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13/11/1997 | CJUE | N°C-346/96

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général Léger présentées le 13 novembre 1997., Belgisch Interventie- en Restitutiebureau contre Prolacto NV., 13/11/1997, C-346/96


Avis juridique important

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61996C0346

Conclusions de l'avocat général Léger présentées le 13 novembre 1997. - Belgisch Interventie- en Restitutiebureau contre Prolacto NV. - Demande de décision préjudicielle: Rechtbank van eerste aanleg Brussel - Belgique. - Politique agricole commune - Aide alimentaire - Fournitur

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Avis juridique important

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61996C0346

Conclusions de l'avocat général Léger présentées le 13 novembre 1997. - Belgisch Interventie- en Restitutiebureau contre Prolacto NV. - Demande de décision préjudicielle: Rechtbank van eerste aanleg Brussel - Belgique. - Politique agricole commune - Aide alimentaire - Fourniture de lait écrémé en poudre - Inexécution de l'adjudicataire - Perte de la caution - Paiement des coûts supplémentaires résultant d'une nouvelle adjudication - Cumul. - Affaire C-346/96.
Recueil de jurisprudence 1998 page I-00345

Conclusions de l'avocat général

1 La question préjudicielle dont vous êtes saisis vise à déterminer l'étendue exacte, pour l'adjudicataire chargé de livrer du lait écrémé en poudre au titre de l'aide alimentaire, des conséquences financières de l'inexécution de ses obligations.

I - La réglementation communautaire pertinente

2 Le règlement (CEE) n_ 1354/83 de la Commission, du 17 mai 1983 (1) (ci-après le «règlement», fixe les modalités générales de mobilisation et de fourniture de lait écrémé en poudre au titre de l'aide alimentaire.

3 Aux termes de son article 9, paragraphe 1, il est procédé à une adjudication pour déterminer les frais de fourniture, y compris, le cas échéant, le prix relatif à l'achat ou à la fabrication et à l'emballage du lait écrémé en poudre.

4 Selon l'article 11, paragraphe 6, sous b), l'offre du soumissionnaire n'est valable que si elle est accompagnée de la preuve que la caution d'adjudication visée à l'article 12 a été constituée avant l'expiration du délai fixé pour la présentation des offres.

5 Conformément à l'article 12, paragraphe 1, second tiret, lorsqu'il s'agit de lait acheté sur le marché de la Communauté, la caution d'adjudication s'élève à 3 % du prix d'intervention du lait écrémé en poudre applicable à la quantité sur laquelle porte l'offre.

6 L'article 11, paragraphe 7, dispose qu'une offre présentée ne peut être retirée.

7 Il ressort de l'article 14, paragraphe 1, que l'adjudication est attribuée au soumissionnaire dont l'offre est la moins élevée.

8 Aux termes de l'article 16, paragraphe 2, l'adjudicataire ne peut unilatéralement renoncer à l'exécution de l'opération pour laquelle il a été déclaré adjudicataire. Le paragraphe 4 de ce texte prévoit que l'adjudicataire fournit dans les plus brefs délais toutes les informations utiles aux organismes compétents concernés qui les transmettent immédiatement à la Commission.

9 L'article 25 du règlement dispose ce qui suit:

«1. L'adjudicataire supporte toutes les conséquences financières consécutives à une absence de fourniture, en tout ou partie, de la marchandise aux conditions fixées, si le bénéficiaire a rendu possible la fourniture auxdites conditions.

Si, du fait de l'adjudicataire, l'embarquement n'est pas effectué dans une période de trois mois suivant la date d'expiration de la période d'embarquement telle que fixée dans l'avis d'adjudication ... l'organisme chargé du paiement délie l'adjudicataire de ses obligations. Dans un tel cas, la Commission prend les mesures appropriées.

2. Les frais résultant d'une absence de fourniture de la marchandise par suite d'un cas de force majeure sont pris en charge par l'organisme chargé du paiement» (2).

10 L'article 26, paragraphes 5 et 6, du règlement prévoit:

«5. Si, du fait de l'adjudicataire, la période d'embarquement telle que fixée dans l'avis d'adjudication ... n'est pas respectée, l'organisme concerné retient pour chaque journée de retard au prorata des quantités non embarquées:

- 1 % du montant de la caution d'adjudication, dans le cas des marchandises achetées sur le marché de la Communauté ou fabriquées à partir de tels produits,

...

6. Toutes les cautions restent acquises dans le cas où l'adjudicataire est délié de ses obligations conformément à l'article 25, paragraphe 1, deuxième alinéa» (3).

11 Par décision 87/203/CEE, du 10 mars 1987, la Commission a fixé à un maximum de 94 100 tonnes la quantité de lait en poudre à fournir au titre de l'aide alimentaire pour l'année 1987 (4).

II - Les faits et la procédure nationale

12 Deux règlements de la Commission ont prévu la fourniture par les organismes d'intervention (pour la Belgique, il s'agit du Belgisch Interventie- en Restitutiebureau, ci-après l'«Office») de divers lots de lait écrémé en poudre au titre de l'aide alimentaire (5).

La première adjudication

13 Prolacto NV, société de droit belge (ci-après «Prolacto» ou l'«entreprise adjudicatrice»), a présenté, le 23 février 1987, dernier jour utile, des offres portant sur deux lots, au titre du règlement n_ 345/87. Le lait écrémé en poudre devait être acheté par Prolacto sur le marché de la Communauté.

14 Le 5 mars 1987, l'Office a avisé Prolacto que ses offres étaient acceptées, tout en rappelant que la livraison du lait devait s'effectuer suivant les dispositions du règlement. Le lait devait être embarqué le 30 avril 1987 au plus tard sur des navires mis à disposition par le bénéficiaire de l'aide alimentaire.

15 Le 7 août 1987, Prolacto a informé l'Office qu'elle n'était pas en mesure d'exécuter les livraisons.

16 Par lettre recommandée du 20 août 1987, l'Office a informé Prolacto que, en raison du défaut de livraison, les cautions d'adjudication, d'un montant de 573 330 BFR et 667 238 BFR, seraient déclarées acquises, à moins que Prolacto ne verse les montants correspondants, ce que celle-ci a fait.

La seconde adjudication

17 Prolacto a présenté, le 20 mai 1987, dernier jour utile, des offres portant sur quatre lots, au titre du règlement n_ 1358/87. Le lait écrémé en poudre devait être acheté par Prolacto sur le marché de la Communauté.

18 Le 22 mai 1987, l'Office a avisé Prolacto que ses offres étaient acceptées, tout en rappelant que la livraison devait s'effectuer suivant les dispositions du règlement. Le lait devait être embarqué le 30 juin 1987 au plus tard sur des navires mis à disposition par le bénéficiaire de l'aide alimentaire.

19 Prolacto n'a pas procédé à la livraison à laquelle elle s'était engagée. Le 13 octobre 1987, elle a informé l'Office qu'elle n'était pas en mesure d'effectuer la livraison.

20 Par lettre du 16 octobre 1987, l'Office a informé Prolacto qu'elle était contrainte de déclarer acquises les cautions constituées pour les quatre lots concernés.

21 Conformément à l'article 25, paragraphe 1, deuxième alinéa, dernière phrase, du règlement, la Commission a procédé à de nouvelles adjudications des lots non livrés par Prolacto.

22 Bien que les lots aient été attribués au soumissionnaire qui avait présenté l'offre la plus basse, l'ensemble des coûts supplémentaires s'est élevé à la somme de 50 781 099 BFR, représentant la différence entre le coût total généré par les nouvelles adjudications des six lots non livrés et le prix que Prolacto avait initialement offert pour ces lots.

23 Selon une lettre de la Commission en date du 17 juillet 1991, cette somme a été mise à la charge de l'État belge qui a été invité à en réclamer le montant à Prolacto.

24 Par lettre recommandée du 3 octobre 1991, l'Office a mis en demeure Prolacto de lui verser la somme de 50 781 099 BFR, en vertu de l'article 25 du règlement, outre les intérêts moratoires à compter du 1er novembre 1991, avant de l'assigner en paiement, le 15 avril 1992, devant le Rechtbank van eerste aanleg te Brussel.

III - La question préjudicielle

25 S'interrogeant sur l'étendue des obligations incombant à l'entreprise adjudicatrice à la suite de sa défaillance, en application du règlement, le juge national a sursis à statuer pour poser à votre Cour la question suivante:

«Dans le cadre d'une offre portant sur la livraison de lait écrémé en poudre au titre de l'aide alimentaire, basée sur les règlements (CEE) n_ 345/87 et (CEE) n_ 1358/87 de la Commission, des 3 février 1987 et 15 mai 1987, et de la caution d'adjudication constituée dans un même contexte conformément à l'article 12 du règlement (CEE) n_ 1354/83 de la Commission, du 17 mai 1983, la personne morale, qui ne s'est pas conformée par la suite à ses obligations et n'a pas exécuté la livraison, peut-elle se
voir réclamer par l'office belge d'intervention et de restitution le versement d'une indemnité au titre de l'article 25, paragraphe 1, du règlement (CEE) n_ 1354/83, précité, après que toutes les cautions d'adjudication ont été déclarées acquises audit office?»

26 Le juge de renvoi vous demande, en substance, si le règlement doit être interprété en ce sens qu'un adjudicataire qui ne remplit pas l'obligation de fourniture de marchandises, mise à sa charge au titre de l'aide alimentaire, reste tenu d'en réparer les conséquences dommageables, conformément à l'article 25, paragraphe 1, du règlement, lorsque les cautions d'adjudication ont été déclarées acquises en application de l'article 26, paragraphe 6, de ce texte.

27 Deux points doivent, selon nous, être distingués dans la réponse à la question posée.

28 En premier lieu, il convient de se demander si le paiement des cautions exclut ou non la prise en charge par l'adjudicataire de l'ensemble des «conséquences financières» de l'absence de fourniture de la marchandise. En second lieu, dans le cas où l'adjudicataire serait tenu aux deux obligations, il faut examiner si leurs montants se cumulent ou si la caution doit être déduite des «conséquences financières» supportées par l'adjudicataire.

Sur la coexistence des deux obligations

29 Le droit d'obtenir de l'adjudicataire défaillant le paiement du montant des «conséquences financières» visées par l'article 25, paragraphe 1, du règlement en plus des cautions déclarées acquises résulte de la lettre même du texte.

30 En prévoyant que «L'adjudicataire supporte toutes les conséquences financières consécutives à une absence de fourniture ... de la marchandise aux conditions fixées», le législateur communautaire pose clairement le principe de la prise en charge, par celui-ci, des frais supplémentaires résultant de l'inexécution de l'opération.

31 Ce principe est assorti d'une exception puisque les frais sont pris en charge par l'organisme chargé du paiement (6) dans l'hypothèse où l'inexécution de l'opération résulterait d'un cas de force majeure (7).

32 Toutefois, en l'espèce, une telle hypothèse a été expressément écartée par le juge de renvoi, qui a jugé que «la défenderesse n'a[vait] pas été confrontée à un cas de force majeure» (8).

33 Selon Prolacto, la lecture conjointe de l'article 25 et de l'article 26, paragraphe 6, du règlement révèle que la sanction du défaut d'exécution se limite à la caution lorsque l'adjudicataire est délié de ses obligations. La caution se substituerait aux frais supplémentaires de l'article 25, paragraphe 1. Elle jouerait en quelque sorte le rôle d'une clause pénale, l'intérêt de la substitution étant de préserver la situation des organismes d'intervention, qui bénéficieraient d'une indemnisation
sans avoir à fournir la preuve de l'étendue du dommage subi (9).

34 Même lus conjointement, ces textes n'autorisent pas une telle interprétation.

35 L'article 26, paragraphe 6, du règlement prévoit la perte de la caution lorsque l'adjudicataire est «délié de ses obligations conformément à l'article 25, paragraphe 1, deuxième alinéa». Or, la première des obligations de l'adjudicataire est la fourniture de marchandises au bénéficiaire, de sorte que l'obligation dont l'adjudicataire est délié, et qui détermine le sort de la caution, n'est pas, comme le laisse entendre Prolacto, l'obligation de prendre en charge les «conséquences financières» de
l'absence de fourniture visées à l'article 25, paragraphe 1. Quand l'organisme chargé du paiement constate que le retard de l'adjudicataire excède une période raisonnable, fixée en l'espèce à trois mois, il renonce à poursuivre avec lui l'opération projetée. De nouvelles procédures d'adjudication peuvent donc être engagées dans le but de pallier la défaillance de ce dernier. C'est alors que la caution est acquise, sans que, pour autant, l'adjudicataire échappe au paiement des frais supplémentaires
de l'article 25, paragraphe 1, les deux obligations étant pareillement conditionnées par l'inexécution de l'opération.

36 Comme le fait observer la Commission (10), selon le règlement, une offre présentée ne peut pas être retirée (11), et l'adjudicataire ne peut unilatéralement renoncer à l'exécution de l'opération pour laquelle il a été déclaré adjudicataire (12). Dans ce contexte, il est normal qu'il ne puisse être dispensé d'exécuter ses obligations qu'à la suite d'une décision formelle de l'organisme chargé du paiement, du type de celle prévue par l'article 25, paragraphe 1, deuxième alinéa. Néanmoins, il ne
serait pas compréhensible que la même décision le dégage aussi de son obligation de réparer les conséquences de sa défaillance.

37 Au demeurant, il y a lieu de souligner que la procédure de l'article 25, paragraphe 1, deuxième alinéa, ne laisse pas de marge d'appréciation à l'organisme chargé du paiement, lequel doit délier l'adjudicataire de ses obligations dès lors qu'une période de trois mois s'est écoulée, ce qui provoque la perte de la caution toutes les fois qu'un retard atteint cette ampleur. On ne voit donc pas, si la perte de la caution devait exclure l'indemnisation des «conséquences financières» de l'inexécution
de l'offre, ce qui justifierait l'existence de l'article 25, paragraphe 1, premier alinéa, dont le champ d'application serait limité à l'indemnisation des «conséquences financières» de retards inférieurs à trois mois.

38 Relevons également que l'indemnisation prévue par le texte précité est subordonnée à l'absence de fourniture de la marchandise aux conditions fixées, ce qui, plus que les retards de courte durée, désigne les inexécutions définitives telles que celles imputables à Prolacto.

39 Par ailleurs, il est difficile d'admettre que, par souci d'éviter des évaluations longues ou complexes, un organisme d'intervention renonce à percevoir, au profit d'une caution, l'indemnisation de l'ensemble des frais supplémentaires qu'il a exposés, alors que leurs montants respectifs peuvent être sans commune mesure entre eux.

40 Les frais en cause peuvent en effet se révéler importants, comme en l'espèce où les différences de cours et les nouvelles procédures d'adjudication sont à l'origine d'un surcoût de 50 781 099 BFR, tandis que la caution d'adjudication est fixée à 3 % du prix d'intervention du lait écrémé en poudre applicable à la quantité sur laquelle porte l'offre, soit 5 400 000 BFR.

41 Les deux textes ne sont donc pas exclusifs l'un de l'autre, et l'acquisition de la caution nous paraît compatible avec la prise en charge des frais supplémentaires résultant de l'inexécution de l'offre.

Sur le cumul des montants

42 Soit le cumul est total, et l'adjudicataire défaillant supporte la charge, à la fois, de la caution et des «conséquences financières» de l'absence de fourniture de la marchandise, soit le cumul est limité au montant du préjudice subi, ce qui conduit à déduire de ce montant la caution acquise.

43 Le degré du cumul dépend, selon nous, de l'objectif poursuivi par chacun des deux textes. Ainsi que l'indique justement la Commission, ces objectifs sont différents (13).

44 L'article 25, paragraphe 1, premier alinéa, du règlement institue une responsabilité de l'adjudicataire du fait de la non-exécution de l'opération de fourniture de marchandises. Comme votre Cour l'a constaté, cette responsabilité en matière d'aide alimentaire est de nature contractuelle (14).

45 L'adjudicataire devient redevable des frais supplémentaires engendrés par sa défaillance dès lors qu'il n'a pas rempli son obligation de fournir les marchandises dans les conditions initialement prévues.

46 Les cautions déclarées acquises par l'Office ne pourraient être déduites du montant de sa demande formée en vertu de l'article 25, paragraphe 1, du règlement que si leur nature était également indemnitaire. Dans cette hypothèse, la fonction de réparation du préjudice exercée par le cautionnement légitimerait une réduction à due proportion de l'indemnité sollicitée, le dédommagement de l'Office étant en partie réalisé au moyen des cautions acquises.

47 Telle n'est pourtant pas la fonction de la caution.

48 Celle-ci est d'abord une garantie (15). Dans une espèce comparable, votre Cour a dit pour droit que la caution «n'a[vait] d'autre but que de garantir que l'opérateur bénéficiaire respecte ses engagements» (16). Elle permet de s'assurer, en premier lieu, du sérieux de l'offre de fourniture présentée par un soumissionnaire, en faisant dépendre sa validité de la preuve que la caution «a été constituée avant l'expiration du délai fixé pour la présentation des offres» (17). En second lieu, elle
garantit que l'entreprise adjudicatrice respectera les termes de l'offre retenue.

49 Surtout, la caution devient une sanction lorsque l'obligation qu'elle garantit n'a pas été respectée (18). De nombreuses réglementations agricoles, notamment celles relatives à l'aide alimentaire de la Communauté à destination de pays tiers, utilisent un système de cautionnement (19). Vous êtes ainsi régulièrement appelés à vous prononcer sur la conformité au principe de proportionnalité de la perte d'une caution à la suite de la violation d'obligations énoncées par les textes en cause. A cette
occasion, vous avez toujours considéré, au moins de façon implicite, que la perte de la caution constituait la sanction de l'inobservation de ces obligations (20).

50 Cette qualification ressort encore plus clairement de l'arrêt Maizena, précité. Votre Cour était saisie en appréciation de validité d'une réglementation communautaire prescrivant la reconstitution de la caution garantissant l'obligation, imposée au titulaire d'un certificat d'exportation, de procéder à l'exportation pendant la durée de validité de ce certificat. Le régime applicable prévoyait que «... la caution est libérée, sur demande de l'intéressé, bien que l'obligation d'exporter n'ait pas
encore été accomplie et continue donc à exister, [et que] ... la caution libérée doit être reconstituée et reste acquise lorsqu'il s'avère ultérieurement que l'obligation d'exporter n'a pas été respectée pendant la durée de validité du certificat d'exportation» (21).

51 Vous avez dit pour droit que «... la reconstitution d'une caution libérée, qui était destinée à garantir un certain engagement, cesse d'être une garantie pour devenir une sanction au moment où l'engagement en cause n'a pas été respecté et ne peut plus l'être» (22). Le raisonnement adopté nous apparaît parfaitement transposable puisque, en l'espèce, la perte de la caution est subordonnée au fait que l'adjudicataire ait été préalablement, et définitivement, délié de ses obligations à la suite d'un
retard d'embarquement provenant de son fait (23).

52 Par suite, la qualification de clause pénale donnée par Prolacto à la caution, notamment parce qu'il s'agirait d'une somme fixée à des fins indemnitaires, ne saurait être retenue. Le fait que, néanmoins, à l'instar d'une clause pénale, la caution soit fixée de manière forfaitaire (24) traduit d'abord sa nature de sanction, caractérisée par la définition d'un quantum sans lien avec l'étendue du préjudice.

53 Au contraire, le contenu de l'article 25, paragraphe 1, premier alinéa, du règlement manifeste la volonté du législateur communautaire d'assurer l'indemnisation de la totalité du préjudice né du défaut de livraison de l'aide alimentaire.

54 Ajoutons que la fonction de dissuasion de la caution serait affaiblie si son paiement était subordonné à l'existence d'un dommage. Bien plus, une telle analyse conduirait l'organisme d'intervention à rembourser purement et simplement le montant de la caution à l'adjudicataire, alors même que l'opération serait inexécutée, dans le cas où une nouvelle adjudication aurait lieu à des conditions de prix telles qu'elles compenseraient le surcoût engendré par la défaillance du premier adjudicataire. En
pareil cas, en effet, aucun préjudice ne pourrait être relevé. Or, selon l'article 26, paragraphe 6, du règlement, pour que les cautions restent acquises, il suffit que, à la suite du défaut de fourniture de la marchandise dans un délai de trois mois, l'adjudicataire soit délié de ses obligations, et donc que l'opération n'ait pas lieu.

55 En conséquence, la différence de nature et de fonction entre le mécanisme de la caution et celui de l'indemnisation des «conséquences financières» de l'absence de fourniture s'oppose à ce que le montant de la caution soit pris en compte pour le calcul de la somme restant due à ce titre par Prolacto à l'Office. Nous considérons qu'il doit, au contraire, s'ajouter au montant de l'évaluation des dommages résultant du non-respect, par l'adjudicataire, de son engagement.

Conclusion

56 Au regard de ces considérations, nous vous proposons de répondre de la façon suivante à la question posée par le Rechtbank van eerste aanleg te Brussel:

«Le règlement (CEE) n_ 1354/83 de la Commission, du 17 mai 1983, portant modalités générales de mobilisation et de fourniture de lait écrémé en poudre, de beurre et de `butter oil' au titre de l'aide alimentaire, doit être interprété en ce sens que l'entreprise désignée par voie d'adjudication pour effectuer une fourniture de marchandise qui ne remplit pas son obligation supporte toutes les conséquences financières de cette absence de fourniture, conformément à l'article 25, paragraphe 1, premier
alinéa, du règlement, lors même que la caution d'adjudication a été déclarée acquise en vertu de l'article 26, paragraphe 6, du règlement, et sans que cette dernière puisse être déduite des sommes dues au titre des conséquences financières visées par les dispositions précitées de l'article 25.»

(1) - Règlement portant modalités générales de mobilisation et de fourniture de lait écrémé en poudre, de beurre et de «butter oil» au titre de l'aide alimentaire (JO L 142, p. 1).

(2) - Souligné par nous.

(3) - Ibidem.

(4) - Décision fixant les quantités globales d'aide alimentaire et à l'établissement de la liste des produits à fournir à titre d'aide en 1987 (JO L 80, p. 32).

(5) - Règlements (CEE) n_ 345/87, du 3 février 1987, et (CEE) n_ 1358/87, du 15 mai 1987, de la Commission, relatifs à la fourniture de divers lots de lait écrémé en poudre au titre de l'aide alimentaire (JO L 34, p. 8, et L 131, p. 1).

(6) - L'organisme chargé du paiement est, selon l'article 23 du règlement, l'organisme d'intervention auprès duquel l'offre a été introduite.

(7) - Article 25, paragraphe 2, du règlement.

(8) - Page 8 de la traduction en français de la décision de renvoi. Voir également p. 5 et 6.

(9) - Pages 9 et 10 de la traduction en français de ses observations écrites.

(10) - Point 39 de ses observations écrites.

(11) - Article 11, paragraphe 7.

(12) - Article 16, paragraphe 2.

(13) - Points 60 à 67 de ses observations.

(14) - Voir, notamment, les arrêts du 18 octobre 1984, Eurico (109/83, Rec. p. 3581, point 19), et du 11 février 1993, Cebag/Commission (C-142/91, Rec. p. I-553, points 11 et 12). Vous vous fondez, dans ce dernier arrêt, sur des règlements postérieurs au règlement n_ 1354/83, mais les éléments qui vous permettent de conclure dans le sens de la nature contractuelle des relations entre la Commission et les adjudicataires se retrouvent dans la présente législation pertinente. Comme dans l'arrêt
précité, la détermination du prix de la livraison en fonction de l'offre des soumissionnaires et de son acceptation par la Commission, comme il résulte des articles 11, paragraphe 4, sous e), 13, paragraphe 1, et 14, paragraphe 1, du règlement, caractérise un rapport contractuel.

(15) - Voir Alexander, W.: «Perte de la caution (ou acquisition de la garantie) en droit agricole communautaire», Cahiers de droit européen, 1988, n_ 4, p. 384, I, B.

(16) - Arrêt du 5 février 1987, Plange Kraftfutterwerke (288/85, Rec. p. 611, point 10). Voir également, par exemple, les arrêts du 17 décembre 1970, Internationale Handelsgesellschaft (11/70, Rec. p. 1125, point 6), et du 18 novembre 1987, Maizena (137/85, Rec. p. 4587, point 22).

(17) - Article 11, paragraphe 6, sous b), du règlement.

(18) - Voir Alexander, W., précité, III, H.

(19) - Voir l'arrêt du 2 juin 1994, Exportslachterijen van Oordegem (C-2/93, Rec. p. I-2283, point 22).

(20) - Voir, notamment, l'arrêt du 23 mai 1996, Maas (C-326/94, Rec. p. I-2643, point 36).

(21) - Point 11.

(22) - Point 12.

(23) - La transposition de la qualification retenue dans cet arrêt n'est pas affectée par la circonstance que la caution a été acquise après avoir été reconstituée, sa situation après reconstitution n'étant pas différente de celle d'une caution n'ayant jamais été libérée.

(24) - Rappelons que la caution est constituée et calculée à l'avance en proportion du prix d'intervention de la marchandise en cause.


Synthèse
Numéro d'arrêt : C-346/96
Date de la décision : 13/11/1997
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle: Rechtbank van eerste aanleg Brussel - Belgique.

Politique agricole commune - Aide alimentaire - Fourniture de lait écrémé en poudre - Inexécution de l'adjudicataire - Perte de la caution - Paiement des coûts supplémentaires résultant d'une nouvelle adjudication - Cumul.

Relations extérieures

Coopération au développement

Produits laitiers

Aide alimentaire

Agriculture et Pêche


Parties
Demandeurs : Belgisch Interventie- en Restitutiebureau
Défendeurs : Prolacto NV.

Composition du Tribunal
Avocat général : Léger
Rapporteur ?: Schintgen

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1997:544

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