La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

09/07/1997 | CJUE | N°C-222/95

CJUE | CJUE, Arrêt de la Cour du 9 juillet 1997., Société civile immobilière Parodi contre Banque H. Albert de Bary et Cie., 09/07/1997, C-222/95


Avis juridique important

|

61995J0222

Arrêt de la Cour du 9 juillet 1997. - Société civile immobilière Parodi contre Banque H. Albert de Bary et Cie. - Demande de décision préjudicielle: Cour de cassation - France. - Libre circulation des capitaux - Libre prestation des services - Etablissements de crédit - Octroi

d'un prêt hypothécaire - Exigence d'un agrément dans l'Etat membre dans ...

Avis juridique important

|

61995J0222

Arrêt de la Cour du 9 juillet 1997. - Société civile immobilière Parodi contre Banque H. Albert de Bary et Cie. - Demande de décision préjudicielle: Cour de cassation - France. - Libre circulation des capitaux - Libre prestation des services - Etablissements de crédit - Octroi d'un prêt hypothécaire - Exigence d'un agrément dans l'Etat membre dans lequel la prestation est fournie. - Affaire C-222/95.
Recueil de jurisprudence 1997 page I-03899

Sommaire
Parties
Motifs de l'arrêt
Décisions sur les dépenses
Dispositif

Mots clés

1 Libre prestation des services - Établissements de crédits - Libération des services bancaires en harmonie avec la libération progressive de la circulation des capitaux - Octroi de prêts hypothécaires - Libération, sous réserve des dérogations prévues par la première directive du Conseil pour la mise en oeuvre de l'article 67 du traité - Conséquences

(Traité CE, art. 59 et 61, § 2, directive du Conseil du 11 mai 1960, telle que modifiée par la directive du Conseil 63/21, art. 3, et annexe I, liste C)

2 Libre prestation des services - Établissements de crédit - Exigence d'un agrément - Établissement de crédit déjà agréé dans un autre État membre - Admissibilité - Conditions

(Traité CE, art. 59; directives du Conseil 77/780 et 89/646)

3 Libre prestation des services - Restrictions - Exigence d'un établissement stable des prestataires de services - Illicéité

(Traité CE, art. 59)

Sommaire

4 L'opération consistant, pour une banque établie dans un État membre, à accorder un prêt hypothécaire à un emprunteur établi dans un autre État membre constitue une prestation de services liée à un mouvement de capital, dont la libération est à réaliser, conformément à l'article 61, paragraphe 2, du traité, en harmonie avec la libération progressive de la circulation des capitaux. A l'époque où la première directive du Conseil pour la mise en oeuvre de l'article 67 du traité, telle que modifiée par
la deuxième directive 63/21, était en vigueur, l'octroi d'un tel prêt hypothécaire constituait un mouvement de capital en principe libéré par l'article 3, paragraphe 1, de la première directive. Il s'ensuit que, sans préjudice des restrictions de change qu'un État membre pouvait maintenir ou rétablir au titre de l'article 3, paragraphe 2, de la directive précitée, les règles relatives aux mouvements de capitaux n'étaient pas de nature à restreindre la liberté de conclure des prêts hypothécaires sous
forme de prestations de services en vertu de l'article 59 du traité.$

5 Pour la période précédant l'entrée en vigueur de la deuxième directive 89/646, visant à la coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives concernant l'accès à l'activité des établissements de crédit et son exercice, l'article 59 du traité doit être interprété en ce sens qu'il s'oppose à ce qu'un État membre impose à un établissement de crédit, déjà agréé dans un autre État membre, d'obtenir un agrément pour pouvoir accorder un prêt hypothécaire à une personne
résidant sur son territoire, à moins que cet agrément$

- s'impose à toute personne ou à toute société exerçant une telle activité sur le territoire de l'État membre de destination;$

- soit justifié par des raisons liées à l'intérêt général telles que la protection des consommateurs; et$

- soit objectivement nécessaire pour assurer le respect des règles applicables dans le secteur considéré et pour protéger les intérêts que ces règles ont pour but de sauvegarder, étant entendu que le même résultat ne pourrait pas être obtenu par des règles moins contraignantes.$

Dans le cadre de son appréciation, le juge national doit notamment distinguer selon la nature de l'activité bancaire en cause et du risque encouru par le destinataire du service. En effet, la conclusion d'un contrat de prêt hypothécaire présente pour le consommateur des risques différents de ceux du dépôt de fonds auprès d'un établissement de crédit. En outre, la nécessité de protéger l'emprunteur varie en fonction de la nature des prêts hypothécaires et, dans certaines situations, en raison
précisément des caractéristiques du prêt octroyé et de la qualité de l'emprunteur, il n'y a aucun besoin de protéger celui-ci par l'application des règles impératives de son droit national.$

6 Si l'exigence d'un agrément constitue une restriction à la libre prestation des services, l'exigence d'un établissement stable des prestataires de services est en fait la négation même de cette liberté. Elle a pour conséquence d'enlever tout effet utile à l'article 59 du traité, dont l'objet est précisément d'éliminer les restrictions à la libre prestation des services de la part de personnes non établies dans l'État sur le territoire duquel la prestation doit être fournie. Une telle exigence
n'est admissible que si elle constitue une condition indispensable pour atteindre l'objectif recherché.

Parties

Dans l'affaire C-222/95,

ayant pour objet une demande adressée à la Cour, en application de l'article 177 du traité CE, par la Cour de cassation française et tendant à obtenir, dans le litige pendant devant cette juridiction entre

Société civile immobilière Parodi

et

Banque H. Albert de Bary et Cie,

une décision à titre préjudiciel sur l'interprétation des articles 59 et 61, paragraphe 2, du traité CEE,

LA COUR,

composée de MM. G. F. Mancini, président des deuxième et sixième chambres, faisant fonction de président, J. C. Moitinho de Almeida, J. L. Murray et L. Sevón, présidents de chambre, C. N. Kakouris, C. Gulmann, D. A. O. Edward, J.-P. Puissochet, P. Jann, H. Ragnemalm (rapporteur) et M. Wathelet, juges,

avocat général: M. M. B. Elmer,

greffier: M. H. von Holstein, greffier adjoint,,

considérant les observations écrites présentées:

- pour la banque H. Albert de Bary et Cie, par Me Louis Garaud, avocat au barreau de Paris,

- pour le gouvernement français, par Mme Catherine de Salins, sous-directeur à la direction des affaires juridiques du ministère des Affaires étrangères, et M. Philippe Martinet, secrétaire des affaires étrangères à la même direction, en qualité d'agents,

- pour le gouvernement belge, par M. Jan Devadder, directeur d'administration au ministère des Affaires étrangères, du Commerce extérieur et de la Coopération au développement, en qualité d'agent,

- pour le gouvernement du Royaume-Uni, par Mme Lindsey Nicoll, du Treasury Solicitor's Department, en qualité d'agent,

- pour la Commission des Communautés européennes, par M. Dimitrios Gouloussis, conseiller juridique, en qualité d'agent,

vu le rapport d'audience,

ayant entendu les observations orales du gouvernement français, représenté par M. Philippe Martinet, du gouvernement belge, représenté par M. Jan Devadder, du gouvernement du Royaume-Uni, représenté par Mme Eleanor Sharpston, barrister, et de la Commission, représentée par M. Dimitrios Gouloussis, à l'audience du 22 octobre 1996,

ayant entendu l'avocat général en ses conclusions à l'audience du 10 décembre 1996,

rend le présent

Arrêt

Motifs de l'arrêt

1 Par arrêt du 13 juin 1995, parvenu à la Cour le 26 juin suivant, la Cour de cassation française a posé, en vertu de l'article 177 du traité CE, une question préjudicielle relative à l'interprétation des articles 59 et 61, paragraphe 2, du traité CEE.

2 Cette question a été posée dans le cadre d'un litige opposant la banque H. Albert de Bary et Cie, société de droit néerlandais, dont le siège social est à Amsterdam (ci-après la «banque de Bary»), à la société civile immobilière Parodi, société de droit français, dont le siège social est à Megève (ci-après la «SCI Parodi»), au sujet d'un prêt hypothécaire consenti à cette dernière, le 29 novembre 1984, par la banque de Bary pour un montant de 930 000 DM.

3 Le 13 mars 1990, la SCI Parodi a assigné la banque de Bary en demandant, d'une part, la nullité du prêt, au motif que ladite banque n'avait pas reçu, lors de l'octroi du prêt, l'agrément exigé par la loi n_ 84-46, du 24 janvier 1984, relative à l'activité et au contrôle des établissements de crédit (JORF du 25 janvier 1984, p. 390, ci-après la «loi de 1984») et, d'autre part, le remboursement de la somme de 1 251 390 FF représentant uniquement le montant des frais et intérêts versés à la banque de
Bary à l'exclusion du capital perçu.

4 Par jugement du 12 juin 1991, le tribunal de grande instance de Bonneville a rejeté la demande de la SCI Parodi. Saisie en appel, la cour d'appel de Chambéry a, le 15 juin 1993, confirmé ce jugement au motif, notamment, que la banque de Bary bénéficiait de la liberté d'établissement et de la libre prestation de services dans la Communauté au regard tant du traité CEE que de la directive 73/183/CEE du Conseil, du 28 juin 1973, concernant la suppression des restrictions à la liberté d'établissement
et à la libre prestation de services en matière d'activités non salariées des banques et autres établissements financiers (JO L 194, p. 1).

5 La Cour de cassation, saisie d'un pourvoi formé par la SCI Parodi, a décidé de surseoir à statuer et de demander à la Cour si,

«pour la période précédant l'entrée en vigueur de la directive 89/646/CEE du Conseil, du 15 décembre 1989, visant à la coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives concernant l'accès à l'activité des établissements de crédit et son exercice, et modifiant la directive 77/780/CEE, les articles 59 et 61, paragraphe 2, du traité CEE doivent être interprétés en ce sens qu'ils s'opposent à une législation nationale exigeant un agrément pour prester des services en matière
bancaire, notamment pour consentir un prêt hypothécaire, lorsque la banque, établie dans un autre État membre, y bénéficie d'un agrément.»

6 La loi de 1984 contient notamment les dispositions suivantes:

«Article 15

Avant d'exercer leur activité, les établissements de crédit doivent obtenir l'agrément délivré par le comité des établissements de crédit visés à l'article 29.

Le comité des établissements de crédit vérifie si l'entreprise demanderesse satisfait aux obligations prévues aux articles 16 et 17 de la présente loi et l'adéquation de la forme juridique de l'entreprise à l'activité d'établissement de crédit. Il prend en compte le programme d'activités de cette entreprise, les moyens techniques et financiers qu'elle prévoit de mettre en oeuvre ainsi que la qualité des apporteurs de capitaux et, le cas échéant, de leurs garants.

Le comité apprécie également l'aptitude de l'entreprise requérante à réaliser ses objectifs de développement dans des conditions compatibles avec le bon fonctionnement du système bancaire et qui assurent à la clientèle une sécurité satisfaisante.

Le comité peut, en outre, refuser l'agrément si les personnes visées à l'article 17 ne possèdent pas l'honorabilité nécessaire et l'expérience adéquate à leur fonction.

...

Article 16

Les établissements de crédit doivent disposer d'un capital libéré ou d'une dotation versée d'un montant au moins égal à une somme fixée par le comité de la réglementation bancaire.

Tout établissement de crédit doit justifier à tout moment que son actif excède effectivement d'un montant au moins égal au capital minimum le passif dont il est tenu envers les tiers.

Les succursales d'établissements de crédit dont le siège social est à l'étranger sont tenues de justifier d'une dotation employée en France d'un montant au moins égal au capital minimum exigé des établissements de crédit de droit français.

Article 17

La détermination effective de l'orientation de l'activité des établissements de crédit doit être assurée par deux personnes au moins.

Les établissements de crédit dont le siège social est à l'étranger désignent deux personnes au moins auxquelles ils confient la détermination effective de l'activité de leur succursale en France.»

7 Par sa question, le juge de renvoi demande en substance si l'article 59 du traité doit être interprété en ce sens qu'il s'oppose à ce qu'un État membre impose à un établissement de crédit, déjà agréé dans un autre État membre, d'obtenir un agrément pour pouvoir accorder un prêt hypothécaire à une personne résidant sur son territoire.

8 Il convient à titre liminaire de relever que l'opération qui consiste, pour une banque établie dans un État membre, à accorder un prêt hypothécaire à un emprunteur établi dans un autre État membre constitue nécessairement une prestation de services liée à un mouvement de capital au sens de l'article 61, paragraphe 2, du traité. Or, selon cet article, «La libération des services des banques et des assurances qui sont liées à des mouvements de capitaux doit être réalisée en harmonie avec la
libération progressive de la circulation des capitaux.»

9 L'article 61, paragraphe 2, du traité permet ainsi aux États membres, en l'absence de libération des mouvements de capitaux, de maintenir des mesures ayant pour objet de restreindre lesdits mouvements sans que de telles mesures puissent être contestées sur le fondement des articles 59 et 60 du traité CEE au motif qu'elles constitueraient des entraves indirectes à la libre prestation de services.

10 Il en résulte que l'application aux services bancaires des dispositions du traité en matière de services ne peut être exclue qu'en présence d'une restriction à la libre circulation des capitaux afférents à de telles opérations qui est compatible avec le droit communautaire.

11 En ce qui concerne la libre circulation des capitaux, il y a lieu de rappeler que l'article 67, paragraphe 1, du traité CEE ne saurait impliquer, dès la fin de la période transitoire, la suppression des restrictions aux mouvements de capitaux. Cette suppression résulte en effet des directives du Conseil prises sur le fondement de l'article 69 de ce même traité (voir arrêts du 11 novembre 1981, Casati, 203/80, Rec. p. 2595, points 8 à 13, et du 14 novembre 1995, Svensson et Gustavsson, C-484/93,
Rec. p. I-3955, point 5).

12 Lors de l'octroi du prêt litigieux au principal, soit le 29 novembre 1984, la directive pertinente était la première directive du Conseil, du 11 mai 1960, pour la mise en oeuvre de l'article 67 du traité (JO 1960, 43, p. 921, ci-après la «première directive capitaux»), telle que modifiée et complétée par la deuxième directive 63/21/CEE du Conseil, du 18 décembre 1962 (JO 1963, 9, p. 62).

13 L'article 3, paragraphe 1, de la première directive capitaux libère les mouvements de capitaux énumérés à la liste C de l'annexe I de ladite directive, telle que complétée par la deuxième directive 63/21, en ce sens que les États membres se voient imposer l'obligation de délivrer les autorisations de change nécessaires. Le paragraphe 2 de cette même disposition permet néanmoins à un État membre de maintenir ou de rétablir des restrictions de change aux mouvements de capitaux figurant sur la liste
C si leur libération est de nature à faire obstacle à la réalisation de ses objectifs de politique économique.

14 La catégorie «Octroi et remboursement de prêts et crédits à moyen et long terme non liés à des transactions commerciales ou à des prestations de services» est mentionnée à la liste C de l'annexe I, dans sa version résultant de la deuxième directive 63/21, en sorte qu'elle relève de l'article 3 de la première directive capitaux. En vertu de l'annexe II, VIII A, cette catégorie comprend, notamment, l'octroi de prêts et crédits à moyen et à long terme (c'est-à-dire d'une durée supérieure à un an)
accordés par des établissements financiers. Il en résulte que l'octroi d'un prêt hypothécaire relève de la catégorie, en principe libérée, des mouvements de capitaux résultant de l'article 3, paragraphe 1, de la première directive capitaux.

15 Lors de l'audience, le gouvernement français a indiqué, sans être contredit par la Commission, avoir fait usage de la possibilité de dérogation prévue à l'article 3, paragraphe 2, de la première directive capitaux, et ce en conformité avec celle-ci, pour restreindre certaines opérations de change comme les emprunts en devises effectués à l'étranger. Toutefois, il ressort de la réglementation nationale en matière de contrôle des changes applicable lors des faits au principal qu'elle soumettait de
tels emprunts à autorisation lorsqu'ils étaient supérieurs à un montant équivalent à 50 millions de FF. En revanche, pour les emprunts d'un montant inférieur, tels que le prêt litigieux au principal, aucune autorisation n'était exigée.

16 Il convient dès lors de constater que, en l'espèce au principal, les règles relatives aux mouvements de capitaux n'étaient pas de nature à restreindre la liberté de conclure des contrats de prêts hypothécaires sous forme de prestations de services en vertu de l'article 59 du traité.

17 Dès lors que des opérations telles que des prêts hypothécaires octroyés par des banques constituent des services au sens de l'article 59 du traité, il y a donc lieu d'apprécier si une réglementation telle que celle qui est visée par la juridiction de renvoi est compatible avec les dispositions du traité relatives à la libre prestation des services.

18 A cet égard, il résulte d'une jurisprudence constante que les articles 59 et 60 du traité exigent non seulement l'élimination de toute discrimination à l'encontre du prestataire de services établi dans un autre État membre en raison de sa nationalité, mais également la suppression de toute restriction, même si elle s'applique indistinctement aux prestataires nationaux et à ceux des autres États membres, lorsqu'elle est de nature à prohiber, à gêner ou à rendre moins attrayantes les activités du
prestataire établi dans un autre État membre, dans lequel il fournit légalement des services analogues (voir, notamment, arrêt du 12 décembre 1996, Reisebüro Broede, C-3/95, Rec. p. I-6511, point 25).

19 Même si une règle nationale telle que la loi de 1984 n'est pas discriminatoire et s'applique indistinctement aux prestataires nationaux et à ceux des autres États membres, il y a lieu de constater qu'elle rend plus difficile l'octroi d'un prêt hypothécaire en France par un établissement de crédit établi dans un autre État membre et agréé par l'autorité de contrôle de ce dernier, dans la mesure où elle impose audit établissement d'obtenir un nouvel agrément de l'autorité de contrôle de l'État de
destination. Une telle règle nationale crée donc une restriction à la libre prestation des services.

20 Cependant, compte tenu de la nature particulière de certaines prestations de services, des exigences spécifiques imposées au prestataire qui seraient motivées par l'application de règles régissant ce type d'activité ne sauraient être considérées comme incompatibles avec le traité.

21 Il convient toutefois de rappeler que la libre prestation des services, en tant que principe fondamental du traité, ne peut être limitée que par des réglementations justifiées par des raisons impérieuses d'intérêt général et s'appliquant à toute personne ou entreprise exerçant une activité sur le territoire de l'État destinataire, dans la mesure où cet intérêt n'est pas sauvegardé par les règles auxquelles le prestataire est soumis dans l'État membre dans lequel il est établi. En particulier,
lesdites exigences doivent être objectivement nécessaires en vue de garantir l'observation des règles professionnelles et d'assurer la protection du destinataire des services et elles ne doivent pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre ces objectifs (voir, notamment, arrêts du 17 décembre 1981, Webb, 279/80, Rec. p. 3305, points 17 et 20; du 4 décembre 1986, Commission/Allemagne, 205/84, Rec. p. 3755, point 27, et du 25 juillet 1991, Säger, C-76/90, Rec. p. I-4221, point 15).

22 A cet égard, il convient de reconnaître que le secteur bancaire constitue un domaine particulièrement sensible du point de vue de la protection des consommateurs. Il est notamment nécessaire de protéger ces derniers contre le préjudice qu'ils pourraient subir du fait d'opérations de banques qui seraient effectuées par des établissements ne respectant pas les exigences relatives à la solvabilité ou dont les dirigeants ne posséderaient pas les qualifications professionnelles ou morales nécessaires.

23 Il y a lieu toutefois de constater que de telles nécessités, propres au secteur bancaire, avaient déjà conduit le Conseil, à l'époque des faits au principal, à adopter la première directive 77/780/CEE, du 12 décembre 1977, visant à la coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives concernant l'accès à l'activité des établissements de crédit et son exercice (JO L 322, p. 30, ci-après la «première directive bancaire»).

24 Cette première directive bancaire ne constituait néanmoins qu'une première étape vers la reconnaissance mutuelle par les États membres des agréments délivrés par chacun d'eux aux établissements de crédit. Il est constant, en effet, qu'une telle reconnaissance mutuelle n'a été rendue possible qu'avec l'entrée en vigueur de la deuxième directive 89/646/CEE du Conseil, du 15 décembre 1989, visant à la coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives concernant l'accès à
l'activité des établissements de crédit et son exercice, et modifiant la directive 77/780 (JO L 386 p. 1, ci-après la «deuxième directive bancaire»).

25 La première directive bancaire se limitait à imposer aux États membres certaines conditions minimales. C'est toutefois en vertu de l'article 3 de ladite directive que les États membres étaient tenus d'exiger un agrément de la part de tout établissement de crédit souhaitant commencer à exercer une activité bancaire sur son territoire d'origine. L'obtention d'un tel agrément était soumise à certaines conditions minimales (article 3, paragraphe 1) sans préjudice d'autres conditions générales
requises par la réglementation nationale (article 3, paragraphe 2).

26 Il y a donc lieu de reconnaître que, en l'état du droit communautaire à l'époque des faits au principal, il existait, dans le domaine bancaire, des raisons impérieuses liées à l'intérêt général qui pouvaient justifier que l'État membre destinataire impose des conditions concernant l'accès à l'activité des établissements de crédit et à leur contrôle qui pouvaient aller au-delà des conditions minimales exigées par la première directive bancaire et déjà mises en oeuvre dans l'État membre d'origine.

27 Il appartient au juge national de vérifier, d'une part, si la réglementation française contient de telles conditions additionnelles par rapport à la première directive bancaire et, d'autre part, si de telles conditions sont conformes aux critères établis par la jurisprudence mentionnée au point 21 du présent arrêt.

28 En effet, ainsi que l'a à juste titre relevé M. l'avocat général au point 24 de ses conclusions, la Cour ne dispose d'informations ni quant à la finalité précise de l'agrément requis par la réglementation nationale ni quant à la pratique suivie par les autorités compétentes à l'égard des banques établies dans d'autres États membres. Toutefois, les dispositions nationales applicables au principal ne semblent pas spécifiquement destinées à protéger les emprunteurs, mais plutôt à mettre en oeuvre
certaines règles prudentielles visant à garantir la solvabilité des banques à l'égard des épargnants.

29 Par ailleurs, une distinction doit être faite selon la nature de l'activité bancaire en cause et du risque encouru par le destinataire du service. Ainsi, la conclusion d'un contrat de prêt hypothécaire présente pour le consommateur des risques différents de ceux du dépôt de fonds auprès d'un établissement de crédit. Or, à cet égard, la nécessité de protéger l'emprunteur varie en fonction de la nature des prêts hypothécaires, étant observé que, dans certaines situations, en raison précisément des
caractéristiques du prêt octroyé et de la qualité de l'emprunteur, il n'y a aucun besoin de protéger celui-ci par l'application des règles impératives de son droit national (voir, en ce sens, arrêt Commission/Allemagne, précité, point 49).

30 Enfin, la banque de Bary et le gouvernement belge soutiennent que la condition d'agrément posée par la réglementation française se cumulait avec une condition d'établissement, rendant ainsi impossible l'exercice d'une activité bancaire en France par voie de libre prestation des services. Cette affirmation est contestée par le gouvernement français.

31 Sous réserve de vérification de ce point par le juge national, force est de rappeler que, ainsi que la Cour l'a déjà souligné, si l'exigence d'un agrément constitue une restriction à la libre prestation des services, l'exigence d'un établissement stable est en fait la négation même de cette liberté. Elle a pour conséquence d'enlever tout effet utile à l'article 59 du traité, dont l'objet est précisément d'éliminer les restrictions à la libre prestation des services de la part de personnes non
établies dans l'État sur le territoire duquel la prestation doit être fournie. Pour qu'une telle exigence soit admise, il faut établir qu'elle constitue une condition indispensable pour atteindre l'objectif recherché (voir arrêts Commission/Allemagne, précité, point 52, et du 6 juin 1996, Commission/Italie, C-101/94, Rec. p. I-2691, point 31).

32 Il y a donc lieu de répondre à la question posée que, pour la période précédant l'entrée en vigueur de la deuxième directive bancaire, l'article 59 du traité doit être interprété en ce sens qu'il s'oppose à ce qu'un État membre impose à un établissement de crédit, déjà agréé dans un autre État membre, d'obtenir un agrément pour pouvoir accorder un prêt hypothécaire à une personne résidant sur son territoire, à moins que cet agrément

- s'impose à toute personne ou à toute société exerçant une telle activité sur le territoire de l'État membre de destination;

- soit justifié par des raisons liées à l'intérêt général telles que la protection des consommateurs; et

- soit objectivement nécessaire pour assurer le respect des règles applicables dans le secteur considéré et pour protéger les intérêts que ces règles ont pour but de sauvegarder, étant entendu que le même résultat ne pourrait pas être obtenu par des règles moins contraignantes.

Décisions sur les dépenses

Sur les dépens

33 Les frais exposés par les gouvernements français, belge et du Royaume-Uni, ainsi que par la Commission des Communautés européennes, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Dispositif

Par ces motifs,

LA COUR

statuant sur la question à elle soumise par la Cour de cassation française, par arrêt du 13 juin 1995, dit pour droit:

Pour la période précédant l'entrée en vigueur de la deuxième directive 89/646/CEE du Conseil, du 15 décembre 1989, visant à la coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives concernant l'accès à l'activité des établissements de crédit et son exercice, et modifiant la directive 77/780/CEE, l'article 59 du traité CEE doit être interprété en ce sens qu'il s'oppose à ce qu'un État membre impose à un établissement de crédit, déjà agréé dans un autre État membre, d'obtenir
un agrément pour pouvoir accorder un prêt hypothécaire à une personne résidant sur son territoire, à moins que cet agrément

- s'impose à toute personne ou à toute société exerçant une telle activité sur le territoire de l'État membre de destination;

- soit justifié par des raisons liées à l'intérêt général telles que la protection des consommateurs; et

- soit objectivement nécessaire pour assurer le respect des règles applicables dans le secteur considéré et pour protéger les intérêts que ces règles ont pour but de sauvegarder, étant entendu que le même résultat ne pourrait pas être obtenu par des règles moins contraignantes.


Synthèse
Numéro d'arrêt : C-222/95
Date de la décision : 09/07/1997
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle: Cour de cassation - France.

Libre circulation des capitaux - Libre prestation des services - Etablissements de crédit - Octroi d'un prêt hypothécaire - Exigence d'un agrément dans l'Etat membre dans lequel la prestation est fournie.

Libre prestation des services


Parties
Demandeurs : Société civile immobilière Parodi
Défendeurs : Banque H. Albert de Bary et Cie.

Composition du Tribunal
Avocat général : Elmer
Rapporteur ?: Ragnemalm

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1997:345

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award