Avis juridique important
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61997C0193
Conclusions de l'avocat général Ruiz-Jarabo Colomer présentées le 5 mars 1998. - Manuel de Castro Freitas (C-193/97) et Raymond Escallier (C-194/97) contre Ministre des Classes moyennes et du Tourisme. - Demande de décision préjudicielle: Tribunal administratif - Grand-Duché de Luxembourg. - Liberté d'établissement - Directive 64/427/CEE - Activités non salariées de transformation - Conditions d'accès à la profession. - Affaires jointes C-193/97 et C-194/97.
Recueil de jurisprudence 1998 page I-06747
Conclusions de l'avocat général
1 Le tribunal administratif du Luxembourg demande à la Cour de se prononcer à titre préjudiciel sur l'interprétation de certaines dispositions de la directive 64/427/CEE (1) (ci-après la «directive 64/427») afin de pouvoir résoudre les litiges dont il a été saisi par M. Manuel de Castro Freitas, de nationalité portugaise, d'une part, et par M. Raymond Escallier, de nationalité française, d'autre part. Ces recours, qui sont tous les deux dirigés contre le ministre des Classes moyennes et du Tourisme,
tendent à la réformation d'une décision administrative leur refusant l'autorisation de s'établir au Luxembourg en qualité de travailleurs indépendants pour y exercer les mêmes métiers que ceux qu'ils avaient exercés antérieurement au Portugal et en France respectivement.
I - Les faits des deux litiges
2 Il résulte des dossiers que, le 21 octobre 1993, M. de Castro Freitas a présenté aux autorités luxembourgeoises une demande d'autorisation d'établissement en vue de l'exercice de l'activité de «construction civile: construction et réparation de bâtiments, travaux de façade inclus». Le 10 janvier 1994, il a été avisé que sa demande ne pouvait pas être accueillie sur la base des certificats qu'il avait produits et il a été invité à produire une attestation CE, au sens de l'article 4, paragraphe 2,
de la directive 64/427, qui lui serait délivrée par la Confederaçao de Industria Portuguesa (ci-après la «confédération») relativement aux activités qu'il avait exercées au Portugal. Il a alors présenté un certificat qui lui avait été délivré par l'Asociación Comercial e Industrial de Fafe, Cabeceiras de Basto y Celorico de Basto. Par décision du 3 mars 1994, les autorités luxembourgeoises lui ont refusé l'autorisation d'établissement parce qu'il n'avait pas fourni de certificat CE.
3 Après avoir reçu une attestation CE de la confédération, datée du 24 avril 1994, certifiant que M. de Castro Freitas avait exercé l'activité de construction civile au Portugal entre le 6 janvier 1981 et le 31 décembre 1989, les autorités luxembourgeoises lui ont délivré, le 15 juin 1994, une autorisation d'établissement en vue de l'exercice de l'activité d'entreprise de construction. Par lettre du 27 juin 1994, l'impétrant a été informé que l'autorisation d'établissement pour le métier de façadier
ne pouvait pas lui être délivrée parce qu'après déduction des années prises en compte pour le métier d'entrepreneur en construction, il devait encore justifier d'une période supplémentaire d'exercice préalable pour satisfaire aux conditions prévues par l'article 3 de la directive 64/427.
4 Après s'être fait délivrer, par la confédération, une nouvelle attestation CE, datée du 27 septembre 1994, mentionnant qu'il avait en outre exercé, pendant la même période de neuf ans, l'activité de «finissages extérieurs, façades et toits» conformément à la monographie professionnelle qui avait été communiquée par les autorités grand-ducales, M. de Castro Freitas a introduit une nouvelle demande d'autorisation d'établissement pour l'activité de façadier. Cette autorisation lui a été refusée le 10
novembre 1994 pour le même motif parce qu'il n'avait pas apporté la preuve qu'il avait accompli une période supplémentaire d'activité afin de satisfaire à la condition lui imposant un exercice minimal de six ans de ce métier.
5 M. de Castro Freitas a alors introduit une troisième demande d'autorisation d'établissement en y joignant, cette fois, un certificat de la confédération, daté du 25 décembre 1994, attestant qu'il avait exercé durant la même période l'activité qualifiée cette fois de «construction civile» et d'«achèvements extérieurs, façades et toits». Par lettre du 20 janvier 1995, M. de Castro Freitas a été informé que sa nouvelle demande avait été rejetée à défaut d'éléments nouveaux, vu que les qualifications
reprises dans le certificat avaient déjà été prises en considération lors de l'adoption des décisions antérieures. Le recours gracieux formé par le demandeur le 20 février 1995 a été rejeté par le ministre, faute d'éléments nouveaux, par décision du 17 mars 1995. L'intéressé a engagé un recours en réformation, sinon en annulation contre cette décision le 19 avril 1995.
6 Le demandeur au principal dans l'autre litige pendant devant le tribunal administratif est M. Raymond Escallier. Par lettre du 16 juillet 1995, celui-ci avait demandé à l'administration luxembourgeoise l'autorisation d'exercer au Grand-Duché les métiers de charpentier, de couvreur et de ferblantier-zingueur.
Sur avis de la commission consultative prévue à l'article 2 de la loi du 28 décembre 1988 réglementant l'accès aux professions d'artisan, de commerçant, d'industriel ainsi qu'à certaines professions libérales, le ministre lui a délivré, le 24 janvier 1996, l'autorisation d'exercer le métier de couvreur, mais lui a refusé cette même autorisation pour les métiers de charpentier et de ferblantier-zingueur. Les autorités luxembourgeoises ont justifié ce refus en disant que M. Escallier n'avait pas
encore accompli le nombre d'années d'activité effective exigé par l'article 3, sous a) et c), de la directive 64/427 pour chacun des métiers en cause, les conditions prévues à l'article 3 devant, selon leur interprétation, être remplies séparément pour chacun des métiers concernés.
7 Le 14 février 1996, M. Escallier a introduit un recours en réformation pour cause de violation de la loi à l'encontre de la décision du 24 janvier 1996. A l'appui de son recours, il a fait valoir que les certificats qu'il avait produits attestaient qu'il était autorisé à exercer les trois métiers en France et qu'il remplissait les conditions énoncées à l'article 3 de la directive 64/427. Il a renvoyé, à cet égard, à l'attestation prévue par l'article 4, paragraphe 2, de la directive, qui lui avait
été délivrée par la chambre du commerce et de l'industrie de la Moselle, document dont il résulte qu'il avait exercé les trois activités en cause à titre de dirigeant chargé de la gestion d'une entreprise pendant la période allant du 21 janvier 1983 au 5 février 1990.
II - Les questions préjudicielles
8 Afin de pouvoir résoudre ces deux litiges, le tribunal administratif du Luxembourg a adressé les questions préjudicielles suivantes à la Cour:
«1) L'alinéa premier de l'article 3 de la directive 64/427, visant d'une part l'accès à `l'une des activités mentionnées à l'article premier paragraphe 2' ou l'exercice de `celles-ci' et d'autre part in fine `l'exercice effectif ... de l'activité considérée', couvre-t-il également la situation d'un ressortissant communautaire ayant exercé simultanément dans l'État membre de provenance plusieurs activités tombant sous le champ d'application de cette directive et demandant l'établissement de son
entreprise dans un autre État membre avec la continuation de l'exercice simultané de ces activités ou métiers [(2)], au regard notamment du principe de la liberté d'établissement consacrée par l'article 52 du traité ... instituant la Communauté économique européenne?
2) Dans l'affirmative, la période d'exercice requise par l'article 3, sous a), se trouve-t-elle modifiée par toutes ou par certaines des activités considérées en raison de l'exercice simultané de celles-ci?
3) Quelle est l'incidence éventuelle de la connexité, voire de l'absence de connexité, entre les activités considérées?»
III - La législation nationale
9 La loi du 28 décembre 1988, qui réglemente l'accès aux professions d'artisan, de commerçant, d'industriel ainsi qu'à certaines professions libérales, soumet l'exercice d'activités artisanales, industrielles ou commerciales à l'obtention préalable d'une autorisation écrite, qu'il s'agisse de personnes physiques ou de personnes morales. Son titre V prévoit des peines de privation de liberté et des amendes pour toute infraction à cette loi.
Le chapitre II du titre II, qui contient les règles applicables au secteur de l'artisanat et des entreprises industrielles de construction, dispose, en son article 13, que sont établis, par règlements d'exécution de la loi, adoptés sur avis des associations professionnelles concernées, une liste des métiers principaux et secondaires ainsi que leur champ d'activité. Pour exercer un métier principal, les artisans devront être en possession du diplôme de maîtrise ou d'un titre universitaire d'ingénieur
dans la branche correspondante. Néanmoins, le paragraphe 2 de l'article 13 dispose que la qualification professionnelle suffisante pour l'exercice soit de l'ensemble soit d'une partie d'un métier repris dans cette liste pourra être reconnue à un postulant qui ne possède aucun de ces titres s'il produit des pièces justificatives reconnues comme équivalentes. Les critères d'équivalence qui permettent de reconnaître cette qualification professionnelle ont été établis par le règlement du 15 septembre
1989.
10 La liste des métiers figure dans le règlement du 19 février 1990, qui les classe conformément à une numérotation de cinq chiffres: le premier chiffre détermine le groupe professionnel; le groupe de chiffres formé par le deuxième et le troisième chiffre est réservé à la numérotation des différents métiers dans un groupe donné et à un classement selon la connexité technique des différents métiers du groupe; le groupe des chiffres formé par le quatrième et le cinquième chiffre distingue les métiers
principaux, désignés par les chiffres 00 à 09, et les métiers secondaires, auxquels sont attribués les chiffres à partir de 11. Les métiers principaux désignés par les chiffres 00 donnent droit à l'exercice des métiers désignés par les chiffres compris entre 01 et 09 qui sont énumérés à la suite du métier principal.
11 Le champ d'activité des métiers principaux et secondaires du secteur artisanal est défini par le règlement du 26 mars 1994. Les métiers à prendre en considération dans la présente affaire sont les suivants:
Groupe 4: métiers de la construction et de l'habitat
401-00 Entrepreneur de construction 414-00 Couvreur 415-00 Ferblantier-zingueur 416-00 Charpentier 419-00 Plafonneur-façadier
12 Les critères d'équivalence qui permettent de reconnaître la qualification professionnelle suffisante pour l'exercice d'un métier ont été établis par le règlement du 15 septembre 1989. Les dispositions utiles en l'espèce sont les suivantes:
«Article 4. Le titulaire d'un agrément gouvernemental portant sur l'exercice d'un des métiers de la liste prévue à l'article 13, paragraphe 1, de la loi ... du 28 décembre 1988 est autorisé à exercer un autre métier ou partie d'un autre métier à connexité technique et économique à condition de fournir la preuve d'une pratique professionnelle de six ans dans le métier ou partie de métier pour lequel l'autorisation est sollicitée.
Article 6. Les attestations délivrées par les organismes compétents des pays membres du Marché commun sur la base des directives communautaires dans le domaine de l'artisanat sont à considérer comme pièces équivalentes lorsque le bénéficiaire de l'attestation répond aux conditions de capacité professionnelle y prévues.
Article 7. Par pratiques professionnelles au sens de [ce règlement], il faut entendre une occupation permettant l'acquisition d'une expérience pratique complémentaire des matières de la profession artisanale envisagée.»
IV - La législation communautaire
13 Les dispositions communautaires dont la juridiction de renvoi sollicite l'interprétation afin de pouvoir résoudre les litiges dont elle a été saisie sont des dispositions du traité CE et de la directive 64/427.
L'article 52 du traité impose la suppression progressive des restrictions à la liberté d'établissement des ressortissants d'un État membre dans le territoire d'un autre État membre au cours de la période de transition. Aux termes du deuxième alinéa:
«La liberté d'établissement comporte l'accès aux activités non salariées et leur exercice, ainsi que la constitution et la gestion d'entreprises, et notamment de sociétés au sens de l'article 58, deuxième alinéa, dans les conditions définies par la législation du pays d'établissement pour ses propres ressortissants, sous réserve des dispositions du chapitre relatif aux capitaux.»
14 Mettant en oeuvre l'article 54 du traité, le Conseil a adopté un programme général pour la suppression des restrictions à la liberté d'établissement (3) (ci-après, le «programme général») instituant un calendrier en vue de l'élimination effective de ces restrictions dans des délais dont la durée varie en fonction des activités concernées, qui sont énoncées dans cinq annexes. Les activités de construction du bâtiment figurent à l'annexe I, ce qui signifie qu'en ce qui les concerne, les
restrictions à la liberté d'établissement devaient être éliminées avant l'expiration de la seconde année de la deuxième étape de la période transitoire (4).
15 Ce n'est qu'en juillet 1964, cependant, que le Conseil a adopté la directive 64/427. Dans l'exposé des motifs de celle-ci, le Conseil reconnaît qu'eu égard à la disparité des définitions que les États membres ont données à l'artisanat et, par conséquent, à la disparité des limites qu'ils lui ont tracées par rapport à l'industrie, et compte tenu du fait que, pour les activités artisanales, il existait tantôt la liberté d'accès et d'exercice, tantôt des dispositions rigoureuses prévoyant la
possession d'un titre pour l'admission à la profession, il n'était pas possible de coordonner les dispositions nationales applicables en matière d'accès à ces activités et de leur exercice. C'est la raison pour laquelle, remettant cette coordination à plus tard, le Conseil s'est limité, dans cette directive, à instituer des mesures transitoires visant à éviter, avant toute chose, une gêne anormale pour les ressortissants des États membres où l'accès à ces activités n'est soumis à aucune condition.
16 Ces mesures transitoires doivent consister principalement à admettre comme condition suffisante pour l'accès aux activités en cause dans les États membres d'accueil connaissant une réglementation de cette activité l'exercice effectif de la profession dans le pays de provenance pendant une période raisonnable et assez rapprochée dans le temps dans le cas où une formation préalable n'est pas requise pour garantir que le bénéficiaire possède des connaissances professionnelles équivalentes à celles
qui sont exigées des nationaux (5).
17 Les articles de la directive 64/427 utiles à la solution des litiges au principal sont les suivants:
Article 3:
«Lorsque, dans un État membre, l'accès à l'une des activités mentionnées à l'article premier paragraphe 2 [activités non salariées de transformation relevant des classes 23-40 CITI (industrie ou artisanat)], ou l'exercice de celles-ci, est subordonné à la possession de connaissances et d'aptitudes générales, commerciales ou professionnelles, cet État membre reconnaît comme preuve suffisante de ces connaissances et aptitudes l'exercice effectif dans un autre État membre de l'activité considérée:
a) soit pendant six années consécutives à titre indépendant ou en qualité de dirigeant chargé de la gestion de l'entreprise;
b) soit pendant trois années consécutives à titre indépendant ou en qualité de dirigeant chargé de la gestion de l'entreprise, lorsque le bénéficiaire peut prouver qu'il a reçu, pour la profession en cause, une formation préalable d'au moins trois ans sanctionnée par un certificat reconnu par l'État ou jugée pleinement valable par un organisme professionnel compétent;
c) soit pendant trois années consécutives à titre indépendant lorsque le bénéficiaire peut prouver qu'il a exercé à titre dépendant la profession en cause pendant cinq ans au moins;
d) soit pendant cinq années consécutives dans des fonctions dirigeantes, dont un minimum de trois ans dans des fonctions techniques impliquant la responsabilité d'au moins un secteur de l'entreprise, lorsque le bénéficiaire peut prouver qu'il a reçu, pour la profession en cause, une formation préalable d'au moins trois ans sanctionnée par un certificat reconnu par l'État ou jugée comme pleinement valable par un organisme professionnel compétent.
Dans les cas visés aux litteras a) et c) ci-dessus, cette activité ne doit pas avoir pris fin depuis plus de 10 ans à la date du dépôt de la demande prévu à l'article 4 paragraphe 3.»
Article 4
«Pour l'application de l'article 3:
1. Les États membres dans lesquels l'accès à l'une des professions mentionnées à l'article premier paragraphe 2, ou l'exercice de cette activité, est subordonné à la possession de connaissances et aptitudes générales, commerciales ou professionnelles, informent avec l'aide de la Commission les autres États membres des caractéristiques essentielles de la profession (description de l'activité de ces professions).
2. L'autorité compétente désignée à cet effet par le pays de provenance atteste les activités professionnelles qui ont été effectivement exercées par le bénéficiaire ainsi que leur durée. L'attestation est établie en fonction de la monographie professionnelle communiquée par l'État membre dans lequel le bénéficiaire veut exercer la profession de manière permanente ou temporaire.
3. L'État membre d'accueil accorde l'autorisation d'exercer l'activité en cause sur demande de la personne intéressée lorsque l'activité attestée concorde avec les points essentiels de la monographie professionnelle communiquée en vertu du paragraphe 1 et que les autres conditions éventuellement prévues par sa réglementation sont remplies.»
18 Le 18 juin 1992, le Conseil a adopté la directive 92/51/CEE (6), qui a pour objet de faciliter l'exercice de toutes les activités professionnelles subordonnées dans un État membre à la possession d'une formation d'un niveau déterminé par l'instauration d'un deuxième système général de reconnaissance des formations professionnelles. Cette directive complète le système qui avait été institué en 1988 en vue de la reconnaissance des diplômes d'enseignement supérieur qui sanctionnent des formations
professionnelles d'une durée minimale de trois ans (7). L'article 2, deuxième alinéa, de cette directive exclut cependant du champ d'application de celle-ci aussi bien les professions qui font l'objet d'une directive spécifique instaurant entre les États membres une reconnaissance mutuelle des diplômes que les activités qui font l'objet d'une des directives figurant à l'annexe A. Parmi les directives reprises dans cette annexe est citée, en deuxième lieu, la directive 64/427, dont le tribunal
administratif du Luxembourg a demandé l'interprétation en l'espèce.
19 La proposition de directive du Parlement européen et du Conseil instituant un mécanisme de reconnaissance des diplômes pour les activités professionnelles couvertes par les directives de libéralisation et portant mesures transitoires, et complétant le système général de reconnaissance des diplômes (8), que la Commission a présentée le 9 février 1996 et dont la procédure d'adoption est toujours en cours, n'apporte pratiquement aucun changement au texte de la directive 64/427, toujours en vigueur,
qui est celle dont l'interprétation est nécessaire au juge national pour résoudre les deux litiges au principal.
V - Les observations présentées dans la procédure préjudicielle
20 Ont présenté des observations écrites, dans le délai prévu à cet effet par l'article 20 du statut CE de la Cour de justice, MM. de Castro Freitas et Escallier, qui sont les parties requérantes au principal, ainsi que la Commission. Outre ceux-ci, le représentant de la République portugaise a comparu à l'audience afin de présenter ses observations oralement.
21 Selon M. de Castro Freitas, la seule condition que l'article 3, premier alinéa, de la directive 64/427 impose au demandeur d'une autorisation d'établissement est d'avoir exercé effectivement l'activité considérée. Il ne lui impose pas d'avoir exercé cette activité effectivement et exclusivement en dehors de toute autre activité pendant les périodes visées aux points a) à d) du même article de la directive. Il n'exclut donc pas la situation d'un ressortissant communautaire qui, dans son État
membre de provenance, a exercé simultanément plusieurs activités tombant sous le champ d'application de la directive. M. de Castro Freitas affirme en outre que l'article 52 du traité garantit la liberté d'établissement de tous les ressortissants de l'Union européenne par la suppression progressive de toutes les restrictions à cette liberté et, notamment, par la suppression progressive des discriminations fondées uniquement sur la nationalité quant à l'accès ou à l'exercice d'une profession. Cela
signifie que le ressortissant d'un État membre qui, au moyen du certificat qui lui a été délivré par l'autorité compétente, atteste qu'il a exercé effectivement les activités professionnelles concernées dans son État d'origine doit automatiquement être autorisé à s'établir dans n'importe quel autre État membre, à défaut de quoi le système que la directive 64/427 a mis en place en vue de la reconnaissance par l'État membre d'accueil, sans autre forme de procès, de l'expérience professionnelle
attestée par l'autorité compétente de l'État de provenance serait tenu en échec.
Selon M. de Castro Freitas, la période d'exercice exigée par l'article 3, sous a), de la directive 64/427 ne peut être prolongée au motif que différentes activités ont été exercées simultanément, pourvu que ces activités soient suffisamment connexes par leur objet et leur domaine pour qu'un exercice simultané ne se fasse pas au détriment d'une assimilation suffisante des connaissances théoriques et pratiques nécessaires pour un apprentissage correct du métier en question. Selon lui, il faut se
demander si les auteurs de la directive n'ont pas employé le terme «activité» dans l'article 3 à dessein afin d'englober ainsi dans une même activité plusieurs «professions» ou «métiers» qu'on pourrait exercer simultanément dans le cadre d'une même «activité» plus générique, comme, dans le cas d'espèce, les métiers de façadier et d'entrepreneur de la construction en achèvements extérieurs, qui font partie de l'activité générique des métiers de la construction et de l'habitat. Il ajoute enfin que la
connexité de plusieurs professions ou métiers pour lesquels l'autorisation d'établissement est demandée sera donc déterminante dans la réponse à donner à la question de savoir si la période d'exercice requise par l'article 3, sous a), de la directive 64/427 sera de six années ou d'un multiple de six années lorsque plusieurs professions ou métiers ont été exercés simultanément.
22 Le requérant dans l'autre litige au principal, M. Escallier, allègue que la directive 64/427 est une mesure transitoire dont la terminologie démontre clairement qu'elle prévoyait qu'un ressortissant communautaire qui a exercé simultanément des activités relevant du champ d'application de la directive dans son État d'origine et qui sollicite une autorisation d'établissement dans un autre État membre puisse continuer à exercer ces mêmes activités simultanément dans cet autre État membre. Selon lui,
l'État luxembourgeois ne peut se prévaloir de la directive 64/427 pour justifier son rejet des demandes d'établissement dans ces circonstances dès lors qu'à partir du 1er janvier 1970 le droit d'établissement s'applique à toutes les branches des activités non salariées. Il prétend que la période d'exercice visée à l'article 3, sous a), de la directive 64/427 ne peut être modifiée en raison du fait que plusieurs des activités qui relèvent du champ d'application de cette directive ont été exercées
simultanément. Il ajoute enfin que la directive 64/427 ne réserve pas de traitement particulier aux activités qui présentent un lien de connexité. C'est la raison pour laquelle un tel lien de connexité, ou l'absence de connexité, entre les activités considérées n'a pas d'incidence sur l'interprétation qu'il faut donner à ses dispositions.
23 La Commission observe, quant à elle, que le sixième considérant de l'exposé des motifs de la directive 64/427 contient deux notions essentielles pour l'interprétation de son article 3, à savoir la notion d'«exercice effectif de la profession dans le pays de provenance pendant une période raisonnable» et la notion de «période assez rapprochée dans le temps». En ce qui concerne les activités exercées à titre indépendant ou en qualité de dirigeant chargé de la gestion de l'entreprise, comme c'est le
cas en l'espèce, la période d'exercice préalable jugée raisonnable a été fixée à six années consécutives. En ce qui concerne la proximité de cet exercice dans le temps, la directive prévoit que cette activité ne doit pas avoir pris fin depuis plus de dix ans à la date du dépôt de la demande. Elle affirme que, nonobstant l'intérêt que la juridiction nationale semble porter à cet aspect des choses, il ne convient pas d'attribuer d'importance à l'utilisation, dans la version française de la directive,
du pluriel dans la première partie et du singulier à la fin du premier alinéa, celui-ci visant à faire le lien avec l'article 1er, paragraphe 2, qui définit le champ d'application matériel de la directive. Il serait donc erroné, selon elle, de vouloir exclure l'applicabilité de l'article 3 dès lors qu'un migrant demande l'autorisation d'exercer plusieurs activités simultanément.
La Commission affirme à ce propos que, pour que l'expérience acquise puisse être jugée suffisamment valable pour justifier l'accès aux activités concernées dans l'État membre d'accueil, il faut que le candidat soit en mesure de produire des certificats attestant l'exercice effectif de chacune des activités pendant la période requise. A titre d'exemple, elle propose le cas d'une personne qui a exercé trois professions entièrement distinctes pendant une période de six années; cette personne sera
réputée avoir acquis dans chacune de ces activités une expérience de chaque fois deux années, ce qui ne lui donnera accès à aucune des trois professions dans l'État membre d'accueil. Selon la Commission, seul l'exercice de l'activité à temps plein pourra être considéré comme un «exercice effectif» de celle-ci aux fins de l'article 3 de la directive 64/427. C'est pourquoi l'exercice simultané de différentes activités pendant six ans ne peut pas être considéré comme équivalant à leur exercice à temps
plein. Néanmoins, lorsque ces activités sont connexes ou lorsqu'elles sont supervisées par un même dirigeant, une expérience valable peut être acquise. Elle estime donc qu'il appartient au juge du fond d'appliquer ce critère en fonction des éléments disponibles, comme, par exemple, les monographies professionnelles prévues à l'article 4 de la directive 64/427. Elle conclut, à propos de la première question, qu'aussi bien les activités antérieures que M. de Castro Freitas a exercées au Portugal que
celles que M. Escallier a exercées en France doivent être considérées comme des activités connexes.
La Commission examine ensuite les éléments dont les autorités nationales doivent tenir compte lorsqu'elles sont invitées à reconnaître l'expérience professionnelle préalable d'un candidat à l'établissement qui a exercé plus d'une activité professionnelle dans son État membre d'origine et qui désire continuer à les exercer dans l'État membre d'accueil. Le premier de ces éléments est la qualité en laquelle l'intéressé se propose d'exercer ces activités. En effet, s'il a travaillé comme dirigeant
chargé de la gestion de l'entreprise, ce qui implique principalement un travail de supervision qui porte fréquemment sur plus d'un métier, il lui sera plus facile de remplir les conditions que pour quelqu'un qui aurait travaillé à titre indépendant. Le deuxième élément concerne la nature des activités et, surtout, le lien éventuel qui existe entre celles-ci. En l'absence d'une telle connexité, l'expérience acquise par l'exercice simultané de celles-ci pendant six ans ne pourra guère être jugée
suffisante. Enfin, il s'agira de définir la période exacte à prendre en compte pour chaque activité. A cet égard, la Commission distingue deux hypothèses: ou bien l'intéressé démontre, sur la base de l'attestation visée à l'article 4, paragraphe 2, de la directive 64/427, qu'il a exercé plusieurs activités connexes pendant six années consécutives, suffisamment proches dans le temps, auquel cas il faudra traiter l'expérience acquise dans les trois activités comme un tout indissociable donnant accès à
chacune de ces activités dans le pays d'accueil, ou bien les activités qu'il a exercées simultanément ne remplissent pas la condition de connexité, auquel cas la meilleure façon de procéder pour l'autorité compétente consistera à retenir l'activité prépondérante, s'il y en a une, ou, à défaut, de répartir la période d'exercice préalable de façon proportionnelle entre les différentes activités.
24 La République portugaise a soutenu à l'audience que, pour faciliter l'exercice du droit d'établissement, la directive 64/427 a institué un système complet de règles pour qu'un État membre dans lequel l'accès à certaines activités professionnelles est subordonné à la possession de certaines connaissances et aptitudes admette l'exercice effectif de ces activités dans un autre État membre comme une preuve suffisante de ces connaissances et aptitudes. C'est pourquoi l'État membre saisi d'une demande
d'autorisation d'établissement ne peut se fonder sur sa législation interne ni se prévaloir des dispositions de la directive pour refuser de reconnaître la validité et les effets du certificat que l'autorité compétente de l'État membre de provenance a délivré pour attester l'exercice effectif de l'activité concernée et la durée de cet exercice en se basant sur la monographie professionnelle communiquée par l'État membre dans lequel le candidat souhaite s'établir lorsque l'activité dont l'exercice a
été attesté coïncide avec les éléments essentiels de la monographie professionnelle qui lui est consacrée.
VI - Analyse des questions préjudicielles
25 Les trois questions du juge national, auxquelles il faut, selon moi, apporter une réponse conjointe, portent sur le point de savoir si un ressortissant communautaire qui produit un certificat attestant qu'il a exercé simultanément dans un autre État membre deux ou trois activités professionnelles relevant du champ d'application de la directive 64/427 peut se prévaloir, et, en cas de réponse affirmative, à quelles conditions, du bénéfice du droit d'établissement pour continuer à exercer ces mêmes
activités en qualité de travailleur indépendant dans un autre État membre dans lequel l'accès à ces activités et leur exercice sont subordonnés à la possession de certaines connaissances et aptitudes.
26 La Cour a dit pour droit que «l'article 52 du traité CEE est une des dispositions fondamentales de la Communauté et est directement applicable dans les États membres depuis la fin de la période transitoire. En vertu de cette disposition, la liberté d'établissement des ressortissants d'un État membre sur le territoire d'un autre État membre comporte l'accès aux activités non salariées et leur exercice, ainsi que la constitution et la gestion d'entreprises dans les conditions définies par la
législation du pays d'établissement pour ses propres ressortissants». La Cour en déduit que «l'article 52 vise ainsi à assurer le bénéfice du traitement national à tout ressortissant d'un État membre qui s'établit, ne serait-ce qu'à titre secondaire, dans un autre État membre pour y exercer une activité non salariée et interdit toute discrimination fondée sur la nationalité résultant des législations en tant que restriction à la liberté d'établissement» (9).
27 Il ne fait aucun doute que la législation luxembourgeoise qui réglemente l'accès aux métiers du secteur artisanal de la construction et leur exercice ne comporte aucune différence de traitement fondée sur la nationalité. En effet, elle prévoit des conditions identiques pour tout le monde et dispose expressément que les certificats délivrés par les organismes compétents des États membres sur la base des directives communautaires en matière d'artisanat sont considérés comme des documents équivalant
à une qualification professionnelle suffisante.
Je considère néanmoins que la pratique suivie par les autorités luxembourgeoises peut s'avérer contraire à l'article 52 du traité et aux dispositions de la directive 64/427 dès lors qu'elle peut avoir pour effet de décourager un ressortissant communautaire qui aurait travaillé en qualité de travailleur indépendant dans le secteur de l'artisanat dans un autre État membre et qui souhaite s'établir au Luxembourg de mettre son projet à exécution.
28 La Cour a déclaré à ce propos que «l'ensemble des dispositions du traité relatives à la libre circulation des personnes vise ainsi à faciliter, pour les ressortissants communautaires, l'exercice d'activités professionnelles de toute nature sur l'ensemble du territoire de la Communauté et s'oppose à une réglementation nationale qui pourrait défavoriser ces ressortissants lorsqu'ils souhaitent étendre leurs activités hors du territoire d'un seul État membre» (10).
29 La Cour a également déclaré qu'en fixant la date de la réalisation de la liberté d'établissement à la fin de la période de transition, l'article 52 prescrit une obligation de résultat précise, dont l'exécution devait être facilitée, mais non conditionnée, par la mise en oeuvre d'un programme de mesures progressives (11).
30 Le programme général qui a été adopté en 1962 afin de mettre en oeuvre l'article 54, paragraphe 1, du traité énonce, en son annexe I, les activités pour l'exercice desquelles les États membres devaient éliminer effectivement toutes les restrictions à la liberté d'établissement avant l'expiration de la seconde année de la deuxième étape de la période de transition. Dans cette liste, les activités sont classées par classes et par groupes.
31 Les annexes du programme général ont été élaborées sur la base de la «classification internationale type, par industries, de toutes les branches de l'activité économique» (12) (ci-après la «CITI»). C'est sur la base de cette classification et de ses notes explicatives que les différentes activités devront être classées en groupes ou sous-groupes. Les activités qui ne figurent pas dans cette classification devront être ajoutées au groupe qui comporte les activités les plus proches, compte tenu de
la situation économique dans la Communauté et, en particulier, des progrès techniques.
32 Comme l'indique son titre lui-même, la directive 64/427, dont la juridiction nationale a demandé l'interprétation, instaure les modalités des mesures transitoires dans le domaine des activités non salariées de transformation relevant des classes 23 à 40 de la CITI.
Ces classes sont les suivantes: classe 23, industrie textile; classe 24, fabrication de chaussures; classe 25, industries du bois et du linge; classe 26, industrie du meuble; classe 27, industrie du papier; classe 28, imprimerie, édition et industries annexes; classe 29, industrie du cuir; classe 30, industrie du caoutchouc; classe 31, industrie chimique; classe 32, industrie des dérivés du pétrole et du charbon; classe 33, industrie des produits minéraux non métalliques; classe 34, industries
métallurgiques de base; classe 35, fabrication des ouvrages en métaux, à l'exclusion des machines et du matériel de transport; classe 36, construction de machines, à l'exclusion des machines électriques; classe 37, construction de machines, appareils et fournitures électriques; classe 38, construction de matériel de transport; classe 39, industries manufacturières diverses et classe 40, qui se compose du seul groupe 400, qui est consacré au bâtiment et aux travaux publics.
Il faut signaler, à titre d'information, que, dans la CITI de 1958, le groupe 400 comporte pas moins de 179 activités du secteur de la construction, qui peuvent être aussi différentes les unes des autres que la menuiserie, la construction de ports, la réparation de toits, la construction de hangars et l'asphaltage des routes. Elle ne contient ni description ni définition d'aucune de ces activités.
33 Il appert du dossier que M. de Castro Freitas a travaillé en qualité de travailleur indépendant au Portugal pendant neuf ans en tant qu'entrepreneur de construction et que façadier, et qu'il l'a accrédité devant les autorités luxembourgeoises au moyen du certificat prévu par l'article 4, paragraphe 2, de la directive 64/427 afin que celles-ci l'autorisent à exercer son activité professionnelle à Luxembourg en qualité d'entrepreneur de la construction, habilité à réaliser des achèvements
extérieurs, des façades et des toits. Cette autorisation ne lui a été accordée que partiellement. Pour le surplus, elle lui a été refusée au motif qu'au Luxembourg, la liste qui énonce les métiers principaux et les métiers secondaires, liste figurant dans le règlement du 19 février 1990, reprend les métiers que M. de Castro Freitas a exercés simultanément au Portugal dans deux rubriques différentes, à savoir celle d'entrepreneur en construction de bâtiments et celle de façadier. Dans cette liste,
ces professions sont qualifiées de métiers principaux et portent respectivement la référence 401-00 et 419-00.
Conformément à la définition que le règlement du 26 mars 1994 donne du champ d'activité de ces deux métiers, l'autorisation d'exercer le premier comprend, notamment, la confection de façades en pierres naturelles ou en pierres reconstituées, la confection de chapes et le revêtement de sol, la confection d'enduits en chaux et en ciment ainsi que la mise en place d'échafaudages. L'autorisation d'exercer le second métier comprend, notamment, l'application de revêtements sur plafonds et murs moyennant
enduits et plaques en plâtre, la réalisation de faux-plafonds, de chapes en plâtre, l'application de revêtements sur murs intérieurs et extérieurs, la réalisation de façades isolantes thermiques, le nettoyage de façades et la mise en place d'échafaudages.
34 M. Escallier, pour sa part, a accrédité devant les autorités luxembourgeoises, au moyen du certificat qui lui a été délivré par l'autorité compétente, qu'il a exercé simultanément en France pendant sept ans les métiers de charpentier, de couvreur et de ferblantier-zingueur en tant que dirigeant chargé de la gestion d'une entreprise et il a demandé l'autorisation d'exercer ces mêmes métiers au Luxembourg. Cette autorisation d'établissement lui a été accordée uniquement pour le métier de couvreur
et lui a été refusée pour le surplus. En effet, dans les règlements précités, qui établissent le classement des métiers, ces trois métiers sont considérés comme des métiers principaux qui portent respectivement les références 416-00, 414-00 et 415-00 et qui, en tant que tels, sont tous soumis à une autorisation distincte. Le premier métier consiste, pour l'essentiel, à construire et à placer l'ossature de bois dont on fait les toitures; le deuxième, à placer les tuiles ou ardoises sur les voliges et
le troisième, à placer tous types d'éléments métalliques complémentaires sur les toitures.
35 La directive 64/427 impose aux États membres d'adopter des mesures visant à éviter, principalement, une gêne anormale pour les ressortissants des États membres où l'accès aux activités non salariées de transformation visées par la directive n'est soumis à aucune condition, ce qui, au Portugal et en France, est le cas des métiers en cause, lorsque ces ressortissants ont l'intention de s'établir et d'exercer ces activités dans un État membre où leur accès est réglementé, ce qui est le cas au
Luxembourg.
36 Pour éviter une telle gêne, la directive fait à l'État membre d'accueil qui subordonne l'accès à ces activités ou leur exercice à la possession de connaissances et d'aptitudes professionnelles l'obligation d'accepter comme preuve suffisante de ces connaissances et aptitudes l'exercice effectif de la profession pendant une période raisonnable, dont la durée est fixée à six années consécutives si l'intéressé l'a exercée à titre indépendant ou en qualité de dirigeant chargé de la gestion de
l'entreprise, période qui doit en outre être assez rapprochée dans le temps, raison pour laquelle la directive exige que cet exercice préalable ne remonte pas à plus de dix ans avant la date du dépôt de la demande d'autorisation d'établissement.
37 Nul ne conteste que l'accès aux professions en question est réglementé au Luxembourg. Je suis d'accord avec la définition de «profession réglementée» que l'avocat général M. Léger a proposée pour interpréter les dispositions de la directive 89/48 (13). Dans son arrêt, la Cour a repris cette définition, conformément à laquelle il n'y a profession réglementée que si l'autorité publique a directement ou indirectement édicté des règles régissant l'accès à la profession et à son exercice et si le
non-respect de ces règles est sanctionné (14).
38 En application de la législation qui gouverne l'accès à l'exercice des différentes professions dans leur pays, les autorités luxembourgeoises n'ont pas admis comme preuve suffisante le certificat que l'autorité compétente portugaise avait délivré à M. de Castro Freitas, attestant qu'il avait exercé deux métiers pendant neuf ans sans interruption, ni celui que l'autorité française compétente avait délivré à M. Escallier, attestant qu'il avait exercé trois métiers pendant sept ans sans interruption
en qualité de dirigeant chargé de la gestion d'une entreprise, bien que, dans les deux cas, la période de six années consécutives d'exercice effectif exigée par l'article 3, sous a), de la directive 64/427 avait été dépassée, et elles ne les ont pas autorisés à continuer à exercer ces mêmes métiers au Luxembourg. Conformément aux dispositions de l'article 4, paragraphe 2, de la directive 64/427, ces certificats avaient pourtant dû être élaborés selon la monographie professionnelle que les autorités
luxembourgeoises avaient communiquée.
39 Dans la législation luxembourgeoise, chacun de ces cinq métiers est considéré comme métier principal, dont l'exercice est soumis à une autorisation distincte. Pour obtenir cette autorisation, le demandeur doit démontrer qu'il est titulaire soit du diplôme de maîtrise soit d'un titre universitaire d'ingénieur dans cette branche. S'il ne possède ni l'un ni l'autre, la qualification professionnelle suffisante pour l'exercice de ce métier dans son ensemble ou d'une partie de celui-ci pourra lui être
reconnue sur la base de documents justificatifs admis comme équivalents. Les certificats délivrés par les autorités compétentes au Portugal ou en France sont donc considérés comme équivalents en application de la directive 64/427 bien que, dans la pratique, il a été démontré qu'ils servent uniquement à ce que l'intéressé puisse exercer une de ses activités antérieures, mais non pas l'ensemble de celles-ci puisque l'autorisation d'exercer chacun des métiers que la législation luxembourgeoise qualifie
de métiers principaux ne sera délivrée aux ressortissants communautaires qui se trouvent dans des circonstances identiques ou comparables à celles dans lesquelles se trouvent M. de Castro Freitas et M. Escallier qu'à la condition qu'ils fournissent la preuve qu'ils ont exercé chacun de ces métiers pendant un minimum de six années consécutives.
40 La Cour a dit pour droit que la notion d'«exercice effectif dans un autre État membre de l'activité considérée ... [pendant un certain nombre d'] années consécutives» qui figure à l'article 3 de la directive 64/427 est une des conditions de la reconnaissance, par un État membre réglementant l'activité considérée, de l'exercice de celle-ci dans un autre État membre et permet ainsi d'assurer la liberté d'établissement en vue de l'exercice des activités couvertes par la directive. C'est pourquoi, la
Cour a ajouté qu'en vue d'une application uniforme de la directive 64/427, il convenait de donner une interprétation communautaire de cette notion. Elle a conclu que cette expression vise uniquement l'exercice effectif de l'activité considérée pendant une période qui ne peut être interrompue pour un autre motif qu'une (brève) maladie ou des vacances (usuelles) (15).
41 Eu égard au fait que la directive exige que l'exercice de l'activité visée par le certificat soit un exercice effectif et dure six années consécutives, et compte tenu de l'interprétation que la Cour a donnée à ces termes, la seule conclusion à laquelle on peut aboutir est que, si l'interprétation que les autorités luxembourgeoises font de la directive 64/427 devait prévaloir, un ressortissant communautaire qui se trouve dans la situation de M. de Castro Freitas ou dans celle de M. Escallier ne
pourra s'établir au Grand-Duché, dans le meilleur des cas, que pour exercer au maximum deux des métiers considérés comme des métiers principaux dans ce pays. En effet, il ne faut pas oublier qu'aux termes de l'article 3, dernier alinéa, de la directive 64/427, lorsqu'un candidat à l'établissement présente sa demande dans l'État membre d'accueil, il ne faut pas qu'il ait cessé d'exercer l'activité pour l'exercice de laquelle il sollicite une autorisation depuis plus de dix ans à la date du dépôt de
sa demande.
Le cas de M. Escallier illustre très bien cette hypothèse. Après avoir passé sept années comme dirigeant chargé de la gestion d'une entreprise de construction de toitures en France, il a demandé à s'établir au Luxembourg afin de continuer à y construire des toitures. Or, la seule autorisation qu'il ait obtenu sur la base de l'expérience dont il a apporté la preuve, c'est celle de poser des tuiles ou des ardoises. S'il souhaite en outre être autorisé à construire la charpente et à appliquer les
parties métalliques qui garnissent généralement les toitures, et s'il se résigne à n'exercer qu'une seule de ces deux activités, il devra attendre d'avoir acquis douze années d'expérience. Mais s'il persiste dans son propos de réunir les années d'expérience nécessaires pour obtenir l'autorisation d'exercer les trois métiers au Luxembourg, au terme de la seizième année d'acquisition de l'expérience requise, celle qu'il aura acquise au cours des six premières années ne pourra déjà plus être prise en
compte parce que plus de dix années se seront écoulées depuis qu'il aura cessé d'exercer le premier métier. Étant donné que l'activité doit être exercée pendant six années consécutives et que, conformément à la législation luxembourgeoise, l'exercice d'un métier principal semble exclure l'exercice simultané de tout autre métier principal, je me demande en outre sur lequel des métiers exercés simultanément en France les autorités luxembourgeoises imputeraient la perte d'expérience?
42 Je considère que cette pratique est inacceptable non seulement parce qu'elle produit le résultat absurde que je viens d'exposer, mais également parce que la directive 64/427 dispose on ne peut plus clairement en son article 4 que les États membres dans lesquels l'une des professions relevant de son champ d'application ou l'exercice de cette activité sont réglementés informeront, avec l'aide de la Commission, les autres États membres des caractéristiques essentielles de la profession en leur
fournissant une description de l'activité propre à ces professions; que, dans chaque État membre, l'autorité compétente désignée à cet effet attestera les activités professionnelles qui ont été effectivement exercées par le bénéficiaire ainsi que leur durée, attestation délivrée sur la base de la monographie professionnelle communiquée par l'État membre dans lequel le bénéficiaire veut exercer la profession en question et, finalement, que l'État membre d'accueil accordera l'autorisation d'exercer
l'activité en cause sur demande de la personne intéressée lorsque l'activité attestée concorde avec les points essentiels de la monographie professionnelle communiquée à l'autorité compétente de l'État membre de provenance en vue de la délivrance de cette attestation et que les autres conditions éventuellement prévues par sa réglementation sont remplies, conditions au nombre desquelles, selon moi, ne peut pas figurer un nombre d'années d'exercice de l'activité concernée supérieur au nombre d'années
prévu par la directive.
43 La directive 64/427 institue donc un système complet de règles visant à ce que l'exercice d'une activité professionnelle dans un État membre donné soit reconnu dans un autre État membre aux fins de la liberté d'établissement. La directive prévoit à cet égard une triple garantie: en premier lieu, les États membres s'informent mutuellement sur les caractéristiques essentielles des professions réglementées au moyen de monographies professionnelles; en deuxième lieu, l'État membre dans lequel
l'autorisation d'établissement a été sollicitée communique à l'État membre de provenance la monographie professionnelle sur laquelle celui-ci devra se baser pour délivrer le certificat, ce qui implique, selon moi, une appréciation critique, par l'autorité compétente qui établit le certificat, non seulement de l'activité effectivement exercée, mais également de la durée de cet exercice; enfin, l'État membre d'accueil doit délivrer l'autorisation d'établissement lorsque l'activité certifiée coïncide
avec les éléments essentiels de la monographie professionnelle.
44 En ce qui concerne l'attestation délivrée par l'État membre de provenance sur la base de la monographie professionnelle que l'État d'accueil lui aura préalablement communiquée, la Cour a dit pour droit, dès 1989 (16), que cette attestation est le document permettant d'assurer la liberté effective d'établissement dans les États membres exigeant certaines conditions de qualification. Elle en a donc conclu que l'État membre d'accueil qui impose de telles conditions est en principe lié par les
constatations contenues dans l'attestation délivrée par l'État membre de provenance, sous peine de priver celle-ci de son effet utile. Elle a ajouté, en particulier, que l'État membre d'accueil ne saurait remettre en cause l'exactitude de l'indication, effectuée par l'autorité compétente de l'État membre de provenance, des activités que l'intéressé y a exercées ou de leur durée.
45 Nonobstant cela, les autorités luxembourgeoises refusent au ressortissant communautaire qui présente le certificat délivré par l'autorité compétente d'un autre État membre attestant qu'il a exercé plusieurs métiers simultanément pendant la période raisonnable et suffisamment rapprochée dans le temps exigée par la directive 64/427 l'autorisation de continuer à exercer ces mêmes métiers sur leur territoire. A l'appui d'un tel refus, elles invoquent le vain prétexte que leur législation nationale
considère ces métiers comme des métiers principaux et indépendants dont l'exercice ne peut être autorisé que séparément.
46 Je considère que cette pratique est contraire aux dispositions du traité relatives à la libre circulation des personnes, dispositions qui ont pour objet de faciliter l'exercice des activités professionnelles dans l'ensemble du territoire de la Communauté. Elle est, en particulier, incompatible avec l'article 52 du traité et avec les dispositions de la directive 64/427, laquelle vise à faciliter la réalisation de la liberté d'établissement dans le secteur des activités non salariées de
transformation qui relèvent de son champ d'application puisque cette pratique conduit irrémédiablement à décourager de s'établir au Luxembourg les ressortissants communautaires qui ont exercé simultanément dans un autre État membre plusieurs des activités qui sont considérées comme des métiers principaux au Grand-Duché.
VII - Conclusion
Eu égard aux considérations qui précèdent, je propose à la Cour de reformuler les questions préjudicielles que le tribunal administratif du Luxembourg lui a posées et de leur apporter la réponse suivante:
«L'article 52 du traité et les articles 3 et 4 de la directive 64/427/CEE du Conseil, du 7 juillet 1964, relative aux modalités des mesures transitoires dans le domaine des activités non salariées de transformation relevant des classes 23 à 40 CITI (industrie et artisanat), interdisent de refuser à un ressortissant communautaire qui présente aux autorités de l'État membre d'accueil le certificat par lequel l'autorité compétente de l'État membre de provenance atteste qu'il a exercé différents métiers
simultanément pendant la période raisonnable prévue pour son cas et que cet exercice n'a pas pris fin depuis plus de dix ans l'autorisation d'exercer une partie de ces métiers au motif que, dans cet État membre d'accueil, ils sont considérés comme des métiers principaux et indépendants, et que les autorités de cet État membre estiment que la condition d'exercice pendant une période raisonnable doit être remplie séparément pour chacun de ces métiers.»
(1) - Directive du Conseil, du 7 juillet 1964, relative aux modalités des mesures transitoires dans le domaine des activités non salariées de transformation relevant des classes 23 à 40 CITI (industrie et artisanat) (JO 1964, L 117, p. 1863).
(2) - Les trois questions préjudicielles déférées par le tribunal administratif sont rédigées de la même manière dans les deux affaires, à l'exception de ce dernier mot, au lieu duquel, dans l'ordonnance de renvoi correspondant au recours de M. de Castro Freitas, figure le mot «activités» alors que, dans l'ordonnance de renvoi correspondant au recours de M. Escallier, figure le mot «métiers».
(3) - JO 1962, 2, p. 36.
(4) - La lettre B du titre IV de ce programme général institue un délai plus long pour les activités du groupe 400 «Bâtiment et travaux publics» de l'annexe I lorsqu'elles sont exécutées sous forme de participation aux marchés publics de travaux.
(5) - Deuxième, quatrième, cinquième et sixième considérants de l'exposé des motifs.
(6) - Directive relative à un deuxième système général de reconnaissance des formations professionnelles, qui complète la directive 89/48/CEE (JO L 209, p. 25).
(7) - Directive 89/48/CEE du Conseil, du 21 décembre 1988, relative à un système général de reconnaissance des diplômes d'enseignement supérieur qui sanctionnent des formations professionnelles d'une durée minimale de trois ans (JO 1989, L 19, p. 16).
(8) - COM(96) 22 final (JO 1996, C 115, p. 16).
(9) - Arrêt du 28 janvier 1986, Commission/France (270/83, Rec. p. 273, points 13 et 14).
(10) - Arrêts du 15 février 1996, Kemmler (C-53/95, Rec. p. I-703, point 11), et du 7 juillet 1988, Stanton (143/87, Rec. p. 3877, point 13), et Wolf e.a. (154/87 et 155/87, Rec. p. 3897, point 13).
(11) - Arrêt du 28 juin 1977, Patrick (11/77, Rec. p. 1199, point 10).
(12) - Établie par l'Office statistique des Nations unies, études statistiques, série M, n_ 4, rev. 1, New York, 1958.
(13) - Déjà cité à la note 7 ci-dessus.
(14) - Conclusions présentées dans l'affaire Aranitis (C-164/94), arrêt du 1er février 1996, p. I-135, en particulier p. I-147).
(15) - Arrêt du 27 septembre 1989, Van de Bijl (130/88, Rec p. 3039, points 17 et 19).
(16) - Arrêt Van de Bijl précité à la note précédente, points 21 à 23.