61

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