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05/12/2000 | CJUE | N°C-448/98

CJUE | CJUE, Arrêt de la Cour du 5 décembre 2000., Procédure pénale contre Jean-Pierre Guimont., 05/12/2000, C-448/98


Avis juridique important

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61998J0448

Arrêt de la Cour du 5 décembre 2000. - Procédure pénale contre Jean-Pierre Guimont. - Demande de décision préjudicielle: Tribunal de police de Belley - France. - Mesures d'effet équivalent à une restriction quantitative - Situation purement interne - Fabrication et commerciali

sation de fromage emmenthal sans croûte. - Affaire C-448/98.
Recueil d...

Avis juridique important

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61998J0448

Arrêt de la Cour du 5 décembre 2000. - Procédure pénale contre Jean-Pierre Guimont. - Demande de décision préjudicielle: Tribunal de police de Belley - France. - Mesures d'effet équivalent à une restriction quantitative - Situation purement interne - Fabrication et commercialisation de fromage emmenthal sans croûte. - Affaire C-448/98.
Recueil de jurisprudence 2000 page I-10663

Sommaire
Parties
Motifs de l'arrêt
Décisions sur les dépenses
Dispositif

Mots clés

Libre circulation des marchandises - Restrictions quantitatives - Mesures d'effet équivalent - Réglementation nationale interdisant la commercialisation d'un fromage dépourvu de croûte sous la dénomination «emmenthal» - Application aux produits importés d'un autre État membre - Inadmissibilité - Justification - Absence

(Traité CE, art. 30 (devenu, après modification, art. 28 CE))

Sommaire

$$L'article 30 du traité (devenu, après modification, article 28 CE) s'oppose à ce qu'un État membre applique aux produits importés d'un autre État membre, où ils sont légalement produits et commercialisés, une réglementation nationale qui prohibe la commercialisation dans cet État membre d'un fromage dépourvu de croûte sous la dénomination «emmenthal».

En effet, une telle réglementation, dans la mesure où elle est appliquée aux produits importés, est susceptible de rendre leur commercialisation plus difficile et, par conséquent, d'entraver les échanges entre les États membres. Certes, les États membres peuvent, dans le but de garantir la loyauté des transactions commerciales et d'assurer la défense des consommateurs, exiger des intéressés de modifier la dénomination d'une denrée alimentaire lorsqu'un produit présenté sous une certaine dénomination
est tellement différent, du point de vue de sa composition ou de sa fabrication, des marchandises généralement connues sous cette même dénomination au sein de la Communauté qu'il ne saurait être considéré comme relevant de la même catégorie. En revanche, dans le cas d'une différence de moindre importance, un étiquetage adéquat doit suffire à fournir les renseignements nécessaires à l'acheteur ou au consommateur. À supposer même que la différence dans la méthode d'affinage entre un emmenthal
comportant une croûte et un emmenthal sans croûte soit susceptible de constituer un élément de nature à induire le consommateur en erreur, il suffirait, tout en maintenant la dénomination «emmenthal», d'accompagner cette dénomination d'une information adéquate au sujet de cette différence. Dans ces conditions, l'absence de croûte ne peut pas être considérée comme une caractéristique justifiant le refus de l'utilisation de la dénomination «emmenthal».

(voir points 25-26, 30-31, 33-35 et disp.)

Parties

Dans l'affaire C-448/98,

ayant pour objet une demande adressée à la Cour, en application de l'article 177 du traité CE (devenu article 234 CE), par le tribunal de police de Belley (France) et tendant à obtenir, dans la procédure pénale poursuivie devant cette juridiction contre

Jean-Pierre Guimont,

une décision à titre préjudiciel sur l'interprétation de l'article 3, sous a), du traité CE [devenu, après modification, article 3, paragraphe 1, sous a), CE], ainsi que de l'article 30 du traité CE (devenu, après modification, article 28 CE) et des articles suivants,

LA COUR,

composée de MM. G. C. Rodríguez Iglesias, président, C. Gulmann (rapporteur), M. Wathelet et V. Skouris, présidents de chambre, D. A. O. Edward, J.-P. Puissochet, P. Jann, L. Sevón et R. Schintgen, juges,

avocat général: M. A. Saggio,

greffier: M. H. von Holstein, greffier adjoint,

considérant les observations écrites présentées:

- pour M. Guimont, par Me A. Lestourneaud, avocat au barreau de Thonon-les-Bains et des Pays de Léman,

- pour le gouvernement français, par Mmes K. Rispal-Bellanger, sous-directeur à la direction des affaires juridiques du ministère des Affaires étrangères, et C. Vasak, secrétaire adjoint des affaires étrangères à la même direction, en qualité d'agents,

- pour le gouvernement danois, par M. J. Molde, chef de division au ministère des Affaires étrangères, en qualité d'agent,

- pour le gouvernement allemand, par MM. W.-D. Plessing, Ministerialrat au ministère fédéral des Finances, et C.-D. Quassowski, Regierungsdirektor au même ministère, en qualité d'agents,

- pour le gouvernement néerlandais, par M. M. A. Fierstra, chef du service de droit européen au ministère des Affaires étrangères, en qualité d'agent,

- pour le gouvernement autrichien, par Mme C. Stix-Hackl, Gesandte au ministère des Affaires étrangères, en qualité d'agent,

- pour la Commission des Communautés européennes, par MM. H. van Lier, conseiller juridique, et O. Couvert-Castéra, fonctionnaire national mis à la disposition du service juridique, en qualité d'agents,

vu le rapport d'audience,

ayant entendu les observations orales de M. Guimont, du gouvernement français, du gouvernement danois et de la Commission à l'audience du 11 janvier 2000,

ayant entendu l'avocat général en ses conclusions à l'audience du 9 mars 2000,

rend le présent

Arrêt

Motifs de l'arrêt

1 Par jugement du 24 novembre 1998, parvenu à la Cour le 9 décembre suivant, le tribunal de police de Belley a posé, en application de l'article 177 du traité CE (devenu article 234 CE), une question préjudicielle relative à l'interprétation de l'article 3, sous a), du traité CE [devenu, après modification, article 3, paragraphe 1, sous a), CE], ainsi que de l'article 30 du traité CE (devenu, après modification, article 28 CE) et des articles suivants.

2 Cette question a été soulevée dans le cadre d'une procédure pénale engagée à l'encontre de M. Guimont du chef d'avoir détenu pour vendre, vendu ou offert une denrée alimentaire, en l'occurrence de l'emmenthal, à l'étiquetage trompeur.

Les règles nationales en cause

3 L'article 3, premier alinéa, du décret français n_ 84-1147, du 7 décembre 1984, portant application de la loi du 1er août 1905 sur les fraudes et falsifications en matière de produits ou de services (ci-après le «décret de 1984»), dispose:

«L'étiquetage et les modalités selon lesquelles il est réalisé ne doivent pas être de nature à créer une confusion dans l'esprit de l'acheteur ou du consommateur, notamment sur les caractéristiques de la denrée alimentaire et plus particulièrement sur la nature, l'identité, les qualités, la composition, la quantité, la durabilité, la conservation, l'origine ou la provenance, le mode de fabrication ou d'obtention.»

4 Les «caractéristiques de la denrée alimentaire» dénommée «emmenthal» au sens de la réglementation française sont définies par l'article 6 et l'annexe du décret n_ 88-1206, du 30 décembre 1988, portant application de la loi du 1er août 1905 sur les fraudes et falsifications en matière de produits ou de services et de la loi du 2 juillet 1935 tendant à l'organisation et à l'assainissement du marché du lait en ce qui concerne les fromages (JORF du 31 décembre 1988, p. 16753, ci-après le «décret de
1988»). L'article 6 du décret de 1988 édicte que «les dénominations énumérées à l'annexe sont réservées aux fromages répondant aux prescriptions relatives à la fabrication et à la composition qui sont décrites dans ladite annexe». Dans cette annexe, l'emmenthal est décrit comme un produit présentant les caractéristiques suivantes: «pâte ferme, cuite, pressée et salée en surface ou en saumure; de couleur ivoire à jaune pâle, présentant des ouvertures de dimensions allant de la grosseur d'une cerise à
celle d'une noix; croûte dure et sèche, de couleur jaune doré à brun clair».

Les faits et la procédure devant le juge national

5 Par ordonnance du 6 janvier 1998, M. Guimont a été condamné au paiement de 260 amendes de 20 FRF chacune, du chef d'avoir détenu pour vendre, vendu ou offert une denrée alimentaire à l'étiquetage trompeur, en l'occurrence de l'emmenthal, ce qui constitue une infraction prévue et réprimée par l'article 3, premier alinéa, du décret de 1984.

6 Lors d'une audience au cours de laquelle le tribunal de police de Belley a examiné l'opposition formée par M. Guimont contre ladite ordonnance, il a été rappelé qu'un contrôle avait été opéré le 5 mars 1996 par la direction départementale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes du département du Vaucluse au sein d'une société spécialisée dans le découpage et le conditionnement de fromages préemballés sous film plastique destinés plus particulièrement à la grande
distribution. Au cours de ce contrôle, ont été découvertes 260 meules d'emmenthal provenant de la société «laiterie d'Argis», dont M. Guimont est le directeur technique.

7 Lors du contrôle évoqué au point précédent, la direction départementale a constaté l'absence totale de croûte dans les meules examinées, ce qui contrevenait aux dispositions de l'article 6 et de l'annexe du décret de 1988.

8 M. Guimont a soutenu, notamment, pour sa défense devant la juridiction de renvoi que l'article 6 du décret de 1988 est incompatible avec les dispositions des articles 3, sous a), 30 et suivants du traité.

9 Il a rappelé devant la juridiction de renvoi que l'appellation «emmenthal» est générique et qu'elle est largement utilisée dans plusieurs pays de l'Union européenne sans aucune condition liée à la présence d'une croûte. Il a fait valoir que le décret de 1988, en réservant la dénomination «emmenthal» aux seuls fromages présentant une «croûte dure et sèche, de couleur jaune doré à brun clair», institue une restriction quantitative aux échanges intracommunautaires ou une mesure d'effet équivalent.

10 Dans son jugement de renvoi, le tribunal de police de Belley a notamment formulé les considérations suivantes:

- le prévenu ne peut être retenu dans les liens de la prévention que dans la mesure où le décret de 1988 ne contrevient pas aux normes supranationales;

- M. Guimont a démontré, par les pièces produites, que de l'emmenthal sans croûte est fabriqué ou commercialisé dans d'autres pays de la Communauté européenne;

- le Codex alimentarius de l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture et de l'Organisation mondiale de la santé contient une norme qui fait référence à la consommation d'emmenthal sans croûte;

- la disparité des réglementations nationales et, en particulier, la position restrictive adoptée par la réglementation française par rapport à d'autres réglementations européennes sont susceptibles d'entraver, directement ou indirectement, actuellement ou potentiellement, le commerce intracommunautaire, alors qu'aucun droit à protection de l'appellation générique dite «emmenthal» n'est reconnu par la réglementation communautaire;

- une telle discrimination ne paraît justifiée par aucun des motifs que l'article 36 du traité CE (devenu, après modification, article 30 CE) autorise à invoquer.

11 Dans ces circonstances, la juridiction nationale a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante:

«Les articles 3.a, 30 et suivants du traité instituant la Communauté européenne modifié doivent-ils être interprétés de telle sorte que la réglementation française résultant du décret n_ 88-1206 du 30 décembre 1988 qui prohibe la fabrication et la commercialisation en France d'un fromage dépourvu de croûte sous la dénomination `emmenthal' devrait être considérée comme constituant une restriction quantitative ou une mesure d'effet équivalent aux échanges intracommunautaires?»

Observations liminaires

12 Il convient, en premier lieu, de rappeler que l'article 3 du traité détermine les domaines et les objectifs sur lesquels doit porter l'action de la Communauté. Cet article énonce ainsi les principes généraux du marché intérieur, qui sont appliqués en combinaison avec les chapitres respectifs du traité destinés à les mettre en oeuvre (voir arrêt du 14 juillet 1998, Bettati, C-341/95, Rec. p. I-4355, point 75). L'objectif général inscrit dans l'article 3, sous a), du traité a été explicité par les
dispositions de ses articles 30 et suivants. Dans ces conditions, la référence faite dans la question préjudicielle à l'article 3, sous a), du traité n'appelle pas de réponse distincte de celle qui sera faite au sujet de l'interprétation des articles 30 et suivants du traité.

13 Il convient, en second lieu, d'examiner l'argumentation du gouvernement français selon laquelle l'article 30 du traité n'est pas applicable dans un cas tel que celui de l'espèce au principal.

14 D'une part, le gouvernement français fait valoir que cette inapplicabilité découle déjà du fait que la règle dont la violation est reprochée à M. Guimont n'est pas, dans la pratique, appliquée aux produits importés. Ladite règle serait destinée à créer des obligations exclusivement pour les producteurs nationaux et ne concernerait donc aucunement le commerce intracommunautaire. Or, il découlerait de la jurisprudence de la Cour et spécialement de l'arrêt du 18 février 1987, Mathot (98/86, Rec. p.
809, points 8 et 9), que l'article 30 du traité ne vise à protéger que le commerce intracommunautaire.

15 ÀÀ cet égard, il convient de rappeler que l'article 30 du traité vise toute réglementation des États membres susceptible d'entraver directement ou indirectement, actuellement ou potentiellement, le commerce intracommunautaire (voir arrêt du 11 juillet 1974, Dassonville, 8/74, Rec. p. 837, point 5). En revanche, cet article n'a pas pour objet d'assurer que les marchandises d'origine nationale bénéficient, dans tous les cas, du même traitement que les marchandises importées et qu'une différence de
traitement entre marchandises qui n'est pas susceptible d'entraver l'importation ou de défavoriser la commercialisation des marchandises importées ne relève pas de l'interdiction établie par cet article (voir arrêt Mathot, précité, points 7 et 8).

16 Or, pour ce qui concerne la règle nationale en cause dans l'affaire au principal, le gouvernement français ne conteste pas qu'elle est, selon son libellé, indistinctement applicable aux produits français et aux produits importés.

17 Dès lors, cet argument du gouvernement français ne peut être accueilli. En effet, le seul fait qu'une règle n'est pas appliquée dans la pratique aux produits importés n'exclut pas qu'elle puisse avoir des effets entravant indirectement et potentiellement le commerce intracommunautaire (voir, en ce sens, arrêt du 22 octobre 1998, Commission/France, C-184/96, Rec. p. I-6197, point 17).

18 D'autre part, le gouvernement français, soutenu en cela par le gouvernement danois, fait valoir que, dans le cas particulier de l'espèce au principal, la règle en cause n'est pas constitutive d'une entrave, même indirecte ou potentielle, aux échanges intracommunautaires au sens de la jurisprudence de la Cour. En effet, selon ces gouvernements, les faits à l'origine du renvoi préjudiciel devant la Cour auraient trait à une situation purement interne, le prévenu étant de nationalité française et le
produit en cause étant entièrement fabriqué sur le territoire français.

19 M. Guimont, les gouvernements allemand, néerlandais et autrichien ainsi que la Commission relèvent que, selon la jurisprudence de la Cour, l'article 30 du traité ne peut pas être écarté pour la seule raison que, dans le cas concret soumis à la juridiction nationale, tous les éléments sont cantonnés à l'intérieur d'un seul État membre (voir arrêt du 7 mai 1997, Pistre e.a., C-321/94 à C-324/94, Rec. p. I-2343, point 44).

20 À cet égard, il y a lieu d'observer que l'arrêt Pistre e.a., précité, concernait une situation où la règle nationale en cause n'était pas indistinctement applicable mais créait une discrimination directe à l'encontre des marchandises importées d'autres États membres.

21 S'agissant d'une règle telle que celle en cause au principal, qui est, selon son libellé, indistinctement applicable aux produits nationaux et aux produits importés et qui vise à imposer aux producteurs certaines conditions de production afin de leur permettre de commercialiser leurs produits sous une certaine dénomination, il découle de la jurisprudence de la Cour qu'une telle règle ne relève de l'article 30 du traité que dans la mesure où elle trouve à s'appliquer à des situations ayant un lien
de rattachement avec l'importation de marchandises dans le commerce intracommunautaire (voir arrêts du 15 décembre 1982, Oosthoek's Uitgeversmaatschappij, 286/81, Rec. p. 4575, point 9, et Mathot, précité, points 3 et 7 à 9).

22 Toutefois, cette constatation n'implique pas qu'il n'y a pas lieu de répondre à la question préjudicielle soumise à la Cour dans la présente affaire. En principe, il appartient aux seules juridictions nationales d'apprécier, au regard des particularités de chaque affaire, tant la nécessité d'une décision préjudicielle pour être en mesure de rendre leur jugement que la pertinence des questions qu'elles posent à la Cour. Le rejet par cette dernière d'une demande formée par une juridiction nationale
n'est possible que s'il apparaît de manière manifeste que l'interprétation sollicitée du droit communautaire n'a aucun rapport avec la réalité ou l'objet du litige au principal (voir arrêt du 6 juin 2000, Angonese, C-281/98, non encore publié au Recueil, point 18).

23 En l'espèce, il n'apparaît pas de manière manifeste que l'interprétation sollicitée du droit communautaire ne serait pas nécessaire pour le juge national. En effet, une telle réponse pourrait lui être utile dans l'hypothèse où son droit national imposerait, dans une procédure telle que celle de l'espèce, de faire bénéficier un producteur national des mêmes droits que ceux qu'un producteur d'un autre État membre tirerait du droit communautaire dans la même situation.

24 Dans ces circonstances, il y a lieu d'examiner si une réglementation nationale telle que celle en cause au principal constituerait, dans la mesure où elle serait appliquée aux produits importés, une mesure d'effet équivalant à une restriction quantitative contraire à l'article 30 du traité.

Sur l'interprétation de l'article 30 du traité

25 À titre liminaire, il y a lieu de relever, ce qui n'est pas contesté dans la présente procédure, qu'une règle nationale telle que celle en cause dans l'espèce au principal constitue une mesure d'effet équivalant à une restriction quantitative à l'importation au sens de l'article 30 du traité, dans la mesure où elle est appliquée aux produits importés.

26 En effet, une législation nationale soumettant des marchandises en provenance d'autres États membres, où elles sont légalement fabriquées et commercialisées, à certaines conditions pour pouvoir utiliser la dénomination générique communément utilisée pour ce produit et imposant ainsi le cas échéant aux producteurs l'utilisation de dénominations inconnues ou moins appréciées par le consommateur n'exclut certes pas, de façon absolue, l'importation dans l'État membre concerné de produits originaires
d'autres États membres. Elle est néanmoins susceptible de rendre leur commercialisation plus difficile et, par conséquent, d'entraver les échanges entre les États membres (voir, en ce sens, arrêt du 14 juillet 1988, Smanor, 298/87, Rec. p. 4489, point 12).

27 Quant à la question de savoir si une telle règle peut néanmoins être conforme au droit communautaire, il y a lieu de rappeler que, selon la jurisprudence de la Cour, une réglementation nationale, adoptée en l'absence de règles communes ou harmonisées et indistinctement applicable aux produits nationaux et aux produits importés d'autres États membres, peut être compatible avec le traité dans la mesure où elle est nécessaire pour satisfaire à des exigences impératives tenant, notamment, à la
loyauté des transactions commerciales et à la défense des consommateurs (voir arrêt du 20 juin 1991, Denkavit, C-39/90, Rec. p. I-3069, point 18), où elle est proportionnée à l'objectif ainsi poursuivi et où cet objectif n'aurait pas pu être atteint par des mesures restreignant d'une manière moindre les échanges intracommunautaires (voir, notamment, arrêt du 26 juin 1997, Familiapress, C-368/95, Rec. p. I-3689, point 19).

28 Dans ce contexte, il y a lieu de se référer, comme l'a fait la Commission, à la directive 79/112/CEE du Conseil, du 18 décembre 1978, relative au rapprochement des législations des États membres concernant l'étiquetage et la présentation des denrées alimentaires ainsi que la publicité faite à leur égard (JO 1979, L 33, p. 1), telle que modifiée par la directive 89/395/CEE du Conseil, du 14 juin 1989 (JO L 186, p. 17), qui, à l'époque des faits au principal, disposait en son article 5, paragraphe
1:

«La dénomination de vente d'une denrée alimentaire est la dénomination prévue par les dispositions législatives, réglementaires ou administratives qui lui sont applicables et, à défaut, le nom consacré par les usages de l'État membre dans lequel s'effectue la vente au consommateur final et aux collectivités ou une description de la denrée alimentaire et, si nécessaire, de son utilisation suffisamment précise pour permettre à l'acheteur d'en connaître la nature réelle et de la distinguer des produits
avec lesquels elle pourrait être confondue.»

29 Si cette disposition démontre l'importance d'une utilisation correcte des dénominations des denrées alimentaires pour la protection des consommateurs, elle n'autorise pas les États membres à adopter en matière de dénominations des règles qui restreignent l'importation des marchandises, légalement fabriquées et commercialisées dans un autre État membre, lorsque lesdites règles ne sont pas proportionnées à cet effet ou lorsque cette protection aurait pu être atteinte par des mesures restreignant
d'une manière moindre les échanges intracommunautaires.

30 Certes, selon la jurisprudence de la Cour, les États membres peuvent, dans le but de garantir la loyauté des transactions commerciales et d'assurer la défense des consommateurs, exiger des intéressés de modifier la dénomination d'une denrée alimentaire lorsqu'un produit présenté sous une certaine dénomination est tellement différent, du point de vue de sa composition ou de sa fabrication, des marchandises généralement connues sous cette même dénomination au sein de la Communauté qu'il ne saurait
être considéré comme relevant de la même catégorie (voir arrêt du 12 septembre 2000, Geffroy, C-366/98, non encore publié au Recueil, point 22).

31 En revanche, dans le cas d'une différence de moindre importance, un étiquetage adéquat doit suffire à fournir les renseignements nécessaires à l'acheteur ou au consommateur (voir arrêt Geffroy, précité, point 23).

32 Dans le cas de l'espèce au principal, il y a lieu de rappeler que, selon le Codex alimentarius mentionné au point 10 du présent arrêt, qui fournit des indications permettant de définir les caractéristiques du produit concerné, un fromage fabriqué sans croûte peut recevoir l'appellation «emmenthal» puisqu'il est fabriqué à partir de matières et selon une méthode de fabrication identiques à celles employées pour l'emmenthal comportant une croûte, sous réserve d'une différence de traitement au stade
de l'affinage. Par ailleurs, il est constant qu'une telle variante du fromage «emmenthal» est légalement fabriquée et commercialisée dans des États membres autres que la République française.

33 Dès lors, à supposer même que la différence dans la méthode d'affinage entre un emmenthal comportant une croûte et un emmenthal sans croûte soit susceptible de constituer un élément de nature à induire le consommateur en erreur, il suffirait, tout en maintenant la dénomination «emmenthal», d'accompagner cette dénomination d'une information adéquate au sujet de cette différence.

34 Dans ces conditions, l'absence de croûte ne peut pas être considérée comme une caractéristique justifiant le refus de l'utilisation de la dénomination «emmenthal», pour des marchandises en provenance d'autres États membres où elles sont légalement fabriquées et commercialisées sous cette dénomination.

35 Il convient donc de répondre à la question préjudicielle que l'article 30 du traité s'oppose à ce qu'un État membre applique aux produits importés d'un autre État membre, où ils sont légalement produits et commercialisés, une réglementation nationale qui prohibe la commercialisation dans cet État membre d'un fromage dépourvu de croûte sous la dénomination «emmenthal».

Décisions sur les dépenses

Sur les dépens

36 Les frais exposés par les gouvernements français, danois, allemand, néerlandais et autrichien ainsi que par la Commission, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Dispositif

Par ces motifs,

LA COUR

statuant sur la question à elle soumise par le tribunal de police de Belley, par jugement du 24 novembre 1998, dit pour droit:

L'article 30 du traité CE (devenu, après modification, article 28 CE) s'oppose à ce qu'un État membre applique aux produits importés d'un autre État membre, où ils sont légalement produits et commercialisés, une réglementation nationale qui prohibe la commercialisation dans cet État membre d'un fromage dépourvu de croûte sous la dénomination «emmenthal».


Synthèse
Numéro d'arrêt : C-448/98
Date de la décision : 05/12/2000
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle: Tribunal de police de Belley - France.

Mesures d'effet équivalent à une restriction quantitative - Situation purement interne - Fabrication et commercialisation de fromage emmenthal sans croûte.

Libre circulation des marchandises

Restrictions quantitatives

Mesures d'effet équivalent


Parties
Demandeurs : Procédure pénale
Défendeurs : Jean-Pierre Guimont.

Composition du Tribunal
Avocat général : Saggio
Rapporteur ?: Gulmann

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2000:663

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