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14/03/2002 | CJUE | N°C-81/01

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général Geelhoed présentées le 14 mars 2002., Borie Manoux SARL contre Directeur de l'Institut national de la propriété industrielle (INPI)., 14/03/2002, C-81/01


Avis juridique important

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62001C0081

Conclusions de l'avocat général Geelhoed présentées le 14 mars 2002. - Borie Manoux SARL contre Directeur de l'Institut national de la propriété industrielle (INPI). - Demande de décision préjudicielle: Cour de cassation - France. - Agriculture - Organisation commune des march

és - Vin - Désignation et présentation des vins - Vins de qualité produit...

Avis juridique important

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62001C0081

Conclusions de l'avocat général Geelhoed présentées le 14 mars 2002. - Borie Manoux SARL contre Directeur de l'Institut national de la propriété industrielle (INPI). - Demande de décision préjudicielle: Cour de cassation - France. - Agriculture - Organisation commune des marchés - Vin - Désignation et présentation des vins - Vins de qualité produits dans des régions déterminées ('v.q.p.r.d.') - Indication d'une marque sur l'étiquetage - Limites - Articles 11 et 40 du règlement nº 2392/89. - Affaire
C-81/01.
Recueil de jurisprudence 2002 page I-09259

Conclusions de l'avocat général

I Introduction

1. La présente procédure préjudicielle porte essentiellement sur l'interprétation du règlement (CEE) n° 2392/89 du Conseil, du 24 juillet 1989, établissant les règles générales pour la désignation et la présentation des vins et des moûts de raisins . Le juge de renvoi souhaite savoir si l'article 40 de ce règlement, qui dispose que la désignation et la présentation d'un certain nombre de produits ainsi que toute publicité relative à ceux-ci ne doivent pas être erronées et de nature à créer des
confusions ou à induire en erreur les personnes auxquelles elles s'adressent, s'oppose à l'enregistrement d'une marque comportant un nom géographique dont l'emploi n'est pas régi par l'article 11 dudit règlement.

2. Il s'agit plus particulièrement de savoir si un nom géographique figurant dans une marque, dont l'emploi n'est pas régi par une législation interne ou par une disposition communautaire, crée un risque de confusion pour le consommateur en ce qu'il peut donner à penser que le nom géographique en question est protégé.

II Le cadre juridique

A Le droit communautaire

3. Le règlement n° 2392/89 codifie un certain nombre de modifications du règlement (CEE) n° 355/79 du Conseil, du 5 février 1979, établissant les règles générales pour la désignation et la présentation des vins et des moûts de raisins . Le règlement n° 2392/89 a été arrêté sur la base du règlement (CEE) n° 822/87 du Conseil, du 16 mars 1987, portant organisation commune du marché viti-vinicole .

4. Le règlement n° 2392/89 régit la désignation et la présentation des vins et des moûts de raisins. D'après son troisième considérant, il vise à «fournir des informations aussi exactes et aussi précises qu'il est nécessaire pour l'appréciation des produits concernés par l'acheteur éventuel et par les organismes publics chargés de la gestion et du contrôle du commerce de ces produits» . Le cinquième considérant indique que pour prévenir des interprétations trop divergentes «il est apparu utile
d'établir des règles de désignation assez complètes; que, pour assurer l'efficacité de ces règles, il convient en outre de poser en principe que les indications prévues par celles-ci ou par leurs modalités d'application sont les seules admises pour la désignation des vins et des moûts de raisins».

5. Le règlement n° 2392/89 distingue les mentions obligatoires nécessaires à l'identification du produit et les mentions facultatives destinées à préciser les caractéristiques intrinsèques de ce produit ou à attirer l'attention sur sa qualité.

6. Ce règlement distingue également le vin de table du vin de qualité produit dans une région déterminée (ci-après le «v.q.p.r.d.»). V.q.p.r.d. est un sigle tiré du règlement (CEE) n° 823/87 du Conseil, du 16 mars 1987, établissant des dispositions particulières relatives aux vins de qualité produits dans des régions déterminées .

7. L'article 3 du règlement n° 823/87 se lit comme suit:

«1. Par région déterminée, on entend une aire ou un ensemble d'aires viticoles qui produisent des vins possédant des caractéristiques qualitatives particulières et dont le nom est utilisé pour désigner ceux de ces vins qui sont définis à l'article 1er .

2. Chaque région déterminée fait l'objet d'une délimitation précise, autant que possible sur la base de la parcelle ou de la pièce de vigne. Cette délimitation, qui est effectuée par chacun des États membres concernés, tient compte des éléments qui concourent à la qualité des vins produits dans la région en cause et, notamment, de la nature du sol et du sous-sol, du climat ainsi que de la situation des parcelles ou des pièces de vigne.»

8. Le chapitre I, section B, du règlement n° 2392/89 consacré à la désignation des v.q.p.r.d., comprend une section B I relative à l'«étiquetage». L'article 11, paragraphe 1, énonce les indications que la désignation figurant sur l'étiquetage doit obligatoirement comporter, dont l'indication du nom de la région déterminée dont le vin provient (sous a) et une des mentions visées à l'article 15, paragraphe 7, premier alinéa, deuxième tiret, du règlement n° 823/87 (sous b) .

9. L'article 11, paragraphe 2, précise de quelle manière, pour les v.q.p.r.d., les indications imposées par le paragraphe 1 peuvent être complétées. Je cite parmi la liste de l'article 11, paragraphe 2:

« [...]

c) d'une marque dans les conditions prévues à l'article 40;

[...]

i) des mentions traditionnelles complémentaires, pour autant qu'elles soient utilisées dans les conditions prévues par la législation de l'État membre producteur et inscrites sur une liste à arrêter;

j) de la mention communautaire «vin de qualité produit dans une région déterminée» ou «v.q.p.r.d.» pour autant qu'elle n'est pas indiquée en vertu du paragraphe 1 point b ), ou d'une mention spécifique traditionnelle et d'usage pour autant qu'elle n'est pas indiquée en vertu du paragraphe 1 point b)».

10. Aux termes de l'article 12, paragraphe 1, du règlement n° 2392/89, les indications visées à l'article 11 sont les seules admises pour la désignation d'un v.q.p.r.d. sur l'étiquetage. Les États membres peuvent toutefois autoriser que «l'indication du nom de la région déterminée visée à l'article 11 paragraphe 1 point a) soit accompagnée de l'indication du nom d'une unité géographique plus grande dont la région déterminée en question fait partie, en vue d'en préciser la localisation, sous réserve
que les conditions régissant tant l'emploi du nom de la région déterminée précitée que celui du nom de ladite unité géographique soient respectées».

11. Au titre III, intitulé «Dispositions générales», l'article 40, paragraphe 1, précise que la désignation et la présentation des produits visés par le règlement, ainsi que toute publicité relative auxdits produits, ne doivent pas être erronées et de nature à créer des confusions ou à induire en erreur les personnes auxquelles elles s'adressent, notamment en ce qui concerne les indications prévues à l'article 11 et les propriétés des produits telles que, notamment, la nature, l'origine ou la
provenance. Le nom géographique désignant une région déterminée doit être suffisamment précis et notoirement lié à l'aire de production afin que, compte tenu des situations existantes, les confusions puissent être évitées .

12. L'article 40, paragraphe 2, vise les marques et se lit comme suit:

«2. Lorsque la désignation, la présentation et la publicité se référant aux produits visés par le présent règlement sont complétées par des marques, celles-ci ne peuvent pas contenir de mots, parties de mots, signes ou illustrations:

a) qui soient de nature à créer des confusions ou à induire en erreur les personnes auxquelles elles s'adressent au sens du paragraphe 1;

ou

b) qui soient:

susceptibles d'être confondus dans l'esprit des personnes auxquelles ils sont destinés avec tout ou partie de la désignation d'un vin de table, d'un v.q.p.r.d. ou d'un vin importé dont la désignation est réglée par des dispositions communautaires, ou avec la désignation d'un autre produit visé à l'article 1er, paragraphe 1 premier alinéa et à l'article 36 paragraphe 1 premier alinéa, ou

identiques à la désignation d'un tel produit sans que les produits utilisés pour l'élaboration des produits finaux visés ci-dessus aient droit à une telle désignation ou présentation.

En outre, pour la désignation d'un vin de table, d'un v.q.p.r.d. ou d'un vin importé, ne peuvent être utilisées sur l'étiquetage des marques faisant apparaître des mots, parties de mots, signes ou illustrations qui:

[...]

b) [...] contiennent de fausses indications, notamment pour ce qui est de l'origine géographique, la variété de vigne, l'année de récolte ou une mention visant une qualité supérieure.»

13. La Cour a précisé plus avant dans quatre arrêts les règles générales régissant la désignation et la présentation du vin. Ces arrêts sont:

l'arrêt du 25 février 1981, Weigland ;

l'arrêt du 29 juin 1995, Langguth ;

l'arrêt du 5 juillet 1995, Voisine ;

l'arrêt du 28 janvier 1999, Kessler .

B La législation nationale

14. Aux termes de l'article L 711-3 du code de la propriété intellectuelle, ne peut être adopté comme marque ou élément de marque un signe dont l'utilisation est légalement interdite ou de nature à tromper le public, notamment sur la nature, la qualité ou la provenance géographique du produit.

III Les faits et la procédure

15. La société Borie Manoux SARL (ci-après «Borie Manoux») vend du vin de la région de Bergerac (France). Le 6 janvier 1997 elle a demandé à l'Institut national de la propriété industrielle (ci-après l'«INPI») d'enregistrer comme marque l'expression «Les Cadets d'Aquitaine» pour désigner des vins d'appellation d'origine en provenance de la région d'Aquitaine. Le 8 juillet 1997, le directeur général de l'INPI a rejeté la demande au titre, d'une part, des articles 11 et 40 du règlement n° 2392/89 et,
d'autre part, de l'article L 711-3 du code de la propriété intellectuelle.

16. Borie Manoux a interjeté appel de la décision de l'INPI devant la cour d'appel de Bordeaux (France). Par arrêt du 26 octobre 1998, cette dernière a confirmé la décision attaquée. Elle a estimé que, s'agissant de v.q.p.r.d., seule l'indication du nom d'une unité géographique plus restreinte ayant fait l'objet d'une délimitation positive en vertu d'une disposition nationale peut compléter la mention de cette région. La cour d'appel a estimé que la mention «Aquitaine» figurant dans le signe déposé
Les Cadets d'Aquitaine est illicite en ce qu'elle ne constitue pas une référence géographique dont l'usage est prévu par une loi nationale ou un texte communautaire.

17. Borie Manoux a ensuite saisi la Cour de cassation d'un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel. Elle soutient que la cour d'appel a violé les articles 11 et 40 du règlement n° 2392/89 en estimant que la mention «Aquitaine» est illicite, sans même rechercher ou préciser en quoi la mention du terme AQUITAINE dans la marque Les Cadets d'Aquitaine serait de nature à créer une tromperie sur l'origine, la qualité ou la nature du produit ou un risque de confusion avec une désignation communautaire ou
nationale.

18. Dans son pourvoi, Borie Manoux a soutenu qu'il résulte de l'article 40 du règlement n° 2392/89 que le dépôt à titre de marque d'un nom géographique pour des vins et des moûts de raisins reste libre sous réserve de ne pas tomber dans l'une des interdictions visées par ce texte. Les interdictions sont destinées à éviter, d'une part, toute tromperie sur l'origine, la qualité ou la nature du produit et, d'autre part, tout risque de confusion avec une désignation régie par des dispositions
communautaires. Vu sous cet angle, Borie Manoux estime que le signe Les Cadets d'Aquitaine ne peut pas être considéré comme étant trompeur et ne comporte pas de risque de confusion.

19. Le juge de renvoi a estimé que, compte tenu de l'arrêt que la Cour a rendu dans l'affaire Weigand , l'interprétation de l'article 40 intéresse la solution à donner au présent litige. Il a dès lors sollicité la Cour, par arrêt enregistré au greffe le 16 février 2001, de statuer à titre préjudiciel sur la question suivante:

«L'article 40 du règlement n° 2392/89 doit[-il] être interprété en ce sens qu'est interdit le dépôt à titre de marque pour les produits visés au règlement d'une mention géographique dont l'usage n'est pas prévu par l'article 11, même lorsque l'enregistrement d'une telle marque n'est pas de nature à tromper le consommateur sur la provenance du vin et ne suscite aucune confusion avec une dénomination géographique enregistrée, dans la mesure où un tel enregistrement pouvait laisser supposer que la
mention géographique en cause, relative à la région où ce vin est effectivement produit mais qui recouvre d'autres appellations d'origine, fait l'objet d'une protection?»

20. Le gouvernement français et la Commission ont déposé des observations écrites. Il n'y a pas eu de procédure orale.

IV Appréciation

21. Cette affaire concerne l'interprétation du règlement n° 2392/89. Ce règlement a pour but, d'après son troisième considérant, de fournir des informations aussi exactes et aussi précises que possible sur les vins commercialisés dans la Communauté, pour protéger le consommateur et les organismes publics chargés de la gestion et du contrôle du commerce de ces produits contre le risque de confusion ou d'erreur sur les qualités principales du produit en question.

22. Les dispositions qui intéressent la présente affaire sont les articles 11, paragraphes 1 et 2, 12, paragraphe 1, et 40, paragraphes 1 et 2, du règlement n° 2392/89. L'article 11, paragraphe 1, fixe les indications que doit obligatoirement comporter la désignation figurant sur l'étiquetage des v.q.p.r.d. Il faut notamment indiquer le nom de la région déterminée dont le v.q.p.r.d. provient. Aux termes de l'article 11, paragraphe 2, la désignation figurant sur l'étiquetage peut être complétée par
un certain nombre d'indications, et notamment par une marque dans les conditions prévues à l'article 40. Ce dernier article interdit notamment d'employer dans des marques des mots de nature à créer des confusions ou à induire en erreur les personnes auxquelles elles s'adressent. L'article 40, paragraphe 2, sous b), concerne plus spécifiquement les éléments des marques susceptibles d'être confondus avec tout ou partie de la désignation des vins. L'article 12, paragraphe 1, dispose que, hormis un
certain nombre d'exceptions, les indications visées à l'article 11 sont les seules admises pour la désignation d'un v.q.p.r.d. sur l'étiquetage. Une de ces exceptions veut que les États membres puissent autoriser que l'indication du nom de la région déterminée dont provient le v.q.p.r.d. soit accompagnée de l'indication du nom d'une unité géographique plus grande dont la région déterminée en question fait partie, en vue d'en préciser la localisation.

23. D'après le juge de renvoi, il s'agit d'interpréter dans le litige au principal l'interdiction de l'article 40 du règlement n° 2392/89. La question est de savoir si cet article s'oppose à l'enregistrement du signe Les Cadets d'Aquitaine pour des vins du Bergeracois, étant donné que le nom géographique «Aquitaine» n'est pas régi par l'article 11 dudit règlement . Le juge de renvoi souhaite savoir en substance si une mention géographique figurant dans une marque, dont l'emploi n'est pas régi par la
législation interne ni par un texte de droit communautaire crée un risque de confusion chez le consommateur étant donné qu'il peut laisser supposer que cette mention géographique est protégée et relève de ce fait de l'interdiction de l'article 40.

24. Avant de pouvoir apprécier si la mention géographique «Aquitaine» qui apparaîtrait dans la marque Les Cadets d'Aquitaine pourrait laisser supposer qu'il s'agit d'une marque protégée, il faut d'abord déterminer si une indication de cette nature est autorisée dans l'absolu. Il faut à cet effet se reporter au chapitre I, section B, du règlement n° 2392/89, qui fixe les règles applicables à la désignation et à la présentation du vin.

25. La première question qui se pose est de savoir si ce règlement s'oppose à l'emploi dans l'étiquetage d'une mention géographique autre que la région visée à l'article 11, paragraphe 1. Ainsi qu'il apparaîtra ci-après, le règlement comporte à son article 11, paragraphe 2, sous l), une disposition sur le nom d'une unité géographique plus restreinte et, à son article 12, paragraphe 1, une disposition sur le nom d'une unité géographique plus grande. Il ressort de ces dispositions que l'emploi d'une
mention géographique est autorisé sous certaines conditions. On se demande ensuite si la première question doit recevoir une réponse différente si la mention géographique fait partie d'une marque. Le règlement n° 2392/89 dispose à l'article 11, paragraphe 2, sous c), que la désignation figurant sur l'étiquetage peut être complétée, pour le v.q.p.r.d., par une marque dans les conditions prévues à l'article 40. Ce dernier article n'interdit pas purement et simplement d'inclure une mention géographique
dans une marque pour autant que cela ne crée pas de confusion ni n'induise en erreur les personnes auxquelles elle s'adresse. En l'espèce, il se trouve que ce n'est que s'il est établi que la mention «Aquitaine» est un nom géographique pouvant licitement figurer dans une marque que l'on peut se demander si elle pourrait créer une confusion quant à la protection de la marque en question.

26. Je vais commencer par analyser les dispositions du règlement n° 2392/89 qui nous intéressent, à savoir les articles 11, 12 et 40. Je vais également examiner la jurisprudence que la Cour a consacrée à ce règlement et aux réglementations qui lui sont apparentées. Je le fais en ayant en vue les objets suivants:

le caractère exhaustif du règlement n° 2392/89;

les dispositions relatives aux marques;

les dispositions relatives aux mentions géographiques;

la signification de la notion de «consommateur», et

la signification des notions de «confusion» et d'«erreur».

Aux points 52 et suivants, j'examinerai les observations du gouvernement français et de la Commission. Ces observations abordent essentiellement l'article 40 et les notions de «confusion» et d'«erreur».

Le caractère exhaustif du règlement n° 2392/89

27. L'exhaustivité à laquelle prétend le règlement n° 2392/89 ressort de son cinquième considérant qui indique que, pour éviter des interprétations trop divergentes, «il est apparu utile d'établir des règles de désignation assez complètes; que, pour assurer l'efficacité de ces règles, il convient en outre de poser en principe que les indications prévues par celles-ci ou par leurs modalités d'application sont les seules admises pour la désignation des vins et des moûts de raisins».

28. Le caractère exhaustif des articles 11 et 12 du règlement n° 2392/89 a été explicitement énoncé dans l'arrêt Voisine . Au point 22 dudit arrêt, la Cour indique que ces articles démontrent la volonté du législateur communautaire d'adopter, dans ce règlement, un code détaillé et complet gouvernant la désignation et la présentation des vins. Les articles 11 et 12 déterminent, selon elle, les seules indications admises pour la désignation d'un v.q.p.r.d. sur l'étiquetage.

29. Quelle est l'incidence du caractère exhaustif du règlement n° 2392/89 en l'espèce? Je constate avant tout que l'emploi du nom géographique «Aquitaine» n'est pas régi par ledit règlement ni par un des règlements d'application. L'emploi de ce nom dans l'étiquetage à côté de l'indication «Bergeracois» n'est pas non plus régi par la législation française ainsi qu'il ressort des observations du gouvernement français. L'appellation d'origine «Bergerac» est bel et bien protégée en vertu du règlement.
Compte tenu du fait que le nom géographique en question n'est pas régi par une loi interne ni par un texte communautaire, je n'exclus pas que le nom géographique «Aquitaine» ne soit pas licite. Il découle en effet de ce qui précède que toute mention apposée sur l'étiquetage du v.q.p.r.d. doit trouver un fondement explicite dans le règlement n° 2392/89. Il faudra dès lors trouver dans ce règlement un tel fondement au nom géographique employé ici.

Les dispositions relatives aux marques

30. Je cite tout d'abord l'article 11, paragraphe 2, sous c), du règlement n° 2392/89 permettant de compléter, pour le v.q.p.r.d., la désignation figurant sur l'étiquetage par une marque dans les conditions prévues à l'article 40 du même règlement. En vertu de ce dernier article, la désignation et la présentation du vin ne peuvent pas être de nature à créer des confusions ou à induire en erreur les personnes auxquelles elles s'adressent. Aux termes de l'article 40, paragraphe 2, sous a), les marques
ne peuvent pas contenir de mots, parties de mots, signes ou illustrations qui soient de nature à créer des confusions ou à induire en erreur les personnes auxquelles elles s'adressent. L'article 40, paragraphe 2, sous b), vise plus spécifiquement les éléments de marques qui peuvent être confondus avec tout ou partie de la désignation de vins.

31. Dans l'affaire Sektkellerei Kessler , la Cour a estimé que, en autorisant l'utilisation des marques pour compléter la désignation ou la présentation des vins, le législateur communautaire a voulu opérer une pondération des intérêts entre, d'une part, la protection des consommateurs et, en particulier, le droit à ne pas être induit en erreur sur les qualités intrinsèques d'un produit et, d'autre part, la protection des droits de propriété intellectuelle et, en particulier, l'intérêt légitime des
titulaires d'une marque à la voir utilisée et exploitée dans le commerce. La Cour énonce là l'objectif de la réglementation.

32. Il y a peu de jurisprudence consacrée à la notion de «marque» au sens des articles 11 et 40 du règlement n° 2392/89. Les affaires tranchées par la Cour, qui intéressent l'article 40, concernent généralement l'interprétation des notions de «confusion» et d'«erreur». Je reviendrai ci-après de manière plus approfondie sur ces notions. Plus spécifiquement à l'égard d'une marque verbale, la Cour a déterminé dans l'affaire Langguth que l'article 40 ne prévoit aucune restriction concernant la
typographie des caractères et les dimensions d'une marque par rapport à l'indication sur l'étiquette du nom de la région déterminée ou de l'unité géographique plus restreinte que la région déterminée. Il s'ensuit que la Cour laisse le champ nécessaire pour employer une marque complétant la désignation et l'étiquetage du vin.

33. Il n'apparaît pas non plus que l'article 11 s'oppose en tant que tel à l'inclusion d'un nom géographique dans une marque. Cet article peut dès lors constituer le fondement requis par le règlement n° 2392/89. On se demande alors si l'article 12, qui régit l'emploi de mentions géographiques, ne s'y oppose pas.

Les dispositions relatives aux mentions géographiques

34. En ordre principal, l'article 11, paragraphe 1, sous a), du règlement n° 2392/89 dispose que, pour le v.q.p.r.d., la désignation figurant sur l'étiquetage doit obligatoirement comporter l'indication du nom de la région déterminée dont le vin provient. Aux termes de l'article 11, paragraphe 2, sous l), pour les v.q.p.r.d., la désignation figurant sur l'étiquetage peut être complétée par l'indication du nom d'une unité géographique plus restreinte que la région déterminée, dans les conditions
prévues à l'article 13 du même règlement . Aux termes de l'article 12, paragraphe 1, les États membres peuvent autoriser que l'indication du nom de la région déterminée dont provient le v.q.p.r.d. soit accompagnée de l'indication du nom d'une unité géographique plus grande dont la région déterminée en question fait partie, en vue d'en préciser la localisation.

35. L'article 12, paragraphe 1, du règlement n° 2392/89 semble à première vue offrir une ouverture en ce qu'il permet de mentionner le nom d'une unité géographique plus grande sur l'étiquetage, en plus de l'appellation d'origine, si la législation interne le prévoit. Il est constant que le nom géographique «Aquitaine» figurant dans le signe Les Cadets d'Aquitaine constitue une unité géographique plus grande. La France n'a toutefois pas autorisé l'emploi de cette indication en vertu d'une règle
inscrite dans la législation interne. L'article 12 ne peut donc pas en l'espèce constituer un fondement en lui-même à l'indication du nom géographique «Aquitaine». Par ailleurs, il ne ressort pas de l'énoncé de cet article qu'il s'oppose à l'indication d'un nom géographique sur l'étiquetage s'il fait partie d'une marque. Cela n'est pas évident non plus au vu de l'économie du règlement. L'article 12 dispose en effet que, en dehors d'un certain nombre d'exceptions, la désignation du v.q.p.r.d.
figurant sur l'étiquetage ne peut comporter que les indications visées à l'article 11. D'après son énoncé, l'article 12 n'apporte aucune restriction à ce que l'article 11 admet. L'emploi d'une mention géographique dans une marque est dès lors licite pour autant que cette indication ne soit pas de nature à créer des confusions ou à induire en erreur les personnes auxquelles elle s'adresse. L'utilisation d'une marque n'est donc limitée que par l'article 40 et par le droit des marques.

36. A ce stade, je veux examiner brièvement la défense que développe la demanderesse dans le litige au principal sur le caractère illicite de la marque Les Cadets d'Aquitaine. C'est à tort que la cour d'appel aurait estimé que la mention «Aquitaine» est illicite sans rechercher ou préciser en quoi elle serait de nature à créer une tromperie sur l'origine, la qualité ou la nature du produit ou un risque de confusion avec une désignation communautaire ou nationale. D'après la décision de renvoi, la
cour d'appel a estimé que, pour les v.q.p.r.d., la mention de la région de production ne peut être complétée que par l'indication du nom d'une unité géographique plus restreinte ayant fait l'objet d'une délimitation positive en vertu d'une règle nationale. J'estime que cela n'est pas exact au vu de l'énoncé de l'article 12.

37. Il s'ensuit que le règlement n° 2392/89 n'interdit pas, en principe, qu'un nom géographique figure dans une marque. Mais, à condition que la marque en question ne crée pas de confusions ni n'induise le consommateur en erreur.

38. J'aborde alors la question centrale: le nom géographique «Aquitaine» figurant dans le signe Les Cadets d'Aquitaine crée-t-il une confusion ou induit-il le consommateur en erreur? J'examine à cet effet aux points suivants les contours de la notion de «consommateur» que le règlement vise à protéger, ainsi que les notions de «confusions» et de «tromperie».

La signification de la notion de «consommateur»

39. Il s'agit à l'article 40 du règlement n° 2392/89 de la confusion ou de la tromperie du consommateur. Il ressort de l'arrêt du 6 juillet 1995, Mars, que la notion de «consommateur» se comprend comme visant le consommateur moyen «raisonnablement avisé[s]» . Selon une jurisprudence constante, pour déterminer si une dénomination, une marque ou une indication publicitaire sont ou non de nature à induire l'acheteur en erreur, il convient de prendre en considération l'attente présumée d'un consommateur
moyen, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé . D'après l'arrêt Estée Lauder , ce critère est fondé sur le principe de proportionnalité.

40. Pour apprécier si une indication ou une marque peut induire le consommateur en erreur, il convient également de prendre en considération le fait qu'il est possible que, en raison des différences linguistiques, culturelles et sociales entre les États membres, une indication ou une marque, qui n'est pas susceptible d'induire en erreur dans un État membre le soit dans un autre. À cet égard, la Cour a déterminé dans l'arrêt du 26 novembre 1996, Graffione , que la possibilité d'admettre une
interdiction de commercialisation fondée sur la nature trompeuse d'une marque n'est pas, en principe, exclue par la circonstance que, dans d'autres États membres, la même marque n'est pas réputée telle.

41. La Cour a également déterminé à l'égard de dispositions analogues visant à prévenir toute tromperie du consommateur qu'il appartient au juge national de rechercher, en tenant compte de toutes les données intéressant l'affaire, si une indication ou une marque est susceptible d'être trompeuse . Si le juge national éprouve des difficultés particulières dans cette recherche, il peut, en l'absence de toute disposition communautaire sur ce point, examiner s'il n'est pas opportun de recourir, dans les
conditions prévues par son droit national, à un sondage d'opinion ou à une expertise. À la lumière d'une telle mesure d'instruction, le juge national peut déterminer le pourcentage de consommateurs trompés qui lui paraîtrait suffisamment significatif pour justifier, le cas échéant, l'interdiction de ce message déterminé.

42. En résumé, pour apprécier le caractère éventuellement trompeur d'une indication ou d'une marque, le juge national doit prendre en considération l'attente présumée d'un consommateur moyen, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé. L'application de ce critère au cas d'espèce doit prendre en compte les différences linguistiques, culturelles et sociales entre les États membres, qui peuvent avoir pour effet qu'une marque, qui n'est pas susceptible d'induire en erreur le consommateur
dans un État membre le soit dans un autre. Lorsqu'il apparaît particulièrement difficile d'apprécier le caractère trompeur d'une indication ou d'une marque, le droit communautaire ne s'oppose pas à ce que le juge national recoure, dans les conditions prévues par son droit national, à un sondage d'opinion ou à une expertise pour éclairer son appréciation.

La signification des notions de «confusions» et d'«erreur»

43. Les notions de «confusions» et d'«erreur» sont au centre de l'article 40. Le paragraphe 2 précise ce que les confusions ou l'erreur peuvent recouvrir à l'égard d'une marque. Il ne vise toutefois pas l'emploi d'une mention géographique dans une marque. C'est la raison pour laquelle il faut s'inspirer de la jurisprudence que la Cour a consacrée aux notions de «confusions» et d'«erreur». Dans un ensemble d'arrêts, elle a interprété ces notions dans le contexte de l'article 40 et d'autres articles
dans lesquels elles apparaissent. Au point 13 des présentes conclusions, j'ai également cité ces arrêts et je vais à présent en examiner de manière plus approfondie les motifs qui intéressent cette affaire-ci.

44. Pour définir la portée de l'article 40, il convient tout d'abord de déterminer la signification des mots «de nature à créer des confusions ou à induire en erreur» au sens dudit article. Dans l'arrêt Weigand , la Cour a déjà interprété ces notions dans le contexte des articles 8, 18 et 43 du règlement n° 355/79, dont l'énoncé correspond pratiquement à celui de l'article 40. Dans cette affaire, la Cour devait déterminer s'il y avait confusion au sens de ce règlement en ce qu'un négociant en vin
employait dans l'étiquetage de deux vins et dans la publicité faite pour ceux-ci des indications qui donnaient l'impression qu'ils provenaient de localités viticoles et de lieux-dits allemands en réalité inexistants. La Cour a estimé que la notion de confusion ne recouvrait pas seulement la confusion au sens étroit du terme, mais encore l'utilisation de toutes indications trompeuses. Elle a donc reconnu le même sens aux mots «confusion» et «opinion erronée» parce que les dispositions en question ont
le même but, à savoir «l'élimination, dans la commercialisation des vins, de toutes pratiques de nature à créer de fausses apparences». Cela veut dire que les notions de «confusions» et d'«erreur» au sens de l'article 40 doivent, elles aussi, se voir reconnaître la même signification.

45. Dans l'arrêt Sektkellerei Kessler , il s'agissait de savoir si le fait que l'article 13, paragraphes 1 et 2, sous a), du règlement n° 2333/92 du Conseil, du 13 juillet 1992, établissant les règles générales pour la désignation et la présentation des vins mousseux et des vins mousseux gazéifiés vise des cas de figure «de nature à créer des confusions» et «à induire en erreur» tandis que le paragraphe 2, sous b), évoque seulement le cas de figure où les indications en question sont «susceptibles
d'être confondues», pourrait donner à penser que, dans les premiers cas de figure, il faut démontrer que des personnes peuvent effectivement être induites en erreur tandis que dans le cas de figure visé au paragraphe 2, sous b), on pourrait se contenter de constater que les indications comme telles sont «susceptibles d'être confondues».

46. La Cour a estimé que, pour que l'interdiction établie par l'article 13, paragraphe 2, sous b), dudit règlement soit appliquée, il ne suffit pas de constater qu'une marque qui contient un mot figurant dans la désignation de l'un des produits mentionnés dans cette disposition est, en elle-même, susceptible d'être confondue avec cette dernière désignation. Il s'impose, en outre, d'établir que l'utilisation de la marque est en fait de nature à induire en erreur les consommateurs concernés et, par
conséquent, à affecter leur comportement économique.

47. Ainsi que je l'ai relevé au point 31 des présentes conclusions, la Cour a estimé dans l'arrêt Sektkellerei Kessler que, en autorisant l'utilisation des marques pour compléter la désignation ou la présentation des vins mousseux, le législateur communautaire doit avoir voulu opérer une pondération des intérêts entre, d'une part, la protection des consommateurs et, en particulier, le droit à ne pas être induit en erreur sur les qualités intrinsèques d'un produit et, d'autre part, la protection des
droits de propriété intellectuelle. La Cour a estimé qu'il serait gravement porté atteinte à cette pondération si un simple risque de confusion, relevé sans même que soient prises en considération les conceptions ou habitudes des consommateurs visés, suffisait à empêcher l'utilisation d'une dénomination protégée en tant que marque. C'est pourquoi il s'impose d'établir que l'utilisation de la marque est en fait de nature à induire le consommateur en erreur.

48. Il ressort également de l'arrêt Langguth que l'article 40 du règlement n° 2392/89 a avant tout pour but d'interdire l'utilisation mensongère des marques. La Cour a estimé que, en conséquence, l'on ne saurait considérer qu'une marque, du fait qu'elle est présentée de manière accrocheuse, est de nature à créer des confusions ou à induire en erreur les personnes auxquelles elle s'adresse, et ce même si elle contient un mot désigné par la réglementation en cause comme une indication susceptible
d'être utilisée dans la dénomination d'un v.q.p.r.d.

49. Je relève que dans l'arrêt du 11 novembre 1997, Sabel , la Cour a interprété la notion de «risque d'association» qui sert à préciser la portée de la notion de «risque de confusion». D'après cet arrêt, le risque d'association implique que, en raison de l'identité ou de la similitude et des marques et des produits ou services désignés, il existe, dans l'esprit du public, un risque de confusion qui comprend le risque d'association avec la marque antérieure. Il ressort des points 22 et 23 du même
arrêt que «le risque de confusion doit donc être apprécié globalement en tenant compte de tous les facteurs pertinents du cas d'espèce. Cette appréciation globale doit, en ce qui concerne la similitude visuelle, auditive ou conceptuelle des marques en cause, être fondée sur l'impression d'ensemble produite par les marques, en tenant compte, notamment, des éléments distinctifs et dominants de celles-ci.»

50. Par souci d'exhaustivité, j'évoque l'affaire Voisine dans laquelle il s'agissait de savoir si le décor de bouteilles de vin, n'ayant aucun lien avec le vin lui-même, relève de la définition de l'étiquetage donnée par l'article 38 du règlement n° 2392/89. On soutenait qu'en vertu d'une loi française sur les fraudes et falsifications en matière de produits ou de services, il était trompeur de commercialiser dans certaines villes des bouteilles sur lesquelles étaient apposées des photos des villes
dans lesquelles les bouteilles étaient vendues ainsi qu'une légende ayant trait à l'histoire de la ville considérée. Des étiquettes de cette nature pourraient induire en erreur les acheteurs sur la provenance du vin. La Cour a rappelé que les dispositions sur l'étiquetage du vin ont pour but d'éliminer, dans la commercialisation des vins, toutes pratiques de nature à créer de fausses apparences. Peu importe que ces pratiques suscitent, dans l'esprit du commerce et des consommateurs, des confusions
avec des productions existantes ou l'illusion d'une origine ou de caractéristiques en réalité inexistantes.

51. Je résume comme suit cette jurisprudence sur les notions de «confusions» et d'«erreur». Il est primordial que l'utilisation de la marque soit en fait de nature à induire en erreur les consommateurs concernés et, par conséquent, à affecter leur comportement économique. C'est en ce sens qu'il doit s'agir d'un risque concret. La notion de «confusions» figurant à l'article 40 du règlement n° 2392/89 est en elle-même bel et bien une notion globale. Elle recouvre aussi, en plus de la confusion au sens
étroit du terme, l'utilisation de toutes indications trompeuses de nature à faire accroire au public qu'il s'agit d'une provenance, en réalité inexistante, ou de caractéristiques, en réalité inexistantes. Elle comporte au reste également le risque d'association. L'article 40 visant à éliminer, dans la commercialisation, toutes pratiques de nature à créer de fausses apparences, le dol n'est pas requis.

Les observations du gouvernement français et de la Commission

52. Le gouvernement français indique en l'espèce que, dans l'affaire Weigand , la Cour a conçu de manière abstraite l'interdiction d'utiliser des indications de nature à induire le public en erreur, c'est-à-dire en ne requérant pas de démontrer un réel risque de confusion, un risque abstrait de confusion étant suffisant. Dans des arrêts ultérieurs, la Cour nuance cette approche et requiert un risque réel de confusion ou de tromperie. À cet égard, elle a estimé, dans l'arrêt Langguth , que, pour que
l'utilisation d'une marque puisse être considérée comme étant de nature à créer des confusions ou à induire en erreur les personnes auxquelles elle s'adresse, il convient d'établir, au regard des conceptions ou habitudes des consommateurs visés, l'existence d'un risque réel que leur comportement économique soit affecté.

53. Se référant notamment aux arrêts Weigand et Langguth précités, le gouvernement français expose que l'article 40 du règlement n° 2392/89 interdit le dépôt à titre de marque d'une mention géographique dont l'usage n'est pas prévu par l'article 11, lorsque l'enregistrement d'une telle marque suscite une confusion avec une dénomination géographique enregistrée ou lorsqu'elle est de nature à tromper le consommateur sur la provenance du vin.

54. La Commission estime que l'inclusion dans une marque d'un nom géographique dont l'usage n'est pas régi par la législation interne ou par une réglementation communautaire, peut laisser supposer que la mention géographique est l'objet de la protection et, partant, induire le consommateur en erreur. Elle estime néanmoins que l'inclusion du nom géographique dans la marque n'est pas suffisante en elle-même pour conclure à la violation de l'article 40. Elle ajoute qu'il faut établir en plus que
l'usage d'une telle marque est de nature à créer des confusions ou à induire le consommateur en erreur et, dès lors, à affecter son comportement économique. Elle renvoie à cet égard à l'arrêt Sektkellerei Kessler .

55. Tant le gouvernement français que la Commission estiment qu'il appartient au juge national de vérifier si la mention du nom géographique «Aquitaine» dans le signe Les Cadets d'Aquitaine est de nature à induire le consommateur en erreur. Selon une jurisprudence constante, le juge national doit à cet égard prendre en considération l'attente présumée d'un consommateur moyen, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé .

L'appréciation proprement dite

56. La réponse à la question du juge de renvoi doit se faire au regard du système du règlement. Ce règlement établit de manière exhaustive les indications qui sont ou non permises, mais utilise à cette fin des notions qui ne sont pas toujours dépourvues d'ambiguïté . C'est la raison pour laquelle le juge national devra toujours apprécier au cas par cas si une indication déterminée est admise par le règlement. La Cour l'a déjà établi à l'égard de dispositions analogues à l'article 40 du règlement n°
2392/89 qui visent à prévenir toute tromperie du consommateur. Je l'ai déjà relevé au point 41.

57. Ainsi que je l'ai déjà indiqué au point 37, le règlement n° 2392/89 n'interdit pas en lui-même d'utiliser le nom d'une grande région comme nom géographique dans une marque. Une telle interdiction ne se déduit pas des articles 11 et 12 ni de l'article 40 de ce règlement. Je partage dès lors la position de la Commission voulant que l'inclusion dans une marque d'un nom géographique dont l'usage n'est pas régi par la législation interne ou par une réglementation communautaire ne heurte pas pour
cette seule raison l'article 40. L'utilisation d'un tel nom est admise pourvu que ce nom ne soit pas de nature à créer des confusions ni à induire en erreur le consommateur. Je le déduis aussi des affaires que j'ai examinées aux points 44 et suivants. Il ressort de celles-ci que le règlement n° 2392/89 se préoccupe essentiellement de la protection du consommateur lorsqu'il aborde les mentions de nature à créer des confusions ou à induire en erreur.

58. En l'espèce, il appartient au juge national d'apprécier si, compte tenu des consommateurs auxquels il s'adresse, le nom d'une grande région inclus comme nom géographique dans une marque, peut être confondu avec des noms enregistrés que l'on rencontre dans la même région.

59. La jurisprudence de la Cour, retracée aux points 39 et suivants des présentes conclusions, donne un certain nombre de principes pour apprécier si une indication peut donner lieu à confusion ou à erreur. Je renvoie à cet égard en particulier aux points 42 et 51 de ces conclusions. Ces principes n'indiquent toutefois pas dans quels cas le nom d'une grande région est admis comme nom géographique dans une marque.

60. Pour donner au juge de renvoi un autre repère à son appréciation, j'examine d'abord de manière plus approfondie les faits du litige au principal. Au vu de ceux-ci, je vois ensuite comment les principes que la Cour a énoncés peuvent être précisés aux fins de statuer dans une affaire comme celle-ci.

61. Le litige au principal concerne la question de savoir si le nom «Aquitaine» peut être admis comme nom géographique dans la marque Les Cadets d'Aquitaine. Pour reprendre les termes du règlement, ce nom crée-t-il des confusions ou induit-il en erreur sur la protection du nom?

62. En l'espèce, la demanderesse dans le litige au principal commercialise du vin de la région de Bergerac qui est située en Aquitaine. Je relève que, d'après la décision de renvoi, il n'est pas contesté que «Aquitaine» est un nom géographique qui sert à désigner des vins du Bergeracois. Ce nom indique donc la région dans laquelle le vin est effectivement produit.

63. Il est clair que c'est le nom «Aquitaine» qui est au centre du litige au principal. L'Aquitaine est une grande région du Sud-Ouest de la France, connue comme telle depuis des siècles déjà, qui comprend un certain nombre d'aires viticoles traditionnelles renommées. De surcroît, l'Aquitaine est actuellement aussi une des régions administratives de la France . Bordeaux est une des aires viticoles les plus connues de cette région. Il ne fait aucun doute que le nom «Aquitaine» jouit d'une grande
notoriété dans le public français. Il ne paraît pas plausible que le public français conçoive l'Aquitaine comme étant une aire viticole spécifique. Toutefois on se demande jusqu'à quel point on peut supposer que le consommateur étranger connaisse lui aussi le nom d'une grande région française qui comprend un certain nombre d'aires viticoles réputées.

64. J'ajoute encore un élément. Il n'est pas exclu que le nom d'une grande région figurant comme nom géographique dans une marque puisse bel et bien créer des confusions avec des noms enregistrés de cette région en raison des associations qu'il suscitera chez le consommateur moyennement informé. Le signe Les Cadets d'Aquitaine indique qu'il s'agit d'un vin de la région d'Aquitaine. Contrairement aux appellations d'origine de cette région, telles que Bordeaux, Médoc et Bergerac, ce nom n'est pas régi
par une législation interne ni par un texte communautaire. Comme dans la région d'Aquitaine on rencontre également des noms enregistrés, la marque Les Cadets d'Aquitaine pourrait donner l'impression qu'il s'agit également d'un nom enregistré.

65. Quelle incidence tout cela a-t-il sur l'appréciation que le juge national doit porter?

66. Ainsi que je l'ai déjà exposé au point 42 des présentes conclusions, pour apprécier si un nom ou une marque est de nature ou non à induire un acheteur en erreur, il faut se référer à l'attente présumée d'un consommateur moyen, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé . Compte tenu des circonstances de l'espèce, il apparaît en particulier important de tenir compte de l'attente d'un consommateur dans d'autres États membres.

67. Le juge national devra ensuite apprécier si l'utilisation du nom géographique dans la marque crée un risque de confusion pour le consommateur auquel je viens de faire allusion. Dans cette appréciation, le juge national peut appliquer un certain nombre de critères qui ont été développés dans la jurisprudence de la Cour . Ce qui est primordial, c'est que l'utilisation de la marque puisse effectivement induire en erreur les consommateurs concernés et dès lors affecter leur comportement économique.
Ce comportement économique peut être affecté par l'utilisation d'indications trompeuses susceptibles de faire accroire au public qu'il s'agit de caractéristiques en réalité inexistantes. À mon sens, le juge national devra vérifier si le nom géographique qui est utilisé dans une marque peut être confondu avec des noms enregistrés en vertu du règlement et si le consommateur attribue certaines caractéristiques qualitatives au vin en raison de l'utilisation du nom géographique dans la marque.

V Conclusion

68. Par ces motifs, je propose que la Cour réponde comme suit à la question préjudicielle :

«L'article 40 du règlement (CEE) n° 2392/89 du Conseil, du 24 juillet 1989, établissant les règles générales pour la désignation et la présentation des vins et des moûts de raisins, ne s'oppose en principe pas à l'utilisation comme nom géographique dans une marque du nom d'une grande région dont l'emploi n'est pas régi par l'article 11 de ce règlement. Le juge national devra toujours apprécier au cas par cas si l'utilisation d'un nom géographique dans une marque crée des confusions ou induit le
consommateur en erreur. Il devra en particulier vérifier à cet égard si le nom géographique peut être confondu avec des noms enregistrés en vertu du règlement et si le consommateur attribue certaines caractéristiques qualitatives au vin en raison de l'utilisation du nom géographique dans la marque. Il devra également tenir compte à cet égard de l'attente d'un consommateur dans d'autres États membres.»


Synthèse
Numéro d'arrêt : C-81/01
Date de la décision : 14/03/2002
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle: Cour de cassation - France.

Agriculture - Organisation commune des marchés - Vin - Désignation et présentation des vins - Vins de qualité produits dans des régions déterminées ('v.q.p.r.d.') - Indication d'une marque sur l'étiquetage - Limites - Articles 11 et 40 du règlement nº 2392/89.

Agriculture et Pêche

Vin


Parties
Demandeurs : Borie Manoux SARL
Défendeurs : Directeur de l'Institut national de la propriété industrielle (INPI).

Composition du Tribunal
Avocat général : Geelhoed
Rapporteur ?: Colneric

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2002:176

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