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12/10/2000 | CJUE | N°C-372/98

CJUE | CJUE, Arrêt de la Cour, The Queen contre Ministry of Agriculture, Fisheries and Food, ex parte J.H. Cooke & Sons., 12/10/2000, C-372/98


Avis juridique important

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61998J0372

Arrêt de la Cour (sixième chambre) du 12 octobre 2000. - The Queen contre Ministry of Agriculture, Fisheries and Food, ex parte J.H. Cooke & Sons. - Demande de décision préjudicielle: High Court of Justice (England & Wales), Queen's Bench Division (Divisional Court) - Roya

ume-Uni. - Politique agricole commune - Règlement (CEE) nº 1765/92 - ...

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61998J0372

Arrêt de la Cour (sixième chambre) du 12 octobre 2000. - The Queen contre Ministry of Agriculture, Fisheries and Food, ex parte J.H. Cooke & Sons. - Demande de décision préjudicielle: High Court of Justice (England & Wales), Queen's Bench Division (Divisional Court) - Royaume-Uni. - Politique agricole commune - Règlement (CEE) nº 1765/92 - Règlement (CE) nº 762/94 - Aides liées à la superficie consacrée aux cultures arables et au gel des terres - Notion de 'superficie cultivée en vue d'une récolte
pendant l'année précédente'. - Affaire C-372/98.
Recueil de jurisprudence 2000 page I-08683

Sommaire
Parties
Motifs de l'arrêt
Décisions sur les dépenses
Dispositif

Mots clés

1 Agriculture - Politique agricole commune - Soutien aux producteurs de certaines cultures arables - Aides liées à la superficie consacrée aux cultures arables et au gel des terres - Gel des terres - Superficie cultivée en vue d'une récolte pendant l'année précédente - Notion - Terres ensemencées d'herbe, l'herbe ayant été par la suite coupée et ensilée - Inclusion

(Règlement du Conseil n_ 1765/92; règlement de la Commission n_ 762/94, art. 2, al. 1)

2 Questions préjudicielles - Interprétation - Effets dans le temps des arrêts d'interprétation - Effet rétroactif - Limites - Sécurité juridique - Pouvoir d'appréciation de la Cour

(Traité CE, art. 177 (devenu art. 234 CE))

Sommaire

1 Dans le cadre du régime de soutien aux producteurs de certaines cultures arables, l'article 2, premier alinéa, du règlement n_ 762/94, portant modalités d'application du régime de gel de terres, doit être interprété en ce sens que, en ce qui concerne l'obligation d'un producteur de mettre hors culture «une superficie cultivée en vue d'une récolte pendant l'année précédente», cette expression vise des terres qui ont été ensemencées d'herbe qui a été par la suite coupée et ensilée. (voir point 38 et
disp.)

2 Ce n'est qu'à titre exceptionnel que la Cour peut, par application d'un principe général de sécurité juridique inhérent à l'ordre juridique communautaire, être amenée à limiter la possibilité pour tout intéressé d'invoquer une disposition qu'elle a interprétée en vue de mettre en cause des relations juridiques établies de bonne foi. Pour qu'une telle limitation puisse être décidée, il est nécessaire que deux critères essentiels soient réunis, à savoir la bonne foi des milieux intéressés et le
risque de troubles graves. Cependant, les difficultés administratives et pratiques résultant du réexamen de nombreux dossiers ne sauraient être assimilées à des troubles graves. (voir points 42-43)

Parties

Dans l'affaire C-372/98,

ayant pour objet une demande adressée à la Cour, en application de l'article 177 du traité CE (devenu article 234 CE), par la High Court of Justice (England & Wales), Queen's Bench Division (Divisional Court) (Royaume-Uni), et tendant à obtenir, dans le litige pendant devant cette juridiction entre

The Queen

et

Ministry of Agriculture, Fisheries and Food,

ex parte: J. H. Cooke & Sons,

une décision à titre préjudiciel sur l'interprétation de l'article 2, premier alinéa, du règlement (CE) n_ 762/94 de la Commission, du 6 avril 1994, portant modalités d'application du règlement (CEE) n_ 1765/92 du Conseil en ce qui concerne le gel de terres (JO L 90, p. 8),

LA COUR

(sixième chambre),

composée de MM. C. Gulmann, président de chambre, V. Skouris et R. Schintgen (rapporteur), juges,

avocat général: M. P. Léger,

greffier: M. H. von Holstein, greffier adjoint,

considérant les observations écrites présentées:

- pour J. H. Cooke & Sons, par M. S. Isaacs, QC, Mme M. Demetriou, barrister, et M. D. de Ferrars, solicitor,

- pour le gouvernement du Royaume-Uni, par Mme R. Magrill, du Treasury Solicitor's Department, en qualité d'agent, assistée de M. P. M. Roth, QC,

- pour le gouvernement danois, par M. J. Molde, chef de division au ministère des Affaires étrangères, en qualité d'agent,

- pour le gouvernement finlandais, par M. H. Rotkirch et Mme T. Pynnä, valtionasiamiehet, en qualité d'agents,

- pour le gouvernement suédois, par M. A. Kruse, departementsråd au secrétariat juridique (UE) du ministère des Affaires étrangères, en qualité d'agent,

- pour la Commission des Communautés européennes, par M. P. Oliver, conseiller juridique, en qualité d'agent,

vu le rapport d'audience,

ayant entendu les observations orales de J. H. Cooke & Sons, du gouvernement du Royaume-Uni et de la Commission à l'audience du 27 janvier 2000,

ayant entendu l'avocat général en ses conclusions à l'audience du 11 mai 2000,

rend le présent

Arrêt

Motifs de l'arrêt

1 Par ordonnance du 25 août 1998, parvenue à la Cour le 16 octobre suivant, la High Court of Justice (England & Wales), Queen's Bench Division (Divisional Court), a posé, en vertu de l'article 177 du traité CE (devenu article 234 CE), une question préjudicielle sur l'interprétation de l'article 2, premier alinéa, du règlement (CE) n_ 762/94 de la Commission, du 6 avril 1994, portant modalités d'application du règlement (CEE) n_ 1765/92 du Conseil en ce qui concerne le gel de terres (JO L 90, p. 8,
ci-après le «règlement d'application»).

2 Cette question a été soulevée dans le cadre d'un litige opposant J. H. Cooke & Sons (ci-après «Cooke»), société qui possède et exploite le domaine de Bates Farm à Maer (Royaume-Uni), au Ministry of Agriculture, Fisheries and Food (ci-après le «MAFF») au sujet du rejet par celui-ci d'une demande de paiement compensatoire introduite par Cooke au titre du règlement (CEE) n_ 1765/92 du Conseil, du 30 juin 1992, instituant un régime de soutien aux producteurs de certaines cultures arables (JO L 181, p.
12), dans sa version résultant des règlements (CE) nos 231/94 du Conseil, du 24 janvier 1994 (JO L 30, p. 2), et 1460/95 du Conseil, du 22 juin 1995 (JO L 144, p. 1) (ci-après le «règlement de base»).

Le cadre réglementaire

3 Selon son article 1er, le règlement de base institue un régime de paiements compensatoires en faveur de producteurs dans le secteur des grandes cultures. Par «cultures arables» au sens de ce règlement, il y a lieu d'entendre celles figurant sur la liste de son annexe I, qui, dans sa version applicable à la date des faits au principal, distingue entre les céréales, les oléagineux et les protéagineux.

4 Le règlement de base dispose, en son article 2, paragraphe 1, que les producteurs communautaires de cultures arables peuvent revendiquer un paiement compensatoire dans les conditions fixées au titre I dudit règlement. L'article 2, paragraphe 2, deuxième alinéa, prévoit que le paiement compensatoire est accordé pour la superficie consacrée aux cultures arables ou au gel des terres en conformité avec l'article 7 du même règlement.

5 Les articles 4, 5 et 6 du règlement de base déterminent les modalités de calcul des paiements compensatoires pour chacune des cultures arables mentionnées au point 3 du présent arrêt.

6 Pour bénéficier desdits paiements compensatoires, les producteurs sont tenus, conformément à l'article 2, paragraphe 5, du règlement de base, de geler une partie des terres de leur exploitation moyennant une compensation.

7 L'article 7 du règlement de base définit les modalités de cette obligation de gel de terres applicable à chaque producteur revendiquant des paiements compensatoires en application du régime général.

8 L'article 7, paragraphes 3 et 4, premier alinéa, du règlement de base dispose:

«3. Les États membres appliquent des mesures environnementales appropriées à la situation particulière des terres gelées.

4. Les terres gelées peuvent être utilisées pour la production de matières destinées à la fabrication, sur le territoire de la Communauté, de produits qui ne sont pas directement destinés à la consommation humaine ou animale, sous réserve que des systèmes de contrôle efficaces soient appliqués.»

9 L'article 7, paragraphe 5, du règlement de base fixe le montant de la compensation à verser au titre de l'obligation de gel des terres en fonction du paiement compensatoire prévu pour les céréales.

10 Aux termes de l'article 9, premier alinéa, du règlement de base:

«Les demandes concernant le paiement compensatoire et les déclarations de gel ne peuvent être présentées pour des terres qui ont été consacrées au pâturage permanent, aux cultures permanentes, aux forêts ou à des utilisations non agricoles au 31 décembre 1991».

11 L'article 2, premier alinéa, du règlement d'application, pris sur le fondement de l'article 12 du règlement de base, dispose:

«Sans préjudice de l'article 7 paragraphe 4 du règlement (CEE) n_ 1765/92, on entend par `gel des terres' la mise hors culture d'une superficie cultivée en vue d'une récolte pendant l'année précédente.»

12 Conformément à l'article 3, paragraphe 2, du règlement d'application,

«Les superficies gelées doivent faire l'objet d'un entretien assurant le maintien de bonnes conditions agronomiques. Elles ne peuvent être utilisées pour aucune production agricole autre que celles visées à l'article 7 paragraphe 4 du règlement (CEE) n_ 1765/92 ni faire l'objet d'une utilisation lucrative qui serait incompatible avec une culture arable.»

13 Aux termes de l'article 3, paragraphe 3, du règlement d'application:

«Les États membres appliquent les mesures appropriées qui correspondent à la situation particulière des superficies gelées, de façon à assurer la protection de l'environnement. ...»

14 L'article 3, paragraphe 4, du règlement d'application prévoit:

«Pour être prises en considération au titre du régime prévu au règlement (CEE) n_ 1765/92, les superficies gelées doivent:

- avoir été exploitées par le demandeur pendant les deux années précédant la demande, sauf particularités dûment justifiées selon les critères objectifs établis par l'État membre concerné...

- rester gelées au cours d'une période commençant au plus tard le 15 janvier et se terminant au plus tôt le 31 août. Toutefois, les États membres fixent les conditions dans lesquelles les producteurs peuvent être autorisés à effectuer, dès le 15 juillet, les semis pour une récolte l'année suivante ainsi que les conditions à respecter pour autoriser le pâturage à partir du 15 juillet dans les États membres où la transhumance est une pratique traditionnelle. ...»

15 Aux termes de l'article 4, paragraphe 1, du règlement d'application:

«L'obligation de gel fondé sur la rotation visée à l'article 7 paragraphe 1 deuxième alinéa du règlement (CEE) n_ 1765/92 est considérée comme étant remplie lorsque aucune des parcelles retirées n'a été gelée au titre du gel extraordinaire visé à l'article 2 paragraphe 6 ou au titre du gel visé à l'article 7 pendant une des cinq années précédentes. Toutefois, une parcelle déjà retirée peut être réutilisée lorsque le producteur ne dispose plus de superficies lui permettant de respecter la période
susmentionnée.»

16 Le règlement (CEE) n_ 3508/92 du Conseil, du 27 novembre 1992, établissant un système intégré de gestion et de contrôle relatif à certains régimes d'aides communautaires (JO L 355, p. 1), au nombre desquels figure le régime de soutien aux producteurs de certaines cultures arables établi par le règlement de base, dispose, à son article 6, paragraphe 1, premier tiret, que, pour être admis au bénéfice d'un ou de plusieurs régimes communautaires, chaque exploitant présente, pour chaque année, une
demande d'aides «surfaces» indiquant les parcelles agricoles, y compris les superficies fourragères, les parcelles agricoles faisant l'objet d'une mesure de retrait de terres arables et celles qui ont été mises en jachère.

17 Le règlement (CEE) n_ 3887/92 de la Commission, du 23 décembre 1992, portant modalités d'application du système intégré de gestion et de contrôle relatif à certains régimes d'aides communautaires (JO L 391, p. 36), précise, à son article 4, les informations que doit contenir la demande d'aides «surfaces».

18 Aux termes de l'article 6, paragraphe 1, du même règlement:

«Les contrôles administratifs et sur place sont effectués de façon à assurer la vérification efficace du respect des conditions pour l'octroi des aides et primes.»

19 L'article 9 du règlement n_ 3887/92 détermine les sanctions applicables lorsque les autorités compétentes ont constaté que la superficie déclarée dans la demande d'aides «surfaces» diffère de celle effectivement déterminée lors des contrôles. Ladite disposition prévoit notamment, à son paragraphe 2, que, au cas où la superficie déclarée dans une demande d'aides «surfaces» dépasse la superficie déterminée de plus de 20 %, aucune aide liée à la superficie n'est octroyée. Le dernier alinéa dudit
paragraphe précise que, au sens de l'article 9, on entend par «superficie déterminée» celle pour laquelle toutes les conditions réglementaires ont été respectées.

Le litige au principal et la question préjudicielle

20 Le 16 avril 1997, Cooke a présenté au MAFF une demande d'aides «surfaces» portant sur 60,64 hectares de cultures céréalières, 23,90 hectares de graines oléagineuses et 5 hectares de terres mises en jachère. Il n'est pas contesté que, durant l'année 1996, ces dernières avaient été ensemencées de ray-grass italien, qui est une herbe temporaire. Cooke soutient - ce que le MAFF n'est pas en mesure de vérifier - que cette herbe a été coupée et ensilée au cours de ladite année.

21 Le 17 septembre 1997, le MAFF a rejeté la demande de Cooke au motif que les terres mises en jachère ne remplissaient pas les conditions requises pour être considérées comme des terres gelées, dans la mesure où elles n'auraient pas été cultivées en vue d'une récolte pendant l'année précédente, au sens de l'article 2, premier alinéa, du règlement d'application. En conséquence, Cooke se voyait infliger une pénalité et perdait son droit au versement de la totalité des aides qu'elle avait demandées, y
compris celles concernant les céréales et les oléagineux, soit une somme totale de 28 000 GBP.

22 À la suite d'une opposition de la part de Cooke, introduite le 26 septembre 1997, le MAFF a confirmé sa décision de rejet de la demande de Cooke par une nouvelle décision adoptée vers le 2 octobre suivant.

23 Devant la juridiction de renvoi, que Cooke avait été autorisée à saisir par la voie d'un recours aux fins de contrôle juridictionnel, par décision du 28 janvier 1998, cette dernière fait notamment valoir que le MAFF a considéré à tort que le fait d'avoir cultivé, l'année précédant la période de gel, les terres mises en jachère en y semant de l'herbe qui, par la suite, a été coupée ou arrachée et enlevée les rendait inéligibles l'année suivante en tant que terres gelées au sens de la
réglementation communautaire.

24 Le MAFF soutient, en revanche, que, compte tenu de l'objectif du gel des terres, qui est de réduire la production agricole, des terres gelées, pour donner droit à un paiement compensatoire, doivent, au cours de l'année précédant la période de gel, avoir été cultivées aux fins d'une telle production agricole.

25 Estimant que, dans ces conditions, la solution du litige nécessitait une interprétation de l'article 2, premier alinéa, du règlement d'application, la High Court of Justice (England & Wales), Queen's Bench Division (Divisional Court), a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante:

«L'expression `une superficie cultivée en vue d'une récolte pendant l'année précédente', qui figure à l'article 2 du règlement (CE) n_ 762/94 de la Commission, du 6 avril 1994, portant modalités d'application du règlement (CEE) n_ 1765/92 du Conseil en ce qui concerne le gel de terres, doit-elle être interprétée en ce sens qu'elle comprend les terres qui ont été ensemencées d'herbe l'année précédente, et dont l'herbe a été coupée et ensilée?»

26 Pour répondre à cette question, il importe de relever, en premier lieu, qu'il résulte du deuxième considérant du règlement de base que le régime de soutien aux producteurs de certaines cultures arables mis en place par celui-ci a pour objectif de garantir un meilleur équilibre du marché en rapprochant les prix communautaires desdites cultures des prix du marché mondial et de compenser la perte de revenu résultant de la réduction des prix institutionnels par un paiement compensatoire aux
producteurs qui cultivent ces produits.

27 Conformément à l'article 2, paragraphe 2, deuxième alinéa, du règlement de base, ce paiement compensatoire n'est pas seulement accordé pour la superficie consacrée aux cultures arables, telles qu'elles sont définies à son annexe I, mais également pour celle consacrée au gel des terres auquel les producteurs desdites cultures arables sont tenus de procéder, en application des dispositions des articles 2, paragraphe 5, second alinéa, et 7 du règlement de base, s'ils souhaitent bénéficier d'un
paiement compensatoire au titre de leur production agricole.

28 Il convient de constater, en second lieu, que le libellé de l'article 2, premier alinéa, du règlement d'application se borne à exiger que le gel des terres, auquel il est procédé en vue de l'obtention d'un paiement compensatoire au titre du règlement de base et qui ouvre droit lui-même à une compensation, porte sur des superficies qui, au cours de l'année précédant la période de gel, ont été cultivées en vue d'une récolte.

29 Aucune disposition de la réglementation communautaire pertinente n'exige que les terres gelées en vertu des articles 2, paragraphe 5, et 7 du règlement de base aient été ensemencées l'année précédente de cultures déterminées et notamment de l'une des cultures arables énumérées à l'annexe I de ce règlement.

30 Les articles 7, paragraphe 3, du règlement de base et 3, paragraphes 2 et 3, du règlement d'application prévoient certes que les terres gelées doivent être entretenues de façon à assurer la protection de l'environnement et le maintien de bonnes conditions agronomiques. De même, l'article 7, paragraphe 4, du règlement de base autorise l'utilisation des terres gelées pour la production de matières destinées à la fabrication, sur le territoire de la Communauté, de produits qui ne sont pas
directement destinés à la consommation humaine ou animale.

31 Aucune de ces dispositions ne concerne toutefois les conditions d'entretien et d'utilisation des terres gelées au cours de l'année précédant la période de gel, qui sont seules en cause au principal.

32 La seule disposition de la réglementation communautaire qui exclut certaines superficies du bénéfice du régime de soutien institué par le règlement de base en raison de l'utilisation qui en a été faite avant leur gel est l'article 9 dudit règlement qui, à son premier alinéa, prévoit que les demandes concernant le paiement compensatoire et les déclarations de gel ne peuvent être présentées pour des terres qui ont été consacrées au pâturage permanent, aux cultures permanentes, aux forêts ou à des
utilisations non agricoles au 31 décembre 1991.

33 Dans ces conditions, force est d'admettre que toutes les terres ensemencées au cours de l'année précédant la période de gel, à l'exception de celles visées à l'article 9, premier alinéa, du règlement de base, relèvent de la définition de l'article 2, premier alinéa, du règlement d'application et sont éligibles à des paiements compensatoires au titre du gel des terres, quelle que soit la culture qui y a été faite, à condition qu'elles aient été cultivées en vue d'une récolte.

34 Or, une superficie qui a été ensemencée d'une herbe temporaire, destinée à être coupée puis ensilée, et qui, dans ces conditions, n'a pas été laissée à l'état de prairie, doit être considérée comme ayant été cultivée en vue d'une récolte.

35 Cette conclusion est conforme aux objectifs poursuivis par le régime de soutien aux producteurs de certaines cultures arables, mis en place par le règlement de base, dont le gel des terres constitue une composante essentielle.

36 En effet, tout gel de terres cultivées, quelle que soit la culture concernée, y compris donc le gel d'une terre sur laquelle de l'herbe a été précédemment cultivée en vue d'une récolte, contribue à la réduction des superficies susceptibles d'être consacrées aux cultures arables au sens du règlement de base, réduction qui, à son tour, concourt à garantir un meilleur équilibre du marché, conformément au deuxième considérant dudit règlement.

37 En outre, ainsi que M. l'avocat général l'a relevé au point 44 de ses conclusions, le fait de limiter le bénéfice du régime de soutien aux producteurs de certaines cultures arables aux seules terres qui, durant l'année précédant leur gel, ont été consacrées à la production de cultures arables, au sens du règlement de base, risquerait d'inciter les producteurs à emblaver leurs terres de telles cultures au cours de ladite année et serait ainsi de nature à rendre plus difficile la réalisation de
l'objectif de stabilisation du marché.

38 Au vu des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la question préjudicielle que l'article 2, premier alinéa, du règlement d'application doit être interprété en ce sens que l'expression «une superficie cultivée en vue d'une récolte pendant l'année précédente» vise des terres qui ont été ensemencées d'herbe qui a été par la suite coupée et ensilée.

Sur les effets dans le temps du présent arrêt

39 Dans l'hypothèse où la Cour apporterait une réponse affirmative à la question préjudicielle, le gouvernement du Royaume-Uni demande à celle-ci de limiter dans le temps les effets de son arrêt.

40 À l'appui de cette demande, le gouvernement du Royaume-Uni fait valoir, d'une part, que les autorités nationales compétentes ont appliqué de bonne foi leur interprétation de l'article 2, premier alinéa, du règlement d'application, étant donné que, nonobstant les demandes de clarification et d'information répétées qu'elles avaient adressées à cet égard à la Commission entre 1992 et 1997, celle-ci s'est abstenue de les mettre en garde contre l'erreur d'interprétation qu'elles commettaient.

41 Le gouvernement du Royaume-Uni soutient, d'autre part, qu'une réponse affirmative à la question préjudicielle, sans limitation des effets de l'arrêt dans le temps, entraînerait des complications administratives et pratiques considérables, dans la mesure où les autorités compétentes seraient obligées de réexaminer, à la lumière de l'interprétation donnée par la Cour, jusqu'à 10 000 dossiers traités depuis 1993.

42 Il convient de rappeler que ce n'est qu'à titre exceptionnel que la Cour peut, par application d'un principe général de sécurité juridique inhérent à l'ordre juridique communautaire, être amenée à limiter la possibilité pour tout intéressé d'invoquer une disposition qu'elle a interprétée en vue de mettre en cause des relations juridiques établies de bonne foi (arrêt du 23 mai 2000, Buchner e.a., C-104/98, non encore publié au Recueil, point 39). Pour qu'une telle limitation puisse être décidée,
il est nécessaire que deux critères essentiels soient réunis, à savoir la bonne foi des milieux intéressés et le risque de troubles graves (arrêt du 28 septembre 1994, Vroege, C-57/93, Rec. p. I-4541, point 21).

43 Or, les difficultés administratives et pratiques résultant du réexamen de nombreux dossiers dont fait état le gouvernement du Royaume-Uni ne sauraient être assimilées à des troubles graves, ceci d'autant moins qu'il incombe normalement aux producteurs concernés d'apporter la preuve que, au cours de l'année précédant le gel des terres au titre duquel ils ont demandé le bénéfice des mesures de soutien prévues au règlement de base, ils avaient procédé à l'ensemencement de ces terres d'une herbe
temporaire qu'ils ont coupée et ensilée par la suite.

44 Il convient d'ajouter que, s'il est vrai que la Commission n'a pas répondu à plusieurs lettres que le gouvernement du Royaume-Uni lui avait fait parvenir, il résulte des observations écrites de celui-ci qu'il savait, dès le mois de juillet 1997, que la Commission avait des doutes quant au bien-fondé de l'interprétation adoptée par le Royaume-Uni et que celle-ci lui avait clairement fait savoir, lors d'une réunion bilatérale tenue le 30 septembre 1997, qu'elle ne partageait pas cette
interprétation.

45 Or, aucune de ces circonstances n'a fait changer d'avis le gouvernement du Royaume-Uni, comme en témoigne le fait que celui-ci a confirmé, au début du mois d'octobre 1997, le rejet de la demande de paiement compensatoire introduite par Cooke et a continué à faire valoir sa propre interprétation devant la juridiction nationale.

46 Dans ces conditions, le gouvernement du Royaume-Uni ne saurait être admis à faire valoir, dans le cadre de la présente procédure devant la Cour, que l'attitude de la Commission l'aurait conduit à estimer raisonnablement que l'article 2, premier alinéa, du règlement d'application ne visait pas des terres telles que celles en cause au principal.

47 Par conséquent, il n'y a pas lieu de limiter dans le temps les effets du présent arrêt.

Décisions sur les dépenses

Sur les dépens

48 Les frais exposés par les gouvernements du Royaume-Uni, danois, finlandais et suédois, ainsi que par la Commission, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Dispositif

Par ces motifs,

LA COUR

(sixième chambre),

statuant sur la question à elle soumise par la High Court of Justice (England & Wales), Queen's Bench Division (Divisional Court), par ordonnance du 25 août 1998, dit pour droit:

L'article 2, premier alinéa, du règlement (CE) n_ 762/94 de la Commission, du 6 avril 1994, portant modalités d'application du règlement (CEE) n_ 1765/92 du Conseil en ce qui concerne le gel de terres, doit être interprété en ce sens que l'expression «une superficie cultivée en vue d'une récolte pendant l'année précédente» vise des terres qui ont été ensemencées d'herbe qui a été par la suite coupée et ensilée.


Synthèse
Formation : Sixième chambre
Numéro d'arrêt : C-372/98
Date de la décision : 12/10/2000
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle: High Court of Justice (England & Wales), Queen's Bench Division (Divisional Court) - Royaume-Uni.

Politique agricole commune - Règlement (CEE) nº 1765/92 - Règlement (CE) nº 762/94 - Aides liées à la superficie consacrée aux cultures arables et au gel des terres - Notion de 'superficie cultivée en vue d'une récolte pendant l'année précédente'.

Agriculture et Pêche


Parties
Demandeurs : The Queen
Défendeurs : Ministry of Agriculture, Fisheries and Food, ex parte J.H. Cooke & Sons.

Composition du Tribunal
Avocat général : Léger
Rapporteur ?: Schintgen

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2000:558

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