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26/11/2002 | CJUE | N°C-213/01

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général Léger présentées le 26 novembre 2002., T. Port GmbH & Co. KG contre Commission des Communautés européennes., 26/11/2002, C-213/01


CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL

M. PHILIPPE LÉGER

présentées le 26 novembre 2002 ( 1 )

1.  Le présent pourvoi est dirigé contre l'arrêt du Tribunal de première instance des Communautés européennes du 20 mars 2001, T. Port/Commission ( 2 ). Il s'inscrit dans le droit fil de l'arrêt de la Cour du 10 mars 1998, T. Port ( 3 ).



2.  On se souvient que, en 1995, le Fi...

CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL

M. PHILIPPE LÉGER

présentées le 26 novembre 2002 ( 1 )

1.  Le présent pourvoi est dirigé contre l'arrêt du Tribunal de première instance des Communautés européennes du 20 mars 2001, T. Port/Commission ( 2 ). Il s'inscrit dans le droit fil de l'arrêt de la Cour du 10 mars 1998, T. Port ( 3 ).

2.  On se souvient que, en 1995, le Finanzgericht Hamburg (Allemagne) avait émis des doutes quant à la validité du règlement (CEE) no 404/93 du Conseil, du 13 février 1993, portant organisation commune des marchés dans le secteur de la banane ( 4 ). Statuant en référé, cette juridiction avait écarté provisoirement l'application du règlement no 404/93 et posé plusieurs questions préjudicielles à la Cour. Au titre des mesures provisoires, elle avait également autorisé la société T. Port GmbH & Co. KG
à importer une certaine quantité de bananes dans la Communauté européenne. La question qui se pose à présent est de savoir si cette quantité de bananes, fixée judiciairement et provisoirement, peut être prise en compte dans le calcul de la quantité de référence attribuée aux opérateurs traditionnels, en application du règlement (CE) no 2362/98 de la Commission ( 5 ).

I — Le cadre juridique

3. Le cadre juridique du litige peut être décrit comme suit ( 6 ).

4. Le règlement no 404/93 a institué un système commun d'importation de bananes qui s'est substitué aux différents régimes nationaux. Une distinction a été opérée entre les «bananes communautaires», récoltées dans la Communauté, les «bananes pays tiers», en provenance des pays tiers autres que les États d'Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (ACP), les «bananes traditionnelles ACP» et les «bananes non traditionnelles ACP». Les bananes traditionnelles ACP et les bananes non traditionnelles ACP
correspondaient aux quantités de bananes exportées par les pays ACP qui, respectivement, n'excédaient pas ou dépassaient les quantités exportées traditionnellement par chacun de ces États, telles que fixées en annexe au règlement no 404/93.

5. À l'origine, le règlement no 404/93 prévoyait l'ouverture d'un contingent tarifaire annuel de 2,2 millions de tonnes (poids net) pour les importations de bananes pays tiers et de bananes non traditionnelles ACP.

6. L'article 19, paragraphe 1, du règlement no 404/93 opérait une répartition de ce contingent tarifaire, en l'ouvrant à concurrence de 66,5 % à la catégorie des opérateurs qui avaient commercialisé des bananes pays tiers et/ou des bananes non traditionnelles ACP (catégorie A), 30 % à la catégorie des opérateurs qui avaient commercialisé des bananes communautaires et/ou des bananes traditionnelles ACP (catégorie B) et 3,5 % à la catégorie des opérateurs établis dans la Communauté qui avaient
commencé à commercialiser des bananes autres que les bananes communautaires et/ou traditionnelles ACP à partir de 1992 (catégorie C).

7. L'article 19, paragraphe 2, première phrase, du règlement no 404/93 était libellé comme suit:

«Sur la base de calculs séparés pour chacune des catégories d'opérateurs visés au paragraphe 1 [...], chaque opérateur obtient des certificats d'importation en fonction des quantités moyennes de bananes qu'il a vendues dans les trois dernières années pour lesquelles des chiffres sont disponibles.»

8. Ce régime d'importation fut remis en cause dans le cadre de l'Organisation mondiale du commerce (OMC). Par décision du 25 septembre 1997, l'organe de règlement des différends de l'OMC a déclaré incompatibles avec les règles de l'OMC plusieurs aspects du système communautaire.

9. Afin de se conformer à cette décision, le Conseil a adopté le règlement (CE) no 1637/98, du 20 juillet 1998, modifiant le règlement no 404/93 ( 7 ). Par la suite, la Commission a adopté le règlement no 2362/98.

10. Dans le cadre du nouveau régime d'importation, la répartition du contingent entre les trois catégories d'opérateurs a été supprimée, le règlement no 2362/98 prévoyant une simple répartition entre «opérateurs traditionnels» et «opérateurs nouveaux».

11. Ainsi, l'article 4 du règlement no 2362/98 est libellé comme suit:

«1. Chaque opérateur traditionnel, enregistré dans un État membre [...], obtient, pour chaque année, pour l'ensemble des origines mentionnées à l'annexe I, une quantité de référence unique déterminée en fonction des quantités de bananes qu'il a effectivement importées pendant la période de référence.

2. Pour des importations à réaliser en 1999, dans le cadre des contingents tarifaires et des bananes traditionnelles ACP, la période de référence est constituée par les années 1994, 1995 et 1996.»

12. L'article 5, paragraphes 2 et 3, du règlement no 2362/98 dispose:

«2. En vue de l'établissement de sa quantité de référence, chaque opérateur communique à l'autorité compétente, chaque année avant le 1er juillet:

a) le total des quantités de bananes des origines mentionnées à l'annexe I qu'il a importées effectivement pendant chacune des années de la période de référence;

b) les pièces justificatives mentionnées au paragraphe 3.

3. L'importation effective est attestée conjointement:

a) par la production d'une copie des certificats d'importation utilisés, pour la mise en libre pratique des quantités indiquées par le titulaire du certificat [...] et

b) par la preuve du paiement des droits de douane applicables le jour de l'accomplissement des formalités douanières d'importation [...]»

II — Les faits et la procédure devant le Tribunal

13. Au cours des années 1989, 1990 et 1991, la requérante a importé de faibles quantités de bananes dans la Communauté. Elle n'a donc obtenu qu'un nombre réduit de certificats d'importation pour les années 1993, 1994 et 1995.

14. Dès 1994, la requérante a sollicité des certificats supplémentaires auprès des autorités compétentes et a formé plusieurs recours devant les juridictions allemandes.

15. Ainsi, par quatre ordonnances de référé rendues entre le 19 mai et le 28 juin 1995, le Finanzgericht Hamburg a ordonné au Hauptzollamt Hamburg-Jonas de mettre en libre pratique une certaine quantité de bananes achetées par la requérante en Equateur. Le Finanzgericht Hamburg estimait que les règlements nos 404/93 et (CEE) 478/95 ( 8 ) violaient certaines règles de l'accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (GATT). Il a donc décidé d'écarter provisoirement l'application desdits
règlements et de saisir la Cour de quatre questions préjudicielles ( 9 ). En vertu de ces ordonnances de référé, la requérante fut autorisée à importer une quantité de 9860571 kg de bananes dans le cadre du contingent tarifaire, sans certificat d'importation et moyennant le paiement des droits contingentaires de 75 écus par tonne.

16. Par arrêt du 22 août 1995, le Bundesfinanzhof (Allemagne) a annulé les ordonnances du Finanzgericht Hamburg. Se fondant sur cet arrêt, le Hauptzollamt Hamburg-Jonas a, par décisions des 29 août et 1er septembre 1995, fixé le droit de douane dû par la requérante à 850 écus par tonne, à savoir le taux prévu pour les importations de bananes effectuées en dehors du contingent tarifaire.

17. La requérante a alors introduit de nouvelles requêtes en référé devant le Finanzgericht Hamburg. Par ordonnances des 22 et 27 septembre 1995, celui-ci a prononcé le sursis à l'exécution des décisions du Hauptzollamt Hamburg-Jonas, sans exiger la constitution d'une garantie. Pour les mêmes raisons que celles exposées dans ses premières ordonnances, le Finanzgericht Hamburg a, derechef, saisi la Cour des quatre questions préjudicielles initialement posées ( 10 ).

18. Lors de l'établisement de sa quantité de référence pour l'année 1999, la requérante a sollicité la prise en compte de la quantité de bananes qu'elle avait importée en vertu des ordonnances de référé du Finanzgericht Hamburg. Après avoir consulté les services de la Commission, les autorités allemandes ont cependant refusé de faire droit à sa demande.

19. C'est dans ces circonstances que, par requête déposée le 19 février 1999 au greffe du Tribunal, la requérante a introduit un recours fondé sur les articles 178 et 215, deuxième alinéa, du traité CE (devenus articles 235 CE et 288, deuxième alinéa, CE). La requérante demandait la réparation du préjudice qu'elle avait subi du fait que la Commission était intervenue auprès des autorités allemandes pour exclure de sa quantité de référence pour l'année 1999 plusieurs quantités de bananes et,
notamment, la quantité qu'elle avait été autorisée à importer en vertu des ordonnances de référé du Finanzgericht Hamburg ( 11 ).

20. À l'appui de son recours, la requérante invoquait trois moyens, tirés de: 1) la violation du GATT, de l'accord général sur le commerce des services (GATS) et de l'accord sur les procédures de licences d'importation, qui figurent à l'annexe 1 de l'accord OMC; 2) la violation du principe d'égalité de traitement, et 3) la violation des principes de protection de la propriété et de la confiance légitime ainsi que du principe de proportionnalité.

III — L'arrêt attaqué

21. Dans le cadre du deuxième moyen, seul pertinent en l'espèce, la requérante faisait valoir que la diminution de sa quantité de référence à concurrence de la quantité litigieuse était contraire au principe d'égalité de traitement ( 12 ).

22. Elle rappelait que, par ses ordonnances de référé, le Finanzgericht Hamburg avait autorisé l'importation de la quantité litigieuse sans certificat d'importation, à condition que le droit de douane normal soit acquitté. Or, la requérante aurait payé ce droit. En vertu du principe d'égalité de traitement, les importations de bananes réalisées sur le fondement de ces ordonnances devaient donc ouvrir les mêmes droits que celles effectuées au moyen de certificats d'importation.

23. En réponse à ces arguments, la Commission soulignait ( 13 ) que les quantités de bananes fixées judiciairement pouvaient être attribuées comme quantités de référence, à condition que les droits d'importation aient été effectivement payés et que les importations aient eu lieu pendant la période de référence.

24. Or, en l'espèce, la requérante n'aurait pas rempli la première condition. En effet, bien que la dette douanière pour la quantité litigieuse ait été déterminée par le Hauptzollamt Hamburg-Jonas, le Finanzgericht Hamburg aurait ordonné le sursis au paiement de cette dette sans prévoir la constitution d'une garantie. En outre, la quantité litigieuse aurait été importée sans certificat d'importation et, partant, en dehors du contingent tarifaire, ce qui impliquait que le taux plein du tarif douanier
commun lui était applicable. La Commission en concluait que, tant que ce droit n'avait pas été payé, il était impossible de tenir compte de la quantité litigieuse dans le calcul de la quantité de référence.

25. Dans l'arrêt attaqué, le Tribunal a rejeté les arguments de la requérante pour les raisons suivantes:

«88 [...] concernant l'argument de la requérante selon lequel elle pourrait se prévaloir d'une quantité de bananes fixée par une ordonnance de référé du Finanzgericht Hamburg, il suffit de relever que la Commission est en droit d'exiger que les importations susceptibles d'être prises en compte, en tant que quantités de référence, soient réellement effectuées. Or, la quantité invoquée par la requérante a été importée en dehors du contingent tarifaire et a donc été soumise au taux plein du tarif
douanier commun. Le paiement des droits de douane correspondants a ensuite été suspendu par l'ordonnance de référé du Finanzgericht Hamburg. Dans ces conditions, la requérante n'est pas fondée à exiger que cette quantité soit prise en compte dans la détermination de sa quantité de référence. En effet, il incombe à la requérante d'établir que les droits de douane en cause ont effectivement été acquittés, ce qu'elle n'a pas fait. À cet égard, il convient d'ajouter que la Commission a affirmé,
lors de l'audience, sans être contredite sur ce point, qu'elle a informé les autorités allemandes compétentes qu'il sera nécessaire de prendre en compte cette quantité, si les droits susvisés sont payés.»

26. Le Tribunal ayant rejeté les autres moyens de la requérante, il a conclu que celle-ci n'avait pas établi l'existence d'un comportement illégal de nature à engager la responsabilité non contractuelle de la Communauté. Le Tribunal a donc rejeté le recours en indemnité.

IV — Le pourvoi

27. Par requête déposée au greffe de la Cour le 23 mai 2001, la requérante a introduit le présent pourvoi. Elle demande à la Cour d'annuler l'arrêt attaqué dans la mesure où le Tribunal a rejeté ses arguments relatifs à la quantité litigieuse.

28. Bien que la requête soit relativement confuse, il semble que la requérante invoque deux moyens à l'appui de son pourvoi. Le premier moyen est tiré de la violation de l'article 5, paragraphe 3, du règlement no 2362/98. Le second moyen est tiré de la violation de la jurisprudence de la Cour relative au pouvoir des juridictions nationales d'accorder des mesures provisoires dans les litiges de droit communautaire.

29. Nous examinerons successivement chacun de ces moyens.

A — Sur le premier moyen

30. Par son premier moyen ( 14 ), la requérante soutient que le Tribunal a violé l'article 5, paragraphe 3, du règlement no 2362/98. Elle lui reproche d'avoir jugé que, pour pouvoir inclure la quantité litigieuse dans sa quantité de référence, la requérante devait prouver qu'elle avait payé les droits de douane applicables aux importations effectuées en dehors du contingent tarifaire.

31. La requérante souligne que l'article 5, paragraphe 3, sous b), du règlement no 2362/98 exige uniquement la preuve du paiement des droits «applicables le jour de l'accomplissement des formalités [] d'importation». Or, en l'espèce, les droits applicables le jour de l'importation de la quantité litigieuse seraient les droits fixés par le Finanzgericht Hamburg, à savoir les droits contingentaires de 75 écus par tonne. Le fait que le Bundesfinanzhof a ultérieurement annulé les ordonnances du
Finanzgericht Hamburg et le fait que le Hauptzollamt Hamburg-Jonas a ultérieurement fixé les droits applicables au taux de 850 écus par tonne seraient sans incidence, compte tenu du libellé de l'article 5, paragraphe 3, sous b), du règlement no 2362/98. Le Tribunal aurait donc dû constater que le paiement des droits contingentaires suffisait pour inclure la quantité litigieuse dans la quantité de référence.

32. Comme la Commission, nous pensons que ce moyen est manifestement non fondé. La thèse de la requérante méconnaît le fait que la détermination des droits «applicables le jour de [...] l'importation» peut faire l'objet d'une contestation. Elle méconnaît également le principe de l'effet rétroactif des arrêts préjudiciels de la Cour.

33. Il est constant que la détermination des «droits de douane applicables le jour de [...] l'importation» peut faire l'objet d'une contestation entre les parties concernées. Cette contestation peut porter sur le mode de calcul des droits, sur l'interprétation à donner à la règle communautaire ou (comme en l'espèce) sur la validité de la règle. Dans ces cas, il est évident que le montant exact des droits de douane applicables à l'opération ne saurait être connu définitivement le jour de
l'accomplissement des formalités d'importation. Ce montant ne sera connu que lorsqu'une décision revêtue de l'autorité de la chose jugée interviendra. Cette décision fixera alors, de manière certaine et définitive, le montant des droits qui devaient être payés le jour de l'accomplissement des formalités douanières.

34. Il est également constant que, en vertu de la jurisprudence, les arrêts préjudiciels de la Cour ont, en principe, un effet rétroactif. S'agissant des arrêts en interprétation, la Cour a jugé que l'interprétation qu'elle donne d'une règle communautaire éclaire et précise la signification et la portée de cette règle telle qu'elle devait être comprise depuis sa mise en vigueur ( 15 ). La règle ainsi interprétée est donc applicable aux rapports juridiques nés et constitués avant l'arrêt préjudiciel,
pour autant que les conditions permettant de porter le litige devant les juridictions nationales se trouvent réunies. Le même principe s'applique aux arrêts préjudiciels en appréciation de validité. Dans l'arrêt du 26 avril 1994, Roquette Frères ( 16 ), la Cour a expressément jugé «qu'un arrêt de la Cour constatant à titre préjudiciel l'invalidité d'un acte communautaire a, en principe, un effet rétroactif». À plus forte raison, il en est ainsi lorsque la Cour constate que l'examen des questions
préjudicielles n'a révélé aucun élément de nature à affecter la validité de l'acte contesté.

35. Or, la thèse développée par la requérante méconnaît ce principe.

36. Il faut rappeler que, en l'espèce, la quantité de 9860571 kg de bananes importée par la requérante en vertu des ordonnances du Finanzgericht Hamburg se situait en dehors du contingent tarifaire. La seule raison pour laquelle elle fut autorisée à l'importer dans le cadre de ce contingent est que le Finanzgericht Hamburg éprouvait des doutes quant à la compatibilité des règlements nos 404/93 et 478/95 avec les règles du GATT. Le Finanzgericht Hamburg a ainsi jugé que les «droits de douane
applicables» aux importations litigieuses devaient être fixés au taux préférentiel de 75 écus par tonne et non au taux de 850 écus par tonne.

37. Toutefois, dans l'arrêt T. Port, précité ( 17 ), la Cour a infirmé l'appréciation du Finanzgericht Hamburg sur ce point. En réponse aux questions préjudicielles qu'il avait posées, la Cour a jugé que les règles du GATT n'étaient pas applicables en l'espèce et qu'elles ne sauraient donc être utilement invoquées pour faire obstacle à l'application des règlements nos 404/93 et 478/95.

38. Il en résulte que, conformément au principe de l'effet rétroactif des arrêts préjudiciels, l'appréciation de la Cour produit ses effets à compter du jour de l'importation de la quantité litigieuse. Cela signifie que le montant des «droits [...] applicables le jour de [...] l'importation» de la quantité litigieuse est — et aurait toujours dû être — le taux applicable aux importations effectuées en dehors du contingent tarifaire, à savoir 850 écus par tonne.

39. À cet égard, la thèse de la requérante revient à soutenir que les effets des arrêts préjudiciels de la Cour peuvent être limités par des mesures provisoires prescrites par une juridiction nationale en référé. Cette thèse est manifestement contraire à la jurisprudence, puisque la Cour considère qu'elle est seule compétente pour limiter dans le temps les effets des arrêts préjudiciels ( 18 ). Comme l'a souligné la Commission ( 19 ), la thèse de la requérante revient à porter sérieusement atteinte
aux principes de la primauté et de l'application uniforme du droit communautaire.

40. Dans ces conditions, nous proposons à la Cour de rejeter le premier moyen comme manifestement non fondé.

B — Sur le second moyen

41. Par son second moyen ( 20 ), la requérante soutient que le Tribunal a méconnu la jurisprudence relative au pouvoir des juridictions nationales d'accorder des mesures provisoires dans les litiges de droit communautaire.

42. La requérante reproche au Tribunal d'avoir jugé que la quantité litigieuse a été importée en dehors du contingent tarifaire. Elle souligne que, dans ses ordonnances de référé, le Finanzgericht Hamburg avait expressément autorisé ces importations dans le cadre du contingent. Selon la requérante, le Tribunal était tenu de respecter la décision prise par le Finanzgericht Hamburg. Elle rappelle, en effet, que la jurisprudence de la Cour autorise les juridictions nationales à écarter provisoirement
l'application d'un acte communautaire. La requérante ajoute que la protection juridique provisoire conférée aux particuliers serait réduite à néant si la décision du Finanzgericht Hamburg pouvait être remise en cause par le Tribunal.

43. Comme la Commission, nous pensons que ce moyen est manifestement dépourvu de tout fondement.

44. Dans les arrêts Zuckerfabrik Süderdithmarschen et Zuckerfabrik Soest ( 21 ) ainsi que Atlanta Fruchthandelsgesellschaft e.a. I ( 22 ), la Cour a jugé que les juridictions nationales avaient le pouvoir d'écarter provisoirement l'application d'un règlement communautaire dont la validité est contestée. Les juridictions nationales peuvent ordonner le sursis à l'exécution d'un acte administratif national pris sur la base d'un tel règlement ou accorder des mesures provisoires régissant les situations
juridiques ou les rapports de droit litigieux au sujet d'un acte national administratif fondé sur un tel règlement communautaire. Toutefois, la Cour a subordonné l'exercice de ce pouvoir à la réunion de quatre conditions. Aux termes des arrêts précités ( 23 ), le sursis à exécution ou les mesures provisoires ne peuvent être accordés par une juridiction nationale que:

— si la juridiction a des doutes sérieux sur la validité de l'acte communautaire et si, pour le cas où la Cour ne serait pas déjà saisie de la question de validité de l'acte contesté, elle la lui renvoie ellemême;

— s'il y a urgence en ce sens que le sursis à exécution ou les mesures provisoires sont nécessaires pour éviter que la partie qui le (ou les) sollicite subisse un préjudice grave et irréparable;

— si la juridiction prend dûment en compte l'intérêt de la Communauté, et

— si, dans l'appréciation de toutes ces conditions, la juridiction nationale respecte les décisions de la Cour ou du Tribunal statuant sur la légalité du règlement ou une ordonnance de référé visant à l'octroi, au niveau communautaire, de mesures provisoires similaires.

45. S'agissant de la troisième condition, la Cour a précisé que le juge national a l'obligation de prendre en compte l'intérêt de la Communauté à ce que le règlement contesté ne soit pas écarté sans garantie sérieuse ( 24 ). Cela signifie que, lorsque l'octroi de mesures de référé est susceptible d'entraîner un risque financier pour la Communauté, la juridiction nationale doit imposer au requérant des garanties suffisantes, telles que le versement d'une caution ou la constitution d'un séquestre ( 25
).

46. Or, en l'espèce, il est constant que le Finanzgericht Hamburg n'a pas respecté cette troisième condition. Par ses ordonnances de référé, il a autorisé la requérante à importer la quantité litigieuse dans le cadre du contingent tarifaire, sans exiger la constitution d'une garantie. Le juge national a donc dispensé la requérante du paiement des droits de douane applicables en vertu de la législation communautaire, sans pour autant veiller à préserver les intérêts financiers de la Communauté en
prescrivant la constitution d'une garantie ou une autre mesure équivalente.

47. Dans ces conditions, la requérante ne saurait valablement se prévaloir des droits prétendument conférés par les ordonnances du Finanzgericht Hamburg ( 26 ). Dès lors que ces ordonnances ne respectent pas les conditions posées par la jurisprudence, elles ne sauraient, en aucune manière, conduire à inclure la quantité litigieuse dans la quantité de référence de la requérante.

48. En conséquence, nous proposons à la Cour de rejeter le second moyen comme manifestement non fondé.

V — Conclusion

49. Au regard des considérations qui précèdent, nous proposons à la Cour de rejeter le pourvoi comme manifestement non fondé et de condamner T. Port GmbH & Co. KG aux dépens des deux instances.

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( 1 ) Langue originale: le français.

( 2 ) T-52/99, Rec. p. II-981 (ci-après l'«arrêt attaqué»).

( 3 ) C-364/95 et C-365/95, Rec. p. I-1023.

( 4 ) JO L 47, p. 1.

( 5 ) Règlement du 28 octobre 1998, portant modalités d'application du règlement no 404/93 en ce qui concerne le régime d'importation de bananes dans la Communauté (JO L 293, p. 32).

( 6 ) Voir arrêt attaqué (points 1 à 11).

( 7 ) JO L 210, p. 28.

( 8 ) Règlement de la Commission, du 1er mars 1995, portant modalités d'application complémentaires du règlement no 404/93 en ce qui concerne le régime de contingent tarifaire à l'importation de bananes dans la Communauté et modifiant le règlement (CEE) no 1442/93 (JO L 49, p. 13).

( 9 ) Affaire T. Port (C-182/95), radiée par ordonnance du 12 mars 2001 (non publiée au Recueil).

( 10 ) Affaire T. Port (C-364/95 et C-365/95), précitée.

( 11 ) Autrement dénommée la «quantité litigieuse».

( 12 ) Arrêt attaqué (points 70 à 72).

( 13 ) Ibidem (points 78 à 80).

( 14 ) Pourvoi (point 2).

( 15 ) Voir, par exemple, arrêts du 27 mars 1980, Salumi e.a. (66/79, 127/79 et 128/79, Rec. p. 1237, points 9 et 10), et du 10 juillet 1980, Mireco (826/79, Rec. p. 2559, points 7 et 8).

( 16 ) C-228/92, Rec. p. I-1445 (point 17).

( 17 ) Points 58 à 67.

( 18 ) Voir, comme exemple d'une jurisprudence constante, arrêt Mireco, précité (point 9).

( 19 ) Mémoire en défense (point 12).

( 20 ) Pourvoi (point 3).

( 21 ) Arrêt du 21 février 1991 (C-143/88 et C-92/89, Rec. p. I-415, points 14 à 21).

( 22 ) Arrêt du 9 novembre 1995 (C-465/93, Rec. p. I-3761, points 19 à 30).

( 23 ) Arrêts Zuckerfabrik Süderdithmarschen et Zuckerfabrik Soest (point 33) ainsi que Atlanta Fruchthandetsgesellschaft e.a. I (point 51).

( 24 ) Arrêts précités Zuckerfabrik Süderdithmarschen et Zuckerfabrik Soest (point 30) ainsi que Atlanta Fruchthandelsgesellschaft e.a. I (point 42).

( 25 ) Arrêts précités Zuckerfabrik Süderdithmarschen et Zuckerfabrik Soest (point 32) ainsi que Atlanta Fruchthandelsgesellschaft e.a. I (point 45).

( 26 ) On peut se demander si cette conclusion ne résulte pas déjà de la seule circonstance que les ordonnances du Finanzgericht Hamburg ont été annulées par le Bundesfinanzhof.


Synthèse
Numéro d'arrêt : C-213/01
Date de la décision : 26/11/2002
Type d'affaire : Pourvoi - non fondé
Type de recours : Recours en responsabilité

Analyses

Pourvoi - Bananes - Importation des États ACP et des pays tiers - Calcul de la quantité de référence annuelle attribuée aux opérateurs - Importation effectuée conformément aux mesures provisoires décidées par une juridiction nationale dans le cadre d'une procédure de référé - Recours en indemnité.

Agriculture et Pêche

Bananes

Relations extérieures

Politique commerciale

Fruits et légumes


Parties
Demandeurs : T. Port GmbH & Co. KG
Défendeurs : Commission des Communautés européennes.

Composition du Tribunal
Avocat général : Léger
Rapporteur ?: Schintgen

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2002:714

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