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16/12/1997 | CJUE | N°C-387/96

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général Léger présentées le 16 décembre 1997., Procédure pénale contre Anders Sjöberg., 16/12/1997, C-387/96


Avis juridique important

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61996C0387

Conclusions de l'avocat général Léger présentées le 16 décembre 1997. - Procédure pénale contre Anders Sjöberg. - Demande de décision préjudicielle: Svea hovrätt - Suède. - Dispositions sociales dans le domaine des transports par route - Dérogation pour les véhicules ut

ilisés par les autorités publiques pour des services publics qui ne concurrencen...

Avis juridique important

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61996C0387

Conclusions de l'avocat général Léger présentées le 16 décembre 1997. - Procédure pénale contre Anders Sjöberg. - Demande de décision préjudicielle: Svea hovrätt - Suède. - Dispositions sociales dans le domaine des transports par route - Dérogation pour les véhicules utilisés par les autorités publiques pour des services publics qui ne concurrencent pas les transporteurs professionnels - Obligation du conducteur de porter un extrait du registre de service. - Affaire C-387/96.
Recueil de jurisprudence 1998 page I-01225

Conclusions de l'avocat général

1 Le Svea Hovrätt vous invite à apprécier la portée d'une dérogation autorisée à la réglementation relative aux temps de conduite et de repos dans le domaine des transports routiers et à préciser l'étendue du contrôle opéré afin d'assurer le respect des dispositions en la matière.

La réglementation pertinente

2 Cette réglementation, aujourd'hui prévue par le règlement (CEE) n_ 3820/85 du Conseil, du 20 décembre 1985, relatif à l'harmonisation de certaines dispositions en matière sociale dans le domaine des transports par route (1) (ou ci-après le «règlement»), poursuit un triple objectif de sécurité routière, d'harmonisation des conditions de concurrence et de progrès social (2).

3 A cette fin, le règlement n_ 3820/85 prévoit les temps de conduite et de repos des conducteurs effectuant des transports par route entrant dans son champ d'application.

4 Cette réglementation minutieusement détaillée ne peut faire l'objet que d'aménagements strictement encadrés.

5 En dehors des treize catégories de véhicules exemptés de droit (article 4) (3) et des hypothèses de dérogations nationales, plus contraignantes (article 11), ou à raison de circonstances exceptionnelles (article 13, paragraphe 2), chaque État membre garde, sous réserve d'en informer la Commission, la possibilité, en trafic national, de déroger à la réglementation pour onze catégories de véhicules utilisés à des transports de caractère très particulier [article 13, paragraphe 1, sous a) à k)].

6 Peuvent ainsi bénéficier de telles dérogations nationales, aux termes de l'article 13, paragraphe 1, sous b), les «véhicules utilisés par les autorités publiques pour des services publics qui ne concurrencent pas les transporteurs professionnels».

Le royaume de Suède a fait usage de la possibilité de dérogation pour cette catégorie de véhicules (4).

7 Afin d'assurer un contrôle efficace des dispositions relatives aux temps de travail, le Conseil a adopté le règlement (CEE) n_ 3821/85, du 20 décembre 1985, concernant l'appareil de contrôle dans le domaine des transports par route (5). Vous avez précisé que l'appareil de contrôle homologué, connu sous le nom de «tachygraphe», est «... conçu pour enregistrer d'une manière automatique ou semi-automatique, sur des feuilles d'enregistrement homologuées, les données afférentes, en particulier, aux
temps de conduite et aux autres temps de travail, ainsi qu'aux temps de disponibilité et de repos journaliers et hebdomadaires des conducteurs» (6).

8 L'installation et l'utilisation du tachygraphe sur les véhicules affectés au transport par route de voyageurs ou de marchandises immatriculés dans un État membre sont en principe obligatoires. Les États membres peuvent cependant dispenser de cette obligation, sous réserve d'en informer la Commission, notamment les véhicules visés à l'article 13, paragraphe 1, du règlement n_ 3820/85 (article 3, paragraphe 2, du règlement n_ 3821/85). Une exception de plein droit est en tout état de cause prévue au
bénéfice des véhicules visés à l'article 4 et à l'article 14, paragraphe 1, du règlement n_ 3820/85 (article 3, paragraphe 1, du règlement n_ 3821/85).

9 Pour ces derniers, affectés aux transports réguliers de voyageurs (7), non équipés d'un tachygraphe, le contrôle du respect des dispositions réglementaires est assuré au moyen de la tenue d'un registre de service. L'article 14 du règlement n_ 3820/85 prévoit ainsi que:

«1. Dans le cas des transports réguliers de voyageurs: - nationaux,

...

assujettis au présent règlement, un horaire et un registre de service sont établis par l'entreprise.

2. Le registre doit indiquer, pour chaque conducteur, le nom et le point d'attache, ainsi que l'horaire préalablement fixé pour les différentes périodes de conduite, les autres périodes de travail et les périodes de disponibilité.

3. Le registre doit comprendre toutes les mentions visées au paragraphe 2 pour une période minimale couvrant la semaine en cours ainsi que celle qui la précède et celle qui la suit.

...

5. Chaque conducteur affecté à un service visé au paragraphe 1 doit être porteur d'un extrait du registre de service et d'une copie de l'horaire de service.

...»

10 C'est sur l'application des articles 13, paragraphe 1, sous b), et 14, paragraphe 5, du règlement n_ 3820/85 que la juridiction d'appel suédoise souhaiterait être éclairée, pour la résolution d'un litige se présentant de la façon suivante.

Cadre factuel et procédural

11 Les indications concernant l'organisation nationale et locale des transports collectifs de voyageurs par route figurent dans l'ordonnance de renvoi. Dans chaque département en Suède est élue une assemblée, dénommée «landsting», en charge, notamment, des transports réguliers collectifs de voyageurs par route, au niveau local et régional. Dans le département de Stockholm, le landsting exerce cette responsabilité de gestion à titre exclusif. Il assure cette mission par l'intermédiaire d'Aktiebolaget
Storstockholms Lokaltrafik (ci-après «SL»), société anonyme pour les transports locaux dans le Grand Stockholm, dont il détient la totalité du capital. Cette société possède neuf filiales d'exploitation du réseau local, dont SL Buss AB. Depuis 1993, les services de transport font l'objet d'appels d'offres, sur la base du principe de la concurrence, entre les filiales de cette société, notamment SL Buss AB, et des entreprises externes.

12 Retenue à l'issue d'une telle procédure, SL Buss AB assure, dans le département de Stockholm, le transport régulier par bus de voyageurs dans différentes zones, au titre de conventions d'une durée de trois à cinq ans, avec possibilité de prolongation à dix ans.

13 M. Sjöberg, gérant de SL Buss AB, a été condamné pour avoir contrevenu aux dispositions suédoises relatives aux temps de conduite et aux tachygraphes dans le domaine des transports par route (8), ainsi qu'à l'article 14 du règlement n_ 3820/85. Les autobus contrôlés n'étaient en effet pas équipés de l'appareil de contrôle et les conducteurs n'étaient pas en possession de l'extrait du registre de service.

14 Devant la juridiction d'appel, il demande qu'il soit mis fin aux poursuites, en faisant valoir que les véhicules de SL Buss AB sont exonérés du domaine d'application du règlement n_ 3820/85 au titre de son article 13, paragraphe 1, sous b), en ce qu'ils constituent des «véhicules utilisés par les autorités publiques pour des services publics qui ne concurrencent pas les transporteurs professionnels». A cet égard, il estime que le caractère privé ou public des transporteurs est sans incidence. Il
conteste également le chef de poursuite tiré du défaut de port par les conducteurs contrôlés d'un extrait du registre de service au sens de l'article 14, paragraphe 5, dès lors que ces conducteurs ont été en mesure de présenter un extrait du registre de service du jour même.

15 A l'inverse, le substitut du procureur soutient que SL Buss AB est une entreprise privée, et non une autorité publique, et que son activité est soumise à la concurrence d'autres entreprises pour offrir les transports réguliers de voyageurs sur certains territoires ou sur certaines lignes. Les transports assurés par cette société ne devraient pas pouvoir bénéficier de la disposition dérogatoire invoquée. Pour ce qui est de l'extrait du registre de service visé à l'article 14, paragraphe 5, le
procureur estime qu'il est destiné à remplacer le tachygraphe pour certains véhicules assurant des transports d'un type particulier. Il doit permettre le contrôle sur le champ non seulement des heures de pause et de repos au cours d'une seule et même journée, mais également des temps de repos pris par le conducteur au cours d'une période de 24 heures. En conséquence, un extrait du registre de service limité à un seul jour n'est pas suffisant.

16 Doutant de l'application des dispositions invoquées, le Svea Hovrätt vous a saisis des questions suivantes:

«1) La disposition dérogatoire de l'article 13, paragraphe 1, sous b), du règlement n_ 3820/85 du Conseil s'applique-t-elle aux activités de transport exercées par le Stockholms läns landsting par l'intermédiaire de SL Buss AB?

2) En vertu de l'article 14, paragraphe 5, du même règlement, chaque conducteur affecté à un service visé à l'article 14, paragraphe 1, doit être porteur d'un extrait du registre de service et d'une copie de l'horaire de service. Cette exigence est-elle satisfaite lorsque l'extrait du registre ne porte que sur un seul jour?»

Sur la première question

17 Par cette question, qu'il convient de reformuler, le juge suédois vous invite à préciser le champ d'application de la dérogation, autorisée au titre de l'article 13, paragraphe 1, sous b), en faveur des «véhicules utilisés par les autorités publiques pour des services publics qui ne concurrencent pas les transporteurs professionnels», au règlement n_ 3820/85.

18 Si l'interprétation de ce règlement et de ceux qui l'ont précédé fait déjà l'objet d'une jurisprudence conséquente, c'est la première fois que vous avez à connaître précisément de cette disposition.

19 Relevons à titre liminaire que, s'agissant d'une dérogation, l'article 13 ne saurait être interprété de façon à étendre ses effets au-delà de ce qui est nécessaire pour assurer la protection des intérêts qu'il vise à garantir. De plus, la portée des dérogations qu'il prévoit doit être déterminée en tenant compte des finalités du règlement (9).

20 A cet égard, nous l'avons rappelé, le règlement a pour objectifs l'harmonisation des conditions de concurrence entre les transporteurs, l'amélioration des conditions de travail et de la sécurité routière. Il vise également à assouplir le règlement n_ 543/69, sans toutefois porter atteinte à ses objectifs (10).

21 C'est en considération de ces éléments qu'il convient de s'attacher à dégager la portée de la dérogation litigieuse.

22 Aux termes mêmes de l'article 13, paragraphe 1, sous b), du règlement n_ 3820/85, les États membres ne sont autorisés à faire usage de cette dérogation que si cinq conditions cumulatives sont remplies: (1) le transport doit s'effectuer sur le territoire de l'État membre accordant cette dérogation ou, avec l'accord de l'État intéressé, sur le territoire d'un autre État membre; (2) la Commission doit avoir été préalablement informée par l'État membre de sa volonté de faire usage de cette
dérogation; (3) les véhicules utilisés doivent l'être pour des services publics; (4) les véhicules doivent être utilisés par les autorités publiques; (5) les véhicules ne doivent pas concurrencer les transporteurs professionnels.

23 En réalité, les trois premières conditions ne posent pas de difficultés en l'espèce.

24 D'une part, les transports litigieux ne sont effectués qu'en Suède, plus particulièrement dans la région de Stockholm.

25 D'autre part, la Commission ne conteste pas que le texte, mentionné dans l'ordonnance de renvoi (11), prévoyant la dérogation au titre de l'article 13, paragraphe 1, sous b), en Suède, a bien été porté à sa connaissance.

26 Enfin, SL Buss AB s'est vu confier le transport en commun de voyageurs par bus, par le landsting, dans le cadre de la mission de service public de transports réguliers collectifs de voyageurs par route que détient ce dernier au niveau local et régional.

Le représentant du gouvernement suédois a cependant soutenu, au cours de l'audience, que des véhicules utilisés pour le transport en commun de voyageurs ne pouvaient être considérés comme des «véhicules utilisés pour des services publics» au sens de la disposition litigieuse. Il est vrai que cette catégorie de véhicules est déjà prise en compte au titre d'autres dispositions dans le règlement. Il ne nous semble pourtant pas que l'on puisse exclure pour cette raison cette catégorie de transport du
champ de la dérogation autorisée au titre de l'article 13. En effet, les autres dispositions du règlement ne couvrent pas toutes les catégories de transports en commun de voyageurs. Ainsi, les transports litigieux ne sont pas des «transports de voyageurs par des services réguliers dont le parcours de la ligne ne dépasse pas 50 kilomètres», pouvant bénéficier à ce titre de l'exemption générale prévue au titre de l'article 4, point 3 (12). De même le nombre de passagers transportés en l'espèce
n'autorise-t-il pas à faire usage de la dérogation prévue à l'article 13, paragraphe 1, sous a), au bénéfice des «véhicules affectés aux transports de voyageurs qui, d'après leur type de construction et leur équipement, sont aptes à transporter 17 personnes au maximum, le conducteur compris, et sont destinés à cet effet».

Au surplus, rien dans la lettre de l'article 13, paragraphe 1, sous b), qui fait largement référence aux «services publics», ne nous semble autoriser à exclure de cette catégorie les services publics de transports en commun de voyageurs.

27 En revanche, le sens dans lequel nous vous proposons de comprendre les deux autres conditions d'application de la dérogation au titre de l'article 13, paragraphe 1, sous b), empêche, selon nous, des entreprises telles que SL Buss AB d'invoquer le bénéfice de cette disposition.

28 Le requérant au principal et la Commission ont suggéré une interprétation extensive de l'exigence portant sur l'utilisation par les autorités publiques, comme autorisant l'exploitation des véhicules par des entreprises privées assurant, sous le contrôle des autorités publiques, un service public de transport.

29 Cette approche ne saurait être retenue.

30 Rappelons encore une fois combien l'exigence d'une interprétation stricte des dérogations autorisées s'impose plus particulièrement dans un domaine dans lequel des considérations de sécurité routière sont en jeu. Plus le champ des dérogations sera entendu largement et plus admettra-t-on qu'un nombre croissant de véhicules ne soit plus soumis à la réglementation minutieuse des temps de travail dans ce secteur. Le risque pour la sécurité routière est évident.

31 Votre jurisprudence confirme cette considération essentielle.

32 Dans vos arrêts Goupil, et Mrozek et Jäger, précités, invités à préciser ce point à propos des exemptions générales prévues, au titre de l'article 4, point 6, en faveur des véhicules utilisés pour des services généraux d'intérêt public (13), vous avez considéré que «... pour que les véhicules en question bénéficient de l'exemption, il n'est pas nécessaire qu'ils soient directement utilisés par les autorités publiques ... la dérogation peut bénéficier tant aux autorités publiques qu'aux
entreprises privées assurant, sous le contrôle des premières, un service général d'intérêt public». La justification que vous y apportiez tenait cependant à la considération que «Contrairement à la disposition qu'il remplace, à savoir l'article 4, point 4, du règlement n_ 543/69 ... l'article 4, point 6, du règlement n_ 3820/85 ne contient plus de référence aux `véhicules utilisés par d'autres autorités publiques pour des services publics'. Cette modification du libellé a pour conséquence que la
dérogation peut bénéficier tant aux autorités publiques qu'aux entreprises privées assurant, sous le contrôle des premières, un service général d'intérêt public» (14).

Or, à l'inverse, l'article 13, paragraphe 1, sous b), qui nous occupe, contient précisément une telle référence explicite aux «véhicules utilisés par les autorités publiques pour des services publics». Admettre donc que les «véhicules utilisés par les autorités publiques» puissent, dans un tel contexte, être des véhicules utilisés par des entreprises privées assurant, sous le contrôle des autorités publiques, des services publics irait à l'encontre de la lettre du texte.

33 De même, dans votre arrêt du 6 décembre 1979, Nehlsen (15), vous étiez précisément invités à interpréter cet ancien article 4, point 4, du règlement n_ 543/69, auquel font référence les deux arrêts précités, qui exemptait de droit du champ de la réglementation un certain nombre de transports d'intérêt général, et ceux assurés par «d'autres autorités publiques pour des services publics qui ne concurrencent pas les transporteurs professionnels». Le texte d'alors était ainsi exactement le même que
celui de l'actuel article 13, paragraphe 1, point b). Or, vous avez estimé, au point 8 de l'arrêt, que cette exemption ne visait que les «véhicules dont l'autorité publique est propriétaire ou dont elle a le pouvoir de disposer», à l'exclusion des véhicules appartenant à une entreprise privée et utilisés par celle-ci pour l'accomplissement d'un service public ou d'intérêt public qu'elle s'est engagée à assurer, en vertu d'un contrat de droit privé.

34 Ajoutons enfin que la Commission a présenté au Conseil, le 18 avril 1988, une proposition de règlement modifiant le règlement n_ 3820/85 et le règlement n_ 3821/85 (16), fondée sur la considération que, «... de nombreux services publics étant désormais assurés par des entreprises privées, il convient de préciser que seuls les véhicules appartenant aux pouvoirs publics ou exploités sous contrat pour le compte de ceux-ci sont exclus du champ d'application des présentes dispositions» (17). Elle
suggère de remplacer l'article 4, point 6, par la disposition suivante: «véhicules utilisés par les pouvoirs publics ou exploités sous contrat pour le compte de ceux-ci...» (18). Sauf erreur de notre part, cette proposition n'a pas été retenue par le Conseil. Or, s'il est vrai que cette proposition vise à modifier l'article 4, point 6, et non l'article 13, paragraphe 1, sous b), elle reflète manifestement une volonté d'élargissement du champ des exemptions autorisées. Force est de constater que le
législateur ne s'est pas, jusqu'alors, rangé à cette opinion.

35 Nous concluons donc sur ce point que la dérogation nationale autorisée au titre de l'article 13, paragraphe 1, sous b), ne peut bénéficier qu'aux autorités publiques, à l'exclusion des entreprises privées assurant, sous le contrôle des premières, un service public.

36 Pour ce seul motif, SL Buss AB ne saurait être admise à invoquer le bénéfice des dispositions dérogatoires de l'article 13, paragraphe 1, sous b), si elle devait être considérée comme une entreprise privée. Cependant, dans la mesure où cette société est une filiale de la société SL dont la totalité du capital est détenue par le landsting, il ne peut être affirmé avec certitude que la condition tenant à sa qualité d'autorité publique n'est pas remplie. Il appartient au juge national de se
prononcer sur la réalité de ce critère. Nous allons voir que, en tout état de cause, n'est pas davantage remplie, dans les circonstances de l'espèce, la condition tenant à l'absence de concurrence avec les transporteurs professionnels.

37 Rappelons, au préalable, que l'harmonisation des conditions de concurrence est au nombre des objectifs poursuivis en la matière. C'est dire combien le critère selon lequel les services aux fins desquels sont effectués les transports ne doivent pas concurrencer des transporteurs professionnels est important pour l'application du texte litigieux.

38 La Commission estime que la réalité de cet élément - l'absence de concurrence - ne s'apprécie qu'au moment de l'exécution du contrat. Quand bien même la suivrait-on dans cette approche, il ne serait pas évident que le critère ainsi compris serait rempli en l'espèce. En effet, alors que le prévenu au principal soutient être en situation d'exclusivité sur les lignes qu'il exploite, le ministère public devant la juridiction nationale conteste cette appréciation, en faisant valoir que d'autres
transports par bus sont offerts aux voyageurs sur certains trajets assurés par SL Buss AB (19). Il revient au juge national de préciser la réalité de la situation factuelle.

39 Mais surtout, nous estimons, contrairement à la Commission, que le défaut de concurrence avec les transporteurs professionnels doit en outre s'apprécier tant lors de l'octroi du droit exclusif d'assurer un service public que dans la perspective du renouvellement du contrat assurant ce droit. Ainsi que l'ont souligné les gouvernements français et du Royaume-Uni, il serait tout à fait artificiel de suggérer que des opérateurs privés ne seraient pas, en fait, en situation concurrentielle lorsqu'ils
se voient confier des services publics.

Gardons à l'esprit que, contrairement à la période antérieure à 1993, durant laquelle SL Buss AB bénéficiait d'un monopole sur les transports publics de voyageurs pour certaines zones, elle se trouve depuis cette date en concurrence avec d'autres entreprises au moment de l'appel d'offres. En outre, alors même qu'après avoir remporté le marché elle exercerait cette mission à titre exclusif - encore convient-il que le juge national s'assure de ce point -, une entreprise privée, telle que SL Buss AB,
soumise à une logique de marché, et encline à maximiser ses profits, ne saurait négliger la possibilité de voir son contrat renouvelé à l'issue de la période pour laquelle il a été conclu, voire celle de remporter d'autres marchés pour d'autres zones.

Ainsi, une entreprise ayant remporté un premier appel d'offres, qui, pendant la durée de sa mission de service public, n'aura pas à respecter la réglementation communautaire contraignante, à l'inverse d'autres transporteurs privés, même exploitant des lignes différentes, sera à même de proposer une offre plus compétitive lors du prochain appel d'offres. Cette considération nous paraît inévitable puisque, par exemple, les coûts d'exploitation de cette entreprise pourraient être diminués en employant
le moins de conducteurs possible, mais en les faisant travailler le plus grand nombre d'heures possible, sans que cette politique puisse faire l'objet d'un quelconque contrôle, précisément en raison de l'admission de la dérogation à la réglementation communautaire.

40 Nous trouvons une confirmation de cette appréciation dans votre arrêt du 25 juin 1992, British Gas (20), dans lequel vous avez considéré que ne saurait bénéficier de l'exemption générale au titre de l'article 4, point 6, du règlement n_ 3820/85, une entreprise assurant le transport d'appareils à gaz vendus au public, dès lors que «... cette entreprise bénéficierait d'un avantage concurrentiel par rapport aux [autres entreprises] ... si elle était exemptée de l'obligation d'installer et d'utiliser
un tachygraphe sur les véhicules utilisés pour le transport de tels appareils. En effet, elle ferait ainsi l'économie des coûts liés à l'installation et à l'entretien des tachygraphes sur ces véhicules, que les autres entreprises fournissant des appareils domestiques à gaz ont à supporter» (21).

41 Il nous semble que votre arrêt Nehlsen, précité, procède de la même logique. Vous y avez considéré que les exemptions autorisées en faveur des «véhicules utilisés par d'autres autorités publiques pour des services publics» ne visent «... que les situations où aucun élément de concurrence ne peut entrer en jeu» (22). Dès lors, et à défaut d'indication claire et explicite dans le texte de l'ancien article 4, point 4, vous avez exclu de son champ d'application les «... transports effectués au moyen
de véhicules appartenant à des entreprises privées qui sont entrées en compétition pour obtenir un contrat afin d'assurer un service public» (23).

42 Nous estimons, par conséquent, que la dérogation nationale autorisée au titre de l'article 13, paragraphe 1, sous b), ne vise que les situations où aucun élément de concurrence ne peut entrer en jeu.

43 Pour ces considérations, nous pensons que le champ d'application de la dérogation autorisée au titre de l'article 13, paragraphe 1, sous b), doit être limité aux véhicules utilisés directement par les autorités publiques, à l'exclusion de véhicules utilisés par des entreprises privées sous le contrôle des premières, pour des services publics, tels ceux de transport en commun de voyageurs par bus, lorsqu'aucun élément de concurrence avec des transporteurs professionnels ne peut entrer en jeu.

Sur la seconde question

44 La seconde question qui vous est soumise ne nous retiendra pas longtemps. Toutes les observations déposées s'accordent à considérer que l'extrait du registre de service dont doit être porteur le conducteur affecté à un service de transports réguliers de voyageurs national (24), conformément à l'article 14, paragraphe 5, ne saurait concerner la seule journée de conduite en cause.

45 Cette considération nous paraît évidente si l'on s'attache, conformément à votre jurisprudence (25), aux finalités poursuivies par ce texte, tenant tant à l'amélioration de la sécurité routière qu'au contrôle efficace des temps de travail, et à sa raison d'être.$

46 Sur ce dernier point, rappelons que l'extrait du registre de service dont le port est exigé, conformément à l'article 14, paragraphe 5, du règlement, de chaque conducteur affecté à un service de transport régulier de voyageurs national, est destiné à se substituer au tachygraphe dont les véhicules assurant d'autres types de transports doivent obligatoirement être équipés. Cette considération se déduit tant du libellé de l'article 3, paragraphe 1, du règlement n_ 3821/85 (26), que du
vingt-cinquième considérant du règlement n_ 3820/85, aux termes duquel: «considérant que, pour les conducteurs des véhicules affectés à des services réguliers de voyageurs, une copie de l'horaire et un extrait du registre de l'entreprise peuvent se substituer à l'appareil de contrôle...».

47 Ainsi, dès lors que l'extrait du registre de service se substitue au tachygraphe, il doit garantir la même efficacité dans les contrôles que ce dernier, afin d'assurer la réalisation des objectifs poursuivis.

48 Pour déterminer la portée de l'obligation figurant à l'article 14, paragraphe 5, du règlement, l'on peut ainsi utilement se référer à votre jurisprudence relative au contrôle opéré au moyen du tachygraphe.

49 Dans l'arrêt Nijs et Transport Vanschoonbeek-Matterne, précité (27), tenant compte en particulier de l'objectif de sécurité routière assigné à la réglementation, et de la nécessaire efficacité des contrôles qui doivent être opérés à cette fin, vous avez considéré que le conducteur devait être en mesure de produire une feuille de contrôle pour le dernier jour de conduite de la dernière semaine précédant le contrôle, afin notamment que l'on puisse être assuré du respect de la période obligatoire de
repos hebdomadaire.

50 De la même façon, la présentation de l'extrait du registre de service en matière de transport de voyageurs doit permettre, comme en cas d'utilisation d'un tachygraphe, de vérifier sur le champ si le conducteur a respecté les dispositions relatives aux temps de conduite, de repos et de pause prévus par la réglementation.

51 L'extrait du registre de service ne peut donc porter sur le seul jour concerné, sauf à ne présenter aucune utilité.$

Conclusion

52 Pour les considérations qui précèdent, nous vous suggérons d'apporter les réponses suivantes au Svea Hovrätt:

«1) La dérogation autorisée au titre de l'article 13, paragraphe 1, sous b), du règlement (CEE) n_ 3820/85 du Conseil, du 20 décembre 1985, relatif à l'harmonisation de certaines dispositions en matière sociale dans le domaine des transports par route, n'est applicable qu'aux seuls véhicules utilisés directement par les autorités publiques, à l'exclusion des véhicules utilisés par des entreprises privées sous le contrôle des premières, pour des services publics, tels ceux de transport en commun de
voyageurs par bus, lorsqu'aucun élément de concurrence avec des transporteurs professionnels ne peut entrer en jeu, tant au moment de l'exercice de l'activité que lors de l'attribution de l'exercice de cette activité, ou dans la perspective d'une nouvelle attribution.

2) L'extrait du registre de service dont le conducteur doit être porteur, conformément à l'article 14, paragraphe 5, du règlement n_ 3820/85, ne peut seulement viser la conduite durant la journée en cause.»

(1) - JO L 370, p. 1. Ce règlement s'est substitué au règlement (CEE) n_ 543/69 du Conseil, du 25 mars 1969, relatif à l'harmonisation de certaines dispositions en matière sociale dans le domaine des transports par route (JO L 77, p. 49), qu'il remplace et modifie, sans pour autant, aux termes du premier considérant du règlement n_ 3820/85, s'écarter de ses finalités.

(2) - Premier considérant du règlement.

(3) - L'article 4, point 3, exclut ainsi du champ de la réglementation les «véhicules affectés aux transports de voyageurs par des services réguliers dont le parcours de la ligne ne dépasse pas 50 kilomètres».

(4) - Le règlement suédois du 8 septembre 1994: 1297 a été notifié par l'autorité de surveillance de l'AELE le 24 octobre 1994 à la Commission. Lors de l'adhésion du royaume de Suède à l'Union, y a été substitué le nouveau règlement n_ 521 de 1995, qui prévoit en son article 4, point 2, que la réglementation ne s'applique pas aux transports par route effectués par des «véhicules utilisés par les autorités publiques pour des services publics qui ne concurrencent pas les transporteurs professionnels».

(5) - JO L 370, p. 8.

(6) - Arrêt du 13 décembre 1991, Nijs et Transport Vanschoonbeek-Matterne (C-158/90, Rec. p. I-6035, point 11).

(7) - La notion de «services réguliers de voyageurs» s'entendant, conformément à l'article 1er, point 7, du règlement, des transports conformes à la définition figurant à l'article 1er du règlement n_ 117/66/CEE du Conseil, du 28 juillet 1966, concernant l'introduction de règles communes pour les transports internationaux de voyageurs par route effectués par autocars et par autobus (JO 1966, 147, p. 2688): «1. Les services réguliers sont ceux qui assurent le transport de personnes effectué selon une
fréquence et sur une relation déterminées, ces services pouvant prendre et déposer des personnes à des arrêts préalablement fixés...».

(8) - Förordningen (1993:184) om kör - och vilotider samt färdskrivare vid vägtransporter, promulgué le 18 mars 1993.

(9) - Voir, en dernier lieu, à propos des exemptions de droit au titre de l'article 4 du règlement, les arrêts du 21 mars 1996, Goupil (C-39/95, Rec. p. I-1601, point 8), et Mrozek et Jäger (C-335/94, Rec. p. I-1573, point 9).

(10) - Arrêts Goupil (point 14), et Mrozek et Jäger (point 15), précités.

(11) - Règlement suédois, précité à la note 4 des présentes conclusions.

(12) - Il ressort en effet des indications factuelles que ces transports sont assurés sur des distances pouvant atteindre plus de 100 km, et dans tous les cas supérieures à 50 km.

(13) - Sont visés les «véhicules affectés aux services des égouts, de la protection contre les inondations, de l'eau, du gaz, de l'électricité, de la voirie, de l'enlèvement des immondices, des télégraphes, des téléphones, des envois postaux, de la radiodiffusion, de la télévision et de la détection des émetteurs ou récepteurs de télévision ou de radio».

(14) - Arrêts précités, Goupil (point 14), et Mrozek et Jäger (point 15).

(15) - 47/79, Rec. p. 3639.

(16) - 88/C 116/20 (JO C 116, p. 15).

(17) - Sixième considérant.

(18) - Article 2, souligné par nous.

(19) - Le représentant du gouvernement suédois a confirmé, au cours de l'audience, que le service de transport de voyageurs par autobus peut être assuré tant par les pouvoirs publics que par des entreprises privées, qui peuvent être en concurrence entre elles ou avec d'autres moyens de transports.

(20) - C-116/91, Rec. p. I-4071.

(21) - Point 19.

(22) - Point 7.

(23) - Point 8, souligné par nous.

(24) - Relevons, sans que ce point ait été discuté au cours de la procédure, qu'il ne semble faire aucun doute que l'on est en présence en l'espèce d'un «service régulier de voyageurs», au sens du règlement, dont la définition est rappelée à la note 7 des présentes conclusions.

(25) - Voir, par exemple, l'arrêt du 15 décembre 1993, Charlton e.a. (C-116/92, Rec. p. I-6755, point 14).

(26) - Cet article est ainsi rédigé: «1. L'appareil de contrôle est installé et utilisé sur les véhicules affectés aux transports par route de voyageurs ... à l'exception des véhicules visés ... à l'article 14, paragraphe 1, du règlement n_ 3820/85».

(27) - Point 13.


Synthèse
Numéro d'arrêt : C-387/96
Date de la décision : 16/12/1997
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle: Svea hovrätt - Suède.

Dispositions sociales dans le domaine des transports par route - Dérogation pour les véhicules utilisés par les autorités publiques pour des services publics qui ne concurrencent pas les transporteurs professionnels - Obligation du conducteur de porter un extrait du registre de service.

Transports

Politique sociale


Parties
Demandeurs : Procédure pénale
Défendeurs : Anders Sjöberg.

Composition du Tribunal
Avocat général : Léger
Rapporteur ?: Jann

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1997:619

Source

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