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14/12/1999 | CJUE | N°C-332/98

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général La Pergola présentées le 14 décembre 1999., République française contre Commission des Communautés européennes., 14/12/1999, C-332/98


Avis juridique important

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61998C0332

Conclusions de l'avocat général La Pergola présentées le 14 décembre 1999. - République française contre Commission des Communautés européennes. - Aide à la Coopérative d'exportation du livre français (CELF). - Affaire C-332/98.
Recueil de jurisprudence 2000 page I-0

4833

Conclusions de l'avocat général

I - La décision objet du présent recou...

Avis juridique important

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61998C0332

Conclusions de l'avocat général La Pergola présentées le 14 décembre 1999. - République française contre Commission des Communautés européennes. - Aide à la Coopérative d'exportation du livre français (CELF). - Affaire C-332/98.
Recueil de jurisprudence 2000 page I-04833

Conclusions de l'avocat général

I - La décision objet du présent recours en annulation

1 Par recours déposé le 8 septembre 1998, la France a demandé à la Cour l'annulation partielle de la décision de la Commission du 10 juin 1998, relative à l'aide d'État en faveur de la Coopérative d'exportation du livre français (CELF) (ci-après la «décision») (1). La décision prévoit que l'aide accordée au CELF pour le traitement des petites commandes de livres d'expression française est une aide au sens de l'article 92, paragraphe 1, du traité CE (devenu, après modifications, article 87 CE). Tout
en relevant que - en l'absence de notification préalable en application de l'article 93, paragraphe 3, du traité CE (devenu article 88 CE) par les autorités françaises - cette aide a été octroyée illégalement, la Commission a néanmoins estimé qu'elle remplissait les conditions pour bénéficier de la dérogation prévue à l'article 92, paragraphe 3, sous d) dudit traité (devenu, après modification, article 87 CE) et l'a donc déclarée compatible avec le marché commun (2).

2 La France conteste la mesure attaquée uniquement quant à la partie dans laquelle la Commission a décidé que la disposition prévue par l'article 90, paragraphe 2, du traité CE (devenu article 86, paragraphe 2, CE) n'était pas applicable en l'espèce. Nous rappelons que la disposition précitée dispose que: «Les entreprises chargées de la gestion de services d'intérêt économique général ... sont soumises aux règles du présent traité, notamment aux règles de concurrence [articles 85 à 94 du traité CE
(devenus articles 81 à 89 CE) (3)], dans les limites où l'application de ces règles ne fait pas échec à l'accomplissement en droit ou en fait de la mission particulière qui leur a été impartie. Le développement des échanges ne doit pas être affecté dans une mesure contraire à l'intérêt de la Communauté».

3 Au cours de la procédure précontentieuse devant la Commission, la France avait soutenu que l'expédition des commandes de livres en petites quantités provenant de librairies ayant leur siège à l'étranger devait être considérée comme un service d'intérêt économique général qu'aucun opérateur économique, en dehors du CELF, n'était disposé à assurer. L'octroi de subventions à titre de compensation des pertes inhérentes à la gestion de commandes non rentables - dont l'utilisation faisait l'objet de
contrôles a posteriori, avec pour résultat que les sommes non utilisées étaient déduites du montant de la subvention prévue pour l'année suivante (voir note 2, ci-dessus) - était donc indispensable et adaptée à la réalisation d'un service d'intérêt public. Le service en question était destiné à favoriser la diffusion des oeuvres en langue française et à renforcer les réseaux de distribution des librairies qui vendent ce type de publications à l'étranger. Selon les autorités françaises, la mesure
litigieuse ne pouvait donc pas être considérée comme une aide d'État et devait bénéficier de la dérogation prévue à l'article 90, paragraphe 2, du traité, de façon analogue à ce qu'avait décidé la Commission dans une autre procédure eu égard à la mesure de réduction de l'assiette en matière de fiscalité locale dont bénéficiait la Poste française (voir section VIII de la décision) (4).

4 En invoquant votre jurisprudence Banco Exterior de España (5), la Commission a décidé qu'il n'y avait pas de motif d'apprécier à la lumière de l'article 90, paragraphe 2, les activités du CELF qui bénéficiaient de l'aide en question, et ce parce que l'application au cas d'espèce de l'article 92 du traité avait pour résultat que la mesure en question, tout en étant qualifiée d'aide d'État, devait être déclarée compatible avec le marché commun dans la mesure où: i) elle était destinée à promouvoir
la culture et la conservation du patrimoine et ii) elle n'était pas susceptible d'affecter les conditions des échanges et de la concurrence entre les États membres du façon contraire à l'intérêt commun. En conséquence, l'application de l'article 92 précité n'était pas de nature à empêcher le CELF d'exercer l'activité de gestion de petites commandes. De plus, la Commission a établi que la condition de l'existence d'une mission d'intérêt économique général confiée par un acte des pouvoirs publics (6)
faisait défaut dans le cas du CELF, la France n'ayant pas démontré que le service de gestion des petites commandes de livres en langue française s'appuie sur un acte législatif ou administratif. Selon la décision, le décret du 9 mai 1995 relatif à l'organisation de la direction du livre et de la lecture et les décrets d'application des lois de finances portant répartition des crédits ouverts au ministère de la Culture, invoqués par les autorités françaises, concernaient le secteur du livre en
général et ne faisaient aucune référence au CELF et ne le concernaient donc pas expressément. Enfin, la Commission a jugé contradictoires les arguments avancés pas la France pour justifier l'applicabilité au CELF de l'article 90, paragraphe 2, du traité: tout en affirmant que le mécanisme de soutien litigieux était aussi ouvert à d'autres opérateurs économiques, le gouvernement français, dit la Commission, avait réservé l'aide en question au CELF dans la mesure où cette entreprise s'employait à
fournir un service d'intérêt économique général que lui seul était disposé à assurer.

II - Les moyens de recours et les arguments des parties

Sur la recevabilité

5 La France invoque son intérêt à agir en soulignant que, si la Cour confirmait la légalité de la décision dans la partie où l'article 90, paragraphe 2, du traité a été déclaré inapplicable au cas d'espèce, non seulement le CELF serait tenu de restituer les aides qui lui ont été accordées par le gouvernement français, en l'absence de notification préalable à la Commission, pendant presque vingt ans, mais cela mettrait, en outre, en cause la responsabilité patrimoniale de l'État français pour les
éventuels dommages causés à des tiers par la violation de l'article 93, paragraphe 3, du traité (7). Si, par contre, la Cour accueillait les moyens invoqués dans le recours, la Commission serait tenue d'appliquer à l'aide litigieuse la dérogation de l'article 90, paragraphe 2, et, donc, l'exécution de la mesure par les autorités françaises avant la décision finale d'autorisation devrait être considérée comme pleinement légale.

6 La Commission soutient, pour sa part, que le présent recours est irrecevable. L'arrêt du Tribunal dans l'affaire T-49/93 (voir ci-dessus note 1), qui n'a pas fait l'objet d'un pourvoi devant la Cour, a en effet, selon elle, rendu définitive la qualification de la mesure litigieuse comme «aide d'État» et même (de façon implicite) comme «aide illégale» dans la mesure où elle a été instituée en l'absence de notification préalable, qualification opérée par la Commission dans la décision de 1993. En
conséquence, de façon limitée à cette qualification, la décision attaquée se limite en réalité à confirmer une constatation définitive contenue dans un acte antérieur et doit donc être considérée, selon la jurisprudence de la Cour, comme un acte non attaquable. D'autre part, l'identification des éléments du dispositif de la décision contestés par la requérante semblerait tout sauf aisée.

Sur le fond

7 Le recours de la France est fondé sur trois moyens, dont deux (l'un principal et l'autre subsidiaire) sont relatifs à des violations du traité, le troisième ayant pour objet l'erreur de fait relative à l'attribution au CELF d'une mission d'intérêt économique général.

8 Comme nous l'avons déjà souligné (voir plus haut point 2), la requérante attaque à titre principal la partie de la décision dans laquelle la Commission a établi que l'application des dispositions sur le contrôle des aides d'État à la mesure litigieuse, étant donné l'appréciation finale de compatibilité adoptée par l'institution défenderesse, n'était pas de nature à «faire obstacle à l'accomplissement en droit ou en fait», de l'activité de gestion de petites commandes, et que donc il n'y avait pas
de raison d'apprécier au regard de l'article 90, paragraphe 2, les activités du CELF qui bénéficiaient de l'aide (voir ci-dessus point 4). En se prononçant en ce sens, la Commission aurait fait une fausse application des articles 90, paragraphe 2, et 92, paragraphe 3, du traité.

9 En particulier, selon la France, la défenderesse a appliqué de façon erronée à une aide nouvelle les principes définis par la jurisprudence de la Cour eu égard aux aides existantes, faisant abstraction de la différence fondamentale entre les deux catégories de mesures, qui existe, selon la Cour, également en ce qui concerne les aides d'État accordées à des entreprises couvertes par la dérogation de l'article 90, paragraphe 2 (8). L'arrêt Banco Exterior de España, invoqué par la Commission, établit
que, comme une aide existante - telle celle litigieuse en l'espèce - peut continuer à être exécutée tant que la Commission n'a pas constaté son incompatibilité avec le marché commun, jusqu'à ce que la Commission procède à cette constatation «il n'est pas nécessaire d'examiner si, et dans quelle mesure, cette aide est susceptible d'échapper, en vertu de l'article 90, paragraphe 2, du traité, à l'interdiction de l'article 92» (9). De l'avis de la requérante, le cas d'une aide nouvelle est, toutefois,
régi par un principe différent: s'il est vrai que, en règle générale, on ne peut mettre en oeuvre une telle mesure avant que la procédure d'examen de la Commission ait conduit à une décision finale de compatibilité, cette obligation de standstill (suspension provisoire de l'exécution de l'aide) disparaît, précisément, lorsque dans le cas d'espèce toutes les conditions auxquelles l'article 90, paragraphe 2, du traité conditionne l'applicabilité de la dérogation qu'il prévoit sont remplies.

10 La requérante précise que l'éventuelle applicabilité de l'article 90, paragraphe 2, permettrait de déroger non pas tant à l'obligation de notification préalable, qui ne paraît pas susceptible de faire obstacle à l'exercice de la mission spécifique confiée au CELF, mais plutôt à l'obligation précitée de standstill. La suspension de l'exécution de l'aide pendant la procédure d'examen de la Commission serait, en effet, inconciliable avec les caractéristiques propres de l'aide litigieuse, destinée à
assurer la gestion, dans des conditions de continuité et d'adaptabilité, du service d'intérêt économique général constitué par l'expédition des petites commandes de livres en langue française. Si, par exemple, les autorités françaises avaient dû suspendre le versement des subventions litigieuses le lendemain du prononcé de l'arrêt du Tribunal dans l'affaire T-49/93 et jusqu'à la décision finale de la Commission, cela aurait provoqué l'interruption de la mission de service public confiée au CELF pour
presque trois ans. Surtout, observe le gouvernement français, la doctrine Lorenz élaborée par la Cour - selon laquelle l'État membre intéressé peut mettre en oeuvre le régime d'aide proposé une fois expirée la période destinée à l'examen préliminaire du projet y relatif, dont la durée ne peut excéder deux mois (10)- reste en pratique d'application extraordinaire, cela dans la mesure où la complexité croissante des procédures d'examen rend très fréquemment nécessaire le lancement de la phase
contradictoire prévue par l'article 93, paragraphe 2, du traité, qui n'est pas soumise à des délais maximums (11). La participation à celle-ci des éventuels auteurs de plaintes et autres tiers intéressés entraîne inévitablement un allongement de la durée de l'enquête.

11 A titre subsidiaire, la requérante allègue que la décision, lorsqu'elle affirme que les autorités françaises n'ont pas fourni la preuve du fait que le CELF a été chargé du service public de gestion des petites commandes de livres de langue française (voir ci-dessus point 4) est viciée par une erreur de fait (premier moyen subsidiaire). La Commission se serait fondée sur des critères généraux dénués de pertinence, tout en disposant des documents pertinents, constitués par des contrats de droit
public (conventions) conclus par le ministère et le CELF, que les autorités françaises avaient dûment produits au cours de la procédure d'examen de l'aide litigieuse.

12 Enfin, selon la France, la Commission a fait une fausse application de l'article 90, paragraphe 2, du traité. Le gouvernement requérant attaque la partie de la décision dans laquelle le prétendu lien de causalité entre octroi de l'aide litigieuse et mission de service public qu'aucun autre opérateur n'était disposé à assurer a été jugé logiquement inconciliable avec l'affirmation selon laquelle le mécanisme d'aide concerné était également ouvert à d'autres opérateurs que le CELF (voir ci-dessus
point 4). La condition de la situation de monopole de l'opérateur chargé de la gestion d'un service d'intérêt économique général, appliquée par la Commission en l'espèce, serait étrangère tant à la lettre qu'à l'interprétation par la jurisprudence de l'article 90, paragraphe 2, précité (deuxième moyen subsidiaire).

13 A titre subsidiaire par rapport à son moyen tiré de l'irrecevabilité du recours, la Commission nie que la décision soit affectée par les vices allégués par la requérante (voir ci-dessous points 17 et 18). La Commission demande en outre à la Cour de rejeter comme irrecevables les moyens invoqués par le gouvernement français à titre subsidiaire, qui ont pour objet des appréciations étrangères à la motivation sur la base de laquelle la Commission a conclu qu'il ne lui paraissait pas nécessaire
d'examiner si et dans quels délais les subventions accordées au CELF pouvaient échapper aux dispositions sur le contrôle des aides d'État, en application de l'article 90, paragraphe 2, du traité (12).

III - Analyse juridique

Sur la recevabilité

14 Étant donné que, tout en ne soulevant pas une exception d'irrecevabilité formelle, la Commission a émis de sérieux doutes sur la recevabilité du présent recours, nous partirons de là dans l'examen de la présente affaire. Nous prévenons tout de suite que l'argumentation de la défenderesse ne nous convainc pas. Nous rappelons d'abord que dans l'affaire T-49/93, précitée, le Tribunal, tout en ayant constaté la violation par la Commission de l'obligation d'ouvrir la procédure contradictoire de
l'article 93, paragraphe 2, du traité, a annulé la décision de 1993 de façon limitée à la partie de la mesure ayant pour objet l'aide litigieuse (voir plus haut note 1). Il ne nous semble donc pas correct de soutenir que la qualification de cette mesure comme «aide d'État», instituée en l'absence de notification préalable et donc «illégale», opérée par la décision de 1993 a, comme le pense la Commission, désormais force de chose jugée. On ne pouvait en effet pas exclure que la procédure
contradictoire d'enquête formelle que la Commission était tenue d'ouvrir en application de l'arrêt du Tribunal du 18 septembre 1995, et qu'elle a précisément lancée le 30 juillet 1996, ait une issue différente, les aides accordées au CELF étant même déclarées ne pas constituer une aide d'État au sens du traité. En effet, la Commission n'était pas liée par l'arrêt du Tribunal, sauf à permettre la participation des intéressés à la procédure d'examen approfondi, et conservait ses pouvoirs
discrétionnaires d'appréciation quant au fond de la mesure en question. Ce qui est vrai c'est qu'à l'issue de l'expiration du délai pour attaquer l'arrêt du Tribunal, précité, le principe de la chose jugée s'applique aux autres constatations contenues dans la décision de 1993 - ayant pour objet les mesures instituées par la France au profit du CELF différentes des subventions en question (13) - par rapport auxquelles le Tribunal a rejeté le recours intenté par la SIDE (voir plus haut note 1). Il
reste donc exclu, à notre avis, que la décision litigieuse soit un acte inattaquable dans la mesure où il ne ferait que confirmer des constatations définitives contenues dans la décision de 1993.

15 La Commission a également soutenu que le présent recours ne contient pas d'indication claire des éléments du dispositif de la décision qui sont contestés par le gouvernement français. Le dispositif de l'acte attaqué ne contient en effet aucune référence à l'inapplicabilité au cas d'espèce de l'article 90, paragraphe 2, du traité, à laquelle a par contre été consacrée toute la section XII de la motivation de la mesure (voir ci-dessus point 4). Nous n'estimons toutefois pas devoir partager pour
autant le point de vue de la Commission. Selon la jurisprudence établie de la Cour, le dispositif d'un acte est indissociable de sa motivation et doit donc être interprété, le cas échéant, en tenant compte des motifs qui ont conduit à son adoption (14). En conséquence, même si le dispositif de la décision ne concerne pas explicitement l'argument, soulevé par la France au cours de la procédure administrative d'examen ouverte le 30 juillet 1996, selon lequel en vertu de la dérogation prévue par
l'article 90, paragraphe 2, du traité les subventions accordées au CELF ne pouvaient pas être considérées comme des aides d'État, la conclusion contenue dans le dispositif (compatibilité de la mesure d'aide avec le marché commun) implique nécessairement, compte tenu des motifs de la décision, que la Commission a voulu rejeter les arguments précités des autorités françaises (15). Autrement dit, le gouvernement français ne se borne pas à critiquer seulement certaines considérations de la motivation de
la décision jugées défavorables, mais attaque le dispositif de la décision précisément pour ce que celui-ci ne dit pas (16). La solution défendue ici par la Commission impliquerait, d'autre part, le pouvoir de l'institution défenderesse (et de toute autre) de soustraire au contrôle de légalité du juge communautaire les constatations définitives contenues dans les actes qu'elle a adoptés en ne formulant que ces constatations dans la partie motivée de l'acte. Le moyen de recours principal examiné vise
donc à l'annulation du dispositif de la décision. Le dispositif est de nature à causer le préjudice invoqué par la France - au moins selon les dispositions combinées des articles 90, paragraphe 2, et 93, paragraphe 3, du traité, comme cela est avancé dans le recours - dans la mesure où il y est déclaré que l'aide litigieuse a été versée en violation d'une obligation de standstill, que les autorités françaises prétendent inapplicables à l'espèce précisément en vertu de l'article 90, paragraphe 2,
précité. Comme le recours doit être déclaré recevable, nous examinerons si le moyen principal invoqué par la requérante est ou non fondé.

Sur le fond: violation des dispositions combinées de l'article 90, paragraphe 2, et de l'article 92 du traité

16 La France soutient en substance que, contrairement à ce qu'a établi la Commission, l'application des dispositions communautaires sur les aides d'État - en particulier l'article 93, paragraphe 3, dernière phrase, du traité CE - faisait en l'espèce obstacle à l'exercice de la mission spécifique confiée au CELF (voir ci-dessus point 10): pour que l'entreprise chargée du service de gestion des petites commandes de livres en langue française puisse effectivement garantir dans des conditions
d'équilibre économique le respect des obligations qui lui étaient imposées, il fallait que le versement des subventions par les autorités publiques se poursuive sans interruption pendant la procédure d'examen contradictoire, qui a duré plus de 22 mois. A l'appui de son moyen principal, la requérante a invoqué l'arrêt du Tribunal dans l'affaire Poste française (17), selon lequel, lorsque l'article 90, paragraphe 2, est applicable à une mesure soumise au principe aux dispositions communautaires en
matière de contrôle des aides d'État, l'effet des règles de concurrence «peut cependant être restreint ... de sorte qu'une interdiction de mise à exécution d'une aide nouvelle ... peut être déclarée inapplicable» (point 172, mis en italique par nos soins).

17 La Commission rappelle que dans l'affaire de la Poste française, le juge communautaire a énoncé un principe bien différent de celui invoqué par la France. En effet, dire que l'article 90, paragraphe 2, du traité peut permettre de soustraire une aide destinée à compenser les coûts supplémentaires générés par l'exercice d'une mission de service public à l'interdiction de fond contenue dans l'article 92 du traité CE (18) est une chose; affirmer, comme le fait le gouvernement français, que par le
biais de la dérogation de l'article 90, paragraphe 2, on peut éviter l'application d'une règle de procédure, à savoir de l'obligation de standstill, instituée par le traité pour empêcher la réalisation de projets d'aide contraires au marché commun en est une autre.

18 Le caractère non fondé de la prétention alléguée par la France résulte clairement - nous dit la Commission - de l'examen de la jurisprudence de la Cour, selon laquelle «la dernière phrase de l'article 93 constitue la sauvegarde du mécanisme de contrôle institué par cet article, lequel, à son tour, est essentiel pour garantir le fonctionnement du marché commun. Il s'ensuit ... que, même si l'État membre estime la mesure d'aide compatible avec le marché commun, cette circonstance ne saurait
l'autoriser à passer outre aux dispositions claires de l'article 93» (19). La dissociation opérée par le gouvernement français entre l'obligation de notification préalable de la mesure projetée, d'une part, et l'obligation de standstill, de l'autre (voir plus haut, point 10) semblerait donc tout à fait arbitraire. En outre, selon ce qu'avance la requérante, l'obligation de notification préalable d'une aide nouvelle reste applicable même lorsque la dérogation de l'article 90, paragraphe 2, du traité
s'applique à l'entreprise bénéficiaire; et donc en l'espèce, cette dissociation ne pourrait permettre d'exclure l'existence d'une violation du droit communautaire par la France, qui a omis de notifier la mesure litigieuse (voir ci-dessus, point 1). La Commission ajoute que, bien que les arguments de la France tendent à limiter la prétendue inapplicabilité de l'obligation de standstill à différentes situations dans lesquelles seraient sans cela mises en danger la continuité et l'adaptabilité de la
gestion d'un service d'intérêt économique général, la requérante ne précise pas quelle serait l'autorité compétente pour effectuer cette appréciation, ni le moment précis où cette décision devrait intervenir.

19 Ce sont les arguments de la Commission qui nous convainquent. Nous sommes en particulier d'accord avec la défenderesse pour dire que la dérogation de l'article 90, paragraphe 2, ne peut en aucun cas être légitimement invoquée par un État membre eu égard à une aide non notifiée - même si celle-ci est finalement déclarée compatible avec le marché commun - pour faire disparaître le caractère illégal de la mise à exécution de la mesure et les effets qui sont directement liés à la violation de
l'article 93, paragraphe 3, du traité CE dans les ordres juridiques nationaux. Il est inutile de rappeler qu'aucune aide ne peut être considérée comme régulièrement instituée si elle n'a pas fait l'objet de la procédure préliminaire d'examen, relevant de la compétence exclusive de la Commission, prévue par l'article 93. L'absence de communication d'un projet destiné à instituer une aide comporte, en effet, inévitablement le risque que soit mise en oeuvre une mesure susceptible de fausser la
concurrence dans le marché commun. L'État membre qui se met sciemment dans une situation d'illégalité ne peut donc bénéficier d'aucune dérogation aux règles de procédure générales. Le principe que nous avons formulé ici est du reste le même que celui qui a inspiré la jurisprudence Lorenz précitée (voir ci-dessus, note 10 et partie du texte y relative): selon la Cour, un État membre qui projette une mesure d'aide a un intérêt légitime, digne de protection, à être rapidement informé de la situation
juridique. Cette protection, toutefois, ne peut pas être invoquée par l'État intéressé lorsque ce dernier a mis en oeuvre l'aide sans l'avoir préalablement notifiée à la Commission (20). Nous estimons donc que lorsque, comme en l'espèce, un État membre verse une aide sans d'abord la notifier, il ne peut recourir aux moyens de protection juridictionnelle prévus par le traité pour faire valoir que l'exercice du service public confié à l'entreprise bénéficiaire a été affecté par l'obligation de
suspendre l'exécution de la mesure durant le temps nécessaire au déroulement de la procédure d'examen que la Commission a néanmoins lancée. Le moyen de recours examiné ne saurait donc être accueilli. Nous nous abstiendrons, d'autre part, d'examiner les deux moyens soulevés par la France à titre subsidiaire, qui, comme la observé la Commission à juste titre, ont pour objet des appréciations étrangères au point central de la motivation de la mesure attaquée et y sont insérées ad abundantiam (voir
ci-dessus points 11 à 13). Le fait d'accueillir ces moyens ne pourrait donc en tout état de cause pas impliquer l'annulation de la partie de la décision attaquée par la requérante.

20 Cela étant, par scrupule d'être complet dans le présent examen, nous nous interrogerons sur le point de savoir si les dispositions combinées des articles 90, paragraphe 2, et 92 (plus exactement, 93, paragraphe 3, dernière phrase) du traité CE, dans l'interprétation qu'en font les autorités françaises dans le présent litige, pourraient s'appliquer dans l'hypothèse différente où l'aide litigieuse aurait été dûment notifiée. La Commission serait-elle tenue, dans un tel cas, de vérifier (21), à
l'issue de la procédure d'examen contradictoire, si en l'espèce les conditions prescrites par l'article 90, paragraphe 2, sont remplies, malgré la décision finale de compatibilité de la mesure? En particulier, la Commission pourrait-elle décider que - pour permettre à l'entreprise bénéficiaire de remplir, dans des conditions économiquement acceptables (22), ses obligations spécifiques de fourniture d'un service d'intérêt économique général - il est nécessaire de déroger, avec effet rétroactif, à
l'obligation de standstill durant la procédure d'examen?

21 Pour autant que la lettre du passage pertinent de l'arrêt Poste française puisse, au moins à première vue, justifier l'interprétation qu'en a fournie le gouvernement français dans le présent litige (voir ci-dessus point 16), il convient à notre avis d'exclure que l'obligation de suspendre le versement de l'aide pendant l'examen effectué par la Commission puisse être déclarée inapplicable, en ce qu'elle serait considérée comme étant de nature à faire obstacle à l'exercice de la mission de service
d'intérêt économique général dont l'entreprise bénéficiaire est en théorie chargée. Les raisons à cela sont les suivantes.

22 La solution à laquelle nous inclinons ne résulte pas, nous devons le préciser, du fait que la disposition du traité dont l'inapplication est demandée est une règle de procédure plutôt que de fond, comme c'est typiquement le cas lorsque la dérogation de l'article 90, paragraphe 2, est invoquée eu égard aux règles de concurrence applicables aux entreprises (articles 85 et 86 du traité CE, devenus articles 81 et 82 CE). Cette solution est en revanche liée au caractère préventif du système de
contrôle des projets d'aides nouvelles, institué par l'article 93 du traité. Comme dans le cas des dispositions prévues par le législateur communautaire en matière d'examen des opérations de concentrations entre entreprises de dimension communautaire (23), le contrôle préalable confié à la Commission est destiné à empêcher que le régime de concurrence sur le marché interne subisse, à travers la technique du «fait accompli», des distorsions illégales, qui peuvent se révéler ensuite extrêmement
difficiles, voire carrément impossible à éliminer pour restaurer la situation antérieure - qu'il s'agisse de «débrouiller» («unscrambling») les éléments patrimoniaux des entreprises fusionnées ou de récupérer les fonds versés à l'entreprise bénéficiaire à titre d'aide (24).

23 Comme on le sait, la possibilité d'invoquer la dérogation de l'article 90, paragraphe 2, du traité dans le contexte du contrôle a posteriori effectué par la Commission sur les comportements prévus par les articles 85 (ententes restreignant la concurrence) et 86 (abus de position dominante) ne comporte aucun risque de priver le système communautaire de ses effets pratiques. Si la Commission décide que les conditions d'application de l'article 90, paragraphe 2, sont remplies, l'entreprise
responsable - à laquelle aurait sinon été adressée une décision d'infraction, contenant une injonction de cesser avec effet immédiat le comportement interdit et infligeant éventuellement une amende pour les violations passées - se trouvera couverte par le «bouclier» de la dérogation en question.

24 Le discours est bien différent lorsque la dérogation de l'article 90, paragraphe 2, du traité est invoquée par l'État membre qui verse une aide pour se libérer de l'obligation de standstill. De deux choses l'une: ou la décision de la Commission sur l'applicabilité de la dérogation ne pourra qu'intervenir dans le cadre de la décision finale sur la compatibilité de la mesure, et alors - vu les arguments exposés par la France dans la présente procédure (voir ci-dessus point 10) - un tel résultat
sera privé d'utilité pratique parce que tardif, et en tout état de cause inconciliable avec les caractéristiques propres des mesures d'aide comme l'aide litigieuse, destinées à assurer la gestion du service d'intérêt économique général, confié à l'entreprise bénéficiaire, dans des conditions de continuité et d'adaptabilité; ou la décision de la Commission devra se borner à formaliser a posteriori la violation de l'obligation de standstill déjà commise par l'État membre intéressé. Cela équivaudrait
au fond à reconnaître à l'État membre qui veut verser une aide rentrant dans le cadre de l'application de l'article 90, paragraphe 2, le pouvoir d'évaluer et décider lui-même de manière discrétionnaire de l'opportunité de suspendre ou non l'exécution dans l'attente de l'issue de la procédure d'examen. Selon la jurisprudence de la Cour, toutefois, l'application de la disposition précitée «n'est pas laissée à la discrétion de l'État membre qui a chargé une entreprise de la gestion d'un service
d'intérêt économique général. L'article 90, paragraphe 3, confie, en effet, à la Commission, sous le contrôle de la Cour, une mission de surveillance en la matière» (25). Il n'y a pas de raison pour qu'un principe différent trouve application dans le contexte du contrôle des aides d'État.

IV - Conclusions

A la lumière des considérations qui précèdent, nous proposons à la Cour de:

- rejeter le présent recours et - condamner la République française aux dépens.

(1) - JO 1999, L 44, p. 37. La décision a été adoptée à la suite de l'annulation partielle - décidée par le Tribunal de première instance par arrêt du 18 septembre 1995 dans l'affaire T-49/93, SIDE/Commission (Rec. p. II-2501) - de la précédente décision de la Commission, du 18 mai 1993, déclarant compatibles avec le marché commun certaines aides accordées par le gouvernement français aux exportateurs de livres en langue française (JO C 174, p. 6; ci-après la «décision de 1993»). La décision de 1993
a été annulée pour violation des formes substantielles, uniquement pour autant qu'elle concerne la subvention accordée exclusivement au CELF pour compenser le surcoût de traitement des petites commandes de livres en langue française passées par des libraires établis à l'étranger; les autres moyens de recours - avancés par la Société internationale de diffusion et d'édition (SIDE), une concurrente du CELF - ont en revanche été rejetés (voir ci-dessous note 13). Le Tribunal a en particulier établi
qu'avant d'adopter la décision attaquée la Commission aurait dû ouvrir la procédure contradictoire de l'article 93, paragraphe 2, du traité pour recueillir tous les éléments nécessaires pour lui permettre de vérifier le bien-fondé de son appréciation de la compatibilité de la mesure d'aide en question avec le marché commun. Selon le Tribunal, en effet, cette appréciation ne semblait pas dénuée de difficultés dans les circonstances de l'espèce, étant donné que la Commission a entendu se fonder sur la
situation particulière de la concurrence dans le secteur du livre pour autoriser la mesure en question (voir points 67-76). Le 30 juillet 1996, la Commission a décidé d'entamer la procédure de l'article 93, paragraphe 2, du traité eu égard à l'aide litigieuse.

(2) - Ainsi qu'il résulte de la décision (sections V et VI), le CELF est une société anonyme coopérative, constituée en 1977, dont l'objet est de «traiter directement les commandes vers l'étranger et les territoires et départements d'outre-mer, de livres brochures et tous supports de communication et plus généralement d'exécuter toutes opérations visant notamment à développer la promotion de la culture française à travers le monde au moyen des supports susdésignés». Les 101 coopérateurs du CELF sont
pour la plupart des éditeurs établis en France, bien que la coopérative soit ouverte à la participation de tout opérateur lié à l'édition ou à la diffusion du livre francophone, indépendamment de son lieu d'établissement. Le CELF a une activité commerciale de diffusion de livres dirigée principalement vers les pays et les zones non francophones, étant donné que dans les zones francophones, en particulier de la Belgique, du Canada et de la Suisse, cette activité est assurée par les réseaux de
distribution établis par les éditeurs. L'aide au fonctionnement accordée par le ministère de la Culture et de la Langue française (ci-après le «ministère») au CELF depuis 1980 lui permet d'honorer des commandes jugées non rentables par les éditeurs ou leurs distributeurs associés en raison de l'importance des coûts de transport qu'elles impliquent par rapport à leur valeur totale. En pratique, l'aide est versée selon les modalités suivantes: les revendeurs qui ont besoin de petites quantités de
livres d'éditeurs différents s'adressent au CELF qui dans ce cas fait fonction de commissaire à l'exportation. L'aide est versée en particulier afin de pouvoir honorer des commandes inférieures à 500 FRF (hors frais de transport) qui sont généralement considérées comme des ventes à perte. Un quart du montant de la subvention décidée l'année précédant celle en question est versé au début de l'année, le reste étant versé à l'automne, après l'examen par les pouvoirs publics du budget prévisionnel du
CELF et des fluctuations enregistrées au cours de la première partie de l'exercice. Dans les trois mois suivant la fin de l'exercice, un rapport d'emploi de la subvention avec un relevé des pièces justificatives doit être fourni au ministère de la Culture et de la Francophonie. Pour financer l'aide, le montant prévu au budget est de 2 millions de FRF par an. Toutefois, si ce montant n'est pas entièrement utilisé, le solde non utilisé vient en déduction de la somme versable l'année suivante. La
subvention accordée a atteint 2 millions de FRF en 1990, 2,4 millions de FRF en 1991, 2,7 millions de FRF en 1992, 2,5 millions de FRF en 1993. Au cours de la période 1994 à 1996, le montant annuel de l'aide a été d'environ 2 millions de FRF; toutefois, comme en 1996 le volume des petites commandes a été un peu moins important, en 1997 le CELF n'a reçu que 1,6 millions de FRF. En 1994, le CELF a établi 9725 factures relatives à de petites commandes (correspondant à 47 % des 20 672 factures établies
au total); le chiffre d'affaires correspondant aux factures d'un montant inférieur ou égal à 500 FRF, égal à 2,28 millions de FRF, a toutefois représenté seulement 4,83 % du chiffre d'affaires total réalisé par le CELF. La même année, le montant des pertes par livre engendré par la gestion des petites commandes - résultant de la comparaison entre le coût total et les recettes - s'est élevé à 79,4 FRF, avec une perte moyenne par commande de 203,2 FRF.

(3) - Les articles 87, 89 et 92 du traité CE ont fait l'objet de modifications; l'article 91 du traité CE a été abrogé par le traité d'Amsterdam.

(4) - Voir décision de la Commission du 8 février 1995 relative à une procédure au titre de l'article 93 du traité CE (aides d'État NN 135/92, activités concurrentielles de la Poste française; JO C 262, p. 11). Voir infra, notes 16 et 17 et les parties du texte y relatives.

(5) - Voir arrêt du 15 mars 1994 (C-387/92, Rec. p. I-877).

(6) - Voir arrêts du 30 janvier 1974, BRT (127/73, Rec. p. 313, point 20) et du 11 avril 1989, Ahmed Saeed Flugreisen et Silver Line Reisebüro (66/86, Rec. p. 803, point 55). L'acte par lequel les autorités publiques chargent une entreprise de la gestion d'un service d'intérêt économique général peut aussi consister dans une concession de droit public (voir arrêt du 23 octobre 1997, Commission/France, C-159/94, Rec. p. I-5815, point 66).

(7) - Nous rappelons que, selon la jurisprudence de la Cour, le non-respect par les autorités des États membres de l'obligation qui leur est imposée par l'article 93, paragraphe 3, dernière phrase, du traité affecte la validité des actes d'exécution des mesures d'aide. La décision finale de la Commission, déclarant ces mesures compatibles avec le marché commun, ne peut donc avoir pour conséquence de régulariser des actes invalides, sous peine de porter atteinte à l'effet direct de la disposition
précitée et de méconnaître les intérêts des justiciables que les juridictions nationales ont pour mission de préserver en garantissant que «toutes les conséquences en seront tirées, conformément à leur droit national, tant en ce qui concerne la validité des actes comportant mise à exécution des mesures d'aide, que le recouvrement des soutiens financiers accordés au mépris de cette disposition ou d'éventuelles mesures provisoires». Selon la Cour, «Toute autre interprétation conduirait à favoriser
l'inobservation, par l'État membre concerné, du paragraphe 3, dernière phrase, de cet article et le priverait de son effet utile» (voir arrêt du 21 novembre 1991, Fédération nationale du commerce extérieur des produits alimentaires et Syndicat national des négociants et transformateurs de saumon/République française, C-354/90, Rec. p. I-5505, points 16 et 17).

(8) - Voir arrêt Banco Exterior de España, précité dans la notre 5, point 18.

(9) - Idem, points 20 et 21.

(10) - Voir arrêt du 11 décembre 1973, Lorenz (120/73, Rec. p. 1471, point 4). Voir aussi, entre autres, ordonnance du 20 septembre 1983, Commission/France (171/83 R, Rec. p. 2621, point 13) et arrêt du 17 juin 1999, Industrie Aeronautiche e Meccaniche Ronaldo Piaggio (pas encore publié au Recueil, point 49). Selon la jurisprudence rappelée ici, une fois expirée la période d'examen préliminaire l'État membre est en tout cas tenu, en application du principe de la sécurité juridique, d'informer
préalablement la Commission de son intention de mettre en oeuvre la mesure objet de l'examen, avec pour conséquence que l'aide ainsi instituée sera soumise au régime des aides existantes.

(11) - Il reste le principe général selon lequel, lorsque la Commission adopte une décision mettant fin à une procédure administrative en matière de politique de la concurrence, elle est tenue de respecter un délai raisonnable, dont la durée est appréciée en fonction des circonstances spécifiques de chaque affaire et, notamment, du contexte et de la complexité de celle-ci, des différentes étapes procédurales que la Commission a suivies, de la conduite des parties au cours de la procédure ainsi que
de l'enjeu de celle-ci pour les différentes parties intéressées (voir arrêt du 22 octobre 1997, Stichting, T-213/95 et T-18/96, Rec. p. II-1739, points 56 et 57, et, mutatis mutandis, arrêt du 24 novembre 1987, RSV/Commission, 223/85, Rec. p. 4617, points 12-17). Il y a lieu de rappeler que sur la base de l'article 7, paragraphes 6 et 7, du règlement (CEE) n_ 659 du Conseil du 22 mars 1999, portant modalités d'application de l'article 93 du traité CE (JO L 83, p. 1), la Commission s'efforce, autant
que possible, d'adopter une décision dans un délai de 18 mois à compter de l'ouverture de la procédure (ce délai peut être prorogé lorsque l'État membre intéressé y consent). Dans le cas contraire, à la demande de l'État membre en question, la Commission est tenue de se prononcer dans les 2 mois suivants sur la base des informations en sa possession; si ces informations ne permettent pas d'établir la compatibilité de la mesure avec le marché commun, la Commission adopte une décision négative. Le
règlement est entré en vigueur le 16 avril 1999 (voir article 30).

(12) - Voir, mutatis mutandis, arrêt du 17 septembre 1992, Nederlandse Bankiersvereniging e.a./Commission (T-138/89, Rec. p. II-2181, point 31), selon lequel les appréciations fourmulées par la Commission dans la partie motivée d'une décision faisant grief au requérant, attaquée par un recours en annulation, ne sont susceptibles de faire l'objet d'un tel recours que dans la mesure où elles constituent le support nécessaire de son dispositif.

(13) - La décision de 1993 avait pour objet, outre l'aide litigieuse, trois régimes d'aide gérés par le CELF pour le compte de l'État français, à savoir: i) les aides au transport aérien ou à l'expédition postale par voie aérienne destinées aux territoires et aux régions d'outremer ou aux pays étrangers lointains, ii) le programme «Page à page» qui permettait d'offrir aux lecteurs d'Europe centrale et orientale des oeuvres en langue française à moitié prix, et iii) le programme «Plus», destiné à
fournir à moitié prix des manuels universitaires du premier cycle aux étudiants des universités d'Afrique subsaharienne.

(14) - Voir, entre autres, arrêts du 26 avril 1988, Asteris e.a./Commission (97/86, 99/86, 193/86 et 215/86, Rec. p. 2181, point 27) et du 15 mai 1997, Textilwerke Deggendorf/Commission et Allemagne (C-355/95 P, Rec. p. I-2549, point 21).

(15) - Voir, mutatis mutandis, arrêt Stichting, précité dans la note 11, point 104. Le Tribunal a rejeté la demande principale des requérantes dans l'affaire T-18/96, visant à l'annulation de la décision attaquée, relative à une procédure en application de l'article 85 du traité CE (devenu article 81 CE), dans la partie où, dans le dispositif, elle établissait que l'article 85, paragraphe 1, était applicable aux pratiques litigieuses et infligeait une amende aux requérantes, mais ne se prononçait
pas sur les demandes d'exemption au titre de l'article 85, paragraphe 3, du traité présentées par les requérantes. Le Tribunal a relevé qu'il résultait de la motivation élaborée de la décision attaquée que la Commission avait examiné si l'article 85, paragraphe 1, pouvait être déclaré non applicable au cas d'espèce en vertu du paragraphe 3 de cette même disposition. Selon le Tribunal, donc, même si le dispositif de l'acte ne se prononçait pas explicitement sur les demandes d'exemption des
requérantes, la constatation d'infractions et les injonctions d'y mettre fin contenues dans le dispositif impliquaient nécessairement, à la lumière de la motivation de la décision, que la Commission avait voulu rejeter ces demandes (voir points 102 à 104).

(16) - A cet égard, il suffit de comparer avec la lettre de la décision précitée du 8 février 1995, relative aux aides aux activités concurrentielles de la Poste française (voir plus haut, note 4), qui - bien qu'adoptée sous la forme d'une lettre adressée au gouvernement français sans être formellement articulée en une partie motivée et un dispositif distinct - disposait clairement que «la Commission a décidé de ne pas qualifier les dispositions en cause comme aides d'État au sens de l'article 90,
paragraphe 1, du traité CE».

(17) - Voir arrêt du 27 février 1997, FFSA e.a./Commission (T-106/95, Rec. p. II-229, point 172), selon lequel il résulte de l'article 90, paragraphe 2, du traité, «notamment des termes «dans les limites où l'application de ces règles [en l'occurrence de l'article 92 du traité] ne fait pas échec à l'accomplissement [...] de la mission particulière», que, dans l'hypothèse où l'article 90, paragraphe 2, peut être invoqué, une mesure étatique tombant sous le coup de l'article 92, paragraphe 1, peut
néanmoins être considérée comme compatible avec le marché commun ... Bien qu'il s'agisse toujours d'une aide d'État au sens de cette dernière disposition, l'effet des règles de concurrence peut cependant, dans ce cas, être restreint ..., de sorte qu'une interdiction de mise à exécution d'une aide nouvelle, découlant d'une lecture combinée des articles 92 et 93, paragraphes 2 et 3, peut être déclarée inapplicable» (mis en italique par nos soins; citations omises). Plus précisément selon le Tribunal,
«le versement d'une aide d'État est susceptible, en vertu de l'article 90, paragraphe 2, du traité, d'échapper à l'interdiction de l'article 92 dudit traité, à condition que l'aide en question ne vise qu'à compenser les surcoûts engendrés par l'accomplissement de la mission particulière incombant à l'entreprise chargée de la gestion d'un service d'intérêt économique général et que l'octroi de l'aide s'avère nécessaire pour que ladite entreprise puisse assurer ses obligations de service public dans
des conditions d'équilibre économique» (point 178). Voir aussi ordonnance du 25 mars 1998, FFSA e.a./Commission (C-174/97 P, Rec. p. I-1303, point 34).

(18) - Voir ci-dessus note 17. Il s'agit comme on le sait d'une interdiction «de principe ... ni absolue ni inconditionnelle puisque notamment l'article 92, paragraphe 3, accorde à la Commission un large pouvoir d'appréciation en vue d'admettre des aides par dérogation à l'interdiction générale dudit paragraphe 1» (voir, notamment, arrêt du 11 juillet 1996, SFEI e.a., C-39/94, Rec. p. I-3547, point 36).

(19) - Voir ordonnances du 21 mai 1977, Commission/Royaume-Uni (31/77 R et 53/77 R, Rec. p. 921, points 17 et 18) et du 20 septembre 1983, précitée dans la note 10, point 12.

(20) - Voir arrêt du 11 juillet, précité dans la note 18, point 48. Selon la Cour, donc, si l'État membre intéressé a des doutes sur la nature d'aide d'État des mesures projetées, il peut sauvegarder ses intérêts en notifiant le projet à la Commission et en obligeant cette dernière à prendre position dans les deux mois.

(21) - La charge de la preuve reposant néanmoins certainement sur la personne qui invoque la dérogation en question: donc sur la France en l'espèce (voir arrêt du 23 octobre 1997, Commission/Pays-Bas, C-157/94, Rec. p. I-5699, point 51).

(22) - Voir, mutatis mutandis, arrêt du 19 mai 1993, Corbeau (C-320/91, Rec. p. I-2533, point 16). L'applicabilité de la dérogation n'est en revanche pas subordonnée à la condition que la survie de l'entreprise intéressée soit directement menacée, c'est-à-dire son équilibre financier ou sa rentabilité économique.

(23) - Voir règlement (CEE) n_ 4064/89 du Conseil, du 21 décembre 1989, relatif au contrôle des opérations de concentration entre entreprises (JO L 395, p. 1; rectificatif et nouvelle publication intégrale JO 1990 L 257, p. 13), tel que modifié par le règlement (CE) n_ 1310/97 du Conseil du 30 juin 1997 (JO L 180, p. 1). D'ailleurs, l'article 7, paragraphe 4, du règlement précité prévoit que la Commission peut, sur demande dûment motivée et à tout moment, accorder une dérogation à l'obligation de
suspension de la réalisation de l'opération - autrement applicable avant la notification et avant que l'opération soit déclarée compatible avec le marché commun -, en l'assortissant éventuellement de conditions et charges destinées à garantir des conditions de concurrence effective. En décidant d'accueillir ou non la demande de dérogation, la Commission tient notamment compte des effets que la suspension peut produire sur une ou plusieurs des entreprises intéressées par l'opération et sur les tiers
ainsi que du préjudice que la concentration peut porter à la concurrence. En application de l'article 3 du règlement 659/99 précité (voir note 11), la clause de suspension de l'exécution des aides soumises à notification ne comporte en revanche aucune dérogation.

(24) - Voir les conclusions présentées le 7 novembre 1973 par l'avocat général Reischl dans l'affaire 120/73 (précitée dans la note 10), p. 1485, en particulier p. 1488.

(25) - Voir arrêt du 30 mars 1985, Italie/Commission (41/83, Rec. p. 873, point 30). Ce processus vise à concilier l'intérêt des États membres à utiliser certaines entreprises, notamment du secteur public, en tant qu'instrument de politique économique ou fiscale avec l'intérêt de la Communauté au respect des règles de concurrence et à la préservation de l'unité du marché commun (voir arrêt du 19 mars 1991, France/Commission, C-202/88, Rec. p. I-1223, point 12).


Synthèse
Numéro d'arrêt : C-332/98
Date de la décision : 14/12/1999
Type de recours : Recours en annulation - non fondé

Analyses

Aide à la Coopérative d'exportation du livre français (CELF).

Concurrence

Aides accordées par les États


Parties
Demandeurs : République française
Défendeurs : Commission des Communautés européennes.

Composition du Tribunal
Avocat général : La Pergola
Rapporteur ?: Kapteyn

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1999:607

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