CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL
M. GIUSEPPE TESAURO
présentées le 27 janvier 1998 (1)
Affaire C-62/97 P
Commission des Communautés européennes
contre
María Lidia Lozano Palacios
«Fonctionnaires – Expert national détaché – Indemnité d'installation – Pourvoi formé contre un arrêt du Tribunal de première instance»
1. Par pourvoi du 12 février 1997, la Commission a attaqué l'arrêt du Tribunal de première instance prononcé le 12 décembre 1996 dans l'affaire Lozano Palacios/ Commission (2) .L'objet de l'appel est l'annulation partielle de l'arrêt. La Commission reproche au Tribunal d'avoir à tort annulé la décision du 12 avril 1994 en tant qu'elle refusait à M ^ me Lozano Palacios, fonctionnaire affectée à la DG XXI, l'indemnité d'installation visée à l'article 5 de l'annexe VII du statut des fonctionnaires des
Communautés européennes (ci-après le statut).
2. M ^ me Lozano Palacios, de nationalité espagnole, alors fonctionnaire au ministère des Affaires sociales de son pays, a travaillé à Bruxelles pour une période de deux ans et neuf mois au total (du 1 ^ er mai 1991 au 15 février 1994) en qualité d'expert national détaché auprès des services de la Commission. Ayant réussi les épreuves d'un concours général, elle a été nommée, le 10 mars 1994, fonctionnaire stagiaire à la Commission et affectée à Bruxelles.
3. Par décision du 12 avril 1994, la Commission a fixé le lieu de recrutement et le lieu d'origine de la fonctionnaire à Bruxelles, en lui refusant l'indemnité d'installation, le remboursement des frais de déménagement et les indemnités journalières. L'indemnité de dépaysement lui a par contre été accordée. La réclamation présentée par l'intéressée a été rejetée par décision du 11 novembre 1994; par la suite, le lieu d'origine de l'intéressée à été fixé à Albacete (Espagne). Le 8 décembre 1994, M ^
me Lozano Palacios a été titularisée avec effet au 16 novembre 1994.
4. Par recours introduit le 16 février 1995, la défenderesse au pourvoi a attaqué devant le Tribunal la décision de la Commission du 12 avril 1994. Le recours avait pour objet l'annulation de la décision refusant de lui octroyer l'indemnité d'installation, le remboursement des frais de déménagement et les indemnités journalières; il concluait en outre à la condamnation de la Commission au paiement de ces prestations.
5. Par arrêt du 12 décembre 1996, le Tribunal a annulé la décision de la Commission dans la mesure où elle refusait d'octroyer à M ^ me Lozano Palacios le bénéfice de l'indemnité d'installation. Le Tribunal a condamné en outre la Commission au versement de l'indemnité, majoré des intérêts moratoires au taux de 8 % l'an. Le recours a été rejeté pour le surplus. C'est donc contre la partie de l'arrêt accueillant les arguments de M ^ me Lozano Palacios que la Commission a formé un pourvoi.
6. Le Tribunal a fondé l'annulation partielle de la décision de la Commission sur la lettre et les finalités de l'article 5 de l'annexe VII du statut, disposition prévoyant l'indemnité d'installation.
7. La disposition en cause prévoit, au paragraphe 1, qu' Une indemnité d'installation égale à deux mois de traitement de base, s'il s'agit d'un fonctionnaire qui a droit à l'allocation de foyer, ou égale à un mois de traitement de base, s'il s'agit d'un fonctionnaire n'ayant pas droit à cette allocation, est due au fonctionnaire titulaire qui remplit les conditions pour bénéficier de l'indemnité de dépaysement ou qui justifie avoir été tenu de changer de résidence pour satisfaire aux obligations de
l'article 20 du statut.Le paragraphe 3, deuxième alinéa, de ce même article ajoute que L'indemnité d'installation est versée sur production de documents justifiant de l'installation du fonctionnaire au lieu de son affectation, ainsi que de celle de sa famille si le fonctionnaire a droit à l'allocation de foyer.
8. Le Tribunal a relevé que l'article 5, paragraphe 1, de l'annexe VII du statut prévoit que, pour avoir droit à l'indemnité d'installation, le fonctionnaire doit remplir l'une des deux conditions alternatives suivantes: soit remplir les conditions pour bénéficier de l'indemnité de dépaysement, soit justifier avoir été tenu de changer de résidence pour satisfaire aux obligations de l'article 20 du statut.L'indemnité de dépaysement à laquelle se réfère l'article 5 est accordée, conformément à
l'article 4, paragraphe 1, sous a), de cette même annexe, au fonctionnaire qui n'a pas et qui n'a jamais eu la nationalité de l'État sur le territoire duquel est situé le lieu de son affectation et qui n'a pas, de façon habituelle, pendant la période de cinq années expirant six mois avant son entrée en fonctions, habité ou exercé son activité professionnelle principale sur le territoire européen dudit État. Pour l'application de cette disposition, les situations résultant de services effectués pour
un autre État ou une organisation internationale ne sont pas à prendre en considération.Il résulte de la jurisprudence du Tribunal que l'indemnité de dépaysement vise à compenser les inconvénients auxquels est exposé un fonctionnaire qui ne peut être considéré comme ayant établi un lien durable avec le pays d'affectation avant sa nomination (3) . En application de cette disposition, la Commission a donc accordé à M ^ me Lozano Palacios l'indemnité de dépaysement.
9. De l'avis du Tribunal, il découle du libellé même de l'article 5, paragraphe 1, de l'annexe VII que M ^ me Lozano Palacios a droit également à l'indemnité d'installation. Cette disposition prévoit en effet que le fonctionnaire qui a droit à l'indemnité de dépaysement a ipso jure également droit à l'indemnité d'installation sans qu'il soit nécessaire de démontrer qu'il a dû changer de résidence. En outre, de l'avis du Tribunal, le fonctionnaire en question n'est pas tenu de démontrer l'existence
de dépenses effectives, étant donné que l'indemnité est allouée de manière forfaitaire (4) .
10. Dans l'arrêt faisant l'objet du pourvoi, le Tribunal motive l'annulation de la décision également à la lumière des finalités attachées à l'indemnité d'installation. Après avoir relevé que cette dernière est accordée à un fonctionnaire titularisé et non à un fonctionnaire stagiaire, et que donc celui qui obtient l'indemnité est généralement déjà installé à son lieu d'affectation, le Tribunal affirme que l'indemnité d'installation a précisément pour objectif de compenser les charges supportées par
un fonctionnaire qui, dûment titularisé et devant par conséquent passer d'un statut précaire à un statut définitif, doit s'intégrer à son lieu d'affectation d'une façon permanente et durable pour une durée indéterminée mais substantielle (5) . Il est donc raisonnable d'admettre qu'un fonctionnaire qui est tenu d'établir une résidence stable doit faire face à des frais supplémentaires en vue de l'aménagement d'un logement approprié pour un séjour à long terme; frais qu'à l'opposé il n'était pas tenu
d'exposer aussi longtemps que sa situation restait précaire.
11. Dans le cadre du pourvoi formé devant la Cour, la Commission conteste l'interprétation des dispositions de l'annexe, telle qu'elle a été opérée par le Tribunal. A son avis, la réglementation dans laquelle s'insère l'article 5 de l'annexe imposerait une solution différente. L'article 71 du statut, qui renvoie à l'annexe VII, prévoit que le fonctionnaire a droit au remboursement des frais qu'il a exposés à l'occasion de son entrée en fonctions. En outre, la section 3 de l'annexe VII, qui comprend
les dispositions relatives à l'indemnité d'installation, est intitulée Remboursement de frais: il s'agirait donc d'éléments textuels qui confirmeraient, selon la Commission, que l'unique interprétation possible de l'article 5 serait celle qui réserverait l'indemnité d'installation au cas de frais sinon effectivement exposés, à tout le moins susceptibles de l'être. Dans le cas d'espèce, étant donné que M ^ me Lozano Palacios résidait depuis longtemps à Bruxelles, on ne pouvait nullement présumer
qu'elle ait dû supporter des frais en raison de son installation au lieu d'affectation.De l'avis de la Commission, donc, l'indemnité d'installation ne devrait pas être reconnue de manière automatique à celui qui bénéficie de l'indemnité de dépaysement. Le fonctionnaire qui entend en bénéficier serait au contraire tenu d'apporter la preuve qu'il a dû exposer des frais. Cette interprétation des dispositions de l'annexe serait la seule qui soit cohérente avec les finalités de ce régime et compatible
avec le principe de saine gestion des fonds publics ainsi qu'avec l'interdiction de l'enrichissement sans cause.
12. Disons tout de suite que les arguments exposés par la Commission au soutien de l'annulation partielle de l'arrêt du Tribunal ne sont pas convaincants. Il nous semble au contraire que le Tribunal a correctement et de façon pertinente motivé sa décision: et cela tant lorsqu'il fait référence à la lettre des dispositions en cause que lorsqu'il se réfère aux finalités du régime.
13. En premier lieu, on ne peut pas ne pas mettre en évidence l'extrême clarté de la formulation littérale de l'article 5, paragraphe 1, de l'annexe VII du statut. Celui-ci prévoit que l'indemnité d'installation est due au fonctionnaire titulaire qui remplit les conditions pour bénéficier de l'indemnité de dépaysement. Or, la Commission ayant reconnu que dans le cas de M ^ me Lozano Palacios les conditions auxquelles est subordonné le versement de l'indemnité de dépaysement sont réunies, il va de
soi que l'on doit également lui reconnaître l'indemnité d'installation. Il ne nous semble pas que cette conclusion puisse être démentie par le libellé du troisième paragraphe de l'article 5, qui se borne à indiquer les modalités concrètes aux fins de l'obtention de l'indemnité en question. Au contraire, le texte même de cette dernière disposition confirme, nous semble-t-il, le caractère automatique du versement de l'indemnité d'installation, celle-ci étant simplement versée sur production de
documents justifiant de l'installation du fonctionnaire au lieu de son affectation. La clarté du texte ne laisse donc planer aucun doute quant à la portée de l'article 5, paragraphe 1.
14. En second lieu, nous considérons que le Tribunal a parfaitement argumenté en mettant en lumière le fait que le passage d'une installation précaire, qui était par définition celle de M ^ me Lozano Palacios en tant qu'expert national détaché auprès de la Commission, à une installation stable et qui tend à devenir définitive par suite de son entrée en fonctions en tant que fonctionnaire des Communautés ne peut pas ne pas avoir engendré des frais supplémentaires, en vue de l'aménagement d'un
logement approprié pour un séjour à long terme. Il ressort clairement des dispositions combinées des articles 4 et 5 de l'annexe VII que l'indemnité en cause sert à couvrir ces frais supplémentaires, même dans les cas où l'installation du fonctionnaire n'entraîne pas nécessairement un changement de résidence (6) .
15. Enfin, il y a lieu d'observer que la conclusion à laquelle est parvenu le Tribunal apparaît conforme à la jurisprudence de la Cour selon laquelle le but de l'indemnité d'installation est de permettre au fonctionnaire de supporter les charges inévitables encourues en raison de son intégration dans un milieu nouveau pour une période indéterminée mais substantielle (7) . Par rapport au cas qui nous occupe, il est évident que ce n'est qu'à partir de la titularisation que la fonctionnaire se trouve
dans la situation de devoir envisager une période indéterminée de séjour au lieu où elle exerce ses fonctions.
16. A la lumière des observations qui précèdent, nous demandons à la Cour de rejeter le pourvoi formé par la Commission à l'encontre de l'arrêt du Tribunal du 12 décembre 1996 dans l'affaire Lozano Palacios/Commission (T-33/95); nous demandons également que les dépens soient mis à la charge de la demanderesse au pourvoi, y compris ceux exposés par la défenderesse dans le cadre de la procédure de pourvoi.
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1 –
Langue originale: l'italien.
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2 –
T-33/95, RecFP.
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3 –
Arrêt du 22 mars 1995, Lo Giudice/Parlement (T-43/93, RecFP, p. II-189, point 36).
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4 –
A l'appui de sa thèse, le Tribunal rappelle son arrêt du 30 janvier 1990, Yorck von Wartenburg/Parlement (T-42/89, Rec. p. II-31, points 21 à 23).
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5 –
Voir l'arrêt du 9 novembre 1978, Verhaaf/Commission (140/77, Rec. p. 2117, point 18).
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6 –
L'indemnité de dépaysement qui, une fois obtenue, donne ipso jure droit à l'indemnité d'installation est en effet accordée également au fonctionnaire ayant habité, pendant une période inférieure à cinq ans, dans l'État sur le territoire duquel est situé le lieu de son affectation; elle est également accordée au fonctionnaire y ayant habité pendant une période plus longue, mais en raison de services effectués pour un autre État ou pour une autre organisation internationale.
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7 –
Voir arrêt Verhaaf/Commission, précité à la note 4, point 18.