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20/06/2002 | CJUE | N°C-385/00

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général Léger présentées le 20 juin 2002., F.W.L. de Groot contre Staatssecretaris van Financiën., 20/06/2002, C-385/00


Avis juridique important

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62000C0385

Conclusions de l'avocat général Léger présentées le 20 juin 2002. - F.W.L. de Groot contre Staatssecretaris van Financiën. - Demande de décision préjudicielle: Hoge Raad der Nederlanden - Pays-Bas. - Libre circulation des travailleurs - Convention fiscale - Réglementation né

erlandaise de prévention de la double imposition. - Affaire C-385/00.
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Avis juridique important

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62000C0385

Conclusions de l'avocat général Léger présentées le 20 juin 2002. - F.W.L. de Groot contre Staatssecretaris van Financiën. - Demande de décision préjudicielle: Hoge Raad der Nederlanden - Pays-Bas. - Libre circulation des travailleurs - Convention fiscale - Réglementation néerlandaise de prévention de la double imposition. - Affaire C-385/00.
Recueil de jurisprudence 2002 page I-11819

Conclusions de l'avocat général

1. La fiscalité directe relevant de la compétence des États membres, un ressortissant communautaire qui perçoit un salaire dans l'État où il réside ainsi que dans un autre État de la Communauté s'expose à voir ses rémunérations taxées à la fois dans ce dernier État, appelé État d'emploi, et dans son État de résidence.

2. Si l'élimination de la double imposition figure parmi les objectifs du traité , le droit communautaire ne définit pas la méthode la plus appropriée pour y parvenir. C'est aux États membres qu'il revient d'arrêter entre eux les dispositions nécessaires pour atteindre cet objectif.

3. Dans la présente affaire, la Cour est interrogée sur la compatibilité avec les articles 48 du traité CE et 7 du règlement (CEE) n° 1612/68 du Conseil de dispositions en application desquelles un salarié, du fait qu'il a perçu pendant la même année des rémunérations dans son État de résidence et dans un autre État membre, perd, dans le calcul de l'impôt sur ses revenus dans l'État de résidence, le bénéfice d'une partie de ses abattements fiscaux.

I - Le droit communautaire

4. L'article 48 du traité prévoit, à ses paragraphes 1 et 2, que la libre circulation des travailleurs est assurée à l'intérieur de la Communauté et qu'elle implique l'abolition de toute discrimination fondée sur la nationalité, entre les travailleurs des États membres, en ce qui concerne l'emploi, la rémunération et les autres conditions de travail.

5. L'article 7 du règlement n° 1612/68 dispose, notamment:

«1. Le travailleur ressortissant d'un État membre ne peut, sur le territoire des autres États membres, être, en raison de sa nationalité, traité différemment des travailleurs nationaux, pour toutes conditions d'emploi et de travail, notamment en matière de rémunération, de licenciement, et de réintégration professionnelle ou de réemploi s'il est tombé en chômage.

2. Il y bénéficie des mêmes avantages sociaux et fiscaux que les travailleurs nationaux.

[...]»

II - Le droit interne

6. Le droit interne est constitué, d'une part, par les conventions bilatérales passées par le royaume des Pays-Bas avec, respectivement, la République fédérale d'Allemagne , la République française et le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord . Il comprend, d'autre part, les dispositions de la législation néerlandaise destinées à éviter la double imposition , auxquelles renvoie la convention passée par le royaume des Pays-Bas avec le Royaume-Uni, précitée.

7. Selon les conventions bilatérales applicables, les revenus obtenus par un résident aux Pays-Bas dans l'un des États membres cosignataires sont imposés dans ce dernier État lorsque l'emploi y est exercé.

8. Aux Pays-Bas, ces revenus font l'objet d'une exemption mais ils sont pris en compte pour le calcul des impôts dus par les résidents, sur leurs rémunérations perçues dans cet État, aux fins d'appliquer la progressivité du barème d'imposition .

9. Ainsi, l'impôt dû aux Pays-Bas est calculé de la manière suivante:

- l'impôt est d'abord calculé sur la base des revenus d'ensemble, incluant les revenus exemptés de source étrangère, suivant le barème progressif de droit commun, en déduisant les sommes versées au titre des obligations alimentaires et la quotité exonérée d'impôt à laquelle la situation du contribuable lui ouvre droit;

- de ce montant théorique est soustrait l'exonération à accorder au titre des revenus perçus et imposés dans les États d'emploi;

- cette exonération est calculée comme suit :

revenu brut étranger

impôt sur le revenu global x ------------- .

revenu brut mondial

Les sommes versées par l'intéressé au titre de ses obligations alimentaires de même que la quotité exonérée, prises en compte pour le calcul de l'impôt sur le revenu global, ne sont pas déduites du revenu brut mondial, figurant au dénominateur de la fraction de proportionnalité.

10. Les modalités de calcul de cette exonération ont pour objet de répartir les abattements liés à la situation personnelle et familiale du contribuable sur l'ensemble de ses revenus . Il s'ensuit que ces abattements ne sont imputés sur les impôts dus aux Pays-Bas qu'au prorata des revenus perçus par l'intéressé dans cet État.

III - Les faits et la procédure au principal

11. M. de Groot, ressortissant néerlandais, résidait aux Pays-Bas en 1994. Au cours du premier trimestre de l'année 1994, il a perçu des revenus en tant que travailleur salarié en Allemagne, en France et au Royaume-Uni, correspondant, respectivement, à 74 395, à 84 812 et à 35 009 NLG. Il a également reçu aux Pays-Bas une rémunération de 89 665 NLG.

12. À compter du 1er avril 1994, l'intéressé a été sans emploi. Il a perçu des indemnités pour un montant de 34 743 NLG.

13. Au cours de cette même année, il a versé 43 230 NLG de pension alimentaire et, le 26 décembre 1994, 135 000 NLG pour le rachat de cette pension.

14. Au titre des revenus perçus en Allemagne, en France et au Royaume-Uni, M. de Groot a payé dans ces États des impôts correspondant, respectivement, à 16 768, à 12 398 et à 11 335 NLG. Pour le calcul de ces impôts, les sommes qu'il a versées au titre de ses obligations alimentaires n'ont pas été prises en compte.

15. L'impôt dû sur les revenus perçus aux Pays-Bas a été fixé par l'administration fiscale néerlandaise conformément à la méthode de calcul exposée au point 9 des présentes conclusions. Les sommes versées par l'intéressé au titre de ses obligations alimentaires de même que la quotité exonérée, prises en compte pour le calcul de l'impôt sur le revenu global, n'ont pas été déduites du revenu brut mondial, figurant au dénominateur de la fraction de proportionnalité.

16. Comme le constate le juge a quo, il s'ensuit qu'une quote-part du montant des avantages fiscaux d'ordre personnel auxquels M. de Groot pouvait prétendre, correspondant à la fraction de proportionnalité, n'a pas donné lieu à une réduction effective de l'impôt dû aux Pays-Bas. Par conséquent, l'intéressé a retiré un avantage fiscal lié à ses obligations alimentaires et à la quotité exonérée d'impôt moindre que celui qu'il aurait obtenu s'il avait perçu l'ensemble de ses revenus de 1994 aux
Pays-Bas .

17. L'intéressé a formé un pourvoi en cassation contre l'arrêt du Gerechtshof te Amsterdam (Pays-Bas), confirmant la décision de l'administration fiscale néerlandaise de calculer ses impôts comme il a été exposé ci-dessus.

IV - Les questions préjudicielles

18. Le Hoge Raad der Nederlanden (Pays-Bas) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1) Les articles 48 du traité [...] et 7 du règlement [...] n° 1612/68 s'opposent-ils à un système de prévention de la double imposition impliquant qu'un travailleur salarié perde, dans l'État membre de sa résidence, une part proportionnelle du bénéfice de la quotité de revenu exonérée d'impôt et des avantages fiscaux personnels lorsqu'il perçoit, au cours d'une année déterminée, des revenus (entre autres) dans un autre État membre en raison de l'exécution d'un contrat de travail dans cet autre État
membre, qui y sont imposés sans que soit prise en compte sa situation personnelle et familiale?

2) S'il est répondu par l'affirmative à la première question, le droit communautaire dicte-t-il des exigences spécifiques quant à la façon dont l'État de résidence est tenu de prendre en compte la situation personnelle et familiale du travailleur salarié concerné?»

V - Appréciation

Sur la première question

19. Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si les articles 48 du traité et 7 du règlement n° 1612/68 doivent être interprétés en ce sens qu'ils s'opposent à l'application de dispositions prévues dans des conventions bilatérales et dans une réglementation nationale en vertu desquelles un contribuable perd, pour le calcul de ses impôts sur le revenu dans son État de résidence, une partie du bénéfice de la quotité exonérée d'impôt et de ses avantages fiscaux
personnels, du fait qu'il a également perçu, pendant l'année considérée, des rémunérations dans un autre État membre qui y ont été imposées sans que soit prise en compte sa situation personnelle et familiale.

20. Il ressort des motifs de la décision de renvoi que ladite juridiction cherche à déterminer si le désavantage causé à M. de Groot par la réglementation litigieuse constitue une entrave à la libre circulation des travailleurs, prohibée par l'article 48 du traité.

21. Il convient de rappeler que, si la fiscalité directe relève de la compétence des États membres, ces derniers doivent l'exercer dans le respect du droit communautaire . Il s'ensuit que les États membres, dans l'exercice de leur compétence retenue, ne doivent pas contrevenir aux libertés fondamentales garanties par le traité, telles que la liberté de circulation des travailleurs .

22. La Cour a précisé également que ces libertés sont inconditionnelles, de sorte qu'un État ne saurait faire dépendre leur respect du contenu d'une convention relative à la prévention de la double imposition conclue avec un autre État membre .

23. Il est de jurisprudence constante que l'article 48 du traité prohibe non seulement les discriminations directes, fondées sur la nationalité, mais également toutes les formes dissimulées de discrimination qui, par application d'autres critères de distinction, aboutissent en fait au même résultat .

24. La Cour a également constaté, à plusieurs reprises, que l'article 48 du traité met en oeuvre un principe fondamental consacré par l'article 3, sous c), du traité CE [devenu, après modification, article 3, sous c), CE], selon lequel, aux fins énoncées à l'article 2 du traité CE (devenu, après modification, article 2 CE), l'action de la Communauté comporte l'abolition entre les États membres des obstacles à la libre circulation des personnes .

25. Elle a considéré que l'ensemble des dispositions du traité relatives à la libre circulation des personnes vise à faciliter, pour les ressortissants communautaires, l'exercice d'activités professionnelles de toute nature sur le territoire de la Communauté et s'oppose aux mesures qui pourraient défavoriser ces ressortissants lorsqu'ils souhaitent exercer une activité économique sur le territoire d'un autre État membre .

26. Elle en a déduit que les ressortissants des États membres disposent en particulier du droit, qu'ils tirent directement du traité, de quitter leur État d'origine pour se rendre sur le territoire d'un autre État membre et y séjourner afin d'y exercer une activité économique .

27. Il s'ensuit que des dispositions qui empêchent ou dissuadent un ressortissant d'un État membre de quitter son État d'origine pour exercer son droit à la libre circulation constituent, dès lors, des entraves à cette liberté même si elles s'appliquent indépendamment de la nationalité des travailleurs concernés .

28. En l'espèce, il est constant que M. de Groot, en application de la réglementation litigieuse, a retiré un avantage fiscal lié à ses obligations alimentaires et à la quotité exonérée d'impôt moindre que celui qu'il aurait obtenu s'il avait perçu, durant l'année 1994, l'ensemble de ses revenus aux Pays-Bas .

29. Comme la Commission et le gouvernement allemand, nous estimons que l'article 48 du traité s'oppose à l'application de la réglementation litigieuse.

30. Cette appréciation est fondée sur les considérations suivantes: premièrement, cette réglementation a causé à M. de Groot et est susceptible d'occasionner à un certain nombre de contribuables un désavantage réel; deuxièmement, ce désavantage n'est pas imputable à des disparités entre les régimes fiscaux des États membres mais résulte d'une entrave à la libre circulation des travailleurs, et, troisièmement, les raisons avancées pour justifier cette entrave ne peuvent pas, selon nous, être
retenues.

31. Premièrement, sur la réalité du désavantage occasionné par la réglementation en cause, nous constatons que l'avocat général de la juridiction a quo a estimé la réduction obtenue par M. de Groot au titre de ses abattements personnels à 27 341 NLG et celle dont il aurait bénéficié si ces abattements avaient été imputés en totalité sur les revenus qu'il a perçus aux Pays-Bas à 70 055 NLG . Il est constant que la part des avantages fiscaux dont M. de Groot n'a pas bénéficié dans son État de
résidence ne lui a pas été octroyée, en tout ou en partie, dans les États d'emploi, puisque, comme l'indique le juge de renvoi, aucun d'entre eux n'a pris en compte la situation personnelle et familiale de l'intéressé .

32. Ensuite, dans la mesure où la quotité exonérée d'impôt et les abattements personnels ne sont pris en considération aux Pays-Bas qu'au prorata des revenus perçus dans cet État, il est manifeste, comme le souligne la Commission , que le préjudice subi par les contribuables qui y résident sera d'autant plus grand que la part de leurs revenus perçus dans un autre État membre sera élevée . Ainsi que le relève l'avocat général de la juridiction de renvoi, le contribuable qui a perçu l'essentiel de ses
rémunérations à l'étranger et dont les revenus aux Pays-Bas sont juste suffisants pour être imposés dans cet État éprouvera une «très grande souffrance fiscale», puisqu'il perdra une très grande partie du bénéfice des abattements liés à sa situation personnelle et familiale .

33. Deuxièmement, nous estimons que, contrairement à ce que soutient le gouvernement néerlandais, le désavantage occasionné à M. de Groot n'est pas imputable à des disparités entre les régimes fiscaux des États membres mais résulte d'une entrave à la libre circulation des travailleurs.

34. Le gouvernement néerlandais fait valoir qu'il a pris en compte, conformément aux exigences exprimées par la Cour dans l'arrêt Schumacker, précité, la situation personnelle et familiale de M. de Groot. Il soutient que le désavantage subi par celui-ci résulte de la méthode appliquée en l'espèce pour éviter une double imposition et est imputable au régime fiscal des États d'emploi qui n'ont pas pris en compte la situation personnelle et familiale de l'intéressé. Selon ce gouvernement, la situation
en l'espèce est comparable à celle de l'affaire ayant donné lieu à l'arrêt du 12 mai 1998, Gilly . En outre, la réglementation litigieuse aboutirait au même résultat que l'autre méthode d'élimination de la double imposition, dite «méthode de l'imputation» , qui était en cause dans cet arrêt, en ce sens qu'un résident ayant exercé son droit à la libre circulation peut être amené à subir une pression fiscale plus élevée.

35. Nous ne partageons pas l'analyse du gouvernement néerlandais.

36. Il convient de souligner que, dans les circonstances de la présente affaire, les États d'emploi n'avaient pas l'obligation de prendre en compte la situation personnelle et familiale de M. de Groot. D'une part, une telle obligation n'était prévue ni dans les conventions bilatérales applicables ni dans leurs réglementations nationales . D'autre part, il ressort de l'arrêt Schumacker, précité, qu'un État d'emploi n'a une telle obligation que lorsque le contribuable tire l'essentiel de ses
ressources imposables d'une activité exercée dans ce dernier et qu'il ne perçoit pas de revenu significatif dans l'État de résidence, de sorte que cet État n'est pas en mesure de lui accorder les avantages résultant de la prise en compte de sa situation personnelle et familiale . La Cour a considéré que, dans ce cas, il n'existe entre un tel non-résident et un résident exerçant une activité salariée comparable aucune différence de situation objective de nature à fonder une différence de traitement
en ce qui concerne la prise en considération, aux fins de l'imposition, de la situation personnelle et familiale du contribuable .

37. Selon la Cour, c'est, au contraire, à l'État de résidence qu'il incombe, en principe, d'accorder au contribuable la totalité des avantages fiscaux liés à sa situation personnelle et familiale. La Cour a indiqué que cet État est le mieux à même d'apprécier la capacité contributive personnelle du contribuable dans la mesure où celui-ci y a le centre de ses intérêts personnels et patrimoniaux . Elle a relevé que cette solution était admise en droit fiscal international, et notamment dans le modèle
de convention de l'OCDE en matière de double imposition .

38. Cette analyse a été confirmée à plusieurs reprises, dans les arrêts du 27 juin 1996, Asscher ; du 14 septembre 1999, Gschwind , et Zurstrassen, précité .

39. En l'espèce, nous estimons que le gouvernement néerlandais n'est pas fondé à soutenir que ses autorités fiscales ont pris en compte la situation personnelle et familiale de M. de Groot comme le leur impose la position adoptée par la Cour dans l'arrêt Schumacker, précité. Si les pensions alimentaires payées par M. de Groot et la quotité exonérée d'impôt ont bien été prises en considération pour le calcul du montant théorique de l'impôt sur l'ensemble des rémunérations de l'intéressé, il n'en
demeure pas moins que, par le jeu de la fraction de proportionnalité, M. de Groot n'a bénéficié de ces abattements qu'au prorata des revenus qu'il a perçus aux Pays-Bas.

40. M. de Groot a ainsi perdu, du fait qu'il a exercé son droit à la libre circulation, le bénéfice d'une partie des abattements fiscaux prévus par la législation néerlandaise et auxquels il pouvait prétendre en sa qualité de résident aux Pays-Bas.

41. Le désavantage subi par M. de Groot ne peut donc pas être imputé au régime fiscal des États d'emploi, mais bien aux conditions dans lesquelles le royaume des Pays-Bas a appliqué à l'intéressé les abattements liés à sa situation personnelle et familiale.

42. Nous en déduisons que la situation en l'espèce n'est pas comparable à celle ayant donné lieu à l'arrêt Gilly, précité.

43. Dans cet arrêt, Mme Gilly avait été imposée en Allemagne, au titre des revenus perçus dans cet État, et en France, où elle résidait, sur la totalité de ses revenus. La convention préventive de double imposition conclue par la République fédérale d'Allemagne et la République française prévoyait que les impôts acquittés en Allemagne lui ouvraient droit à un crédit d'impôt égal au montant de l'impôt français correspondant à ces revenus. En raison de la plus forte progressivité de l'impôt allemand
et du fait que sa situation personnelle et familiale n'avait pas été prise en compte en Allemagne alors qu'elle l'avait été en France, le crédit d'impôt accordé à Mme Gilly était inférieur au montant qu'elle avait effectivement payé en Allemagne. Mme Gilly avait donc supporté une charge totale d'impôt supérieure à celle qu'elle eût assumée pour des revenus équivalents perçus intégralement en France .

44. Ainsi que la Cour l'a relevé , les conséquences défavorables entraînées pour Mme Gilly par le mécanisme de crédit d'impôt litigieux découlent au premier chef des disparités entre les barèmes d'imposition des États membres en cause, dont la fixation, en l'absence de réglementation communautaire en la matière, relève de la compétence propre de chacun desdits États. Quant à l'incidence sur le montant du crédit d'impôt de la prise en compte de la situation personnelle et familiale du contribuable
dans l'État de résidence et non dans l'État d'emploi, la Cour a rappelé que cette disparité provient du fait que, en matière d'impôts directs, la situation des résidents et celle des non-résidents ne sont, en règle générale, pas comparables dans la mesure où le revenu perçu sur le territoire d'un État par le non-résident ne constitue le plus souvent qu'une partie de son revenu global, centralisé au lieu de sa résidence .

45. Il s'ensuit que, contrairement à M. de Groot, Mme Gilly a obtenu, dans son État de résidence, l'intégralité des avantages fiscaux prévus par la législation de cet État au profit des résidents.

46. En outre, comme l'a indiqué l'avocat général Ruiz-Jarabo Colomer dans ses conclusions dans l'affaire Gilly, précitée , il aurait suffi que les autorités allemandes baissent leur taux d'imposition, ou que les autorités françaises augmentent le leur, pour que le mécanisme de crédit d'impôt devienne favorable à Mme Gilly. Le caractère désavantageux d'un tel système est donc trop aléatoire pour dissuader un travailleur d'exercer son droit à la libre circulation entre les deux États concernés.

47. Force est de constater qu'un tel aléa n'existe pas dans la présente affaire dès lors que, conformément aux conventions bilatérales applicables, à leurs réglementations nationales et à la jurisprudence, les États membres dans lesquels M. de Groot a travaillé n'avaient pas à prendre en compte sa situation personnelle et familiale.

48. Nous en concluons également que l'argument du gouvernement néerlandais, selon lequel la réglementation litigieuse, en ce qu'elle aboutit à faire supporter à M. de Groot une pression fiscale plus élevée que s'il n'avait pas exercé son droit à la libre circulation, aboutit au même résultat que la méthode de l'imputation, n'est pas pertinent .

49. Ce qui est déterminant, en l'espèce, c'est que le désavantage subi par M. de Groot provient de ce qu'il a été privé, par son État de résidence, d'une partie des abattements prévus par la législation de cet État.

50. Si les États d'emploi concernés avaient pris en compte la situation personnelle et familiale de M. de Groot, celui-ci aurait pu également devoir supporter une pression fiscale plus élevée que s'il avait perçu la totalité de ses revenus aux Pays-Bas. Tel aurait pu être le cas si les abattements liés à sa situation personnelle et familiale accordés dans les États d'emploi avaient été inférieurs à ceux prévus par la législation néerlandaise et si ces États avaient tenu compte, pour la fixation du
taux d'imposition des non-résidents, de l'ensemble de leurs revenus. Pour autant, un tel désavantage n'aurait pas procédé d'une entrave à la libre circulation des travailleurs mais aurait été imputable aux disparités entre les régimes fiscaux des États membres.

51. Tel n'est pas le cas dans la présente affaire. La circonstance selon laquelle les États membres dans lesquels M. de Groot a travaillé ne prenaient pas en compte sa situation personnelle et familiale pour l'imposition des revenus qu'il y a perçus obligeait, selon nous, l'État de résidence à accorder à l'intéressé le bénéfice de la totalité des abattements auxquels sa situation lui ouvrait droit et dont il aurait bénéficié s'il avait exercé l'ensemble de son activité aux Pays-Bas .

52. L'imputation, par les autorités fiscales néerlandaises, d'une partie des abattements personnels de M. de Groot aux revenus qu'il a perçus dans les autres États membres a abouti à faire supporter à l'intéressé un désavantage qu'il n'aurait pas subi s'il n'avait pas exercé son droit de libre circulation.

53. La réglementation litigieuse constitue donc, selon nous, une entrave à l'exercice de cette liberté, interdite, en principe, par l'article 48 du traité.

54. Troisièmement, nous estimons que les raisons avancées pour justifier l'entrave litigieuse ne peuvent pas être retenues.

55. En premier lieu, le juge a quo s'interroge sur la valeur de l'argument exposé dans les motifs de la réglementation néerlandaise relative à la fraction de proportionnalité. Selon cet argument, les abattements concernés servent à déterminer la capacité contributive de l'intéressé, de sorte qu'ils ne doivent pas être imputés uniquement sur les revenus perçus dans l'État de résidence .

56. Nous estimons que cet argument ne peut pas justifier l'entrave constatée en l'espèce. En effet, même si, du point de vue des États membres, il peut sembler équitable de répartir la charge des abattements personnels sur l'ensemble des revenus du contribuable, une telle répartition implique que ces abattements soient également appliqués dans les États d'emploi. Compte tenu de l'absence d'harmonisation ou de coordination de la fiscalité des États membres en ce sens, il incombe à ces derniers, dans
le cadre de l'article 220 du traité, de passer des conventions à cet effet. À défaut, l'État de résidence ne saurait s'exonérer d'une partie de ces abattements et porter ainsi atteinte aux droits que les particuliers tirent des dispositions du traité consacrant leurs libertés fondamentales.

57. En outre, contrairement au gouvernement belge, nous ne pensons pas que cette analyse conduise nécessairement à imposer à l'État de résidence une charge disproportionnée. Il convient de rappeler que, en l'espèce, le royaume des Pays-Bas, pour l'imposition des revenus de M. de Groot, a perçu des impôts majorés par le jeu de la progressivité de son barème d'imposition. Par ailleurs, il a été jugé à plusieurs reprises que la perte de recettes fiscales ne peut jamais constituer une justification
d'une restriction à l'exercice d'une liberté fondamentale .

58. Enfin, nous estimons que le système d'imputation proportionnelle litigieux n'est pas nécessaire à la cohérence de la méthode d'exemption avec progressivité appliquée en l'espèce, au sens de la jurisprudence . En effet, il n'existe pas, selon nous, de lien entre la méthode d'exemption avec progressivité, en vertu de laquelle l'État de résidence renonce à imposer les revenus perçus dans d'autres États membres mais en tient compte aux fins de déterminer le taux d'imposition applicable aux
rémunérations non exemptées, et l'imputation des abattements au prorata des revenus perçus dans l'État de résidence . En d'autres termes, nous estimons que l'effectivité de la progressivité de l'impôt sur le revenu dans l'État de résidence, que poursuit la méthode d'exemption avec progressivité, n'est pas subordonnée à la limitation, dans cet État, de la prise en compte de la situation personnelle et familiale du contribuable.

59. En second lieu, contrairement à ce que soutiennent les gouvernements néerlandais et belge, l'entrave litigieuse ne saurait être justifiée, selon nous, par le fait que les résidents aux Pays-Bas qui perçoivent des revenus dans d'autres États membres retirent des avantages du fait de leur imposition dans différents États, de nature à compenser le désavantage dénoncé en l'espèce, de sorte que la réglementation litigieuse serait la plus conforme à l'objectif de neutralité fiscale des activités
transfrontalières.

60. S'agissant des effets de l'imposition dans différents États membres, il est certain que l'imposition sans progressivité en Allemagne, en France et au Royaume-Uni des revenus perçus dans ces États peut avoir pour effet que le taux moyen d'imposition sur l'ensemble des rémunérations du contribuable soit inférieur à ce qu'il serait si ce contribuable avait obtenu l'intégralité de ses rémunérations aux Pays-Bas.

61. Toutefois, il ressort des estimations de l'avocat général de la juridiction de renvoi que la réduction d'impôt dont M. de Groot a bénéficié de ce fait n'a pas compensé le désavantage litigieux . Ainsi, il a payé pour l'année 1994 dans les quatre États concernés une somme totale d'impôts supérieure à celle qu'il aurait acquittée s'il avait perçu l'ensemble de ses revenus aux Pays-Bas.

62. Ensuite, l'argument selon lequel il peut arriver que la réduction d'impôt liée à l'absence de progressivité dans les États d'emploi compense le désavantage causé par la réglementation litigieuse ne remet pas en cause le fait que, lorsque cette réglementation s'avère préjudiciable, elle doit être analysée comme une entrave . Nous estimons que, sur ce point, la situation en l'espèce peut être rapprochée de celle en cause dans l'arrêt AMID, précité, relative à une réglementation entravant la
liberté d'établissement .

63. Au vu de ce qui précède, nous proposons donc à la Cour de répondre à la première question que l'article 48 du traité doit être interprété en ce sens qu'il s'oppose à l'application d'une réglementation en vertu de laquelle un contribuable perd, pour le calcul de ses impôts sur le revenu dans son État de résidence, une partie du bénéfice de la quotité exonérée d'impôt et de ses avantages fiscaux personnels, du fait qu'il a également perçu, pendant l'année considérée, des rémunérations dans un
autre État membre qui y ont été imposées sans que soit prise en compte sa situation personnelle et familiale.

64. Dans sa première question, le juge de renvoi interroge également la Cour sur la compatibilité d'une telle réglementation avec l'article 7 du règlement n° 1612/68.

65. Au vu de la réponse que nous proposons d'apporter à la première question, nous estimons qu'il n'est pas nécessaire de prendre position sur ce point. En effet, ainsi que la Cour l'a dit pour droit dès l'arrêt du 4 décembre 1974, Van Duyn , l'article 48 du traité a un effet direct dans les ordres juridiques des États membres et confère aux particuliers des droits que les juridictions nationales doivent sauvegarder. Il est également de jurisprudence constante que chaque juridiction nationale a
l'obligation d'appliquer intégralement le droit communautaire et de protéger les droits que celui-ci confère aux particuliers, en laissant au besoin inappliquée toute disposition éventuellement contraire de la loi nationale . Comme nous l'avons vu au point 22 des présentes conclusions, il doit en aller de même des dispositions d'une convention internationale bilatérale qui s'avérerait contraire à l'article 48 du traité .

66. Il s'ensuit que la question de savoir si l'entrave litigieuse tombe ou non sous le coup de l'article 7 du règlement n° 1612/68, pris pour l'application de l'article 48 du traité, et constitue également une discrimination indirecte, fondée sur la nationalité, ne nous semble pas présenter d'intérêt pratique en l'espèce .

Sur la seconde question

67. Par sa seconde question, la juridiction de renvoi demande si le droit communautaire contient des exigences spécifiques sur la façon dont l'État de résidence est tenu de prendre en compte la situation personnelle et familiale d'un travailleur ayant également exercé une activité dans un autre État membre.

68. Il ressort des motifs de la décision de renvoi que le juge a quo cherche à savoir si, en l'espèce, le royaume des Pays-Bas est tenu d'accorder à M. de Groot un abattement effectif aussi élevé que celui dont il aurait bénéficié s'il avait perçu la totalité de ses revenus dans son État de résidence.

69. Pour les motifs exposés ci-dessus, en particulier aux points 51 et 65, nous estimons que M. de Groot est en droit de bénéficier des mêmes abattements que ceux qu'il aurait obtenus s'il avait perçu la totalité de ses revenus aux Pays-Bas.

70. Néanmoins, la seconde question préjudicielle étant formulée en termes généraux et dans la mesure où c'est au juge national qu'il incombe de tirer les conséquences de l'arrêt à intervenir pour la solution du litige qu'il doit trancher, elle nous paraît nécessiter une réponse sur un plan général.

71. Comme nous l'avons indiqué précédemment, la fiscalité directe relève de la compétence des États membres. Toutefois, ceux-ci doivent exercer leur compétence retenue dans le respect du droit communautaire.

72. Nous proposons donc à la Cour de répondre que le droit communautaire ne prévoit pas d'exigence spécifique sur la façon dont l'État de résidence doit prendre en compte la situation personnelle et familiale du contribuable qui, durant l'année considérée, a perçu des revenus dans cet État et dans un autre État membre. Toutefois, les conditions de cette prise en compte par l'État de résidence ne doivent pas constituer une discrimination, directe ou indirecte, fondée sur la nationalité, ou une
entrave à l'exercice d'une liberté fondamentale garantie par le traité.

VI - Conclusions

73. Au vu des considérations qui précèdent, nous proposons à votre Cour de répondre de la manière suivante aux questions posées par le Hoge Raad der Nederlanden:

«1) L'article 48 du traité CE (devenu, après modification, article 39 CE) doit être interprété en ce sens qu'il s'oppose à l'application de dispositions prévues dans des conventions bilatérales et dans une réglementation nationale en vertu desquelles un contribuable perd, pour le calcul de ses impôts sur le revenu dans son État de résidence, une partie du bénéfice de la quotité exonérée d'impôt et de ses avantages fiscaux personnels, du fait qu'il a également perçu, pendant l'année considérée, des
rémunérations dans un autre État membre qui y ont été imposées sans que soit prise en compte sa situation personnelle et familiale.

2) Le droit communautaire ne prévoit pas d'exigence spécifique sur la façon dont l'État de résidence est tenu de prendre en compte la situation personnelle et familiale d'un travailleur ayant également exercé une activité dans un autre État membre. Toutefois, les conditions de cette prise en compte par l'État de résidence ne doivent pas constituer une discrimination, directe ou indirecte, fondée sur la nationalité, ou une entrave à l'exercice d'une liberté fondamentale garantie par le traité.»


Synthèse
Numéro d'arrêt : C-385/00
Date de la décision : 20/06/2002
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle: Hoge Raad der Nederlanden - Pays-Bas.

Libre circulation des travailleurs - Convention fiscale - Réglementation néerlandaise de prévention de la double imposition.

Libre circulation des travailleurs


Parties
Demandeurs : F.W.L. de Groot
Défendeurs : Staatssecretaris van Financiën.

Composition du Tribunal
Avocat général : Léger
Rapporteur ?: Wathelet

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2002:389

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