Avis juridique important
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61997C0440
Conclusions de l'avocat général Ruiz-Jarabo Colomer présentées le 16 mars 1999. - GIE Groupe Concorde e.a. contre Capitaine commandant le navire "Suhadiwarno Panjan" e.a. - Demande de décision préjudicielle: Cour de cassation - France. - Convention de Bruxelles - Compétence en matière contractuelle - Lieu d'exécution de l'obligation. - Affaire C-440/97.
Recueil de jurisprudence 1999 page I-06307
Conclusions de l'avocat général
«Enfant - dit alors tout haut Don Quichotte -, suivez le fil de votre histoire, et ne vous engagez pas dans les méandres ou les chemins de traverse» (1) .
I - Introduction
1 La présente affaire soulève la question de savoir s'il est opportun que la Cour de justice abandonne sa jurisprudence traditionnelle pour adopter une interprétation autonome de la notion de «lieu où l'obligation a été ou doit être exécutée», qui figure à l'article 5, point 1, de la convention du 27 septembre 1968, concernant la compétence judiciaire et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale (2) (ci-après la «convention de Bruxelles» ou, simplement, la «convention»).
2 La jurisprudence de la Cour, adoptée il y a maintenant plus de vingt ans à l'occasion de l'arrêt Tessili (3) et confirmée dans l'arrêt Custom Made Commercial (4), oblige le juge saisi d'une demande en matière contractuelle à rechercher d'abord le droit applicable à l'acte juridique en cause pour définir ensuite le lieu d'exécution selon ce droit. La méthode retenue dans l'arrêt Tessili, dont la logique conflictualiste est contraire à l'esprit de la convention et même au reste de la jurisprudence
de la Cour en la matière, n'est pas satisfaisante. Elle a été critiquée avec véhémence par une bonne partie de la doctrine et fait l'objet d'une application inégale et souvent défectueuse par les juridictions. Pour toutes ces raisons, on discute dans les réunions qui se déroulent au sein du Conseil aux fins de réviser la convention de Bruxelles de la possibilité de modifier l'article 5, point 1, ou de le supprimer totalement.
3 Les auteurs de la convention de Bruxelles ont cherché avant tout à faciliter ce que l'on a coutume d'appeler la «libre circulation des décisions judiciaires». En matière de compétence judiciaire, il s'agit de fixer des critères uniformes et simples pour l'ensemble du territoire européen, de manière que le processus d'unification se traduise également dans le domaine de l'administration de la justice. Par conséquent, il est paradoxal à mon sens qu'une matière qui nécessite fondamentalement des
réponses pratiques et simples permettant aux juges européens - de préférence, au cours de la première instance - de savoir rapidement s'ils sont ou non compétents internationalement ait été caractérisée, tant dans la jurisprudence que dans la doctrine, par un degré élevé d'abstraction qui a fait perdre de vue les problèmes que doivent affronter les opérateurs habituels du commerce juridique.
4 Je ne crois pas qu'il existe en matière de compétence internationale - pas plus qu'elles n'existent en matière de compétence interne - de raisons particulières qui militent en faveur de ce point de vue abstrait: la priorité ne doit pas consister à trouver la solution interprétative la plus parfaite en théorie, mais à fournir aux juges et aux justiciables des critères opérationnels.
II - Les faits du litige au principal
5 Les faits litigieux tels qu'ils résultent de l'arrêt de renvoi ainsi que des pièces versées au dossier qui l'accompagne peuvent être résumés de la manière suivante.
6 Deux conteneurs renfermant quelque mille cartons de bouteilles de vin ont été chargés au Havre, en France, à bord du navire «Suhadiwarno Panjan», battant pavillon indonésien, en vue de leur transport sous régime de connaissement jusqu'au port de Santos, au Brésil. Le transporteur était la société allemande Pro Line Limited and Co., dont le siège social est situé à Hambourg. Comme on a constaté à l'arrivée au port de destination que certaines marchandises manquaient et que d'autres présentaient des
défauts, neuf compagnies d'assurances sur facultés (ci-après les «assureurs»), dont le GIE Groupe Concorde était l'apériteur, ont indemnisé le destinataire pour un montant total de 666 279 FF. Subrogés dans les droits de ce dernier, les assureurs ont, par acte du 22 septembre 1991, assigné en réparation de leur préjudice le capitaine et l'armateur du navire, le transporteur Pro Line ainsi que la société suédoise qui assurait le navire au titre de la responsabilité civile devant le tribunal de
commerce de terre et de mer du Havre.
7 Pro Line et l'assureur suédois ont fait valoir chacun des clauses attribuant compétence exclusive aux tribunaux de Hambourg et de Göteborg, respectivement. Le tribunal de commerce a accueilli ces exceptions et décliné sa compétence par jugement du 3 janvier 1995. Les assureurs ont alors formé un contredit, un incident de procédure limité à la question de la compétence juridictionnelle. Statuant sur ce contredit, la cour d'appel de Rouen a confirmé, dans un arrêt du 24 mai 1995, le jugement
attaqué, en en modifiant toutefois la motivation. Pour la cour d'appel, bien que les clauses attributives de juridiction ne fussent point valables, au motif qu'elles ne remplissaient pas les conditions de l'article 17 de la convention, il convenait malgré tout d'écarter la compétence internationale des tribunaux français en application de l'article 5, point 1, de ladite convention. En effet, en vertu de cette dernière disposition, est compétent en matière contractuelle - outre le for général du
domicile du défendeur - le juge du lieu d'exécution du contrat, lieu qui - toujours selon la juridiction française - n'était autre que le port brésilien de Santos.
8 Les assureurs ont formé un pourvoi en cassation contre cet arrêt, en invoquant notamment la violation de l'article 5, point 1, de la convention de Bruxelles tel qu'il a été interprété par la Cour de justice depuis son arrêt du 6 octobre 1976, Tessili, précité.
9 La chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation (France) a confirmé l'incompétence des tribunaux français pour connaître de la demande dans la mesure où elle était dirigée contre le capitaine du navire. Toutefois, la haute juridiction a estimé que la compétence pour connaître de l'action en tant qu'elle était dirigée contre le transporteur soulevait une difficulté sérieuse d'interprétation de la convention de Bruxelles; par conséquent, conformément à l'article 1er du
protocole du 3 juin 1971 concernant l'interprétation par la Cour de justice des Communautés européennes de la convention de Bruxelles, elle a sursis à statuer et demandé à la Cour de dire:
«... si le lieu où l'obligation a été ou doit être exécutée au sens de [l'article 5, point 1, de la convention de Bruxelles] doit être déterminé conformément à la loi qui régit l'obligation litigieuse selon les règles de conflit de la juridiction saisie ou si les juges nationaux ne doivent pas déterminer le lieu d'exécution de l'obligation en recherchant, en fonction de la nature du rapport d'obligation et des circonstances de l'espèce, le lieu où la prestation a été, ou devait être, effectivement
fournie, sans avoir à se référer à la loi qui régit l'obligation litigieuse selon la règle de conflit du for».
III - Les dispositions applicables de la convention de Bruxelles
10 La convention de Bruxelles institue une règle générale de compétence juridictionnelle en son article 2, premier alinéa, aux termes duquel:
«Sous réserve des dispositions de la présente convention, les personnes domiciliées sur le territoire d'un État contractant sont attraites, quelle que soit leur nationalité, devant les juridictions de cet État.»
11 Parmi les compétences spéciales figure celle de l'article 5, point 1, lequel, pour autant qu'il intéresse la présente affaire, est rédigé de la manière suivante:
«Le défendeur domicilié sur le territoire d'un État contractant peut être attrait, dans un autre État contractant:
1) en matière contractuelle, devant le tribunal du lieu où l'obligation qui sert de base à la demande a été ou doit être exécutée...».
Par conséquent, cette dernière disposition crée une compétence exceptionnelle en vertu de laquelle le demandeur peut, dès lors que les conditions prescrites dans la norme sont réunies, choisir entre deux fors: celui du domicile du défendeur ou celui du lieu d'exécution de l'obligation contractuelle, qui est donc érigée en un cas de compétence concurrente ou facultative.
IV - Brève récapitulation de la jurisprudence
12 A titre de simple rappel, je passerai brièvement en revue la jurisprudence de la Cour relative à l'article 5, point 1, de la convention, dans la mesure où elle intéresse la présente affaire.
13 L'affaire Tessili, précitée, a donné lieu au premier arrêt rendu en la matière. La Cour a jugé à l'époque que le lieu d'exécution de l'obligation incombant au vendeur de garantir les vices cachés de la marchandise devait être déterminé par la loi applicable au contrat de vente selon les règles de conflit du juge saisi de la demande.
Dans un autre arrêt rendu le même jour, relatif à l'affaire De Bloos (5), la Cour a précisé, à propos de l'ancienne rédaction de l'article 5, que l'obligation contractuelle devant être prise en compte était celle qui servait de base à la demande (6).
14 La Cour a seulement admis une exception à la règle générale énoncée dans l'arrêt Tessili. Je fais allusion aux obligations découlant d'un contrat de travail. En effet, dans son arrêt Ivenel (7), la Cour a jugé que, parmi toutes les obligations nées d'un contrat de travail, il fallait prendre en considération, pour l'application de l'article 5, point 1, de la convention, exclusivement celle qui «caractérisait» le contrat. Cette obligation doit être réputée exécutée, en pratique, au lieu où le
travailleur fournit ses services (8). La Cour a refusé d'étendre cette interprétation à d'autres cas (9).
15 Dans son arrêt Custom Made, précité, et en dépit des conclusions de l'avocat général M. Lenz, qui l'invitaient à accepter la compétence du juge du lieu présentant les liens les plus étroits avec le litige, la Cour a préféré maintenir sa méthode traditionnelle: le juge devait déterminer le lieu d'exécution conformément à la loi applicable à l'obligation considérée, même lorsque cette loi incorporait la loi uniforme sur la vente internationale de 1964.
V - Les observations des comparantes
a) Les observations des parties à la procédure au principal
16 Les avocats du GIE Groupe Concorde et les autres demanderesses font valoir que, en posant à la Cour la présente question préjudicielle, la Cour de cassation l'invite en substance à abandonner sa jurisprudence bien établie et à interpréter de manière autonome la notion de «lieu d'exécution de l'obligation». Aucune circonstance plaidant en faveur de cette nouvelle orientation jurisprudentielle ne s'étant produite, les demanderesses au principal estiment que le lieu d'exécution des obligations d'un
contrat doit continuer à être déterminé conformément au droit matériel applicable en vertu des règles de conflit du juge saisi de l'affaire.
17 Les défenderesses Pro Line et la société assurant le navire parviennent, dans leurs observations, à une conclusion identique, non sans avoir souligné préalablement les importantes divergences qui subsistent encore entre les divers ordres juridiques européens en matière de détermination du lieu d'exécution d'une obligation contractuelle et leurs conséquences sur la prévisibilité souhaitable du for compétent en matière contractuelle.
b) Les observations des gouvernements intervenants
18 Le gouvernement allemand défend l'interprétation autonome du «lieu où l'obligation a été ou doit être exécutée». Selon lui, compte tenu de la diversité des types de contrats, il convient de définir le lieu d'exécution en fonction de chaque catégorie. En outre, afin de respecter le nécessaire équilibre entre les parties, le lieu d'exécution d'un contrat doit être déterminé, dans chaque cas, en fonction de la prestation concrète considérée.
Ainsi, dans le cas de contrats de cession ou de jouissance de biens passés à titre onéreux, lorsque la prestation caractéristique sert de base à la demande, le lieu d'exécution pourrait être défini comme étant celui où est sis le bien immobilier ou bien celui où, d'après les stipulations contractuelles, se trouve le bien mobilier.
Dans les contrats de prestation de services autres que le contrat de travail, le lieu d'exécution pourrait être celui où doit être fourni l'essentiel de la prestation en cause, lorsque celle-ci sert de base à la demande.
En revanche, lorsque le litige porte sur la contrepartie pécuniaire, le lieu d'exécution pourrait être défini comme se situant dans le ressort du for du défendeur au moment de la conclusion du contrat.
19 Le gouvernement du Royaume-Uni préconise également l'interprétation autonome de la notion de «lieu d'exécution». Selon ce gouvernement, cette solution non seulement irait dans le sens d'une plus grande sécurité juridique et d'une application plus juste et plus uniforme des droits et obligations découlant de la convention, mais elle permettrait en outre de réduire, en harmonie avec les objectifs de cette dernière, les possibilités de «nomadisme judiciaire» («forum shopping») (10).
Toujours selon le Royaume-Uni, l'application pratique d'une telle interprétation doit être effectuée au cas par cas. En ce qui concerne le cas d'espèce, comme il s'agit d'une action résultant de la livraison de marchandises défectueuses effectuée dans le cadre d'un contrat de transport, le lieu d'exécution de l'obligation est celui qui avait été convenu pour la réception de la cargaison.
20 Le gouvernement français admet à titre liminaire qu'il a été constaté que certaines juridictions nationales éprouvaient des difficultés à appliquer la jurisprudence Tessili, et que celle-ci a été à l'origine d'un certain manque de prévisibilité quant au for compétent dans les litiges portant sur des contrats. Toutefois, étant donné que les rapports d'obligation ne sont toujours pas soumis à un régime juridique uniforme, permettre au juge de désigner le lieu d'exécution en fonction des
circonstances de fait qui caractérisent chacun de ces rapports serait une source d'imprévisibilité, et donc d'insécurité juridique. Dans ces conditions, le gouvernement français estime qu'il n'est pas souhaitable d'accueillir la solution indirectement proposée par la Cour de cassation, et qui consisterait à donner du lieu d'exécution une interprétation autonome.
21 Le gouvernement italien reconnaît que l'article 5, point 1, de la convention de Bruxelles a donné lieu à des interprétations divergentes; c'est la raison pour laquelle l'opportunité de modifier ces dispositions en y introduisant un critère de rattachement uniforme est à l'étude. Il ne semble donc pas opportun, actuellement, d'abandonner la jurisprudence Tessili. Il suffirait pour l'instant d'introduire la réserve suivante: lorsqu'en application de l'article 5, point 1, c'est le for du demandeur
qui est compétent, celui-ci doit coïncider avec le for du lieu d'exécution de l'obligation, entendu dans un sens autonome et uniforme par le juge saisi.
c) Les observations de la Commission
22 Selon la Commission, la solution que la Cour adopte dans son arrêt Tessili a revêtu depuis le début un caractère conjoncturel, dans la mesure où il n'était pas possible, à l'époque, de parvenir à une interprétation communautaire garantissant l'application uniforme de l'article 5, point 1, de la convention de Bruxelles. La Commission indique ensuite que cette solution donne lieu à certaines difficultés tant théoriques que pratiques. En effet, le juge saisi du litige doit rechercher d'abord,
conformément à ses propres règles de conflit, quel est le droit applicable à l'obligation litigieuse pour déterminer ensuite le for compétent en application de ce droit. Or, cette méthode s'écarte de la règle générale du droit international privé, en vertu de laquelle la détermination du juge compétent est indépendante de celle de la loi applicable.
Par conséquent, la Commission propose à la Cour d'interpréter de manière autonome l'expression «lieu d'exécution». Cette solution s'impose notamment en matière de contrats de transport maritime, dont les caractéristiques spécifiques rendent difficile l'application effective de la jurisprudence Tessili. Après avoir analysé les possibilités d'interprétation disponibles pour déterminer le lieu de l'obligation de livrer les marchandises sans avaries dans le cadre d'un contrat de transport maritime
international, la Commission retient le «lieu où les marchandises ont été ou doivent être livrées».
VI - L'analyse de la solution adoptée dans l'arrêt Tessili
23 La question préjudicielle que pose la Cour de cassation à la Cour de justice ne semble pas devoir retenir, en principe, l'attention de sa formation plénière. En effet, il s'agit d'interpréter l'article 5, point 1, de la convention de Bruxelles, c'est-à-dire de s'interroger sur ce qu'il faut entendre par «lieu d'exécution de l'obligation litigieuse» aux fins de ce code de procédure européen. Or, la Cour s'est prononcée sur cette même question depuis 1976 déjà, dans ce qui devait être son premier
arrêt rendu à propos de la convention de Bruxelles. Pour savoir s'il est compétent, le juge saisi de la demande «doit déterminer, en vertu de ses propres règles de conflit, quelle est la loi applicable au rapport juridique en cause et définir, conformément à cette loi, le lieu d'exécution de l'obligation contractuelle litigieuse» (11). Cette jurisprudence a été confirmée récemment, dans les mêmes termes, à l'occasion de l'affaire Custom Made (12) dans le cadre d'un renvoi préjudiciel du
Bundesgerichtshof. La Cour propose depuis plus de vingt ans une solution quasiment sans failles (13).
24 Il est vrai que, par rapport à la jurisprudence Tessili, l'affaire Custom Made contenait un élément nouveau, dans la mesure où la loi applicable au rapport de droit résultait non des règles de conflit, mais du droit uniforme, d'origine conventionnelle, relatif aux transactions internationales; il s'agit en l'occurrence de la loi uniforme sur la vente internationale des objets mobiliers corporels, annexée à la convention de La Haye du 1er juillet 1964. Toutefois, cette référence n'est pas valable
en l'espèce. La Cour de cassation n'indique aucune particularité du présent litige qui soit de nature à justifier une réponse de la Cour autre que celle qu'elle a déjà donnée à propos des affaires précitées Tessili et Custom Made. On ne peut pas dire non plus - à mon avis du moins - que les circonstances qui ont été à la base de l'arrêt Custom Made aient sensiblement varié. En reposant la question de l'interprétation de l'article 5, point 1, de la convention, la Cour de cassation s'est fondée sur la
faculté dont jouissent les juridictions nationales, et qui a été reconnue par la Cour pour les questions posées en application de l'article 177 du traité CE, d'interroger la Cour, lorsqu'elles le jugent opportun, sur des questions déjà résolues (14).
25 La convention de Bruxelles consacre une règle générale («actor sequitur forum rei»), connue de la quasi-totalité des ordres juridiques, selon laquelle est compétent le juge du lieu du domicile du défendeur (15). Toutefois, outre cet authentique for général, la convention crée d'autres chefs de compétence, spéciaux ou optionnels, d'une part, et exclusifs, d'autre part. Parmi les premiers figure celui qui nous intéresse aujourd'hui: le demandeur peut saisir le juge du lieu où «l'obligation qui sert
de base à la demande a été ou doit être exécutée». J'exposerai plus loin la raison d'être de ce for spécial. Il suffit de dire pour le moment que le demandeur qui entend faire valoir en justice un droit découlant d'une obligation contractuelle peut saisir, à sa convenance, au moins deux juges: celui du domicile du défendeur et celui du lieu d'exécution de l'obligation.
26 La notion de lieu d'exécution d'une obligation, apparemment simple, débouche rapidement sur de multiples interrogations: que faut-il entendre par «matière contractuelle»? De quelle obligation s'agit-il? De l'obligation de livrer la chose ou d'effectuer la prestation, par exemple, ou de l'obligation de payer le prix? Comment détermine-t-on le lieu d'exécution? Conformément à quel droit? A celui du for? A quel autre droit?
27 La Cour, dès son arrêt Tessili, a donné une réponse à toutes ces questions. Premièrement, tant la notion d'«obligation» que celle de «matière contractuelle» doivent être interprétées de manière autonome (16), c'est-à-dire indépendamment des notions employées par les ordres juridiques nationaux. Ensuite, le juge doit qualifier l'obligation qui sert de base à la demande et rechercher quel est le droit applicable à cette obligation pour, finalement, déterminer le lieu d'exécution désigné en vertu de
ce droit. S'il coïncide avec celui de son propre for, il est compétent; il ne l'est pas dans le cas contraire.
28 En théorie, la solution Tessili paraît techniquement impeccable. Dans un monde idéal, où les normes juridiques sont dépourvues d'ambiguïté et où les juges sont omniscients, elle permet des solutions prévisibles et uniformes qui respectent à la fois la lettre - et peut-être même l'esprit - de la convention. La pratique réserve toutefois plus d'une surprise désagréable. En effet, la jurisprudence Tessili oblige le juge à effectuer successivement trois opérations relativement ardues du point de vue
juridique. Il devra, en premier lieu, compte tenu des éléments dont il dispose, qualifier ou caractériser l'obligation contractuelle qui sert de base à la demande. A cette fin, il constatera qu'il s'agit en effet d'un rapport juridique contractuel et classera le rapport d'obligation dans les catégories généralement admises (contrats de vente, de transport, de cession, de crédit, entre autres). Cette première tâche, peut-être la plus simple, n'est pas toujours exempte de difficulté. Par exemple,
comment faut-il qualifier les liens qui unissent l'association à ses membres? Ou encore, quelles sont les limites du droit à indemnisation d'origine contractuelle par rapport au droit à indemnisation d'origine délictuelle? Il lui faudra, en tout cas, procéder à un premier approfondissement des conditions de la demande.
29 Ensuite, le juge devra rechercher si le rapport de droit dont il est saisi est ou non soumis à un régime international uniforme, tâche que la prolifération constante de conventions internationales en la matière complique parfois plus qu'elle ne la simplifie. Si tel n'est pas le cas, il devra recourir à ses propres règles de droit international privé pour découvrir quelle loi est applicable ou, depuis son entrée en vigueur, à la convention de Rome du 19 juin 1980 relative à la loi applicable aux
obligations contractuelles. Ce travail peut nécessiter une analyse plus approfondie encore des aspects touchant au fond du litige. Tout praticien du droit connaît les difficultés que comporte tout recours aux règles de conflit d'un ordre juridique donné, difficultés dont l'importance n'a d'égale que la fascination que provoque leur étude parmi les professeurs d'université.
30 Dans un troisième temps, une fois identifiée la loi applicable, le juge devra définir quel est, en vertu de cette loi, le lieu d'exécution de l'obligation litigieuse. S'il ne trouve pas de règles uniformes à cet égard, il sera obligé de les déduire soit de son propre droit, soit d'un droit étranger. Les difficultés qu'implique cette dernière hypothèse, qui tiennent tant au for du juge qu'à la loi applicable en cause, peuvent s'avérer pratiquement insurmontables. En tout cas, la détermination du
lieu d'exécution d'une catégorie déterminée d'obligation se heurte à l'antipathie générale que la plupart des ordres juridiques professent à l'égard des définitions abstraites. A l'exception, peut-être, des obligations de payer une somme d'argent, les ordres juridiques nationaux se contentent d'habitude d'un renvoi général à la volonté, tacite ou expresse, des parties. Une situation qui oblige le juge à approfondir encore davantage l'examen au fond (17).
31 Tous ces efforts auront servi, dans le meilleur des cas, à confirmer la compétence du juge saisi de la demande; dans le pire, à écarter l'application de l'article 5 ou à désigner comme étant compétents les tribunaux d'un autre État membre, lesquels, s'ils sont saisis d'une nouvelle demande, devront néanmoins effectuer une analyse identique pour vérifier leur compétence.
32 Je me propose à présent d'appliquer à la présente affaire les étapes que je viens d'exposer.
VII - L'application de la jurisprudence Tessili à la présente affaire
33 Les demanderesses au principal sont des sociétés d'assurances. Elles ont assuré le transport par voie maritime de certaines marchandises entre les ports du Havre, en France, et de Santos, au Brésil. A l'arrivée au port de destination, on a découvert que la marchandise assurée avait subi des avaries; les sociétés d'assurances ont donc indemnisé le destinataire. Subrogés dans les voies de recours et les droits de ce dernier, les assureurs se retournent contre les responsables du transport (le
capitaine du navire, la compagnie de navigation qui en est propriétaire, l'entreprise de transport et la société d'assurances couvrant la responsabilité civile du navire) en introduisant devant une juridiction de première instance du Havre la demande qui est à l'origine de la présente affaire.
34 Contraint d'examiner sa propre compétence, le juge du Havre aurait dû, en application de la jurisprudence Tessili, rechercher, au moyen d'une interprétation autonome, s'il se trouvait devant une action d'origine contractuelle. Il ne semble pas que cette question ait pu retenir excessivement notre juge. Il s'agit, sans aucun doute, d'une action dont l'origine réside, au moins indirectement, dans un contrat de transport de marchandises. Cela n'est vrai, en réalité, que de l'action engagée contre le
transporteur. Il est probable que, à l'égard des autres défendeurs, le fondement de l'action en indemnisation ait été délictuel. Dans ce dernier cas (18), et en application de la jurisprudence de la Cour, le juge aurait dû écarter, à l'égard de ces derniers, l'application de l'article 5, point 1, de la convention puisqu'il ne s'agissait pas d'obligations en «matière contractuelle» (19).
35 Une fois établie la nature contractuelle de l'action, tout au moins en ce qui concerne l'un des défendeurs, le juge devait déterminer l'obligation concrète qui sert de base à la demande. Comme - ainsi que l'a déclaré la Cour - «dans les cas où le demandeur fait valoir son droit au paiement de dommages-intérêts ... l'obligation visée par l'article 5, point 1, est toujours celle découlant du contrat et dont l'inexécution est invoquée pour justifier de telles demandes» (20), il est clair que
l'obligation que le juge aurait dû considérer comme déterminante est l'obligation de transporter la marchandise livrée au port de destination sans avaries.
36 Ensuite, le juge devait déterminer le droit applicable; à cette fin, et toujours selon la jurisprudence Tessili, il devait utiliser ses propres règles de conflit. Les éléments de rattachement contenus dans les règles de conflit en matière contractuelle sont extrêmement variés. Imaginons - en restant dans un domaine purement hypothétique - qu'auraient pu entrer en considération, successivement, la loi choisie par les parties, la loi nationale commune des parties, celle du lieu de conclusion et, en
dernier lieu, celle du lieu d'exécution du contrat. Faute de toute indication sur la loi choisie par les parties, lesquelles n'ont pas, semble-t-il, la même nationalité, et vu qu'il peut exister des doutes sérieux quant au lieu de conclusion du contrat - dans la mesure où il unit un transporteur et un destinataire des marchandises par le biais de la remise à ce dernier du connaissement -, il est probable que le juge soit amené à déterminer le droit applicable au contrat en fonction ... du lieu de
son exécution!
37 Imaginons ensuite que le juge saisi de l'affaire soit parvenu à la conclusion, en se référant à la volonté expresse ou supposée des parties ou en recourant à une norme impérative ou supplétive dans le cadre de son examen conflictualiste (21), que le droit applicable soit le droit brésilien. Il lui faudra encore rechercher quel lieu ce droit désigne comme étant le lieu d'exécution de l'obligation de transport maritime. Comme il est peu probable qu'un juge français de première instance ait des
connaissances suffisantes du droit brésilien ou dispose de moyens appropriés pour le comprendre, il abandonnera probablement une méthode si compliquée pour appliquer une autre solution, qui tienne compte, si possible, des circonstances propres de l'espèce.
38 Si, d'aventure, le juge français dispose des connaissances nécessaires de droit brésilien, il s'avérera, selon toute probabilité, que le droit de ce pays - comme tout autre système juridique - préfère s'abstenir de donner des définitions abstraites en matière contractuelle, en confiant la définition des éléments du contrat à l'accord des parties. Si les éléments dont il dispose lui permettent de déduire que la volonté des parties a été de convenir que le lieu d'exécution de l'obligation était le
port de destination de la marchandise, il devra considérer que c'est le port de Santos qui a été désigné.
39 Dès lors qu'un lieu situé au Brésil est désigné comme étant le lieu d'exécution de l'obligation contractuelle, il ne reste d'autre choix au juge français que de se déclarer incompétent et de s'abstenir de connaître ultérieurement de la demande en ce qui concerne l'application de l'article 5, point 1, de la convention. La difficulté réside dans le fait que cette convention dispose, pour ce qui nous intéresse ici, au premier alinéa de cet article, que «le défendeur domicilié sur le territoire d'un
État contractant peut être attrait dans un autre État contractant». En effet, lorsque le juge constate que l'action exercée devant lui sur la base d'une obligation qui a été ou doit être exécutée «en dehors du territoire des États contractants, il n'a d'autre choix que de conclure que le lieu prévu par l'article 5, [point] 1, de la convention ne peut aboutir à fonder une compétence à l'intérieur de ce territoire et que cette disposition ne saurait donc trouver application» (22).
40 Que l'on me permette d'indiquer, simplement à titre d'exemple, que, si la demande avait été présentée en Espagne, le juge aurait appliqué la loi à laquelle les parties à l'acte juridique s'étaient expressément soumises, à condition qu'elle ait eu un lien avec l'acte en cause; faute de choix exprès, la loi nationale commune des parties; à défaut, la loi de la résidence habituelle commune, et, enfin, la loi du lieu de conclusion du contrat (23). Les indications contenues dans l'arrêt de renvoi ne
permettent pas de savoir quelle loi aurait été appliquée mais, selon toute probabilité, pour la rechercher, il aurait fallu préciser la signification de termes tels que «résidence habituelle», s'agissant de sociétés et de leurs établissements, ou «lieu de conclusion du contrat», en cas de «contrats conclus à distance».
41 Toutefois, je crois pouvoir déduire des données dont je dispose que le juge français aurait dû faire appel, pour déterminer la lex causae, à la convention de Rome du 19 juin 1980 sur la loi applicable aux obligations contractuelles. En effet, cette convention est entrée en vigueur, en ce qui concerne la République française, le 1er avril 1991, tandis que la demande a été introduite auprès de la juridiction du Havre le 22 septembre 1991 (voir le point 6 ci-dessus). Ainsi, la solution aurait été
quelque peu plus simple et, bien entendu, uniforme dans l'ensemble des États contractants; toutefois, elle n'aurait pas permis, en elle-même, d'éliminer le risque d'interprétations divergentes. En effet, l'article 4, paragraphe 1, de cette convention prévoit, à défaut de loi choisie par les parties, que le contrat est régi par la loi du pays avec lequel il présente les liens les plus étroits. Pour ce qui nous intéresse ici, le paragraphe 4 du même article prévoit que, «si le pays dans lequel le
transporteur a son établissement principal au moment de la conclusion du contrat est aussi celui dans lequel est situé le lieu de chargement ou de déchargement ou l'établissement principal de l'expéditeur, il est présumé que le contrat a les liens les plus étroits avec ce pays». Il ne semble pas que ce soit le cas; par conséquent, le seul critère permettant de choisir le droit applicable est tout simplement celui des «liens les plus étroits» de l'article 4, paragraphe 1.
42 Si le contrat a été conclu en France et que l'avarie a été imputable à une erreur de chargement ou d'arrimage, on pourrait soutenir que c'est ce pays qui présente les liens les plus étroits avec l'obligation contractuelle, et donc que le droit français est applicable. Si, au contraire, on estime que, du point de vue de l'obligation litigieuse, l'activité concrète de déchargement ou l'état dans lequel se trouvaient les marchandises revêtent une importance plus grande, le Brésil sera le pays
désigné et c'est son droit qui s'appliquera. En matière d'obligations caractéristiques, le recours à la lex causae ne fait que déplacer le moment d'incertitude, et avec lui le risque subséquent d'éclatement de la compétence, à une étape intellectuelle ultérieure, sans pour autant l'éliminer.
43 Toutefois, une fois que la loi applicable au contrat a été identifiée, les difficultés de définition du lieu d'exécution qu'elle comporte restent intactes, ainsi que les problèmes relatifs au caractère inapproprié du renvoi à la lex causae pour résoudre des questions de compétence; c'est un point que j'aborderai ultérieurement.
VIII - La critique de la jurisprudence Tessili
44 Les critiques adressées à la jurisprudence établie par les arrêts Tessili et Custom Made se sont concentrées essentiellement sur deux aspects: la difficulté pratique à laquelle se heurte son application et les conséquences indésirables résultant de la recherche de la loi matérielle applicable pour trancher une question de compétence juridictionnelle. Parmi ces effets indésirables, il faut citer le fait que le for du domicile du demandeur en tant que for général en matière contractuelle est imposé
de plus en plus souvent.
a) Les difficultés d'application de la jurisprudence Tessili
45 Comme je l'ai déjà indiqué, la jurisprudence Tessili impose au juge saisi de la demande une triple opération: qualification autonome de l'obligation qui sert de base à la demande; détermination de la loi applicable à cette obligation selon ses propres règles de conflit; définition du lieu d'exécution de l'obligation conformément à cette loi.
46 Je pense avoir démontré suffisamment, à travers l'exemple du cas d'espèce, que la méthode Tessili est, pour le moins, extrêmement laborieuse, surtout lorsqu'on l'évalue par rapport au seul objectif qu'elle poursuit: déterminer si le juge qui est saisi d'une demande est compétent (24). Cette complexité a suscité de nombreuses critiques dans la doctrine, mais a provoqué également - et c'est plus grave - une désaffection sensible des juridictions nationales. Bref, la jurisprudence Tessili n'est pas
suivie (25). Et dans les cas où elle est effectivement respectée, cela est souvent dû au fait que la loi applicable à l'obligation en cause est la loi du for (26), c'est-à-dire la loi que le juge connaît le mieux, ou, le cas échéant, le droit uniforme international.
47 Il me faut préciser que, à mon sens, l'application correcte de la jurisprudence Tessili exige que le juge non seulement parcoure les étapes du raisonnement précitées dans son for intérieur, mais qu'il les explicite et les motive. N'applique pas la jurisprudence Tessili le juge qui, dans sa décision, se borne à indiquer un lieu d'exécution de l'obligation litigieuse aux fins de l'article 5, point 1, qui coïncide avec celui qu'aurait entraîné l'application correcte de la jurisprudence en question.
48 Lorsque le juge n'applique pas la méthode conflictualiste, il se base généralement sur les circonstances de l'espèce pour déterminer le lieu d'exécution (27). Enfin, il y a eu des cas de véritable «rébellion» contre la jurisprudence Tessili: il faut citer, en raison de ses particularités, celle menée par la Cour de cassation, juridiction de renvoi dans le présent litige (28).
49 Toutefois, ce qui est peut-être le plus décourageant dans l'exercice ardu qui est exigé du juge national, c'est que, dans la pratique, le résultat qu'il obtiendra sera soit le lieu du domicile du défendeur, auquel cas il suffisait d'appliquer le for général prévu à l'article 2 de la convention, soit le domicile du demandeur, en contradiction non seulement avec la plupart des traditions procédurales européennes, mais également avec l'économie même de la convention de Bruxelles, sans que rien ne
garantisse que l'un de ces lieux soit celui qui est situé le plus près du litige, critère qui constitue la justification spécifique de l'article 5, point 1, comme on le verra plus loin. Cela se produit notamment en matière d'obligations de payer un prix.
b) Le recours à la lex causae pour résoudre des questions de compétence est inapproprié
50 La seconde grande critique adressée à la méthode retenue par la Cour pour interpréter l'article 5, point 1, consiste à déplorer la transposition dans le domaine de la compétence juridictionnelle de critères qui ont leur raison d'être dans le droit matériel, opérée en transférant des éléments propres aux règles de conduite dans le domaine de règles conceptuelles ou constitutives telles que les règles de compétence (29). Une telle transposition anéantit également la prétendue pureté théorique que
l'on a voulu voir dans la méthode Tessili.
51 En somme, la critique porte essentiellement sur l'instauration d'un for général, en matière contractuelle, qui coïncide avec le domicile du demandeur ou, plutôt, du vendeur.
52 En effet, il est incontestable que le type de contrat le plus fréquent dans les relations commerciales internationales est le contrat de vente. Par ailleurs, la plupart des litiges ont pour objet le paiement du prix convenu. En ce qui concerne le lieu où le paiement doit être effectué, deux tendances ont coexisté traditionnellement en Europe: le lieu du domicile du débiteur (Allemagne, Belgique, Espagne, France) et le lieu du domicile du créancier (Danemark, Grèce, Irlande, Italie, Pays-Bas,
Royaume-Uni). La première option a subi une érosion continue en faveur de la seconde. Ainsi, l'article 59, paragraphe 1, première phrase, de la loi uniforme sur la vente internationale de 1964 déclarait que le lieu d'exécution de l'obligation de payer le prix de vente est le lieu où est établi le vendeur ou, en l'absence d'établissement, le lieu où il a sa résidence habituelle. L'article 57 de la convention des Nations unies sur la vente internationale de marchandises, qui est entrée en vigueur le
1er janvier 1988, généralise, encore davantage si possible, l'obligation d'effectuer le paiement au domicile du vendeur.
53 Dans l'ordonnance de renvoi qui est à l'origine de l'affaire Custom Made, le Bundesgerichtshof se demandait, à juste titre, s'il devait rechercher le lieu d'exécution selon la lex causae «même dans une matière régie par le droit uniforme de la vente, ce qui conduirait à généraliser le forum actoris dans les actions en paiement du prix de la chose achetée» (30).
54 En répondant de manière affirmative, la Cour facilitait, d'une part, le travail d'investigation du juge national, qui pouvait, à cette fin, se référer à un droit international uniforme. Cela permettait, en même temps, de renforcer les possibilités de parvenir à une réponse uniforme. Malheureusement, cela aggravait, d'autre part, la tendance pernicieuse à recourir à des critères de droit matériel pour résoudre des problèmes d'ordre procédural, comme le sont ceux qui ont trait à la compétence.
55 Il faut dire toutefois qu'en principe il n'y a rien de pernicieux - c'est tout à fait logique au contraire - dans le fait que, s'agissant d'une obligation contractuelle, le lieu de son exécution coïncide avec le lieu du domicile de l'une des parties, même si ce domicile est celui de la partie venderesse. Dans la plupart des contrats, il est d'usage en effet que les obligations respectives soient exécutées au domicile de l'une des parties. Ce qui n'est pas licite (31), c'est de dénaturer la
fonction propre du droit matériel, qui consiste, en l'occurrence, à répartir les risques contractuels entre les différentes parties, pour désigner des fors compétents qui soient conformes à ces mêmes critères de répartition. Il en est ainsi lorsque l'acceptation de plus en plus généralisée dans le domaine international du domicile du vendeur comme lieu d'exécution de l'obligation de paiement ouvre la porte, en vertu de la jurisprudence Tessili-De Bloos, à un vaste forum actoris en matière
d'obligations pécuniaires, sans aucun rapport avec le lieu où la contre-prestation caractéristique du contrat devait être exécutée. Le défendeur, qui alléguera en général que la prestation fournie n'est pas conforme à ce qui était convenu, se verra contraint de plaider devant un tribunal peut-être très éloigné de son domicile. Pour sa part, le juge saisi de la demande devra se déclarer compétent, même si, pour recueillir les éléments de preuve essentiels, c'est-à-dire pour vérifier la véracité des
allégations de non-conformité avancées par le défendeur, il doit recourir à de longues et coûteuses commissions rogatoires internationales.
56 Dans les conclusions qu'il a présentées dans l'affaire Custom Made, l'avocat général M. Lenz a consacré à ce problème la partie essentielle de sa critique de la jurisprudence de la Cour. Après avoir rappelé que, selon l'intention des rédacteurs de la convention, la notion de lieu d'exécution devait permettre de désigner une juridiction proche des faits, M. Lenz a souligné que «la règle de la lex causae relative au lieu d'exécution de l'obligation ... comporte ... des éléments qui ne servent qu'à
la répartition du risque ... et qui ne donnent pas d'indications fiables sur l'objectif économique des obligations du vendeur» (32). Il en résulte que cette règle n'est pas apte à désigner une juridiction proche des faits du litige.
Par conséquent, pour M. Lenz, le défaut principal de la méthode consistant à déterminer le forum contractus en fonction du droit matériel applicable en vertu des règles de conflit réside non pas tant dans une prétendue «antipathie» générale pour la compétence du for du défendeur - qu'il n'admet pas - que dans l'inutilité de cette méthode pour réaliser l'objectif spécifique de l'article 5, point 1, à savoir la création d'un for spécial en matière contractuelle qui soit proche des faits du litige.
57 Bien que la critique que je viens d'exposer soit tout à fait justifiée, force est de reconnaître qu'elle trouve son origine dans la jurisprudence De Bloos et l'isolement des obligations synallagmatiques qu'elle institue plus que dans la méthode Tessili. Comme je l'ai déjà indiqué plus haut, la controverse relative à la caractérisation correcte de l'obligation aux fins de l'article 5, point 1, sort de l'objet de la présente procédure. En effet, même si en l'espèce la prétention des demanderesses
au principal consiste à réclamer une somme d'argent, il est vrai qu'elles agissent en vertu d'une subrogation du destinataire de la marchandise et, partant, qu'elles exercent une action fondée sur l'obligation caractéristique du contrat, à savoir l'obligation de transporter la marchandise et de la livrer en bon état à son destinataire (33).
58 Je souhaiterais préciser toutefois que la détermination du lieu d'exécution par le biais de la lex causae contribue grandement à compliquer l'application pratique de la jurisprudence Tessili. Comme je l'ai indiqué précédemment, la principale préoccupation du droit matériel - en matière d'obligations contractuelles - consiste en général à répartir les responsabilités ou, en d'autres termes, le risque, entre les parties contractantes. Il s'ensuit que la législation civile ou commerciale régit
rarement, à défaut d'accord exprès entre les parties, ce qu'il faut entendre par lieu d'exécution d'une obligation. Ce que l'on définit en général légalement, c'est le moment à partir duquel la responsabilité est transférée de l'une des parties au contrat à l'autre partie. Il s'agit là, d'ordinaire, du seul indice que le droit matériel offre au juge pour lui permettre de définir ce que l'on pourrait entendre par lieu d'exécution (34). Je doute sérieusement qu'il soit légitime de définir le lieu
d'exécution d'une obligation en fonction des règles de répartition de charges contractuelles. Que se passe-t-il s'il est convenu que le transport s'effectue aux risques du destinataire? Cela signifie-t-il que, en déplaçant au port de chargement le moment du transfert de la responsabilité, on déplace en même temps le lieu où l'obligation doit être effectuée? Ou bien, lorsque la loi dispose que, dans certaines circonstances, le porteur n'est pas responsable des dommages résultant du fait que le navire
n'est pas en état de prendre la mer (35), cela implique-t-il, aux fins de l'action en inexécution qui pourra être engagée, que le porteur qui ferait valoir l'exception légale peut demander que soit considéré comme lieu d'exécution de son obligation le lieu où il a fait entreposer les marchandises dans le navire défectueux, au motif que c'est à cet endroit que sa responsabilité a pris fin dans l'affaire en question?
Les règles relatives à la répartition des risques commerciaux ne sont d'aucune utilité pour désigner le for compétent.
IX - Les objectifs poursuivis par l'article 5, point 1, de la convention
59 Toute tentative d'interpréter la disposition contenue au point 1 de l'article 5 de la convention de Bruxelles doit nécessairement avoir pour point de départ la détermination de l'objectif de ce que l'on a appelé le forum contractus. Quel est l'objectif assigné à l'article 5, point 1, dans le cadre de la convention de Bruxelles? Pourquoi peut-il créer un for spécialement compétent situé au lieu d'exécution d'une obligation contractuelle et non, par exemple, au lieu où le contrat a été conclu?
a) Les objectifs généraux de la convention de Bruxelles
60 L'article 5, point 1, s'inscrit dans le cadre de la convention, qui a été adoptée par les États membres sur la base de l'article 220 du traité CE, selon lequel «les États membres engageront entre eux, en tant que de besoin, des négociations en vue d'assurer, en faveur de leurs ressortissants: ... la simplification des formalités auxquelles sont subordonnées la reconnaissance et l'exécution réciproques des décisions judiciaires ainsi que des sentences arbitrales». Il est évident que la portée de
la convention de Bruxelles est beaucoup plus étendue que l'objectif précis fixé par l'article 220. Je souhaite toutefois insister sur les objectifs de «simplification» qu'il consacre.
Parmi les finalités poursuivies par la convention, son préambule met l'accent sur «la simplification des formalités» de l'article 220 (36), ainsi que sur la «protection juridique» des personnes établies dans la Communauté européenne (37).
61 Le corollaire de cette seconde préoccupation de «sécurité juridique» (38) qui inspire l'ensemble de la convention est de fournir au justiciable des solutions prévisibles.
62 Dans son arrêt Mulox IBC, la Cour a défini l'objectif que doit assurer l'application uniforme de la convention, et qui consiste à «unifier les règles de compétence des juridictions des États contractants, en évitant ... la multiplication des chefs de compétence judiciaire à propos d'un même rapport juridique, et à renforcer la protection juridique des personnes établies dans la Communauté, en permettant à la fois au demandeur d'identifier facilement la juridiction qu'il peut saisir, et au
défendeur de prévoir raisonnablement celle devant laquelle il peut être attrait» (39).
b) Les objectifs spécifiques de l'article 5, point 1, de la convention
63 Les grands objectifs qui inspirent la convention de Bruxelles dans sa globalité se reflètent avec la plus grande clarté dans ce qu'il est convenu d'appeler son for général, c'est-à-dire celui du domicile du défendeur. En effet, ce for répond simultanément et d'une manière appropriée aux objectifs d'uniformité, de prévisibilité, de regroupement de la compétence, de facilité de désignation et de protection juridique. Toutefois, la convention a voulu se doter d'un nombre limité de fors spéciaux dont
la justification varie d'un cas à l'autre. Ainsi, en matière immobilière, l'article 16 déclare exclusivement compétent le juge de l'État de situation du bien immeuble en raison des avantages résultant pour l'administration de la justice de sa proximité avec l'objet du litige (40). De manière similaire, en matière d'assurances, l'assuré peut choisir de saisir le tribunal de son domicile afin de pouvoir bénéficier d'une protection juridique renforcée. Il ne fait donc aucun doute que l'adoption d'un
for spécial, optionnel, en matière contractuelle doit répondre également à une justification tout aussi spécifique.
64 Les objectifs propres à l'article 5, point 1, généralement mentionnés sont au nombre de deux: la proximité du tribunal déclaré compétent avec les faits litigieux et l'équilibre procédural entre les parties.
65 La justification de la proximité par rapport aux faits est reconnue depuis le rapport Jenard (41). Il ne fait aucun doute, en principe, que le fait que le juge soit proche du lieu où l'obligation litigieuse devait être exécutée semble de nature à faciliter, dans la majorité des cas, l'administration de la preuve. C'est là que se trouve en général la chose ou que doit être effectuée la prestation en cause. C'est à cet endroit également que l'on pourra joindre le plus facilement les témoins ou
procéder à moindres frais aux éventuelles expertises, en évitant de lentes et coûteuses commissions rogatoires. Or, cela n'est vrai, en réalité, qu'en ce qui concerne le lieu où doit être exécutée l'obligation caractéristique du contrat. C'est la raison pour laquelle je me déclarais plus haut partisan d'une rectification de la jurisprudence De Bloos en ce sens que ne serait plus prise en considération, aux fins de l'article 5, point 1, de la convention, l'obligation simplement pécuniaire et donc non
caractéristique du contrat. En effet, même lorsque le demandeur allègue le défaut de paiement de la prestation convenue, c'est le lieu d'exécution de l'obligation en nature qui est le mieux à même de désigner une juridiction proche du litige puisque, d'une part, le défendeur invoque généralement, pour sa défense, l'inexécution totale ou partielle de l'obligation incombant au demandeur et que, d'autre part, la preuve de l'exécution du paiement revêt en règle générale un caractère documentaire: c'est
pourquoi elle est, dans une plus grande mesure, indépendante d'un lieu concret à proximité duquel il conviendrait d'ériger un chef de compétence. De toute façon, je répète que ces considérations, même si elles sont importantes, n'ont pas d'incidence directe sur la solution du litige au principal, qui porte, comme on le sait, sur l'exécution de l'obligation caractéristique du contrat.
66 La Cour a admis cette justification dans sa jurisprudence en plus d'une occasion (42).
67 Personnellement, plus que d'un critère de «proximité par rapport aux faits», je pense qu'il faudrait parler d'un critère de «rattachement avec le contrat», dans la mesure où les liens du tribunal compétent avec le contrat peuvent être fondés sur de simples déclarations de volonté plutôt que sur des faits proprement dits. Il en est ainsi, habituellement, en cas d'inexécution totale de la prestation due. Dans un tel cas, le lieu où l'obligation devait être exécutée ne peut être déterminé qu'à
partir d'éléments de nature idéale.
Vu sous cet angle, le critère du lien tire une nouvelle légitimité - en dehors des considérations de bonne administration de la justice - du principe général de l'autonomie de la volonté des parties contractantes.
68 Certains auteurs ajoutent que la création du forum solutionis permet de répartir équitablement entre le demandeur et le défendeur les avantages et les risques liés à la détermination de la juridiction compétente (43). L'article 5, point 1, agirait ainsi comme un contrepoids à la règle générale de la compétence du for du domicile du défendeur.
69 Certains de ces auteurs utilisent cette prétendue finalité de la disposition précitée pour défendre une interprétation large de son contenu (44). Ils soutiennent que l'article 5 de la convention, lu en combinaison avec l'article 2, s'inspire de l'idée que, dans certains cas particuliers, l'intérêt du demandeur doit primer sur la protection du défendeur, et que, par conséquent, on lui accorde une option de compétence. L'effectivité de ce droit d'option requiert qu'il ne soit pas interprété
restrictivement; dans le cas contraire en effet, l'article 5, point 1, et l'article 2 pourraient se fondre en une seule et même disposition, le premier article se voyant privé de tout effet (45).
70 Je pense personnellement que cette dernière thèse, quoique originale, n'est pas suffisamment corroborée par les traditions juridiques des États membres pour qu'elle puisse être considérée comme authentique. En outre, je pense que cette justification n'est ni nécessaire ni utile. Il est vrai qu'en pratique, en désignant dans de nombreux cas le juge du domicile du demandeur, l'article 5, point 1, peut compenser dans une certaine mesure le for général. Toutefois, cette circonstance est davantage
liée au simple fait qu'en général les obligations doivent être exécutées là où réside au moins l'une des parties qu'à une prétendue intention de parvenir à un équilibre en matière de compétence entre les parties à un contrat.
c) Première conclusion provisoire
71 A ce stade de l'analyse, j'estime utile de formuler une première conclusion provisoire relative aux objectifs généraux et particuliers poursuivis - à mon avis - par l'instauration du forum contractus dans le cadre de la convention de Bruxelles.
Il résulte des considérations qui précèdent que l'interprétation appropriée de l'article 5, point 1, doit conduire à désigner comme for compétent celui qui est situé en un lieu qui présente un lien étroit avec l'obligation contractuelle considérée, lieu qui est déterminé dans le respect des exigences générales de prévisibilité, de regroupement de la compétence, d'uniformité des critères et de facilité de désignation.
X - Les méthodes d'interprétation possibles
72 Comme je l'ai déjà indiqué, le premier arrêt rendu par la Cour en application du protocole du 3 juin 1971 avait précisément pour objet l'article 5, point 1, de la convention de Bruxelles. Il s'agissait à l'époque de déterminer quel était le lieu d'exécution de l'obligation du vendeur de livrer une marchandise conforme aux conditions convenues. La société défenderesse au principal, Dunlop AG, exposait déjà à ce moment-là, dans ses observations écrites, les deux possibilités principales qui
s'offraient à la Cour: d'une part, une interprétation uniforme, sur la base d'éléments de droit comparé; d'autre part, une interprétation conflictualiste dépendant de la loi matérielle applicable dans chaque cas. En ce qui concerne cette dernière hypothèse, les avocats de Dunlop signalaient déjà le danger consistant à assimiler le lieu d'exécution de l'obligation à celui du domicile du vendeur, pour proposer finalement de retenir comme lieu d'exécution celui où la prestation doit être effectivement
fournie, à savoir celui qui est désigné par les circonstances de l'espèce, en fonction du rapport d'obligation en cause (46).
73 Plus de vingt ans se sont écoulés et, bien que l'article 5, point 1, ait été l'objet de plus de controverses judiciaires et ait davantage retenu l'attention de la doctrine qu'aucune autre disposition de la convention de Bruxelles, les solutions possibles sont en substance toujours les mêmes, à savoir:
a) l'interprétation uniforme dans le cadre de la convention, qui est indépendante en elle-même de celles qui prévalent dans les droits des États membres, même si elle s'en inspire, et que l'on appelle communément aujourd'hui «interprétation autonome»;
b) la méthode conflictualiste, généralement retenue par la Cour, et qui consiste à définir le lieu d'exécution de l'obligation en fonction de la loi matérielle applicable au cas d'espèce en vertu des règles de conflit du juge saisi de la demande;
c) la désignation du lieu d'exécution en fonction des circonstances particulières de l'espèce et de la nature du rapport d'obligation en cause; c'est la solution que semble suggérer la Cour de cassation (47).
74 Ces trois catégories, ainsi définies, doivent être comprises comme des instruments au service de l'analyse plutôt que comme de véritables options scientifiques parfaitement délimitées. En effet, la troisième variante est en réalité une sous-catégorie de la première. Cela engage, dans un premier temps, à choisir entre, d'une part, le recours à la lex causae et, d'autre part, l'interprétation autonome. Une fois ce choix effectué, il faut rechercher le critère d'interprétation qui réponde le mieux
aux exigences générales et particulières du forum executionis, telles que je les ai énumérées plus haut. En d'autres termes, j'estime prudent de distinguer entre méthodes et critères d'interprétation et d'examiner les unes et les autres successivement.
a) L'interprétation autonome
75 «Une interprétation autonome des termes utilisés dans la convention est préférable en principe, car cela contribue à garantir une application uniforme de la convention et donc à la réalisation de l'objectif qui la sous-tend, qui est d'unifier les règles de compétence des États contractants. Une telle unification est forcément gênée si la signification des termes utilisés dans la convention varie en fonction de la loi applicable.» J'approuve pleinement le point de vue exprimé par l'avocat général
M. Jacobs dans le cadre de l'affaire Mulox IBC (48).
76 L'interprétation autonome répond à l'un des objectifs fondamentaux de la convention de Bruxelles: parvenir à un degré élevé d'uniformité sur le territoire européen en ce qui concerne le traitement des questions de compétence internationale.
77 L'interprétation autonome contribue en outre à faciliter, dans une bonne mesure, l'application de la convention, en évitant le recours permanent à la loi applicable aux rapports de droit en cause. Comme je l'ai souligné précédemment à propos du locus solutionis, la nécessité d'interpréter les notions de la convention en recourant à la lex causae fait pénétrer dans le domaine de la simple désignation du for compétent les difficultés du problème de fond, aggravées par les spécificités de la
technique du conflit de lois (qualification, question préalable, ordre public et autres notions).
78 Il n'est pas surprenant que la Cour ait préféré employer, dans la quasi-totalité des cas, l'interprétation autonome. Ainsi, elle a interprété de manière autonome non seulement la notion de «matière contractuelle» (49), mais également, entre autres, celles de «matière civile et commerciale» (50), «matière délictuelle ou quasi délictuelle» (51), «créancier d'aliments» (52). Elle ne semble avoir écarté cette méthode que dans de très rares cas, à savoir ceux dans lesquels la convention elle-même
impose le recours au droit national (par exemple, en ce qui concerne la notion de domicile), et, précisément, celui de l'article 5, point 1, et même en ce qui concerne cette dernière disposition, uniquement pour ce qui a trait à la définition du «lieu d'exécution» (53).
79 L'interprétation autonome permet donc de respecter les objectifs d'uniformité de critères et de facilité de désignation. Dans les points suivants, j'insisterai sur le fait que, par rapport aux autres objectifs de la convention, la technique de l'arrêt Tessili ne présente aucun avantage.
b) La méthode conflictualiste
80 Les partisans de la solution conflictualiste soulignent en premier lieu les limites inhérentes à l'interprétation autonome des termes d'une convention internationale (54). Ils soutiennent en outre que rien ne permet de déduire que la compétence des tribunaux du domicile du demandeur est incompatible avec le for spécial du lieu d'exécution de l'obligation (55). Par ailleurs, ils estiment que la possibilité que le lieu défini en application de la lex causae ne présente aucun lien avec les faits
litigieux constitue un risque inhérent à tous les cas de compétence spéciale. La supposition que ce lien existe justifie la création du for spécial de l'exécution de l'obligation. Toutefois, lors de l'application de cette règle spéciale de compétence, le juge ne peut se laisser guider que par les critères formels adoptés par la convention (56).
81 La Cour elle-même justifie sa préférence pour le recours à la lex causae en invoquant la sécurité juridique et la prévisibilité (57).
82 A mon avis, le recours à la lex causae garantit uniquement, à la rigueur, une certaine tranquillité théorique. Il y a quelque chose d'attrayant dans l'apparente logique mathématique de la méthode Tessili, dans sa formulation abstraite. En réalité, la solution conflictualiste ne présente aucun avantage par rapport à l'interprétation autonome, mais bel et bien de nombreux inconvénients.
83 On pourrait interpréter de manière autonome le lieu d'exécution de l'article 5, point 1, en le faisant coïncider, par exemple, à défaut d'accord entre les parties (58), avec le «lieu présentant les liens les plus étroits avec le contrat». Cette possibilité est écartée catégoriquement, en dépit de son incontestable simplicité, parce qu'elle contraindrait le juge à approfondir le fond de l'affaire et qu'elle ouvrirait la porte, en raison de l'incertitude quant au résultat de l'appréciation des
faits qu'il serait amené à effectuer, à d'éventuelles solutions divergentes, et, en définitive, à la multiplication des chefs de compétence. Au contraire, selon les conflictualistes, confortés sur ce point par la jurisprudence persistante de la Cour, il faut en appeler à la lex causae. En d'autres termes, le juge saisi de la demande doit d'abord rechercher le droit applicable au rapport de droit litigieux. A cette fin, il utilise, depuis son entrée en vigueur, la convention de Rome du 19 juin 1980
sur la loi applicable aux obligations contractuelles; l'article 4, paragraphe 1, de cette convention prévoit que, à défaut de choix de la loi applicable, «le contrat est régi par la loi du pays avec lequel il présente les liens les plus étroits». Suivent une série de dispositions qui obligent le juge à approfondir de plus en plus le fond de l'affaire (instauration de présomptions et des exceptions y relatives, nature et objet du contrat, définition de la prestation caractéristique). La solution
conflictualiste se borne à différer à un moment ultérieur de l'analyse du juge l'inévitable appréciation des éléments de fond du litige. En outre, je ne vois pas pourquoi le critère des liens les plus étroits, consacré par la convention de Rome de 1980, devrait permettre des solutions plus uniformes que celles basées sur le critère - lui aussi relativement indéterminé - du lieu d'exécution.
84 La différence entre les deux méthodes réside dans le fait que, tandis que le juge qui préférerait l'interprétation autonome disposerait déjà d'une réponse, avec les éventuelles erreurs et déficiences qui, en droit, science non exacte, sont inévitables, celui qui opterait pour la voie conflictualiste devrait encore définir, conformément à la loi qu'il a jugée applicable, le lieu d'exécution de l'obligation litigieuse. Si la loi du for, que le juge connaît le mieux, est applicable, la tâche sera
plus aisée; si, en revanche, c'est la loi étrangère, peut-être très lointaine, qui s'applique (59), l'exercice se complique sensiblement. S'il s'agit, comme dans notre cas, de l'obligation caractéristique du contrat, n'importe quel droit consulté répondra sans doute que le lieu d'exécution est celui choisi par les parties et, en l'absence d'accord à ce sujet, qu'il convient de désigner ce lieu à la lumière des circonstances propres au rapport d'obligation en cause, c'est-à-dire au moyen d'une
appréciation des faits. Par conséquent, on revient au point de départ.
En résumé, la méthode consacrée dans l'arrêt Tessili ne garantit pas davantage de sécurité juridique qu'une interprétation autonome et complique inutilement la tâche du juge saisi de la demande.
85 En outre, rien ne garantit que la méthode Tessili désigne un tribunal plus proche des faits ou plus étroitement lié à l'obligation en cause que celui qui serait désigné en recourant à une interprétation autonome.
c) Seconde conclusion provisoire
86 J'en arrive ainsi à la seconde conclusion provisoire de mon analyse. La méthode autonome présente d'incontestables avantages par rapport à l'interprétation conflictualiste, notamment en ce qui concerne l'uniformité des critères et la facilité de désignation du for compétent en application de l'article 5, point 1. Quant aux objectifs de prévisibilité, de regroupement de la compétence, de la proximité ou du lien, la méthode Tessili ne réussit qu'à différer le recours à un élément de rattachement
qui impose une recherche des faits de la cause. Toutefois, en raison de sa complexité technique, la solution conflictualiste favorise les erreurs lors de son application, et même de sa non-application, avec l'insécurité juridique que cela comporte.
XI - Le critère d'interprétation proposé par l'avocat général M. Lenz
87 Parmi les différents critères qui s'offrent dans le cadre d'une interprétation autonome, j'estime utile de m'arrêter à la proposition formulée par M. Lenz à propos de l'affaire Custom Made.
M. Lenz a commencé sa construction originale en rappelant qu'un for qui a été désigné comme étant compétent en vertu d'un concept tiré du droit matériel ne se justifie que pour des raisons de procédure, en particulier, par le fait que ce for est proche des faits litigieux. Ainsi, il faut distinguer clairement - du point de vue de M. Lenz - entre la répartition de risques économiques, effectuée par le droit matériel, et les raisons procédurales qui font l'objet de l'article 5. Confondre ces deux
notions est dangereux: en vertu de la loi uniforme sur la vente (et, en particulier, de son article 59, paragraphe 1), c'est-à-dire le droit matériel applicable en vertu de la jurisprudence Tessili, on arriverait à créer, dans le cadre de l'article 5, point 1, une véritable compétence générale du domicile du demandeur.
Je fais mienne la préoccupation de M. Lenz, bien que je continue à penser que les difficultés pratiques de son application et l'inévitable risque de divergences et d'insécurité juridique qu'elle entraîne constituent le principal défaut de la méthode conflictualiste.
88 M. Lenz a proposé que, étant donné que pour des litiges portant sur le paiement du prix - lorsque la conclusion du contrat elle-même n'est pas litigieuse - il s'agit dans la plupart des cas de la question de savoir si la prestation (du vendeur) a été fournie de manière régulière, le tribunal compétent en application de l'article 5, point 1, est celui qui est le mieux à même d'apprécier la régularité de cette prestation.
89 Comme le reconnaît M. Lenz lui-même, sa proposition suppose une certaine relecture de l'arrêt De Bloos, dans la mesure où il faut entendre par «obligation contractuelle» uniquement «celle qui est nettement plus susceptible de permettre de déterminer une juridiction proche des faits que l'obligation litigieuse» (60). Selon la thèse de M. Lenz, la jurisprudence Tessili continuerait à s'appliquer non pas à la détermination du lieu d'exécution de l'obligation litigieuse, mais à la prestation
(matérielle) de l'autre partie (point 78). Toutefois, l'avocat général émet ensuite une «réserve»: «Or, si nous nous sommes servis des éléments précités lorsque nous avons examiné les règles relatives au lieu d'exécution de l'obligation de paiement pour nous écarter du droit matériel du contrat, au motif que ces règles ne pouvaient servir à déterminer une juridiction proche des faits du litige, il semblerait illogique, lors de l'examen des règles relatives au lieu d'exécution de l'obligation de
livraison du vendeur, d'utiliser une autre méthode». Et M. Lenz conclut en proposant une interprétation complètement autonome du lieu d'exécution en l'espèce: «... pour les litiges portant sur le paiement du prix dû qui surviennent en raison du caractère défectueux allégué par l'acheteur de la chose fournie par le vendeur... la juridiction du lieu de destination de la livraison est en général plus proche des faits que celle du lieu de l'expédition. Cela vaut indépendamment du point de savoir lequel
de ces deux lieux est le `lieu d'exécution' au sens du droit matériel» (point 80). Et c'est cette même juridiction que l'avocat général propose de désigner comme étant compétente aux fins de l'article 5, point 1, de la convention.
90 En somme, la solution de l'avocat général M. Lenz suppose une certaine rectification de la jurisprudence De Bloos (en introduisant, sous une autre dénomination, la notion d'obligation caractéristique) et, en pratique, l'abandon de la jurisprudence Tessili en faveur d'une interprétation autonome, selon laquelle le forum contractus est celui du lieu le plus proche des faits.
91 Bien que je souscrive à l'orientation de mon éminent collègue, je diffère sur le point du critère minimal abstrait de l'interprétation autonome qui a la préférence de M. Lenz, à savoir la proximité par rapport aux faits. Cette dernière ou, si l'on veut, le lien avec le contrat, en tant qu'objectifs de la disposition, sont le résultat prévisible de la détermination autonome et non le critère d'interprétation.
92 M. Lenz conclut en proposant à la Cour de répondre que le lieu d'exécution des obligations découlant d'un contrat d'entreprise au sens de l'article 5, point 1, de la convention est le lieu de destination de la livraison (61).
93 Ce point m'amène à ce qui constitue peut-être la principale critique (ou la principale crainte) dont a fait l'objet l'interprétation autonome ainsi entendue, et qui consiste à dire qu'elle contraindrait la Cour à procéder à une définition au cas par cas du lieu d'exécution de chacune des innombrables catégories de contrat (62).
94 A mon sens, il est illusoire de penser qu'il est possible de procéder à un recensement exhaustif de toutes les formes d'obligations contractuelles présentes et futures et à l'attribution abstraite, à chacune d'elles, d'un lieu d'exécution spécifique. L'autonomie de la volonté est insaisissable. En outre, cet exercice obligerait les juridictions nationales, faute d'une plus grande précision du texte de la convention, à interroger la Cour chaque fois qu'elles se trouveraient confrontées à une
nouvelle catégorie d'obligation - les cas de figure sont potentiellement innombrables - en trahissant ainsi les objectifs de simplification de la convention. Tout critère d'interprétation doit être simple et univoque.
XII - La solution que je propose: la désignation du lieu d'exécution en fonction des circonstances particulières de l'espèce et du rapport d'obligation en cause
a) L'opportunité d'un revirement de jurisprudence
95 Les difficultés qu'entraîne la jurisprudence arrêtée dans l'arrêt Tessili plaident en faveur d'une nouvelle orientation jurisprudentielle de la Cour. Bien qu'elle soit en vigueur depuis plus de vingt ans, et qu'elle ait été confirmée solennellement dans l'arrêt Custom Made, l'interprétation proposée ne s'est pas imposée auprès des juridictions nationales, qui la suivent très inégalement et, surtout, très imparfaitement. Or, le fait est que l'application correcte de la technique élaborée par
l'arrêt Tessili est d'une difficulté diabolique (63).
96 La question préjudicielle posée par la Cour de cassation, qui est au courant de la position adoptée par la jurisprudence communautaire, doit être comprise comme un appel désespéré pour parvenir à ce que l'objectif d'uniformisation que doit poursuivre la Cour se concrétise dans des critères herméneutiques dont la rigueur scientifique soit plus ou moins grande, mais qui répondent aux nécessités auxquelles doit faire face et aux moyens dont dispose un juge d'instance dans la Communauté, sans
compromettre sensiblement les autres objectifs de la convention.
97 Je crois que le moment est venu où la sagesse et la prudence de la Cour doivent s'imposer à nouveau. Il convient de procéder à un revirement de jurisprudence pour interpréter l'article 5, point 1, de la convention de Bruxelles conformément aux exigences de la réalité sociale.
98 Il faut résister à la tentation d'attendre que le nécessaire changement vienne des négociations relatives à la modification de la convention de Bruxelles qui se déroulent actuellement au sein du Conseil (64). D'abord, parce qu'une telle conduite serait contraire aux caractéristiques de la fonction juridictionnelle: derrière le cas d'espèce, il y a concrètement des justiciables qui, après des années de litige, ont le droit d'obtenir une réponse en droit, indépendamment des vicissitudes d'une
négociation politique. Ensuite, parce que l'expérience enseigne que l'issue de telles négociations politiques est toujours incertaine, comme l'est également la date à laquelle elle doit se produire. Enfin, parce que, s'agissant d'une question de technique procédurale, personne n'est mieux placé que le juge pour dégager la solution qui combine le plus habilement les intérêts d'une bonne administration de la justice et ceux d'une protection suffisante des particuliers.
b) Le nouveau critère d'interprétation
99 La troisième voie d'interprétation que j'ai évoquée plus haut constitue, comme je l'ai déjà indiqué, une variante de celle que j'ai exposée en premier lieu. Ou, mieux encore, une interprétation autonome concrète par opposition à ce que l'on pourrait appeler une interprétation autonome abstraite. Alors qu'il existerait dans cette dernière version une définition abstraite du lieu d'exécution de chacune des obligations contractuelles caractéristiques, dans celle que j'aborde à présent, l'abstraction
se limiterait à énoncer un critère d'interprétation très simple, en laissant au juge national le soin de l'appliquer au cas d'espèce.
100 Selon cette proposition (65), le juge saisi de la demande doit déterminer «le lieu où l'obligation a été ou doit être exécutée» en fonction des circonstances particulières de l'espèce compte tenu de la nature du rapport d'obligation en cause.
101 Je ne conteste pas que cette optique oblige le juge à apprécier les faits servant de base au litige, mais toute solution - ainsi que je l'ai expliqué ci-dessus - requiert une certaine analyse des conditions de fait de la demande. Qui plus est, je considère qu'une certaine appréciation des conditions de fait non seulement est inévitable, mais légitime. La raison d'être de la notion de «lieu d'exécution» d'une obligation contractuelle réside dans des critères factuels (66), comme c'est le cas
également de la notion de «lieu de survenance du fait dommageable». Toutefois, la Cour n'a pas eu la moindre gêne à interpréter ce dernier concept de manière autonome (67). Il est évident que, en appréciant ces circonstances de fait compte tenu de la nature de l'obligation considérée, des juges différents peuvent arriver à des solutions différentes. Mais la localisation du «fait dommageable» est-elle toujours univoque?
102 C'est une caractéristique propre de l'administration de la justice humaine que, lorsqu'on rattache certaines conditions de fait à une norme, il peut arriver que des juges différents parviennent à des conclusions divergentes. C'est là toutefois une situation inévitable, et que l'ordre juridique doit donc tolérer. Ce qui est plus difficile à admettre, du point de vue de la bonne administration de la justice - à laquelle tend en définitive la convention tout entière - c'est que, pour vérifier
uniquement si le juge saisi de la demande est compétent internationalement, il faille quatre instances judiciaires et plus de sept années de procès (68).
103 Sauf en ce qui concerne les obligations de paiement d'une somme d'argent, le renvoi aux circonstances de l'espèce en fonction de la nature de l'obligation litigieuse doit permettre, dans la majorité des cas, de déterminer avec une fiabilité suffisante le ou les lieux d'exécution d'une obligation.
Cette affirmation n'est pas valable - je le reconnais - en ce qui concerne les obligations de simple paiement. En définitive, il est facile de se rendre compte que c'est l'existence de différents régimes en Europe quant au lieu où ces obligations doivent être exécutées qui a conduit à recourir à la méthode conflictualiste. C'est la faute à De Bloos! La solution devait consister, dès le départ, à ne tenir compte, aux fins de l'article 5, point 1, que de la seule prestation caractéristique du contrat
en cause. Il aurait été possible ainsi de désigner, dans l'immense majorité des cas, un lieu d'exécution à des fins procédurales proche des éléments essentiels du contrat. Toutefois, pour éviter cette lecture raisonnable du texte de la convention - qui aurait été parfaitement appropriée à ses objectifs -, on a instauré, pour toutes les catégories d'obligations, une méthode dont l'application s'est heurtée à de grandes difficultés.
Par conséquent, j'estime que, aux fins du forum contractus, le juge doit présumer que le lieu d'exécution d'une obligation est celui où a été ou doit être exécutée la prestation qui caractérise le rapport de droit considéré.
104 La solution proposée par M. Lenz dans le cadre de l'affaire Custom Made s'inscrivait déjà dans une optique autonome. Toutefois, à mon avis, la proximité par rapport aux faits (à laquelle - comme je l'ai expliqué - je préfère le «lien avec le litige») ne peut constituer en elle-même le critère de détermination du forum executionis, mais la justification principale de la création de ce for spécial. Les auteurs de la convention ont jugé opportun d'offrir la possibilité de présenter une demande
devant le juge du lieu d'exécution de l'obligation contractuelle litigieuse parce que, entre autres choses, ce for serait, dans la pratique, proche des faits. S'ils avaient voulu qu'en matière contractuelle le juge le plus proche des faits puisse toujours être compétent, pourquoi ne pas l'avoir dit (69)?
105 Le lien avec le litige, bien qu'il ne puisse pas constituer un critère d'interprétation en soi, doit constituer pour le juge national un correcteur ou un indicateur si des doutes, qui seraient autrement insolubles, se présentaient quant au lieu d'exécution de l'obligation. De tels cas se présentent le plus souvent à propos de certaines obligations de livrer un bien meuble. Toutefois, je suis convaincu que, dans l'immense majorité des litiges, un examen des circonstances de l'espèce en fonction
de la nature de l'obligation en cause suffit pour désigner un lieu d'exécution qui correspond, avec une fiabilité raisonnable, aux objectifs de la convention (70).
106 Par conséquent, j'estime que le critère de la «proximité» ne doit jouer qu'un rôle accessoire dans l'interprétation du critère conventionnel du «lieu». Pour importants qu'ils soient, mon choix ne s'appuie pas exclusivement sur des arguments tirés de la source autorisée que constitue le texte de la convention, mais a une justification plus profonde. D'une part, la notion de «proximité par rapport aux faits» me semble relativement plus imprécise que celle de «lieu d'exécution» (défini simplement
en fonction des circonstances de l'espèce et du rapport de droit en cause), avec le risque accru de multiplication des fors possibles (71). Par ailleurs, j'estime que toute disposition - même procédurale -, en matière contractuelle, doit faire l'objet de l'interprétation qui prenne le mieux en considération la source même des rapports d'obligation: la volonté des parties. Lorsqu'il essaie de déterminer le lieu d'exécution d'une obligation, il est évident que le juge doit rechercher avant tout quelle
a été ou a pu être exactement la volonté des parties, sans le consentement desquelles l'obligation n'existerait pas. Si le juge peut déduire des circonstances de l'espèce, compte tenu de la nature du rapport de droit litigieux, quel a été le lieu d'exécution voulu par les parties, de manière expresse ou tacite, le forum contractus ainsi désigné bénéficiera - en plus de la justification que lui donne sa proximité prévisible par rapport aux faits - de la légitimité que lui confère le fait d'avoir été
- même indirectement - voulu par les parties. En d'autres termes, le défendeur peut être attrait devant le juge du lieu d'exécution de l'obligation contractuelle parce que, d'une certaine manière, il aura consenti, par l'expression de sa volonté que le juge se chargera de rechercher, à la création de ce chef de compétence spécial. Il est évident que cette légitimation fait défaut au tribunal qui est compétent en raison de la circonstance purement objective de se trouver à proximité des faits du
litige.
107 S'il avait appliqué ce critère au cas d'espèce, et en se basant sur les éléments dont dispose la Cour, il semble que, compte tenu des circonstances de l'espèce et du fait qu'il s'agit d'une obligation de transporter une chose sans l'endommager, le juge de première instance aurait pu déduire facilement que, à l'égard des parties effectivement liées par un contrat de transport, le lieu d'exécution de cette obligation était celui que les parties avaient désigné comme tel. Sans avoir à entrer dans
de longues digressions sur la loi applicable à l'acte juridique en cause, il semble résulter des faits de la procédure au principal que le port de destination mentionné par le connaissement est celui de Santos, au Brésil. Sur la base de cet élément, ce port doit être considéré comme étant le lieu d'exécution. En cas de désignation des juridictions d'un État qui n'est pas partie à la convention, la compétence spéciale de l'article 5 tombe. En l'absence d'autres chefs de compétence concomitants, le
juge français devra décliner sa compétence. Je rappelle toutefois que cet examen appartient à la juridiction nationale et non à la Cour de justice.
108 En définitive, le for désigné par le lieu d'exécution d'une obligation contractuelle en fonction des circonstances de l'espèce, compte tenu du rapport d'obligation en cause, allie les avantages de l'interprétation autonome à ceux qui résultent de l'application d'un critère simple et univoque pour tous les contrats. En lui-même, il n'entraîne pas de dispersion de compétence plus grande que celle occasionnée par la technique Tessili, et respecte scrupuleusement tant la lettre que l'esprit de la
convention. Les doutes qui peuvent surgir pour le déterminer doivent être résolus conformément au critère du lien que présente le litige avec un lieu concret, celui-ci étant l'objectif spécifique du forum contractus créé par la convention.
XIII - Conclusion
109 Pour les raisons que j'ai exposées ci-dessus, j'invite la Cour à répondre de la manière suivante à la question préjudicielle:
«L'article 5, point 1, de la convention de Bruxelles du 27 septembre 1968, concernant la compétence judiciaire et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, doit être interprété en ce sens qu'il faut entendre par lieu d'exécution d'une obligation contractuelle celui qui est désigné en fonction des circonstances de l'espèce et de la nature du rapport de droit litigieux, étant entendu qu'il est présumé que ce lieu coïncide avec celui où a été ou doit être exécutée la prestation qui
caractérise le rapport de droit considéré. Si plusieurs lieux sont désignés, il convient de retenir celui qui présente le lien le plus étroit avec le litige.»
(1) - Cervantes y Saavedra, M. de: El ingenioso hidalgo Don Quijote de la Mancha, partie II, chapitre 26, éd. RBA, Barcelone, 1994, p. 823.
(2) - Publiée, dans la version consolidée qui nous intéresse ici, au JO 1990, C 189, p. 1.
(3) - Arrêt du 6 octobre 1976 (12/76, Rec. p. 1473).
(4) - Arrêt du 29 juin 1994, Custom Made Commercial (C-288/92, Rec. p. I-2913, ci-après l'«arrêt Custom Made»).
(5) - Arrêt du 6 octobre 1976 (14/76, Rec. p. 1497).
(6) - Cette jurisprudence a conduit à modifier certaines versions linguistiques de la convention de Bruxelles lors de l'adhésion du royaume de Danemark, de l'Irlande et du Royaume-Uni qui, depuis lors, intègrent la formule de la Cour de justice. J'estime personnellement qu'il aurait été préférable et plus conforme à l'économie générale de l'article 5 de la convention de ne prendre en considération, aux fins de la définition du lieu d'exécution d'une obligation donnée, que l'obligation qui
caractérise le rapport de droit, ou plutôt, à ces mêmes fins, d'écarter l'obligation «non caractéristique», qui est généralement l'obligation de payer un prix.
(7) - Arrêt du 26 mai 1982 (133/81, Rec. p. 1891).
(8) - Cette «rectification jurisprudentielle» a elle aussi été insérée dans la convention de Bruxelles à l'occasion, cette fois-ci, de la convention d'adhésion de 1989.
(9) - Arrêt du 15 janvier 1987, Shenavai (266/85, Rec. p. 239).
(10) - Choix d'un for en fonction des avantages pouvant résulter du droit matériel (voire procédural) qui y est appliqué.
(11) - Arrêt Tessili, précité (note 2), point 13.
(12) - Arrêt Custom Made, précité (note 3), point 26.
(13) - La seule faille qui se soit produite, relative à l'exécution d'obligations nées du contrat de travail, correspond à un critère spécifique de protection particulière du salarié qu'un soi-disant oubli de la convention justifiait. D'ailleurs, ce cas spécifique a été intégré dans le texte même de la convention lors de sa révision de 1989.
(14) - Voir, à cet égard, l'arrêt du 27 mars 1963, Da Costa en Schaake e.a. (28/62 à 30/62, Rec. p. 59, spécialement p. 76).
(15) - La Cour a reconnu la portée générale de ce principe dans de très nombreux arrêts. Voir, à titre d'exemple, celui du 17 juin 1992, Handte (C-26/91, Rec. p. I-3967, point 14).
(16) - Voir également, entre autres, les arrêts du 22 mars 1983, Peters (34/82, Rec. p. 987, points 9 et 10); du 8 mars 1988, Arcado (9/87, Rec. p. 1539, points 10 et 11), et Handte, précité, point 10.
(17) - En contradiction flagrante avec les finalités et l'esprit de la convention, qui «exige une interprétation de son article 5 permettant au juge national de se prononcer sur sa propre compétence sans être contraint de procéder à un examen de l'affaire au fond» (arrêt Custom Made, précité, point 20).
(18) - Que la Cour de cassation a pu prendre en considération pour écarter la compétence des juges français à l'égard, tout au moins, du capitaine du navire (voir le point 9 ci-dessus).
(19) - Arrêt du 27 octobre 1998, Réunion européenne e.a. (C-51/97, Rec. p. I-6511, point 20).
(20) - Arrêt De Bloos, précité, point 14.
(21) - Telle qu'une norme nationale fixant le lieu d'exécution d'une obligation de transport maritime au port de chargement.
(22) - Arrêt du 15 février 1989, Six Constructions (32/88, Rec. p. 341, point 19).
(23) - Article 10, point 5, premier alinéa, du code civil espagnol. On notera la difficulté qu'il y a à préciser le lieu de conclusion d'un contrat lorsque l'offre et l'acceptation sont émises dans des lieux différents. En droit espagnol - en vertu du dernier tiret de l'article 1262 du code civil -, cette difficulté est résolue en présumant que le contrat a été conclu au lieu où a été faite l'offre. Cela implique que, dans la présente affaire, en supposant que l'offre ait été réputée effectuée au
siège social du transporteur, le droit allemand pourrait être applicable.
(24) - En effet, si à la fin de l'examen il s'estime compétent, il pourra encore, en abordant le fond, s'écarter des conclusions auxquelles il est parvenu aux fins de la compétence, puisque «l'interprétation desdites expressions et notions [tirées du droit civil, commercial et procédural] aux fins de la convention ne préjuge pas la question de la règle matérielle applicable à la situation litigieuse» (arrêt Tessili, précité, note 3, point 11). A l'inverse - comme je l'ai déjà indiqué -, s'il estime
qu'il est incompétent, son analyse sera inutile pour le juge suivant saisi de la demande.
(25) - Sur la résistance à appliquer la jurisprudence Tessili, voir: Droz, G.: «Delendum est forum contractus? (vingt ans après les arrêts De Bloos et Tessili interprétant l'article 5, point 1, de la convention de Bruxelles du 27 septembre 1968)», Recueil Dalloz, 1997, p. 351.
(26) - Voir, par exemple, l'arrêt de la Cour de cassation (première chambre civile) du 6 février 1996, San Carlo Gruppo alimentare SPA/SBC Vito, cité dans la Revue critique de droit international privé, 1996, p. 504.
(27) - Voir à cet égard Gaudemet-Tallon, H.: Les conventions de Bruxelles et de Lugano, n_ 173, p. 129.
(28) - Alors que, dans un arrêt du 25 février 1997 (Société Bateg Delta/Société Ward Groupe e.a., Recueil Dalloz, 1997, Jurisprudence, p. 562), la chambre civile appliquait fidèlement la méthode Tessili, quelques jours plus tard, la même chambre confirmait une ordonnance d'exequatur en estimant que le juge du fond avait défini correctement le lieu d'exécution «en fonction de la nature du rapport d'obligation et des circonstances de l'espèce» (SA Comptoir commercial d'Orient/Société Medtrafina, arrêt
du 11 mars 1997, ibidem). A nouveau, quelques jours plus tard, la chambre commerciale de la même Cour cassait un arrêt d'appel pour défaut de base légale, au motif qu'il n'avait pas indiqué quelle était la loi applicable (Ernesto Stoppani SPA/SARL Stoppani France, arrêt du 18 mars 1997, ibidem). Je ne peux qu'être perplexe et éprouver un certain malaise face à l'insécurité juridique provoquée par ces remous jurisprudentiels.
(29) - Kelsen a souligné que des expressions telles que «compétence», «pouvoir», «capacité» ou «imputabilité» renvoient au même concept ou, en tout cas, à des notions extrêmement proches les unes des autres, parce que dans les quatre cas une norme juridique autorise dans un sens large (ermächtigt) certains comportements et, de ce fait, les transforme en comportements juridiquement pertinents (Kelsen, H.: Reine Rechtslehre, Vienne, 1960, p. 150 et suiv.). Alf Ross (Ross, A.: On Law and Justice,
Londres, 1958, p. 52 et suiv.) et Lars Lindahl (Lindahl, L.: Position and Change. A Study in Law and Logic, Boston, 1977, p. 194 et suiv.) qualifient les règles de compétence de règles conceptuelles ou constitutives par opposition aux règles de conduite. Les règles de compétence définissent un concept (celui de législateur ou de juge, par exemple) et rendent possible une activité (celle de légiférer ou de juger) qui, sans leur couverture, n'existeraient pas parce qu'ils ne sont pas naturels. Ce sont
les règles de compétence qui déterminent quels types de comportement sont considérés comme actes législatifs ou juridictionnels et qui peut effectuer de tels actes, alors que les règles de conduite régissent le contenu de ces activités.
La situation est similaire en cas de compétences conférées à des particuliers, bien que le droit privé préfère le terme de «capacité». Ce sont les règles de compétence qui définissent ce qu'il faut entendre par contrat, testament ou promesse et qui rendent juridiquement pertinentes les activités en question, alors que les règles de conduite précisent les limites et les caractéristiques de ces activités (voir, à ce propos, Bulygin, E.: «Sobre las normas de competencia», Análisis lógico y derecho,
Madrid, 1991, p. 485 et suiv.).
(30) - Ordonnance de renvoi du 26 mars 1992 [paragraphe V, point 3, sous d) in fine].
(31) - Voir, en ce sens, Droz, G., op. cit., note 25, p. 355 in fine.
(32) - Point 80, Rec. 1994, p. I-2933.
(33) - Je ne peux néanmoins m'empêcher de penser qu'il y a quelque chose d'artificiel à permettre, d'une part, l'isolement d'obligations synallagmatiques aux fins de l'application du forum contractus et à considérer, d'autre part, à ces mêmes fins, l'obligation d'indemnisation du préjudice comme équivalente à l'obligation non exécutée ou exécutée de manière défectueuse. Voir, à cet égard, Gothot, P., et Holleaux, D.: Revue critique de droit international privé, 1977, p. 769.
(34) - Ainsi, à titre d'exemple, si dans la présente affaire au principal le droit espagnol était applicable, le juge chargé de se prononcer sur sa compétence juridictionnelle ne pourrait disposer, pour ce qui concerne le transport maritime concrétisé dans un connaissement, que des dispositions de la loi du 22 décembre 1949 (BOE n_ 358 du 24 décembre). L'article 5, point 3, de cette loi - qui intègre la convention de Bruxelles du 25 août 1924 - prévoit que le porteur est tenu de «... procéder avec
le soin et la diligence nécessaires au chargement, à l'arrimage, à la conservation et au transport, à la surveillance et au déchargement des marchandises qu'il transporte». Il ne semble pas qu'il existe en droit espagnol d'indices plus clairs sur ce qu'il faut considérer in abstracto comme étant le lieu d'exécution de l'obligation de transport maritime international de marchandises sous connaissement. Toutefois, conformément à l'article 24 de la même loi, et aux fins de son application, le juge doit
s'assurer au préalable que le transport s'effectue uniquement entre nations ayant ratifié la convention de Bruxelles de 1924. Si tel n'est pas le cas, il devra recourir aux règles relatives au transport maritime contenues dans le code de commerce, dont les dispositions sont, si c'est possible, encore plus obscures quant à l'éventuelle existence d'un lieu d'exécution d'une obligation telle que l'obligation litigieuse. S'il constate qu'il n'existe pas de règles impératives en la matière, le juge doit
revenir au principe général de l'autonomie de la volonté en matière contractuelle, consacré à l'article 1255 du code civil, pour conclure que le lieu d'exécution de l'obligation n'est autre que celui que les parties ont désigné. Si on lit cela conjointement avec les dispositions qui délimitent la répartition des risques, il apparaît que ce lieu coïncide avec le lieu de destination de la marchandise. Nous voilà bien avancés!
(35) - Article 8, paragraphe 1, de la loi espagnole du 22 décembre 1949.
(36) - Lequel a pour objet, selon l'interprétation qu'en donne la Cour, de «supprimer les entraves aux relations juridiques et à la solution des litiges dans l'ordre des relations intracommunautaires» (arrêt Tessili, précité, point 9).
(37) - Qui comporte, comme élément important, la possibilité d'offrir une «solution uniforme dans tous les États membres» (arrêt du 27 septembre 1988, Kalfelis, 189/87, Rec. p. 5565, point 17). En effet, «le principe de la sécurité juridique dans l'ordre communautaire et les objectifs poursuivis par la convention en vertu de l'article 220 du traité, sur lequel elle se fonde, exigent une application uniforme dans tous les États membres des notions et qualifications juridiques dégagées par la Cour
dans le cadre de la convention» (arrêt du 14 juillet 1977, Bavaria et Germanair, 9/77 et 10/77, Rec. p. 1517, point 4).
(38) - Voir les arrêts du 4 mars 1982, Kantner (38/81, Rec. p. 825, point 6), et Handte, précité, point 11.
(39) - Arrêt du 13 juillet 1993, Mulox IBC (C-125/92, Rec. p. I-4075, point 11). Au point 45 de ses conclusions sous l'arrêt Custom Made, l'avocat général M. Lenz énumère ces objectifs en se référant à leurs fondements conventionnels et jurisprudentiels (Rec. 1994, p. I-2925).
(40) - Rapport officiel portant sur la version originale de la convention de Bruxelles, élaboré par M. P. Jenard (JO 1979, C 59, p. 122 et suiv., ci-après le «rapport Jenard»).
(41) - Rapport Jenard, précité, p. 153.
(42) - La Cour a reconnu qu'il est souhaitable qu'il existe «un lien de rattachement particulièrement étroit entre une contestation et la juridiction qui peut être appelée à en connaître» (arrêt Tessili, précité, point 13).
(43) - Voir, en ce sens, Schack, F.: Der Erfüllungsort im deutschen, ausländischen und internationalen Privat- und Zivilprozeßrecht, Francfort, 1985, paragraphes 144 et suiv., 207 et 218.
(44) - Voir, en ce sens, Huet, A.: «La ubicación del artículo 5 en el sistema del Convenio. La competencia en materia contractual», in Competencia judicial y ejecución de sentencias en Europa, Madrid, 1993, p. 75 et 76.
(45) - Une statistique élaborée par M. G. Droz souligne que, sur les 48 affaires tranchées qui avaient trait à l'article 5, point 1, de la convention, 24 ont été considérées comme relevant de la compétence du tribunal du domicile du défendeur. En d'autres termes, dans la moitié des cas, c'est le for général de l'article 2 de la convention qui a été retenu (statistique publiée dans la Revue critique de droit international privé, 1987, p. 802 et 803).
(46) - En ce qui concerne l'obligation de garantir la marchandise contre les vices cachés, Dunlop a soutenu que le lieu d'exécution devait être celui où se trouve la marchandise défectueuse, parce que c'est à ce lieu que les vices éventuels peuvent être plus facilement examinés et, le cas échéant, réparés (Rec. 1976, p. 1477).
(47) - J'écarte évidemment, en raison de l'inévitable dispersion de solutions qu'elle entraînerait, toute interprétation de la notion de «lieu d'exécution de l'obligation» qui se baserait nécessairement sur la loi matérielle du for.
(48) - Arrêt Mulox IBC, précité. Conclusions publiées au Recueil de 1993, p. I-4091.
(49) - Voir le point 27 ci-dessus des présentes conclusions.
(50) - Arrêt du 14 octobre 1976, LTU (29/76, Rec. p. 1541).
(51) - Arrêt Kalfelis, précité.
(52) - Arrêt du 20 mars 1997, Farrell (C-295/95, Rec. p. I-1683).
(53) - Byrne, P.: The EEC convention on Jurisdiction and the Enforcement of Judgments, Dublin, 1990, p. 29 et 44.
(54) - Limitations dont semblent avoir été conscients les propres auteurs de la convention de Bruxelles, puisqu'ils ont inséré dans les articles 6, point 4, et 22, point 2, des renvois au droit national. En faveur de la méthode conflictualiste, voir, en outre, Gaudemet-Tallon, H.: Revue critique de droit international privé, 1994, p. 698 et suiv., et H.: «Chronique convention de Bruxelles», Cahiers de droit européen, 1995, p. 222.
(55) - En effet, au moment de l'élaboration de la convention de Bruxelles, les obligations pécuniaires devaient être exécutées au domicile du créancier dans divers États membres et en même temps en vertu d'un accord international en vigueur sur une partie du territoire de la Communauté (convention de La Haye du 1er juillet 1964 et son annexe).
(56) - Voir H.: op. cit., p. 255.
(57) - Arrêt Custom Made, précité, points 14 et suiv.
(58) - Les contrats étant gouvernés par le principe général de l'autonomie des parties, j'estime que, s'il y a accord sur le lieu d'exécution, il doit valoir pour l'application de l'article 5, point 1. Les abus éventuels qui peuvent en résulter doivent être traités conformément aux dispositions relatives à la fraude à la loi.
(59) - Avant l'entrée en vigueur de la convention de Rome de 1980, le juge espagnol saisi d'une demande relative à l'inexécution d'un contrat introduite par un ressortissant nigérian résidant dans la ville frontalière d'Irun contre un compatriote domicilié deux rues plus bas, à Hendaye (France), devait définir, en application de la jurisprudence Tessili et en vertu de l'article 10, point 5, du code civil espagnol, le lieu d'exécution de l'obligation en cause conformément à la loi nigériane.
(60) - Point 77, Rec. p. I-2933.
(61) - Point 1 de sa conclusion, Rec. p. I-2947.
(62) - C'est néanmoins la proposition des gouvernements allemand et du Royaume-Uni.
(63) - Que l'on se souvienne que, interrogés durant l'audience sur le résultat auquel aurait conduit l'application de la méthode Tessili dans leurs droits nationaux respectifs, aucun des représentants des gouvernements intervenants - dont il faut présumer qu'ils sont experts en la matière - n'a été en mesure de donner une réponse satisfaisante. Comment pourrait-on l'exiger alors du tribunal de commerce, qui n'est même pas composé de magistrats professionnels?
(64) - Pour un résumé des propositions de révision, voir Hertz, K.: Jurisdiction in Contract and Tort under the Brussels Convention, Copenhague, 1998, p. 159 et suiv.
(65) - Qui n'a rien de révolutionnaire puisqu'elle est aussi vieille que la convention de Bruxelles elle-même.
(66) - Voir Jayme, E.: «Ein Klägergerichtsstand für den Verkäufer - Der EuGH verfehlt den Sinn des EuGVÜ», IPrax, 1995, p. 13 et suiv., en particulier p. 14.
(67) - Voir, à cet égard, Pocar, F.: «Las competencias especiales del artículo 5 del Convenio en materia delictual y en materia de explotacíon de un establecimiento secundario», Competencia judicial y ejecución de sentencias en Europa, op. cit., p. 119 et suiv.
(68) - En violation de l'article 6, paragraphe 1, de la convention européenne des droits de l'homme et de l'exigence d'un jugement «dans un délai raisonnable» qu'il établit.
(69) - Voir, en ce sens, Tichadou, E.: «Conventions internationales unifiant le droit matériel et détermination du lieu d'exécution au sens de l'article 5, point 1, de la convention de Bruxelles», Revue trimestrielle de droit européen, 1995, p. 87, spécialement le paragraphe 17.
(70) - Le critère du «lien avec le litige» peut également permettre de localiser, en cas de doute, les obligations de simple paiement tant que l'isolement des obligations institué par la jurisprudence De Bloos ne sera pas abandonné.
(71) - «... l'utilisation d'autres critères que le lieu d'exécution, lorsque celui-ci attribue compétence à un for sans connexité avec l'affaire, pourrait compromettre la prévisibilité du for compétent et serait ainsi incompatible avec l'objectif de la convention» (arrêt Custom Made, précité, point 18).